Observations écrites du Kenya sur la réponse écrite du Gouvernement somalien aux questions posées par M. le juge Crawford à l'audience publique tenue dans la matinée du 23 septembre 2016

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Note verbale KEH/LEG/5A/VOL.II (81) en date du 30 septembre 2016

adressée au greffier par l’ambassade du Kenya

[Traduction]

L’ambassade de la République du Kenya au Royaume des Pays-Bas présente ses
compliments au greffier de la Cour internationale de Justice et a l’honneur de lui faire tenir ci-joint
copie d’une lettre (réf. AG/CONF/19/153/2 VOL. IV) datée du 29 septembre 2016 par laquelle
l’agent de la République du Kenya transmet les observations du Gouvernement kényan sur la

réponse écrite de la République fédérale de Somalie en date du 27 septembre 2016.

L’original de cette lettre sera transmis dès qu’il aura été reçu par les voies diplomatiques
ordinaires.

L’ambassade de la République du Kenya au Royaume des Pays-Bas saisit cette occasion
pour renouveler au greffier de la Cour internationale de Justice les assurances de sa très haute
considération.

___________ Lettre AG/CONF/19/153/2 vol. IV en date du 29 septembre 2016 adressée au greffier
par l’agent de la République du Kenya

[Traduction]

Au sujet de l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie
c. Kenya), la République du Kenya a l’honneur de vous communiquer ci-après ses observations sur
la réponse écrite de la République fédérale de Somalie, en date du 27 septembre 2016, aux deux
questions que M. le juge Crawford a posées aux Parties à l’issue du deuxième tour de plaidoiries,

le 23 septembre 2016, lors des audiences consacrées aux exceptions préliminaires soulevées par le
Kenya.

En ce qui concerne la première question posée par le juge Crawford, les Parties s’accordent à
considérer que les deux réunions tenues en 2014 au niveau technique ont porté sur toutes les zones
maritimes en litige et qu’elles ont eu lieu dans la perspective de fixer à terme une frontière unique

délimitant entre les deux Etats la mer1territoriale, la ZEE et le plateau continental en deçà et au-delà
de la limite de 200 milles marins . Cela confirme l’entente entre les Parties consignée à
l’avant-dernier paragraphe du mémorandum d’accord, qui prévoit qu’après que la Commission des
limites du plateau continental aura émis ses recommandations, sera conclu «un accord entre les
deux Etats» sur toutes les «frontières maritimes dans la zone en litige», et non pas seulement sur la

délimita2ion entre eux du plateau continental au-delà de 200 milles marins comme le prétend la
Somalie . L’engagement de négocier pris en vertu du mémorandum d’accord vise donc la fixation
d’une frontière maritime unique départageant toutes les zones en litige, si bien que la réserve du
Kenya s’applique aux articles 15, 74 et 83 de la CNUDM, nonobstant leurs dispositions renvoyant
aux procédures prévues à la partie XV.

Les Parties ne sont pas d’accord sur la réponse à donner à la seconde question posée par le
juge Crawford. En résumé, la position fondamentale du Kenya sur le mémorandum d’accord est
que : a) il prévoit l’obligation d’établir la délimitation par un accord négocié ; b) il prévoit
l’obligation de finaliser la frontière convenue après que la Commission des limites du plateau

continental aura émis ses recommandations ; c) il n’exclut pas la conclusion d’accords temporaires
ou d’«arrangements provisoires de caractère pratique» conformément au paragraphe 3 de
l’article 74 et au paragraphe 3 de l’article 83 de la CNUDM ; et d) si une Partie renonce
expressément aux droits qu’elle tient du mémorandum d’accord, ou si les Parties s’entendent
expressément sur une procédure différente de règlement du différend, il en résulte que toute

disposition du mémorandum incompatible avec cette renonciation ou cette entente est amendée.
Rien, dans la manière dont se sont déroulées les deux réunions de 2014, n’est incompatible avec le
mémorandum d’accord, et il ne s’y est rien produit qui impliquât une quelconque renonciation ou
dérogation à ses clauses.

La communication écrite de la Somalie n’apporte aucune réponse satisfaisante à la question
du juge Crawford, et ne réfute pas non plus la position fondamentale du Kenya.

