Résumé de l'arrêt du 17 mars 2016

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2016/2
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
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Résumé 2016/2
Le 17 mars 2016

Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà
de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie)

Résumé de l’arrêt du 17 mars 2016

I. NTRODUCTION

La Cour rappelle que, en l’espèce, le Nicaragua entend fonder la compétence de la Cour sur
l’article XXXI du pacte de Bogotá. Aux termes de cette disposition, les parties au pacte
reconnaissent comme obligatoire la juridiction de la Cour «sur tous les différends d’ordre
juridique». Le Nicaragua soutient en outre que l’objet de la requête demeure dans le champ de la
compétence de la Cour telle que celle-ci l’a établie dans l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), la Cour n’ayant pas, dans son arrêt de 2012

(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 624) (dénommé ci-après l’«arrêt de 2012»), tranché de manière
définitive la question — dont elle était saisie — de la délimitation du plateau continental entre la
Colombie et lui-même dans la zone située au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.

La Cour relève que la Colombie a soulevé cinq exceptions préliminaires à la compétence de
la Cour. Le Nicaragua a prié la Cour de rejeter ces exceptions dans leur intégralité.

Puisque la deuxième exception préliminaire vise exclusivement le titre de compétence
additionnel avancé par le Nicaragua, la Cour l’examine après s’être penchée, respectivement, sur

les première, troisième et quatrième exceptions. La cinquième exception préliminaire, qui
concerne la recevabilité des demandes du Nicaragua, sera traitée en dernier.

II.P REMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Dans sa première exception préliminaire, la Colombie soutient que la Cour n’a pas
compétence ratione temporis au titre du pacte de Bogotá, le Nicaragua ayant introduit l’instance le
16 septembre 2013, après qu’elle eut dénoncé le pacte le 27 novembre 2012.

La Cour rappelle que la Colombie a indiqué dans son avis de dénonciation au pacte de
Bogotá que cette dénonciation «pre[nait] effet à compter d[u] jour [même] à l’égard des procédures
introduites postérieurement [à l’]avis, conformément au second alinéa de l’article LVI». Aux
termes de cette disposition, la dénonciation n’aurait aucun effet sur les procédures entamées avant
la transmission de l’avis de dénonciation. La Cour relève que la requête du Nicaragua lui a été
soumise après la transmission de l’avis de dénonciation de la Colombie, mais avant l’expiration du
préavis d’un an prévu au premier alinéa de l’article LVI, selon lequel, une fois ce délai passé, le - 2 -

pacte cesserait de produire ses effets par rapport à la partie qui l’a dénoncé, et demeurerait en
vigueur en ce qui concerne les autres signataires.

La Colombie affirme qu’il découle naturellement du libellé exprès du second alinéa de
l’article LVI du pacte qu’une dénonciation a un effet à l’égard des procédures entamées après la
transmission de l’avis de dénonciation. Elle rejette l’idée que son interprétation du second alinéa
de l’article LVI aurait pour conséquence d’ôter tout effet utile au premier alinéa de cette même
disposition. Tout en reconnaissant qu’il s’ensuit de cette interprétation que, pendant l’année au
cours de laquelle le traité demeurerait en vigueur en application du premier alinéa de l’article LVI,

aucune des différentes procédures visées aux chapitres deux à cinq du pacte ne pourrait être
engagée par ou contre un Etat ayant notifié une dénonciation, elle soutient que d’importantes
obligations de fond énoncées dans d’autres chapitres du pacte continueraient néanmoins d’être
applicables pendant cette période d’un an, de sorte que le premier alinéa de l’article LVI aurait
manifestement un effet. La Colombie allègue que son interprétation de l’article LVI est confirmée
par le fait qu’il aurait été aisé pour les parties au pacte, si elles avaient voulu que la dénonciation
n’ait d’incidence sur aucune procédure introduite pendant le préavis d’un an, de le dire

expressément en adoptant un libellé similaire à celui des dispositions d’autres traités. Enfin, elle
affirme que son interprétation «est également en accord avec la pratique des Etats parties au pacte»
et les travaux préparatoires.

Selon le Nicaragua, la compétence de la Cour est régie par l’article XXXI du pacte de
Bogotá, aux termes duquel la Colombie et lui-même ont tous deux reconnu la juridiction de la Cour
«tant que le … Traité [en question] restera[it] en vigueur». La durée d’applicabilité dudit traité est
déterminée par le premier alinéa de l’article LVI qui dispose que, pour un Etat l’ayant dénoncé, le

pacte demeure en vigueur un an à compter de la date de transmission de l’avis de dénonciation. La
date à laquelle la compétence de la Cour doit être établie étant celle du dépôt de la requête, et le
Nicaragua ayant procédé à ce dépôt moins d’un an après la notification par la Colombie de sa
dénonciation du pacte, il s’ensuit  selon lui  que la Cour a compétence en l’espèce. Le
Nicaragua ajoute que l’interprétation de la Colombie soustrairait aux effets du premier alinéa de
l’article LVI toutes les procédures de bons offices et de médiation (chapitre deux du pacte),

d’enquête et de conciliation (chapitre trois), de règlement judiciaire (chapitre quatre) et d’arbitrage
(chapitre cinq), qui, ensemble, représentent quarante et un des soixante articles du pacte. Parmi les
dispositions restantes, plusieurs ont entièrement rempli leur fonction et n’auraient donc plus de rôle
à jouer pendant le préavis d’un an, tandis que d’autres sont indissociablement liées aux procédures
visées aux chapitres deux à cinq et n’imposent aucune obligation indépendante de celles-ci. Enfin,
le Nicaragua conteste que l’interprétation de la Colombie soit étayée par la pratique des parties au
pacte de Bogotá ou par les travaux préparatoires.

La Cour rappelle que la date à laquelle s’apprécie sa compétence est celle du dépôt de la
requête. Aux termes de l’article XXXI du pacte de Bogotá, les parties reconnaissent comme
obligatoire la juridiction de la Cour «tant que le[dit] Traité restera en vigueur». Le premier alinéa
de l’article LVI dispose que le pacte, lorsqu’il est dénoncé par un Etat partie, demeure en vigueur
entre ce dernier et les autres parties pour une durée d’un an à compter de la notification de la
dénonciation. De l’avis de la Cour, il n’est pas contesté que, en elles-mêmes, ces dispositions
suffiraient à lui conférer compétence pour connaître de la présente affaire. Le pacte était toujours

en vigueur entre la Colombie et le Nicaragua à la date du dépôt de la requête et le fait qu’il a par la
suite cessé de produire ses effets entre ces deux Etats n’aurait pas d’incidence sur cette
compétence. La seule question soulevée par la première exception de la Colombie est, dès lors,
celle de savoir si le second alinéa de l’article LVI qui stipule que «[l]a dénonciation n’aura aucun
effet sur les procédures en cours entamées avant la transmission de l’avis en question», peut faire
l’objet d’une interprétation a contrario contrant ce qui aurait autrement été l’effet du premier alinéa
au point d’imposer à la Cour de se déclarer incompétente pour connaître de l’instance, même si

celle-ci a été introduite alors que le pacte était toujours en vigueur entre les Parties. Pour répondre
à cette question, il convient d’appliquer aux dispositions pertinentes du pacte de Bogotá les règles - 3 -

d’interprétation des traités énoncées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne qui reflètent le
droit international coutumier.

La Cour note que ce n’est pas la dénonciation en soi qui peut avoir un effet sur la juridiction
que la Cour tient de l’article XXXI, mais l’extinction du traité (entre l’Etat qui l’a dénoncé et les
autres parties) qui en résulte. Cette conclusion découle à la fois des termes de l’article XXXI et du
sens ordinaire des termes employés à l’article LVI. Le premier alinéa de l’article LVI prévoit qu’il
peut être mis fin au traité par voie de dénonciation, mais que l’extinction n’interviendra qu’au
terme d’un délai d’un an courant à compter de la notification de la dénonciation. C’est par

conséquent ce premier alinéa qui détermine les effets de la dénonciation. Le second confirme que
les procédures entamées avant la transmission de l’avis de dénonciation peuvent se poursuivre
indépendamment de cette dernière et donc indépendamment des prévisions du premier alinéa quant
aux effets de la dénonciation dans leur ensemble.

