14000
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS RELATIVES À DES NÉGOCIATIONS CONCERNANT LA CESSATION
DE LA COURSE AUX ARMES NUCLÉAIRES ET LE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE
(ÎLES MARSHALL c. PAKISTAN)
CONTRE-MÉMOIRE DU PAKISTAN
(COMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ)
1ER DÉCEMBRE 2015
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Pages
PARTIE 1. INTRODUCTION ET RÉSUMÉ ............................................................................................... 1
PARTIE 2. EXPOSÉ DES FAITS PERTINENTS EN MATIÈRE DE COMPÉTENCE ET DE
RECEVABILITÉ ............................................................................................................................... 4
PARTIE 3. EN INTRODUISANT UNE INSTANCE CONTRE LE PAKISTAN, LA RÉPUBLIQUE DES
ILES MARSHALL FAIT PREUVE DE MAUVAISE FOI ......................................................................... 9
PARTIE 4. LES DEMANDES DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL CONTRE LE PAKISTAN
SONT MANIFESTEMENT DÉPOURVUES DE TOUT FONDEMENT ...................................................... 11
PARTIE 5. LE MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL N’EST CONFORME NI AU
RÈGLEMENT NI AUX INSTRUCTIONS DE PROCÉDURE DE LA COUR .............................................. 13
PARTIE 6. LA CHARGE DE LA PREUVE ............................................................................................... 15
Chapitre 1. C’est aux Iles Marshall qu’il incombe de démontrer que la Cour a compétence
et que leur requête est recevable ............................................................................................ 15
Chapitre 2. Dans sa requête et son mémoire, la République des Iles Marshall ne s’est pas
acquittée de la charge de la preuve qui lui incombait ............................................................ 16
Chapitre 3. La note verbale du Pakistan est sans incidence sur la charge de la preuve qui
incombe à la République des Iles Marshall. .......................................................................... 17
PARTIE 7. LES DEMANDES DES ILES MARSHALL NE RELÈVENT PAS DU CONSENTEMENT
DONNÉ PAR LES PARTIES À LA COMPÉTENCE DE LA COUR ......................................................... 18
Chapitre 1. La Cour ne peut avoir compétence à l’égard des demandes des Iles Marshall
que si le Pakistan y a expressément consenti ......................................................................... 19
Section 1. Rien n’indique clairement que le Pakistan souhaite reconnaître la juridiction
de la Cour de manière volontaire et indiscutable .............................................................. 19
Section 2. Le traité multilatéral sur lequel reposent les demandes des Iles Marshall
n’est pas opposable au Pakistan et ne relève pas du champ d’application de la
compétence de la Cour en l’espèce ................................................................................... 21
Chapitre 2. La compétence est exclue par l’effet des réserves de la République des
Iles Marshall .......................................................................................................................... 25
Chapitre 3. La compétence de la Cour est exclue par l’effet de la réserve du Pakistan
concernant sa compétence nationale ...................................................................................... 27
Chapitre 4. La compétence de la Cour est exclue par l’effet de la réserve du Pakistan
concernant les traités multilatéraux ........................................................................................ 28
Section 1. La requête des Iles Marshall est axée sur le TNP, qui est un traité
multilatéral ........................................................................................................................ 30
2
- ii -
Section 2. La réserve concernant les traités multilatéraux incluse dans la déclaration de
1960 n’est pas limitée aux traités multilatéraux auxquels le Pakistan est partie .............. 30
Section 3. Toutes les parties aux traités pertinents ne sont pas parties à la présente
instance ............................................................................................................................. 31
Section 4. La requête des Iles Marshall constitue une tentative indue de contourner la
réserve concernant les traités multilatéraux ...................................................................... 31
Section 5. Le but et l’effet de la réserve relative aux traités multilatéraux ............................ 32
Section 6. La pratique de la Cour en ce qui concerne les parties indispensables dans le
cadre de différends relatifs à des traités multilatéraux ...................................................... 33
Section 7. Absence à la procédure d’Etats tiers indispensables et des parties
susceptibles d’être touchées par une décision de la Cour ................................................. 36
Section 8. Les demandes présentées par la République des Iles Marshall à l’encontre
du Pakistan ne sont pas exclusivement fondées sur le droit international coutumier ....... 38
Section 9. Les demandes présentées par la République des Iles Marshall sur la base du
droit international coutumier ne font que reprendre celles fondées sur le traité ............... 39
Section 10. La Cour ne peut statuer sur la validité des demandes que les Iles Marshall
fondent sur le droit international coutumier sans interpréter et appliquer le TNP,
auquel le Pakistan n’est pas partie .................................................................................... 41
PARTIE 8. LA REQUÊTE DES ILES MARSHALL EST IRRECEVABLE ..................................................... 45
Chapitre 1. Il n’existait aucun différend entre les Iles Marshall et le Pakistan au moment
où la requête a été soumise à la Cour ..................................................................................... 45
Section 1. La jurisprudence de la Cour relative à la notion de «différend» ........................... 45
Section 2. Il n’existait aucun différend entre les Parties au moment où la requête a été
soumise à la Cour .............................................................................................................. 47
Section 3. Le différend allégué n’est pas d’ordre juridique ................................................... 47
Section 4. La République des Iles Marshall n’a pas exposé ses demandes assez
clairement pour que le Pakistan puisse comprendre l’objet du différend allégué ............. 48
Section 5. Les Parties n’ont pas formulé de réclamations entre lesquelles existerait une
opposition manifeste ......................................................................................................... 49
Section 6. Les demandes formulées par la République des Iles Marshall sont
artificielles et de nature conjecturale ................................................................................ 53
Section 7. La République des Iles Marshall et le Pakistan ne sont pas les parties
appropriées au regard des demandes formulées par celle-ci ............................................. 54
Chapitre 2. La République des Iles Marshall n’a pas qualité pour formuler les demandes
qu’elle a présentées dans la requête ....................................................................................... 57
Section 1. La République des Iles Marshall n’est pas fondée à obtenir de la Cour une
décision sur les demandes formulées dans la requête ....................................................... 57
3
- iii -
Section 2. La République des Iles Marshall n’a pas qualité pour agir sur la base d’une
actio popularis car la décision qu’elle sollicite ne porte pas sur des obligations
erga omnes ........................................................................................................................ 58
Chapitre 3. Par sa requête, la République des Iles Marshall tente abusivement de rouvrir
la question de la licéité des armes nucléaires et d’obtenir ce qui équivaudrait en fait à
un avis consultatif .................................................................................................................. 61
Section 1. Rien dans le Statut de la Cour ne permet de faire appel ou d’obtenir la
revision des avis consultatifs rendus par elle .................................................................... 62
Chapitre 4. La requête de la République des Iles Marshall est irrecevable en l’absence des
parties indispensables devant la Cour .................................................................................... 63
Section 1. Toute décision sur les demandes des Iles Marshall mettrait nécessairement
en cause les droits et les obligations d’autres Etats .......................................................... 63
Section 2. Responsabilité de l’Etat : le Pakistan n’est pas l’Etat auteur du fait illicite .......... 64
Section 3. La Cour ne peut se prononcer sur les droits et obligations d’Etats tiers sans
que ceux-ci y consentent ou ne soient parties à l’instance ................................................ 65
Section 4. Le préjudice allégué par la République des Iles Marshall ne pourrait être
réparé par une prescription spécifique visant un seul Etat ................................................ 65
Section 5. La question du consentement des autres Etats a un caractère exclusivement
préliminaire ....................................................................................................................... 67
Chapitre 5. le processus judiciaire est par nature inapte à résoudre les questions de
désarmement nucléaire impliquant plusieurs Etats ................................................................ 67
Section 1. La situation dont font état les Iles Marshall dans leur requête ne saurait être
traitée ou résolue par la voie judiciaire ............................................................................. 67
Section 2. Faire droit aux demandes des Iles Marshall à l’encontre du Pakistan
n’aurait, en l’absence de volonté de négociation des Etats dotés d’armes nucléaires,
aucun effet juridique concret ............................................................................................ 68
Section 3. Les différends touchant à la défense et à la sécurité nationales ne sauraient
par nature faire l’objet d’un règlement judiciaire ............................................................. 71
Section 4. Un arrêt en faveur de la République des Iles Marshall priverait le Pakistan
de la capacité de protéger les droits souverains qu’il a de longue date fait valoir ............ 72
Chapitre 6. La Cour ayant conclu que la bonne foi n’était pas en soi une source
d’obligation, elle ne peut faire droit aux demandes de la République des Iles Marshall ....... 72
PARTIE 9. L’EXAMEN DES DEMANDES DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL POURRAIT
COMPROMETTRE LA BONNE ADMINISTRATION DE LA JUSTICE ET L’INTÉGRITÉ DE LA
FONCTION JUDICIAIRE ................................................................................................................. 74
PARTIE 10. CONCLUSIONS ................................................................................................................ 76
4
PARTIE 1
INTRODUCTION ET RÉSUMÉ
1.1. Dans son ordonnance du 10 juillet 2014, la Cour internationale de Justice (ci-après
dénommée la «CIJ» ou la «Cour»), par la voix de son président, a décidé que les pièces de la
procédure écrite en l’affaire porteraient d’abord sur les questions relatives à la compétence de la
Cour pour connaître de la requête introduite le 24 avril 2014 par la République des Iles Marshall
contre la République islamique du Pakistan (ci-après la «requête») et à la recevabilité de ladite
requête. La République des Iles Marshall (ci-après aussi dénommée les «Iles Marshall») était priée
de remettre à la Cour un mémoire sur ces questions le 12 janvier 2015 au plus tard, et la
République islamique du Pakistan (ci-après dénommée le «Pakistan»), de déposer un
contre-mémoire sur ces mêmes questions le 17 juillet 2015 au plus tard. Par ordonnance du
9 juillet 2015, le président a reporté au 1er décembre 2015 la date d’expiration de ce dernier délai.
Le contre-mémoire est ainsi déposé conformément au Règlement de la Cour et aux ordonnances
des 10 juillet 2014 et 9 juillet 2015.
1.2. Conformément à l’article 49 du Règlement, le Pakistan répond, dans le présent
contre-mémoire, aux arguments relatifs à la compétence et à la recevabilité tels que traités, selon
lui, dans la requête et dans le mémoire des Iles Marshall en date du 12 janvier 2015 (ci-après le
«mémoire»). Le Pakistan se réserve le droit (y compris au titre de l’article 79 du Règlement) de
rejeter tout autre argument y relatif qui pourrait être soulevé dans la suite de la procédure.
1.3. Le Pakistan soutient que la Cour doit refuser de connaître des demandes des
Iles Marshall, telles que formulées dans leur requête, pour les raisons suivantes :
1) la requête soulève des questions de sécurité nationale qui, par essence, relèvent de la juridiction
interne exclusive du Pakistan et qu’aucune instance, pas même la Cour, n’a compétence pour
examiner ;
2) la République des Iles Marshall n’a pas qualité pour saisir la Cour des demandes qui figurent
dans sa requête ;
3) la République des Iles Marshall, en introduisant l’instance, a fait preuve de mauvaise foi ;
4) les allégations formulées par la République des Iles Marshall contre le Pakistan sont
manifestement dépourvues de tout fondement ;
5) le mémoire de la République des Iles Marshall ne répond pas aux conditions énoncées dans le
Règlement ni aux instructions de procédure de la Cour ;
6) la République des Iles Marshall ne s’est pas acquittée de la charge de la preuve lui incombant ;
7) les griefs de la République des Iles Marshall ne rentrent pas dans le cadre du consentement à la
compétence de la Cour exprimé par les Parties ;
8) la requête est irrecevable ; et
9) connaître des griefs de la République des Iles Marshall irait à l’encontre de la bonne
administration de la justice, de l’opportunité judiciaire et de l’intégrité de la fonction judiciaire
de la Cour.
5
- 2 -
1.4. Chacun de ces motifs suffit à lui seul à étayer l’argument du Pakistan selon lequel la
Cour devrait se déclarer incompétente pour connaître des demandes des Iles Marshall, ou juger la
requête irrecevable. Ensemble, ils apparaissent irréfutables.
1.5. En tout premier lieu, le programme nucléaire du Pakistan est une question de sécurité
nationale qui relève exclusivement de la compétence de ce pays. Il ne saurait être mis en cause par
une quelconque instance judiciaire ni, a fortiori, par un Etat dépourvu de relations conventionnelles
avec le Pakistan. En tant qu’Etat souverain, ce dernier est libre de prendre toutes mesures pour
protéger son intégrité territoriale et sa sécurité nationale. Le droit international n’autorise pas la
Cour, ni aucun autre organe des Nations Unies, à intervenir dans des affaires qui relèvent
essentiellement de la compétence nationale d’un Etat.
1.6. En deuxième lieu, il est manifeste que, lancée dans une quête de la juridiction la plus
favorable, la République des Iles Marshall fait valoir ses griefs dans de multiples enceintes, afin de
réaliser l’objectif qui est le sien : le désarmement nucléaire à l’échelle mondiale. Parallèlement à la
présente instance, elle a ainsi saisi les tribunaux des Etats-Unis d’Amérique d’une demande en
jugement déclaratoire ou en injonction. Son but, en sollicitant à ce même effet la CIJ, est de faire
pression sur les Etats parties au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968
(ci-après le «TNP»)1
qui sont dotés d’armes nucléaires et sur d’autres Etats qui pourraient se
trouver en possession de telles armes, mais qui n’ont pas été ainsi mis en cause devant la Cour.
1.7. En troisième lieu, la République des Iles Marshall a soumis sa requête en violation de
son obligation de faire preuve de bonne foi, obligation qui est consacrée par la Charte des
Nations Unies et fait partie intégrante du droit international. En introduisant une instance contre le
Pakistan alors qu’aucun différend (juridique ou autre) ne les oppose, la République des
Iles Marshall agit à l’évidence de manière déraisonnable et inconsidérée, et manqué de sens des
responsabilités. Son comportement constitue un abus de droit.
1.8. En quatrième lieu, les allégations formulées par la République des Iles Marshall contre
le Pakistan sont manifestement dépourvues de fondement. Les rares faits qu’elle invoque, quand
bien même ils seraient retenus par la Cour, n’entraînent pour elle aucun préjudice effectif ou
imminent, et ne donnent lieu à aucune violation de droits ou obligations découlant du droit
international contemporain. A la date de l’introduction de la requête, il n’existait entre les
Iles Marshall et le Pakistan aucun différend (de nature juridique ou autre), comme le confirme du
reste l’absence totale d’échanges diplomatiques à cet égard.
1.9. En cinquième lieu, le mémoire, de l’aveu même de la République des Iles Marshall,
n’est pas conforme aux exigences du Règlement ni aux instructions de procédure de la
Cour autre situation qui, à la connaissance du Pakistan, est sans précédent dans le cadre d’une
instance portée devant la Cour.
1.10. En sixième lieu, c’est à la République des Iles Marshall, en tant que partie requérante,
qu’il incombe d’établir le bien-fondé des moyens factuels et juridiques capables de motiver une
décision en sa faveur au stade de la compétence et de la recevabilité. Or, elle ne l’a pas fait.
1
Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 729, p. 161, signé le 1er juillet 1968 et entré en vigueur le 5 mars 1971.
6
- 3 -
1.11. En septième lieu, selon un principe de droit international fondamental, les Iles Marshall
et le Pakistan doivent avoir consenti à la compétence de la Cour pour que celle-ci puisse connaître
des demandes telles que formulées dans la requête. Or, tel n’est assurément pas le cas les
Parties ont toutes deux formulé des réserves qui excluent expressément la compétence de la Cour
en l’espèce. Signalons en particulier la réserve des Iles Marshall qui interdit à la Cour de connaître
d’un différend porté devant elle dès lors qu’une partie n’a accepté sa juridiction obligatoire qu’en
ce qui concerne ce différend ou aux fins de celui-ci, ainsi que les réserves formulées par le Pakistan
relativement aux traités, qui sont directement applicables au cas d’espèce. La requête des
Iles Marshall représente une tentative indue de contourner les différentes réserves trouvant à
s’appliquer, et doit donc être rejetée.
1.12. En huitième lieu, la requête est irrecevable à différents égards. Elle l’est
essentiellement parce qu’aucun différend (de nature juridique ou autre) n’opposait les Iles Marshall
et le Pakistan au moment où elle a été déposée. Cette absence de différend constitue pour la
République des Iles Marshall un obstacle insurmontable. Toutefois, d’autres éléments justifient un
constat d’irrecevabilité, comme le fait que la République des Iles Marshall ne met pas en cause
certains protagonistes essentiels, dans une affaire concernant un traité multilatéral qui lie des Etats
dotés de l’arme nucléaire et d’autres Etats, mais auquel le Pakistan, lui, n’est pas partie, ou encore
au fait que la voie judiciaire est, par nature, impropre à résoudre les questions relatives au
désarmement nucléaire impliquant de multiples Etats, a fortiori par une prescription spécifique ou
toute autre prescription visant un seul d’entre eux. La demande des Iles Marshall tendant à obtenir
un jugement déclaratoire est une demande d’avis consultatif qui ne dit pas son nom. Or, la Cour a
déjà traité exhaustivement de la question de la licéité des armes nucléaires dans son avis consultatif
du 8 juillet 1996 sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires (ci-après l’«avis
consultatif de 1996»)2
.
1.13. En neuvième lieu, connaître de la requête des Iles Marshall irait à l’encontre de la
bonne administration de la justice, de l’opportunité judiciaire et de l’intégrité de la fonction
judiciaire. La République des Iles Marshall ne présente apparemment aucun argument ou élément
de preuve capable d’étayer ses prétentions, et ne remplit pas les exigences de base en matière de
justiciabilité. Les préjudices invoqués par elle sont d’ordre spéculatif et non susceptibles de
réparation.
1.14. En dixième lieu, connaître de la requête des Iles Marshall représenterait un abus de
procédure devant la Cour au détriment des droits souverains du Pakistan et en violation du
Règlement et des procédures en vigueur devant la Cour.
1.15. Dans son contre-mémoire, le Pakistan expose de manière plus détaillée ces chefs
d’exception. La conclusion à laquelle la Cour doit aboutir ne saurait faire de doute : les demandes
des Iles Marshall sont irrecevables et la Cour est incompétente pour connaître de la présente
espèce.
2 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226.
7
- 4 -
PARTIE 2
EXPOSÉ DES FAITS PERTINENTS EN MATIÈRE DE
COMPÉTENCE ET DE RECEVABILITÉ
2.1. Le Pakistan exposera ici plus en détail les moyens sur lesquels il se fonde pour contester
la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête des Iles Marshall. Les faits exposés
ci-après sont pertinents aux fins de ses exceptions.
La position du Pakistan en matière de désarmement
2.2. Le Pakistan s’est toujours montré partisan d’un désarmement général, complet et
vérifiable, réalisé sous les auspices d’enceintes multilatérales idoines, sur la base des principes
d’universalité et de non-discrimination et dans le cadre d’un régime de contrôle international
efficace. Un tel désarmement doit se faire dans le respect des principes fondamentaux de la
souveraineté, du droit de légitime défense, et d’une sécurité égale et non diminuée pour tous, y
compris le Pakistan. En outre, le Pakistan est favorable au maintien de la paix et de la sécurité
internationales conformément à l’objectif premier de l’Organisation des Nations Unies3
.
L’avis consultatif rendu par la Cour sur la Licéité de la menace
ou de l’emploi d’armes nucléaires
2.3. Dans son avis consultatif de 1996, la Cour fait observer que l’article VI du TNP prévoit
une «obligation … de parvenir à un résultat précis — le désarmement nucléaire dans tous ses
aspects — par l’adoption d’un comportement déterminé, à savoir la poursuite de bonne foi de
négociations en la matière»4
. Et de conclure qu’«[i]l existe une obligation de poursuivre de bonne
foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses
aspects, sous un contrôle … strict et efficace»5
.
