Arrêt du 2 février 2017

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161-20170202-JUD-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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2 FEBRUARY 2017

JUDGMENT

MARITIME DELIMITATION IN THE INDIAN OCEAN

(SOMALIA v. KENYA)

PRELIMINARY OBJECTIONS

___________

DÉLIMITATION MARITIME DANS L’OCÉAN INDIEN

(SOMALIE c. KENYA)

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

2 FÉVRIER 2017

ARRÊT TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes

Q UALITÉS 1-14

I. INTRODUCTION 15-30

II. REMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA COMPÉTENCE DE LA C OUR 31-134
A. Le mémorandum d’accord 36-106

1. Le statut juridique du mémorandum d’accord au regard du
droit international 36-50

2. L’interprétation du mémorandum d’accord 51-105

3. Conclusion sur la question de savoir si la réserve contenue
dans la déclaration que le Kenya a formulée en vertu du
paragraphe 2 de l’article 36 est applicable du fait du
mémorandum d’accord 106

B. La partie XV de la convention des Nations Unies sur le droit de
la mer 107-133

C. Conclusion 134

III. ECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA RECEVABILITÉ DE LA
REQUÊTE DE LA SOMALIE 135-144

D ISPOSITIF 145

___________ COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

ANNÉE 2017
2017
2 février
Rôle général
o
n 161
2 février 2017

DÉLIMITATION MARITIME DANS L’OCÉAN INDIEN

(SOMALIE c. KENYA)

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

Contexte géographique –– Somalie et Kenya étant tous deux parties à la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer –– Paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM –– Rôle de la
Commission des limites du plateau continental –– Article 4de l’annexe II de la
CNUDM  Annexe I du règlement intérieur de la Commission des limites –– Commission exigeant
l’accord préalable de tous les Etats parties aux différends terrestres ou maritimes non

résolus  Mémorandum d’accord de 2009 –– Historique de la demande déposée par chaque
Partie auprès de la Commission concernant la limite extérieure du plateau continental au-delà de
200 milles marins –– Chacune des Parties ayant formulé puis levé une objection à l’examen de la
demande de l’autre par la Commission –– Examen desdites demandes par la Commission.

*

Juridiction fondée sur les déclarations faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut de la Cour –– Deux exceptions soulevées –– Compétence et recevabilité.

* - 2 -

Première exception préliminaire du Kenya.

Arguments du Kenya –– Cour n’ayant pas compétence du fait de l’une des réserves
contenues dans la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause
facultative  Différends au sujet desquels les Parties sont convenues «d’avoir recours à un autre
mode ou à d’autres modes de règlement» étant exclus du champ de la compétence de la
Cour  Mémorandum constituant un accord à l’effet d’avoir recours à un tel autre mode de
règlement  Dispositions pertinentes de la CNUDM sur le règlement des différends constituant

également un accord quant à un mode de règlement.

Analyse de la Cour –– Statut juridique du mémorandum d’accord en droit
international  Signature du mémorandum et enregistrement au Secrétariat de l’Organisation des
Nations Unies — Mémorandum en tant que document écrit dans lequel les Parties ont consigné
certains points d’accord régis par le droit international –– Disposition relative à l’entrée en
vigueur étant une indication du caractère contraignant de cet instrument –– Ministre somalien de

la planification nationale ayant été dûment autorisé à signer –– Entrée en vigueur du mémorandum
à sa signature –– Absence d’exigence de ratification dans cet instrument –– Mémorandum
constituant un traité valide entré en vigueur à sa signature et liant les Parties en droit
international.

Interprétation du mémorandum d’accord –– Règles d’interprétation énoncées aux
articles 31 et 32 de la convention de Vienne –– Sens ordinaire, contexte, objet et but devant être

considérés comme un tout –– Rôle de la Commission des limites dans la délinéation de la limite
extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins –– Distinction entre délinéation et
délimitation.

Intitulé du mémorandum d’accord –– Signification de chacun de ses paragraphes –– Intitulé
et cinq premiers paragraphes du mémorandum étant l’indication d’un objectif –– Mémorandum en
tant qu’accord de non-objection permettant à la Commission des limites de formuler ses
recommandations nonobstant l’existence d’un différend –– Question de savoir si le sixième

paragraphe du mémorandum établit un mode de règlement agréé –– Sixième paragraphe visant
uniquement le plateau continental –– Fixation de la limite extérieure du plateau continental
au-delà de 200 milles marins étant sans préjudice de la délimitation de la frontière
maritime  Similarité entre le libellé du paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM et celui du
sixième paragraphe du mémorandum –– Sixième paragraphe n’interdisant pas aux Parties de
négocier de bonne foi en vue de parvenir à un accord –– Aucune restriction temporelle énoncée à

cet égard dans le sixième paragraphe –– Sixième paragraphe ne prescrivant pas de mode de
règlement du différend –– Parties ne s’étant pas estimées tenues d’attendre les recommandations
de la Commission des limites avant d’engager des négociations –– Interprétation confirmée par les
travaux préparatoires ainsi que par les circonstances dans lesquelles le mémorandum a été
conclu –– Initiative du représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies pour la Somalie –– Assistance de la Norvège –– Conclusion selon laquelle le
mémorandum ne constitue pas un accord à l’effet «d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres

modes de règlement» au sens de la réserve à la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la
clause facultative –– Réserve du Kenya ne trouvant pas à s’appliquer.

Question de savoir si la partie XV de la CNUDM (intitulée «Règlement des différends»)
constitue un accord sur un mode de règlement du différend relatif à la frontière maritime
au sens de la réserve du Kenya –– Economie générale et dispositions de la
partie XV  Article 282  Sens ordinaire de l’article 282 couvrant l’accord sur la compétence de - 3 -

la Cour qui découle de déclarations faites en vertu de la clause facultative –– Interprétation
confirmée par les travaux préparatoires –– Procédure devant la Cour s’appliquant «au lieu» des
procédures prévues dans la section 2 de la partie XV –– Partie XV n’établissant pas d’«autre
mode» de règlement au sens de la réserve du Kenya –– Cour donnant effet à l’intention reflétée
dans la déclaration du Kenya en concluant à sa compétence –– Présente affaire ne se trouvant pas

exclue, du fait de la partie XV, du champ de l’acceptation de la juridiction de la Cour.

Conclusion selon laquelle ni le mémorandum d’accord ni la partie XV de la CNUDM
n’entrent dans le champ de la réserve à la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause
facultative –– Rejet de l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par le Kenya.

*

Seconde exception préliminaire du Kenya.

Deux moyens avancés par le Kenya pour contester la recevabilité de la requête –– Premier
argument consistant à soutenir que les Parties sont convenues dans le mémorandum d’accord de
ne délimiter leur frontière par voie de négociation qu’une fois achevé l’examen par la Commission
des limites de leurs demandes respectives –– Cour ayant déjà conclu que le mémorandum

n’établissait pas un tel accord –– Rejet du postulat sous-tendant l’exception –– Second argument
consistant à plaider que le retrait par la Somalie de son consentement à l’examen de la
Commission des limites emportait violation du mémorandum d’accord –– Invocation de la doctrine
des «mains propres» –– Conclusion de la Cour selon laquelle la violation d’un traité en cause dans
une affaire n’affecte pas en soi la recevabilité d’une requête –– Nul besoin de répondre d’une

manière générale à la question de savoir si le comportement d’un demandeur pourrait rendre la
requête de ce dernier irrecevable –– Rejet de l’exception préliminaire d’irrecevabilité soulevée par
le Kenya.

ARRÊT

Présents : M. BRAHAM , président ; M. YUSUF , vice-président MM. O WADA , TOMKA ,
BENNOUNA , CANÇADO TRINDADE , GREENWOOD , M MES XUE , DONOGHUE , M. GAJA,
M ME SEBUTINDE , MM. B HANDARI , ROBINSON , C RAWFORD , GEVORGIAN , juges ;
M. GUILLAUME , juge ad hoc ; MOUVREUR , greffier.

En l’affaire relative à la délimitation maritime dans l’océan Indien,

entre

la République fédérale de Somalie, - 4 -

représentée par

S. Exc. M. Abdusalam Hadliyeh Omer, ministre des affaires étrangères de la République
fédérale de Somalie,

comme agent ;

S. Exc. M. Ali Said Faqi, ambassadeur de la République fédérale de Somalie auprès du
Royaume de Belgique,

comme coagent ;

Mme Mona Al-Sharmani, avocate, conseillère juridique principale auprès du président de la
République fédérale de Somalie,

comme agent adjoint ;

M. Paul S. Reichler, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de la Cour
suprême des Etats-Unis d’Amérique et du district de Columbia,

M. Alain Pellet, professeur émérite à l’Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
ancien membre et ancien président de la Commission du droit international, membre de
l’Institut de droit international,

M. Philippe Sands, Q.C., professeur de droit international à l’University College de Londres,
avocat, Matrix Chambers (Londres),

comme conseils et avocats ;

M. Lawrence H. Martin, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux de la
Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique, du district de Columbia et du Commonwealth
du Massachusetts,

Mme Alina Miron, professeur de droit international à l’Université d’Angers,

M. Edward Craven, avocat, Matrix Chambers (Londres),

M. Nicholas M. Renzler, avocat au cabinet Foley Hoag LLP, membre des barreaux du
district de Columbia et de l’Etat de New York,

comme conseils ;

Mme Lea Main-Klingst, Matrix Chambers (Londres),

comme conseil auxiliaire ;

M. Mohamed Omar, conseiller principal auprès du président de la République fédérale de
Somalie,

M. Ahmed Ali Dahir, Attorney-General de la République fédérale de Somalie, - 5 -

S. Exc. M. l’ambassadeur Yusuf Garaad Omar, représentant permanent de la République
fédérale de Somalie auprès de l’Organisation des Nations Unies (New York),

L’Amiral Farah Ahmed Omar, ancien amiral de la marine somalienne et président de
l’institut de recherche sur les affaires maritimes de Mogadiscio,

M. Daud Awes, porte-parole du président de la République fédérale de Somalie,

M. Abubakar Mohamed Abubakar, directeur des affaires maritimes au ministère des affaires
étrangères,

comme conseillers ;

Mme Kathryn Kalinowski, Foley Hoag LLP (Washington),

Mme Nancy Lopez, Foley Hoag LLP (Washington),

comme assistantes,

et

la République du Kenya,

représentée par

M. Githu Muigai, professeur, E.G.H., S.C., Attorney-General de la République du Kenya,

comme agent ;

S. Exc. Mme Rose Makena Muchiri, ambassadeur de la République du Kenya auprès du
Royaume des Pays-Bas,

comme coagent ;

M. Vaughan Lowe, Q.C., membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, professeur
émérite de droit international à l’Université d’Oxford, membre de l’Institut de droit

international,

M. Payam Akhavan, LL.M., S.J.D (Harvard), professeur de droit international à
l’Université McGill, membre du barreau de l’Etat de New York et du barreau du
Haut-Canada, membre de la Cour permanente d’arbitrage,

M. Mathias Forteau, professeur à l’Université de Paris Ouest, Nanterre-La Défense, ancien
membre de la Commission du droit international,

M. Alan Boyle, professeur de droit international à l’Université d’Edimbourg, membre du
barreau d’Angleterre et du pays de Galles,

M. Karim A. A. Khan, Q.C., membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,

comme conseils et avocats ; - 6 -

Mme Amy Sander, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,

Mme Philippa Webb, maître de conférences en droit international public au King’s College
(Londres), membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles et du barreau de
New York,

M. Eirik Bjorge, assistant de recherche en droit à l’Université d’Oxford,

comme conseils ;

M. Amos Wako, sénateur, président de la commission permanente du Sénat chargée des
affaires juridiques et des droits de l’homme,

M. Samuel Chepkonga, président de la commission parlementaire de la justice et des affaires
juridiques,

Mme Juster Nkoroi, E.B.S., chef du service des frontières internationales du Kenya,

M. Michael Guchayo Gikuhi, directeur au service des frontières internationales du Kenya,

Mme Njeri Wachira, chef de la division du droit international, bureau de l’Attorney-General
et ministère de la justice,

Mme Stella Munyi, directrice de la division juridique, ministère des affaires étrangères,

Mme Stella Orina, directrice ajointe, ministère des affaires étrangères,

M. Rotiken Kaitikei, diplomate, ministère des affaires étrangères,

Mme Pauline Mcharo, Senior Principal State Counsel, bureau de l’Attorney-General et
ministère de la justice,

Mme Wanjiku Wakogi, conseillère en gouvernance, bureau de l’Attorney-General et
ministère de la justice,

M. Samuel Kaumba, State Counsel, bureau de l’Attorney-General et ministère de la justice,

M. Hudson Andambi, ministère de l’énergie,

comme conseillers,

LA C OUR ,

ainsi composée,

après délibéré en chambre du conseil,

rend l’arrêt suivant : - 7 -

1. Le 28 août 2014, le Gouvernement de la République fédérale de Somalie (dénommée

ci-après la «Somalie») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la
République du Kenya (dénommée ci-après le «Kenya») au sujet d’un différend portant sur
«l’établissement de la frontière maritime unique séparant la Somalie et le Kenya dans l’océan
Indien et délimitant la mer territoriale, la zone économique exclusive … et le plateau continental, y
compris la partie de celui-ci qui s’étend au-delà de la limite des 200 milles marins».

Dans sa requête, la Somalie entend fonder la compétence de la Cour sur les déclarations
faites par elle-même le 11 avril 1963 et par le Kenya le 19 avril 1965 en vertu du paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut de la Cour.

2. Conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut, le greffier a immédiatement
communiqué la requête au Gouvernement du Kenya ; en application du paragraphe 3 du même
article, tous les autres Etats admis à ester devant la Cour ont été informés du dépôt de la requête.

3. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité kényane, le Kenya s’est
prévalu du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de procéder à la
désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; il a désigné M. Gilbert Guillaume.

4. Par ordonnance du 16 octobre 2014, le président a fixé au 13 juillet 2015 et au
27 mai 2016, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt d’un mémoire par la
Somalie et d’un contre-mémoire par le Kenya. La Somalie a déposé son mémoire dans le délai
ainsi prescrit.

5. Le 7 octobre 2015, dans le délai fixé au paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement, le
Kenya a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et à la recevabilité de la

requête. En conséquence, par ordonnance du 9 octobre 2015, la Cour, constatant que la procédure
sur le fond était suspendue en application du paragraphe 5 de l’article 79 du Règlement, et compte
tenu de l’instruction de procédure V, a fixé au 5 février 2016 la date d’expiration du délai dans
lequel la Somalie pourrait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur
les exceptions préliminaires soulevées par le Kenya. La Somalie a déposé son exposé dans le délai
ainsi prescrit, et l’affaire s’est alors trouvée en état pour ce qui est des exceptions préliminaires.

6. Sur les instructions données par la Cour en vertu de l’article 43 de son Règlement, le
greffier a adressé aux Etats parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer la

notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. Il a en outre adressé à
l’Union européenne, qui est aussi partie à ladite convention, la notification prévue au paragraphe 2
de l’article 43 du Règlement, tel qu’adopté le 29 septembre 2005, en demandant à cette
organisation de lui faire savoir si elle entendait présenter des observations en vertu de la disposition
précitée. En réponse, le directeur général du service juridique de la Commission européenne a
indiqué que la Commission, qui représente l’Union européenne, n’avait pas l’intention de présenter
des observations en l’espèce. - 8 -

7. Par une communication en date du 21 janvier 2016, le Gouvernement de la République de
Colombie, se référant au paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement, a demandé à recevoir des

exemplaires des pièces de procédure et documents annexés produits en l’espèce. S’étant
renseignée auprès des Parties conformément à la disposition susvisée, la Cour a décidé, compte
tenu de l’objection élevée par l’une des Parties, qu’il n’était pas approprié d’accéder à cette
demande. Par une lettre en date du 17 mars 2016, le greffier a dûment communiqué cette décision
au Gouvernement colombien et aux Parties.

8. Conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, la Cour, après s’être
renseignée auprès des Parties, a décidé que des exemplaires des pièces de procédure et documents
annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale.

9. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par le Kenya ont été
tenues du lundi 19 au vendredi 23 septembre 2016, au cours desquelles ont été entendus en leurs
plaidoiries :

Pour le Kenya : M. Githu Muigai,
M. Payam Akhavan,
M. Karim A. A. Khan,
M. Mathias Forteau,
S. Exc. Mme Rose Makena Muchiri,

M. Alan Boyle,
M. Vaughan Lowe.

Pour la Somalie : Mme Mona Al-Sharmani,
M. Alain Pellet,
M. Paul S. Reichler,
M. Philippe Sands.