La Cour estime que l’interprétation par la Colombie du second alinéa de l’article LVI va à
l’encontre des termes de l’article XXXI. Selon la Cour, une autre interprétation, qui, elle, est
compatible avec cette disposition, consiste à dire que, tandis que les procédures introduites avant la

transmission de l’avis de dénonciation peuvent en tout état de cause se poursuivre et ne tombent
donc pas sous le coup du premier alinéa de l’article LVI, l’effet de la dénonciation sur les
procédures introduites après cette date est, lui, régi par le premier alinéa. Puisque celui-ci prévoit
que la dénonciation n’entraîne, pour l’Etat qui en est l’auteur, l’extinction du traité qu’au terme
d’un délai d’un an, les procédures introduites pendant cette année de préavis le sont alors que le
pacte est toujours en vigueur. Elles relèvent donc du champ de compétence défini à l’article XXXI.
La Cour ajoute que l’interprétation du second alinéa de l’article LVI proposée par la Colombie

aurait en outre pour conséquence que, pendant l’année suivant la notification de la dénonciation,
l’essentiel des articles du pacte, contenant ses dispositions les plus importantes, ne s’appliqueraient
pas entre l’Etat auteur de la dénonciation et les autres parties. Or, pareil résultat est difficile à
concilier avec le libellé exprès du premier alinéa de l’article LVI, qui prévoit le maintien en
vigueur du «présent Traité» pendant le préavis d’un an, sans faire de distinction entre les
différentes parties du pacte comme le voudrait la Colombie. La Cour note par ailleurs que
l’interprétation de la Colombie n’est pas compatible avec l’objet et le but du pacte de Bogotá, qui

sont de promouvoir le règlement pacifique des différends au moyen des procédures prévues par
celui-ci. Bien que la Colombie soutienne que les «procédures … régionales» visées au premier
alinéa de l’article II ne sont pas limitées aux procédures énoncées dans le pacte, l’article II doit être
interprété comme un tout. Or, il ressort clairement de l’emploi de la locution «en conséquence» au
début du second alinéa de l’article II que c’est au moyen des procédures visées aux chapitres deux
à cinq du pacte qu’il doit être donné effet à l’obligation de recourir aux procédures régionales que
les parties ont «accept[ée]» à l’alinéa précédent.

La Cour ne juge enfin pas convaincant l’argument de la Colombie selon lequel si elles
avaient entendu assurer l’absence d’incidence sur les procédures introduites à tout moment avant
l’expiration du préavis d’un an visé au premier alinéa de l’article LVI, les parties au pacte de
Bogotá auraient aisément pu inclure une disposition expresse en ce sens. L’argument de la
Colombie relatif à la pratique des Etats, en l’occurrence les avis de dénonciation du pacte transmis
par El Salvador en 1973 et par elle-même en 2012, ainsi que ce qu’elle décrit comme l’absence de

toute réaction à la notification de ces dénonciations, n’apporte, pour sa part, pas le moindre
éclairage sur la question dont la Cour est saisie. Quant aux travaux préparatoires, ils ne permettent
pas de savoir dans quel but précis a été ajouté ce qui allait devenir le second alinéa de l’article LVI.

Pour toutes ces raisons, la Cour estime que l’interprétation de l’article LVI proposée par la
Colombie ne saurait être accueillie. Au vu de l’article LVI pris dans son ensemble, et à la lumière
de son contexte ainsi que de l’objet et du but du pacte, la Cour conclut que l’article XXXI qui lui
confère compétence demeurait en vigueur entre les Parties à la date du dépôt de la requête en la

présente affaire. L’extinction ultérieure du pacte entre le Nicaragua et la Colombie n’a pas - 4 -

d’incidence sur la compétence qui existait à la date à laquelle l’instance a été introduite. Par
conséquent, la première exception préliminaire de la Colombie doit être rejetée.

III. TROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Par sa troisième exception, la Colombie soutient que les questions soulevées par le
Nicaragua dans sa requête du 16 septembre 2013 ont été «expressément tranchées» par la Cour
dans son arrêt de 2012 ; par conséquent, la Cour n’a pas compétence, la demande du Nicaragua
tombant sous le coup du principe de la chose jugée.

La Cour observe d’abord que la troisième exception préliminaire de la Colombie présente les
caractéristiques d’une exception d’irrecevabilité, qui «revien[t] à affirmer qu’il existe une raison
juridique pour laquelle la Cour, même si elle a compétence, devrait refuser de connaître de l’affaire
ou, plus communément, d’une demande spécifique y relative». Elle traitera donc cette exception
comme telle.

La Cour examine ensuite le principe de l’autorité de la chose jugée et son application au

point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012 dans lequel elle a dit «ne [pouvoir] accueillir la demande
formulée par la République du Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales». Au point I. 3)
de ses conclusions finales, le Nicaragua priait la Cour de dire et juger que :

«dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du
Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une
limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les
droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent».

La Cour a vu dans cette conclusion une invitation à «tracer «une limite opérant une division par
parts égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se
chevauchent»».

La Colombie considère que la première demande du Nicaragua, dans sa requête du
16 septembre 2013 introduisant la présente instance, «n’est qu’une nouvelle version de la demande

formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales» en 2012, dans la mesure où elle
prie la Cour de déterminer «[l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions du plateau
continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites établies par la Cour dans
son arrêt du 19 novembre 2012». Elle ajoute que la Cour, dans son arrêt de 2012, a décidé que la
demande formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua était recevable, mais qu’elle
n’y a pas fait droit au fond, ce qui l’empêcherait, par l’effet de l’autorité de la chose jugée, d’en
connaître en la présente espèce.

La Colombie soutient que le sort de la seconde demande figurant dans la requête du
16 septembre 2013 est entièrement lié à celui de la première. Dans sa seconde demande, le
Nicaragua prie la Cour de déterminer

«[l]es principes et les règles de droit international régissant les droits et obligations des
deux Etats concernant la zone du plateau continental où leurs revendications se
chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent, et ce, dans l’attente de la

délimitation de leur frontière maritime au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne».

La Cour relève que la question de l’effet de la chose jugée vise la recevabilité de la première
demande du Nicaragua. La seconde demande fait l’objet, en tant que telle, de la cinquième
exception de la Colombie, la Cour l’examinera donc à ce titre. Elle est d’avis que, si elles
convergent sur les éléments constitutifs du principe de la chose jugée, les Parties se sont opposées - 5 -

sur le sens de la décision que la Cour a adoptée au point 3 du dispositif de son arrêt de 2012 et,
partant, sur ce qui relève de la chose jugée dans cette décision.

1. Le principe de l’autorité de la chose jugée (res judicata)

Les Parties conviennent que le principe de l’autorité de la chose jugée repose sur l’identité
des Parties (personae), de l’objet (petitum), et de la base juridique (causa petendi). Elles admettent
également que les articles 59 et 60 du Statut de la Cour traduisent ce principe.

Pour la Colombie, il doit y avoir une identité des parties, de l’objet et de la base juridique

pour que le principe de l’autorité de la chose jugée s’applique. Elle ajoute que la Cour ne peut
avoir décidé dans le dispositif de l’arrêt de 2012, qui est revêtu de l’autorité de la chose jugée,
qu’elle ne pouvait accueillir la demande du Nicaragua pour absence de preuve, puis décider, dans
un arrêt ultérieur, d’accueillir une demande identique.

Le Nicaragua considère que l’identité des personae, du petitum et de la causa petendi, bien
qu’elle soit nécessaire à l’application du principe de l’autorité de la chose jugée, n’est pas

suffisante. Il faudrait encore que la question soulevée dans une affaire ultérieure ait été auparavant
finalement et définitivement tranchée par la Cour. Par conséquent, le Nicaragua considère que
pour déterminer si l’arrêt de 2012 est revêtu de l’autorité de la chose jugée en ce qui concerne la
première demande du Nicaragua en l’espèce, la question centrale est de savoir si la Cour a pris,
dans cet arrêt, une décision au sujet de la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles
marins de la côte nicaraguayenne.

La Cour rappelle que le principe de l’autorité de la chose jugée est un principe général de

droit qui consacre le caractère définitif de la décision adoptée dans une affaire déterminée. Pour
appliquer ce principe, il ne suffit pas d’identifier l’affaire en cause, caractérisée par les mêmes
parties, le même objet et la même base juridique, il faut encore déterminer le contenu de la décision
dont il convient de garantir le caractère définitif. La Cour ne saurait se contenter de l’identité des
demandes qui lui ont été présentées successivement par les mêmes parties, elle doit rechercher si et
dans quelle mesure la première demande a déjà été tranchée définitivement. La Cour observe que
la décision de la Cour est contenue dans le dispositif de l’arrêt. Cependant, afin de préciser ce qui

est couvert par l’autorité de la chose jugée, il peut s’avérer nécessaire de déterminer le sens du
dispositif par référence aux motifs de l’arrêt en question. La Cour est confrontée à cette situation,
en l’espèce, puisque les Parties s’opposent sur le point de savoir quel est le contenu et la portée de
la décision adoptée au point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012.

2. La décision adoptée par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012

Les Parties ont présenté des lectures divergentes de la décision adoptée au point 3 du
dispositif de l’arrêt de 2012, et des motifs qui lui servent de support. Elles en tirent des conclusions
opposées sur le point de savoir ce que cette décision recouvre exactement et sur les questions que la
Cour a tranchées définitivement.

La Colombie s’attache à démontrer, pour l’essentiel, que les fondements de la première
demande du Nicaragua ont déjà été mis en avant en l’affaire du Différend territorial et maritime

(Nicaragua c. Colombie). Elle avance par ailleurs que la Cour, n’ayant pas fait droit à ces
arguments du Nicaragua dans son arrêt de 2012, est empêchée, par l’effet du principe de l’autorité
de la chose jugée, de connaître de la requête introduite par celui-ci en la présente affaire.

