Observations écrites de la Somalie sur la réponse écrite du Gouvernement kényan aux questions posées par M. le juge Crawford à l'audience publique tenue dans la matinée du 23 septembre 2016

Document Number
19240
Document Type
Date of the Document
Document File
Document

Note: Cette traduction a été préparée par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Lettre en date du 29 septembre 2016 adressée au greffier
par l’agent adjoint de la République fédérale de Somalie
[Traduction]
J’ai l’honneur de me référer à l’affaire relative à la Délimitation maritime dans
l’océan Indien (Somalie c. Kenya) et, en particulier, aux questions que M. le juge Crawford a
posées aux Parties à la fin de l’audience publique du 23 septembre 2016 ainsi qu’à la réponse du
Kenya à ces questions, qui porte la date du 26 septembre 2016.
Conformément aux instructions du président, j’ai l’honneur de vous communiquer ci-joint le
texte des observations de la Somalie sur la réponse du Kenya aux questions de
M. le juge Crawford.
Veuillez agréer, etc.
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
SOMALIE C. KENYA
AUDIENCES CONSACRÉES AUX EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LE KENYA
Observations de la République fédérale de Somalie sur la réponse de la République du Kenya
aux questions posées par M. le juge Crawford le vendredi 23 septembre 2016
29 septembre 2016
[Traduction]
I. L’interprétation du mémorandum d’accord
1. Dans sa réponse aux questions du juge Crawford, le Kenya fait une nouvelle concession
importante, à savoir que le mémorandum d’accord n’empêche pas les Parties de délimiter leur
frontière maritime avant que la Commission des limites du plateau continental (ci-après la
«Commission des limites» ou la «Commission») ait formulé ses recommandations sur le tracé de la
limite du plateau continental étendu. Il déclare en particulier que cet instrument «n’interdit
évidemment pas aux Parties de conclure en attendant un ou plusieurs accords provisoires» sur la
délimitation, accords qu’elles pourraient «soit confirmer … soit décider de … modifier» par la
suite, une fois connues les recommandations de la Commission1.
2. Ces déclarations vont directement à l’encontre de la position antérieure du Kenya2, qui
plaide à présent que le mémorandum permet aux Parties de conclure des «accords provisoires
couvrant … la totalité des zones maritimes en litige»3.
3. Avec cette nouvelle position, le Kenya contredit complètement ce qu’il soutenait dans ses
exceptions préliminaires, à savoir qu’une «méthode de règlement en deux temps [avait été]
convenue» dans le mémorandum, laquelle n’autorisait la conclusion d’un accord sur la délimitation
d’une quelconque partie de la frontière «qu’après l’examen de la Commission des limites»4.
4. Le Kenya concède également que les discussions bilatérales de 2014 constituaient de
véritables négociations, alors qu’il arguait auparavant qu’elles ne pouvaient même pas être
considérées comme telles, et il laisse entendre qu’elles auraient pu aboutir à un accord permanent à
l’égard de l’un ou de plusieurs des espaces maritimes en litige avant l’examen de la Commission.
Selon ses dernières déclarations,
«il était tout à fait possible de parvenir à des accords, considérés ou non comme des
éléments permanents du régime frontalier à instaurer entre le Kenya et la Somalie, qui
auraient couvert initialement une ou plusieurs zones maritimes …, ce qui aurait été le
prélude à la conclusion d’un accord final exhaustif»5.
1 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 2 et 5.
2 Voir CR 2016/12, p. 24, par. 27 (Forteau) («l’accord à conclure doit intervenir après les recommandations de la
Commission des limites»).
3 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 2 (les
italiques sont de nous).
4 EPK, par. 146 (les italiques sont de nous).
5 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 5 (les
italiques sont de nous).