10. A l’audience, des questions ont été posées aux Parties par un membre de la Cour,

auxquelles il a été répondu par écrit dans le délai fixé par le président conformément au
paragraphe 4 de l’article 61 du Règlement. En application de l’article 72 du Règlement, chacune
des Parties a présenté des observations sur les réponses écrites fournies par la Partie adverse.

*

11. Dans la requête, les demandes ci-après ont été présentées par la Somalie :

«La Cour est priée de déterminer, sur la base du droit international, l’intégralité
du tracé de la frontière maritime unique départageant l’ensemble des espaces
maritimes relevant de la Somalie et du Kenya dans l’océan Indien, y compris sur le
plateau continental au-delà de 200 milles marins.

La Somalie demande en outre à la Cour de déterminer les coordonnées
géographiques précises de la frontière maritime unique dans l’océan Indien.» - 9 -

12. Au cours de la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci-après ont été présentées au
nom du Gouvernement de la Somalie dans le mémoire :

«Compte tenu des éléments de fait et de droit mentionnés dans le présent
mémoire, la Somalie prie respectueusement la Cour :

1. De déterminer, sur la base du droit international, l’intégralité du tracé de la

frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans l’océan Indien, y compris sur
le plateau continental au-delà de 200 milles marins.

2. D’établir que la frontière maritime entre la Somalie et le Kenya dans
l’océan Indien suit une ligne reliant les points dont les coordonnées géographiques
sont les suivantes :

o
Point n Latitude Longitude
1 1° 39' 44,07" S 41° 33' 34,57" E

(TFT)
2 1° 40' 05,92" S 41° 34' 05,26" E
3 1° 41' 11,45" S 41° 34' 06,12" E
4 1° 43' 09,34" S 41° 36' 33,52" E
5 1° 43' 53,72" S 41° 37' 48,21" E

6 1° 44' 09,28" S 41° 38' 13,26" E
7
(intersection de la limite des 1° 47' 54,60" S 41° 43' 36,04" E
12 [milles marins])
2° 19' 01,09" S 42° 28' 10,27" E
8
9 2° 30' 56,65" S 42° 46' 18,90" E
10

(intersection de la limite des 3° 34' 57,05" S 44° 18' 49,83" E
200 [milles marins])
11
(intersection de la limite des 5° 00' 25,71" S 46° 22' 33,36" E
350 [milles marins])

3. De dire et juger que, par son comportement dans la zone litigieuse, le Kenya a
violé ses obligations internationales concernant la souveraineté ainsi que les droits
et la juridiction souverains de la Somalie, et que, en vertu du droit international, il

est tenu de remédier à l’ensemble du préjudice subi par la Somalie, entre autres en
communiquant à celle-ci toutes les données sismiques recueillies dans les zones
dont la Cour aura jugé qu’elles relèvent de la souveraineté et/ou des droits et de la
juridiction souverains de la Somalie, et de réparer l’intégralité du préjudice subi
par celle-ci, sous forme du versement d’indemnités appropriées.

(Toutes les coordonnées géographiques ont été établies sur la base du système

géodésique WGS 84.)» - 10 -

13. Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement du Kenya dans les

exceptions préliminaires :

«Pour les raisons exposées ci-dessus, le Kenya prie respectueusement la Cour,
conformément au paragraphe 9 de l’article 79 du Règlement, de dire et juger que :

elle n’a pas compétence à l’égard des demandes présentées par la Somalie contre le
Kenya, qui sont en outre irrecevables et sont en conséquence rejetées.»

Les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de la Somalie dans
l’exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées
par le Kenya :

«Pour les raisons exposées ci-dessus, la Somalie prie respectueusement la
Cour :

1) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la République du Kenya ; et

2) de déclarer qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par la
République fédérale de Somalie.»

14. Lors de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont
été présentées par les Parties :

Au nom du Gouvernement du Kenya,

à l’audience du 21 septembre 2016 :

«La République du Kenya prie respectueusement la Cour de dire et juger que :

elle n’a pas compétence à l’égard des demandes présentées par la Somalie contre le
Kenya, qui sont en outre irrecevables et sont en conséquence rejetées.»

Au nom du Gouvernement de la Somalie,

à l’audience du 23 septembre 2016 :

«Sur la base des arguments formulés dans son exposé écrit du 5 février 2016,
ainsi qu’à l’audience, la Somalie prie respectueusement la Cour :

1. de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la République du Kenya ; et

2. de déclarer qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par la
République fédérale de Somalie.»

*

* * - 11 -

I. NTRODUCTION

15. La Somalie et le Kenya sont deux Etats d’Afrique de l’Est dont les côtes sont adjacentes.
Située dans la corne de l’Afrique, la Somalie partage une frontière avec le Kenya au sud-ouest,
l’Ethiopie à l’ouest et Djibouti au nord-ouest. Sa côte septentrionale donne sur le golfe d’Aden et
sa côte orientale, sur l’océan Indien. Le Kenya, quant à lui, partage une frontière terrestre avec la
Somalie au nord-est, l’Ethiopie au nord, le Soudan du Sud au nord-ouest, l’Ouganda à l’ouest et la
Tanzanie au sud. Son littoral donne sur l’océan Indien.

16. Le Kenya et la Somalie ont tous deux signé la convention des Nations Unies sur le droit
de la mer (dénommée ci-après la «CNUDM» ou la «convention») le 10 décembre 1982. Ils l’ont
ratifiée le 2 mars et le 24 juillet 1989, respectivement, et la convention est entrée en vigueur à leur
égard le 16 novembre 1994. Selon le paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, l’Etat partie qui
entend fixer la limite extérieure de son plateau continental au-delà de 200 milles marins doit
présenter des informations sur celle-ci à la Commission des limites du plateau continental
(dénommée ci-après la «Commission des limites» ou la «Commission»). La Commission a pour

fonction d’adresser aux Etats côtiers des recommandations sur des questions concernant la fixation
de la limite extérieure de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins (voir le
paragraphe 66 ci-dessous). Aux termes de l’article 4 de l’annexe II de la CNUDM, l’Etat partie
souhaitant fixer ladite limite doit soumettre à la Commission les informations requises «dès que
possible et, en tout état de cause, dans un délai de dix ans à compter de l’entrée en vigueur de la
Convention» à son endroit.

En mai 2001, compte tenu des difficultés rencontrées par certains Etats en développement

pour se conformer aux exigences de l’article 4 de l’annexe II de la CNUDM, il a été décidé à la
onzième réunion des Etats parties à la convention que, pour les Etats à l’égard desquels celle-ci
était entrée en vigueur avant le 13 mai 1999, le délai décennal (visé à l’article 4 de l’annexe II)
serait réputé avoir commencé à courir le 13 mai 1999 (voir doc. SPLOS/72). En conséquence, le
délai de dix ans dans lequel ces Etats pouvaient adresser leurs demandes respectives à la
Commission des limites devait venir à expiration le 13 mai 2009. Le Kenya et la Somalie étaient
au nombre des Etats soumis à ce délai. En juin 2008, à leur dix-huitième réunion, les Etats parties

à la CNUDM ont décidé qu’il pourrait être satisfait au délai décennal en soumettant au Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies des informations préliminaires indicatives sur la limite
extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins (voir doc. SPLOS/183).

Dans le cas d’espaces maritimes faisant l’objet d’un différend, l’annexe I du règlement
intérieur de la Commission des limites, intitulée «Demandes relatives à des différends entre Etats
dont les côtes sont adjacentes ou se font face, ou relatives à d’autres différends maritimes ou

terrestres non résolus», précise que la Commission ne peut examiner des demandes touchant de tels
espaces sans l’accord préalable de tous les Etats concernés (voir les paragraphes 68 et 69 ci-après).
En particulier, l’alinéa a) de l’article 5 de cette annexe se lit comme suit :

«Dans le cas où il existe un différend terrestre ou maritime, la Commission
n’examine pas la demande présentée par un Etat partie à ce différend et ne se prononce
pas sur cette demande. Toutefois, avec l’accord préalable de tous les Etats parties à ce
différend, la Commission peut examiner une ou plusieurs demandes concernant des

régions visées par le différend.» - 12 -

17. Le 7 avril 2009, le ministre kényan des affaires étrangères et le ministre somalien de la

planification nationale et de la coopération internationale ont signé un «Mémorandum d’accord
entre le Gouvernement de la République du Kenya et le Gouvernement fédéral de transition de la
République somalienne, par lequel chacun s’engage[ait] à ne pas objecter aux communications de
l’autre à la Commission des limites du plateau continental sur les limites extérieures du plateau
continental au-delà de 200 milles marins» (dénommé ci-après le «mémorandum d’accord» ou le
«mémorandum») ; le texte de ce mémorandum est reproduit au paragraphe 37 ci-dessous. Le
14 avril 2009, la Somalie a communiqué au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies

des informations préliminaires indicatives sur la limite extérieure du plateau continental au-delà de
200 milles marins, en y joignant copie du mémorandum. Le 6 mai 2009, le Kenya a déposé auprès
de la Commission sa demande concernant la limite du plateau continental au-delà de 200 milles
marins. Le 3 septembre 2009, à la vingt-quatrième session de la Commission, il en a fait une
présentation orale.

18. Le mémorandum d’accord a été enregistré par le Secrétariat de l’Organisation des

Nations Unies le 11 juin 2009, à la demande du Kenya. Le 19 août 2009, dans une lettre adressée
au Secrétaire général de l’Organisation, le premier ministre somalien s’est référé au mémorandum
d’accord et a réaffirmé le consentement de la Somalie à ce que la Commission des limites examine
la communication kényane. Toutefois, ainsi qu’il sera exposé plus en détail ci-après (voir le
paragraphe 38), le représentant permanent de la Somalie auprès de l’Organisation des
Nations Unies a, par une lettre en date du 2 mars 2010, fait suivre une lettre du premier ministre
somalien datée du 10 octobre 2009 informant le Secrétaire général de l’Organisation que le

mémorandum avait été rejeté par le Parlement fédéral de transition de la Somalie, et demandant que
cet instrument soit considéré «comme non opposable».

19. Le 4 février 2014, le ministre somalien des affaires étrangères et de la coopération
internationale a adressé deux lettres au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Dans la première, la Somalie objectait à l’enregistrement au Secrétariat de l’Organisation, qui avait
eu lieu près de cinq ans plus tôt, de ce qu’elle désignait comme le «prétendu mémorandum

d’accord». Dans la seconde, la Somalie objectait à l’examen, par la Commission des limites, de la
demande du Kenya, au motif qu’il existait entre eux un différend relatif à la frontière maritime et
que le mémorandum était «nul et non avenu».

20. Compte tenu de l’objection de la Somalie, la Commission des limites a déclaré à sa
trente-quatrième session (tenue du 27 janvier au 14 mars 2014) qu’elle «n’était pas encore en
mesure de créer [une] sous-commission» chargée d’examiner la demande kényane.

21. Les Parties se sont ensuite engagées dans des négociations à propos de diverses questions
de délimitation maritime. Leurs ministres des affaires étrangères se sont rencontrés le
21 mars 2014 et sont convenus à cette occasion qu’une réunion technique se tiendrait entre les
fonctionnaires compétents. Une première réunion bilatérale s’est ainsi tenue à Nairobi les 26 et
27 mars 2014, puis une deuxième les 28 et 29 juillet 2014, à laquelle ont participé les ministres des
affaires étrangères des deux Etats. Les Parties sont convenues de se retrouver les 25 et

26 août 2014 pour une troisième réunion, mais celle-ci n’a jamais eu lieu. - 13 -

22. Compte tenu d’un changement partiel dans la composition de la Commission des limites

depuis la vingt-quatrième session tenue en 2009 (lors de laquelle le Kenya avait fait la première
présentation orale de sa demande), le Gouvernement kényan a, par une note verbale en date du
7 juillet 2014, demandé à la Commission de lui permettre de faire une nouvelle présentation orale.
Celle-ci a eu lieu le 3 septembre 2014, à la trente-cinquième session de la Commission. Prenant
note de cette présentation, la Commission a renouvelé sa décision, prise à sa trente-quatrième
session (voir le paragraphe 20 ci-dessus), de reporter son examen de la demande kényane.

23. Le 21 juillet 2014, la Somalie a déposé auprès de la Commission des limites sa demande
concernant la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins.

24. Le 28 août 2014, la Somalie a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive
d’instance contre le Kenya.

25. Par une note verbale en date du 24 octobre 2014 adressée au Secrétaire général de

l’Organisation des Nations Unies, le Kenya, se référant aux communications de la Somalie du
4 février 2014 (voir le paragraphe 19 ci-dessus), a protesté contre «les actes de la République
fédérale de Somalie» visant à empêcher la Commission des limites d’examiner sa demande. Par
une autre note verbale adressée au Secrétaire général en date du 4 mai 2015, il a, à son tour,
«ém[is] une objection à ce que la Commission examine la demande de la Somalie». Toutefois,
dans une note verbale au Secrétaire général en date du 30 juin 2015, il a levé son objection à
l’examen de la demande somalienne par la Commission.

26. Le 7 juillet 2015, la Somalie a adressé au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies une lettre dans laquelle elle levait son objection à l’examen de la demande kényane
par la Commission des limites. Le 16 juillet 2015, elle a communiqué à la Commission une
version modifiée du résumé de sa demande, en lieu et place de la version antérieure qu’elle avait
soumise le 21 juillet 2014.

27. A la trente-neuvième session de la Commission des limites, qui s’est tenue à New York
d’octobre à décembre 2015, une sous-commission s’est réunie pour débuter ses travaux sur la
demande du Kenya. Elle en a entrepris l’examen scientifique et technique en février et en
mars 2016. Elle a poursuivi son examen de la demande aux mois de juillet et d’août, puis
d’octobre et de novembre 2016, et compte le reprendre lors de sa quarante-troisième session en
février 2017.

Pour ce qui est de sa demande, la Somalie en a fait une présentation le 22 juillet 2016 lors de
la quarante et unième session de la Commission, qui a décidé de reporter son examen jusqu’au
moment où son tour viendrait, les demandes étant examinées dans l’ordre où elles ont été reçues.

* - 14 -

28. La Somalie invoque, comme base de compétence en la présente espèce, les déclarations

faites par le Kenya et elle-même en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour. Elle
a déposé sa déclaration auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le
11 avril 1963, et le Kenya a fait de même le 19 avril 1965. Selon elle, «[a]ucune condition ou
réserve visant l’une ou l’autre de ces déclarations ne s’applique».

29. Le Kenya a toutefois soulevé, en application de l’article 79 du Règlement, deux

exceptions préliminaires, dont l’une a trait à la compétence de la Cour et l’autre à la recevabilité de
la requête.

30. La Cour se penchera tout d’abord sur l’exception d’incompétence soulevée par le Kenya.

II.P REMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE :

LA COMPÉTENCE DE LA C OUR

31. Dans sa première exception préliminaire, le Kenya affirme que l’une des réserves à sa
déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour trouve à s’appliquer en l’espèce.
Le passage pertinent de sa déclaration se lit comme suit :

«[L]a République du Kenya ..., conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du

Statut de la Cour internationale de Justice, … accepte sous condition de réciprocité
 et ce jusqu’à ce qu’il soit donné notification de l’abrogation de cette acceptation 
comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, la juridiction de la Cour
sur tous les différends nés après le 12 décembre 1963 concernant des situations ou des
faits postérieurs à cette date, autres que :

1. Les différends au sujet desquels les parties en cause auraient convenu ou

conviendraient d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement...»
(Recueil des traités des Nations Unies (RTNU), vol. 531, p. 115.)

32. Le Kenya soutient que sa réserve s’applique pour deux raisons. Premièrement, il affirme
que, dans le mémorandum d’accord (voir le paragraphe 17 ci-dessus), les Parties sont convenues de
régler leur différend relatif à leur frontière maritime autrement qu’en estant devant la Cour, à savoir

par la voie d’un accord devant être conclu entre elles après que la Commission des limites
leur aura adressé ses recommandations sur le tracé de la limite extérieure du plateau continental
au-delà de 200 milles marins.