La Colombie soutient que le Nicaragua a développé, lors de la procédure écrite et orale qui a
précédé l’arrêt de 2012, des arguments identiques à ceux qu’il présente en l’espèce. Se fondant sur
les informations préliminaires qu’il avait fournies à la Commission des limites du plateau - 6 -

continental (ci-après la «Commission»), il y aurait revendiqué un plateau continental étendu fondé
sur l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la «CNUDM»),

sur la base de critères géologiques et géomorphologiques. Pour la Colombie, le Nicaragua n’avait
pas démontré, comme il lui revenait de le faire, que sa marge continentale s’étendait suffisamment
loin pour chevaucher le plateau continental dont la Colombie pouvait se prévaloir sur 200 milles
marins, à partir de sa côte continentale. Elle estime que la Cour, en 2012, après avoir déclaré la
demande soumise par le Nicaragua recevable, l’a tranchée au fond, en décidant de ne pas
l’accueillir. Elle ajoute que cette décision, par laquelle la Cour aurait fixé entièrement la frontière
maritime entre les Parties, était, à la fois explicitement et par implication logique, définitive. Selon

la Colombie, lorsque la Cour a conclu qu’elle «n’[était] pas en mesure de délimiter les portions du
plateau continental relevant de chacune des Parties» (paragraphe 129 de l’arrêt de 2012), elle a
signifié par-là que l’examen des faits et arguments présentés par le Nicaragua devait conduire au
rejet de sa demande.

Le Nicaragua, de son côté, soutient que la décision de la Cour de ne pas accueillir sa
demande, au point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012, n’équivaut pas à un rejet de celle-ci au fond.

La Cour se serait expressément refusée à se prononcer sur cette question dans la mesure où le
Nicaragua n’avait pas soumis à la Commission une demande complète. Le Nicaragua estime s’être
acquitté, le 24 juin 2013, de l’obligation procédurale que lui imposait le paragraphe 8 de l’article 76
de la CNUDM de communiquer à la Commission les informations sur les limites de son plateau
continental au-delà de 200 milles marins. Selon lui, la Cour disposerait donc désormais de tous les
éléments nécessaires pour procéder à la délimitation et régler le différend.

Le Nicaragua admet que l’expression «ne pas accueillir» peut sembler «ambigu[ë]» à la

lecture du seul point 3 du dispositif, mais il estime que cette ambiguïté est dissipée si l’on se réfère
aux motifs de la décision. Il ajoute que les motifs sont inséparables du dispositif dont ils
constituent le support nécessaire et qu’il faut les prendre en compte pour déterminer la portée du
dispositif de l’arrêt. Or, il découlerait des motifs de l’arrêt que le dispositif ne prend pas position
sur la délimitation au-delà des 200 milles marins. Le Nicaragua estime par conséquent que la Cour
n’est pas empêchée de connaître de sa demande relative à la délimitation du plateau continental
au-delà des 200 milles marins en la présente instance.

La Cour relève tout d’abord que si elle a, dans son arrêt de 2012, déclaré recevable la
demande soumise par le Nicaragua, elle l’a fait seulement en réponse à l’exception d’irrecevabilité
soulevée par la Colombie aux termes de laquelle cette demande était nouvelle et modifiait l’objet
du différend. Il ne s’ensuit pas, pour autant, que la Cour a tranché au fond la demande relative à la
délimitation du plateau continental au-delà des 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.

La Cour estime devoir, à ce stade, se pencher sur le contenu et la portée du point 3 du

dispositif de l’arrêt de 2012. Du fait de la divergence de vues entre les Parties à ce sujet, la Cour
doit déterminer le contenu de la décision qu’elle a adoptée en réponse à la demande du Nicaragua
de délimiter «la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se
chevauchent».

Pour commencer, la Cour dit qu’elle ne s’attardera pas, contrairement aux Parties, sur le sens
de l’expression «ne peut accueillir» en tant que telle. Elle examinera cette expression dans son

contexte, pour déterminer ce que signifie la décision de ne pas accueillir la demande soumise par le
Nicaragua à la Cour aux fins de la délimitation du plateau continental entre les Parties. En
particulier, elle recherchera si le point 3 du dispositif de son arrêt de 2012 doit être compris comme
un rejet pur et simple de la demande nicaraguayenne pour insuffisance de preuves, comme le
prétend la Colombie, ou bien s’il s’agit d’un refus de se prononcer sur ladite demande parce qu’une
condition procédurale et institutionnelle n’était pas remplie, comme le soutient le Nicaragua. Pour
ce faire, la Cour examinera le point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012 dans son contexte, c’est-à-dire

en se référant aux motifs qui ont servi de support à son adoption et qui permettent, par conséquent,
d’en éclairer le sens. - 7 -

La Cour a consacré la section IV de son arrêt de 2012 à l’«[e]xamen de la demande du
Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles

marins». Cette section est constituée par les paragraphes 113 à 131 de l’arrêt.

Le paragraphe 113 définit la question examinée comme étant celle de savoir si la Cour «est
en mesure de tracer «une limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau
continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent»». Aux paragraphes 114
à 118, la Cour précise ensuite que le droit applicable à cette affaire, opposant un Etat partie à la
CNUDM (le Nicaragua) à un Etat qui ne l’est pas (la Colombie), est le droit international

coutumier relatif à la définition du plateau continental, tel que reflété au paragraphe 1 de
l’article 76 de cette convention. Aux paragraphes 119 à 121 sont résumés les arguments du
Nicaragua concernant les critères à appliquer pour déterminer l’existence d’un plateau continental
et les conditions procédurales, telles que prévues au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM,
qu’un Etat doit respecter pour en fixer les limites extérieures au-delà de 200 milles marins, ainsi
que les démarches effectuées par le Nicaragua à cette fin. Les paragraphes 122 à 124 font état des
arguments avancés par la Colombie pour contester la délimitation du plateau continental invoquée

par le Nicaragua. Aux paragraphes 126 et 127, respectivement, la Cour souligne que le fait que la
Colombie ne soit pas partie à la CNUDM n’exonère pas «le Nicaragua des obligations qu’il tient de
l’article 76 de cet instrument», et elle relève que, au moment du prononcé de l’arrêt en 2012, le
Nicaragua n’avait communiqué à la Commission que des informations «préliminaires» qui, comme
il l’a admis, «[étaient] loin de satisfaire aux exigences requises» par le paragraphe 8 de l’article 76
de la CNUDM.

A l’issue de ce raisonnement et de ces motifs, la Cour en vient à conclure au

paragraphe 129 ce qui suit :

«Toutefois, le Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la
preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour chevaucher le
plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir
de sa côte continentale, la Cour n’est pas en mesure de délimiter les portions du
plateau continental relevant de chacune des Parties, comme le lui demande le

Nicaragua, même en utilisant la formulation générale proposée par ce dernier.»

La Cour considère que ce paragraphe doit être lu à la lumière de ceux qui le précèdent, dans les
motifs de l’arrêt de 2012. Trois points ressortent de ces derniers. Premièrement, bien que les
Parties eussent abondamment débattu la question des données géologiques et géomorphologiques
produites par le Nicaragua pour prouver l’extension de son plateau continental au-delà
de 200 milles marins, la Cour n’a pas analysé ces éléments de preuve dans son arrêt.
Deuxièmement, la Cour a estimé que, au vu du caractère limité de la question qu’elle était appelée

à trancher, point n’était besoin pour elle d’examiner si les dispositions de l’article 76 de la
CNUDM énonçant les conditions à remplir par un Etat qui entend fixer les limites de son plateau
continental au-delà de 200 milles marins de sa côte relevaient du droit international coutumier, dont
elle avait déjà établi qu’il était le droit applicable en l’affaire. La Cour n’a donc pas jugé
nécessaire de déterminer à quelles prescriptions de fond le Nicaragua devait satisfaire pour établir
vis-à-vis de la Colombie son droit à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de sa côte.
Troisièmement, ce sur quoi la Cour a mis l’accent, en revanche, c’est l’obligation qu’avait le

Nicaragua, en tant que partie à la CNUDM, de soumettre à la Commission des informations sur les
limites du plateau continental qu’il revendique au-delà de 200 milles marins, conformément au
paragraphe 8 de l’article 76 de la convention. C’est parce qu’au moment du prononcé de l’arrêt, en
2012, il n’avait pas encore soumis ces informations que la Cour a conclu, au paragraphe 129, que le
Nicaragua «[n’avait] pas, dans la présente instance, apporté la preuve que sa marge continentale
s’étend[ait] suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental dont la Colombie p[ouvait] se
prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale». - 8 -

Selon la Cour, les conclusions formulées au paragraphe 129 ne peuvent être comprises qu’à
la lumière de ces points du raisonnement. Il en ressort qu’elle n’a pas tranché la question de savoir

si le Nicaragua pouvait se prévaloir d’un plateau continental au-delà de 200 milles marins de sa
côte. La Cour ne fait ici référence qu’à une marge continentale qui chevaucherait le plateau
continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte
continentale. L’arrêt ne dit rien des espaces maritimes situés à l’est de la ligne des 200 milles à
partir des îles côtières nicaraguayennes, ligne au-delà de laquelle la Cour n’a pas poursuivi son
opération de délimitation, et à l’ouest de la ligne des 200 milles à partir de la côte continentale de la
Colombie. Or, dans cette zone intermédiaire, la Cour était en présence de prétentions concurrentes

des Parties concernant le plateau continental : le Nicaragua, d’une part, y revendiquait un plateau
continental étendu, la Colombie, d’autre part, alléguait qu’elle y possédait des droits générés par les
îles sur lesquelles elle revendiquait la souveraineté et que la Cour a effectivement déclaré relever
de sa souveraineté. Il en résulte que si la Cour a décidé, au point 3 du dispositif, qu’elle ne pouvait
accueillir la demande du Nicaragua, c’est parce que celui-ci devait encore satisfaire à l’obligation
lui incombant en vertu du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM de déposer, auprès de la
Commission, les informations «finales» sur les limites de son plateau continental au-delà de

200 milles marins, prévues par cette disposition et par l’article 4 de l’annexe II de la convention.