Le Kenya relève en premier lieu que la Somalie a répété certains de ses arguments alors
qu’ils sont totalement dénués de pertinence en tant que réponses aux questions du juge Crawford

ou aux exceptions préliminaires soulevées par le Kenya. En particulier, elle souligne, une fois
encore, que même dans «l’hypothèse où le texte du mémorandum pourrait bel et bien … créer une
obligation de négocier un règlement concerté … après seulement que la Commission des limites
aurait présenté ses recommandations finales», les deux réunions tenues en 2014 au niveau
technique pourraient «satisfaire à toute obligation de négociation qui … aurait ainsi été imposée

1
Réponse de la Somalie en date du 27 septembre 2016 aux questions posées par le juge Crawford, par. 3.
2Voir par exemple EPK, par. 53 ; CR 2016/10, p. 19-20, par. 15-16 (Akhavan) ; p. 33, par. 3 et p. 39, par. 18
(Forteau) ; p. 63, par. 16 (Lowe). - 2 -

[aux Parties]», et que, «[à] l’issue de ces négociations, le mémorandum d’accord ne pouvait donc
plus être invoqué pour exclure d’autres modes de règlement du différend frontalier, dont le recours
à la Cour» . 3 Cette assertion n’est en rien pertinente parce que : a) la seconde question du

juge Crawford porte uniquement sur l’obligation d’attendre que la Commission des limites du
plateau continental ait émis ses recommandations et ne concerne pas l’obligation distincte de
négocier ; et, b) la Somalie continue de ne pas tenir compte du fait que l’engagement de négocier

pris en vertu du mémorandum d’accord, même s’il n’était pas assorti de l’obligation
supplémentaire d’attendre que la Commission achève l’examen des deux demandes, resterait
pleinement dans le champ d’application de la réserve du Kenya en ce qu’il constitue un autre mode
4
de règlement, ce qui exclurait la juridiction de la Cour .

Deuxièmement, l’assertion de la Somalie selon laquelle la position du Kenya sur l’obligation
5
de négocier en application du mémorandum d’accord aurait «évolué» est totalement infondée.
Dans ses écritures et ses plaidoiries comme dans sa réponse à la seconde question du juge

Crawford, le Kenya a clairement et constamment soutenu : a) que le mémorandum d’accord prévoit
l’obligation de finaliser un accord, et ce seulement après que la Commission des limites du plateau
continental aura émis ses recommandations ; b) que, conformément à la procédure convenue en

vertu du mémorandum, les Parties peuvent évidemment négocier avant que la Commission n’ait
rendu ses recommandations, et même conclure des accords provisoires portant sur une partie ou la
totalité des zones maritimes en litige, accords qui seront ensuite finalisés une fois connues les
7
recommandations de la Commission ; et, c) que les Parties sont manifestement libres de convenir
par consentement mutuel d’une autre procédure, mais que sans un tel accord ultérieur, elles restent
dans l’obligation de se conformer à la procédure prévue par le mémorandum . 8

Troisièmement, l’assertion que la Somalie persiste à avancer, selon laquelle des échanges
«intenses» auraient épuisé le potentiel de négociation après deux réunions tenues au niveau
9
technique , lors desquelles a eu lieu un échange de vues préliminaire, est à la fois dénuée de
pertinence dans une réponse aux questions du juge Crawford et totalement contredite par les
éléments de preuve soumis à la Cour . 10 En fait, l’assertion de la Somalie selon laquelle la

deuxième réunion tenue au niveau technique aurait consisté en «d’âpres discussions [se déroulant]
sans [qu’on] aper[çût] la moindre solution» et selon laquelle également la ministre kényane des
affaires étrangères aurait admis que les positions des Parties étaient si «éloignées» qu’il n’y aurait
11
ensuite qu’une seule tentative «finale» de parvenir à une solution amiable est fondée uniquement
sur sa «note» interne, rédigée en anglais (et donc destinée à l’usage d’anglophones) plutôt qu’en
somali quelques jours seulement avant le dépôt de sa requête. Le Kenya a contesté l’exactitude et
12
la crédibilité de ce document , qui contredit absolument le compte rendu conjoint de la deuxième
réunion technique des 28 et 29 juillet 2014  document considéré par les Parties comme

«rend[ant] compte de manière exacte» des discussions , selon lequel «les deux Parties [étaient]
convenues de suspendre la réunion et d’en convoquer une nouvelle devant se tenir les 25

3 Réponse de la Somalie, par. 7.

4 Voir par exemple CR 2016/10, p. 20-21, par. 17 et 22 (Akhavan) et CR 2016/12, p. 10-11, par. 44 (Akhavan).
5
Réponse de la Somalie, par. 6.
6 EPK, par. 31, 46, 69, 73, 116 et 146. CR 2016/10, p. 15, par. 10 (agent) ; p. 20-21, par. 18 (Akhavan), p. 64,

par. 17 (Lowe) ; EPK, annexe 1, mémorandum d’accord entre le Kenya et la Somalie, RTNU, vol. 2599, p. 35 (2009).
7 Par exemple, lors de la première réunion technique de 2014, les Parties se sont entendues sur le «point de
départ» de la frontière maritime (voir MS, par. 3.50 et annexe 31, par. 3-4.