Alors qu’il n’est, dans l’avis consultatif de 1996, nulle part affirmé que l’obligation prévue à
l’article VI du TNP constitue une obligation générale, et moins encore une obligation opposable
erga omnes, la République des Iles Marshall, dans sa requête, soutient que «la conclusion qu[e la
Cour] a rendue dans [cet] avis consultatif revient à faire de [cette] obligation … une obligation
erga omnes», et que «[c]haque Etat a donc un intérêt juridique à ce qu’elle soit exécutée dans un
délai raisonnable»6
. C’est parce que ses réclamations porteraient sur des obligations erga omnes
(quod non) qu’elle prétend être fondée à saisir la Cour. Or, la République des Iles Marshall n’a
produit aucun élément de preuve permettant d’établir, ne fût-ce que prima facie, l’existence de
telles obligations. Elle se contente de mettre en avant des résolutions de l’Assemblée générale des
Nations Unies, qui ne sont pas contraignantes, et l’avis consultatif de 1996, qui ne l’est pas
davantage et à propos duquel plusieurs juges7
avaient à l’époque reconnu, dans les opinions qu’ils y
avaient jointes, que la Cour s’était gardée d’y assimiler l’obligation de négocier à une obligation
erga omnes.
3
Déclaration du 26 septembre 2013 faite par le premier ministre Nawaz Sharif à l’occasion de la réunion de haut
niveau de l’Assemblée générale sur le désarmement nucléaire à New York. Disponible en anglais à l’adresse suivante :
http://pakun.org/statements/First_Committee/2013/09262013-01.php (annexe 1).
4 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 264.
5 Ibid., p. 267, par. 105, point 2 F.
6
Requête, par. 35.
7
Voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226,
p 317-318 (opinion dissidente du vice-président Schwebel) ; ibid., p. 279-281 (déclaration du juge Vereshchetin) ; ibid.,
p. 414 (opinion dissidente du juge Shahabuddeen) ; ibid., p. 277-278 (déclaration du juge Shi).
8
- 5 -
Les Iles Marshall devant l’Assemblée générale des Nations Unies
2.4. Entre 1997 et 2015, le Pakistan a systématiquement voté en faveur des projets de
résolution concernant la «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur
la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires» lors des séances de l’Assemblée
générale consacrées à cette question. Plusieurs Etats dotés d’armes nucléaires ont voté contre.
Etonnamment, la République des Iles Marshall s’est quant à elle abstenue de voter sur ces
résolutions d’abord en 2002 et 2003, puis, systématiquement, de 2005 jusqu’en 2012 (voir
annexes 2 à 10).
2.5. La démarche ainsi adoptée par la République des Iles Marshall vis-à-vis des résolutions
de l’Assemblée générale dément totalement l’image qu’elle cherche à présent à donner dans sa
requête, celle d’un ardent défenseur du désarmement nucléaire appelé à intervenir dans cette affaire
«en tant que membre de la communauté internationale»8
.
2.6. Les projets de résolution concernant la «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires» n’ont pas
conduit l’Assemblée générale des Nations Unies (ni aucun autre organe autorisé à le faire) à
soumettre à la Cour une demande d’avis consultatif en invoquant la compétence de celle-ci en
matière consultative. La République des Iles Marshall cherche ici à saisir la Cour de questions
analogues en faisant usage de la juridiction obligatoire conférée à celle-ci en matière contentieuse.
La déclaration par laquelle les Iles Marshall se soumettent à
la juridiction obligatoire de la Cour
2.7. A ce jour, 72 Etats, dont l’Inde, le Pakistan, la République des Iles Marshall et le
Royaume-Uni ont accepté la juridiction obligatoire de la Cour sous une forme ou sous une autre.
Les réserves pertinentes formulées par les deux Parties en la présente affaire seront examinées plus
en détail dans la partie 7 du présent contre-mémoire.
2.8. Les déclarations de l’Inde et du Royaume-Uni incluent toutes deux des réserves
interdisant à la Cour de connaître d’un différend dès lors que la déclaration par laquelle l’une
quelconque des parties à ce différend a accepté de se soumettre à sa compétence a été déposée ou
ratifiée moins de douze mois avant la date du dépôt de la requête par laquelle la Cour en est saisie.
2.9. La République des Iles Marshall a souscrit à la juridiction obligatoire de la Cour par sa
déclaration en date du 24 avril 2013. Cette déclaration prévoit une réserve excluant «[l]es
différends à l’égard desquels toute autre partie en cause a accepté [cette] juridiction … uniquement
en ce qui concerne ledit différend ou aux fins de celui-ci»9
. Or, le 24 avril 2014, soit douze mois
exactement après avoir soumis cette déclaration, la République des Iles Marshall a introduit devant
la Cour des instances contre neuf Etats qu’elle présente comme dotés d’armes nucléaires, dont
l’Inde, le Royaume-Uni et le Pakistan, en invoquant, dans le cas de ces trois pays, la juridiction
obligatoire de la Cour.
8
Mémoire, par. 8.
9
Voir http://www.icj-cij.org/jurisdiction/index.php?p1=5&p2=1&p3=3&code=MH.
9
- 6 -
Procédures parallèles aux Etats-Unis et à La Haye
2.10. Le jour même du dépôt de sa requête devant la Cour, la République des Iles Marshall
introduisait devant le tribunal fédéral de première instance du district nord de la Californie
(U.S. Federal District Court for the Northern District of California) une autre instance (qui a été
qualifiée de «parallèle»10) tendant à obtenir à l’égard des Etats-Unis d’Amérique un jugement
déclaratoire ou une prescription11, au motif que ceux-ci auraient manqué aux obligations leur
incombant en vertu de l’article VI du TNP en ne poursuivant pas de bonne foi des négociations sur
le désarmement nucléaire et la cessation de la course aux armements nucléaires ; elle demandait
que les Etats-Unis se voient prescrire de s’acquitter de leurs obligations «dans un délai maximal
d’un an à compter de la date du … jugement, y compris en appelant à la tenue ou en procédant à
l’organisation de négociations tendant au désarmement nucléaire sous tous ses aspects»12.
2.11. Le 3 février 2015, le tribunal a rejeté les demandes des Iles Marshall et s’est prononcé
en faveur des Etats-Unis, notamment parce qu’il ne pourrait être remédié au préjudice allégué par
le requérant «en ordonnant à l’un des Etats parties [au traité de non-prolifération] seulement
l’exécution des obligations» visées13. Le 2 avril 2015, la République des Iles Marshall a interjeté
appel de cette décision.
Les Iles Marshall, les essais nucléaires et les Etats-Unis
2.12. Dans sa requête, les Iles Marshall exposent les faits qui les auraient «particulièrement
sensibilisées aux effets désastreux des armes nucléaires», rappelant à cet égard que, «[[d]e 1946
à 1958, période pendant laquelle la communauté internationale les avait placées sous la tutelle des
Etats-Unis d’Amérique, elles ont … été à plusieurs reprises le théâtre d’essais nucléaires»14.
2.13. Les Iles Marshall et leurs ressortissants ont engagé de nombreuses procédures contre
les Etats-Unis en rapport avec la question des essais d’armes nucléaires, sans jamais obtenir gain de
cause15.
2.14. Dans sa lettre en date du 22 juin 1995 à l’Organisation des Nations Unies, déposée
dans le cadre de la phase écrite de la procédure consultative en l’affaire de la Licéité de la menace
ou de l’emploi d’armes nucléaires, la République des Iles Marshall expose notamment ainsi le
contexte dans lequel s’inscrivent ses griefs :
«Après la seconde guerre mondiale, une nouvelle «administration» fut mise en
place et les Iles Marshall firent partie du territoire sous tutelle des îles du Pacifique
administré par les Etats-Unis d’Amérique.
10 Voir http://www.lcnp.org/RMI/.
11 Voir http://www.wagingpeace.org/pacific-nation-challenges-nine-nuclear-armed….
12 L’affaire a été intitulée The Republic of the Marshall Islands v. The United States of America et al., et inscrite
au rôle sous le no
C 14-01885 JSW.
13 République des Iles Marshall c. Etats-Unis d’Amérique, 2015 U.S. Dist. LEXIS 12785 (N.D. Cal. 2015), p. 5
(annexes 11 et 12).
14 Requête, par. 8 et 9.
15 Voir, par exemple, People of Bikini v. United States, 77 Fed. Cl. 744, 781-87 (2007), aff’d, 554 F.3d 996
(Fed. Cir. 2009), certiorari denied, 559 U.S. 1048 (2010), et cert. denied sub nom. John v. United States, 559 U.S.
1048 (2010).
10
- 7 -
C’est au cours de cette dernière période que deux des atolls des Iles Marshall
situés le plus au nord-ouest ont servi à l’expérimentation d’au moins soixante-six
bombes nucléaires.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Il est compréhensible que les Iles Marshall, éprouvées directement et sur une
grande échelle par l’emploi d’armes nucléaires, aient décidé de ratifier cette année le
traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. L’objectif du traité qui est «la
cessation de la fabrication d’armes nucléaires, la liquidation de tous les stocks
existants desdites armes, et l’élimination des armes nucléaires … des arsenaux
nationaux» concorde parfaitement avec la politique étrangère de coexistence pacifique
qui est celle des Iles Marshall ainsi qu’avec le but suprême de la communauté
internationale : parvenir à une paix globale.»16
2.15. De 1991 à 2003, d’après les Etats-Unis, le Marshall Islands Nuclear Claims Tribunal a
accordé aux Iles Marshall des indemnités d’un montant de 2 milliards de dollars des Etats-Unis à la
suite de réclamations visant des dommages aux personnes ou des pertes de biens, ou encore
d’actions collectives liées aux essais réalisés17.
2.16. En 1979, la République des Iles Marshall devint un Etat autonome. En 1983, une
trentaine d’années après les premiers essais nucléaires américains sur son territoire, elle adhéra à un
accord de libre association avec les Etats-Unis. Le 30 avril 2003, les termes de celui-ci furent
modifiés par voie d’accord. En vertu du Military Use and Operating Rights Agreement, accord
bilatéral subsidiaire conclu dans le cadre de l’accord de libre association, le département américain
de la défense fut autorisé à utiliser certaines parties de la lagune et plusieurs îles de l’atoll de
Kwajalein. L’accord autorise les Etats-Unis à continuer d’utiliser le polygone de tir de l’armée
américaine jusqu’en 2066 (avec possibilité de proroger cette autorisation jusqu’en 2086)18,
moyennant une importante compensation financière.
2.17. La politique gouvernementale des Iles Marshall, qui permettent aux Etats-Unis de
réaliser ces essais sur leur territoire, est aux antipodes de la position adoptée dans la requête.
2.18. Dans celle-ci, il n’est nulle part prétendu que le Pakistan aurait pris part à des essais
dans les Iles Marshall pendant (ou après) cette période, ni que celles-ci auraient subi un quelconque
dommage, dû aux essais d’armes ou autre, qui lui serait directement ou indirectement imputable.
16 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, lettre du 22 juin 1995 adressée à
l’Organisation des Nations Unies, par le représentant permanent des Iles Marshall, jointe à l’exposé écrit du
Gouvernement des Iles Marshall.
17 Voir http://www.newsweek.com/marshall-islands-nuclear-lawsuit-reopens-old-wo….
18 Voir http://www.state.gov/r/pa/ei/bgn/26551.htm. Voir aussi Bechtel, Kwajalein Test Range, Marshall
Islands: Keeping the range on cutting edge, 2014 disponible à l’adresse : http://www.betchel.com/projects/kwajalein-testrange/
qui indique que Kwajalein, dans les Iles Marshall, abrite le Ronald Reagan Ballistic Missile Defense Test Site,
initialement conçu «pour réaliser des essais en matière de protection anti-missiles balistiques et d’opérations de
surveillance spatiale».
11
- 8 -
Absence de communications ou de négociations préalables entre
les Iles Marshall et le Pakistan
2.19. Avant le dépôt de sa requête au Greffe de la Cour le 24 avril 2014, la République des
Iles Marshall n’a jamais fait part au Pakistan d’aucun grief, que ce soit formellement ou
informellement. Ni la requête ni le mémoire ne contiennent la moindre référence à des échanges
diplomatiques entre les Iles Marshall et le Pakistan avant cette date, et pour cause : il n’y en a pas
eu. De fait, la requête constitue le premier document dans lequel la République des Iles Marshall
accuse le Pakistan d’avoir violé certaines obligations internationales qu’elle prétend lui être dues.
2.20. Avant d’introduire la présente instance, la République des Iles Marshall n’a recouru,
pour régler son prétendu différend avec le Pakistan, à aucun des moyens invoqués à l’article 33 de
la Charte des Nations Unies, et notamment la participation de bonne foi à des négociations
diplomatiques. A vrai dire, rien ne permet de conclure qu’un différend, et encore moins un
différend de nature juridique, existait entre les Iles Marshall et le Pakistan avant le 24 avril 2014,
soit la date pertinente aux fins d’établir la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête.
- 9 -
PARTIE 3
EN INTRODUISANT UNE INSTANCE CONTRE LE PAKISTAN,
LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL FAIT
PREUVE DE MAUVAISE FOI
3.1. Le principe de la bonne foi constitue un élément essentiel du droit international
s’agissant du comportement des Etats, tant dans leurs relations inter se que lorsqu’ils sont appelés à
ester devant la Cour.
3.2. La Cour a appliqué ce principe dans un certain nombre d’affaires. Ainsi,
1) en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun
c. Nigéria), elle a souligné qu’il s’agissait d’un principe bien établi du droit international,
consacré au paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies19 ;
2) dans les affaires des Essais nucléaires, elle a fait observer : «[L’]un des principes de base qui
président à la création et à l’exécution d’obligations juridiques, quelle qu’en soit la source, est
celui de la bonne foi. La confiance réciproque est une condition inhérente de la coopération
internationale…»20 [les italiques sont de nous] ; et
3) en l’affaire relative aux Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France
c. Etats-Unis d’Amérique)21, elle a évoqué la nécessité d’exercer un pouvoir de bonne foi, et
jugé qu’un pouvoir conféré par la loi qui serait exercé de manière déraisonnable et de mauvaise
foi constituerait un abus de droit.
3.3. Comme l’a observé un auteur,
«l’essence de ce principe est que, même si un Etat peut avoir le droit absolu d’agir de
telle ou telle manière, il ne doit pas l’exercer de sorte à en abuser ; il doit exercer ses
droits de bonne foi et avec le sens des responsabilités ; ses actes doivent être
justement motivés et il ne doit pas agir arbitrairement ou inconsidérément»22. (Les
italiques sont de nous.)
3.4. En introduisant la présente instance en vertu des dispositions du Statut de la Cour qui,
aux termes de l’article 92 de la Charte des Nations Unies, est annexé à cette dernière et en fait
partie intégrante, la République des Iles Marshall a agi et continue d’agir de mauvaise foi vis-à-vis
non seulement du Pakistan, mais même de la Cour. En particulier,
19 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 296 ; le paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies se lit comme suit : «Les
Membres de l’Organisation, afin d’assurer à tous la jouissance des droits et avantages résultant de leur qualité de
Membre, doivent remplir de bonne foi les obligations qu’ils ont assumées aux termes de la … Charte.»
20 Essais nucléaires (Australie c. France) (Nouvelle-Zélande c. France), C.I.J. Recueil 1974, p. 235 et 457.
21 Droits des ressortissants des Etats-Unis d’Amérique au Maroc (France c. Etats-Unis d’Amérique),
C.I.J. Recueil 1952, p. 212.
22 Gerard Fitzmaurice, “The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1951-1954; General
Principles of Law,” 27 British Year Book of International Law (1950), p. 12-13. Voir aussi Mark E. Villiger,
Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties (Martinus Nijhoff Publishers, 2009), p. 367 («la
bonne foi couvre également la doctrine plus étroite de l’«abus de droit», selon laquelle les parties doivent s’abstenir
d’agir dans le dessein de faire échec à l’objet et au but du traité, et, partant, d’en empêcher la bonne exécution»).
12
- 10 -
1) elle ne fait pas montre de sens des responsabilités elle aurait sinon à tout le moins cherché à
engager, sous une forme ou sous une autre, des négociations ou des consultations avec le
Pakistan au sujet du prétendu différend avant d’introduire la présente instance ;
2) le Pakistan ne peut faire confiance aux Iles Marshall, et la Cour pas davantage. La République
des Iles Marshall n’a engagé aucune forme de communication directe avec le Pakistan sur les
questions qu’elle prétend être en cause. Les rares éléments de preuve sur lesquels elle cherche à
se fonder à l’appui de ses prétentions n’ont aucun rapport ou lien avec le Pakistan, et vont à
l’encontre de la position qu’elle a adoptée lors des séances de l’Assemblée générale des
Nations Unies consacrées à la «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour internationale de
Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires» ;
3) la République des Iles Marshall souhaite que le Pakistan se voie intimer de respecter une
obligation de négocier de bonne foi — or, elle a elle-même manqué de s’acquitter d’une telle
obligation vis-à-vis de celui-ci s’agissant des questions qui seraient en cause. L’affirmation
selon laquelle «le Pakistan … a été informé»23 de ses griefs à son égard par le biais de
déclarations prononcées dans des enceintes multilatérales témoigne du peu de cas qu’elle fait
des exigences de l’article 33 de la Charte des Nations Unies ;
4) en continuant à ce jour d’autoriser les essais de missiles anti-missiles balistiques sur son
territoire, la République des Iles Marshall met en évidence la duplicité et la mauvaise foi qui
sous-tendent sa décision d’introduire la présente instance ;
5) la République des Iles Marshall agit sans esprit de suite — comme indiqué ci-dessus, la position
qu’elle a adoptée au cours des séances de l’Assemblée générale des Nations Unies consacrées à
la «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur la licéité de la
menace ou de l’emploi d’armes nucléaires» est en totale contradiction avec d’autres de ses
déclarations publiques, qu’elle invoque devant la Cour ;
6) la République des Iles Marshall multiplie non seulement les juridictions qu’elle saisit, en quête
de la plus favorable, mais également les défendeurs qu’elle met en cause, afin d’obtenir des
prononcés judiciaires de nature générale et de faire ainsi pression sur les Etats dotés d’armes
nucléaires ; et,
7) en invoquant la juridiction obligatoire de la Cour au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut de la Cour, alors que ses demandes contre le Pakistan sont, à l’évidence, dépourvues de
tout fondement et qu’il n’existe nulle trace d’un différend (de nature juridique ou autre)
opposant les deux Etats, la République des Iles Marshall commet un abus de procédure.
3.5. La République des Iles Marshall a introduit sa requête de mauvaise foi, en contravention
du droit international et des obligations conventionnelles que lui imposent la Charte des
Nations Unies et le Statut de la Cour. En conséquence, ses demandes doivent être rejetées dans
leur intégralité.
23 Mémoire, par. 47.
13
- 11 -
PARTIE 4
LES DEMANDES DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL
CONTRE LE PAKISTAN SONT MANIFESTEMENT
DÉPOURVUES DE TOUT FONDEMENT
4.1. Le Pakistan soutient que les demandes formulées contre lui par la République des Iles
Marshall sont manifestement dépourvues de tout fondement.
4.2. Dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour était appelée à dire si l’Iran pouvait
fonder ses demandes sur le traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires qu’il avait conclu
avec les Etats-Unis d’Amérique en 1955. Comme l’a fait observer la juge Higgins dans son
opinion individuelle en cette affaire,
«[l]e seul moyen d'établir en la présente instance si les demandes de l'Iran sont
fondées de façon assez plausible sur le traité de 1955 consiste à accepter
provisoirement que les faits allégués par l’Iran sont vrais et à interpréter dans cette
optique les articles premier, IV et X du traité à des fins juridictionnelles, c’est-à-dire
pour voir s'il est possible, sur la base des faits invoqués par l’Iran, qu’il y ait violation
de l'une au moins de ces dispositions.»24 (Les italiques sont de nous).
4.3. Ainsi que le rappelle la juge Higgins, une compétence ne saurait être fondée sur
«quelques impressions» ou sur un quelconque «caractère plausible». Le critère à retenir est plutôt
la possibilité que les faits invoqués par le demandeur soient constitutifs d’une violation de droits
par le défendeur ou d’un manquement à ses obligations.