3. L’application du principe de l’autorité de la chose jugée en l’espèce

La Cour a clarifié le contenu et la portée du point 3 du dispositif de l’arrêt de 2012, en
prenant en compte la divergence de vues exprimée par les Parties à ce sujet. Elle a conclu que la
délimitation du plateau continental au-delà des 200 milles marins des côtes nicaraguayennes était

conditionnée par la soumission, de la part du Nicaragua, des informations «finales» sur les limites
de son plateau continental au-delà de 200 milles marins, prévues au paragraphe 8 de l’article 76 de
la CNUDM, à la Commission. La Cour n’a donc pas tranché la question de la délimitation,
en 2012, parce qu’elle n’était pas, alors, en mesure de le faire. La Cour rappelle que, dans sa
requête du 16 septembre 2013, le Nicaragua a souligné avoir transmis à la Commission, le
24 juin 2013, ces informations «finales». La Cour considère, par conséquent, que la condition à
laquelle elle avait subordonné, dans son arrêt de 2012, l’examen de la demande formulée par le

Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales, est remplie dans la présente instance. Elle
conclut qu’elle n’est pas empêchée, par l’effet de l’autorité de la chose jugée, de se prononcer sur
la requête introduite par le Nicaragua le 16 septembre 2013. A la lumière de ce qui précède, la
Cour considère que la troisième exception préliminaire de la Colombie doit être rejetée.

IV. Q UATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

La Cour observe que la Colombie fonde sa quatrième exception sur l’affirmation selon

laquelle, dans son arrêt de 2012, la Cour a rejeté la demande du Nicaragua la priant de délimiter le
plateau continental entre les Parties au-delà de 200 milles marins et a fixé la frontière maritime
entre les espaces qui reviennent à chacune d’entre elles. Cette décision étant, selon la Colombie,
«définiti[ve] et sans recours» en vertu de l’article 60 du Statut, le Nicaragua tenterait, par sa requête
du 16 septembre 2013, de «faire appel» contre l’arrêt précédent ou d’en obtenir la révision.

La Cour estime que le Nicaragua ne demande pas à la Cour de réviser l’arrêt de 2012, et ne

donne pas à sa requête la forme d’un «appel» contre celui-ci. Aussi la Cour conclut-elle que la
quatrième exception préliminaire n’est pas fondée. - 9 -

V. D EUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

La Cour note que la deuxième exception préliminaire soulevée par la Colombie concerne la
thèse du Nicaragua selon laquelle, indépendamment de l’applicabilité de l’article XXXI du pacte de
Bogotá pour les Parties, la Cour a une compétence continue à l’égard de l’objet de la requête.
Celle-ci serait fondée sur la compétence qu’avait la Cour en l’affaire du Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), puisque la Cour n’a pas, dans son arrêt de 2012, tranché de

manière définitive la question de la délimitation du plateau continental entre la Colombie et
lui-même dans la zone située à plus de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.

La Colombie dément l’existence d’une telle compétence continue en l’espèce. Selon elle,
hormis si la Cour a expressément réservé sa compétence, ce qu’elle n’a pas fait dans l’arrêt
de 2012, il n’existe aucune base qui lui permettrait d’exercer une compétence continue après avoir
rendu son arrêt au fond. Selon la Colombie, le Statut ne prévoit que deux procédures dans

lesquelles la Cour peut, sans devoir invoquer une base de compétence indépendante, examiner des
questions qui ont déjà été l’objet d’un arrêt rendu par elle dans une affaire opposant les mêmes
parties : la demande en interprétation d’un arrêt antérieur prévue à l’article 60, et la demande en
révision d’un arrêt antérieur prévue à l’article 61. La présente instance ne relevant ni de
l’article 60, ni de l’article 61, la Colombie affirme que la Cour n’a pas compétence en vertu du titre
additionnel invoqué par le Nicaragua.

Le Nicaragua réfute l’analyse de la Colombie. Il estime que la Cour a le devoir d’exercer
pleinement sa compétence à l’égard de tout différend qui lui est soumis dans les règles. Selon lui,
c’est pour des raisons qui n’ont plus lieu d’être que la Cour, dans son arrêt de 2012, a décidé de ne
pas exercer sa compétence à l’égard de celle de ses demandes qui est l’objet de la présente instance.
Le Nicaragua affirme que la Cour doit maintenant exercer la compétence qu’elle possédait à la date
de cet arrêt. En conséquence, il soutient que la Cour possède une compétence continue à l’égard

des questions soulevées par la présente requête, qu’elle ait ou non réservé expressément cette
compétence dans un arrêt antérieur. Pour le Nicaragua, ce fondement de compétence s’ajoute à
celui que constitue l’article XXXI du pacte de Bogotá.

La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu que l’article XXXI lui confère compétence à l’égard
de la présente instance puisque le Nicaragua a introduit sa requête avant que le pacte de Bogotá
n’ait cessé d’être en vigueur entre la Colombie et lui-même. La Cour n’a donc pas à se pencher sur

la question de savoir s’il existe une base de compétence additionnelle. Par conséquent, il n’y a pas
lieu pour elle de se prononcer sur la deuxième exception préliminaire de la Colombie.

VI. C INQUIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

La Cour relève que la Colombie soutient, à titre subsidiaire, pour le cas où les quatre autres

exceptions qu’elle a soulevées seraient rejetées, qu’aucune des deux demandes formulées dans la
requête du Nicaragua n’est recevable. Elle considère que la première demande est irrecevable
parce que le Nicaragua n’a pas obtenu la recommandation requise sur la fixation de la limite
extérieure de son plateau continental de la part de la Commission et que la seconde demande est
irrecevable car, s’il y était fait droit, la décision de la Cour serait inapplicable et porterait sur un
différend inexistant. - 10 -

1. L’exception préliminaire d’irrecevabilité de la

première demande du Nicaragua

Dans sa première demande, le Nicaragua prie la Cour de déterminer «[l]e tracé précis de la
frontière maritime entre les portions de plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie
au-delà des limites établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012». La Colombie
considère que «la Cour ne peut examiner la requête du Nicaragua, étant donné que la Commission
ne s’est pas assurée qu’étaient remplies les conditions auxquelles il peut être établi que le plateau
continental s’étend au-delà de 200 milles marins et, partant, n’a pas formulé de recommandation».

Le Nicaragua considère qu’un Etat côtier possède sur le plateau continental des droits
inhérents qui existent ipso facto et ab initio et que ses propres droits sur son plateau lui sont
dévolus automatiquement, ipso jure, de plein droit. Il ajoute que la Commission des limites du
plateau continental se préoccupe uniquement de l’emplacement exact des limites extérieures du
plateau et qu’elle n’accorde ni ne reconnaît à un Etat des droits sur celui-ci et n’est pas davantage
habilitée à le délimiter. Le Nicaragua ajoute que, dans le cas où le plateau étendu, au-delà de

200 milles marins de la côte nicaraguayenne, ferait l’objet d’un différend, la Commission, d’après
son propre règlement et sa pratique constante, n’adressera pas au Nicaragua de recommandation.
Et si la Cour devait refuser d’agir tant que la Commission ne serait pas intervenue, on se trouverait
dans une impasse.

La Cour a déjà établi que le Nicaragua était dans l’obligation, conformément au paragraphe 8
de l’article 76 de la CNUDM, d’adresser à la Commission les informations sur les limites du
plateau continental qu’il revendique au-delà de 200 milles marins. La Cour a jugé, dans son arrêt

de 2012, que la communication de ces informations par le Nicaragua était un préalable à la
délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins par la Cour. La Cour doit
maintenant déterminer si, pour qu’elle puisse connaître de la requête introduite par le Nicaragua
en 2013, la recommandation de la Commission est un préalable nécessaire.

La Cour relève que la communication à la Commission des informations sur les limites de
son plateau continental au-delà de 200 milles marins est une obligation qui pèse sur le Nicaragua,

en tant qu’Etat partie à la CNUDM, alors que l’adoption d’une recommandation par la
Commission, après examen de ces informations, est une prérogative de celle-ci. Lorsque la
Commission adresse aux Etats côtiers des recommandations sur des questions concernant les
limites extérieures de leur plateau continental, ceux-ci fixent, sur cette base, des limites, lesquelles
sont «définitives et de caractère obligatoire» à l’égard des Etats parties à cet instrument.

La Cour observe que la procédure devant la Commission vise à la délinéation de la limite
extérieure du plateau continental, et, par conséquent, à la détermination de l’étendue des fonds

marins qui relèvent des juridictions nationales. Elle est distincte de la délimitation du plateau
continental, régie par l’article 83 de la CNUDM, qui est effectuée par voie d’accord entre les Etats
concernés ou par le recours aux procédures de règlement des différends.