33. Deuxièmement, le Kenya fait valoir que la partie XV de la CNUDM prescrit des modes
de règlement des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de cette convention, à

laquelle les deux Etats sont parties. Il soutient que, aucune d’elles n’ayant fait une déclaration à
l’effet de choisir l’un ou plusieurs des modes de règlement visés au paragraphe 1 de l’article 287 de
la CNUDM, les Parties sont, selon le paragraphe 3 de cet article, réputées avoir accepté de recourir
à la procédure d’arbitrage prévue à l’annexe VII de la convention pour régler de tels différends. Le
Kenya considère que les dispositions pertinentes de la CNUDM sur le règlement des différends
constituent de ce fait un accord à l’effet «d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de

règlement» au sens de sa réserve, qui trouve donc à s’appliquer dans la présente espèce. - 15 -

34. Pour sa part, la Somalie soutient que le mémorandum d’accord ne prescrit pas de mode

de règlement du différend existant entre les Parties en matière de délimitation, et donc que la
réserve du Kenya ne trouve pas à s’appliquer dans la présente affaire. La Somalie conteste
également l’assertion du Kenya selon laquelle la partie XV de la CNUDM entrerait elle aussi dans
le champ de la réserve formulée par celui-ci. Elle estime que l’acceptation par les Parties de la
juridiction de la Cour — exprimée à travers leurs déclarations en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut — a, en application de l’article 282 de la CNUDM, priorité sur les procédures
visées dans la section 2 de la partie XV.

35. La Cour examinera tout d’abord le mémorandum d’accord et la question de savoir si cet
instrument entre dans le champ de la réserve du Kenya. Elle commencera par analyser le statut
juridique du mémorandum en droit international. Si elle conclut à la validité de cet instrument, elle
en entreprendra l’interprétation puis en précisera les effets éventuels sur sa compétence en l’espèce.
Si elle estime que le mémorandum ne rend pas applicable, dans la présente affaire, la réserve à la
déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative contenue au paragraphe 2 de

l’article 36 de son Statut, la Cour traitera l’argument de cet Etat tendant à écarter en l’espèce sa
compétence en raison des dispositions de la partie XV de la CNUDM.

A. Le mémorandum d’accord

1. Le statut juridique du mémorandum d’accord en droit international

36. Ainsi qu’il a été noté plus haut (voir le paragraphe 17), le 7 avril 2009, le ministre des

affaires étrangères du Gouvernement kényan et le ministre de la planification nationale et de la
coopération internationale du Gouvernement fédéral de transition de la Somalie ont signé un
«Mémorandum d’accord entre le Gouvernement de la République du Kenya et le Gouvernement
fédéral de transition de la République somalienne, par lequel chacun s’engage[ait] à ne pas objecter
aux communications de l’autre à la Commission des limites du plateau continental sur les limites
extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins». En juin 2009, le Kenya a soumis
le mémorandum d’accord au Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies pour enregistrement

et publication en application de l’article 102 de la Charte des Nations Unies. Le Secrétariat a
enregistré ce mémorandum le 11 juin 2009 et l’a publié dans le Recueil des traités des
Nations Unies (RTNU, vol. 2599, p. 35).

37. Le mémorandum d’accord se compose de sept paragraphes non numérotés. Afin de
faciliter leur identification, la Cour estime opportun de désigner chacun d’entre eux par un numéro
dans le cadre de son analyse. Elle juge également utile de reproduire l’intégralité de cet instrument.

Celui-ci se lit comme suit :

«Mémorandum d’accord entre le Gouvernement de la République du Kenya et
le Gouvernement fédéral de transition de la République somalienne, par lequel chacun
s’engage à ne pas objecter aux communications de l’autre à la Commission des limites
du plateau continental sur les limites extérieures du plateau continental au-delà de
200 milles marins

[1] Le Gouvernement de la République du Kenya et le Gouvernement fédéral de
transition de la République somalienne, dans un esprit de coopération et d’entente
mutuelle, sont convenus de conclure le présent Mémorandum d’accord : - 16 -

[2] La délimitation du plateau continental entre la République du Kenya et la
République somalienne (ci-après dénommées collectivement «les deux Etats côtiers»)

n’a pas encore été fixée. Cette question non encore résolue de délimitation entre les
deux Etats côtiers doit être considérée comme un différend maritime. Les
revendications des deux Etats côtiers couvrent une zone de chevauchement du plateau
continental qui constitue la «zone en litige».

[3] Les deux Etats côtiers sont conscients que l’établissement des limites
extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins est sans préjudice de la

question de la délimitation du plateau continental entre des Etats ayant des littoraux
adjacents ou qui se font face. Bien que les deux Etats côtiers aient des intérêts
divergents en ce qui concerne la délimitation du plateau continental dans la zone en
litige, ils ont un sérieux intérêt commun à établir les limites extérieures du plateau
continental au-delà de 200 milles marins, sans préjudice de la future délimitation du
plateau continental entre les deux Etats. Sur cette base, les deux Etats côtiers sont
déterminés à travailler ensemble à la sauvegarde et à la promotion de leur intérêt

commun en ce qui concerne l’établissement des limites extérieures du plateau
continental au-delà de 200 milles marins.

[4] Avant le 13 mai 2009, le Gouvernement fédéral de transition de la
République somalienne entend soumettre au Secrétaire général des Nations Unies des
informations préliminaires indiquant les limites extérieures du plateau continental
au-delà de 200 milles marins. Cette communication pourrait comprendre la zone en
litige. Celle-ci aura uniquement pour but de se conformer à la période mentionnée à

l’article 4 de l’annexe II de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Elle n’influera pas sur les positions des deux Etats côtiers en ce qui concerne le
différend qui les oppose et sera sans préjudice de la future délimitation des frontières
maritimes dans la zone en litige, y compris la délimitation du plateau continental
au-delà de 200 milles marins. Sur la base de cet accord, la République du Kenya ne
voit aucune objection à faire figurer les zones en litige dans la communication par la
République somalienne des informations préliminaires indiquant les limites

extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins.

[5] Les deux Etats côtiers conviennent que, à un moment approprié, dans le cas
de la République du Kenya avant le 13 mai 2009, chacun d’eux soumettra séparément
une communication à la Commission des limites du plateau continental (ci-après
dénommée «la Commission»), qui peut comprendre la zone en litige, demandant à la
Commission de formuler des recommandations à l’égard des limites extérieures du

plateau continental au-delà de 200 milles marins, sans tenir compte des frontières
maritimes qui les séparent. Les deux Etats côtiers donnent par la présente leur
consentement préalable à l’examen par la Commission de ces communications portant
sur la zone en litige. Les communications formulées devant la Commission et les
recommandations approuvées par cette dernière à cet égard n’influenceront pas la
position adoptée par les deux Etats côtiers concernant le différend maritime qui les
oppose et seront sans préjudice de la future délimitation des frontières maritimes dans

la zone en litige, y compris la délimitation du plateau continental au-delà de
200 milles marins. - 17 -

[6] La délimitation des frontières maritimes dans les zones en litige, y compris

la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, fera l’objet d’un
accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international après que la
Commission aura achevé l’examen des communications séparées effectuées par
chacun des deux Etats côtiers et formulé ses recommandations aux deux Etats côtiers
concernant l’établissement des limites extérieures du plateau continental au-delà de
200 milles marins.

[7] Le présent Mémorandum d’accord entrera en vigueur à sa signature.

EN FOI DE QUOI, les soussignés, dûment autorisés par leurs Gouvernements
respectifs, ont signé le présent Mémorandum d’accord.

FAIT à Nairobi le 7 avril deux mille neuf en deux exemplaires en langue
anglaise, les deux textes faisant également foi.»

38. Dans les mois qui ont suivi sa signature, le mémorandum d’accord a suscité une certaine
controverse en Somalie. Après avoir débattu à son sujet, le Parlement fédéral de transition de la
Somalie l’a rejeté le 1 août 2009. Dans une lettre datée du 10 octobre 2009 adressée au Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies, qui n’a toutefois été transmise à celui-ci que sous le
couvert d’une lettre du représentant permanent de la Somalie auprès de l’Organisation datée du

2 mars 2010, le premier ministre du Gouvernement fédéral de transition a informé le
Secrétaire général de ce rejet, et a demandé «aux services compétents de l’Organisation ... de
prendre note de cette situation et de considérer le mémorandum d’accord comme non opposable».
Plusieurs années plus tard, dans une lettre en date du 4 février 2014 adressée au Secrétaire général
de l’Organisation, le ministre somalien des affaires étrangères et de la coopération internationale a
déclaré qu’«aucun Mémorandum d’accord n’[était] en vigueur», en faisant valoir que le Parlement
somalien avait refusé de ratifier cet instrument. Dans cette lettre, le ministre se référait au droit

international coutumier reflété selon lui à l’article 7 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit
des traités (dénommée ci-après la «convention de Vienne»), disposition qui traite des circonstances
dans lesquelles une personne peut, par la production de «pleins pouvoirs» ou d’une autre manière,
conclure un traité au nom d’un Etat. Il affirmait que le ministre signataire du mémorandum
d’accord «n’a[vait] pas produit les documents appropriés établissant son pouvoir de représenter la
République de Somalie aux fins de convenir du texte du Mémorandum». Il ajoutait que la Somalie

n’avait pas coutume d’autoriser ledit ministre à «conclure des accords bilatéraux contraignants sur
la délimitation maritime [ou] la présentation de demandes à la Commission [des limites] et leur
examen par celle-ci», et que les représentants kényans avaient été informés au moment de la
signature de ce que «le Mémorandum devait être ratifié».

*

39. Dans la présente instance, la Somalie n’invoque pas expressément la nullité supposée du
mémorandum d’accord comme un motif de rejet de l’exception préliminaire soulevée par le Kenya.
Elle estime que la Cour n’a pas besoin «de se prononcer sur la validité juridique du mémorandum»
étant donné que, - 18 -

«[q]uand bien même il produirait des effets juridiques (quod non), il ne constituerait
pas pour autant un accord sur un mode de règlement du différend des Parties

concernant leur frontière maritime, et encore moins un accord qui soit de nature à
empêcher la Cour de régler ce différend sur la base des déclarations concordantes
faites par les Parties en vertu de la clause facultative».

Dans son exposé écrit sur les exceptions préliminaires du Kenya, la Somalie souligne néanmoins
que sa charte fédérale de transition, qui était applicable entre 2004 et 2012, «subordonnait ... le
pouvoir conféré au président de signer des accords internationaux contraignants à leur ratification

parlementaire ultérieure», et elle ajoute que cette ratification n’a pas eu lieu. Selon elle, bien que le
libellé du mémorandum d’accord n’«en exige pas expressément la ratification», l’«autorisation de
signer donnée [au ministre de la planification nationale et de la coopération internationale] ne
constituait pas et ne pouvait constituer, au regard du droit somalien, une dispense de l’obligation de
ratification».

*

40. Pour sa part, le Kenya soutient que le mémorandum d’accord est un traité international,
dûment enregistré conformément à l’article 102 de la Charte des Nations Unies, qui est
juridiquement contraignant pour les Parties. S’agissant des allégations somaliennes initiales
relatives à l’absence d’autorisation du ministre signataire du mémorandum, le Kenya répond que le
premier ministre somalien avait autorisé l’intéressé, notamment par écrit au moyen de «pleins
pouvoirs», à signer cet instrument, et relève qu’il est précisé dans celui-ci que les deux ministres

ont été «dûment autorisés par leurs gouvernements respectifs». Au sujet de la ratification, il
souligne que le mémorandum ne fait mention d’aucune exigence à cet égard et précise au contraire
«en des termes catégoriques» qu’il entre en vigueur «à sa signature». Le Kenya affirme en outre
que «[l]es échanges ayant conduit à l’adoption de cet instrument ne donnent pas … à penser que les
Parties aient jamais envisagé une obligation de ratification» et qu’aucun élément ne démontre que
ses représentants aient, à un quelconque moment, été informés d’une telle obligation. Il fait valoir
que la validité du mémorandum d’accord a été confirmée dans le dossier d’informations

préliminaires soumis en avril 2009 à la Commission des limites par la Somalie. Il ajoute qu’elle
n’était pas mise en doute dans la lettre adressée au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies par le premier ministre somalien le 19 août 2009, peu après le vote du Parlement de
la Somalie, mais n’a été contestée qu’à une date ultérieure. Le Kenya affirme que, même si la
conclusion du mémorandum n’était pas conforme au droit interne somalien, cet instrument n’en
serait pas moins valide en droit international.

*

41. Bien que la Somalie l’ait invitée à rejeter l’exception préliminaire du Kenya sans
s’interroger sur le statut du mémorandum d’accord en droit international, la Cour considère que,
pour apprécier si celui-ci a un quelconque effet sur sa compétence, il y a tout d’abord lieu pour elle
d’examiner la question de savoir si cet instrument constitue un traité en vigueur entre les Parties.

* - 19 -

42. Selon le droit international coutumier des traités, qui est applicable en l’espèce étant
donné que ni la Somalie ni le Kenya n’est partie à la convention de Vienne, un accord international

conclu par écrit entre Etats et régi par le droit international constitue un traité (voir Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 429, par. 263, renvoyant au paragraphe 1 de l’article 2
de la convention de Vienne). Le mémorandum est un document écrit, dans lequel la Somalie et le
Kenya ont consigné certains points d’accord régis par le droit international. Le fait qu’il renferme
une disposition gouvernant son entrée en vigueur est une indication de son caractère contraignant.
Le Kenya l’a regardé comme un traité puisqu’il en a demandé l’enregistrement conformément à

l’article 102 de la Charte des Nations Unies, enregistrement contre lequel la Somalie n’a protesté
que près de cinq ans plus tard (voir le paragraphe 19 ci-dessus).

43. La Somalie ne semble plus contester que le ministre ayant signé le mémorandum y était
autorisé en droit international. La Cour rappelle que, selon le droit international tel qu’il est codifié
à l’article 7 de la convention de Vienne, les chefs d’Etat, les chefs de gouvernement et les ministres
des affaires étrangères sont, en vertu de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins pouvoirs,

réputés représenter leur Etat pour tous les actes relatifs à la conclusion d’un traité. Ces
représentants de l’Etat, en vertu du droit international, peuvent également autoriser d’autres agents
à adopter, au nom de l’Etat, le texte d’un traité ou à exprimer le consentement de l’Etat à être lié
par un traité. La Cour constate que le premier ministre du Gouvernement fédéral de transition de la
Somalie a, le 6 avril 2009, signé des pleins pouvoirs «autoris[ant] et habilit[ant]» le ministre
somalien de la planification nationale et de la coopération internationale à apposer sa signature sur
le mémorandum d’accord. Il est précisé expressément dans celui-ci que les deux ministres

signataires du texte avaient été «dûment autorisés par leurs gouvernements respectifs» à ce faire.
La Cour considère en conséquence que, en droit international, le ministre somalien était un
représentant autorisé de la Somalie lorsqu’il a signé le mémorandum au nom de celle-ci.

44. Au surplus, le diplomate norvégien qui, ainsi qu’exposé plus en détail ci-après (voir les
paragraphes 100-104), avait été l’un des principaux artisans du mémorandum d’accord, avait
informé le Kenya, dans un courrier électronique envoyé avant la signature de cet instrument, que

«le président de la République somalienne a[vait] … approuvé [celle-ci]».

45. S’agissant des allégations de la Somalie relatives à l’existence d’une exigence de
ratification en droit somalien, la Cour rappelle que, en droit des traités, la signature et la ratification
constituent deux moyens reconnus, pour un Etat, de consentir à être lié par un traité. Comme la
Cour l’a fait observer par le passé,

«même si, dans la pratique internationale, les dispositions relatives aux modalités
d’entrée en vigueur d’un traité prévoient souvent une procédure en deux étapes
consistant à signer puis à ratifier l’instrument, il est également des cas dans lesquels
un traité entre en vigueur dès sa signature. Le droit international coutumier aussi bien
que la convention de Vienne sur le droit des traités laissent les Etats entièrement libres
d’adopter la procédure de leur choix» (Frontière terrestre et maritime entre le
Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)),

arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 429, par. 264). - 20 -

La Cour relève que le mémorandum d’accord prévoit en son dernier paragraphe son «entr[ée] en
vigueur à sa signature» sans requérir de ratification. Selon le droit international coutumier, tel

qu’il est codifié à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 12 de la convention de Vienne, le
consentement d’un Etat à être lié s’exprime par la signature lorsque le traité prévoit qu’il en sera
ainsi.

46. Dans sa lettre du 4 février 2014 au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, le ministre des affaires étrangères de la Somalie a déclaré que les représentants
kényans présents au moment de la signature du mémorandum d’accord avaient été informés

verbalement par le ministre somalien signataire que cet instrument devrait être ratifié par le
Parlement fédéral de transition de la Somalie. Le Kenya nie qu’une telle communication ait été
faite, et aucun élément de preuve ne vient étayer l’assertion de la Somalie. De fait, pareille
déclaration du ministre signataire serait allée à l’encontre de la disposition expresse du
mémorandum prévoyant l’entrée en vigueur de ce dernier à sa signature. La Cour note également
que la lettre, datée du 6 avril 2009, par laquelle le premier ministre du Gouvernement fédéral de
transition de la Somalie a conféré les pleins pouvoirs au ministre de la planification nationale et de

la coopération internationale pour l’«autorise[r] et [l’]habilite[r]» à signer le mémorandum
d’accord ne contient aucune indication donnant à penser que la Somalie ait eu l’intention de signer
cet instrument sous réserve de ratification.