- 2 -
5. Ainsi, à rebours de sa position antérieure selon laquelle le mémorandum empêchait les
Parties de délimiter une quelconque portion de leur frontière maritime avant de connaître le tracé
préconisé par la Commission, le Kenya admet à présent, de fait, qu’une délimitation était possible à
la fois sur le plan juridique et sur le plan pratique. Tentant une dernière fois d’empêcher la Cour
d’examiner la requête de la Somalie, il affirme toutefois que, si les Parties pouvaient conclure «en
attendant» un accord «provisoire» sur la totalité de la frontière maritime, le texte du mémorandum
les empêchait de «finaliser» un tel accord jusqu’à ce que la Commission ait formulé ses
recommandations sur le tracé de la limite extérieure du plateau continental. Cette distinction tombe
néanmoins immédiatement à l’eau lorsqu’il ajoute que, «même si les Parties convenaient par
consentement mutuel de conclure un accord final avant que la Commission des limites du plateau
continental n’émette ses recommandations, cet instrument constituerait un accord ultérieur
remplaçant l[a] procédur[e] convenu[e] en vertu du mémorandum»6.
6. En évolution constante, la thèse du Kenya est un tissu de contradictions. A l’heure
actuelle, elle semble être la suivante :
a) le mémorandum n’empêche pas les Parties de conclure «en attendant» un accord sur la
délimitation, lequel peut avoir vocation temporaire ou permanente et porter sur certains voire la
totalité des espaces maritimes en litige ;
b) même si les Parties peuvent conclure «en attendant» un accord à vocation permanente sur la
délimitation de la totalité de la frontière maritime, le mémorandum les empêche de «finaliser»
un tel accord concernant la délimitation d’une quelconque partie de la frontière jusqu’à ce que
la Commission ait formulé ses recommandations ;
c) si le mémorandum établit une restriction «juridiquement contraignant[e]»7 empêchant les
Parties de finaliser un accord sur la délimitation, celles-ci peuvent toutefois lever cette
restriction par consentement mutuel.
7. Les fluctuations incessantes et les contradictions de l’interprétation kényane du
mémorandum trahissent le caractère incohérent de ses exceptions à la compétence de la Cour. Une
fois mises en lumière les failles de sa thèse, tant sur le plan du droit qu’au regard des éléments de
preuve, le Kenya a été contraint de faire des interprétations toujours plus contournées du
mémorandum et des récits, toujours plus laborieux des négociations bilatérales qui ont eu lieu
en 2014.
II. La nature et la portée des négociations de 2014
8. Le Kenya reconnaît que les négociations de 2014 «ont porté sur toutes les zones
maritimes, à savoir la mer territoriale, la ZEE et le plateau continental en deçà et au-delà de la
limite des 200 milles marins»8. Les Parties conviennent donc que les négociations portaient sur la
totalité des espaces maritimes en litige, depuis le point terminal de leur frontière terrestre jusqu’à la
limite extérieure du plateau continental. Dès lors, il n’y a pas de différend entre elles s’agissant de
la réponse à la première question du juge Crawford.
9. Cherchant toutefois à amoindrir l’importance de ces négociations, le Kenya soutient que
celles-ci «ont eu un caractère très général» et qu’il avait demandé «un peu de temps pour pouvoir
présenter convenablement sa position»9. Il fait également grief à la Somalie de ne pas s’être
6 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 6.
7 Ibid., p. 7.
8 Ibid., p. 4 (les italiques sont de nous).
9 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya.
- 3 -
engagée dans ces négociations de bonne foi, mais sans expliquer ce qui motive une telle
déclaration10. Ce sont là de simples affirmations, dénuées de tout fondement et contredites par les
éléments de preuve documentaires qui ont été produits devant la Cour.
10. Comme la Somalie l’a déjà dit, les comptes rendus de ces négociations de fond détaillées
qui ont été dressés à l’époque, en 2014, contredisent le tableau brossé par le Kenya11. Le compte
rendu conjoint du premier cycle de négociations bilatérales tenues les 26 et 27 mars 2014 montre
clairement qu’ont participé à cette «réunion sur la frontière maritime» pas moins de
16 représentants du Gouvernement kényan, dont l’ambassadeur du Kenya auprès de la Somalie, le
Solicitor General adjoint, le conseiller juridique auprès du président kényan et un certain nombre
de hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères, ainsi que des membres du groupe de
travail chargé de l’établissement de la limite extérieure du plateau continental et des opérations de
levé du Kenya12.