4.4. Il ressort de la requête et du mémoire que la République des Iles Marshall fonde ses
demandes sur :
1) des traités multilatéraux auxquels le Pakistan n’est pas partie ;
2) des résolutions non contraignantes de l’Assemblée générale ; et
3) un avis consultatif non contraignant de la Cour.
4.5. S’agissant de la première source de droit, les Iles Marshall, tout en présentant leurs
griefs comme étant fondés sur le droit international coutumier, se réfèrent à des obligations qui
seraient «consacrées» ou «ancrée[s]» dans l’article VI du TNP25, une disposition qu’elles ne
mentionnent pas moins de 15 fois dans leur requête de 22 pages. Or, le Pakistan n’est pas partie au
TNP. Quant aux deux autres sources de droit, ce sont des décisions à caractère non contraignant
qui ne sauraient emporter aucune obligation pour le Pakistan. Aucun de ces fondements invoqués
par les Iles Marshall n’est opposable au Pakistan.
4.6. Même à supposer que le Pakistan (et la Cour) accepte comme véridiques les faits
allégués par les Iles Marshall, ces faits ne sont pas pour autant constitutifs d’une quelconque
24 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 847, par. [32] (opinion individuelle de Mme la juge Higgins).
25 Voir Requête, par. 2, 36 et 54.
14
- 12 -
violation de la part du Pakistan et, comme nous le verrons plus loin, les griefs de la partie
requérante, de même que les préjudices qu’elle invoque, n’appellent aucune réparation. Il s’ensuit
que les demandes formulées contre le Pakistan sont manifestement dépourvues de tout fondement
et, partant, irrecevables. La Cour doit par conséquent se déclarer incompétente à leur égard.
- 13 -
PARTIE 5
LE MÉMOIRE DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL N’EST
CONFORME NI AU RÈGLEMENT NI AUX INSTRUCTIONS DE
PROCÉDURE DE LA COUR
5.1. La République des Iles Marshall déclare dans son mémoire qu’elle «s’abstiendra … de
présenter pour l’instant un mémoire répondant au critère énoncé au paragraphe 1 de l’article 49 du
Règlement de la Cour»26. Autrement dit, son mémoire n’est pas conforme au Règlement de la
Cour qui régit la présente procédure. Pareille déclaration par un requérant devant la Cour est sans
précédent.
5.2. Selon le paragraphe 1 de l’article 49 du Règlement de la Cour, «[un] mémoire contient
un exposé des faits sur lesquels la demande est fondée, un exposé de droit et les conclusions». En
outre, comme l’a rappelé le président aux Parties dans son ordonnance du 10 juillet 2014 fixant les
délais pour le dépôt du mémoire des Iles Marshall et du contre-mémoire du Pakistan, la Cour doit
«être informée de tous les moyens de fait et de droit sur lesquels les Parties se fondent en ce qui
concerne sa compétence et la recevabilité de la requête27». Dans son instruction de procédure III,
la Cour indique aux parties qu’elles doivent se montrer aussi concises que possible dans leurs
écritures, mais «dans des limites compatibles avec une présentation exhaustive de leurs positions»
(les italiques sont de nous). A l’évidence, le mémoire des Iles Marshall ne satisfait à aucune de ces
conditions.
5.3. La République des Iles Marshall ne saurait s’arroger le droit de modifier les règles de
procédure qui régissent la présente instance28. En saisissant la Cour, elle s’est engagée à agir
conformément à toutes les règles et procédures applicables et à ne pas entraver le déroulement de
l’instance. Sa conduite à cet égard porte préjudice au Pakistan et doit être rejetée par la Cour.
5.4. Pour justifier ce manquement au Règlement de la Cour, la République des Iles Marshall
prétend qu’en sa qualité de demandeur, elle «ne saurait … aller au-delà des points évoqués par le
défendeur dans sa lettre» (la note verbale du 9 juillet 2014 adressée à la Cour par le Pakistan) et
qu’il ne lui incombe pas «de deviner, le cas échéant, en quoi pourraient consister d’éventuelles
objections supplémentaires [du défendeur]»29. Cette justification n’est toutefois pas valable. Par
son ordonnance du 10 juillet 2014, le président a fixé les délais pour le dépôt du mémoire et du
contre-mémoire, et a ainsi établi l’ordre dans lequel ces pièces devaient être déposées (à savoir,
consécutivement et non pas simultanément). La Cour, par la voix de son président, a donc décidé
que la première pièce de procédure écrite déposée serait un mémoire du demandeur portant
exclusivement sur les questions de la compétence et de la recevabilité, suivi, plusieurs mois plus
tard, d’un contre-mémoire du défendeur, circonscrit aux mêmes questions. C’est par ces deux
pièces de procédure écrite — et par celles-là seulement — que la Cour devait «être informée de
26 Mémoire, par. 14.
27 Voir Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Pakistan), ordonnance du 10 juillet 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 472.
28 Voir Mémoire, par. 14 («la [République des Iles Marshall] se réserve le droit de compléter le présent mémoire
par écrit…»).
29 Ibid.
15
- 14 -
tous les moyens de fait et de droit sur lesquels les Parties se fondent en ce qui concerne sa
compétence et la recevabilité de la requête»30.
5.5. Dans son ordonnance du 10 juillet 2014, le président invitait les Parties à déposer leurs
écritures sur les questions de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête «compte
tenu des vues exprimées par les Parties»31. Il ressort clairement de l’ordonnance que ce membre de
phrase fait référence à la réunion tenue le 9 juillet 2014 à La Haye entre le président de la Cour et
les représentants des Parties, ainsi qu’à la note verbale du Pakistan datée du même jour. Ainsi, la
Cour dit bien que la note verbale du Pakistan, qui est antérieure à l’ordonnance, ne constitue pas
une forme de pièce de procédure par laquelle elle entendrait «être informée de tous les moyens de
fait et de droit sur lesquels les Parties se fondent en ce qui concerne sa compétence et la
recevabilité de la requête». Par conséquent, la Cour ne doit pas suivre les Iles Marshall dans leur
tentative de traiter la note verbale du Pakistan comme une pièce de procédure «au-delà»32 de
laquelle le demandeur ne saurait aller, et ne doit pas leur permettre d’inverser la charge de la
preuve en assimilant cette note verbale à un contre-mémoire.
30 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Pakistan), ordonnance du 10 juillet 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 472 (les
italiques sont de nous).
31 Ibid.
32 Mémoire, par. 14.
16
- 15 -
PARTIE 6
LA CHARGE DE LA PREUVE
CHAPITRE 1
C’EST AUX ILES MARSHALL QU’IL INCOMBE DE DÉMONTRER QUE LA COUR
A COMPÉTENCE ET QUE LEUR REQUÊTE EST RECEVABLE
6.1. Dans son mémoire, la République des Iles Marshall a fait l’étonnante déclaration
suivante :
«La République des Iles Marshall tient à souligner qu’elle a bien restreint ses
observations aux questions expressément soulevées par le Pakistan elle ne saurait
en effet aller au-delà des points évoqués par le défendeur dans sa lettre.»33
6.2. Cette déclaration présente de manière tout à fait erronée les règles régissant la charge de
la preuve dans les procédures devant la Cour, ainsi que la pratique de celle-ci. Comme S. Rosenne
l’a souligné, «en application du principe actori incumbit probatio, la Cour exigera formellement de
la partie qui formule une demande d’établir les éléments de fait et de droit sur la base desquels une
décision en sa faveur pourrait être rendue»34. Ainsi que la Cour l’a précisé, «c’est en définitive au
plaideur qui cherche à établir un fait qu’incombe la charge de la preuve»35.
6.3. En cette phase préliminaire de l’instance, pour obtenir une décision par laquelle la Cour
se déclare compétente et dit que la requête est recevable, le demandeur doit démontrer a) que la
Cour a compétence à l’égard des demandes telles que formulées dans la requête ; et b) que celle-ci
est recevable. A cet égard, la date critique est celle du dépôt de la requête.
6.4. Il convient de rappeler que c’est la République des Iles Marshall, et non le Pakistan, qui
a introduit une instance devant la Cour en se fondant sur le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de
celle-ci. Faire bénéficier la République des Iles Marshall d’un avantage procédural en considérant
que la note verbale du Pakistan datée du 9 juillet 2014 constitue l’argumentation au fond de celui-ci
sur les questions de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la requête constituerait une
violation des garanties fondamentales d’une procédure régulière et d’un procès équitable ; cela
aurait pour conséquence d’inverser l’ordre dans lequel la Cour a indiqué que les pièces de
procédure devaient être déposées et, partant, la charge de la preuve.
6.5. Comme la République des Iles Marshall devrait le savoir, lorsque la Cour prescrit aux
parties de traiter exclusivement les questions touchant à sa compétence et à la recevabilité de la
requête par le dépôt consécutif de pièces de procédure, il est inhabituel qu’elle juge par la suite un
second tour de plaidoiries nécessaire36. Le Pakistan s’oppose à un second tour de plaidoiries, que
33 Ibid.
34 Shabtai Rossenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III, p. 1083
(Martinus Nijhogg Publishers, 3e
ed., 1997).
35 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437, par. 101.
36 A cet égard, l’affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales entre Qatar et Bahreïn constitue
une exception à la règle.
17
- 16 -
l’économie procédurale ne justifie de toute façon pas37. La République des Iles Marshall, quant à
elle, a eu largement l’occasion de présenter l’intégralité de sa position sur les questions de la
compétence et de la recevabilité dans sa requête et son mémoire, position qu’il lui sera loisible de
développer au cours de la procédure orale consacrée à ces questions.
CHAPITRE 2
DANS SA REQUÊTE ET SON MÉMOIRE, LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL NE
S’EST PAS ACQUITTÉE DE LA CHARGE DE LA PREUVE QUI LUI INCOMBAIT
6.6. En ce qui concerne le critère de la preuve applicable dans la phase relative à la
compétence, Rosenne observe que «l’objectif de la Cour est toujours de rechercher s’il existe une
intention des parties de lui conférer juridiction»38. Ainsi qu’elle l’a elle-même précisé, «[l]a Cour
va donc devoir rechercher … si la force des raisons militant en faveur de sa compétence est
prépondérante et s’il existe «une volonté des Parties de [lui] conférer juridiction»»39.
6.7. Il n’existe aucune preuve de pareille volonté de la part du Pakistan ; quant au
demandeur, il n’est pas parvenu à démontrer que les raisons militant en faveur de la compétence de
la Cour l’emportaient. De fait, la République des Iles Marshall a vidé de leur substance les règles
en matière de charge de la preuve applicables dans les affaires soumises à des juridictions
internationales. En affirmant sans ambages qu’elle «s’abstiendra[it] … de présenter … un mémoire
répondant aux critères énoncés au paragraphe 1 de l’article 49 du Règlement de la Cour» et en
décidant de ne pas «aller au-delà des points évoqués par le défendeur dans sa lettre [la note verbale
du 9 juillet 2014]»40, elle n’a pas établi «tous les moyens de fait et de droit» que la Cour pourrait
prendre en considération pour parvenir à sa décision sur la compétence et la recevabilité.
6.8. La Cour a précisé que, quelle que soit la source du consentement à sa compétence,
«l’attitude de l’Etat défendeur d[evait] «pouvoir être regardée comme une «manifestation non
équivoque» de la volonté de cet Etat d’accepter de manière «volontaire, indiscutable» la
compétence de la Cour»41. Pareille manifestation fait totalement défaut en la présente espèce.
6.9. Fait plus important encore, la République des Iles Marshall n’a pas présenté d’éléments
de preuve, même prima facie, a) de l’existence des obligations erga omnes qu’elle cherche à mettre
la charge du Pakistan ; ou b) de sa qualité même pour agir au nom de la communauté internationale
(ou autrement) en la présente instance42. De surcroît, elle n’a fourni aucun élément de preuve
37 Sur ce point, voir le paragraphe 14 du mémoire.
38 Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-2005, vol. III, p. 867
(Martinus Nijhoff Publishers, 3e
ed., 1997).
39 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 76, par. 16.
40 Mémoire, par. 14.
41 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 204, par. 62.
42 Dans son mémoire, la République des Iles Marshall indique que, «[p]our l’essentiel, [elle] considère que tout
Etat a qualité pour obtenir l’exécution, de la part de l’ensemble des autres Etats (et tout particulièrement de ceux, comme
le Pakistan, qui possèdent des armes nucléaires), de l’obligation découlant du droit international coutumier «de
poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects,
sous un contrôle international strict et efficace», obligation dont elle soutient qu’elle est erga omnes, «[c]haque Etat
[ayant] un intérêt juridique» à ce qu’il y soit satisfait en temps opportun». Mémoire, par. 31.
18
- 17 -
attestant l’existence d’un différend (juridique ou non) entre les Parties à la date du dépôt de la
requête.
6.10. Il ne suffit pas d’affirmer, dans la requête, que les déclarations d’acceptation de la
juridiction obligatoire de la Cour sont «toutes deux sans aucune réserve pertinente en l’espèce»43
pour ne se livrer, dans le mémoire, qu’à un examen superficiel des réserves applicables. Comme
démontré dans le présent contre-mémoire, ce sont les raisons militant à l’encontre de la compétence
qui l’emportent en l’espèce.
CHAPITRE 3
LA NOTE VERBALE DU PAKISTAN EST SANS INCIDENCE SUR LA CHARGE DE LA PREUVE
QUI INCOMBE À LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL.
6.11. On trouve, dans la pratique de la Cour, de nombreux cas dans lesquels le défendeur a
indiqué, par une note verbale ou une communication similaire adressée à la Cour ou au greffier peu
après le dépôt d’une requête introductive d’instance, qu’il était d’avis que celle-ci ne relevait pas de
la compétence de la Cour ou était irrecevable et que, en conséquence, cette dernière ne devait pas
en connaître ni inscrire l’affaire au rôle général44. Ainsi que cela ressort clairement de
l’ordonnance que le président a rendue le 10 juillet 2014, la Cour considérait que la note verbale du
Pakistan en date du 9 juillet 2014 entrait dans le cadre des «vues exprimées par les Parties» et qu’il
ne s’agissait pas d’une pièce de procédure dans laquelle les questions de sa compétence et de la
recevabilité de la requête étaient examinées au fond. Cette note verbale n’a donc aucune incidence
sur la charge de la preuve dont la République des Iles Marshall devait, afin que ses réclamations
puissent être examinées par la Cour, s’acquitter dans son mémoire en démontrant que prévalaient
les éléments de preuve militant en faveur de la compétence de la Cour et de la recevabilité de la
requête.
43 Requête, par. 60.
44 Shabtai Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. III, p. 893-894
(Martinus Nijhoff Publishers, 3e ed., 1997).
19
- 18 -
PARTIE 7
LES DEMANDES DES ILES MARSHALL NE RELÈVENT PAS DU
CONSENTEMENT DONNÉ PAR LES PARTIES À LA
COMPÉTENCE DE LA COUR
Introduction
7.1. Le Pakistan et les Iles Marshall ont accepté la juridiction obligatoire de la Cour au
moyen de déclarations faites conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Ces
déclarations datent respectivement du 12 septembre 196045 (ci-après la «déclaration de 1960») et
du 15 mars 201346 (ci-après la «déclaration de 2013»).
7.2. Dans leur requête, les Iles Marshall tentent de fonder la juridiction de la Cour sur le seul
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et s’appuient par conséquent sur les déclarations de 1960 et
de 2013. En l’espèce, la compétence de la Cour ne peut avoir d’autre fondement. Dès lors, rien ne
saurait justifier de rechercher d’autres bases que le paragraphe 2 de l’article 36 pour déterminer la
compétence de la Cour.
7.3. A cet égard, ce sont les déclarations par lesquelles les Parties ont reconnu la juridiction
obligatoire de la Cour, y compris les réserves qu’elles contiennent, qui déterminent la portée de la
compétence de la Cour en l’espèce. Afin de faire aboutir leurs demandes, les Iles Marshall doivent
donc démontrer que celles-ci relèvent du champ d’application de la déclaration de 1960 et de celui
de la déclaration de 2013, ce qu’elles n’ont pas réussi à faire.
7.4. En résumé, et pour les raisons développées plus loin, la Cour n’a pas compétence pour
connaître des demandes des Iles Marshall contre le Pakistan, car :
1) rien n’indique clairement que le Pakistan souhaite reconnaître la juridiction de la Cour de
manière volontaire et indiscutable ;
2) la déclaration de 2013 des Iles Marshall exclut expressément du champ d’application de la
juridiction obligatoire de la Cour les demandes formulées en l’espèce par cet Etat ;
3) la réserve relative à la compétence nationale jointe à la déclaration de 1960 du Pakistan exclut
expressément les demandes des Iles Marshall du champ d’application de la juridiction
obligatoire de la Cour telle que reconnue par le Pakistan, car ces demandes soulèvent des
questions touchant à la sécurité nationale qui sont de la compétence nationale du Pakistan et
pour lesquelles la Cour ne constitue pas l’instance qualifiée ; et
4) la réserve relative aux traités multilatéraux jointe à la déclaration de 1960 du Pakistan exclut
expressément les demandes des Iles Marshall du champ d’application de la juridiction
obligatoire de la Cour telle que reconnue par le Pakistan.
45 La déclaration du Pakistan a été signée le 12 septembre 1960 par M. Said Hasan, représentant permanent du
Pakistan auprès des Nations Unies.
46 La déclaration des Iles Marshall a été signée le 15 mars 2013 par M. Tony A. deBrum, ministre attaché au
président et ministre des affaires étrangères par intérim.
20
- 19 -
CHAPITRE 1
LA COUR NE PEUT AVOIR COMPÉTENCE À L’ÉGARD DES DEMANDES DES ILES MARSHALL
QUE SI LE PAKISTAN Y A EXPRESSÉMENT CONSENTI
SECTION 1
RIEN N’INDIQUE CLAIREMENT QUE LE PAKISTAN SOUHAITE RECONNAÎTRE
LA JURIDICTION DE LA COUR DE MANIÈRE VOLONTAIRE
ET INDISCUTABLE
7.5. Il existe un principe de droit international largement reconnu selon lequel la compétence
de la Cour est fondée sur le consentement des Etats parties à l’affaire qu’ils lui soumettent. Dans
l’une des premières affaires dont la Cour permanente de Justice internationale a eu à connaître,
celle-ci a affirmé qu’il était :
«bien établi en droit international qu’aucun Etat ne saurait être obligé de soumettre
ses différends avec les autres Etats soit à la médiation soit à l’arbitrage, soit enfin à
n’importe quel procédé de solution pacifique, sans son consentement»47. (Les
italiques sont de nous).
7.6. De même, dans l’affaire de l’Usine de Chorzów, la Cour permanente a déclaré :
«[L]a juridiction de la Cour est toujours une juridiction limitée n’existant que
dans la mesure où les Etats l’ont admise … C’est toujours l’existence d’une volonté
des Parties de conférer juridiction à la Cour, qui fait l’objet de l’examen de la question
de savoir s’il y a compétence ou non.»48
7.7. Dans le premier arrêt rendu par la Cour internationale de Justice, celle-ci a confirmé que
ce principe fondamental s’appliquait à sa compétence : «la règle demeure que la juridiction de la
Cour internationale de Justice, comme antérieurement celle de la Cour permanente de Justice
internationale, repose sur le consentement des Etats qui sont parties au différend»49.
7.8. Elle a confirmé ce principe en 1949, lorsqu’elle a déclaré qu’une demande, «en
l’état … du droit concernant la juridiction internationale, ne p[ouvait] être déférée à un tribunal
international que du consentement des Etats en cause»50. La Cour a une nouvelle fois réaffirmé
cette règle en 1950 : «le consentement des Etats parties à un différend est le fondement de sa
juridiction … en matière contentieuse»51. En 1984, elle a expressément qualifié de «fondamental»
47 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no
5, p. 27.
48 Usine de Chorzów, compétence, arrêt no
8, 1927, C.P.J.I. série A no
9, p. 32.
49 Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), exception préliminaire, arrêt, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948,
opinion individuelle de MM. Basdevant, Alvarez, Winiarski, Zoricic, De Visscher, Badawi Pacha et Krylov, p. 31.
50 Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1949, p. 178.