47. Compte tenu de la disposition du mémorandum d’accord prévoyant expressément
l’entrée en vigueur de celui-ci à sa signature, ainsi que du libellé de l’autorisation donnée au
ministre somalien, la Cour conclut que cette signature exprimait le consentement de la Somalie à

être liée par cet instrument en droit international.

48. Indépendamment de la possibilité, en droit international, de conclure un traité dont la
signature entraîne l’entrée en vigueur, la Somalie a fait valoir que son droit interne requérait la
ratification du mémorandum d’accord. La Cour a examiné une question similaire en l’affaire de la
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée
équatoriale (intervenant)). Dans son arrêt au fond, la Cour a examiné un argument par lequel le

Nigéria soutenait qu’une déclaration, signée par son chef d’Etat et par celui du Cameroun, n’était
pas valide faute d’avoir été ratifiée conformément aux exigences de son droit interne
(C.I.J. Recueil 2002, p. 427-428, par. 258). Ayant conclu que l’accord concerné était entré en
vigueur à sa signature en droit international (ibid., p. 430, par. 264), la Cour s’était ensuite penchée
sur l’article 46 de la convention de Vienne, aux termes duquel :

«1. Le fait que le consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en

violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour
conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son consentement,
à moins que cette violation n’ait été manifeste et ne concerne une règle de son droit
interne d’importance fondamentale.

2. Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout Etat
se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi.» - 21 -

La Cour a considéré que :

«[l]es règles relatives au pouvoir de signer des traités au nom d’un Etat sont des règles
constitutionnelles d’une importance fondamentale. Cependant, si la capacité d’un chef
d’Etat à cet égard est restreinte, cette restriction n’est manifeste au sens du
paragraphe 2 de l’article 46 que si, à tout le moins, elle a été rendue publique de
manière appropriée. Cela est d’autant plus nécessaire que les chefs d’Etat font partie
des personnes qui, aux termes du paragraphe 2 de l’article 7, sont considérées comme
représentant leur Etat «[e]n vertu de leurs fonctions et sans avoir à produire de pleins

pouvoirs».» (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 430, par. 265.)

49. En l’espèce, rien ne permet de supposer que le Kenya ait eu conscience de ce que la
signature du ministre risquait de ne pas être suffisante, en droit somalien, pour exprimer le
consentement de la Somalie à contracter un accord international contraignant. Ainsi qu’il a déjà été

noté, le premier ministre du Gouvernement fédéral de transition de la Somalie avait, par l’octroi de
pleins pouvoirs, «autoris[é] et habilit[é]» le ministre, en vertu du droit international, à signer le
mémorandum d’accord. Aucune réserve concernant la nécessité d’une ratification n’a été formulée
dans ces pleins pouvoirs, non plus que dans le mémorandum lui-même, qui prévoyait au contraire
son entrée en vigueur à sa signature. Ainsi que la Cour l’a fait observer par le passé, «un Etat n’est
pas juridiquement tenu de s’informer des mesures d’ordre législatif ou constitutionnel que prennent
d’autres Etats et qui sont, ou peuvent devenir, importantes pour les relations internationales de ces

derniers» (ibid., p. 430, par. 266). De surcroît, même après le rejet du mémorandum par le
Parlement somalien, le premier ministre somalien n’en a pas contesté la validité dans sa lettre du
19 août 2009 au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. A ce propos, la Cour
observe que, selon le droit international coutumier, tel qu’il est reflété dans l’article 45 de la
convention de Vienne, un Etat ne peut invoquer une cause de nullité d’un traité fondée, notamment,
sur des dispositions de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités si,
après avoir eu connaissance des faits, il doit, à raison de sa conduite, être considéré comme ayant

acquiescé à la validité du traité en question. Or, la Somalie n’a commencé à émettre des doutes à
cet égard que quelque temps plus tard, en mars 2010 (voir le paragraphe 38 ci-dessus). La Cour
note également que la Somalie n’a jamais informé directement le Kenya qu’il existait, à son sens,
un quelconque vice de son consentement à être liée par le mémorandum.

50. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que le mémorandum d’accord est un
traité valide qui est entré en vigueur à sa signature et lie les Parties en droit international.

2. L’interprétation du mémorandum d’accord

51. La Cour en vient à présent à l’interprétation du mémorandum d’accord, dont le texte est
reproduit ci-dessus (voir le paragraphe 37).

52. Le Kenya soutient que, au sixième paragraphe du mémorandum, aux termes duquel «[l]a

délimitation des frontières maritimes dans les zones en litige … fera l’objet d’un accord entre les
deux Etats côtiers … après que la Commission aura achevé l’examen des communications séparées
effectuées par chacun des deux Etats … et formulé ses recommandations», les Parties se sont - 22 -

entendues sur le mode de règlement auquel elles auraient recours s’agissant de leur différend relatif
à leur frontière maritime. Il affirme que le mode de règlement convenu consistait à négocier un

accord qui ne serait conclu qu’une fois reçues les recommandations de la Commission, la saisine de
la Cour étant dès lors exclue au titre de la réserve à sa déclaration en vertu de la clause facultative
(voir les paragraphes 31 et 32).

53. Selon le Kenya, l’objet et le but du mémorandum étaient de s’accorder sur une telle
méthode en vue de fixer de manière définitive la frontière maritime entre les Parties. Le Kenya
estime que le mémorandum prévoit une «méthode de règlement en deux temps», les Parties étant

convenues de s’abstenir d’élever des objections à l’égard de leurs demandes respectives à la
Commission des limites afin de permettre à celle-ci d’examiner leur dossier et de formuler ses
recommandations, puis, une fois cet examen achevé, de délimiter l’intégralité de leur frontière
maritime par voie d’accord. Il souligne qu’il était «logique» d’entreprendre le processus de
fixation de la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins avant celui de
délimitation de la frontière maritime entre les Parties étant donné que la délimitation suppose tout
d’abord de déterminer l’étendue en mer des prétentions de celles-ci ainsi que les espaces maritimes

pertinents. Le Kenya fait notamment valoir qu’il est d’autant plus important en l’espèce que
l’examen de la Commission précède la délimitation que

«la forme concave de la côte africaine donnant sur l’océan Indien produit, [à son]
détriment …, un effet d’amputation amplifié au-delà de la limite des 200 milles
marins[, et qu’i]l y a donc lieu de circonscrire avec précision l’ensemble de la zone
maritime à délimiter pour parvenir à une «solution équitable» conformément au droit

international.»

54. Le Kenya expose qu’il ressort de l’économie générale du mémorandum d’accord que
celui-ci avait vocation à porter à la fois sur la délinéation et sur la délimitation. Il fait valoir que,
dans cet instrument, les Parties ont tout d’abord reconnu l’existence entre elles d’un différend en
matière de délimitation maritime (par. 2) puis sont convenues, à la fin du mémorandum, de la
procédure à suivre pour régler ce différend (par. 6). Il met l’accent sur le fait que, dans les

paragraphes relatifs à la délinéation (par. 3, 4 et 5), les Parties ont fait référence à la «future
délimitation». Le Kenya soutient que tous les paragraphes du mémorandum sont donc solidaires
les uns des autres, et montrent clairement que délimitation et délinéation étaient liées, les Parties
ayant établi entre les deux procédures une articulation temporelle donnant priorité à la délinéation
par rapport à la délimitation. En conséquence, le Kenya affirme que, si le texte du mémorandum
prévoit que la délinéation est sans préjudice de la délimitation, la seconde opération devait en
revanche, sur le plan procédural, être subordonnée à la première. Ainsi, selon le Kenya, le texte du

mémorandum ainsi que son objet et son but «sont … cohérents de bout en bout» : les Parties
seraient convenues de ne pas empêcher la Commission des limites de formuler ses
recommandations, afin d’être ensuite en mesure d’effectuer la délimitation maritime sur la base de
celles-ci. En d’autres termes, pour le Kenya, l’objet et le but du mémorandum d’accord étaient
d’organiser à la fois les procédures de délinéation et de délimitation. Le Kenya fait également
valoir que, quels que soient l’objet et le but du mémorandum, le fait est que cet instrument contient
une disposition consacrée à la délimitation –– à savoir le sixième paragraphe —, à laquelle il doit

être donné effet, conformément au principe de l’effet utile. - 23 -

55. A propos dudit paragraphe, le Kenya semble reconnaître qu’il n’impose pas aux Parties

l’obligation de parvenir à un accord sur la délimitation dans les zones pertinentes ; le Kenya
affirme cependant que l’emploi de l’auxiliaire «shall» indique qu’il s’agit «d’un engagement
juridique, d’une obligation contraignante de négocier, pas simplement de bonne foi mais en vue de
conclure un accord». Il semble également reconnaître que, dans l’éventualité où les négociations se
solderaient par un échec, les Parties pourraient avoir recours à des procédures de règlement par
tierce partie au titre de la CNUDM ; toutefois, il estime que la voie des négociations n’a pas encore
été épuisée.

56. En outre, le Kenya affirme que le sixième paragraphe énonce une «condition temporelle»
imposant de ne conclure un accord qu’après réception des recommandations de la Commission des
limites. Il ne plaide pas que le mémorandum d’accord interdisait aux Parties de négocier avant que
la Commission ait formulé ses recommandations. Dans sa réponse à une question posée par un
membre de la Cour, il a d’ailleurs reconnu que le sixième paragraphe du mémorandum «n’interdit
évidemment pas aux Parties de conclure en attendant un ou plusieurs accords provisoires qui seront

ensuite finalisés une fois connues les recommandations de la Commission sur la limite extérieure
du plateau continental au-delà de 200 milles marins». De son point de vue, cependant, même si des
négociations antérieures à la réception des recommandations de la Commission «devaient conduire
à la conclusion d’un ou plusieurs accords provisoires sur la délimitation couvrant certaines ou la
totalité des zones maritimes en litige», pareilles négociations «auraient lieu sous réserve de la
procédure de finalisation convenue en vertu du mémorandum d’accord». Partant, le Kenya soutient
que, si les Parties sont autorisées par le mémorandum à négocier, et même à s’entendre sur certains

volets de la délimitation, elles doivent attendre les recommandations de la Commission avant de
mener à terme ces négociations.

57. S’agissant de la portée du sixième paragraphe du mémorandum d’accord, le Kenya
affirme que l’emploi au pluriel des expressions «frontières maritimes» et «zones en litige», ainsi
que celui de la locution «y compris», démontrent que le sixième paragraphe a vocation à
s’appliquer à l’ensemble des espaces maritimes. En tout état de cause, il estime que «[t]oute ligne

unique de délimitation est constituée … d’une somme de délimitations indivisibles et
interdépendantes … [et que, d]ans ces conditions, la délimitation maritime globale dépend de la
délimitation du plateau continental», de sorte que le mémorandum d’accord a une incidence sur
l’ensemble de la délimitation maritime.

*

58. La Somalie, quant à elle, affirme que le sixième paragraphe du mémorandum ne prescrit
pas un mode de règlement du différend frontalier opposant les Parties.

59. La Somalie soutient que l’objet et le but du mémorandum d’accord étaient de permettre à
la Commission des limites d’examiner les demandes des deux Etats, sans préjudice de leurs
revendications respectives en matière de délimitation. Elle relève que la Commission,
conformément à son règlement intérieur, ne formulera aucune recommandation sur la base d’un

dossier soumis par un Etat concernant la limite extérieure du plateau continental s’il existe, entre - 24 -

cet Etat et un autre, un différend non résolu. Cependant, la Commission peut examiner des
demandes incluant des zones en litige si l’autre Etat partie au différend y consent. La Somalie

avance que l’objet et le but du mémorandum étaient d’établir le consentement mutuel ainsi requis
et que, dans la mesure où il évoquait le différend relatif à la délimitation entre les Parties, cet
instrument ne faisait que confirmer que l’accord de non-objection n’aurait aucune incidence sur
leurs positions respectives et serait sans préjudice de celles-ci. La Somalie estime qu’il serait
«illogique» d’exclure que la délimitation du plateau continental en deçà de 200 milles marins
puisse intervenir avant que la délinéation au-delà de 200 milles marins ait eu lieu, la première
opération n’étant nullement tributaire de la seconde. De son point de vue, le sixième paragraphe du

mémorandum n’avait donc pas vocation à régler le différend relatif à la frontière maritime opposant
les Parties, ni à prescrire un moyen de le faire ; il s’agissait plutôt de soustraire ce différend aux
effets de l’entente de non-objection.

La Somalie estime que l’intitulé du mémorandum montre clairement quels étaient l’objet et
le but de celui-ci, en tant qu’accord de non-objection et que les paragraphes liminaires, en
particulier le troisième, reflètent également ce but, de même que les quatrième et cinquième

paragraphes, qui visent à permettre l’opération de délinéation. Elle souligne que, dans tous ces
paragraphes, et notamment par l’emploi de la mention «sans préjudice», la délinéation et la
délimitation sont traitées comme deux opérations distinctes, non conditionnées l’une par l’autre, si
ce n’est en ce qui concerne le point d’aboutissement de la frontière maritime au-delà de 200 milles
marins. Elle affirme que les références à la «future» délimitation visent simplement les démarches
postérieures à la date de signature.

60. La Somalie soutient que le libellé du sixième paragraphe «ne fait … rien d’autre que
rappeler l’obligation des Parties de tenter de parvenir à un accord sur la délimitation de leur
frontière maritime», et elle appelle l’attention sur les similitudes existant entre celui-ci et les
paragraphes 1 des articles 74 et 83 de la CNUDM. Comparant la forme passive qui y est employée
à la forme plus active utilisée dans le reste du texte, elle considère le sixième paragraphe comme
étant descriptif et non impératif, et relève que d’autres paragraphes, comme le quatrième,
contiennent des formulations revêtant de même un caractère descriptif. Aussi affirme-t-elle que,

«[l]oin de constituer un accord contraignant les Parties à établir leur frontière maritime
par voie de négociation, et uniquement par cette voie –– et encore, seulement après
que la Commission des limites aura formulé ses recommandations ––, [le sixième
paragraphe] constate simplement les obligations existantes des deux Etats au regard de
la [CNUDM]». (Les italiques sont dans l’original.)

En tout état de cause, la Somalie soutient que les Parties ont tenté et épuisé la voie des négociations

s’agissant de leur frontière maritime.

61. A propos de la condition temporelle présentée comme découlant du sixième paragraphe,
la Somalie invoque la pratique ultérieure des Parties, notamment le fait qu’elles ont entrepris des
négociations au sujet de leur frontière maritime avant de recevoir les recommandations de la
Commission des limites, et soutient qu’il ne peut être considéré que, dans le mémorandum, les
Parties sont «convenues de ne pas s’entendre» en ce sens qu’elles y auraient «prév[u] des

négociations sur le différend relatif à la frontière maritime, mais à la condition que celles-ci ne
débouchent sur aucun accord» (les italiques sont dans l’original). La Somalie considère que le - 25 -

sixième paragraphe du mémorandum d’accord signifie que «la délimitation complète des frontières
maritimes entre les deux Etats se fera par accord après que la [Commission] aura formulé ses

recommandations» (les italiques sont dans l’original). A cet égard, ajoute-t-elle, «le
[mémorandum] n’empêche nullement les Parties de négocier un accord … [, mais ] celui-ci ne peut
être finalisé («finalized», «completed») par la fixation d[u] point terminal [de la frontière] qu’une
fois acquises les recommandations de la Commission» (les italiques sont dans l’original). Selon
elle, cela ne signifie pas que les Parties ne peuvent pas s’accorder sur l’orientation de la ligne de
délimitation avant que la Commission se soit prononcée, ni que la Cour doive attendre les
recommandations de la Commission pour procéder à la délimitation.

62. Au sujet de la portée du sixième paragraphe, la Somalie soutient que le mémorandum,
«dans la définition qu’il donne de la zone maritime en litige, … ne fait mention que du plateau
continental» et ne contient aucune référence à la mer territoriale ou à la zone économique
exclusive. Elle considère qu’il concerne uniquement le plateau continental au-delà de 200 milles
marins et observe qu’il ne mentionne aucunement la frontière maritime en deçà de 200 milles
marins. Quant à l’emploi du pluriel au sixième paragraphe, la Somalie fait observer que le terme

«zone» est employé indifféremment au singulier et au pluriel dans le mémorandum, et affirme que
la locution «y compris» veut simplement dire que les deux Etats ne pourront déterminer le point
d’aboutissement de leur frontière commune qu’une fois reçues les recommandations de la
Commission des limites. La Somalie déclare que les travaux préparatoires du mémorandum
d’accord ainsi que les circonstances dans lesquelles il a été conclu confirment son interprétation, et
renvoie en particulier à certaines déclarations faites par le diplomate norvégien qui a contribué à la
rédaction du mémorandum d’accord, ainsi que par la Norvège elle-même.