11. En outre, l’objectif exprès des négociations était de permettre aux Parties de «parven[ir]
à un consensus sur une ligne frontière maritime qui soit acceptable pour l’un[e] et l’autre»13.
A cette fin, «[l]es deux délégations ont entamé les négociations en se concentrant sur a) l’abandon
par le Kenya … de la méthode de l’équidistance adoptée [dans sa législation] ; b) le point de départ
à retenir pour délimiter la frontière maritime ; c) la ligne et les points de base ; d) le tracé proposé
pour la frontière maritime»14. Elles se sont engagées dans «une discussion approfondie sur les
principes de droit international, notamment ceux de l’équidistance, de l’équité et de la bonne foi»,
et ont «négocié pendant deux jours consécutifs»15.
12. Au cours de ces négociations, le Kenya a fait une présentation multimédia circonstanciée
intitulée «Exposé, à l’intention de la Somalie, des moyens et des raisons [l’]ayant conduit … à
opter pour une frontière suivant un parallèle»16. Cet exposé comprenait des arguments détaillés sur
a) l’application à la frontière maritime des Parties des articles 15, 74 et 83 de la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer17 ; b) les raisons pour lesquelles la concavité de la côte de
l’Afrique de l’Est constituait une «circonstance spéciale» justifiant de ne pas avoir recours à une
ligne d’équidistance18 ; c) la méthode et les éléments de fait retenus pour calculer la longueur des
côtes pertinentes19 ; d) un «calcul permettant d’aboutir à un partage équitable» qui revêtait un
caractère détaillé, avec une estimation précise de la longueur des côtes pertinentes20, le rapport
entre les longueurs des côtes pertinentes21, la «zone à partager»22, une proposition de «partage
10 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 6.
11 Voir EES, par. 2.31-2.73 et 3.34-3.47 ; CR 2016/11, p. 41-50, par. 26-53 (Reichler) ; CR 2016/13, p. 23-29,
par. 10-24 (Reichler).
12 Compte rendu de la réunion sur la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie tenue les 26 et 27 mars 2014,
établi conjointement par les Gouvernements kényan et somalien (1er avril 2014), annexe 1, MS, vol. III, annexe 31.
13 Ibid., p. 6.
14 Compte rendu de la réunion sur le différend relatif à la frontière maritime tenue les 26 et 27 mars 2014 à
Nairobi (Kenya) entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya, établi par la République fédérale de
Somalie (1er avril 2014), p. 4, MS, vol. III, annexe 24.
15 Ibid.
16 Compte rendu de la réunion sur la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie tenue les 26 et 27 mars 2014,
établi conjointement par les Gouvernements kényan et somalien (1er avril 2014), annexe 3, diapositive no 1, MS, vol. III,
annexe 31.
17 Ibid., diapositive no 3.
18 Ibid., diapositive no 4.
19 Ibid., diapositive no 6.
20 Ibid., diapositive no 8. Selon la présentation kényane, la côte pertinente du Kenya mesure 430 km et celle de la
Somalie, 1920 km.
21 Ibid. Selon la présentation kényane, ce rapport est de 1 à 4,47.
22 Ibid. Selon la présentation kényane, la superficie de la «zone à partager» est de 805 020 km2.
- 4 -
proportionné»23, le rapport entre les espaces maritimes respectivement attribués à chaque Partie
dans le cadre d’un tel partage24 et, enfin, e) un exposé approfondi «des raisons pour lesquelles une
application stricte de la méthode de la ligne médiane n’[était] pas une solution pour le Kenya»25.