51 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
21
- 20 -
le «principe [voulant] que la compétence de la Cour pour connaître d’un différend et le trancher
dépende du consentement des Parties à celui-ci»52.
7.9. Les Etats peuvent consentir à la compétence de la Cour de deux manières, à savoir :
a) par un consentement ad hoc : en concluant un compromis visant à soumettre un différend à la
Cour (paragraphe 1 de l’article 36 du Statut) ; ou
b) par un consentement donné par avance :
i) soit en vertu d’une clause juridictionnelle insérée dans un traité ou une convention et par
laquelle l’Etat consent à la juridiction de la Cour (paragraphe 1 de l’article 36 du Statut) ;
ii) soit en vertu de déclarations unilatérales d’acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour (paragraphe 2 de l’article 36 du Statut).
7.10. En ce qui concerne les déclarations unilatérales d’acceptation, les Etats peuvent
reconnaître la juridiction obligatoire de la Cour avec ou sans réserve. Lorsque des réserves ont été
formulées, comme c’est le cas ici, celles-ci font partie intégrante de la déclaration d’acceptation de
la juridiction de la Cour. Les déclarations sont faites sous condition de réciprocité dès lors,
l’Etat déclarant est tenu de reconnaître la juridiction de la Cour à l’égard d’un différend l’opposant
à un autre Etat déclarant, mais uniquement dans la mesure où leurs deux déclarations coïncident.
7.11. La Cour a reconnu que, compte tenu du caractère unique de ces déclarations
unilatérales, «[l]e régime qui s’appliqu[ait] à l’interprétation des déclarations faites en vertu de
l’article 36 du Statut n’[était] pas identique à celui établi pour l’interprétation des traités par la
convention de Vienne sur le droit des traités»53. Plus précisément, la Cour a expliqué que,
indépendamment du fondement du consentement à sa compétence, «l’attitude de l’Etat défendeur
d[evait] «pouvoir être regardée comme une «manifestation non équivoque» de la volonté de cet
Etat d’accepter de manière «volontaire, indiscutable» la compétence de la Cour»»54.
7.12. En l’espèce, les demandes des Iles Marshall ne relèvent pas du champ d’application des
déclarations des Parties et la Cour n’a donc pas compétence pour en connaître.
52 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984,
p. 22, par. 34.
53 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 453, par. 46.
54 Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 204, par. 62.
22
- 21 -
SECTION 2
LE TRAITÉ MULTILATÉRAL SUR LEQUEL REPOSENT LES DEMANDES DES ILES MARSHALL
N’EST PAS OPPOSABLE AU PAKISTAN ET NE RELÈVE PAS DU CHAMP D’APPLICATION
DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR EN L’ESPÈCE
7.13. Pour les raisons énoncées ci-dessous, la Cour n’a pas compétence pour connaître des
demandes des Iles Marshall telles que formulées dans leur requête :
a) Le Pakistan n’est pas partie au TNP
7.14. L’un des principes fondamentaux du droit international est qu’un traité ne lie que les
parties à celui-ci («pacta tertiis nec nocent nec prosunt»)55. Ce principe est consacré par le
paragraphe 34 de la convention de Vienne sur le droit des traités, qui stipule qu’«[u]n traité ne crée
ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement»56.
7.15. Le Pakistan n’est pas partie au TNP57. Pourtant, les obligations que les Iles Marshall
considèrent comme étant à la charge du Pakistan sont, pour reprendre leurs termes, «ancrées» et
«consacrées» dans le TNP58 et la requête contient plus de vingt références à ce traité, dont quinze
au moins à son article VI. En outre, la prescription spécifique sollicitée par les Iles Marshall est
fondée pour une grande part sur l’article VI du TNP à titre d’exemple, le passage suivant énonce
la prescription réclamée par les Iles Marshall, les mots en italiques mettant en évidence les
obligations découlant de l’article VI du TNP, lesquelles ne s’appliquent qu’aux Etats parties à ce
traité. Les Iles Marshall ont ainsi prié la Cour :
«d’ordonner au Pakistan de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer,
dans un délai d’un an à compter du prononcé de l’arrêt, aux obligations que lui impose
le droit international coutumier en ce qui concerne la cessation de la course aux
armements nucléaires à une date rapprochée et le désarmement nucléaire, parmi
lesquelles celle de mener des négociations de bonne foi, si nécessaire en engageant
celles-ci, en vue de conclure une convention relative à un désarmement nucléaire dans
tous ses aspects effectué sous un contrôle international strict et efficace»59.
7.16. Le Pakistan n’ayant pas donné son consentement, le TNP ne saurait lui accorder de
droits ni lui imposer d’obligations. Ce traité ne lui est pas opposable. En conséquence, les
demandes formulées par les Iles Marshall à l’encontre du Pakistan, et donc la compétence de la
Cour pour connaître de ces demandes, ne sauraient être fondées, directement ou indirectement, sur
ce traité.
55 Voir Arnold McNair, The Law of Treaties, Oxford : Clarendon, 1961.
56 Voir également Mark E. Villiger, Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties,
Martinus Nijhoff Publishers, 2009, p. 466 et suiv.
57 Voir MRIM, par. 58 (reconnaissant que «le Pakistan n’y est pas partie»).
58 Requête, par. 2, 36 et 54.
59 Ibid., p. 18.
- 22 -
b) La République des Iles Marshall ne peut pas prouver le bien-fondé
de ses demandes sans invoquer le TNP
7.17. Le point c) de la déclaration du Pakistan de 1960 (ci-après la «réserve relative aux
traités multilatéraux») dispose que l’acceptation par ce dernier de la juridiction obligatoire de la
Cour ne s’applique pas :
«aux différends qui s’élèveraient à propos d’un traité multilatéral, à moins que
i) toutes les parties au traité dont il s’agit ne soient également parties à l’affaire portée
devant la Cour, ou que ii) le Gouvernement pakistanais n’accepte la juridiction pour le
cas d’espèce»60.
7.18. Le Pakistan n’a pas accepté la juridiction de la Cour pour le présent cas d’espèce. Par
conséquent, les demandes présentées par les Iles Marshall étant indéniablement centrées sur un
traité multilatéral (plus précisément, le TNP), la Cour ne saurait connaître de celles-ci dans le
respect de la réserve relative aux traités multilatéraux que si toutes les parties au traité multilatéral
dont il s’agit sont également parties à l’affaire portée devant elle. Cet aspect de l’argumentation du
Pakistan sera développé au chapitre 4 de la présente partie. En l’occurrence, tous les Etats
susceptibles d’être touchés par une décision de la Cour sur les demandes de la République des
Iles Marshall ne sont pas parties à l’affaire portée devant la Cour. Dès lors, conformément à la
réserve relative aux traités multilatéraux formulée par le Pakistan, ces demandes échappent au
consentement donné par celui-ci à la juridiction obligatoire de la Cour.
7.19. Par son libellé, la réserve relative aux traités multilatéraux n’est pas limitée à ceux
auxquels le Pakistan est partie. La réserve formulée dans la déclaration de 1960 fait uniquement
mention d’«un traité multilatéral». Le Pakistan n’ayant pas (conformément à la réserve relative
aux traités multilatéraux) spécifiquement accepté la juridiction de la Cour en ce qui concerne les
demandes présentées par les Iles Marshall et lesdites demandes faisant indubitablement entrer en
jeu des traités multilatéraux tels que le TNP et la Charte des Nations Unies, sans lesquels la
République des Iles Marshall ne saurait prouver le bien fondé de celles-ci, la Cour ne peut
connaître de ces demandes que si toutes les parties au traité multilatéral qui seraient touchées par
une éventuelle décision de la Cour sur les questions soulevées par la requête de la République des
Iles Marshall sont parties à la présente instance.
7.20. La requête fait mention de neuf Etats, dont cinq sont partie au TNP61. Les
Iles Marshall ont avancé leurs prétentions contre chacun des neuf Etats. Seul un Etat doté d’armes
nucléaires partie au TNP, le Royaume-Uni, a accepté la juridiction obligatoire de la Cour, en
formulant toutefois certaines réserves pertinentes. Il est patent que les parties au traité multilatéral
qui seront touchées par une décision de la Cour ayant trait au TNP ne sont pas toutes partie à la
présente instance. Dans ces conditions, la requête de la République des Iles Marshall relève
directement du champ d’application de la réserve relative aux traités multilatéraux formulée par le
Pakistan et suscite les mêmes inquiétudes que celles qui ont présidé à la formulation de cette
réserve.
7.21. Si la Cour devait se prononcer sur les demandes présentées par les Iles Marshall, sa
décision pourrait entraîner un préjudice :
60 Voir http://www.icj-cij.org/jurisdiction/index.php?p1=5&p2=1&p3=3&code=PK.
61 Requête, par. 17 et 19.
23
- 23 -
1) pour le Pakistan, en liant celui-ci à une décision de la Cour sans lier pareillement les Etats
parties au TNP, instrument que cite le demandeur à l’appui de ses prétentions à l’égard du
Pakistan ;
2) pour le Pakistan encore, en déterminant les droits et devoirs de celui-ci en l’absence de faits et
documents directement pertinents qui pourraient se trouver en la seule possession d’Etats
absents à l’instance ; et
3) pour les autres Etats touchés par la décision, notamment les parties au TNP, en tranchant, en
leur absence, la question de la licéité de la possession d’armes nucléaires, y compris leur droit
souverain inhérent à l’autodéfense.
7.22. La Cour doit, par conséquent, décliner sa compétence à l’égard des demandes des Iles
Marshall.
c) Les demandes des Iles Marshall, présentées comme portant sur des manquements au droit
international coutumier ou à des obligations erga omnes, ne sont en réalité qu’une
répétition de leurs demandes fondées sur des traités et ne sauraient, en tout état
de cause, pas être tranchées sans faire référence à ces instruments,
et notamment au TNP
7.23. Dans sa requête, la République des Iles Marshall soutient que l’article VI du TNP
énonce «une obligation erga omnes»62, «dont le respect est dû à la communauté internationale dans
son ensemble»63. Conformément au principe qu’elle a énoncé dans l’affaire de l’Or monétaire, la
Cour ne saurait statuer sur les droits et obligations d’un Etat sans le consentement de celui-ci. Ce
principe fondamental s’applique à toute affaire, que les obligations en cause soient erga singulum
ou erga omnes.
7.24. Dans l’affaire du Nicaragua, la Cour a explicité en ces termes le principe qu’elle avait
énoncé dans l’affaire de l’Or monétaire :
«Il ne fait pas de doute que, quand les circonstances l’exigent, la Cour déclinera
l’exercice de sa compétence, comme elle l’a fait dans l’affaire de l’Or monétaire pris à
Rome en 1943, lorsque les intérêts juridiques d’un Etat qui n’est pas partie à l’instance
« seraient non seulement touchés par une décision, mais constitueraient l’objet même
de ladite décision.»
En revanche, lorsque des prétentions d’ordre juridique sont formulées par un
demandeur contre un défendeur dans une instance devant la Cour et se traduisent par
des conclusions, la Cour, en principe, ne peut que se prononcer sur ces conclusions,
avec effet obligatoire pour les parties et pour nul autre Etat, en vertu de l’article 59 du
Statut.»64
7.25. Par conséquent, lorsqu’une obligation erga omnes résultant du comportement illicite
antérieur d’un Etat B est réputée être à la charge (par exemple) d’un Etat A, ainsi que des Etats B,
C, D et E, l’Etat C ne peut introduire une instance pour manquement à cette obligation contre le
62 Voir ibid., partie III («L’article VI du TNP : une obligation erga omnes»).
63 Requête, par. 35.
64 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 431.
24
- 24 -
seul Etat A si la décision qu’il sollicite nécessite que soit également tranchée la question des
manquements commis par l’Etat B.
7.26. Il pourrait en aller autrement : i) si la question du manquement à l’obligation par
l’Etat B avait déjà été tranchée ; ou ii) si la décision sollicitée ne pouvait tout au plus avoir que des
conséquences défavorables pour l’Etat B. En l’espèce, toutefois, aucune de ces conditions n’est
réunie.
7.27. En effet, avant de pouvoir statuer sur la question de savoir si le Pakistan (qui n’est pas
partie au TNP) a manqué aux obligations internationales que lui imposerait le droit international
coutumier et qui sont « ancrées » dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci65, la Cour
doit tout d’abord trancher la question de savoir si la République des Iles Marshall peut chercher à
obtenir le respect de ces mêmes obligations par les Etats dotés d’armes nucléaires qui sont partie
au TNP mais ne participent pas à la présente procédure.
7.28. Les Iles Marshall soutiennent, sans en apporter la preuve, que l’obligation «ancrée»
dans l’article VI du TNP et «consacrée» par celui-ci est une obligation erga omnes qui existe
indépendamment de toute disposition conventionnelle. L’allégation du demandeur selon laquelle la
même obligation aurait plusieurs sources distinctes, l’une d’entre elles nécessitant que les parties
concernées acceptent l’obligation en question pour être liées par celle-ci et l’autre non, n’est pas
tenable. Ce que la République des Iles Marshall demande en réalité à la Cour, c’est de méconnaître
les droits souverains des Etats en matière de conclusion et de ratification des traités (et, partant, leur
consentement à être liés par les obligations qui y sont énoncées).
7.29. Le demandeur semble de surcroît s’estimer habilité à faire valoir ses prétentions pour
son propre compte mais également pour celui de «la communauté internationale dans son
ensemble»66. Il soutient en effet que les obligations de droit international coutumier «ancrées»
dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci sont source d’obligations erga omnes et qu’il
est, par conséquent, en droit de chercher à obtenir le respect de celles-ci dans le cadre d’une
instance portée devant la Cour contre le Pakistan.
7.30. Il est rappelé qu’au paragraphe 2, alinéa F, du dispositif de l’avis consultatif qu’elle a
rendu en 1996, la Cour a conclu ce qui suit : «Il existe une obligation de poursuivre de bonne foi et
de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects,
sous un contrôle international strict et efficace.»67
7.31. Dans sa requête, la République des Iles Marshall reconnaît que la conclusion de la
Cour était «fond[ée] en grande partie sur [l’]analyse [faite par celle-ci] de l’article VI du traité de
non-prolifération des armes nucléaires de 1968»68. Le juge Weeramantry a estimé que le
paragraphe 2, alinéa F, du dispositif était «à proprement parler, étranger à la question»69 soumise à
65 Requête, par. 2, 36 et 54.
66 Ibid., par. 35. Voir également Mémoire, par. 8 («La présente instance porte sur des obligations opposables
erga omnes, qui lient la République des Iles Marshall en tant que membre de la communauté internationale») et par. 31.
67 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 267, par. 105,
point 2 F).
68 Requête, par. 1.
69 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 437 (opinion
dissidente de M. le juge Weeramantry).
25
- 25 -
la Cour pour avis. Dans l’exposé de son opinion dissidente, le vice-président Schwebel a fait valoir
que
«[s]i cette obligation ne s’impos[ait] qu’à «chacune des parties au traité» comme le
précise l’article VI du traité sur la non-prolifération, ce n’[était] qu’une répétition
anodine d’une évidence, tout comme celles que cont[enaient] les paragraphes 2A, 2B,
2C et 2D du dispositif»70.
Mais il a surtout observé :
«Si [le paragraphe 2F] s’appliquait aux Etats non parties au traité, ce serait
une constatation équivoque. Il s’agirait d’une conclusion que personne n’a avancée
pendant la procédure ; qui n’aurait été ni démontrée par des preuves ni soumise au
principe du contradictoire ; ce serait une conclusion difficile à concilier avec les bases
fondamentales du droit international. De toute manière, comme le paragraphe 2F ne
répond pas à la question posée à la Cour, il doit être considéré comme un simple
dictum.»71 (Les italiques sont de nous).
7.32. Par conséquent, l’allégation de la République des Iles Marshall selon laquelle le
paragraphe 2F du dispositif «revient à faire de l’obligation énoncée à l’article VI [du TNP] une
obligation erga omnes»72 ne peut pas être exacte et ne saurait fonder, même prima facie, les griefs
formulés par le demandeur à l’encontre du Pakistan ni la qualité pour agir dont il se prévaut.
7.33. Nonobstant le fait qu’il n’existe pas d’obligation erga omnes et que la République des
Iles Marshall n’a donc pas qualité pour agir au travers des demandes qu’elle a formulées dans sa
requête, il existe des limites à l’étendue de la compétence de la Cour lorsqu’un ou plusieurs Etats
tiers indispensables ne sont pas partie à l’instance. Le fait demeure donc que la Cour ne saurait
statuer sur les demandes formulées par les Iles Marshall en l’absence des parties au TNP ainsi que
d’autres Etats concernés en tant que parties à la présente instance.
CHAPITRE 2
LA COMPÉTENCE EST EXCLUE PAR L’EFFET DES RÉSERVES
DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL
7.34. Ainsi qu’exposé ci-dessus, la réciprocité des déclarations est un principe fondamental à
prendre en compte aux fins d’établir la portée de la juridiction obligatoire au titre de laquelle la
Cour peut connaître de telle ou telle demande.
7.35. Le Pakistan soutient que la compétence de la Cour pour connaître des demandes de la
République des Iles Marshall est exclue, en premier lieu, par l’effet des réserves que celle-ci a
elle-même formulées dans le cadre de sa déclaration de 2013. Cette conclusion découle de ce que :
1) la déclaration faite par le Royaume-Uni en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la
Cour inclut une réserve qui prévoit que la Cour est compétente pour connaître de tous les
différends nés après le 1er janvier 1984, autres que
70 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 329 (opinion
dissidente du vice-président, M. le juge Schwebel).
71 Ibid.
72 Requête, par. 35.
26
- 26 -
«[t]out différend à l’égard duquel toute autre partie en cause a accepté la juridiction
obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement en ce qui concerne ledit
différend ou aux fins de celui-ci, ou lorsque l’acceptation de la juridiction obligatoire
de la Cour au nom d’une autre partie au différend a été déposée ou ratifiée moins de
douze mois avant la date du dépôt de la requête par laquelle la Cour est saisie du
différend» ;
2) la déclaration faite par l’Inde en vertu de la clause facultative comprend une réserve formulée
en des termes quasi identiques applicable
«[aux] différends à l’égard desquels toute autre partie en cause a accepté la juridiction
obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement pour ce qui concerne
lesdits différends ou aux fins de ceux-ci ; ou lorsque l’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour au nom d’une autre partie au différend a été déposée ou ratifiée
moins de douze mois avant la date du dépôt de la requête par laquelle la Cour est
saisie du différend» ;
3) la déclaration faite en 2013 par la République des Iles Marshall contient une réserve analogue,
concernant
«[l]es différends à l’égard desquels toute autre partie en cause a accepté la juridiction
obligatoire de la Cour internationale de Justice uniquement en ce qui concerne ledit
différend ou aux fins de celui-ci».
7.36. Ainsi qu’il ressort du moment où elle a choisi d’introduire des instances contre l’Inde,
le Pakistan et le Royaume-Uni, la République des Iles Marshall a accepté la juridiction obligatoire
de la Cour dans l’intention bien précise d’attraire ces pays devant elle dès qu’il lui serait loisible de
le faire. Elle a en effet déposé sa déclaration le 24 avril 2013. Les déclarations faites par l’Inde et
le Royaume-Uni l’empêchant d’introduire une instance contre ces pays dans les douze mois suivant
la date de ce dépôt, elle a soumis sa requête le 24 avril 2014, soit 365 jours exactement après avoir
exprimé son consentement à la juridiction obligatoire de la Cour.
7.37. Il est donc clair que la République des Iles Marshall n’a souscrit à la juridiction
obligatoire de la Cour qu’aux fins d’attraire devant elle l’Inde, le Pakistan et le Royaume-Uni. Sa
réserve trouve donc à s’appliquer ; la Cour est ainsi empêchée de connaître de la requête par l’effet
de la propre réserve des Iles Marshall, dont le Pakistan est en droit de se prévaloir au titre du
principe de réciprocité.