8 CR 2016/12, p. 13, par. 7 (Akhavan).

9 Réponse de la Somalie, par. 2, 4 et 6.
10
EPK, par. 98-102 et 109 ; CR 2016/10, p. 46-49, par. 4-11 (Muchiri).
11Réponse de la Somalie, par. 4.

12EES, annexe 4. - 3 -

et 26 août 2014 à Mogadiscio (Somalie) afin de poursuivre les discussions sur ces questions et de
[combler le fossé entre leurs positions]» . La formule «combler le fossé entre leurs positions» a en
14
fait été introduite dans le texte du compte rendu conjoint sur proposition de la Somalie . De plus,
à supposer même que l’on admette l’assertion fort peu plausible de la Somalie selon laquelle le15

fait que la délégation kényane n’ait pas pu se rendre à Mogadiscio en raison d’inquiétudes
concernant sa sécurité aurait brutalement épuisé toute possibilité de négociation, cela ne changerait
absolument rien au fait que la procédure convenue en vertu du mémorandum d’accord relève

incontestablement de la réserve émise par le Kenya, ce qui exclut la juridiction de la Cour.

16
Quatrièmement, la Somalie expose ce qu’elle estime être le droit applicable à la
modification des traités et à la renonciation à des droits, mais, d’une part, néglige de mentionner
que selon la jurisprudence de la Cour, toute renonciation à un droit doit être expresse et, d’autre 17

part, n’établit nullement que la doctrine de la renonciation peut être appliquée aux faits de la
présente affaire . En particulier, la Somalie ne tient aucun compte de faits incontestés : a) elle a

renié unilatéralement le mémorandum d’accord et l’a déclaré «nul et non avenu», ce qui signifie
que pour elle, il n’existe pas en tant que traité, si bien qu’il n’y aurait pas eu de traité susceptible
19
d’être amendé par renonciation ; b) elle a ensuite élevé une objection à l’examen de la demande
soumise par le Kenya à la Commission des limites du plateau continental, en violation du
mémorandum d’accord ; et, c) elle a refusé catégoriquement de même aborder la question du

mémorandum lors de la première réunion tenue au niveau technique, qui avait été convoquée à
l’initiative du Kenya . Etant donné ces circonstances, on voit mal comment il pourrait être affirmé

plausiblement que la Somalie a vu dans l’initiative de négociations prise par le Kenya la
manifestation d’un comportement qu’elle a pu assimiler à une renonciation expresse (ou même
seulement implicite) au droit de celui-ci d’attendre les recommandations de la Commission des
22
limites et, a fortiori, à une renonciation à son droit de recourir à un règlement négocié plutôt que

13
CR 2016/10, p. 50, par. 17 (Muchiri).
14 MS, annexe 32.

15 Mémorandum en date du 15 août 2014 adressé à la ministre kényane des affaires étrangères et du commerce
international par le directeur de la division de la Corne de l’Afrique (document communiqué à la Cour le 14 juin 2016).

16 Réponse de la Somalie, par. 9-10.

17 Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1957, p. 9-26
(«[l]’abandon ne saurait être présumé ni déduit ; il doit être déclaré expressément») ; Activités militaires et paramilitaires
au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 14-33, par. 45

(«à défaut de renonciation expresse la réserve limite l’étendue de la juridiction volontairement acceptée par les
Etats-Unis»), Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 240-247, par. 13 («il … suffit [à la Cour] de constater qu’en fait ces autorités n’ont jamais renoncé
à leurs prétentions de manière claire et non équivoque») ; Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 161-266, par. 293 («toute renonciation à des
prétentions ou à des droits doit ou bien être expresse, ou bien pouvoir être déduite sans équivoque du comportement de
l’Etat qui aurait renoncé à son droit», citant doc. A/56/10, rapport de la CDI (2001), p. 308, «[s’]il est possible d’inférer

une renonciation du comportement des Etats concernés ou d’une déclaration unilatérale, ce comportement ou cette
déclaration doivent être sans équivoque». La jurisprudence arbitrale est concordante : Affaire Campbell (Royaume-Uni
c. Portugal) (1931), RSA, vol. II, p. 1156 , («il est de principe, admis par le droit de tous les pays, que les renonciations
ne se présument jamais et que, constituant des abandons d’un droit, d’une faculté ou même d’une espérance, sont toujours
de stricte interprétation») ; The «Kronprins Gustaf Adolf » (Suède, Etats-Unis d’Amérique) (1932) RSA, vol. II, p. 1299
(«la renonciation à un droit ou à une prétention ne saurait être présumée. Elle doit être attestée par des preuves

concluantes») [traduction du Greffe].
18 EPK, par. 72, 99-100, 104 et annexe 37 ; par. 109, 116 et annexe 13 ; par. 119-122 et MS, annexe 50 ;

par. 124-125 et annexe 44.
19MS, annexes 24 et 41.