13. Les «intenses discussions»26 qui ont eu lieu en juillet 2014 lors du second cycle de
négociations, en présence des ministres des affaires étrangères des deux Etats, furent tout aussi
approfondies. Ainsi qu’observé par le Kenya dans ses exceptions préliminaires, la Somalie «a tiré
parti de la réunion pour avancer une argumentation détaillée présentant l’équidistance comme seule
solution possible au différend relatif à la frontière maritime»27. A cet effet, la Somalie s’est référée
à la jurisprudence de la Cour, à celle du Tribunal international du droit de la mer ainsi qu’à des
arbitrages de juridictions ad hoc en matière de délimitation maritime, en présentant des graphiques
pour montrer la valeur des solutions respectivement préconisées par les Parties28.
14. En réponse, la délégation kényane a fait une présentation circonstanciée, revenant
notamment sur la jurisprudence en matière de délimitation maritime, la procédure à suivre pour
définir la côte pertinente, l’effet de la concavité de la côte de l’Afrique de l’Est et les raisons pour
lesquelles, de son point de vue, l’adoption d’un parallèle comme frontière était une solution
équitable29.
15. Ces deux présentations ont été suivies d’«âpres discussions» sur les fondements factuels
et juridiques invoqués à l’appui des revendications respectives des Parties30.
16. En conséquence, l’argument du Kenya relatif au «caractère très général» des
négociations n’est pas étayé par les éléments de preuve et ne tient pas.
17. En outre, la déclaration du Kenya selon laquelle celui-ci aurait demandé «un peu de
temps pour pouvoir présenter convenablement sa position»31 est fallacieuse. Le seul document cité
à l’appui de cette déclaration montre clairement que, le premier jour de la réunion des 28 et
23 Compte rendu de la réunion sur la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie tenue les 26 et 27 mars 2014,
établi conjointement par les Gouvernements kényan et somalien (1er avril 2014), annexe 3, diapositive no 8. Selon la
présentation kényane, un «partage proportionné» de la zone pertinente entraînerait l’attribution de 147 193 km2 au Kenya
et de 657 029 km2 à la Somalie.
24 Ibid. Selon la présentation kényane, le «partage proportionné» proposé par le Kenya donnerait un rapport de
1 à 4,46 entre les zones respectives des deux Etats.
25 Ibid., diapositive no 10.
26 Mémorandum du 15 août 2014 adressé à la ministre des affaires étrangères et du commerce international par le
responsable par intérim de la direction chargée de la corne de l’Afrique, p. 1.
27 EPK, par. 109.
28 Mme Al-Sharmani et M. Omar, représentants du ministère des affaires étrangères de la République fédérale de
Somalie, compte rendu en date du 5 août 2014 relatif à la réunion entre la République fédérale de Somalie et la
République du Kenya concernant leur différend en matière de délimitation maritime, tenue à Nairobi (Kenya)
les 28 et 29 juillet 2014, EES, vol. II, annexe 4 ; mémorandum en date du 8 août 2014 adressé à la ministre des affaires
étrangères et du commerce international de la République du Kenya par S. Mokaya-Orina, responsable de la direction du
ministère chargée des affaires juridiques et des relations du Kenya en tant que pays hôte.
29 Voir ibid.
30 Mme Al-Sharmani et M. Omar, représentants du ministère des affaires étrangères de la République fédérale de
Somalie, compte rendu en date du 5 août 2014 relatif à la réunion entre la République fédérale de Somalie et la
République du Kenya concernant leur différend en matière de délimitation maritime, tenue à Nairobi (Kenya)
les 28 et 29 juillet 2014, p. 1, EES, vol. II, annexe 4.
31 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 4.
- 5 -
29 juillet 2014, la délégation du Kenya a demandé et obtenu un peu de temps pour pouvoir
répondre, le jour suivant, à la présentation de la Somalie32.
18. Le Kenya n’est pas davantage fondé à soutenir que les négociations étaient «un processus
[visant] à renforcer la confiance entre les Parties et à amener la Somalie à lever son objection à
l’examen de sa demande par la Commission des limites»33. Cette allégation n’avait pas été avancée
dans les exceptions préliminaires et ne l’a été pour la toute première fois qu’à l’audience34. Aucun
des éléments de preuve de l’époque ne fait mention d’un tel objectif, au contraire : ils démontrent
que, en menant ces négociations de fond détaillées au sommet entre mars et juillet 2014, les Parties
voulaient conclure un accord de délimitation pour départager l’ensemble de leurs espaces
maritimes35. Ainsi que l’ambassadeur du Kenya auprès de la Somalie l’a déclaré lors de la réunion
de mars 2014, les Parties entendaient «ne ménager aucun effort pour trouver rapidement une
solution à leur différend maritime»36.