* *

63. Pour interpréter le mémorandum d’accord, la Cour appliquera les règles énoncées en la
matière aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne, dont elle a invariablement considéré
qu’elles expriment le droit international coutumier (voir, par exemple, Question de la délimitation
du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte

nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016,
par. 33 ; Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica
c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 237, par. 47, renvoyant à l’affaire relative à
l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109-110, par. 160,
ainsi qu’à l’affaire du Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt,
C.I.J. Recueil 1994, p. 21-22, par. 41 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran

c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 812, par. 23).

64. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne, «[u]n traité doit
être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer [à ses] termes … dans leur contexte
et à la lumière de son objet et de son but». Ces éléments d’interprétation — à savoir le sens
ordinaire, le contexte, l’objet et le but — doivent être considérés comme un tout. Le paragraphe 2
de l’article 31 expose ce qui constitue le contexte. Le paragraphe 3 dudit article prévoit qu’il sera - 26 -

tenu compte, en même temps que du contexte, de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au
sujet de l’interprétation ou de l’application du traité, de toute pratique ultérieurement suivie par

laquelle un tel accord est établi, et de toute règle pertinente de droit international applicable dans
les relations entre les parties.

65. Le sixième paragraphe du mémorandum d’accord est au cœur de la première exception
préliminaire actuellement à l’examen. Il est toutefois difficile de comprendre ce paragraphe sans
une analyse préalable du texte du mémorandum pris dans son ensemble, qui constitue le contexte
dans lequel les différents paragraphes de cet instrument doivent être interprétés et renseigne sur

l’objet et le but de celui-ci. Aussi la Cour commencera-t-elle par cette analyse. Elle examinera
ensuite le sixième paragraphe.

66. Le mémorandum d’accord faisant référence au rôle de la Commission dans la fixation de
la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins, il convient de préciser tout
d’abord le cadre dans lequel celle-ci mène ses travaux. Il est rappelé que, aux termes du
paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM,

«[l]’Etat côtier communique des informations sur les limites de son plateau
continental, lorsque celui-ci s’étend au-delà de 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, à la Commission des
limites du plateau continental constituée en vertu de l’annexe II sur la base d’une
représentation géographique équitable. La Commission adresse aux Etats côtiers des
recommandations sur les questions concernant la fixation des limites extérieures de

leur plateau continental. Les limites fixées par un Etat côtier sur la base de ces
recommandations sont définitives et de caractère obligatoire.»

Par suite de cette disposition, les Etats parties à la CNUDM doivent, pour que la limite extérieure
de leur plateau continental au-delà de 200 milles marins soit «définitiv[e] et de caractère
obligatoire», avoir communiqué des informations à la Commission des limites, avoir reçu les
recommandations de celle-ci à cet égard et avoir fixé leur limite «sur cette base» (voir, d’une
manière générale, Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la

Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 107-108).

67. Ainsi que la Cour l’a récemment fait observer, «le rôle de la Commission concerne
exclusivement la délinéation des limites extérieures du plateau continental, et non la délimitation»
(ibid., par. 110). Il s’agit là de deux tâches distinctes (ibid., par. 112), et la délimitation du plateau

continental «peut s’effectuer indépendamment de la recommandation de la Commission» (ibid.,
par. 114). A cet égard, l’article 76 de la CNUDM précise en son paragraphe 10 qu’il «ne préjuge
pas de la question de la délimitation du plateau continental entre des Etats dont les côtes sont
adjacentes ou se font face». Toutefois, comme la Cour l’a souligné, «ces deux opérations p[euvent]
interférer l’une avec l’autre» et certaines dispositions ont donc été prévues dans le règlement
intérieur de la Commission afin de «garantir que [l]es actes [de celle-ci] ne préjugent pas des
questions de délimitation» (ibid., par. 113). - 27 -

68. A ce sujet, l’article 46 du règlement intérieur de la Commission des limites, qui s’intitule

«Demandes relatives à des différends entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face ou
relatives à d’autres différends maritimes ou terrestres non résolus», dispose ce qui suit en ses
paragraphes 1 et 2 :

«1. En cas de différends résultant de la délimitation du plateau continental entre
des Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face ou en cas d’autres différends
maritimes ou terrestres non résolus, des demandes peuvent être soumises ; elles sont
alors examinées conformément à l’annexe I du présent Règlement.

2. Les actes de la Commission sont accomplis sans préjudice des questions
relatives à la fixation des limites entre Etats.»

Selon l’article 5 de l’annexe I, à laquelle l’article 46 renvoie :

«5. a) Dans le cas où il existe un différend terrestre ou maritime, la Commission
n’examine pas la demande présentée par un Etat partie à ce différend et ne

se prononce pas sur cette demande. Toutefois, avec l’accord préalable de
tous les Etats parties à ce différend, la Commission peut examiner une ou
plusieurs demandes concernant des régions visées par le différend.

b) Les demandes présentées à la Commission et les recommandations que
celle-ci approuve sont sans préjudice de la position des Etats parties à un
différend maritime ou terrestre.»

69. La Commission des limites a donc adopté une pratique consistant, lorsqu’il existe un
différend en matière de délimitation maritime entre l’Etat lui ayant soumis une demande et un ou
plusieurs autres Etats, à ne pas examiner cette demande ni formuler de recommandations sans le
consentement de tous les Etats concernés. Un Etat ne pourra donc pas fixer la limite extérieure de
son plateau continental s’il a un différend avec un ou plusieurs autres Etats et si ces derniers n’ont
pas consenti à ce que la Commission examine sa demande.

*

70. La Cour en vient à présent au texte du mémorandum d’accord cité plus haut (voir le
paragraphe 37), qu’elle va examiner dans son ensemble. Cet instrument s’intitule
«Mémorandum … par lequel chacun [des deux Etats] s’engage à ne pas objecter aux
communications de l’autre à la Commission des limites du plateau continental sur les limites

extérieures du plateau continental au-delà de 200 milles marins». Comme la Cour l’a noté en de
précédentes occasions, le but d’un traité peut ressortir de son intitulé (Question de la délimitation
du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016,
par. 39 ; Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 24).
L’intitulé du mémorandum tend à indiquer que le but de celui-ci est de permettre à chacun des deux
Etats de soumettre à la Commission des limites une demande concernant la limite extérieure du

plateau continental sans que l’autre élève d’objection, de telle sorte que la Commission puisse
examiner ces demandes et formuler ses recommandations, conformément à l’annexe I de son
règlement intérieur. - 28 -

71. Le premier paragraphe du mémorandum d’accord fait état de «l’esprit de coopération et

d’entente mutuelle» animant les Parties, et le deuxième, de l’existence entre elles d’un «différend
maritime» relativement à la «délimitation du plateau continental». Le troisième indique que les
Parties sont conscientes de ce que l’établissement de la limite extérieure du plateau continental «est
sans préjudice de la question de la délimitation du[dit] plateau» et que, bien que l’une et l’autre
«aient des intérêts divergents en ce qui concerne la délimitation», elles ont un «sérieux intérêt
commun à établir l[a] limit[e] extérieur[e] du plateau continental».

72. Ces paragraphes liminaires ne renferment aucun engagement mais exposent les
circonstances et motifs qui ont présidé à la conclusion du mémorandum d’accord. Ils en
fournissent le contexte et constituent une indication de son but. Il ressort de leur libellé que les
deux Etats reconnaissent l’existence entre eux d’un «différend maritime» qui n’est pas «encore
résol[u]», mais souhaitent aller de l’avant en établissant la limite extérieure de leur plateau
continental sans préjudice de la délimitation, comme il est prévu au paragraphe 2 de l’article 46 du
règlement intérieur de la Commission et à l’alinéa b) de l’article 5 de son annexe I.

73. Le quatrième paragraphe du mémorandum d’accord indique que le Kenya «ne voit
aucune objection à faire figurer les zones en litige» dans les informations préliminaires
communiquées par la Somalie, étant entendu que celles-ci seront sans préjudice tant des positions
de chacun des deux Etats en ce qui concerne leur différend que de «la future délimitation». De la
même façon, le cinquième paragraphe prévoit que les deux Etats «donnent par la présente leur
consentement préalable» à l’examen par la Commission de leurs demandes respectives, même si

celles-ci incluent «la zone en litige», étant là encore entendu que cela sera sans préjudice de leurs
positions concernant leur différend et de «la future délimitation». Une fois de plus, compte tenu du
règlement intérieur de la Commission des limites, et en particulier de l’alinéa a) de l’article 5 de
son annexe I, il est manifeste que ces deux paragraphes visent, sans préjudice des positions des
Parties concernant leur différend ou de la future délimitation, à permettre à la Commission de
formuler ses recommandations. Les Parties pouvaient ainsi concrétiser leur «sérieux intérêt
commun», évoqué au troisième paragraphe, à établir la limite extérieure du plateau continental.

74. Enfin, le sixième paragraphe, sur lequel les Parties ont plus particulièrement axé leur
argumentation  le Kenya soutenant qu’il énonce le mode de règlement convenu en ce qui
concerne le différend relatif à la frontière maritime , prévoit que la délimitation dans les zones en
litige «fera l’objet d’un accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international après
que la Commission aura achevé l’examen des communications séparées effectuées par chacun des

deux Etats côtiers et formulé ses recommandations». Le sixième paragraphe est examiné plus en
détail ci-après (voir les paragraphes 79 à 96). Le septième, comme il a déjà été dit, dispose que le
mémorandum d’accord entrera en vigueur à sa signature.

75. L’intitulé du mémorandum et ses cinq premiers paragraphes indiquent l’objectif de faire
en sorte que la Commission des limites soit en mesure d’examiner les demandes soumises par la
Somalie et le Kenya concernant la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles

marins, et de formuler des recommandations à ce sujet, nonobstant l’existence d’un différend
maritime entre les deux Etats, préservant ainsi la distinction entre la délimitation finale de la
frontière maritime et le processus engagé devant la Commission en vue de la délinéation. - 29 -

76. De fait, le Kenya ne conteste pas que l’un des buts du mémorandum est de permettre la

délinéation, mais affirme qu’il ne s’agissait là que d’une première étape vers la réalisation de
l’objectif consistant à parvenir à une délimitation maritime définitive par voie d’accord une fois
reçues les recommandations de la Commission des limites.

77. La Cour observe que, outre celle qui figure au sixième paragraphe, diverses références à
la délimitation maritime émaillent le texte du mémorandum d’accord. Cela étant, aucune de ces
autres références ne corrobore l’argument du Kenya selon lequel le mémorandum d’accord vise à

prescrire un mode de règlement s’agissant du différend relatif à la délimitation de la frontière
maritime entre les Parties. Les références à la délimitation maritime figurant en dehors du sixième
paragraphe remplissent deux fonctions.

Leur première fonction est de définir le différend relatif à la délimitation existant entre les
Parties afin de préciser que celles-ci peuvent faire figurer «la zone en litige» dans leurs
communications respectives à la Commission des limites et de permettre à cette dernière de
formuler ses recommandations, abstraction faite de ce différend. A cet égard, le deuxième

paragraphe du mémorandum mentionne la «question non encore résolue de délimitation» entre les
Parties et la qualifie de «différend maritime», avant de définir la «zone en litige», à laquelle il est
ensuite fait référence aux quatrième et cinquième paragraphes. Ces références à la délimitation
maritime n’ont d’autre effet que de favoriser la réalisation de l’objectif du mémorandum d’accord
consistant à faire en sorte qu’une Partie ne s’opposera pas à l’examen par la Commission de la
demande de l’autre, nonobstant le différend relatif à la délimitation existant entre elles.

La seconde fonction des références à la délimitation est de préciser que le processus engagé
devant la Commission en vue de la fixation de la limite extérieure du plateau continental est sans
préjudice du différend existant entre les Parties au sujet de la délimitation maritime et de son
règlement. Le troisième paragraphe prévoit que l’établissement de la limite extérieure du plateau
continental est «sans préjudice de la question de [s]a délimitation» et que l’intérêt des parties à
effectuer cette délinéation est «sans préjudice de la future délimitation dudit plateau». Aux
quatrième et cinquième paragraphes, le dépôt d’informations préliminaires par la Somalie, les

communications des deux Etats à la Commission des limites et les recommandations de celle-ci
sont présentés comme étant «sans préjudice de la future délimitation des frontières maritimes dans
la zone en litige». La question de la délimitation devait donc demeurer dissociée du processus
conduisant à la fixation de la limite extérieure du plateau continental, ce qui laisse supposer que,
s’il traitait de la délinéation, le mémorandum d’accord ne traitait en revanche nullement, du moins
dans ses cinq premiers paragraphes, de la délimitation ni ne présentait la délinéation comme une
étape du processus de délimitation.

78. Il est vrai que, dans le mémorandum d’accord, il est plusieurs fois fait référence à la
«future délimitation», ce qui donne à penser que le processus conduisant à la délinéation devait
primer, chronologiquement, sur la délimitation. Toutefois, les Parties conviennent que ce
mémorandum du 7 avril 2009 a été signé alors qu’approchait à grands pas l’expiration du délai
dans lequel la Somalie et le Kenya devaient soit soumettre à la Commission des limites des
informations préliminaires soit lui présenter leur demande (voir le paragraphe 16 ci-dessus). Dans

ces circonstances, il n’est guère étonnant que le lancement du processus devant conduire à la
fixation de la limite extérieure du plateau continental ait été jugé prioritaire par rapport au - 30 -

règlement des questions de délimitation opposant les Parties et que, à tout le moins au moment où
le mémorandum a été signé, une telle délimitation fût encore à venir. Si, en tant qu’il indique

notamment que les recommandations de la Commission «seront sans préjudice de la future
délimitation», le cinquième paragraphe pourrait être interprété comme impliquant que la
délimitation devait intervenir une fois les recommandations de la Commission formulées, la Cour
n’est pas pour autant convaincue que l’utilisation de l’adjectif «futur» dans ce contexte puisse, en
soi, être considérée comme dénotant l’existence d’une restriction temporelle quant au moment
auquel la délimitation devait avoir lieu.

79. Le sixième paragraphe semble plus explicitement indiquer que la délimitation aura lieu
«après» réception des recommandations de la Commission des limites. Ce passage pourrait laisser
entendre que les Parties envisageaient que la délimitation interviendrait une fois tracée la limite
extérieure de leurs portions respectives de plateau continental. Cependant, cela ne signifie pas
nécessairement qu’elles aient entendu se contraindre à procéder à la délimitation uniquement de la
sorte.

80. La question qui se pose à la Cour est celle de savoir si, dans ce sixième paragraphe, les
Parties sont convenues de régler leur différend relatif à la délimitation autrement qu’en estant
devant elle, et d’attendre les recommandations de la Commission des limites avant de pouvoir
procéder à un tel règlement.

81. Il est rappelé que, aux termes du sixième paragraphe du mémorandum d’accord,

«[l]a délimitation des frontières maritimes dans les zones en litige, y compris la
délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, fera l’objet d’un
accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international après que la
Commission aura achevé l’examen des communications séparées effectuées par
chacun des deux Etats côtiers et formulé ses recommandations aux deux Etats côtiers
concernant l’établissement des limites extérieures du plateau continental au-delà de
200 milles marins.»

82. Il convient tout d’abord de préciser les espaces maritimes auxquels ce paragraphe fait
référence, ce point ayant une incidence sur l’interprétation du mémorandum, ainsi que sur la
mesure dans laquelle la réserve du Kenya pourrait trouver à s’appliquer en l’espèce, à supposer
qu’elle soit applicable.

83. Le sixième paragraphe du mémorandum a pour objet «la délimitation des frontières

maritimes dans les zones en litige, y compris la délimitation du plateau continental au-delà de
200 milles marins». L’emploi de la locution «y compris» implique que les Parties n’entendaient
pas restreindre la délimitation des «zones en litige» à celle du plateau continental au-delà de
200 milles marins. Le deuxième paragraphe du mémorandum apporte l’éclaircissement suivant : - 31 -

«La délimitation du plateau continental entre la République du Kenya et la
République somalienne (ci-après dénommées collectivement «les deux Etats côtiers»)

n’a pas encore été fixée. Cette question non encore résolue de délimitation entre les
deux Etats côtiers doit être considérée comme un différend maritime. Les
revendications des deux Etats côtiers couvrent une zone de chevauchement du plateau
continental qui constitue la «zone en litige».» (Les italiques sont de la Cour.)