7.38. Selon la jurisprudence de la Cour, ce principe ne peut être invoqué par un Etat pour ne
pas respecter les termes de sa propre déclaration, quel qu’en soit le champ d’application, ou quelles
que soient les limites ou les conditions qu’elle impose. Le principe de réciprocité autorise le
défendeur à exciper des réserves qui figurent dans la déclaration du demandeur, ce qu’a reconnu la
Cour en l’affaire Interhandel :
«La réciprocité permet à l’Etat qui a accepté le plus largement la juridiction de
la Cour de se prévaloir des réserves à cette acceptation énoncées par l’autre partie. Là
s’arrête l’effet de la réciprocité.»73
73 Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 23.
27
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7.39. La déclaration de 2013 ayant été faite et déposée aux seules fins d’introduire les
instances en question, la réserve qu’elle contient est applicable au cas d’espèce et la Cour doit à ce
titre se déclarer incompétente.
CHAPITRE 3
LA COMPÉTENCE DE LA COUR EST EXCLUE PAR L’EFFET DE LA RÉSERVE DU PAKISTAN
CONCERNANT SA COMPÉTENCE NATIONALE
7.40. Ainsi qu’il a été déjà indiqué ci-dessus, la déclaration de 1960 exclut les différends
«concernant des questions qui, d’après le droit international, relèvent exclusivement de la
compétence nationale du Pakistan».
7.41. La politique de défense nationale du Pakistan sert à garantir l’intégrité territoriale, la
souveraineté et la sécurité de ce pays. Elle trouve ses fondements dans la constitution du Pakistan,
qui, à son article 245 (partie XII, chapitre 2), prévoit ce qui suit :
«Les forces armées, agissant sur instruction du Gouvernement fédéral,
défendront le Pakistan contre les menaces de guerre ou agressions extérieures et, sous
réserve des dispositions de la loi, viendront en aide au pouvoir civil, lorsqu’elles
auront été appelées à le faire.
La validité d’une instruction formulée par le Gouvernement fédéral en vertu de
la première clause ne pourra être mise en cause devant aucune instance judiciaire.»74
[Traduction du Greffe.]
7.42. En vertu de cet article 245, le programme nucléaire du Pakistan fait partie intégrante de
sa défense nationale — à savoir sa défense contre les menaces de guerre ou agressions extérieures.
7.43. Dans le cadre des affaires des Essais nucléaires, qui portaient sur la licéité d’essais
réalisés en atmosphère dans la région du Pacifique Sud, la Cour s’est intéressée à la déclaration en
vertu de laquelle la France avait accepté sa juridiction obligatoire. Cette déclaration contenait une
réserve à l’égard «des différends concernant des activités se rapportant à la défense nationale».
Bien que, en définitive, la Cour n’ait pas eu à se prononcer sur cette question, celle-ci a suscité de
la part des juges de Castro, Forster et Gros des commentaires pertinents aux fins de la présente
espèce et de la politique de défense du Pakistan, qui relève de la compétence de celui-ci et échappe
à celle du juge :
1) le juge de Castro a estimé que la réserve de la France «sembl[ait] bien s’appliquer aux essais
nucléaires»75 ;
2) le juge Foster a évoqué «la souveraineté absolue que la France, comme tout autre Etat, possède
dans le domaine de sa défense nationale»76 ;
3) le juge Gros a fait remarquer que les prétentions de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande
«d’imposer une certaine politique de défense nationale à un autre Etat [constituaient] une
74 Voir http://www.pakistani.org/pakistan/constitution/ [traduction du Greffe] (annexe 13).
75 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), opinion dissidente de M. le juge de Castro,
C.I.J. Recueil 1974, p. 376.
76 Ibid., opinion dissidente de M. le juge Forster, C.I.J. Recueil 1974, p. 275.
28
- 28 -
intervention dans les affaires intérieures de cet Etat dans un domaine où une telle intervention
[était] particulièrement inadmissible»77.
7.44. Commentant ces affaires, un éminent publiciste releva qu’
«une expression telle que celle de «défense nationale» autoris[ait] une très large marge
d’appréciation, et [que] le juge dev[ait] être particulièrement prudent afin d’éviter
d’imposer sa propre interprétation sur la question de savoir si tel ou tel fait
particip[ait] de la défense nationale de l’Etat concerné»78.
7.45. Le programme nucléaire du Pakistan participe de la politique de défense de ce pays,
qui relève de sa compétence nationale. Elle ne saurait être mise en cause par une instance
judiciaire, quelle qu’elle soit, ni, a fortiori, par un Etat n’entretenant pas les relations
conventionnelles nécessaires avec le Pakistan79.
7.46. En outre, la demande des Iles Marshall est inadmissible et va bien au-delà de ce qui
peut être demandé à la Cour en ce qu’elle invite celle-ci à empiéter sur les droits que le
paragraphe 7 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies garantit en ces termes au Pakistan :
«Aucune disposition de la … Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir dans des affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ni n’oblige les Membres à soumettre
des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la … Charte». Ce que
l’Organisation des Nations Unies (y compris son organe judiciaire principal) ne peut faire, aucun
Etat individuel ne peut le faire non plus.
7.47. La compétence de la Cour est donc exclue par l’effet de la réserve relative à la
compétence nationale que contient (en son litt. b)) la déclaration de 1960.
CHAPITRE 4
LA COMPÉTENCE DE LA COUR EST EXCLUE PAR L’EFFET DE LA RÉSERVE DU PAKISTAN
CONCERNANT LES TRAITÉS MULTILATÉRAUX
7.49. Dans son mémoire80, la République des Iles Marshall reconnaît que «l’obligation
d’engager de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire est également
énoncée à l’article VI du TNP». Dans sa requête, elle indique que les obligations de droit
international coutumier qu’elle invoque sont «ancrée[s]» et «consacrées» dans cet article81 et
«fondée[s] sur la participation particulièrement large et représentative des Etats au TNP»82. A la
lumière de ces déclarations, il est clair que l’affirmation des Iles Marshall selon laquelle «le
77 Ibid., opinion dissidente de M. le juge Gros, C.I.J. Recueil 1974, p. 283.
78 Oscar Schachter, General Course at the Hague Academy, 178 Collected Courses of the Hague Academy
(1982-V).
79 En rejetant les demandes formulées par les Iles Marshall contre les Etats-Unis d’Amérique, le tribunal fédéral
de première instance (US Federal District Court) a, dans sa décision du 3 février 2015, jugé qu’une «demande tendant à
ce qu’il examine et contrôle les décisions et politiques des Etats-Unis concernant leur arsenal et leurs programmes
nucléaires était inadmissible, et excédait très nettement la compétence du juge fédéral», République des Iles Marshall
c. Etats-Unis d’Amérique, 2015 U.S. Dist. LEXIS 12785 (N.D. Cal. 2015), ordonnance, p. 9 (annexe 11).
80 Mémoire, par. 58.
81 Requête, par. 2, 36 et 54.
82 Ibid., par. 42.
- 29 -
différend entre [elles] et le Pakistan ne «s’élèv[e pas] à propos» de cet instrument, puisque le
Pakistan n’y est pas partie»83, est indéfendable. Ainsi qu’indiqué plus haut, la requête, longue de
22 pages, contient plus de vingt références au TNP, dont au moins quinze à son article VI.
7.50. Il est incontesté entre les Parties que le Pakistan n’a ni signé ni ratifié le TNP, non plus
que le traité d’interdiction complète des essais nucléaires de 199684.
7.51. La République des Iles Marshall reconnaît également que le Pakistan, tout comme
l’Inde et le Royaume-Uni, a accepté la juridiction de la Cour «à ses propres conditions»85
autrement dit, pour chacun de ces pays, dans la limite des termes et réserves de leurs
déclarations respectives. Or, la déclaration faite par le Pakistan en 1960 exclut expressément la
compétence de la Cour dans le cas des
«c) différends qui s’élèveraient à propos d’un traité multilatéral, à moins que :
i) toutes les parties au traité dont il s’agit ne soient également parties à l’affaire
portée devant la Cour, ou que
ii) le Gouvernement pakistanais n’accepte la juridiction pour le cas d’espèce».
7.52. Il est admis qu’un Etat est fondé à formuler pareille réserve. Selon l’article 59 du
Statut de la Cour, une décision de celle-ci est obligatoire pour les seules parties en litige. Il est
constant que les Etats qui, tout en étant intéressés à un différend relatif à un traité multilatéral
auquel ils sont parties, ne sont pas amenés à ester devant la Cour à cet égard, ne seront pas liés par
la décision de celle-ci. La majorité des Etats n’ayant en rien accepté la juridiction obligatoire de la
Cour, nombre d’Etats ainsi intéressés ne peuvent être attraits devant celle-ci lorsque s’élève un tel
différend. En conséquence, dès lors que toutes les parties à un traité intéressées au différend ne
participent pas à l’instance, et ne peuvent être citées devant elle par les Iles Marshall, la Cour, par
l’effet de la réserve que le Pakistan a formulée en ce qui concerne les traités multilatéraux, ne
saurait se prononcer sur les droits et les obligations de celui-ci.
7.53. Inclure une telle réserve dans une déclaration est légitime, pour trois raisons :
1) le Pakistan refuse qu’une juridiction se prononce, dans le cadre d’un différend relatif à un traité
multilatéral auquel il est partie, sur les droits et obligations juridiques découlant pour lui de ce
traité, à moins que toutes les parties à celui-ci intéressées au différend n’y participent, et il en va
de même dans le cas d’un traité multilatéral auquel l’auteur de la déclaration n’est pas partie,
mais qui est invoqué pour établir l’existence d’une norme de droit coutumier qu’il lui est
reproché d’avoir violé ;
2) il serait manifestement injuste que la Cour se prononce sur des aspects bilatéraux d’un différend
relatif à un traité multilatéral, dans la mesure où des Etats absents sont seuls en possession de
certains faits ou documents directement pertinents aux fins des droits et obligations des parties à
la procédure inter se ; et
83 Mémoire, par. 58.
84 Requête, par. 6 (où le Pakistan est décrit comme un «Etat doté d’armes nucléaires non partie au TNP») ;
mémoire, par. 58 (où il est admis que «le Pakistan n’[est] pas partie» au TNP) ; requête, par. 24 (où il est admis que «le
Pakistan n’a ni signé ni ratifié le traité» d’interdiction complète des essais nucléaires de 1996).
85 Mémoire, par. 4.
29
- 30 -
3) un prononcé sur des aspects bilatéraux d’un différend relatif à un traité multilatéral affectera
inévitablement les droits et intérêts pratiques des Etats absents.
SECTION 1
LA REQUÊTE DES ILES MARSHALL EST AXÉE SUR LE TNP,
QUI EST UN TRAITÉ MULTILATÉRAL
7.54. La République des Iles Marshall affirme que sa «requête ne vise pas à rouvrir la
question de la licéité des armes nucléaires, mais concerne en revanche [un] manquement [à des]
obligations de droit international coutumier»86. Elle est toutefois incapable de spécifier ses griefs
contre le Pakistan sans mentionner ou invoquer l’article VI du TNP, auquel celui-ci n’est pas
partie. Ainsi affirme-t-elle dans sa requête que «[l]es obligations [consacrées] à l’article VI du
TNP ne sont pas de simples obligations conventionnelles ; elles existent aussi de manière autonome
en droit international coutumier»87 (les italiques sont de nous). Ailleurs, elle déclare que
«[l]’obligation de droit international coutumier relative à la cessation de la course aux armements
nucléaires à une date rapprochée est ancrée dans l’article VI du TNP»88 (les italiques sont de nous).
Entre l’article VI du TNP tel que la République des Iles Marshall l’invoque et les griefs contre le
Pakistan tels qu’elle les formule dans sa requête, la relation est symbiotique.
7.55. Comme le démontre le grand nombre de références faites, dans la requête, au TNP,
y compris à son article VI, ce traité est au centre de la requête des Iles Marshall et des griefs
formulés par celles-ci à l’encontre du Pakistan ; en conséquence, la prétendue existence
d’obligations de droit international coutumier, que la République des Iles Marshall souhaite voir la
Cour ordonner au Pakistan d’exécuter, imposerait à celle-ci de trancher un différend concernant ou
impliquant : i) un traité multilatéral (le TNP) qui n’est pas opposable au Pakistan ; ii) un avis
consultatif non contraignant rendu par la Cour (qui concerne lui-même le TNP, et dont la principale
conclusion invoquée par les Iles Marshall est «fond[ée] en grande partie sur [l’]analyse de
l’article VI» du TNP que fait la Cour89) ; et iii) des résolutions non contraignantes de l’Assemblée
générale (qui, elles aussi, concernent le TNP).
SECTION 2
LA RÉSERVE CONCERNANT LES TRAITÉS MULTILATÉRAUX INCLUSE DANS LA DÉCLARATION
DE 1960 N’EST PAS LIMITÉE AUX TRAITÉS MULTILATÉRAUX AUXQUELS
LE PAKISTAN EST PARTIE
7.56. Le Pakistan n’est pas partie au TNP ; il n’est donc pas lié par celui-ci. La réserve qu’il
a incluse dans sa déclaration de 1960 relativement aux traités multilatéraux s’applique «aux
différends qui s’élèveraient à propos d’un traité multilatéral». Son libellé est sans ambiguïté : elle
ne couvre pas uniquement les traités multilatéraux auxquels le Pakistan est partie, mais vaut pour
toute instance introduite contre le Pakistan dès lors que les demandes formulées reposent sur un
traité multilatéral, quel qu’il soit.
86 Requête, par. 2.
87 Ibid., par. 36. Voir aussi ibid., par. 2.
88 Ibid., par. 54.
89 Ibid., par. 1.
30
- 31 -
7.57. Dans l’affaire des Pêcheries, la Cour, à propos de l’interprétation des réserves
contenues dans les déclarations faites en vertu de la clause facultative, a précisé que «[t]oute
déclaration «doit être interprétée telle qu’elle se présente, en tenant compte des mots effectivement
employés»»90. Si le Pakistan avait souhaité circonscrire l’application de sa réserve aux différends
s’élevant à propos d’un traité multilatéral auquel il est partie, il l’aurait expressément mentionné
dans sa déclaration de 1960.
SECTION 3
TOUTES LES PARTIES AUX TRAITÉS PERTINENTS NE SONT PAS PARTIES
À LA PRÉSENTE INSTANCE
7.58. Aux termes de la déclaration de 1960, la Cour ne sera pas compétente pour connaître
de la présente affaire à moins que «toutes les parties au traité dont il s’agit ne soient également
parties à l’affaire portée devant» elle (les italiques sont de nous). Ainsi qu’il ressort clairement de
la requête et du mémoire, la présente affaire est axée sur le TNP et concerne par conséquent toutes
les parties à ce traité. S’agissant du seul TNP, l’affaire aura une incidence sur l’ensemble des
190 Etats qui sont parties à ce traité. Parmi eux figurent cinq Etats dotés de l’arme nucléaire, dont
quatre ne sont pas présents devant la Cour.
SECTION 4
LA REQUÊTE DES ILES MARSHALL CONSTITUE UNE TENTATIVE INDUE DE CONTOURNER
LA RÉSERVE CONCERNANT LES TRAITÉS MULTILATÉRAUX
7.59. La réserve relative aux traités multilatéraux n’empêche pas simplement la Cour de se
prononcer sur les demandes des Iles Marshall en appliquant ou en interprétant le TNP tel que
mentionné et invoqué par celles-ci, elle lui interdit aussi d’appliquer ou d’interpréter les obligations
de droit international coutumier qu’elles allèguent et qui sont, selon elles, «ancrée[s]» et
«consacrées» dans l’article VI de ce traité91.
7.60. Par conséquent, la réserve du Pakistan relative aux traités multilatéraux interdit à la
Cour de statuer sur les demandes des Iles Marshall tous les griefs avancés par celles-ci dans la
requête sont exclus de la compétence de la Cour.
7.61. Dans son opinion dissidente en l’affaire du Nicaragua, le juge Oda a reconnu qu’une
réserve relative aux traités multilatéraux était «un moyen de délimiter la compétence afin d’exclure
certains différends», précisant : «rien ne permet de supposer qu’un différend «résultant» d’un traité
multilatéral peut néanmoins être porté devant la Cour parce qu’il peut aussi s’analyser sous l’angle
du droit international général (ce qui est toujours le cas)»92.
90 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), C.I.J. Recueil 1998, p. 454, par. 47. Voir aussi
Anglo-Iranian Oil Co. (Royaume-Uni c. Iran), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 104 et 105 ; Certains
emprunts norvégiens (France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 27.
91 Requête, par. 2, 36 et 54.
92 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 218, par. 13 (opinion dissidente du juge Oda).
31
- 32 -
SECTION 5
LE BUT ET L’EFFET DE LA RÉSERVE RELATIVE AUX TRAITÉS MULTILATÉRAUX
7.62. Le but et l’effet de la réserve relative aux traités multilatéraux formulée par le Pakistan
peuvent se résumer comme suit :
a) Exclure la compétence de la Cour lorsque l’instance ne réunit pas toutes
les parties aux traités en cause qui seraient touchées par
une décision de la Cour
7.63. La réserve relative aux traités multilatéraux formulée par le Pakistan avait été rédigée
notamment pour protéger celui-ci, ainsi que d’autre Etats, contre les effets inévitablement
préjudiciables d’une décision judiciaire partielle dans un différend complexe intéressant plusieurs
parties.
7.64. Ainsi qu’il est précisé dans la requête et le mémoire des Iles Marshall, la question sur
laquelle celles-ci cherchent à obtenir un prononcé de la Cour se rapporte exclusivement aux traités
multilatéraux et s’inscrit nécessairement dans un cadre multilatéral.
7.65. La réserve relative aux traités multilatéraux formulée par le Pakistan concerne «toutes
les parties au traité dont il s’agit» — c’est-à-dire tous les signataires du traité multilatéral en cause.
b) Avant et après l’adoption de la réserve relative aux traités multilatéraux, le Pakistan
a eu pour pratique constante d’exclure du règlement judiciaire international
les questions ayant une incidence sur les intérêts de tierces parties absentes
7.66. Cette réserve trouve son origine dans une pratique ancienne concernant l’arbitrage
international en général et a été formulée pour répondre aux inquiétudes spécifiques sur la manière
dont certains aspects bilatéraux de différends multilatéraux pourraient être soumis à la Cour. La
réserve du Pakistan relative aux traités multilatéraux sert plusieurs intérêts importants :
1) premièrement, elle garantit que toutes les parties à un traité concernées par un différend
multilatéral seront liées par l’arrêt de la Cour — la situation inverse serait manifestement
injuste ;
2) deuxièmement, des considérations fondamentales de justice exigent que les faits afférents aux
questions soulevées dans la requête et les positions juridiques de toutes les parties intéressées
ou susceptibles d’être touchées par une décision de la Cour puissent être pleinement présentés à
la Cour avant que celle–ci ne rende une décision contraignante ;
3) troisièmement, le Pakistan ne croit pas que les Etats absents, que ce soit pour des raisons
pratiques ou juridiques, pourraient ne pas être touchés par une décision de la Cour lorsque
l’objet même de la procédure les concerne ou a une incidence à leur égard. Aux termes de
l’article 59 du Statut, une «décision de la Cour n’est obligatoire que pour les parties en litige et
dans le cas qui a été décidé». Cela ne fait toutefois guère plus que priver les Etats qui ne sont
pas parties à l’affaire des effets de l’autorité de la chose jugée de la décision de la Cour. Or,
dans ses décisions, la Cour peut tout à fait donner d’un traité multilatéral une interprétation
définitive et faisant autorité, laquelle pourrait s’appliquer à des parties au traité ne participant
pas à l’instance devant la Cour (et aussi, éventuellement, à des Etats qui, sans être parties au
traité, seront touchés par la décision).