III. Renonciation
19. Ainsi qu’elle l’a exposé dans sa réponse du 27 septembre à la seconde question du
juge Crawford, la Somalie considère que, en s’engageant pleinement dans ces négociations de fond
détaillées et de haut niveau en vue de parvenir à un accord sur l’intégralité du tracé de la frontière
maritime, le Kenya a renoncé, d’accord avec elle ou par voie unilatérale, à tout «droit» qu’il
pouvait avoir en vertu du mémorandum d’obtenir au préalable une recommandation de la
Commission des limites. Les tentatives laborieuses que le Kenya a faites, tant à l’audience que
dans sa lettre du 26 septembre, pour amoindrir l’importance de ces négociations montrent qu’il
redoute que la Somalie ait raison s’agissant de la question de la renonciation.
32 Mémorandum en date du 8 août 2014 adressé à la ministre des affaires étrangères et du commerce international
de la République du Kenya par S. Mokaya-Orina, responsable de la direction du ministère chargée des affaires juridiques
et des relations du Kenya en tant que pays hôte, p. 2 (où il est indiqué ce qui suit : «A l’issue de cette présentation, la
délégation du Kenya a demandé que lui soit accordé un peu de temps pour répondre aux arguments avancés par la
Somalie. La partie kényane a ainsi présenté sa réponse dans l’après-midi du deuxième jour. Dans sa présentation, la
délégation a abordé le droit (maritime) applicable au Kenya, fait état des facteurs pris en compte pour aboutir à un tracé
de la frontière suivant un parallèle et conclu en exposant la solution retenue (le parallèle) après application desdits
facteurs. Elle a elle aussi invoqué un certain nombre d’affaires, dont Bangladesh/Myanmar et Roumanie c. Ukraine, et
s’est référée à la pratique des deux Etats, faisant valoir que l’historique de leurs relations militait en faveur de
l’application de critères équitables.»)
33 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 3.
34 Voir CR 2016/12, p. 33, par. 20 (Lowe).
35 Voir, par exemple, lettre MOFA/SER/MO/ /2014 en date du 13 mars 2014 adressée à
S. Exc. Mme Amina Mohamed, ministre des affaires étrangères et du commerce international de la République du Kenya,
par S. Exc. M. Abdirahman Beileh, ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République
fédérale de Somalie, MS, vol. III, annexe 43 (où il est indiqué que l’objectif des négociations était de «discuter d’un
règlement» «du différend existant quant à la délimitation de la frontière maritime entre les deux Etats») ; note verbale
MFA/REL/13/21A en date du 24 juillet 2014 adressée au ministère des affaires étrangères et de la promotion des
investissements de la République fédérale de Somalie par le ministère des affaires étrangères et du commerce
international de la République du Kenya, EES, vol. II, annexe 24 (où il est indiqué que la réunion du mois de juillet 2014
visait à «discuter de la question de la délimitation de la frontière dans les zones où se chevauchent les espaces maritimes
revendiqués par les deux pays») ; compte rendu de la réunion sur la frontière maritime tenue les 28 et 29 juillet 2014
entre le Kenya et la Somalie, établi conjointement par les Gouvernements kényan et somalien (juillet 2014) (où il est
indiqué que les Parties entendaient «combler le fossé entre leurs positions» concernant «l[eur] frontière maritime») ;
mémorandum du 15 août 2014 adressé à la ministre des affaires étrangères et du commerce international par le
responsable par intérim de la direction chargée de la corne de l’Afrique (où il est indiqué que les Parties avaient
l’intention de «poursuivre les discussions» «sur la délimitation de l[eur] frontière maritime» en vue de «parvenir à une
solution amiable»).