La Cour considère, en conséquence, que dès lors que la délimitation du plateau continental
au-delà de 200 milles marins peut s’effectuer indépendamment de la recommandation de la
Commission, cette recommandation n’est pas un prérequis pour qu’un Etat partie à la CNUDM

puisse demander à la Cour de régler un différend avec un autre Etat relatif à une telle délimitation.
La Cour conclut que l’exception préliminaire d’irrecevabilité de la première demande du Nicaragua
doit être rejetée. - 11 -

2. L’exception préliminaire d’irrecevabilité de la

seconde demande du Nicaragua

Dans sa seconde demande, le Nicaragua prie la Cour de déterminer

«[l]es principes et les règles de droit international régissant les droits et obligations des
deux Etats concernant la zone du plateau continental où leurs revendications se
chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent, et ce, dans l’attente de la

délimitation de leur frontière maritime au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne».

La Colombie soutient que la seconde demande du Nicaragua invite la Cour à statuer dans
l’attente de sa décision sur la première demande de celui-ci. La Cour étant amenée à statuer
simultanément sur les deux demandes, elle ne pourrait par conséquent accueillir la seconde
demande car celle-ci serait sans objet. La Colombie considère aussi que la seconde demande du

Nicaragua est une demande en indication de mesures conservatoires déguisée et qu’elle devrait être
écartée de ce fait. Enfin, elle avance qu’il n’existerait pas de différend entre les Parties concernant
un hypothétique régime juridique à appliquer dans l’attente de la décision sur la frontière maritime
au-delà de 200 milles marins de la côte du Nicaragua.

Le Nicaragua estime que la pertinence de cette seconde demande dépend de la décision de la
Cour sur le fond au sujet de la question de la délimitation du plateau continental au-delà de

200 milles à partir de la côte nicaraguayenne entre les Parties. Le Nicaragua réfute la thèse de la
Colombie selon laquelle sa seconde demande constituerait une demande en indication de mesures
conservatoires qui ne dit pas son nom. Il estime qu’il y a bien un différend entre les Parties dans la
mesure où la Colombie refuse au Nicaragua le moindre droit  voire celui de prétendre  à des
espaces maritimes au-delà de 200 milles marins de sa côte.

La Cour relève que le Nicaragua, dans sa seconde demande, l’invite à déterminer les
principes et les règles de droit international régissant une situation qui ne serait clarifiée et tranchée
qu’au stade du fond de cette affaire. Or, il n’appartient pas à la Cour de déterminer le droit
applicable en fonction d’une situation hypothétique. Elle rappelle que sa fonction est «de dire le
droit, mais elle ne peut rendre des arrêts qu’à l’occasion de cas concrets dans lesquels il existe, au
moment du jugement, un litige réel impliquant un conflit d’intérêts juridiques entre les parties».

Telle n’est pas la situation à ce stade de la procédure en ce qui concerne la seconde demande du
Nicaragua. Celle-ci ne porte pas sur un différend réel entre les Parties, soit «un désaccord sur un
point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts» ; elle
ne comporte en outre aucune précision sur ce qu’il est demandé à la Cour de décider. La Cour
conclut, en conséquence, que l’exception préliminaire d’irrecevabilité de la seconde demande du
Nicaragua doit être retenue.

VI. D ISPOSITIF

L A COUR ,

1) a) A l’unanimité,

Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République de Colombie ;

b) Par huit voix contre huit, par la voix prépondérante du président,

Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie ; - 12 -

POUR : M. Abraham, président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Greenwood,
Mme Sebutinde, M. Gevorgian, juges ; M. Skotnikov, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Yusuf, vice-président ; M. Cançado Trindade, Mmes Xue, Donoghue,
MM. Gaja, Bhandari, Robinson, juges ; M. Brower, juge ad hoc ;

c) A l’unanimité,

Rejette la quatrième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie ;

d) A l’unanimité,

Dit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la deuxième exception préliminaire soulevée
par la République de Colombie ;

e) Par onze voix contre cinq,

Rejette la cinquième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie en
ce qu’elle a trait à la première demande formulée par le Nicaragua dans sa requête ;

POUR : M. Abraham, président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Greenwood,
Mme Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Gevorgian, juges ; MM. Brower,

Skotnikov, juges ad hoc ;

CONTRE : M. Yusuf, vice-président ; M. Cançado Trindade, Mme Xue, MM. Bhandari,
Robinson, juges ;

f) A l’unanimité,

Retient la cinquième exception préliminaire soulevée par la République de Colombie en
ce qu’elle a trait à la seconde demande formulée par le Nicaragua dans sa requête ;

2) a) A l’unanimité,

Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour
connaître de la première demande formulée par la République du Nicaragua ;

b) Par huit voix contre huit, par la voix prépondérante du président,

Dit que la première demande formulée par la République du Nicaragua dans sa requête
est recevable.

POUR : M. Abraham, président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Greenwood,
Mme Sebutinde, M. Gevorgian, juges ; M. Skotnikov, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Yusuf, vice-président ; M. Cançado Trindade, Mmes Xue, Donoghue,
MM. Gaja, Bhandari, Robinson, juges ; M. Brower, juge ad hoc.

M. le juge YUSUF , vice-président, M. le juge ANÇADO TRINDADE , Mme la juge X UE ,
MM. les juges G AJA , BHANDARI , ROBINSON et M. le juge ad hoc B ROWER joignent à l’arrêt

l’exposé de leur opinion dissidente commune ; MM. les jugesWADA et GREENWOOD joignent à
l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; Mme laONOGHUE joint à l’arrêt l’exposé de
son opinion dissidente ; MM. les jugeAJA, BHANDARI , ROBINSON et M. le juge ad hocROWER
joignent des déclarations à l’arrêt.

___________ Annexe au résumé 2016/2

Opinion dissidente commune de M. le juge Yusuf, vice-président, M. le juge Cançado

Trindade, Mme la juge Xue, MM. les juges Gaja, Bhandari et Robinson, et M. le juge
ad hoc Brower

Introduction

1. Les sept juges signataires de l’opinion dissidente commune regrettent que la Cour ait été
divisée par moitié sur le contenu et la portée d’une décision qu’elle avait pourtant adoptée à
l’unanimité seulement quatre ans auparavant. Ils sont d’avis que la Cour aurait dû accueillir

l’exception fondée par la Colombie sur le principe de l’autorité de la chose jugée (res judicata) et
déclarer la requête du Nicaragua irrecevable du fait de l’application de ce principe.

Le principe de l’autorité de la chose jugée dans la jurisprudence de la Cour et son
application en l’espèce

2. Dans leur opinion dissidente commune, les juges exposent leur conception de l’autorité de

la chose jugée. Pour eux, il s’agit d’un principe général, trouvant son expression dans les
articles 59 et 60 du Statut de la Cour, selon lequel «les décisions de la Cour sont non seulement
obligatoires pour les parties, mais [aussi] définitives, en ce sens qu’elles ne peuvent être remises en
cause par les parties pour ce qui est des questions que ces décisions ont tranchées». C’est un
principe qui fait obstacle à toute nouvelle demande dès lors qu’il y a identité des parties, identité de
la base juridique et identité de l’objet avec une demande antérieure déjà examinée.

3. Les sept juges relèvent cependant que les Parties, si elles s’accordent sur ces éléments,
divergent en revanche sur la question de savoir ce que la Cour a définitivement tranché dans son
arrêt de 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie). Selon eux,
la réponse réside dans le dispositif de l’arrêt, qui est revêtu de l’autorité de la chose jugée, ainsi que
dans les motifs qui sont «inséparables» du dispositif ou qui constituent «une condition absolue de
la décision de la Cour».

Le dispositif de l’arrêt rendu en 2012 dans l’affaire du Différend territorial et maritime

4. Dans leur opinion dissidente commune, les juges rappellent que la Cour, dans le dispositif
de son arrêt de 2012, a dit qu’elle «ne [pouvait] accueillir la demande formulée par la République
du Nicaragua au point I 3) de ses conclusions finales») (C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 719,
par. 251 3)). Le Nicaragua avait prié la Cour de dire et juger

«que, dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du
Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une
limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les
droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent». (Ibid., p. 636, par. 17).

5. Les sept juges, après avoir passé en revue d’autres arrêts dans lesquels l’expression «ne
peut accueillir» est employée par la Cour, constatent que celle-ci a invariablement utilisé cette

expression pour rejeter la demande ou la requête d’une partie. Ils en concluent que la Cour a rejeté
le point I 3) des conclusions finales du Nicaragua dans son arrêt de 2012. Il s’ensuit que la Cour, si
elle a rejeté ce point dans le dispositif, a rendu une décision qui est revêtue de l’autorité de la chose
jugée. - 2 -

6. En la présente espèce, le Nicaragua, dans sa première demande, priait la Cour de
déterminer «[l]e tracé précis de la frontière maritime entre les portions de plateau continental

relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites établies par la Cour dans son arrêt du
19 novembre 2012» (Requête du Nicaragua, ci-après désignée «RN», par. 12). Au
paragraphe 11 c) de sa requête, il affirmait que le plateau continental étendu qu’il revendique
«inclut un espace maritime situé au-delà de sa zone maritime de 200 milles et chevauche en partie
la zone s’étendant sur 200 milles marins depuis la côte colombienne» (RN, par. 11 c)), et que ce
droit à un plateau continental étendu existe en vertu à la fois du droit international coutumier et de
la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après «la CNUDM») (RN, par. 11 a)).