84. Les Parties ont expressément précisé que l’expression «zone en litige» désignait la zone
où leurs prétentions à un plateau continental entraient en concurrence, sans faire de distinction

entre la portion du plateau située en deçà de 200 milles marins et la portion située au-delà. Il est
vrai que, lorsque le terme est employé au sixième paragraphe, c’est au pluriel  «zones en
litige» , et que ce pluriel n’est apparu que dans la dernière version du mémorandum.

85. Ce nonobstant, la Cour observe tout d’abord qu’aucun élément expliquant ce changement
ne lui a été présenté. Ensuite, le terme est employé indifféremment au singulier et au pluriel

ailleurs dans le texte, y compris au sein d’un même paragraphe ; le quatrième paragraphe prévoit
ainsi que la communication d’informations préliminaires par la Somalie «pourrait comprendre la
zone en litige», et précise que le Kenya ne voit aucune objection à «faire figurer les zones en litige»
dans cette communication (les italiques sont de la Cour). Les Parties ne semblent donc pas avoir eu
l’intention, en employant ce terme au pluriel dans le mémorandum, d’introduire une quelconque
distinction de sens. Enfin, il ressort de l’ensemble du texte que le mémorandum ne visait, pour
autant qu’il fût question de délimitation, que la zone du plateau continental, tant en deçà qu’au-delà

des 200 milles marins mesurés à partir des côtes respectives des deux Etats. Au deuxième
paragraphe, il est ainsi indiqué que «[l]a délimitation du plateau continental entre [les Parties] n’a
pas encore été fixée» (les italiques sont de la Cour), «[c]ette question non encore résolue de
délimitation» étant qualifiée de «différend maritime», notion à laquelle il est fait référence aux
quatrième et cinquième paragraphes. Au troisième paragraphe, il est en outre précisé que
l’établissement de limites extérieures «est sans préjudice de la question de la délimitation du
plateau continental», et que l’intérêt des deux Etats «à établir [c]es limites extérieures … [est] sans

préjudice de la future délimitation du plateau continental» (les italiques sont de la Cour). Dans ce
contexte, quand bien même l’expression «zone en litige» n’aurait pas été définie par ailleurs, force
est de considérer que la référence, au sixième paragraphe, à «la délimitation des frontières
maritimes dans les zones en litige» renvoyait au «différend maritime» visé au deuxième paragraphe
et dont il est question ailleurs dans le mémorandum, à savoir la délimitation du plateau continental
entre les deux Etats.

86. La Cour ne voit donc aucune raison de conclure qu’il faille prêter à l’expression «zones
en litige» employée dans le sixième paragraphe un sens différent de celui donné à celle de «zone en
litige» dans la définition énoncée au deuxième paragraphe, qui désigne les zones où les deux
Parties nourrissent à l’égard du plateau continental des prétentions concurrentes. Partant, le
sixième paragraphe n’a trait qu’à la délimitation du plateau continental, «y compris … au-delà de
200 milles marins», et ne concerne ni la délimitation de la mer territoriale, ni celle de la zone
économique exclusive. Il s’ensuit que, même si, comme le prétend le Kenya, ce paragraphe

prescrit un mode de règlement du différend des Parties concernant leur frontière maritime, ce mode
ne s’appliquerait qu’à leur frontière délimitant le plateau continental, et non à leurs frontières dans
les autres espaces maritimes.

* - 32 -

87. La Cour en vient à la question de savoir si le sixième paragraphe, en prévoyant que la
délimitation du plateau continental entre les Parties «fera l’objet d’un accord … sur la base du droit

international après que la Commission aura achevé l’examen des communications séparées
effectuées par chacun[e d’elles] et formulé ses recommandations», établit un mode de règlement du
différend relatif à la frontière maritime qui oppose les Parties s’agissant de cette zone particulière.

88. Ainsi qu’il a déjà été indiqué, le Kenya soutient que le membre de phrase «fera l’objet
d’un accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international» donne naissance à une
obligation de négocier en vue de parvenir à un accord, tandis que, pour la Somalie, aucune

obligation n’est ainsi créée, seules étant constatées les obligations préexistantes des Parties au
regard de la CNUDM.

89. La Cour rappelle que, selon la règle de droit international coutumier applicable, le
sixième paragraphe doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer à ses
termes dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du mémorandum (voir les
paragraphes 63 et 64 ci-dessus). En application de l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la

convention de Vienne, «toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations
entre les parties» doit être prise en considération, conjointement avec le contexte. Or, en l’espèce,
la Somalie et le Kenya sont tous deux parties à la CNUDM, qui est expressément visée par le
mémorandum d’accord et contient donc des règles pertinentes. De plus, étant donné que le sixième
paragraphe du mémorandum porte sur la délimitation du plateau continental, l’article 83 de la
CNUDM, intitulé «Délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou
se font face», revêt une pertinence toute particulière. Cet article se lit comme suit :

«1. La délimitation du plateau continental entre Etats dont les côtes sont
adjacentes ou se font face est effectuée par voie d’accord conformément au droit
international tel qu’il est visé à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de
Justice, afin d’aboutir à une solution équitable.

2. S’ils ne parviennent pas à un accord dans un délai raisonnable, les Etats
concernés ont recours aux procédures prévues à la partie XV.»

90. Il existe une similarité entre le libellé du paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM et
celui du sixième paragraphe du mémorandum d’accord, le premier disposant que la délimitation
sera «effectuée par voie d’accord conformément au droit international» et le second, qu’elle «fera
l’objet d’un accord … sur la base du droit international».

L’article 83 de la CNUDM, en son paragraphe 1, énonce la manière dont la délimitation du

plateau continental doit être effectuée par les Etats parties à la convention, à savoir par voie
d’accord et non par une démarche unilatérale. C’est une disposition qui concerne l’établissement
sur le plateau continental de la frontière maritime entre des Etats dont les côtes sont adjacentes ou
se font face. Elle ne prescrit pas de mode de règlement applicable aux différends relatifs à la
délimitation dudit plateau. Cela ressort clairement du paragraphe 2 de l’article 83, qui dispose que,
s’ils ne parviennent pas à un accord dans un délai raisonnable, les Etats concernés doivent avoir
recours aux procédures de règlement visées dans la partie XV, intitulée «Règlement des différends» - 33 -

(laquelle sera examinée plus en détail ci-après). La Cour note que le paragraphe 1 de l’article 83 de
la CNUDM, en disposant que la délimitation est effectuée par voie d’accord, exige qu’il y ait des

négociations menées de bonne foi, mais non que de telles négociations aboutissent (voir Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 424, par. 244).

91. Conformément à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne,
et compte tenu, plus particulièrement, de ce que le sixième paragraphe du mémorandum d’accord et
le paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM sont libellés en des termes similaires, la Cour estime

que le premier peut raisonnablement être lu à la lumière du second. Dans ce contexte, la référence,
commune aux deux dispositions, à la nécessité d’effectuer la délimitation par voie d’accord
conformément au droit international, ne prescrit pas de mode particulier de règlement et n’exclut
pas le recours à différentes procédures de cette nature s’il se révélait impossible de parvenir à un
accord, ce que le Kenya a du reste semblé admettre au cours de la procédure orale.

92. Cela dit, ainsi que le Kenya l’a souligné, le sixième paragraphe du mémorandum va

au-delà du libellé du paragraphe 1 de l’article 83 puisque, dans une seconde partie, il est précisé
que «la délimitation … fera l’objet d’un accord … après que la Commission aura achevé [son]
examen … et formulé ses recommandations…» (les italiques sont de la Cour). Comme il a déjà été
indiqué (voir le paragraphe 56), le Kenya convient que le libellé du sixième paragraphe ne lui
interdisait pas d’entamer avec la Somalie des négociations sur leur frontière maritime avant que la
Commission ait émis ses recommandations. Son comportement va d’ailleurs dans le sens de cette
interprétation puisqu’il a pris part à deux cycles de négociations en 2014, avant que la Somalie

soumette sa requête introductive d’instance en la présente affaire. Il ressort du dossier que ces
négociations concernaient la totalité des espaces maritimes, y compris le plateau continental, et que
les Parties ont discuté en détail de la méthode qu’il convenait de retenir aux fins de procéder à la
délimitation. Même après le dépôt de la requête somalienne, le Kenya, dans une note verbale en
date du 24 octobre 2014 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies,
écrivait : «les deux Etats mènent actuellement des négociations diplomatiques au sommet en vue de
régler rapidement [la question de la délimitation de la frontière maritime]». Ainsi qu’il a été relevé

ci-dessus (voir le paragraphe 56), le Kenya a également admis que les Parties auraient pu parvenir à
certains accords concernant leur frontière maritime avant que la Commission ait formulé ses
recommandations. L’ensemble de ce qui précède confirme que le Kenya ne s’estimait pas tenu
d’attendre ces recommandations pour pouvoir entamer des négociations au sujet de la délimitation
maritime, ou même de conclure des accords à cet égard, et que le processus de délimitation pouvait
à tout le moins être engagé avant que celui de délinéation fût achevé.

93. Le Kenya a cependant plaidé qu’il n’était pas possible de mener à terme ces négociations
relatives à la délimitation maritime, et donc de conclure un accord définitif, tant que la Commission
n’avait pas formulé ses recommandations.

94. Il se peut en effet que les Parties, comme elles en conviennent d’ailleurs elles-mêmes, ne
soient pas en mesure de fixer de manière définitive le point terminal de leur frontière maritime dans
la zone située au-delà de 200 milles marins avant que les recommandations de la Commission leur

aient été communiquées et que la limite extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles - 34 -

marins ait été établie sur cette base. Cela est conforme au paragraphe 8 de l’article 76 de la
CNUDM. Une incertitude concernant la limite extérieure du plateau continental et, partant,

l’endroit précis où se situe le point terminal d’une frontière donnée dans la zone située au-delà de
200 milles marins n’empêche toutefois pas nécessairement les Etats concernés ou la Cour, si les
circonstances s’y prêtent, d’entreprendre la délimitation de la frontière avant que la Commission ait
formulé ses recommandations.

95. La Cour est d’avis que le sixième paragraphe du mémorandum ne peut être interprété
comme interdisant aux Parties de parvenir à un accord sur leur frontière maritime avant d’avoir

reçu les recommandations de la Commission des limites, ou comme interdisant à l’une ou l’autre
d’avoir recours, avant d’avoir reçu ces recommandations, à des procédures de règlement s’agissant
de leur différend en matière de délimitation maritime.

Les Parties, par consentement mutuel, auraient pu à tout moment conclure un accord sur leur
frontière maritime. En outre, lu à la lumière du paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM (voir les
paragraphes 90 et 91 ci-dessus), l’emploi des termes «fera l’objet d’un accord» dans le sixième

paragraphe ne signifie pas que les Parties aient une obligation de conclure un accord sur une
frontière délimitant le plateau continental ; il signifie plutôt qu’elles ont l’obligation d’engager des
négociations de bonne foi en vue de parvenir à un accord. Les Parties s’accordent à reconnaître
que ledit paragraphe ne leur interdisait pas d’entreprendre de telles négociations avant d’avoir reçu
les recommandations de la Commission. Il n’y a pas dans le sixième paragraphe de restriction
temporelle quant à l’exécution de cette obligation de négocier. Etant donné que ce paragraphe ne
prescrit pas un mode de règlement (voir les paragraphes 90 et 91), le fait que les Parties se soient

fixé un objectif quant au moment de la conclusion d’un accord n’interdit pas à l’une d’elles de
recourir à des procédures de règlement des différends avant la réception des recommandations de la
Commission.

En outre, la Somalie et le Kenya sont tous deux parties à la CNUDM, dont la partie XV
comporte des dispositions exhaustives pour le règlement des différends, et ils ont tous deux fait une
déclaration en vertu de la clause facultative qui demeure en vigueur. La Cour ne considère pas que,
en l’absence d’une disposition expresse à cet effet, les Parties puissent être regardées comme ayant

entendu exclure le recours à de telles procédures de règlement jusqu’à la réception des
recommandations de la Commission.

96. Enfin, il est précisé à plusieurs reprises dans le mémorandum que les travaux de la
Commission des limites conduisant à la délinéation seront sans préjudice de la délimitation, les
deux opérations étant traitées comme distinctes dans cet instrument. Ceci contredit l’argument du
Kenya selon lequel le sixième paragraphe viserait à subordonner la délimitation à la délinéation.

Rien ne laisse supposer que les Parties soient convenues en 2009 que la délimitation serait à ce
point subordonnée à la délinéation que la première ne pût se faire sans la seconde.

97. Pour résumer, la Cour constate ce qui suit s’agissant de l’interprétation du mémorandum
d’accord. Premièrement, celui-ci avait pour objet et pour but de constituer un accord de
non-objection permettant à la Commission de formuler des recommandations nonobstant
l’existence d’un différend entre les Parties au sujet de la délimitation du plateau continental.

Deuxièmement, le sixième paragraphe porte exclusivement sur le plateau continental, et non sur - 35 -

l’intégralité de la frontière maritime entre les Parties, ce qui donne à penser qu’il ne créait pas un
mode de règlement en vue de la détermination de ladite frontière. Troisièmement, le mémorandum

indique expressément à plusieurs reprises que le processus devant conduire à la fixation de la limite
extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins sera sans préjudice de la délimitation
de la frontière maritime entre les Parties, impliquant — dans le droit fil de la jurisprudence de la
Cour — que cette délimitation peut être entreprise indépendamment de toute recommandation de la
Commission. Quatrièmement, le libellé du sixième paragraphe du mémorandum reflète celui du
paragraphe 1 de l’article 83 de la CNUDM, ce qui tend à indiquer que les Parties entendaient faire
référence à la manière dont se déroule généralement la délimitation en vertu de cet article, qui

prévoit l’ouverture de négociations visant à aboutir à un accord, et non prescrire un mode de
règlement de leur différend. Cinquièmement, les Parties admettent que le sixième paragraphe ne
leur interdisait pas d’entreprendre de telles négociations, ni de s’entendre sur certains points, avant
d’avoir obtenu les recommandations de la Commission.

98. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que le sixième paragraphe du mémorandum
reflète le fait que les Parties prévoyaient, compte tenu du paragraphe 1 de l’article 83 de la

CNUDM, de négocier leur frontière maritime dans la zone du plateau continental après la réception
des recommandations de la Commission, les deux processus  celui de la délimitation et celui de
la délinéation  étant maintenus séparés. De telles négociations, en effet, constituent la première
étape de la délimitation du plateau continental entre Etats parties à la CNUDM. La Cour ne
considère cependant pas que le libellé du sixième paragraphe, lu à la lumière du texte du
mémorandum d’accord dans son ensemble, de l’objet et du but de celui-ci, ainsi que dans son

contexte, ait pu avoir vocation à établir un mode de règlement en vue de la délimitation de la
frontière maritime entre les Parties. Il n’impose pas à celles-ci d’attendre le résultat des travaux de
la Commission avant de tenter de parvenir à un accord sur leur frontière maritime, pas davantage
qu’il ne leur impose de recourir à un mode particulier de règlement de leur différend à cet égard.

*

99. Conformément à l’article 32 de la convention de Vienne, la Cour en vient aux travaux
préparatoires du mémorandum d’accord, pour limités qu’ils soient, et aux circonstances dans
lesquelles celui-ci a été conclu, lesquels confirment selon elle le sens résultant de l’interprétation
donnée ci-dessus (voir Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 30,
par. 66 et références y figurant).

100. Les Parties ont signé le mémorandum d’accord alors que se profilait l’échéance du
13 mai 2009, date limite imposée aux Etats pour communiquer à la Commission leur dossier, ou à
tout le moins lui présenter des informations préliminaires, sur la limite extérieure de leur plateau
continental. Compte tenu de cette échéance pressante, M. Ahmedou Ould Abdallah, à l’époque
représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies pour la Somalie, a
entamé en octobre 2008 la constitution du dossier d’informations préliminaires au nom de cette
dernière, qui se trouvait alors en butte à une période d’instabilité et manquait des ressources

nécessaires pour préparer ce dossier. Il a été assisté dans cette tâche par le Royaume de Norvège
et, en particulier, par deux représentants de celui-ci, à savoir l’ambassadeur Hans Wilhelm Longva,
ancien conseiller juridique du ministère norvégien des affaires étrangères, et M. Harald Brekke,
alors membre norvégien de la Commission des limites du plateau continental. - 36 -

101. Le Gouvernement fédéral de transition de la Somalie est officiellement entré en

fonction le 22 février 2009. Le 10 mars 2009, il a été informé de l’initiative du représentant spécial
et de l’assistance de la Norvège, et s’est vu remettre un projet d’informations préliminaires qui
avait été préparé à son intention. A cette occasion lui a également été présenté un projet de
mémorandum d’accord établi par l’ambassadeur Longva. La Somalie a fait modifier le titre du
mémorandum en y insérant les mots «to each other». Le Kenya a apparemment proposé quelques
amendements au texte, mais qui ne semblent pas avoir eu d’incidence sur la teneur du
mémorandum d’accord, en particulier s’agissant du sixième paragraphe.