36 Compte rendu de la réunion sur le différend relatif à la frontière maritime tenue les 26 et 27 mars 2014 à
Nairobi (Kenya) entre la République fédérale de Somalie et la République du Kenya, établi par la République fédérale de
Somalie (1er avril 2014), p. 1, MS, vol. III, annexe 24.
- 6 -
20. Le Kenya débute ainsi sa réponse à la seconde question du juge Crawford en déclarant
que l’«on ne saurait dire que la Somalie a négocié de bonne foi ... ni que des «négociations [ayant]
un sens» selon la jurisprudence de la Cour ont eu lieu sur la délimitation de la frontière
maritime»37. Comme cela a été indiqué plus haut, cette affirmation est contredite par les
documents de l’époque.
21. L’argument que le Kenya oppose ensuite à la renonciation est un non sequitur : il
consiste à dire que, puisque «la Somalie a manifestement renié les engagements qu’elle avait pris
en vertu du mémorandum d’accord», les négociations «ne peuvent pas être considérées comme
révélatrices de tel ou tel comportement ultérieur ou de quelque renonciation»38.
22. Le Kenya n’explique à aucun moment en quoi la seconde proposition découle de la
première. De fait, il n’y a aucun rapport entre les deux. La Somalie aurait manqué de s’acquitter
de l’obligation de non-objection que lui imposait le mémorandum d’accord, une obligation qui est
énoncée au paragraphe 5 mais n’est même pas évoquée au paragraphe 6 (l’avant-dernier
paragraphe) de l’accord, dont sont censés découler les «droits» du Kenya s’agissant d’obtenir une
recommandation préalable de la Commission des limites. On voit mal pourquoi le Kenya estime
que son comportement, qui était totalement incompatible avec ses prétendus «droits» en vertu du
paragraphe 6, ne peut être interprété comme une renonciation à ces «droits» au motif que la
Somalie aurait manqué à une obligation qui découle pourtant d’une autre partie du mémorandum
d’accord.
23. Le Kenya prétend, au mépris des éléments de preuve, avoir été conduit à engager et à
mener des négociations par le manquement de la Somalie à son obligation de non-objection. En
réalité, c’est l’année précédant ce prétendu manquement qu’il a pour la toute première fois invité la
Somalie à négocier en vue de délimiter la frontière maritime39.
24. Lorsque les négociations ont débuté, en mars 2014, la Somalie venait d’élever son
objection à l’examen de la demande du Kenya par la Commission des limites, et celui-ci avait
inscrit ce point à sa proposition d’ordre du jour de la «réunion sur la frontière maritime». Sur
l’insistance de la Somalie, il a toutefois accepté de l’en retirer, de sorte que cette question n’a pas
été examinée40.
25. Il est significatif que le Kenya ait consenti à ce retrait sans réserver l’un quelconque des
droits qu’il estimait tenir du mémorandum, puis qu’il ait participé à deux séries de négociations de
fond en vue de trouver un accord sur la frontière maritime. Dans sa lettre du 26 septembre, il
37 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 6.
Le Kenya cite les affaires du Plateau continental de la mer du Nord à l’appui de cette allégation, mais il ne s’agit que
d’un renvoi de pure forme (ibid., p. 6, note 20). La Somalie relève toutefois que, dans les affaires en question, les trois
parties étaient convenues de l’inutilité de poursuivre leurs négociations à l’issue de pourparlers trilatéraux qui n’avaient
duré que six mois, compte tenu de leur incapacité de se mettre d’accord ne serait-ce que sur la question de la méthode de
délimitation à retenir (Plateau continental de la mer du Nord (République Fédérale d’Allemagne/Danemark) (République
Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3, par. 9).
38 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 6.
39 Voir le communiqué de presse conjoint de Mme Amina Mohamed, ministre des affaires étrangères du Kenya,
et de Mme Fawzia Yusuf H. Adam, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères et de la coopération
internationale de la Somalie, en date du 31 mai 2013, p. 2, EPK, vol. II, annexe 31. Voir également la note
verbale MFA. PROT/7/8/1 en date du 7 mars 2014 adressée à l’ambassade de la République fédérale de Somalie à
Nairobi par le ministère des affaires étrangères et du commerce international de la République du Kenya, EES, vol. 11,
annexe 23.