32
- 33 -
c) Protéger le Pakistan et les Etats tiers contre les effets inévitablement préjudiciables
d’une décision judiciaire partielle dans un différend complexe
intéressant plusieurs parties
7.67. Le Pakistan affirme que, en l’absence d’autres Etats considérés comme possédant des
armes nucléaires, la Cour n’est pas en mesure de parvenir aux conclusions en fait dont dépend
l’issue de l’affaire. A cet égard, la Cour avait fait observer dans l’affaire Nicaragua :
«Quant aux faits de la cause, en principe la Cour n’est pas tenue de se limiter
aux éléments que lui soumettent formellement les parties … Néanmoins la Cour ne
saurait totalement pallier, par ses propres recherches, les conséquences de l’absence de
l’une des parties qui limite nécessairement l'information de la Cour dans une affaire
soulevant comme celle-ci de multiples questions de fait. De plus, on simplifierait à
l’excès en concluant que le seul inconvénient de l’absence d’une partie est que cette
partie se prive ainsi de l’occasion d'apporter des preuves et des arguments à l’appui
de sa propre cause. La procédure devant la Cour exige la vigilance de tous. L’absent
perd aussi la possibilité de combattre les allégations de fait de son adversaire.»93
(Les italiques sont de nous.)
7.68. Du fait des questions complexes en jeu et de la nécessaire participation d’autres Etats
considérés comme possédant des armes nucléaires, la Cour devrait s’abstenir de se prononcer sur la
requête des Iles Marshall en l’absence des Etats susvisés.
d) Eviter le règlement judiciaire de différends lorsque la décision de la Cour n’a pas pu
contribuer au règlement de celui qui lui est soumis
7.69. Compte tenu de l’absence de l’ensemble des Etats les plus directement intéressés par
les questions soulevées dans la requête, la Cour ne saurait régler celles-ci simplement en tranchant
l’affaire opposant les Iles Marshall au Pakistan. Par ailleurs, la Cour ne saurait assister d’autres
organes de l’Organisation des Nations Unies sans examiner à fond les questions essentielles, ce qui
implique qu’elle ait pour cela accès à l’ensemble des faits pertinents. Pareil examen approfondi est
impossible ici car d’autres Etats considérés comme possédant des armes nucléaires ne sont pas
parties à la procédure devant la Cour.
SECTION 6
LA PRATIQUE DE LA COUR EN CE QUI CONCERNE LES PARTIES INDISPENSABLES DANS LE
CADRE DE DIFFÉRENDS RELATIFS À DES TRAITÉS MULTILATÉRAUX
7.70. Ces considérations fondamentales qui ont conduit à la formulation de la réserve relative
aux traités multilatéraux ne sont pas sans rappeler certaines de celles qui sont à l’origine des règles
adoptées par la Cour en matière d’intervention et de sa pratique à l’égard des parties dont la
présence est jugée indispensable. Les règles de la Cour relatives à l’intervention et aux «parties
indispensables» ne permettent toutefois pas d’apaiser les craintes qu’éprouve le Pakistan au sujet
du règlement judiciaire partiel des différends multilatéraux. Plus précisément, aucune de ces règles
ne répond à une préoccupation du Pakistan qui vaut directement pour la présente espèce, à savoir
qu’il ne doit pas être la seule partie à être liée par la décision de la Cour, dans ce qui, par essence,
constitue un différend multilatéral en matière de désarmement nucléaire.
93 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 25.
33
- 34 -
7.71. L’article 63 du Statut de la Cour prévoit l’intervention de droit des parties à une
convention lorsque l’interprétation de cette convention est en jeu. Cet article reconnaît que toute
partie à une convention est touchée par l’interprétation de celle-ci et «a nécessairement un intérêt
en la matière»94. Comme le juge Oda l’a expliqué, «il ne fait guère de doute que, dans une instance
où l’interprétation d’une convention particulière est contestée, c’est l’interprétation qui lui a été
donnée par la Cour dans une affaire antérieure qui aura tendance à prévaloir» dans une affaire
subséquente portée devant la Cour sur la base de la même convention95. Le Statut de la Cour
établit donc clairement que, pour toute partie à un traité multilatéral susceptible d’être interprété
par la Cour, un intérêt d’ordre juridique est en cause.
7.72. L’article 63 permet donc à un Etat tiers d’intervenir pour protéger ses droits dès lors
que celui-ci estime que ses intérêts seront touchés par une décision de la Cour portant interprétation
d’une convention multilatérale à laquelle il est partie. Cet Etat tiers ne saurait toutefois être
contraint à prendre part à l’instance96. Visé par une requête où figurent des demandes en rapport
avec des traités multilatéraux ou des obligations «ancrées» et «consacrées» dans de tels traités et
s’inscrivant dans le cadre de différends multilatéraux, le Pakistan n’a donc pas la faculté de citer
devant la Cour toutes les autres parties à ces différends.
7.73. Le Pakistan ne peut s’assurer que ses propres droits et obligations feront l’objet d’une
décision judiciaire prise compte tenu de ceux directement pertinents des Etats absents ou compte
tenu de faits ou de documents pouvant avoir une incidence directe sur ses droits et obligations mais
que les Etats absents sont seuls à connaître ou à posséder. Qui plus est, le Pakistan court le risque
que ses droits et intérêts soient juridiquement définis, alors que ceux d’autres parties au différend,
et notamment les obligations de l’Etat demandeur envers les Etats absents, ne le seront pas. Ce
sont ces intérêts que la réserve relative aux traités multilatéraux vise à protéger. Ils échappent très
largement à la protection offerte par les règles de la Cour en matière d’intervention.
7.74. Pour des raisons analogues, la réserve relative aux traités multilatéraux a une portée
plus large que la pratique suivie par la Cour en ce qui concerne les parties dont la présence est
jugée indispensable. Dans l’affaire de l’Or monétaire97, la Cour a conclu que, vu le caractère
consensuel de sa juridiction, elle ne pouvait rendre une décision judiciaire sur une demande lorsque
les droits d’Etats absents constituaient «l’objet même du différend». Relevons que, comme nous
l’avons indiqué ci-dessus, le 3 février 2015, le tribunal fédéral de première instance du district nord
de la Californie a rejeté les demandes des Iles Marshall en l’«affaire parallèle» introduite par
celles-ci au motif, notamment, que le préjudice dont elles faisaient état ne pouvait pas «être réparé
94 Gerald Fitzmaurice, «The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1951-4 ; Questions of
Jurisdiction, Competence and Procedure», British Year Book of International Law, vol. 34, 1958, p. 125. Le lien entre
l’article 62 et l’article 63, ainsi que la conclusion selon laquelle tout Etat serait juridiquement touché par une décision
interprétant une convention à laquelle il est partie ont conduit M. le juge Hudson à conclure que toutes les parties à un
traité seraient «touchées» par une décision interprétant cet instrument et que, en conséquence, la réserve relative aux
traités multilatéraux exige que toutes les parties au traité participent à l’instance pour que la Cour puisse exercer sa
juridiction.
95 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1981, p. 30, par. 14 (opinion individuelle de M. le juge Oda).
96 Or monétaire pris à Rome en 1943, question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 32 (ci-après l’affaire de
l’«Or monétaire») ; Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt,
C.I.J. Recueil 1984, p. 25. Le Pakistan ne peut pas non plus être sûr que d’autres parties au différend participeront un
jour à une instance devant la Cour, puisque la majorité des Etats n’ont pas accepté la juridiction obligatoire de la Cour à
tous égards et qu’ils ne pourraient donc pas être attraits devant elle, même dans une instance distincte, pour qu’elle se
prononce sur leurs droits et devoirs en rapport avec le différend.
97 Or monétaire pris à Rome en 1943, question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 32.
- 35 -
en ordonnant à l’un des Etats parties [au traité] seulement l’exécution d’une obligation»98 (les
italiques sont de nous).
7.75. La pratique suivie par la Cour à cet égard protège les intérêts des Etats absents, ce qui
constitue l’une des préoccupations qui ont inspiré la réserve relative aux traités multilatéraux.
Toutefois, même si les intérêts d’un Etat absent ne constituent pas «l’objet même du différend», et
s’il est alors impossible de statuer en raison des principes posés dans l’affaire de l’Or monétaire99,
l’absence d’un Etat peut soulever celle des autres difficultés plus fondamentales auxquelles
la réserve relative aux traités multilatéraux vise à répondre.
7.76. L’Etat absent, peut, par exemple,
1) avoir des intérêts juridiques directement liés à ceux qui sont en jeu en l’affaire ;
2) connaître des faits ou disposer de documents intéressant directement l’instance ;
3) bien qu’étant, par hypothèse, partie au différend, ne pas être juridiquement lié par la décision de
la Cour.
7.77. Inversement — et c’est là un point potentiellement tout aussi important —, en déposant
une demande à l’encontre du Pakistan, les Iles Marshall n’obtiendront pas la détermination de leurs
droits et obligations à l’égard de l’un quelconque des Etats absents.
7.78. Ainsi qu’il ressort clairement de la requête et du mémoire des Iles Marshall, celles-ci
font valoir leurs droits à l’égard de neuf Etats et tentent d’obtenir de la Cour qu’elle se prononce
sur des demandes pour l’essentiel identiques. En résumé, parmi les trois Etats au moins parties à
un différend multilatéral, le Pakistan ne saurait être le seul à se trouver lié par la décision de la
Cour — cela serait en effet précisément la situation envisagée par les auteurs de la réserve relative
aux traités multilatéraux. Le Pakistan n’a pas consenti à ce que la Cour se prononce sur des
demandes en pareils cas.
98 République des Iles Marshall c. Etats-Unis d’Amérique, 2015 U.S. Dist. LEXIS 12785 (N.D. Cal. 2015),
ordonnance, p. 8-9 (annexe 11).
99 Ainsi qu’il est démontré ailleurs, l’«objet même» de la requête des Iles Marshall est en fait constitué par les
intérêts d’Etats absents, si bien que la requête est irrecevable en vertu de la jurisprudence de l’Or monétaire. Il convient
cependant de souligner que la réserve relative aux traités multilatéraux a une portée plus large, compte tenu de ses termes,
que la règle de la «partie indispensable» énoncée dans l’affaire de l’Or monétaire ou que les principes généraux appliqués
par la Cour conformément à l’article 62 en matière d’intervention. Il ressort en effet du texte de la réserve que la
compétence de la Cour est exclue lorsqu’une partie au traité en cause risque d’être «touchée» par la décision de la Cour.
Les effets envisagés dans la réserve ne sont pas seulement les effets sur les droits et obligations juridiques de l’Etat
absent : la réserve s’applique également s’il s’agit d’effets pratiques. Par exemple, si la Cour décidait, dans un litige
entre deux Etats, que l’un d’eux ne peut pas fournir d’assistance à un Etat tiers, cet Etat tiers en subirait des conséquences
pratiques. A cet égard, la réserve se distingue de l’article 62 du Statut de la Cour, disposition qui ne s’applique que
lorsqu’un «intérêt d’ordre juridique» est en cause. (Voir Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne),
requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 19).
De plus, la décision rendue par la Cour dans l’affaire de l’Or monétaire montre bien que les principes de
l’article 62 applicables en cas d’intervention lorsqu’un intérêt juridique est en cause sont moins stricts que la règle de la
partie indispensable. Dans l’affaire de l’Or monétaire, la Cour a refusé de trancher un différend entre l’Italie et le
Royaume-Uni parce que le règlement de ce différend l’aurait obligée à «[s]tatuer sur la responsabilité internationale de
l’Albanie», laquelle n’était pas partie à l’instance. La Cour n’est pas allée plus loin, bien qu’on eût soutenu que l’Albanie
aurait pu intervenir ; et cela parce que la Cour a estimé que les intérêts juridiques de l’Albanie «seraient non seulement
touchés par une décision, mais constitueraient l’objet même de ladite décision» (Or monétaire, p. 32). Comme la réserve
sur les traités multilatéraux s’applique lorsque les conditions de l’intervention ne sont pas remplies, elle s’applique aussi,
a fortiori, en l’absence de l’Etat «indispensable» au sens de l’arrêt sur l’Or monétaire.
34
- 36 -
SECTION 7
ABSENCE À LA PROCÉDURE D’ETATS TIERS INDISPENSABLES ET DES PARTIES SUSCEPTIBLES
D’ÊTRE TOUCHÉES PAR UNE DÉCISION DE LA COUR
7.79. Aux fins d’apprécier la compétence de la Cour, sont également pertinents les éléments
ci-après, qui concernent les Etats tiers indispensables et les parties susceptibles d’être touchées par
une décision de la Cour.
a) En raison de l’absence à la procédure des Etats parties au TNP et des autres Etats qui
seraient «touchés» par une décision de la Cour, celle-ci n’est pas compétente
pour connaître de la requête de la République des Iles Marshall
7.80. Il ressort clairement de la requête et du mémoire de la République des Iles Marshall
que d’autres Etats seraient touchés par une décision de la Cour en l’instance. Telle est en effet,
s’agissant des neuf Etats qui posséderaient des armes nucléaires, la conclusion qui s’impose à la
lecture de la requête. De toute évidence, l’objectif ultime de la requête est bien d’amener la Cour à
se prononcer de manière générale, en particulier sur des obligations de droit coutumier et des
obligations erga omnes.
7.81. En outre, d’autres Etats seraient en pratique touchés si la Cour faisait droit aux
demandes de la République des Iles Marshall en l’espèce. Bien que l’Inde, le Pakistan, Israël et la
République populaire démocratique de Corée ne soient pas parties au TNP, la République populaire
de Chine, les Etats-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la République française et le
Royaume-Uni sont tous parties à un traité multilatéral sur lequel la République des Iles Marshall
appuie sa requête et dans lequel, selon elle, les prétendues obligations de droit international
coutumier seraient «ancrée[s]»100, «consacrées» et «énoncées»101. Il découle du texte de la requête
que chacun de ces neuf Etats constitue un «Etat indispensable», et, par conséquent, l’absence à la
procédure des cinq qui sont parties au TNP exclut les demandes de la République des Iles Marshall
de la compétence de la Cour.
7.82. Les déclarations de la République des Iles Marshall elle-même montrent clairement
que d’autres Etats seraient aussi touchés par une décision de la Cour en l’espèce. Il est donc
manifeste que celle-ci, en vertu de la réserve du Pakistan relative aux traités multilatéraux, n’a pas
compétence pour connaître de la requête de la République des Iles Marshall.
7.83. Si la Cour en décidait autrement, et ce, en dépit du fait que le Pakistan n’est pas partie
au TNP et ne reconnaît aucune prétendue obligation de droit international coutumier «ancrée» et
«consacrée» dans l’article VI de ce traité, la reconnaissance de l’existence d’une telle obligation
aurait indéniablement un effet sur tous les Etats, parties ou non au TNP.
7.84. Les parties au TNP se sont engagées dans une action conjointe visant à un objectif
commun : prévenir la dissémination des armes nucléaires et des technologies qui y sont liées,
promouvoir la coopération dans l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et servir l’objectif du
désarmement nucléaire et d’un désarmement général et complet. Par conséquent, la Cour ne saurait
connaître de l’affaire en l’absence des Etats dotés d’armes nucléaires et des autres Etats parties au
TNP.
100 Requête de la République des Iles Marshall, par. 54.
101 Ibid., par. 2 et 36.
35
- 37 -
b) Les Etats dotés d’armes nucléaires et ceux parties au TNP seraient touchés par une
décision de la Cour sur les demandes de la République des Iles Marshall
7.85. La déclaration du Pakistan de 1960 exclut de la compétence de la Cour les «différends
qui s’élèveraient à propos d’un traité multilatéral, à moins que i) toutes les parties au traité dont il
s’agit ne soient également parties à l’affaire portée devant la Cour». En l’espèce, la principale
disposition du traité sur laquelle se fonde la République des Iles Marshall est l’article VI du TNP,
et, par conséquent, toute décision de la Cour sur ses demandes, qui sont effectivement
indissociables de cet article, toucherait à la fois les Etats dotés d’armes nucléaires et ceux parties au
TNP.
c) Faire droit aux demandes de la République des Iles Marshall interférerait directement
avec les intérêts d’autres Etats, notamment ceux dotés d’armes nucléaires et
ceux parties au TNP
7.86. Dans sa requête, la République des Iles Marshall cherche à faire appliquer l’article VI
du TNP au Pakistan, qui n’est pas partie à ce traité. Or une décision de la Cour sur les demandes
de celle-ci aurait des répercussions directes sur tous les Etats dotés d’armes nucléaires ne
participant pas à la procédure et sur les autres Etats parties au TNP, ainsi que sur ceux qui
posséderaient des armes nucléaires. Un tel effet serait manifestement injuste pour les Etats qui ne
participent pas à la procédure devant la Cour.
d) Les demandes de la République des Iles Marshall ne sauraient être satisfaites en
n’obligeant qu’un seul Etat à négocier
7.87. D’une manière générale, un Etat ne peut invoquer la compétence de la Cour contre un
autre afin de régler un différend qui l’oppose à un Etat tiers n’ayant pas reconnu la compétence de
celle-ci. Si les intérêts juridiques d’un Etat tiers sont en jeu dans une procédure à laquelle celui-ci
n’est pas partie, la Cour ne peut ni se prononcer sur ceux-ci ni se prononcer sur le différend
opposant les deux parties à l’instance. En conséquence, à moins que l’Etat tiers concerné ne
consente au règlement du différend par la Cour, celle-ci ne peut statuer sur les droits et obligations
de cet Etat ou sur ceux de l’Etat défendeur.
7.88. La Cour permanente de Justice internationale et la Cour actuelle considèrent toutes
deux qu’il s’agit là d’un principe fondamental du règlement judiciaire en droit international. En
l’affaire du Statut de la Carélie orientale, la Cour permanente a déclaré : «Il est bien établi en droit
international qu’aucun Etat ne saurait être obligé de soumettre ses différends avec les autres Etats
soit à la médiation, soit à l’arbitrage, soit enfin à n’importe quel procédé de solution pacifique, sans
son consentement.»102 (Les italiques sont de nous.)
7.89. En l’espèce, même si le Pakistan consentait à l’exercice de la compétence de la Cour,
celle-ci ne pourrait statuer sur la demande formulée à son encontre, à moins que les autres Etats
qui, selon la République des Iles Marshall, auraient conjointement commis une violation ne soient
également parties à la procédure, et ce, car la demande concerne directement toutes les parties au
TNP et les Etats potentiellement dotés d’armes nucléaires qui ne sont pas parties à ce traité mais
qui seraient touchés par une décision de la Cour. Le Pakistan estime que la Cour ne peut être
appelée à se prononcer sur les droits et obligations d’Etats parties au TNP et d’autres Etats
102 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no
5, p. 27. Voir également Concessions
Mavrommatis en Palestine, arrêt no
2, 1924, C.P.J.I. série A no
2, p. 16 ; Droits de minorités en Haute-Silésie (écoles
minoritaires), arrêt no
12, 1928, C.P.J.I. série A no
15, p. 22 et Usine de Chorzów, fond, arrêt no
13, 1928,
C.P.J.I. série A no
17, p. 37-38.
36
- 38 -
concernés sans leur consentement et leur participation, car cela irait à l’encontre du principe de
l’Or monétaire.
7.90. L’application du principe du consentement a été expressément reconnue par la Cour
centraméricaine de Justice dans l’affaire du Costa Rica103 :
«Juger du bien-fondé ou non des actes d’une partie contractante non soumise à
la compétence de la Cour, tirer des conclusions relatives à son comportement et rendre
une décision qui s’appliquerait intégralement à elle, alors qu’elle n’est pas partie à
l’affaire et n’a pas eu l’occasion d’être entendue, ne relève pas de la mission de la
Cour, qui, consciente de sa haute mission, tient à se limiter à l’étendue de ses pouvoirs
particuliers.» [Traduction du Greffe.]
7.91. En l’espèce, bien que présentées comme des obligations découlant du droit
international coutumier, les demandes formulées par la République des Iles Marshall contre le
Pakistan sont, selon elle, «ancrée[s]» et «consacrées» dans le TNP. Ainsi, dans sa requête, la
République des Iles Marshall cherche en fait à régler un différend relatif au TNP, un traité
multilatéral, alors qu’une seule des parties à ce traité comparaît devant la Cour, mais dans une
procédure distincte.