20Ibid., annexes 41 et 42.

21EPK, par. 100 ; MS, annexe 24.
22
Réponse de la Somalie, par. 11. - 4 -

judiciaire . Il est également difficile de comprendre comment la Somalie a pu aller jusqu’à

insinuer q24 le Kenya aurait dû «réserver» explicitement ses droits au titre du mémorandum
d’accord , alors que les négociations ne faisaient que débuter et qu’aucun accord susceptible
d’avoir une incidence sur la délimitation maritime n’était en vue et que, de surcroît, la Somalie

avait refusé catégoriquement de même aborder la question du rejet et de la violation par elle du
mémorandum lors des réunions techniques tenues en 2014. La Somalie ne saurait maintenant se
prévaloir de son comportement illicite (ex turpi causa non oritur actio) . 25

De plus, les éléments de preuve soumis à la Cour montrent clairement que le Kenya n’a
jamais, expressément ou implicitement, donné à entendre que les procédures convenues en vertu du
mémorandum d’accord avaient cessé d’être valides ou applicables ou que le mémorandum avait été
autrement modifié. Il a engagé de bonne foi une démarche qui avait pour but, en favorisant

l’instauration d’un climat de confiance entre les deux Etats, d’amener la Somalie à se conformer au
mémorandum en levant son objection à l’examen de sa demande par la Commission des limites du
plateau continental et à revenir sur la position qu’elle avait exprimée en juin 2013 par son refus de
26
négocier avec lui au sujet de la délimitation de la frontière maritime . Contrairement à ce que
prétend la Somalie, le Kenya a clairement et constamment insisté pour qu’elle se conforme au
mémorandum d’accord, notamment en remplissant son obligation de «non-objection»  et y a fait

expressément r27érence en maintes occasions, y compris dans ses communications avec la
Commission et dans le communiqué de presse conjoint en date du 31 mai 2013 des ministres
kényan et somalien des affaires étrangères 28 relatifs à une rencontre où il avait été question de

mettre sur pied un mécanisme en vue du règlement négocié du différend relatif29 la frontière
maritime conformément à l’avant-dernier paragraphe du mémorandum .

Cinquièmement, et c’est là le point le plus important, le Kenya n’avait aucune raison de

«réserver» sa position sur le mémorandum d’accord. Sa position est que le mémorandum constitue
un accord prévoyant que la frontière maritime sera fixée par un accord négocié, et non par la voie
judiciaire. Les réunions de 2014 étaient des négociations. Le mémorandum dispose ce qui suit :

«[l]a délimitation des frontières maritimes dans la zone en litige, y compris la
délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, fera l’objet d’un
accord entre les deux Etats côtiers sur la base du droit international après que la
Commission aura achevé l’examen des communications séparées effectuées par

chacun des deux Etats côtiers et formulé ses recommandations aux deux Etats côtiers
concernant l’établissement des limites extérieures du plateau continental au-delà
de 200 milles marins.»

Rien n’interdit de conclure des arrangements ou accords particuliers avant que ce stade ne soit
atteint. Les négociations de 2014 étaient conformes à l’engagement pris de procéder à la
délimitation des zones en litige par la voie d’un accord ; emprunter la voie judiciaire ne l’est pas.

Veuillez agréer, etc.

___________

23Pour la même raison, l’argument de la Somalie selon lequel le mémorandum d’accord aurait été en quelque
sorte «amendé» par consentement mutuel (par. 11 de sa réponse) est dénué de fondement. En effet, pareil amendement
doit être exprès, de même d’ailleurs qu’une renonciation.

24Réponse de la Somalie, par. 12.
25
[Note de bas de page illisible.]
26[Note de bas de page illisible.]

27Voir par exemple EPK, par. 116 et annexe 43.
28
EPK, par. 88 et annexes 31 et 32.
29CR 2016/12, p. 13, par. 8 (Akhavan), citant MS, annexe 61.

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Observations écrites du Kenya sur la réponse écrite du Gouvernement somalien aux questions posées par M. le juge Crawford à l'audience publique tenue dans la matinée du 23 septembre 2016

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