40 Voir le compte rendu de la réunion sur la frontière maritime entre le Kenya et la Somalie tenue les 26 et
27 mars 2014, établi conjointement par les Gouvernements kényan et somalien, p. 1-2, MS, vol. III, annexe 31.
- 7 -
reconnaît, en particulier, «[l]e défaut de réserve expresse quant au caractère prématuré des
négociations au regard de l’avant-dernier paragraphe du mémorandum»41.
26. Le Kenya ne peut gagner sur tous les tableaux en affirmant, d’une part, que les
négociations visaient précisément à donner effet aux droits qui étaient les siens en vertu du
mémorandum d’accord mais, d’autre part, que ces dernières n’étaient pas révélatrices d’un
comportement ultérieur à l’égard desdits droits.
27. Si les négociations étaient précisément liées aux droits et obligations des Parties
découlant du mémorandum d’accord, et visaient à leur donner effet pratique, alors le Kenya, en se
comportant comme il l’a fait dans ce contexte –– et en ne réservant pas expressément son droit
éventuel à une recommandation préalable de la Commission des limites –– a clairement renoncé à
tout droit42. La Somalie estime que, pour les raisons exposées plus haut ainsi que dans sa lettre du
27 septembre, ce comportement et cette omission emportent effectivement renonciation.
28. Le Kenya nie que les deux réunions de 2014 aient eu «pour objet de mettre en oeuvre les
procédures convenues en vertu [du mémorandum d’accord]»43. La Somalie conteste que cet
instrument ait établi une quelconque «procédur[e] convenu[e]» en matière de délimitation. Mais
quand bien même tel serait le cas, les négociations qui ont eu lieu relèveraient clairement de ces
«procédures convenues». La Cour a déjà dit que des négociations pouvaient entrer dans les
prévisions d’un instrument particulier même si celui-ci n’était pas expressément mentionné à cette
occasion44.
29. Partant, à supposer que le mémorandum d’accord ait créé des «procédures convenues»
visant une délimitation négociée de la frontière maritime des deux Etats, des négociations menées à
cette fin relèveraient bien évidemment de telles procédures. De par son comportement au cours de
ces négociations, le Kenya aurait renoncé unilatéralement à tout droit susceptible de lui être conféré
par le mémorandum45.
30. A titre subsidiaire, le Kenya argue que, «nonobstant les allégations selon lesquelles il
aurait renoncé» à l’exigence temporelle, il n’a «pas renoncé à son droit de conclure un accord
négocié en tant que mode de règlement»46. La Somalie réaffirme son principal argument, à savoir
41 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 3.
42 Le Kenya prétend avoir «maintenu sa position» selon laquelle «le mémorandum d’accord prévoit l’obligation
de conclure un accord négocié, devant être finalisé après que la Commission des limites du plateau continental aura émis
ses recommandations» (ibid., p. 6-7). Aucun des documents qu’il cite dans les notes 22 à 25 de sa réponse n’étaye
toutefois cette affirmation.
43 Ibid., p. 3.
44 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 85, par. 30 (où il est indiqué :
«S’il n’est pas nécessaire qu’un Etat mentionne expressément, dans ses échanges avec l’autre Etat, un traité particulier
pour être ensuite admis à invoquer ledit traité devant la Cour (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429,
par. 83), il doit néanmoins s’être référé assez clairement à l’objet du traité pour que l’Etat contre lequel il formule un
grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet égard»).
45 En revanche, si le Kenya a raison d’affirmer que les négociations de 2014 relatives à la délimitation ne
constituaient pas une mise en oeuvre de la «procédur[e] convenu[e]» dans le mémorandum d’accord, il s’ensuit
logiquement que celui-ci n’a pas établi un mode exclusif de règlement du différend maritime. En effet, si les Parties ont
été en mesure de négocier au sujet de la délimitation en dehors du cadre du mémorandum — comme le suppose
nécessairement l’argument du Kenya —, cela prouverait que cet instrument ne leur imposait pas de n’avoir recours qu’à
un seul mode pour régler leur différend maritime.