7. Les sept juges sont d’avis que le point I 3) des conclusions finales du Nicaragua en
l’affaire du Différend territorial et maritime et la première demande formulée dans sa requête en la
présente affaire ont tous deux le même objet (la délimitation d’un plateau continental étendu
chevauchant celui dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte
continentale), la même base juridique (le droit à ce plateau continental étendu existe en vertu du
droit international coutumier et de la CNUDM) et concernent les mêmes parties. Le Nicaragua

cherche donc à présenter la même demande, contre la même partie, sur la même base juridique.
Ainsi que le montre l’analyse que font les juges, dans leur opinion dissidente commune, de la
manière dont la Cour emploie l’expression «ne peut accueillir», le point I 3) des conclusions
finales» du Nicaragua a été rejeté dans l’arrêt de 2012. La première demande du Nicaragua dans la
présente affaire est donc un parfait exemple de demande tombant sous le coup de l’autorité de la
chose jugée.

Les motifs de la Cour dans l’arrêt de 2012 en l’affaire du Différend territorial et maritime

8. Les sept juges signataires de l’opinion dissidente commune regrettent que la majorité n’ait
pas examiné l’usage qui est fait de l’expression «ne peut accueillir» et, partant, n’ait pas donné
effet aux termes contenus dans le dispositif de l’arrêt de 2012. La position de la majorité est
fondée sur une analyse des motifs de cet arrêt, et non de son dispositif. Cependant, les sept juges
sont d’avis que les motifs eux-mêmes confirment que la Cour a rejeté la demande du Nicaragua en

2012, parce que celui-ci n’avait pas démontré l’existence d’un plateau continental étendu qui
chevaucherait celui dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte
continentale.

9. Les termes mêmes du paragraphe 129 de l’arrêt de 2012 montrent clairement que la Cour
a rejeté la demande du Nicaragua parce que celui-ci n’avait «pas… apporté la preuve que sa marge
continentale s’étend[ait] suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental dont la

Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins» (les italiques sont de nous) (dans la version
anglaise : «has not established that it has a continental margin…»).

10. Cette conclusion est confirmée par le fait que la Cour a également rejeté dans l’arrêt de
2012 la «formulation générale» proposée par le Nicaragua, qui lui demandait de délimiter en
termes généraux les portions du plateau continental auxquelles pouvaient prétendre les Parties, par
exemple «en définissant la frontière comme étant «la ligne médiane entre la limite extérieure du

plateau continental du Nicaragua établie conformément à l’article 76 de la CNUDM et la limite
extérieure de la zone des 200 milles marins relevant de la Colombie»» (C.I.J. Recueil 2012 (II),
p. 669, par. 128). La Cour a estimé que «même en utilisant la formulation générale» proposée par
le Nicaragua (les italiques sont de nous, ibid., p. 669, par. 129) elle n’était pas en mesure de
délimiter les portions du plateau continental relevant de chacune des parties. Si elle a
mentionné  et rejeté  cette «formulation générale» séparément du point I. 3) des conclusions

finales du Nicaragua, c’est uniquement parce que la première demande ne visait que l’existence - 3 -

d’un plateau continental étendu qui chevaucherait celui dont la Colombie peut se prévaloir sur
200 milles marins, et non la délinéation de la limite extérieure de ce plateau continental.

11. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la majorité, si la Cour a rejeté la
demande du Nicaragua, ce n’est pas parce que celui-ci n’avait pas communiqué à la Commission
des limites du plateau continental les informations visées au paragraphe 8 de l’article 76 de la
CNUDM. De fait, lors de la procédure orale en l’espèce, le Nicaragua lui-même a reconnu que la
Cour, en 2012, avait conclu qu’il n’avait pas démontré l’existence d’un plateau continental étendu
qui chevaucherait celui dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte

continentale.

12. En outre, contrairement à ce que conclut la majorité, la Cour n’a jamais dit que le
Nicaragua devait s’acquitter d’une quelconque obligation procédurale de communiquer des
informations à la Commission des limites du plateau continental pour qu’elle-même puisse
procéder à la délimitation, et elle n’a pas davantage donné à entendre que le Nicaragua pourrait
revenir devant elle une fois qu’il aurait complété sa demande à la Commission.

13. De l’avis des sept juges, force est donc de conclure que la décision adoptée par la Cour
en 2012 au sujet de la délimitation était précisément fondée sur le fait que le Nicaragua n’avait pas
démontré l’existence d’un plateau continental étendu qui chevaucherait celui dont la Colombie peut
se prévaloir sur 200 milles marins. Il s’agit d’un élément majeur des motifs de la Cour, qui a posé
les fondements du dispositif revêtu de l’autorité de la chose jugée.

14. Dans sa seconde demande en l’espèce, le Nicaragua priait la Cour de déterminer «[l]es
principes et les règles de droit international régissant les droits et obligations des deux Etats
concernant la zone du plateau continental où leurs revendications se chevauchent et l’utilisation des
ressources qui s’y trouvent, et ce, dans l’attente de la délimitation de leur frontière maritime
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne» (RN, par. 12). C’est là une reformulation
de la «formulation générale» qu’il proposait à la Cour en l’affaire du Différend territorial et

maritime. A l’instar de la première, la seconde demande du Nicaragua dans la présente affaire
tombe sous le coup de l’autorité de la chose jugée.

Le caractère illogique de l’obligation procédurale introduite par la majorité

15. La majorité a vu dans l’arrêt de 2012 une obligation procédurale, selon laquelle un Etat
côtier serait tenu de communiquer à la Commission des limites du plateau continental les
informations visées au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, qui constituerait en l’espèce une

condition préalable à la délimitation des portions de plateau continental étendu relevant
respectivement du Nicaragua et de la Colombie. La communication d’informations à la
Commission en application du paragraphe 8 de l’article 76 devient ainsi une condition de
recevabilité ; en d’autres termes, cela revient à «affirmer qu’il existe une raison juridique pour
laquelle la Cour, même si elle a compétence, devrait refuser de connaître de l’affaire ou, plus
communément, d’une demande spécifique y relative.» (Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt,

C.I.J. Recueil 2008, p. 456, par. 120). - 4 -

16. Il apparaît cependant dans l’arrêt de 2012 que la recevabilité de la demande formulée au

point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua avait été expressément contestée par la Colombie,
qui a fait valoir que la demande de délimitation d’un plateau continental étendu n’était pas
implicitement contenue dans la requête, et que cette question ne découlait pas non plus directement
de l’objet du différend (C.I.J. Recueil 2012 (II, p. 664, par. 107). La Cour a rejeté cet argument et
déclaré recevable la demande formulée au point I. 3).

17. Le raisonnement suivi par la majorité en l’espèce place donc la Cour dans une position
singulière. Si l’on se range à l’avis de la majorité en la présente affaire, force est de conclure que la
Cour, dans la procédure de 2012, n’aurait pas dû déclarer recevable la demande formulée par le
Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales et n’aurait pas dû procéder à son examen au
fond. A l’inverse, si l’on considère  comme l’a fait la Cour en 2012  que la demande formulée
au point I. 3) était recevable, la logique veut alors qu’une communication à la Commission au titre
du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM ne saurait être une condition préalable à l’examen

d’une demande de délimitation du plateau continental étendu.

18. La position de la majorité est en contradiction non seulement avec l’arrêt de 2012, mais
également avec le texte du paragraphe 8 de l’article 76. Ce paragraphe énonce trois dispositions,
qui contiennent chacune un verbe au présent impératif : l’Etat côtier communique des
informations ; la Commission adresse des recommandations ; et les limites fixées sur la base de ces
recommandations sont définitives et de caractère obligatoire. On ne voit pas très bien pourquoi la

majorité considère que seule la première constitue une condition préalable à la délimitation ; à
l’évidence, le texte lui-même ne se prête pas à une telle interprétation.

Les objectifs des communications visées à l’article 76 de la CNUDM et à l’article 4 de
son annexe II

19. Selon les dispositions de la CNUDM, la communication d’informations à la Commission

des limites du plateau continental sert deux objectifs. Le premier est, pour les Etats côtiers qui le
souhaitent, d’obtenir de la Commission des recommandations au sujet de la limite extérieure de
leur plateau continental, conformément au paragraphe 8 de l’article 76. Ces recommandations
servent ensuite de base à la délimitation du plateau continental, et les limites ainsi fixées sont alors
opposables aux autres Etats.

20. Le deuxième objectif est de permettre aux Etats qui entendent revendiquer un plateau

continental étendu de satisfaire à la «clause de temporisation» contenue à l’article 4 de l’annexe II
de la CNUDM, qui leur demande de soumettre à la Commission les «caractéristiques» de la limite
du plateau continental auquel ils prétendent dans un délai de dix ans à compter de l’entrée en
vigueur de la convention à leur égard.