102. Le fait que le mémorandum d’accord ait été établi par l’ambassadeur Longva dans le
contexte du concours que la Norvège prêtait à la Somalie aux fins de la constitution de son dossier
d’informations préliminaires destiné à la Commission, et que les deux documents aient été
présentés conjointement dans le cadre du processus devant permettre à la Somalie de respecter la
date butoir du 13 mai 2009, tend à confirmer que le mémorandum d’accord portait sur la procédure
devant la Commission. Il ressort du dossier que les Parties considéraient le mémorandum comme

un accord de non-objection, nécessaire eu égard aux communications qu’elles s’apprêtaient à faire
à la Commission.

103. En outre, l’inclusion du sixième paragraphe dans le texte du mémorandum ne semble
avoir fait l’objet d’aucune mention ni justification. S’il était aussi lourd de conséquences que le
prétend le Kenya, ce paragraphe aurait, selon toute probabilité, été débattu dans une certaine
mesure. Pourtant, à l’occasion d’une allocution donnée lors de la conférence panafricaine sur les

frontières maritimes et le plateau continental, en novembre 2009, l’ambassadeur Longva a évoqué
le mémorandum d’accord sans du tout aborder les éléments juridiques qui seraient implicitement
contenus dans son sixième paragraphe. Il a même déclaré ce qui suit :

«Avant de commencer, je tiens à souligner que cette question [du tracé de la
limite extérieure du plateau continental] est distincte de celle de la délimitation du
plateau continental entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face.
L’établissement de la limite extérieure du plateau continental est en effet sans

préjudice des questions relatives à la délimitation du plateau continental entre Etats,
c’est-à-dire qu’il n’y porte pas atteinte. Nul besoin donc de résoudre les questions de
délimitation maritime entre Etats voisins avant de commencer à établir la limite
extérieure du plateau continental.»

104. Par ailleurs, dans une note verbale datée du 17 août 2011, la mission permanente de la

Norvège auprès de l’Organisation des Nations Unies a présenté au Secrétariat de l’Organisation ses
observations en réponse au rapport du Secrétaire général sur «la protection des ressources
naturelles et des eaux somaliennes, et [l]es allégations faisant état d’activités de pêche illégales et
de rejet illégal de déchets, notamment de substances toxiques, au large des côtes somaliennes».
Dans le contexte d’une discussion sur les différends «non résolus de délimitation maritime», cette
note évoque le mémorandum d’accord et en présente brièvement certains aspects. Cette
présentation synthétique fait référence à l’intitulé du mémorandum, au contenu du cinquième
paragraphe, ainsi qu’à la disposition régissant l’entrée en vigueur contenue au septième paragraphe. - 37 -

En revanche, il n’est fait nulle mention du sixième paragraphe. Si celui-ci revêtait l’importance
que lui prête le Kenya, l’Etat dont le représentant avait contribué à la rédaction du mémorandum

l’aurait vraisemblablement souligné. Dans cette note, la Norvège a dit ceci, à propos de la
délimitation maritime :

«Les questions les plus sensibles, sur le plan politique, pourraient être celles
ayant trait à la délimitation maritime entre la Somalie et les Etats côtiers voisins. La
Norvège ne prend pas position à ce sujet et se borne à apporter son assistance en
partant du principe qu’il ne sera en rien préjugé des questions de délimitation maritime

avec d’autres Etats.»

105. La Cour estime que les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le
mémorandum d’accord a été conclu confirment que celui-ci n’entendait pas prescrire une procédure
donnée aux fins du règlement du différend opposant les Parties au sujet de leur frontière maritime.

3. Conclusion sur la question de savoir si la réserve contenue dans la déclaration que le

Kenya a formulée en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 est applicable du fait du
mémorandum d’accord

106. La Cour conclut que le sixième paragraphe du mémorandum, lu dans le contexte et à la
lumière de l’objet et du but de cet instrument, traduit le fait que les Parties s’attendaient à conclure
un accord sur la délimitation de leur plateau continental après réception des recommandations de la
Commission des limites. Ce paragraphe n’impose cependant pas un mode particulier de règlement.
Dès lors, le mémorandum ne constitue pas un accord par lequel les Parties seraient convenues

«d’avoir recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement», au sens de la réserve à la
déclaration d’acceptation du Kenya, et, en conséquence, la présente affaire ne se trouve pas exclue,
du fait de cet instrument, du champ de l’acceptation par cet Etat de la juridiction de la Cour.

B. La partie XV de la convention des Nations Unies
sur le droit de la mer

107. Selon le Kenya, il existe un second fondement, indépendant du mémorandum d’accord,
justifiant que la Cour conclue à son défaut de compétence pour connaître de la requête de la
Somalie. Le Kenya invoque là encore la réserve à sa déclaration formulée en vertu du paragraphe 2
de l’article 36 du Statut, réserve qui exclut les différends au sujet desquels les parties sont
convenues d’avoir recours «à un autre mode ou à d’autres modes de règlement», en faisant valoir
que, «[d]e toute évidence, la partie XV de la CNUDM prévoit des modes convenus de règlement
des différends frontaliers maritimes».

108. Le Kenya relève que le paragraphe 1 de l’article 287 de la CNUDM, qui figure dans la
partie XV, autorise les Etats parties à choisir, par voie de déclaration écrite, une ou plusieurs
juridictions pour obtenir une décision obligatoire sur leurs différends relatifs à l’interprétation ou à
l’application de la convention. Selon le paragraphe 3 du même article, les Etats parties n’ayant pas
fait une telle déclaration sont réputés avoir accepté la procédure d’arbitrage prévue à l’annexe VII
de la CNUDM. Ni la Somalie ni lui n’ayant fait une telle déclaration, le Kenya en déduit que, en

application de la convention, les deux Parties sont réputées avoir accepté ladite procédure - 38 -

d’arbitrage en tant que mode de règlement de leurs différends relatifs à l’interprétation ou à
l’application de la convention, y compris leurs différends en matière de délimitation maritime, et

sont donc convenues d’avoir recours à «un mode de règlement autre que la saisine de la Cour». En
conséquence, le Kenya estime que sa réserve a pour effet de soustraire le présent différend à la
compétence qu’il a conférée à la Cour par sa déclaration en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut.

109. A l’appui de cet argument, le Kenya déclare que sa réserve tend à reconnaître «le rôle
important d’autres systèmes et procédures plus spécialisés de règlement des différends» et donne

priorité à la partie XV de la CNUDM, en tant que lex specialis et lex posterior, par rapport aux
déclarations faites par les Parties en vertu de la clause facultative.

110. Le Kenya donne également son analyse des implications de l’article 282, autre
disposition de la partie XV de la CNUDM qui stipule ce qui suit :

«Lorsque les Etats Parties qui sont parties à un différend relatif à l’interprétation

ou à l’application de la Convention sont convenus, dans le cadre d’un accord général,
régional ou bilatéral ou de toute autre manière, qu’un tel différend sera soumis, à la
demande d’une des parties, à une procédure aboutissant à une décision obligatoire,
cette procédure s’applique au lieu de celles prévues dans la présente partie, à moins
que les parties en litige n’en conviennent autrement.»

Le Kenya reconnaît que, selon l’article 282, lorsque deux Etats parties à la convention ont fait des
déclarations en vertu de la clause facultative ne comportant pas de réserve soustrayant à la

compétence de la Cour le différend qui lui est soumis, ces déclarations constituent un accord à
l’effet de recourir à une procédure (à savoir le règlement par la Cour) qui s’appliquera au lieu des
autres procédures prévues dans la section 2 de la partie XV de la CNUDM. Il soutient toutefois
que, dès lors que la partie XV fournit des modes convenus de règlement des différends au sens de
sa réserve, les déclarations faites par les Parties en vertu de la clause facultative ne coïncident pas
pour conférer compétence à la Cour et ne constituent donc pas un accord, au sens de l’article 282, à
l’effet de lui soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention.

*

111. La Somalie convient avec le Kenya que les déclarations d’acceptation de la juridiction
de la Cour faites en vertu de la clause facultative peuvent constituer un accord à l’effet de
soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la convention à une procédure

aboutissant à une décision obligatoire qui, selon l’article 282, s’applique au lieu de toute procédure
prévue dans la section 2 de la partie XV de la CNUDM. Elle relève que le Kenya ne conteste pas
que les auteurs de la CNUDM ont «spécialement et explicitement voulu que la juridiction de la
Cour au titre de la clause facultative l’emporte sur la partie XV» et invoque les travaux
préparatoires de l’article 282, ainsi que l’uniformité de la doctrine, à l’appui de cet argument.
Ainsi, la Somalie estime que, du fait de leurs déclarations en vertu de la clause facultative, les
Parties ont accepté la juridiction de la Cour et qu’il s’agit là d’un accord qui «l’emporte sur les

procédures de règlement des différends prévues à l’article 287 de la CNUDM». - 39 -

112. S’agissant de l’argument du Kenya tendant à ériger la CNUDM en lex specialis et

lex posterior par rapport aux déclarations d’acceptation des Parties, la Somalie soutient que

«[l]a ratification d’un traité donnant explicitement priorité à la juridiction au titre de la
clause facultative sur les procédures prévues à la partie XV ne saurait, en toute
logique, avoir pour effet de faire primer lesdites procédures sur la juridiction
découlant de déclarations faites au titre de la clause facultative» (les italiques sont

dans l’original).

113. La Somalie fait observer que la relation entre les déclarations faites par les Parties en
vertu de la clause facultative et la partie XV de la CNUDM pourrait sembler être à l’origine d’une
certaine circularité, puisque la réserve à la déclaration faite par le Kenya en vertu de la clause
facultative pourrait renvoyer à la partie XV qui, à son tour (par l’effet de l’article 282), pourrait

renvoyer à ladite déclaration, ce va-et-vient se répétant à l’infini. Cela étant, elle soutient qu’il n’y
a pas de circularité en l’espèce car l’article 282 de la CNUDM donne priorité à la juridiction fondée
sur des déclarations en vertu de la clause facultative, et relève qu’«[i]l serait totalement illogique de
considérer qu’un instrument excluant expressément les différends couverts par des déclarations au
titre de la clause facultative puisse établir pour ces mêmes différends un autre mode de règlement»
(les italiques sont dans l’original).

114. Pour ce qui est d’une hypothétique circularité, le Kenya répond qu’il n’y a pas de
«double renvoi» en l’espèce. Il estime que la réserve à sa déclaration fait entrer en jeu la
partie XV, mais qu’il n’y a pas lieu d’aller plus loin étant donné que les procédures prévues dans
cette partie, qui ont force de lex specialis et de lex posterior, entrent dans le champ de sa réserve.
L’article 282 n’aurait donc pas pour effet de renvoyer à son tour à la déclaration du Kenya.

* *

115. Ainsi que la Cour l’a précédemment déclaré, quand «il s’agit de deux déclarations
unilatérales, … compétence lui est conférée seulement dans la mesure où elles coïncident pour la
lui conférer» (Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 23).
Bien que les déclarations des deux Parties comprennent des réserves, seule une de ces réserves

 contenue dans la déclaration du Kenya –– est en cause dans la présente affaire. La Cour doit
donc examiner la déclaration du Kenya en vue de déterminer l’étendue de la compétence que lui
ont conférée les Parties.

116. Pour être en mesure de déterminer si elle a compétence dans la présente affaire, la Cour
doit rechercher «si la force des raisons militant en faveur de sa compétence est prépondérante et s’il

existe «une volonté des Parties de [lui] conférer juridiction»» (Actions armées frontalières et
transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988,
p. 76, par. 16, citant Usine de Chorzów, compétence, arrêt n° 8, 1927, C.P.J.I. série A n 9, p. 32 ;
voir également Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour,
arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 450-451, par. 38). - 40 -

117. La Cour s’intéressera tout d’abord à l’interprétation de la déclaration du Kenya puis aux

dispositions de la partie XV qui, selon ce dernier, établissent le mode de règlement auquel les
Parties seraient convenues de soumettre le présent différend.

118. Ainsi que la Cour l’a précédemment déclaré,

«[t]ous les éléments d’une déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut, qui, pris ensemble, comportent l’acceptation de la compétence de la Cour par
l’Etat auteur de la déclaration, doivent être interprétés comme formant un tout, auquel

doivent être appliqués les mêmes principes juridiques d’interprétation» (Compétence
en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 453, par. 44).

En outre,

«s’agissant d’une réserve à une déclaration faite en vertu du paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut, ce qui est exigé en tout premier lieu est qu’elle soit interprétée
d’une manière compatible avec l’effet recherché par l’Etat qui en est l’auteur» (ibid.,
p. 455, par. 52).

119. Il est rappelé que, dans la partie pertinente de sa déclaration en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut, le Kenya accepte la juridiction de la Cour «sur tous les différends … autres
que … [ceux] au sujet desquels les parties en cause auraient convenu ou conviendraient d’avoir

recours à un autre mode ou à d’autres modes de règlement». La déclaration du Kenya traduit donc
une intention de faire en sorte que «tous les différends» l’opposant à un autre Etat ayant accepté la
juridiction de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut (hormis ceux visés par les
réserves qui ne sont pas en cause dans la présente affaire) soient soumis à un mode de règlement
déterminé, consistant soit en la saisine de la Cour soit en un autre mode agréé par les Parties. En
conséquence, pour donner effet à l’intention qui ressort de la déclaration du Kenya, «interprété[e]
comme formant un tout», la Cour ne peut conclure à son défaut de compétence que si elle constate

que les Parties sont convenues d’avoir recours à un autre mode de règlement s’agissant du
différend qui fait l’objet de la requête somalienne.

120. Le Kenya soutient que sa réserve confère une importance particulière à un accord sur un
mode de règlement qui constitue une lex specialis et une lex posterior par rapport aux déclarations
faites par les Parties en vertu de la clause facultative. La Cour constate cependant que le texte de la
réserve du Kenya ne fait aucune distinction entre un accord portant sur un objet très précis, comme

un compromis à l’égard d’un différend donné, et un accord d’ordre général sur le règlement
pacifique des différends. En outre, du fait de l’emploi des termes «auraient convenu ou
conviendraient», la réserve fait expressément référence aux accords existant ou à venir entre les
Parties. Dès lors, ses termes clairs infirment l’idée que préférence doit être donnée aux accords
postérieurs à la date des déclarations des Parties. La réponse à la question de savoir si un accord
particulier entre dans le champ de la réserve du Kenya ne tient pas au degré de précision de cet
accord ni à la date de sa conclusion, mais nécessite un examen de son contenu. Aussi la Cour en

vient-elle à présent à l’examen des dispositions pertinentes de la partie XV de la CNUDM. - 41 -

121. Dans sa requête, la Somalie invite la Cour à interpréter et appliquer les dispositions de

la CNUDM concernant la délimitation maritime. De manière générale, la partie XV prévoit des
modes de règlement pour les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la
convention. Toutefois, pour déterminer si, en ratifiant la CNUDM, les Parties sont convenues d’un
mode de règlement du présent différend autre que sa saisine, la Cour doit se pencher plus avant sur
la structure et les dispositions de cette partie.

122. La partie XV, intitulée «Règlement des différends», comprend trois sections. La

section 1 expose les dispositions générales en matière de règlement pacifique des différends. Elle
impose aux Etats parties de régler par des moyens pacifiques les différends relatifs à
l’interprétation ou à l’application de la convention (art. 279), mais précise expressément qu’ils sont
libres de recourir à «tout moyen pacifique de leur choix» (art. 280). Les Etats parties peuvent
convenir entre eux d’un mode de règlement n’aboutissant pas à une décision obligatoire d’une
tierce partie (comme la conciliation). Cependant, si un tel moyen ne permet pas de régler un
différend, il est loisible à l’un ou à l’autre des Etats parties concernés d’en saisir la juridiction

compétente en vertu de la section 2 de la partie XV, à moins que leur accord de recourir au moyen
en question n’ait exclu les procédures aboutissant à une décision obligatoire prévues dans cette
section (art. 281, par. 1). Enfin, l’article 282 autorise les Etats parties à convenir «dans le cadre
d’un accord général, régional ou bilatéral ou de toute autre manière» de soumettre un différend à
une procédure aboutissant à une décision obligatoire, auquel cas la procédure convenue s’applique
«au lieu» de celles prévues dans la partie XV.