46 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 7 (sans les
italiques de l’original).
- 8 -
que le mémorandum n’a pas imposé aux Parties de parvenir à un accord négocié. Quand bien
même il leur aurait imposé une telle obligation, toutefois, elle y aurait — pour les raisons exposées
plus haut, dans ses écritures et à l’audience — amplement satisfait en participant en 2014 à des
négociations de fond au sommet qui ont été approfondies et intenses.
31. La Somalie trouve révélateur que, alors qu’elle a abondamment cité la jurisprudence
afférente à la renonciation dans sa réponse aux questions du juge Crawford, le Kenya n’a cité
aucun précédent, admettant ainsi tacitement que la jurisprudence pertinente n’étaye pas son
argumentation.
IV. L’importance d’un règlement rapide du différend relatif à la frontière maritime
32. Enfin, la Somalie doit répondre à l’affirmation du Kenya selon laquelle il n’y a «pas
nécessité pressante de déterminer d’emblée la frontière … dans sa totalité»47. Cet argument est là
encore contredit par les éléments de preuve de l’époque et par les propres exposés du Kenya.
33. Ainsi, dans une note verbale en date du 24 octobre 2014 adressée à l’Organisation des
Nations Unies, le Kenya a fait référence à des «négociations diplomatiques au sommet» menées en
vue de «régler rapidement cette question et dans l’intérêt de la coopération pacifique, de la sécurité
et de la stabilité de la région»48.
34. De plus, d’après un article de juin 2013 annexé aux exceptions préliminaires du Kenya,
une équipe du secrétariat du Commonwealth spécialisée dans la délimitation maritime a organisé
en 2010 un atelier à l’intention de hauts responsables kényans au motif que «l’établissement de
frontières maritimes claires aura[it] des implications importantes pour la sécurité, la navigation, la
protection de l’environnement, la pêche et l’exploration des ressources en mer dans la région»49.
35. Enfin, l’affirmation du Kenya relative à l’absence d’urgence est difficilement conciliable
avec sa reconnaissance expresse du fait que «[l]a Somalie se trouv[ait] encore dans un fragile
processus de transition faisant suite à un conflit»50, étant tout juste sortie «d’une longue période
d’instabilité consécutive à une guerre civile, une catastrophe humanitaire et la forte prévalence du
terrorisme»51, que «l’insécurité dans la zone frontalière posait une menace fondamentale pour
[lui]»52 et que la situation précaire dans les eaux en litige «représent[ait] toujours une menace
existentielle pour [lui] et les autres pays de la région»53 –– autant de facteurs commandant de régler
au plus tôt le différend relatif à la frontière maritime.
___________
47 Lettre en date du 26 septembre 2016 adressée au greffier par l’agent de la République du Kenya, p. 5.
48 Note verbale no 586/14 en date du 24 octobre 2014 adressée à S. Exc. M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, par la mission permanente de la République du Kenya auprès de l’Organisation, MS,
vol. III, annexe 50 (les italiques sont de nous).
49 Article en date du 10 juin 2013 intitulé «Le Gouvernement somalien rejette l’appel au dialogue concernant le
différend frontalier avec le Kenya» et publié sur Hiiraan Online ; EPK, vol. II, annexe 32.
50 CR 2016/10, p. 23, par. 25 (Akhavan).
51 CR 2016/12, p. 38, par. 3 (Muigai).
52 Ibid., p. 14, par. 10 (Akhavan).
53 CR 2016/10, p. 23, par. 25 (Akhavan).

Document file FR
Document Long Title

Observations écrites de la Somalie sur la réponse écrite du Gouvernement kényan aux questions posées par M. le juge Crawford à l’audience publique tenue dans la matinée du 23 septembre 2016

Links