SECTION 8
LES DEMANDES PRÉSENTÉES PAR LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL À L’ENCONTRE DU
PAKISTAN NE SONT PAS EXCLUSIVEMENT FONDÉES SUR LE DROIT INTERNATIONAL
COUTUMIER
7.92. La République des Iles Marshall est incapable de préciser sans se référer au TNP104 les
obligations dont elle cherche à obtenir l’exécution par le Pakistan, les demandes qu’elle a
présentées contre celui-ci au titre du «droit international coutumier» n’étant que de simples
paraphrases des dispositions de l’instrument précité. En voici quelques exemples :
1) au paragraphe 1 de sa requête, la République des Iles Marshall indique que, dans l’avis
consultatif de 1996 — qu’elle invoque à l’appui de ses demandes à l’encontre du Pakistan —, la
Cour s’est «fond[ée] en grande partie sur son analyse de l’article VI du [TNP]» ;
2) au paragraphe 2 de sa requête, elle reconnaît que celle-ci «concerne ... le manquement aux
obligations de droit international coutumier relatives à la cessation de la course aux armements
nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire consacrées par l’article VI du
TNP» ;
3) au paragraphe 6 de sa requête, la République des Iles Marshall précise que le Pakistan est un
«Etat doté d’armes nucléaires non partie au TNP», avant de commencer à exposer ses
demandes :
«le Pakistan : i) manque de manière continue aux obligations qui lui incombent en
vertu du droit international coutumier, en particulier à celle de mener de bonne foi
des négociations devant ... déboucher sur un désarmement nucléaire dans tous ses
aspects effectué sous un contrôle international strict et efficace».
103 Costa Rica c. Nicaragua (1916), p. 228, texte publié dans «The American Journal of International Law»,
vol. 11, p. 181 (1917).
104 Comme indiqué précédemment, la requête comporte plus d’une vingtaine de renvois au TNP.
37
- 39 -
Ainsi que cela ressort de la formulation de la décision sollicitée par la République des
Iles Marshall, les prétendues obligations de droit international coutumier invoquées par cet Etat
ne sont en fait qu’une répétition des obligations découlant de l’article VI du TNP105 ;
4) au paragraphe 9 de sa requête, elle ajoute que,
«[c]’est dans le contexte de la recherche d’un accord sur de tels engagements
visant à lutter contre le changement climatique qu[’elle] est parvenue à la
conclusion qu’elle ne pouvait plus se contenter d’être partie au TNP, alors que le
désarmement nucléaire total, en application de l’article VI [du TNP] et du droit
international coutumier, reste au mieux une perspective lointaine» ;
5) au paragraphe 10 de sa requête, la République des Iles Marshall affirme que «[l]’une des
raisons pour lesquelles [elle] est devenue partie au TNP tient au fait que ce traité constitue le
principal instrument mis au point par la communauté internationale dans le but de débarrasser le
monde des armes nucléaires», reconnaissant ainsi une nouvelle fois que les prétendues
obligations de droit international coutumier dont elle cherche à présent à obtenir l’exécution par
le Pakistan sont «ancrée[s]» dans le TNP et «consacrées» par celui-ci ;
6) au paragraphe 12 de sa requête, elle précise que, «[p]lus de quarante ans après l’entrée en
vigueur du TNP, le Pakistan n’est toujours pas devenu partie au traité en qualité d’Etat non doté
d’armes nucléaires», affirmation dont il semble difficile de discerner la pertinence dans le
contexte d’obligations censées découler du TNP ; et
7) au paragraphe 58 de son mémoire, la République des Iles Marshall reconnaît que «l’obligation
d’engager de bonne foi des négociations conduisant au désarmement nucléaire est également
énoncée à l’article VI du TNP». En dépit de cette admission, elle soutient ensuite que «le
différend entre les Iles Marshall et le Pakistan ne «s’élèv[e pas] à propos» de cet instrument,
puisque le Pakistan n’y est pas partie».
SECTION 9
LES DEMANDES PRÉSENTÉES PAR LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL SUR LA BASE DU
DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER NE FONT QUE REPRENDRE CELLES
FONDÉES SUR LE TRAITÉ
7.93. Dans sa requête et son mémoire, la République des Iles Marshall reconnaît que ses
demandes concernant le manquement au droit international coutumier sont soit fondées sur le TNP,
soit «ancrée[s]» dans d’autres textes et «consacrées» par ceux-ci106 :
a) L’article VI du TNP
7.94. Un examen attentif fait apparaître que les demandes que la République des
Iles Marshall a présentées contre le Pakistan en invoquant le droit international coutumier
constituent de simples paraphrases de celles expressément fondées sur l’article VI du TNP107, qui
dispose que
«[c]hacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations
sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements
105 Voir requête, p. 24.
106 Ibid., par. 2, 36 et 54.
107 Comme indiqué précédemment, la requête comporte au moins quinze renvois à l’article VI du TNP.
38
- 40 -
nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de
désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace».
b) Des résolutions non contraignantes de l’Assemblée générale des Nations Unies
7.95. La République des Iles Marshall a cherché à étayer sa position selon laquelle les
obligations pertinentes de droit international coutumier seraient indépendantes du TNP en citant
certaines résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies — or celles-ci renvoient en fait
simplement au texte du traité.
7.96. En tout état de cause, les résolutions de l’Assemblée générale ne sont pas
contraignantes et ne sauraient être invoquées par la République des Iles Marshall en tant
qu’obligations opposables à un autre Etat. Ce point a été confirmé par M. Schwebel, lorsque celuici
était vice-président de la Cour, dans l’opinion dissidente dont il a joint l’exposé à l’avis
consultatif de 1996 et dans laquelle il précisait ce qui suit :
«La Cour conclut, dans son avis, que les résolutions successives de l’Assemblée
générale sur les armes nucléaires «n’établissent pas encore l’existence d’une
opinio juris quant à l’illicéité de l’emploi de ces armes» ... L’Assemblée générale n’est
pas habilitée à élaborer le droit international. Aucune des résolutions de l’Assemblée
générale sur les armes nucléaires n’est déclaratoire du droit international
existant.»108 (Les italiques sont de nous.)
7.97. Si des résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies ont été invoquées dans la
requête à l’appui de la théorie selon laquelle il existerait des obligations de droit international
coutumier «ancrée[s]» dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci, elles n’étayent en
réalité pas cette idée, mais soulignent que le traité est la source de droit qui régit ces questions.
c) L’avis consultatif non contraignant rendu par la Cour en 1996
7.98. La Cour a affirmé que ses avis consultatifs n’étaient pas juridiquement contraignants.
Dans celui qu’elle a rendu en l’affaire des Traités de paix, elle a ainsi relevé que sa
«réponse ... n’a[vait] qu’un caractère consultatif : comme telle, elle ne saurait avoir d’effet
obligatoire»109. La Cour a confirmé ce point dans l’affaire intéressant l’Unesco110, dans laquelle
elle a indiqué que le caractère obligatoire que pourrait revêtir son avis consultatif dépassait la
portée qu’elle attachait à un tel avis.
108 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 318-319
(opinion dissidente de M. Schwebel, vice-président).
109 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
110 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’Unesco, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1956, p. 84.
- 41 -
SECTION 10
LA COUR NE PEUT STATUER SUR LA VALIDITÉ DES DEMANDES QUE LES ILES MARSHALL
FONDENT SUR LE DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER SANS INTERPRÉTER ET
APPLIQUER LE TNP, AUQUEL LE PAKISTAN N’EST PAS PARTIE
7.99. A cet égard, il convient de tenir compte de ce qui suit :
a) Le principe res inter alios acta
7.100. L’article 34 de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose qu’«[u]n traité
ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement»111. Dans l’affaire relative
à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, la Cour permanente de Justice
internationale a fait observer qu’«[u]n traité ne fait droit qu’entre les Etats qui y sont Parties ; dans
le doute, des droits n’en découlent pas en faveur d’autres Etats»112. Aux termes de l’article 2 de la
convention susmentionnée, un Etat tiers est «un Etat qui n’est pas partie au traité»113. Par
conséquent, en l’espèce, le Pakistan ne peut être soumis sans son consentement aux obligations
énoncées, ou «consacrées» et «ancrée[s]»114, dans l’article VI du TNP.
b) On ne peut identifier la formation d’une règle coutumière sans identifier également la
pratique et l’opinio juris des Etats dotés d’armes nucléaires et
des autres Etats parties
7.101. Dans sa requête, la République des Iles Marshall affirme que l’obligation énoncée à
l’article VI du TNP est «une obligation erga omnes» «dont le respect est dû à la communauté
internationale dans son ensemble»115.
7.102. Le droit coutumier n’est pas une source de droit écrite. Pour qu’une règle soit réputée
coutumière (comme celle qui exige des Etats qu’ils respectent l’immunité d’un chef d’Etat en
visite, par exemple), deux conditions doivent être réunies. Premièrement, il doit y avoir une
pratique des Etats constante et généralisée. Deuxièmement, il doit y avoir ce que l’on appelle
l’«opinio juris», habituellement définie comme «la conviction» de l’existence d’«une obligation
juridique»116.
7.103. Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour a relevé :
«Non seulement les actes considérés doivent représenter une pratique constante,
mais en outre ils doivent témoigner, par leur nature ou la manière dont ils sont
accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’existence
111 Voir https://treaties.un.org/pages/CTCTreaties.aspx?id=23&subid=A&lang=en. Voir également Mark
E. Villiger, Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties (Martinus Nijhoff Publishers, 2009),
p. 467-473, (qui note que «[l]a CDI elle-même y a vu une règle de droit international coutumier»).
112 Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise (Fond), C.P.J.I., série A n° 7 (1926), p. 29.
113 Voir https://treaties.un.org/pages/CTCTreaties.aspx?id=23&subid=A&lang=en.
114 Requête, par. 2, 36 et 54.
115 Ibid., par. 35.
116 Affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République
fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 44, [par. 77].
39
- 42 -
d'une règle de droit … Les Etats intéressés doivent donc avoir le sentiment de se
conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique.»117
Cette observation venait compléter la suivante :
«Bien que le fait qu’il ne se soit écoulé qu’un bref laps de temps ne constitue
pas nécessairement en soi un empêchement à la formation d’une règle nouvelle de
droit international coutumier à partir d’une règle purement conventionnelle à l’origine,
il demeure indispensable que dans ce laps de temps, aussi bref qu’il ait été, la pratique
des Etats, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, ait été fréquente et
pratiquement uniforme dans le sens de la disposition invoquée et se soit manifestée de
manière à établir une reconnaissance générale du fait qu'une règle de droit ou une
obligation juridique est en jeu.»118
7.104. Dans sa requête, la République des Iles Marshall affirme que «[l]es obligations
énoncées à l’article VI du TNP ne sont pas de simples obligations conventionnelles [mais] existent
aussi de manière autonome en droit international coutumier»119. Elle soutient en outre que
«l’obligation de cesser la course aux armements nucléaires à une date rapprochée
énoncée à l’article VI … existe de façon autonome en tant que prescription du droit
international coutumier fondée sur la participation particulièrement large et
représentative des Etats au TNP et est inhérente à l’obligation relative au désarmement
nucléaire prévue par le droit international coutumier»120.
7.105. La République des Iles Marshall prétend que le Pakistan a manqué à une règle de
droit international coutumier121, sans même apporter un commencement de preuve de l’existence
d’une telle règle. Les allégations qu’elle fonde sur le droit international «général et coutumier» ne
sont qu’une reformulation de ses allégations concernant la violation présumée, par le Pakistan, des
dispositions de l’article VI du TNP.
7.106. La Cour ne pourra pas examiner les demandes que les Iles Marshall fondent sur le
«droit international coutumier» sans analyser, interpréter et appliquer les traités multilatéraux, et en
particulier le TNP, qui constituent le fondement même de ces demandes. Le Pakistan ayant
formulé une réserve à l’égard des traités multilatéraux, il s’ensuit, en l’espèce, qu’il n’a pas
consenti au règlement de différends requérant une interprétation de tels traités et que, partant, les
demandes des Iles Marshall prétendument fondées sur «le droit international général et coutumier»
sont exclues du champ d’application de l’acceptation, par le Pakistan, de la juridiction obligatoire
de la Cour.
7.107. Dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour a admis qu’une
disposition normative d’un traité multilatéral pouvait refléter le droit international coutumier, pour
autant que cette disposition ait
117 Ibid., p. 44, [par. 77].
118 Ibid., p. 43, [par. 74].
119 Requête, par. 36.
120 Ibid., par. 42.
121 Ibid., par. 14.
40
- 43 -
«servi de base ou de point de départ à une règle qui, purement conventionnelle ou
contractuelle à l’origine, se serait depuis lors intégrée à l’ensemble du droit
international général et serait maintenant acceptée à ce titre par l’opinio juris, de telle
sorte que désormais elle s’imposerait même aux pays qui ne sont pas et n’ont jamais
été parties [au traité en question]… c’est même l'une des méthodes reconnues par
lesquelles des règles nouvelles de droit international coutumier peuvent se former»122.
La Cour a ainsi considéré, par exemple, que la Charte des Nations Unies était un traité multilatéral
de nature à générer des règles de droit international coutumier123. Cependant, dans une opinion
dissidente jointe à l’avis consultatif de 1996, M. le vice-président Schwebel a souligné qu’il
n’existait pas d’opinio juris ou de norme de jus cogens émergente concernant la menace ou
l’emploi des armes nucléaires :
«Ainsi que la Cour le rappelle dans son avis, outre le traité sur la
non-prolifération des armes nucléaires, un certain nombre de traités limitent
l’acquisition, la fabrication et la possession d’armes nucléaires, interdisent leur
déploiement ou leur emploi dans certaines zones ou réglementent leurs essais. La
négociation et la conclusion de ces traités n’a de sens que parce que la communauté
internationale n’a pas généralement interdit la possession, la menace ou l’emploi
d’armes nucléaires en toutes circonstances, soit par traité, soit en vertu du droit
international coutumier. A quoi bon conclure de tels traités si l’essentiel de leurs
dispositions fait déjà partie du droit international, voire, comme certains le
soutiennent, du jus cogens ?»124
7.108. M. le juge Shahabuddeen a fait observer quant à lui, dans une opinion dissidente
jointe au même avis consultatif :
«Le début de l’ère nucléaire constitue un point de référence juridique en
l’espèce. D’aucuns faisaient valoir qu’à cette époque-là l’emploi d’armes nucléaires
n’était pas interdit en droit international, mais qu’une règle d’interdiction est apparue
par la suite, la nécessaire opinio juris se développant sous l’influence conjuguée de
l’interdiction générale du recours à l’emploi de la force formulée au paragraphe 4 de
l’article 2 de la Charte et de la sensibilisation et de la prise de conscience croissantes à
l’égard de la puissance des armes nucléaires. Compte tenu de la position soutenue par
les tenants de la licéité de l’emploi des armes nucléaires (les «tenants de la licéité») au
cours des cinquante dernières années, il sera difficile d’établir que la nécessaire
opinio juris s’est cristallisée par la suite, au cas où elle n’aurait pas existé
antérieurement. Cet argument n’a pas été repris par la plupart des tenants de l’illicéité
de l’emploi des armes nucléaires (les «tenants de l’illicéité»).»125
7.109. De plus, aux termes du paragraphe 1 de l’article 38 de son Statut, la Cour, lorsqu’elle
applique le droit international, doit tenir compte avant tout des «conventions internationales, soit
générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige».
122 Affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République
fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. [41], [par. 71].
123 Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1949,
p. 180-185.
124 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 317 (opinion
dissidente de M. le vice-président Schwebel).
125 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 379 (opinion
dissidente de M. le juge Shahabuddeen).
41
- 44 -
Sir Hersch Lauterpacht a expliqué en ces termes pourquoi le Statut demande à la Cour d’appliquer
le droit conventionnel avant toute autre source :
«L’ordre dans lequel les sources du droit international sont énumérées dans le
Statut de la Cour internationale de Justice est fondamentalement conforme aux
principes juridiques pertinents, ainsi qu’à la nature du droit international, qui est un
ensemble de règles fondées sur le consentement plus que ce n’est le cas en droit
interne. Les droits et devoirs des Etats sont déterminés, en premier lieu, par leur
consentement, qu’ils expriment dans des traités de même que les droits des
individus sont expressément déterminés par tout contrat obligatoire entre eux.
Lorsqu’une controverse surgit entre deux ou plusieurs Etats à propos d’une question
prévue dans un traité, il est naturel que les parties invoquent en premier lieu les
dispositions du traité en question, et que ce soient ces dispositions qui soient
appliquées par l’organe judiciaire. A l’instar d’un contrat entre particuliers, un traité
entre Etats constitue le droit entre ces Etats.»126 (Les italiques sont de nous.)
[Traduction du Greffe.]
En outre, sir Hersch a souligné que c’est seulement en l’absence de disposition conventionnelle
applicable au cas particulier qu’il convient de recourir au droit international coutumier, mentionné
en deuxième dans l’ordre hiérarchique. Pareilles conclusions vont quasiment de soi et la Cour en a
dûment tenu compte127.
7.110. En résumé, de même qu’il n’est pas possible de statuer sur les demandes que les
Iles Marshall prétendent fonder sur le droit international coutumier sans recourir au TNP comme
source principale de ce droit en l’espèce, il n’est pas non plus possible de statuer sur ces demandes
sans se référer au «droit international particulier» établi par les conventions multilatérales en
vigueur entre les Etats parties. Puisque la réserve relative aux traités multilatéraux interdit à la
Cour de connaître des demandes fondées sur de tels traités, l’ensemble des demandes de la
République des Iles Marshall tombe sous le coup de cette interdiction.
126 H. Lauterpacht, «Sources of International Law», in E. Lauterpacht (éd.), International Law, Being the
collected papers of Hersch Lauterpacht, vol. 1, par. 51, p. 86-87 (1970).
127 Voir W. W. Bishop, International Law, Cases and Materials (Little Brown, 2e
éd., 1962) p. 31.
- 45 -
PARTIE 8
LA REQUÊTE DES ILES MARSHALL EST IRRECEVABLE
Introduction
8.1. Le Pakistan affirme que la requête des Iles Marshall est irrecevable, et ce, pour les
raisons suivantes128 :
1) la requête soulève des questions relatives à la sécurité nationale du Pakistan qui, par essence,
relèvent de la juridiction interne exclusive de celui-ci et qu’aucune instance, pas même la Cour,
n’a compétence pour examiner ;
2) la République des Iles Marshall n’a pas qualité pour saisir la Cour des demandes qui figurent
dans sa requête ;
3) la requête des Iles Marshall constitue une tentative irrégulière de rouvrir la procédure
consultative de 1996 et d’obtenir une décision qui, de fait, équivaudrait à un avis consultatif ;
4) la République des Iles Marshall n’est pas parvenue à attraire les parties indispensables devant la
Cour ;
5) la voie judiciaire est, par nature, impropre au règlement de questions de désarmement nucléaire
mettant en cause plusieurs Etats ;
6) la Cour ne peut faire droit aux demandes des Iles Marshall car elle a jugé que la bonne foi
n’était pas, en tant que telle, source d’obligations.
CHAPITRE 1
IL N’EXISTAIT AUCUN DIFFÉREND ENTRE LES ILES MARSHALL ET LE PAKISTAN
AU MOMENT OÙ LA REQUÊTE A ÉTÉ SOUMISE À LA COUR
8.2. Aux termes de l’article 38 du Statut de la Cour, la mission de celle-ci est de régler les
différends entre Etats129.
SECTION 1
LA JURISPRUDENCE DE LA COUR RELATIVE À LA NOTION DE «DIFFÉREND»
8.3. Dans l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, la Cour a énoncé une
définition générale de la notion de «différend» : «Un différend est un désaccord sur un point de
128 En affirmant que la requête est irrecevable, le Pakistan n’entend pas se limiter à une définition particulière de
la notion d’irrecevabilité, ni imposer pareille définition à la Cour ; il est conscient que les points qu’il soulève touchent à
la fois à la compétence et à la recevabilité. A cet égard, le Pakistan observe que la Cour elle-même n’a pas voulu établir
de distinctions précises dans ce domaine, ce qui aurait été préjudiciable à son examen au fond des questions qui lui
étaient soumises (Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 121 ;
Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 28 ; Essais
nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 253, opinion dissidente commune des juges Onyeama,
Dillard, Jiménez de Aréchaga et Waldock, p. 363).