21. Conformément à la décision prise le 20 juin 2008 par les Etats parties à la CNUDM
(SPLOS/183), les Etats peuvent s’acquitter de l’obligation énoncée à l’article 4 de l’annexe II en

soumettant des «informations préliminaires» à la Commission. Cette décision visait à permettre
aux Etats, en particulier ceux en développement, qui n’ont pas toujours les capacités techniques
suffisantes, de respecter la «clause de temporisation» attachée à la revendication d’un plateau
continental étendu au titre de la Convention, tout en leur accordant un délai supplémentaire pour la
réalisation des levés géologiques et géomorphologiques qui sont nécessaires pour démontrer que
leur plateau continental s’étend au-delà de 200 milles marins. C’est à tort que la majorité voit une
même finalité dans les objectifs respectifs de ces deux dispositions distinctes de la CNUDM. - 5 -

Le principe ne bis in idem et l’épuisement des recours prévus dans le traité

22. Les sept juges signataires de l’opinion dissidente commune font valoir que, même à
supposer que la majorité interprète justement l’arrêt de 2012, le Nicaragua ne devrait pas avoir la
possibilité de revenir une seconde fois devant la Cour pour tenter de remédier au vice de procédure
qui l’aurait empêché d’obtenir en 2012 la délimitation du plateau continental étendu qu’il
revendique et qui chevaucherait celui de la Colombie. L’autoriser à le faire serait contraire au
principe ne bis in idem, selon lequel une demande réitérée est irrecevable, que son objet soit ou non
couvert par l’autorité de la chose jugée.

23. En outre, une demande qui serait la réitération d’une autre demande examinée
antérieurement par la Cour peut être jugée irrecevable si le fondement conventionnel de la
compétence est le même. La requête du Nicaragua en l’espèce n’est pas recevable parce qu’il y a
épuisement des recours prévus dans le traité.

Conclusion :

l’autorité de la chose jugée et la protection de la fonction judiciaire

24. Les sept juges concluent leur opinion dissidente commune en soulignant l’importance
qu’il y a de préserver le caractère définitif des arrêts de la Cour, à la fois pour garantir un
fonctionnement efficace du système de règlement des différends entre Etats et pour protéger les
Etats défendeurs contre la réitération de demandes. Selon eux, un cas de figure qui dessert les
objectifs du principe de l’autorité de la chose jugée compromet la fonction judiciaire ainsi que la

bonne administration de la justice.

25. Le Nicaragua et la Colombie s’affrontent depuis des années dans un long différend au
sujet de leurs droits maritimes respectifs. En sa qualité d’organe judiciaire principal de
l’Organisation des Nations Unies, la Cour est bien placée pour régler les différends de cette sorte.
Cependant, si elle veut continuer à occuper cette place, elle ne peut donner l’impression d’autoriser
les Etats à représenter continuellement les mêmes demandes. Si tel était le cas, la sécurité et la

stabilité que ses décisions définitives doivent contribuer à créer en seraient amoindries.

Opinion individuelle de M le juge Owada

1. Le juge Owada joint à l’arrêt une opinion individuelle pour développer deux points
distincts. Le premier concerne la question de l’autorité de la chose jugée, soulevée par la Colombie
dans sa troisième exception préliminaire. Si le juge Owada est d’accord pour dire que, dans son

arrêt de 2012, la Cour ne s’est pas prononcée sur la demande de plateau continental étendu ou la
demande de délimitation du Nicaragua, il tient ainsi à expliciter son propre raisonnement sur cet
aspect. La question de la condition préalable à l’application du principe de l’autorité de la chose
jugée, à savoir l’identité des personae, du petitum et de la causa petendi, n’a pas été soulevée par
les Parties et n’est pas en cause ; en revanche, celle qui se pose plus fondamentalement en l’espèce
consiste à savoir si la décision prise par la Cour dans son arrêt de 2012 recouvre un prononcé final
et définitif auquel il faudrait attribuer l’effet de chose jugée. En d’autres termes, la question

concerne la portée de la chose jugée. Pour déterminer si la demande du Nicaragua a été
définitivement tranchée dans l’arrêt de 2012, il convient d’examiner le contexte dans lequel le
dispositif a été adopté, ainsi que le raisonnement de la Cour et la structure d’ensemble de l’arrêt.
L’examen de ces facteurs, qui n’ont pas été suffisamment pris en compte dans l’arrêt de la Cour,
amène à conclure que la demande de délimitation du Nicaragua fondée sur sa prétention à un
plateau continental étendu n’a pas été tranchée de manière définitive dans l’arrêt de 2012 et ne - 6 -

tombe donc pas sous le coup de la chose jugée. En conséquence, la troisième exception
préliminaire de la Colombie doit être rejetée.

2. Le second point concerne la question de savoir si la Colombie, qui n’est pas partie à la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la «CNUDM») peut se prévaloir de
celle-ci à l’égard du Nicaragua, qui, lui, l’est. Le juge Owada souscrivant au raisonnement qui
amène la Cour à rejeter la cinquième exception préliminaire, ce n’est que par principe qu’il soulève
cette question, qui a trait au droit applicable. Il est bien établi qu’un traité ne confère ni obligations
ni droits à un Etat tiers sans son consentement, ou, res inter alios acta. A ce titre, comme l’a

affirmé la Cour dans son arrêt de 2012, le droit applicable en l’espèce n’est pas la CNUDM  que
la Colombie n’a pas ratifiée , mais le droit international coutumier. La Colombie n’a pas
démontré que la disposition pertinente de l’article 76 de la CNUDM quant à l’obligation d’obtenir
les recommandations de la Commission des limites du plateau continental était une règle de droit
international coutumier, mais n’en tente pas moins de l’invoquer à l’encontre du Nicaragua, qui,
lui, est partie à cette convention. Le juge Owada souscrit au raisonnement qui conduit la Cour à

rejeter la cinquième exception préliminaire de la Colombie mais estime qu’il existait une raison
supplémentaire de ce faire.

Opinion individuelle de M. le juge Greenwood

Selon le juge Greenwood, l’autorité de la chose jugée produit des effets non seulement sur la
procédure, mais également sur le fond. Si, comme l’affirme la Colombie, l’arrêt de 2012 avait

établi que le Nicaragua n’avait pas démontré que sa marge continentale s’étendait au-delà de
200 milles marins de ses lignes de base, cette décision serait revêtue de l’autorité de la chose jugée
et aurait empêché le Nicaragua de revendiquer un droit à un plateau continental étendu vis-à-vis de
la Colombie, dans la présente affaire comme devant toute autre instance. Cependant, rien de tel n’a
été établi par l’arrêt de 2012. Puisque cet arrêt ne dit absolument rien des prétentions
nicaraguayennes dans la zone située à plus de 200 milles marins des côtes continentales respectives
des deux Etats, la question de l’autorité de la chose jugée ne pouvait pas se poser au sujet de cette

zone. Même en ce qui concerne la zone située à moins de 200 milles marins de la côte continentale
colombienne, l’analyse de l’arrêt de 2012 montre que la Cour n’a pas décidé ce que le Nicaragua
devait démontrer, ni examiné la solidité ou la faiblesse des éléments de preuve qu’il avait produits.
Dans ces conditions, on ne saurait voir dans l’arrêt de 2012 une décision à l’effet de dire que le
Nicaragua ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait. Néanmoins, les
arguments invoqués à l’appui de l’application du principe de l’autorité de la chose jugée étant
différents pour chacune des deux zones, il aurait été préférable que la Cour conserve cette

distinction dans l’arrêt qu’elle rend aujourd’hui.

Opinion dissidente de Mme la juge Donoghue

La juge Donoghue ne souscrit pas à l’interprétation que donne la Cour du point 3 du
dispositif de l’arrêt rendu en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)
(C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 719, par. 251 3)). Elle ne partage donc pas la conclusion à laquelle la

Cour est parvenue aujourd’hui concernant la troisième exception préliminaire de la Colombie, qui
contestait la recevabilité de la requête du Nicaragua au regard du principe de l’autorité de la chose
jugée (res judicata).

La Cour déclare aujourd’hui avoir décidé en 2012 qu’elle ne pouvait accueillir la demande
de délimitation du Nicaragua au motif que celui-ci n’avait pas encore soumis de demande à la
Commission des limites du plateau continental aux fins de fixer les limites de son plateau
continental au-delà de 200 milles marins. Une telle demande ayant été faite depuis, la Cour conclut - 7 -

que le principe de l’autorité de la chose jugée ne l’empêche pas de se prononcer sur la première
demande du Nicaragua dans la présente affaire.

La juge Donoghue estime cependant que la Cour, en 2012, a statué sur le fond de la demande
du Nicaragua. En particulier, elle a conclu que le Nicaragua n’avait pas apporté la preuve que son
plateau continental s’étendait suffisamment loin pour chevaucher celui dont la Colombie pouvait se
prévaloir au titre de sa masse continentale, et que, par conséquent, elle n’était pas en mesure de
procéder à la délimitation qu’il lui demandait. Cette conclusion constituait une condition absolue
de la décision de la Cour de ne pas accueillir la demande du Nicaragua. La juge Donoghue

considère par conséquent que le principe de l’autorité de la chose jugée empêche le Nicaragua de
démontrer une deuxième fois, dans une deuxième procédure, les mêmes faits contre le même
défendeur, et que la première demande du Nicaragua, en ce qu’elle revient à cela, est irrecevable.

La juge Donoghue relève cependant que l’arrêt de 2012 n’a pas tranché la question de
l’existence d’un chevauchement entre les droits du Nicaragua et ceux dont la Colombie peut se
prévaloir au titre de ses îles dans la zone située au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne. Cette question-là n’est pas couverte par l’autorité de la chose jugée et la première

demande du Nicaragua est donc, selon la juge Donoghue, recevable en ce qu’elle y a trait.