123. La section 2 de la partie XV énonce les dispositions relatives aux procédures
obligatoires aboutissant à des décisions obligatoires. Selon l’article 286, ces procédures
s’appliquent lorsqu’un différend n’a pas été réglé «par l’application de la section 1». S’agissant du
règlement de ces différends, l’article 287, intitulé «Choix de la procédure», autorise un Etat partie à
choisir, par voie de déclaration écrite, une ou plusieurs des juridictions suivantes (par. 1) : le
Tribunal international du droit de la mer, la Cour internationale de Justice, un tribunal arbitral
constitué en vertu de l’annexe VII de la convention ou un tribunal arbitral spécial constitué

conformément à l’annexe VIII. Si un Etat partie n’a pas fait de choix exprès, il est réputé avoir
accepté la procédure d’arbitrage prévue à l’annexe VII (art. 287, par. 3). Si les parties en litige
n’ont pas accepté la même procédure, le différend ne peut être soumis qu’à la procédure d’arbitrage
prévue à l’annexe VII (art. 287, par. 5).

124. L’article 288, paragraphe premier, dispose qu’ «[u]ne cour ou un tribunal visé à l’article
287 a compétence pour connaître de tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la

Convention qui lui est soumis conformément à la présente partie». La section 3 de la partie XV
énonce toutefois des limitations à l’application de la section 2 s’agissant de certains types de
différends (art. 297). Elle autorise en outre un Etat partie à déclarer par écrit qu’il n’accepte pas
une ou plusieurs des procédures prévues à la section 2 en ce qui concerne certaines catégories de
différends qui y sont énumérées (art. 298).

125. Les dispositions de la partie XV de la CNUDM régissant le règlement des différends ne

constituent pas un protocole facultatif, mais font partie intégrante de la convention. Cette
convention n’admettant pas les réserves (art. 309), tous les Etats parties sont assujettis à la - 42 -

partie XV. Toutefois, la convention laisse aux Etats parties une grande latitude dans le choix des
modes de règlement des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de ses dispositions.

La section 1 leur permet de convenir d’avoir recours soit à des procédures n’aboutissant pas à une
décision obligatoire (art. 280 et 281), soit à des procédures aboutissant à une décision obligatoire
(art. 282), et donne priorité à ces procédures convenues par rapport à celles prévues dans la
section 2. Le premier article de la section 2 de la partie XV, intitulé «Champ d’application de la
présente section» (art. 286), dispose qu’il ne peut être fait appel aux procédures visées dans la
section 2 que lorsqu’un différend n’a pas été réglé par l’application de la section 1. Partant, les
procédures prévues dans la section 2 viennent compléter la section 1 aux fins d’assurer l’intégrité

de la convention, en constituant une base pour le règlement obligatoire des différends (sous réserve
de la section 3), mais elles revêtent un caractère résiduel par rapport aux dispositions de la
section 1. En particulier, une procédure agréée par des Etats parties et entrant dans les prévisions
de l’article 282 s’applique «au lieu» de celles prévues dans la section 2 de la partie XV.

126. Tel est le contexte dans lequel il convient d’interpréter l’article 282, conformément au
droit régissant l’interprétation des traités (voir les paragraphes 63 et 64 ci-dessus). Si l’article 282

ne fait pas expressément référence à un accord tendant à reconnaître la juridiction de la Cour par la
voie de déclarations formulées en vertu de la clause facultative, il dispose toutefois que les Etats
parties peuvent convenir, non seulement dans le cadre d’un «accord général, régional ou bilatéral»
mais aussi «de toute autre manière», de soumettre un différend à une procédure donnée qui
s’appliquera au lieu de celles prévues dans la section 2 de la partie XV. Le sens ordinaire de
l’article 282 est suffisamment large pour couvrir un accord tendant à accepter la juridiction de la
Cour qui trouve son expression dans des déclarations en vertu de la clause facultative.

127. Les travaux préparatoires confirment cette interprétation. A un stade précoce des
négociations sur la CNUDM, certaines délégations avaient déjà relevé qu’une «disposition spéciale
p[ourrait] être nécessaire dans le cas où les parties à un différend s[eraient] soumises à la juridiction
de la Cour internationale de Justice tout en étant parties à la présente Convention» (Australie,
Belgique, Bolivie, Colombie, El Salvador, Etats-Unis d’Amérique, Luxembourg, Pays-Bas et
Singapour : document de travail sur le règlement des différends relatifs au droit de la mer,

27 août 1974, établi à l’issue de consultations informelles, doc. A/CONF.62/L.7). Les versions
préliminaires de la disposition qui deviendrait l’article 282 précisaient la relation entre les
procédures prévues par la CNUDM et les procédures aboutissant à une décision obligatoire dont les
parties à un différend pouvaient être convenues dans le cadre non seulement d’un accord général,
régional ou bilatéral, mais également de «quelque autre instrument» (voir, par exemple, le texte
unique de négociation officieux (quatrième partie), 6 mai 1976, doc. A/CONF.62/WP.9/Rev.1). Il
est clair que cette formulation couvre l’acceptation de la juridiction de la Cour en vertu du

paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Par la suite, les négociateurs ont remplacé l’expression «ou
de quelque autre instrument» par l’expression équivalente «ou de toute autre manière» (voir le
rapport du président du comité de rédaction à l’attention de la conférence plénière, 11 août 1981,
doc. A/CONF.62/L.75/Add.1, et le rapport sur les recommandations du comité de rédaction
présenté à la conférence plénière par le président du comité de rédaction au nom du président de la
conférence et du président de la Première Commission, 30 septembre 1981,
doc. A/CONF.62/L.82).

128. L’expression «ou de toute autre manière» figurant dans l’article 282 couvre par
conséquent l’accord sur la compétence de la Cour qui découle de déclarations faites en vertu de la
clause facultative. Le Kenya et la Somalie souscrivent l’un et l’autre à cette interprétation de - 43 -

l’article 282 et conviennent que, si deux Etats ont accepté, en vertu de la clause facultative, la
juridiction de la Cour à l’égard d’un différend relatif à l’interprétation ou à l’application de la

CNUDM, cet accord s’applique aux fins du règlement de ce différend au lieu des procédures visées
dans la section 2 de la partie XV. Il est tout aussi clair que, si une réserve à une déclaration faite en
vertu de la clause facultative excluait les différends ayant un objet particulier (par exemple ceux
qui concernent la délimitation maritime), il n’y aurait pas accord au sens de l’article 282 sur la
juridiction de la Cour, de sorte que tout différend en la matière relèverait des procédures prévues
dans la section 2 de la partie XV, sous réserve des limitations et exceptions résultant de
l’application de la section 3.

129. Dans la présente affaire, la Cour doit toutefois décider s’il convient d’interpréter
l’article 282 comme faisant entrer dans ses prévisions une déclaration en vertu de la clause
facultative comportant une réserve telle que celle formulée par le Kenya, c’est-à-dire rechercher si
les déclarations des Parties en l’espèce constituent un «accord» tendant à soumettre le différend à
une procédure aboutissant à une décision obligatoire telle que visée à l’article 282. Ainsi que la
Cour l’a déjà observé, il ressort clairement des travaux préparatoires de la CNUDM que les

négociateurs ont accordé une attention particulière aux déclarations en vertu de la clause facultative
lors de la rédaction de l’article 282, en veillant, par l’emploi du membre de phrase «ou de toute
autre manière», à ce que les accords tendant à reconnaître la juridiction de la Cour par la voie de
telles déclarations entrent dans les prévisions de cet article. Pendant la période durant laquelle s’est
tenue la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, entre 1973 et 1982, plus de
la moitié des déclarations alors en vigueur comportaient une réserve ayant un effet similaire à celui
de la réserve du Kenya, c’est-à-dire qu’elles excluaient de la compétence de la Cour les différends

pour lesquels les parties seraient convenues ou conviendraient de recourir à un autre mode de
règlement. En dépit de la fréquence de pareilles réserves et de l’inclusion, dans la disposition en
question, de l’expression «ou de toute autre manière» afin de prendre en compte un accord exprimé
par la voie de déclarations en vertu de la clause facultative, rien dans les travaux préparatoires ne
dénote une intention d’exclure des prévisions de l’article 282 la majorité de ces déclarations,
c’est-à-dire celles qui comportent de telles réserves. Aujourd’hui encore, plus de la moitié des
déclarations en vigueur contiennent une réserve de ce type.

130. L’article 282 doit donc être interprété de sorte qu’un accord tendant à reconnaître la
juridiction de la Cour par la voie de déclarations en vertu de la clause facultative entre dans les
prévisions de cet article et s’applique «au lieu» des procédures prévues dans la section 2 de la
partie XV, même lorsque ces déclarations comportent une réserve allant dans le même sens que
celle du Kenya. L’interprétation contraire signifierait que, en ratifiant un traité donnant priorité aux
procédures convenues résultant de déclarations faites en vertu de la clause facultative (par l’effet de

l’article 282 de la CNUDM), les Etats auraient obtenu précisément le résultat inverse, puisque
priorité serait alors donnée aux procédures prévues dans la section 2 de la partie XV. Par
conséquent, en application de l’article 282, les déclarations faites par les Parties en vertu de la
clause facultative constituent un accord conclu «de toute autre manière» en vue de régler les
différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la CNUDM dans le cadre d’une procédure
devant la Cour, laquelle procédure s’applique dès lors «au lieu» de celles prévues dans la section 2
de la partie XV.

131. Ainsi qu’il a déjà été relevé, l’acceptation de la juridiction de la Cour par le Kenya
s’étend à «tous les différends» (abstraction faite de réserves qui ne sont pas pertinentes en
l’espèce), à l’exception de ceux à l’égard desquels les Parties sont convenues d’avoir recours à un - 44 -

mode de règlement autre que la saisine de la Cour. Dans la présente affaire, la partie XV de la
CNUDM n’établit pas un tel autre mode de règlement (voir le paragraphe 130). En conséquence, le
présent différend ne se trouve pas exclu, du fait de la partie XV de la CNUDM, du champ de la
déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative.

132. En concluant à sa compétence, la Cour donne effet à l’intention reflétée dans la
déclaration du Kenya, puisqu’elle fait en sorte que le présent différend soit soumis à un mode de
règlement. A l’inverse, étant donné qu’une procédure convenue au sens de l’article 282 l’emporte
sur les procédures énoncées dans la section 2 de la partie XV, il n’est pas certain qu’il serait
satisfait à cette intention si elle se déclarait incompétente (voir également l’article 286 de la

CNUDM). A cet égard, la Cour garde à l’esprit l’observation formulée par sa devancière selon
laquelle

«la Cour, amenée à délimiter sa propre compétence par rapport à celle d’une autre
juridiction, ne peut faire fléchir la sienne que vis-à-vis d’un texte qui, de son propre
avis, soit suffisamment précis pour exclure la possibilité d’un conflit négatif de

compétences entraînaot le danger d’un déni de juotice» (Usine de Chorzów,
compétence, arrêt n 8, 1927, C.P.J.I. série A n 9, p. 30).

133. Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, la Cour conclut que «la force des
raisons militant en faveur de sa compétence est prépondérante» (voir le paragraphe 116 ci-dessus)

et que la présente affaire ne se trouve pas exclue, du fait de la partie XV, du champ de l’acceptation
de sa juridiction par les Parties.

C. Conclusion

134. Etant d’avis que ni le mémorandum d’accord ni la partie XV de la CNUDM n’entrent
dans le champ de la réserve à la déclaration formulée par le Kenya en vertu de la clause facultative,
la Cour conclut que l’exception préliminaire à sa compétence soulevée par cet Etat doit être rejetée.

III. ECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA RECEVABILITÉ

DE LA REQUÊTE DE LA SOMALIE

135. La Cour se penchera à présent sur l’exception préliminaire d’irrecevabilité soulevée par
le Kenya.

136. A l’appui de son argument relatif à l’irrecevabilité de la requête, le Kenya avance deux

arguments.

137. Tout d’abord, le Kenya soutient que la requête est irrecevable au motif que les Parties
sont convenues dans le mémorandum de délimiter la frontière contestée par voie de négociation, et
de ne le faire qu’une fois achevé l’examen par la Commission des limites de leurs demandes

respectives. - 45 -

138. La Cour a rejeté plus haut la thèse du Kenya selon laquelle le mémorandum contient un

accord en vue de régler le différend des Parties relatif à leur frontière maritime par la négociation,
et seulement après la conclusion des travaux de la Commission (voir les paragraphes 98 et 106
ci-dessus). Ayant ainsi écarté le postulat sur lequel reposait le moyen d’irrecevabilité à l’examen,
la Cour doit également rejeter cet aspect de la seconde exception préliminaire du Kenya.

139. Ensuite, le Kenya expose que la requête est irrecevable au motif que la Somalie a violé
le mémorandum d’accord en objectant à l’examen de la demande kényane par la Commission des

limites, pour ne redonner son consentement qu’immédiatement avant le dépôt de son mémoire.
Selon lui, le retrait de ce consentement, qui constituait de la part de la Somalie un manquement aux
obligations lui incombant au titre du mémorandum d’accord, a occasionné des frais et des retards
importants. Le Kenya soutient également que la partie «qui demande justice à la Cour doit avoir
les «mains propres»» et que tel n’est pas le cas de la Somalie. Il prétend que la requête de la
Somalie est en conséquence irrecevable.

140. La Somalie répond à cela que, «même si elle avait violé [le mémorandum] — ce qui
n’est pas le cas , cela ne l’empêcherait pas de se prévaloir des droits totalement distincts qui sont
les siens au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut». Elle ajoute avoir levé son objection à
l’examen de la demande du Kenya, dont «la Commission est maintenant saisie et dont l’examen n’a
pas été sensiblement retardé». La Somalie soutient en outre que la «doctrine des «mains sales»»
n’a jamais été reconnue par la Cour, dont «la jurisprudence … confirme que les accusations de
mauvaise foi du type de celles qui sont portées [à son encontre] ne sauraient faire obstacle à la

recevabilité d’une requête».

141. La Cour rappelle que, dans une lettre au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies datée du 10 octobre 2009, qui a été transmise à celui-ci sous le couvert d’une lettre
en date du 2 mars 2010, la Somalie a demandé que le mémorandum d’accord soit considéré comme
«non opposable» (voir le paragraphe 18 ci-dessus). Dans une lettre datée du 4 février 2014, elle a

objecté à l’examen, par la Commission des limites, de la demande du Kenya. Elle a levé cette
objection par une lettre datée du 7 juillet 2015 (voir les paragraphes 19 et 26 ci-dessus).

142. La Cour observe que le fait qu’un demandeur puisse avoir violé un traité en cause dans
une affaire n’affecte pas en soi la recevabilité de sa requête. Elle relève au surplus que la Somalie
n’invoque le mémorandum d’accord ni en tant qu’instrument lui conférant compétence, ni en tant
que source de droit matériel régissant au fond la présente espèce.

Partant, l’objection de la Somalie à l’examen de la demande du Kenya par la Commission
des limites ne rend pas la requête irrecevable.

143. Dans les circonstances de la présente espèce, point n’est besoin pour la Cour de se
pencher sur la question plus générale de savoir s’il est des situations dans lesquelles le
comportement d’un demandeur serait d’une nature telle qu’il rendrait la requête de ce dernier
irrecevable. - 46 -

144. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’exception préliminaire à la
recevabilité de la requête de la Somalie doit être rejetée.

*

* *

145. Par ces motifs,

LA COUR ,

1) a) Par treize voix contre trois,

Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République du Kenya en tant
qu’elle est fondée sur le mémorandum d’accord du 7 avril 2009 ;

POUR : M. Abraham, président; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ;

CONTRE : MM. Bennouna, Robinson, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;

b) Par quinze voix contre une,

Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République du Kenya en tant

qu’elle est fondée sur la partie XV de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,

Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ; M. Guillaume, juge
ad hoc ;

CONTRE : M. Robinson, juge ;

2) Par quinze voix contre une,

Rejette la seconde exception préliminaire soulevée par la République du Kenya ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ; M. Guillaume, juge
ad hoc ;

CONTRE : M. Robinson, juge ; - 47 -

3) Par treize voix contre trois,

Dit qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par la République fédérale de
Somalie le 28 août 2014 et que ladite requête est recevable.

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
MM. Bhandari, Crawford, Gevorgian, juges ;

CONTRE : MM. Bennouna, Robinson, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc.

Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye,

le deux février deux mille dix-sept, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la
Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République fédérale de
Somalie et au Gouvernement de la République du Kenya.

Le président,
(Signé) Ronny A BRAHAM .

Le greffier,
(Signé) Philippe C OUVREUR .

M. le juge YUSUF , vice-président, joint une déclaration à l’arrêt ; M. lENNOUNAB joint
à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges GAJA et CRAWFORD joignent une
déclaration commune à l’arrêt ; M. le juge R OBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son opinion
dissidente ; M. le juge ad hocUILLAUME joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.

(Paraphé) R. A.

(Paraphé) Ph. C.

___________

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Exceptions préliminaires

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Document Long Title

Arrêt du 2 février 2017

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