Pour conclure, la juge Donoghue expose dans son opinion dissidente les raisons pour
lesquelles elle ne souscrit pas à l’interprétation que donne la Cour du point 3 du dispositif de l’arrêt
de 2012.

Déclaration de M. le juge Gaja

Selon le juge Gaja, la délimitation du plateau continental entre des Etats dont les côtes sont
adjacentes ou se font face est souvent difficile à effectuer lorsque la limite extérieure du plateau
continental étendu n’a pas été fixée, ce qui, conformément au paragraphe 8 de l’article 76 de la
convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ne peut être fait que sur la base d’une
recommandation de la Commission des limites du plateau continental. Le paragraphe 10 du même
article dispose qu’une recommandation relative à la fixation de la limite extérieure du plateau
continental ne préjuge pas de la question de la délimitation et peut donc être formulée nonobstant

l’existence d’un différend à ce sujet. La Commission devrait donc modifier son règlement intérieur
de façon à pouvoir examiner toute demande, y compris lorsque la délimitation est litigieuse.

Déclaration de M. le juge Bhandari

Dans sa déclaration, le juge Bhandari rappelle qu’il s’est associé à l’opinion dissidente
commune jointe à l’arrêt, relative à la troisième exception préliminaire soulevée par la Colombie au

titre du principe de l’autorité de la chose jugée. Il souhaite par la présente déclaration faire
quelques observations supplémentaires sur la cinquième exception préliminaire, qui a trait au fait
que le Nicaragua n’a pas obtenu la recommandation requise de la Commission des limites du
plateau continental (ci-après la «Commission»). Partisan de retenir la cinquième exception
préliminaire de la Colombie, le juge Bhandari formule huit brèves observations : premièrement,
aucun des éléments soumis ne démontre que le Nicaragua ait fourni toutes les informations
nécessaires à la Commission, ce que la majorité semble pourtant tenir pour acquis. Deuxièmement,

la Commission n’ayant encore fait aucune recommandation, la Cour n’est pas en mesure de prédire
le moment où elle pourrait le faire. Troisièmement, le principe de courtoisie entre institutions
impose une certaine déférence à l’égard de la Commission. Quatrièmement, la Commission est une
institution spécialisée qui réunit des experts dotés d’une expérience pratique et est chargée de faire
des recommandations sur des questions relatives au plateau continental. Cinquièmement, permettre
que cette affaire atteigne le stade du fond sans attendre la recommandation de la Commission va à
l’encontre des motifs exposés dans l’arrêt de 2012. Sixièmement, le Nicaragua ayant signé la - 8 -

convention des Nations Unies sur le droit de la mer, il est lié par les dispositions de celle-ci.
Septièmement, une nation ne devrait pas être autorisée à tenter de fait, en violation du Statut de la

Cour, de former un recours contre un arrêt qui est définitif et obligatoire entre les Parties ou d’en
obtenir la révision. Enfin, permettre au Nicaragua d’ester devant la Cour sans avoir obtenu la
recommandation requise de la Commission reviendrait à priver celle-ci de tout pouvoir véritable.

Déclaration de M. le juge Robinson

Si le juge Robinson s’est associé à l’opinion dissidente commune jointe à l’arrêt, c’est parce

qu’il estime, pour les raisons qui y sont exposées, que la troisième exception préliminaire de la
Colombie aurait dû être retenue. Par la présente déclaration, il souhaite insister sur une question
spécifique résultant de l’arrêt rendu en l’espèce, dans lequel la majorité fait siens les dicta de celui
de 2012 et les applique d’une manière qui revient à méconnaître un principe élémentaire du droit
des traités.

Les traités lient les Etats car ceux-ci y ont consenti. Ce consentement est l’expression des
principes de la souveraineté et de l’égalité entre Etats. Les droits et obligations énoncés dans un

traité ne s’appliquent pas aux Etats qui n’y sont pas parties, à moins que les Etats parties entendent
qu’il en soit ainsi et que les Etats non parties y consentent, ou que les dispositions du traité
contenant les droits et obligations soient aussi des règles du droit international coutumier. En
l’espèce, la majorité semble avoir fait abstraction de ces principes dans la conclusion à laquelle elle
est parvenue.

La Cour avait très clairement indiqué au paragraphe 118 de son arrêt de 2012 que le droit

applicable en l’affaire était le droit international coutumier, puisque la Colombie n’était pas partie à
la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la «CNUDM»). Le paragraphe 8
de l’article 76 de la CNUDM et la procédure devant la Commission des limites du plateau
continental, décrite à l’annexe II de la convention, sont à l’évidence des dispositions spécifiques,
contractuelles et réservées aux Etats parties.

La majorité interprète l’arrêt de 2012 comme imposant un «préalable» ou une «condition»,
qui découlerait du paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM, à la délimitation des portions du

plateau continental étendu relevant respectivement du Nicaragua et de la Colombie.
Aux paragraphes 86 et 87 de l’arrêt rendu en l’espèce, la majorité constate que «le Nicaragua a
souligné avoir transmis à la Commission [des limites du plateau continental], le 24 juin 2013, les
informations «finales»» et «considère, par conséquent, que la condition à laquelle [la Cour] a
subordonné, dans son arrêt de 2012, l’examen de la demande formulée par le Nicaragua au
point I. 3) de ses conclusions finales, est remplie dans la présente instance».

L’incohérence de l’interprétation que donne la majorité de l’arrêt de 2012 est abondamment
débattue dans l’opinion dissidente commune. En outre, cette interprétation revient à appliquer des
règles qui, en réalité, sont inapplicables entre les deux parties. Par conséquent, la Colombie, qui
n’est pas partie à la CNUDM, s’est vu accorder quelque chose qui, selon le juge Robinson,
s’apparente à un avantage au titre de la convention, puisque le paragraphe 8 de l’article 76, qui ne
reflète aucune règle de droit international coutumier, a été opposé au Nicaragua dans ses relations
avec la Colombie. Cela soulève des questions quant à la compatibilité de la démarche de la Cour

avec le régime prévu aux articles 34 à 36 de la convention de Vienne sur le droit des traités
(«Traités et Etats tiers»). - 9 -

Déclaration de M. le juge ad hoc Brower

Le juge ad hoc Brower précise qu’il est d’accord avec l’ensemble des membres de la Cour
pour conclure que, tout bien pesé, celle-ci est effectivement compétente pour connaître de la
requête du Nicaragua au titre du pacte de Bogotá. S’il joint une déclaration, c’est pour expliquer
pourquoi la Cour ne pouvait que trouver difficile d’accepter l’interprétation du second alinéa de
l’article LVI du pacte proposée par la Colombie, et ce, essentiellement parce qu’aucun
enseignement utile ne pouvait être tiré des travaux préparatoires.

Le juge ad hoc Brower relève que, à l’audience, le conseil du Nicaragua a qualifié le second
alinéa de l’article LVI du pacte de «superflu mais pas inutile». L’interprétation que le Nicaragua
oppose à celle de la Colombie consiste à faire valoir que cet alinéa n’a d’autre objet que
d’expliciter, par surcroît de prudence, ce qui serait de toute façon vrai. La Cour fait siennes les
vues du Nicaragua, bien qu’elle soit généralement amenée à attribuer un sens à chacune des
dispositions d’un traité, comme l’exige le principe de l’effet utile.

Le juge ad hoc Brower fait observer que les articles LVIII et LIX du pacte, tels que lus

conjointement, ainsi qu’avec l’article LVI dans son ensemble, auraient pu traduire l’intention des
parties au pacte de considérer que, dès lors que celui-ci serait dénoncé par l’une d’elles, aucune
nouvelle procédure ne pourrait être engagée. Il est aussi concevable que le second alinéa de
l’article LVI ait eu pour effet utile d’indiquer clairement ce qui n’avait pas encore été établi de
manière définitive par l’arrêt Nottebohm ((Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire,
C.I.J. Recueil 1953, p. 111), à savoir que la compétence de la Cour est établie à compter de
l’introduction d’une requête et continue ensuite d’exister même s’il est mis fin à l’instrument sur

lequel elle était fondée. Faute de pouvoir trouver dans les travaux préparatoires, ceux-ci étant fort
succincts, la moindre indication quant à la raison pour laquelle le second alinéa a été inclus à
l’article, la Cour n’a pas jugé ces hypothèses convaincantes.

Tout ce que la Cour a pu inférer de la genèse de cette disposition, c’est que le libellé en est
resté inchangé au fil des diverses conférences et versions du pacte, et ce, jusqu’à sa conclusion. On
ne trouve nulle part expliqué pourquoi ce qui allait devenir le second alinéa de l’article LVI du

pacte a été ajouté et conservé année après année sur une période de dix ans. C’est manifestement
pour cette raison que la Cour a estimé devoir préférer l’interprétation reconnaissant à cet alinéa
l’effet utile, quoique superflu, d’expliciter la disposition par surcroît de prudence à celle nettement
plus acrobatique découlant d’un raisonnement a contrario.

Le juge ad hoc Brower considérant que la conclusion de la Cour n’est pas déraisonnable, il
ne pouvait s’en dissocier.

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Résumé de l'arrêt du 17 mars 2016

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