129 Aux termes de l’article 34 du Statut, «[s]euls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour».
42
- 46 -
droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux
personnes»130.
8.4. Pour pouvoir exercer sa fonction judiciaire, la Cour doit donc établir qu’un différend
existait entre les Etats parties à une affaire portée devant elle au moment où la requête lui a été
soumise131. Sa jurisprudence bien établie en ce qui concerne le sens du mot «différend» et
l’existence d’un tel différend peut être résumée comme suit :
1) Il ne suffit pas que l’une des parties affirme qu’il existe un différend ; la question de savoir si un
différend existe dans une affaire donnée «demande à être établie objectivement» par la Cour132 ;
2) «Il faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de
l’autre»133 ;
3) «La Cour, pour se prononcer, doit s’attacher aux faits. Il s’agit d’une question de fond et non
de forme»134 ;
4) «l’existence d’un différend peut être déduite de l’absence de réaction d’un Etat à une
accusation, dans des circonstances où une telle réaction s’imposait»135 ;
5) «Bien que l’existence d’un différend et l’ouverture de négociations soient par principe deux
choses distinctes, les négociations peuvent aider à démontrer l’existence du différend et à en
circonscrire l’objet»136 ;
6) «S’il n’est pas nécessaire qu’un Etat mentionne expressément, dans ses échanges avec l’autre
Etat, un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer ledit traité devant la Cour»137, «il
doit néanmoins s’être référé assez clairement à l’objet du traité pour que l’Etat contre lequel il
formule un grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet égard»138.
8.5. Au vu de ce qui précède, le Pakistan fait valoir qu’aucun différend ne l’oppose à la
République des Iles Marshall car :
1) il n’existait aucun différend entre les deux Etats au moment où la requête a été soumise à la
Cour ;
130 Concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Grande-Bretagne), arrêt, C.P.J.I. série A no
2, p. 11.
131 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
132 Ibid.
133 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
134 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84.
135 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315.
136 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 83.
137 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429.
138 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30.
43
- 47 -
2) le différend allégué n’est pas un différend d’ordre juridique ;
3) la République des Iles Marshall n’a pas exposé ses griefs de manière suffisamment claire pour
que le Pakistan puisse bien correctement appréhender qu’elle allègue ;
4) en réalité, aucune réclamation de l’une des Parties à la présente espèce ne se heurte à
l’opposition manifeste de l’autre ;
5) les griefs formulés par les Iles Marshall sont artificiels et, par nature, hypothétiques ; et
6) la République des Iles Marshall et le Pakistan ne sont pas les parties appropriées au regard des
demandes formulées par les Iles Marshall.
SECTION 2
IL N’EXISTAIT AUCUN DIFFÉREND ENTRE LES PARTIES AU MOMENT OÙ LA REQUÊTE
A ÉTÉ SOUMISE À LA COUR
8.6. La République des Iles Marshall reconnaît dans son mémoire que, «ainsi que l’a déclaré
la Cour, «[e]n principe, le différend doit exister au moment où la requête [lui] est soumise»»139.
Elle ne saurait se contenter d’affirmer qu’un différend l’oppose au Pakistan. Or, sa requête et son
mémoire ne contiennent aucun élément de preuve attestant l’existence d’un quelconque différend
(d’ordre juridique ou non) entre les Iles Marshall et le Pakistan au moment où la requête a été
présentée à la Cour. En conséquence, la requête de la République des Iles Marshall doit être
déclarée irrecevable.
SECTION 3
LE DIFFÉREND ALLÉGUÉ N’EST PAS D’ORDRE JURIDIQUE
8.7. Le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour, qui constitue l’unique base de
compétence invoquée dans la requête, limite la juridiction obligatoire de la Cour aux «différends
d’ordre juridique». De la même manière, la déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire
de la Cour que le Pakistan a faite en 1960 est expressément limitée aux «différends d’ordre
juridique»140.
8.8. A cet égard, le Pakistan renvoie la Cour au rapport des directeurs exécutifs sur la
convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants
d’autres Etats, qui apporte quelques précisions sur le sens de cette expression :
«L’expression «différend d’ordre juridique» a été employée pour signifier que,
si les conflits de droits relèvent de la compétence du Centre, tel n’est pas le cas des
simples conflits d’intérêts. Le différend en cause doit avoir trait à l’existence ou à la
139 Mémoire, par. 53 (citant l’affaire relative à l’Application de la convention internationale sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442, par. 46.
140 Voir le paragraphe 42 du mémoire (où il est fait mention d’un «différend … d’ordre juridique, ainsi que
l’exigent le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et les conditions dont le Pakistan a assorti sa déclaration d’acceptation
de la juridiction obligatoire de la Cour»).
44
- 48 -
portée d’un droit ou d’une obligation juridique, ou encore à la nature ou à l’étendue de
la réparation due à raison du manquement à une obligation juridique.»141
8.9. Ni la requête ni le mémoire de la République des Iles Marshall ne contiennent
d’éléments de preuve attestant l’existence d’un différend d’ordre juridique entre cet Etat et le
Pakistan au moment du dépôt de la requête.
SECTION 4
LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL N’A PAS EXPOSÉ SES DEMANDES ASSEZ CLAIREMENT
POUR QUE LE PAKISTAN PUISSE COMPRENDRE L’OBJET DU DIFFÉREND ALLÉGUÉ
8.10. En choisissant de ne pas se conformer aux dispositions de l’article 49 du Règlement de
la Cour142, la République des Iles Marshall a manqué de présenter ses demandes avec suffisamment
de clarté pour que le Pakistan puisse comprendre l’objet du différend allégué.
8.11. Dans son mémoire, elle se contente d’affirmer qu’
«il est … évident qu’il existe un différend d’ordre juridique entre les Parties quant à la
teneur et aux conséquences de l’obligation énoncée dans la requête, quant à la
question de savoir s’il s’agit d’une obligation de nature coutumière et qui, dès lors,
s’applique au Pakistan, et quant à celle de savoir en outre s’il s’agit d’une obligation
dont le respect est dû par le Pakistan à la communauté internationale dans son
ensemble (erga omnes)»143.
En outre, elle n’hésite pas à soutenir, qu’
«[i]l ressort des déclarations et de l’attitude des Parties qu’il existe entre elles un
différend d’ordre juridique sur la question de savoir si le Pakistan respecte son
obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant
au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et
efficace»144.
Le Pakistan voit dans cette allégation une référence à l’article VI du TNP, instrument auquel
il n’est pas partie, et au dernier paragraphe de l’avis consultatif rendu par la Cour en 1996, lequel
n’a pas force obligatoire. Il ne saurait donc exister entre les Parties aucun différend découlant de
ces instruments non contraignants.
8.12. Les «déclarations et … l’attitude» auxquelles se réfère la République des Iles Marshall
semblent renvoyer aux éléments suivants :
141 Rapport des directeurs exécutifs sur la convention sur le règlement des différends relatifs aux investissements
entre Etats et ressortissants d’autres Etats, 18 mars 1965 (adoptée le 10 septembre 1964 par la résolution no
214 du
Conseil des gouverneurs de la banque internationale pour la reconstruction et le développement), CIRDI, vol. 1 (1993),
rapport 23, p. 28 (annexe 14).
142 Voir mémoire, par. 14 (indiquant que la République des Iles Marshall «s’abstiendra … de présenter un
mémoire répondant au critère énoncé au paragraphe 1 de l’article 49 du Règlement de la Cour».)
143 Mémoire, par. 50.
144 Ibid., par. 44.
45
- 49 -
1) une brève allocution faite par le ministre des affaires étrangères des Iles Marshall lors de la
réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le désarmement
nucléaire tenue le 26 septembre 2013 ;
2) une autre courte déclaration de la République des Iles Marshall faite le 13 février 2014, à
l’occasion de la deuxième conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires145.
8.13. Ni l’une ni l’autre de ces déclarations a) ne visait spécifiquement le Pakistan, b) ne
mentionnait cet Etat, c) ne précisait l’objet d’un quelconque différend juridique opposant la
République des Iles Marshall à celui-ci. Les allégations du demandeur sont extrêmement générales
et portent sur des dommages hypothétiques. Le Pakistan fait valoir que, pour définir les questions
en litige entre les Parties, il ne suffit pas, comme le fait la République des Iles Marshall, d’invoquer
des déclarations vagues, générales et qui ne sont que des vœux pieux.
8.14. Si elle avait été en mesure de se référer à des déclarations ou attitudes établissant
l’existence d’un différend d’ordre juridique entre les deux Etats, la République des Iles Marshall
n’aurait certainement pas manqué de le faire. Or sa demande semble reposer exclusivement sur le
prétendu manquement du Pakistan à son obligation d’engager immédiatement et de mener à terme
des négociations en vue du désarmement nucléaire, obligation qui, soutient-elle, est «ancrée» dans
l’article VI du TNP et consacrée par celui-ci , traité auquel le Pakistan n’est pas partie146.
8.15. Par ailleurs, les «déclarations et attitudes» que la République des Iles Marshall cherche
à invoquer pour établir l’existence d’un différend doivent être envisagées dans le contexte d’autres
mesures prises par celle-ci devant la communauté internationale, et notamment les positions
contradictoires qu’elle a adoptées à l’occasion de différentes sessions de l’Assemblée générale de
l’ONU, ainsi qu’il a été indiqué plus haut.
8.16. De fait, les volte-face qu’elle a opérées lors des sessions en question révèlent que son
but véritable n’est pas de parvenir au désarmement nucléaire.
8.17. Dans ces circonstances, tout examen objectif de la question de l’existence d’un
différend entre les Iles Marshall et le Pakistan conduira nécessairement la Cour à conclure qu’il
n’en existe aucun (d’ordre juridique ou autre).
SECTION 5
LES PARTIES N’ONT PAS FORMULÉ DE RÉCLAMATIONS ENTRE LESQUELLES
EXISTERAIT UNE OPPOSITION MANIFESTE
8.18. Ainsi que la Cour l’a énoncé dans les affaires du Sud-ouest africain, il convient de
«démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre»147.
145 Ibid., par. 45.
146 Requête, par. 2, 36 et 54.
147 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
- 50 -
8.19. Aucun différend ne divise les Parties car celles-ci n’ont pas, en réalité, formulé de
réclamations entre lesquelles existerait une opposition manifeste. C’est ce que montrent clairement
l’absence de communications ou de consultations antérieures entre elles et le fait que la requête et
le mémoire de la République des Iles Marshall ne sont étayés par aucun élément de preuve
pertinent.
8.20. En l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, le juge Oda a indiqué :
«On pourrait discuter de la question de savoir si un différend d’ordre
«juridique» ne peut être soumis unilatéralement à la Cour qu’après que des
négociations diplomatiques entre les parties au litige aient échoué ou aient au moins
été engagées, mais je m’abstiendrai d’ouvrir ce débat. Toutefois, je ferai observer que
même lors de cette phase portant sur la compétence, il aurait été possible de se
demander…»148
N’ayant pas même engagé de négociations diplomatiques avec le Pakistan, la République des
Iles Marshall ne les a a fortiori pas poursuivies de bonne foi ni menées à terme.
8.21. Il n’existe aucune trace d’échanges diplomatiques entre les deux Etats concernant les
questions dont la République des Iles Marshall a saisi la Cour par sa requête. Ainsi que l’a relevé
un commentateur, «l’existence d’un différend suppose un certain degré de communication entre les
parties. La question doit avoir été abordée avec l’autre partie, laquelle doit s’être opposée, fût-ce
indirectement, à la position du demandeur.»149 En l’espèce, il n’a été échangé entre les Parties
aucune communication, de quelque nature qu’elle soit, sur les questions en cause.
8.22. En l’affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, la Cour a relevé qu’«[u]ne
négociation ne suppose pas toujours et nécessairement une série plus ou moins longue de notes et
de dépêches ; ce peut être assez qu’une conversation ait été entamée ; cette conversation a pu être
très courte…»150. Elle a toutefois également reconnu qu’«avant qu’un différend fasse l’objet d’un
recours en justice, il importe que son objet ait été nettement défini au moyen de pourparlers
diplomatiques»151. Le Pakistan admet qu’il s’agit en effet d’une question de fond et non de forme.
Toutefois, dans tous les cas où elle a conclu à l’existence d’un différend, la Cour a pu se référer à
une certaine forme de négociation ou de communication intervenue entre les parties sur les
questions en litige. La République des Iles Marshall serait bien en peine d’invoquer pareil élément
en l’espèce.
8.23. Allant dans le même sens, le tribunal du Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements (CIRDI) a, en l’affaire Maffezini c. Espagne, relevé ce qui
suit :
«Un différend est généralement précédé d’une succession naturelle
d’événements commençant par l’expression d’un désaccord et l’affirmation d’une
divergence de vues. Avec le temps, ces événements acquièrent une portée juridique
148 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 484, opinion individuelle de M. le juge Oda, par. 20.
149 Christoph Schreuer, «What is a Legal Dispute?» in I. Buffard et al. (sous la dir. de), International Law
between Universalism and Fragmentation, Festschrift in Honour of Gerhard Hafner (Leiden/Boston: Martinus Nijhoff
Publishers, 2008), p. 961 (annexe 15).
150 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no
2, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 13.
151 Ibid., p. 15.
46
- 51 -
précise à mesure que les prétentions sont formulées par les parties, puis débattues
entre elles, et enfin respectivement rejetées ou ignorées … Il a également été
souligné, à juste titre, que l’existence du différend supposait un degré minimal de
communication entre les parties, dont la première doit avoir soumis la question à la
seconde, qui doit s’être opposée directement ou indirectement à la position du
demandeur.» [Traduction du Greffe]152 (Les italiques sont de nous.)
8.24. Dans l’affaire ayant récemment opposé la Géorgie et la Fédération de Russie, la Cour a
été appelée à rechercher s’il existait entre les Parties un différend, compte tenu du sens général de
ce terme153.
8.25. Rappelant sa jurisprudence constante sur cette question, elle a indiqué :
«Bien que l’existence d’un différend et la tenue de négociations soient par
principe deux choses distinctes, les négociations peuvent aider à démontrer l’existence
du différend et à en circonscrire l’objet.
S’il n’est pas nécessaire qu’un Etat mentionne expressément, dans ses échanges
avec l’autre Etat, un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer ledit traité
devant la Cour …, il doit néanmoins s’être référé assez clairement à l’objet du traité
pour que l’Etat contre lequel il formule un grief puisse savoir qu’un différend existe
ou peut exister à cet égard. Une référence expresse ôterait tout doute quant à ce qui,
selon cet Etat, constitue l’objet du différend et permettrait d’en informer l’autre
Etat.»154
8.26. Aucune «référence expresse» ne se trouve dans la requête de la République des
Iles Marshall, laquelle choisit de se fonder principalement sur un prononcé figurant dans l’arrêt sur
les exceptions préliminaires rendu par la Cour en l’affaire relative à la Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria, selon lequel «une opposition de thèses juridiques ou
d’intérêts ou le fait que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de
l’autre ne doivent pas nécessairement être énoncés expressis verbis»155. Dans ce même arrêt, la
Cour précisait ensuite que, «[p]our déterminer l’existence d’un différend, il est possible, comme en
d’autres domaines, d’établir par inférence quelle est en réalité la position ou l’attitude d’une
partie»156. Or, la déduction en question doit là encore s’effectuer à partir «de l’attitude adoptée par
la partie concernée à l’égard de la réclamation»157, ce qui suppose l’existence d’une réclamation
formulée par une partie et susceptible de se heurter à l’opposition manifeste de l’autre.
8.27. La République des Iles Marshall se fondant largement sur des prononcés de la Cour en
l’affaire Cameroun c. Nigéria, il n’est pas inutile d’en examiner les faits plus en détail.
152 Emilio Agustín Maffezini c. Espagne, décision concernant la compétence, 25 janvier 2000, Centre international
pour le règlement des différends relatifs aux investissements, ILM, vol. 40, p. 1129, par. 96 (annexe 16).
153 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I).
154 Ibid., p.83-85.
155 Mémoire, par. 43.
156 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315.
157 Mémoire, par. 43 (les italiques sont de nous).
47
- 52 -
8.28. Dans cette affaire, la Cour a été amenée à constater l’absence de toute contestation
explicite du Nigéria s’agissant des différends frontaliers l’opposant au Cameroun. Pour démontrer
l’existence d’un différend, ce dernier avait tenté d’invoquer la survenance de certains incidents
frontaliers (incidents qui, ainsi que la Cour l’a souligné, ne pouvaient être qualifiés de contestation
explicite, au motif que tous les incidents frontaliers n’impliquaient pas une remise en question de la
frontière, et que certains d’entre eux étaient survenus dans des zones où la démarcation de la
frontière était inexistante ou imprécise). Quoiqu’ayant reconnu que l’opposition manifeste à une
réclamation ne devait pas nécessairement être énoncée expressis verbis, la Cour a considéré que les
incidents et incursions dont le Cameroun faisait état n’établissaient pas par eux-mêmes l’existence
d’un différend entre les Parties. Contrairement au Cameroun dans cette affaire, la République des
Iles Marshall ne peut, en la présente espèce, invoquer aucun contact direct, acte ou incident dont le
défendeur serait à l’origine et qui pourrait établir l’existence d’un différend entre les deux Etats.
8.29. La Cour s’est ensuite intéressée à la réponse apportée par le Nigeria aux
préoccupations du Cameroun. Plutôt que de formuler expressément son opposition à la position de
ce dernier concernant les coordonnées géographiques de la ligne de délimitation, le Nigéria a fait
valoir que la frontière terrestre n’avait pas été établie par référence à des coordonnées
géographiques et que son tracé avait été accepté par les deux Etats. La Cour a relevé que le Nigéria
«s’[était] constamment montré réservé dans la manière de présenter sa propre position sur ce
point», et que, «[b]ien qu’il ait été au courant des … inquiétudes du Cameroun, il a[vait] répété
qu’il n’exist[ait] pas de différend…»158. La Cour a également mentionné le «fait que les deux Etats
aient … tenté, lors de contacts bilatéraux, de résoudre certaines des questions frontalières les
opposant», et n’a pas été «convaincue que le Nigéria [ait] subi un préjudice du fait que le
Cameroun a[vait] entamé une procédure devant [elle] au lieu de poursuivre des négociations qui,
d’ailleurs, étaient dans une impasse au moment du dépôt de la requête»159.
8.30. Les faits de l’affaire opposant le Cameroun et le Nigéria sont tout à fait différents de
ceux de la présente espèce, dans laquelle les Iles Marshall et le Pakistan n’ont mené aucune
négociation ni consultation (et encore moins des négociations dont la Cour pourrait considérer
qu’elles se trouvent dans une impasse).
8.31. De fait, chaque fois que, dans une affaire, le défendeur a contesté l’existence du
différend, le demandeur a été en mesure de désigner certaines correspondances, communications ou
négociations intervenues entre les parties pour étayer l’allégation selon laquelle un différend
existait bel et bien. La République des Iles Marshall est totalement incapable de le faire en
l’espèce.
8.32. Le Pakistan fait valoir qu’on ne saurait affirmer qu’un différend est né (et encore moins
qu’il s’est cristallisé) entre lui et le demandeur, étant donné l’absence totale de correspondance,
communication ou négociation entre les Parties. Et ce même demandeur est, de fait et sans
surprise , incapable de fournir la preuve d’une quelconque forme de communication entre les
Parties concernant le différend allégué.
8.33. Permettre à un Etat de saisir la Cour en invoquant un différend qu’il a créé de toute
pièce ou dont il se contente d’affirmer l’existence ouvrirait la porte à des abus qui signeraient la fin
du système de la clause facultative.
158 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (Cameroun c. Nigeria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315-316.
159 Ibid., p. 303-304.
48
- 53 -
SECTION 6
LES DEMANDES FORMULÉES PAR LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL SONT
ARTIFICIELLES ET DE NATURE CONJECTURALE
8.34. Le Pakistan soutient que les Iles Marshall doivent également établir que le différend
allégué est susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire, puisque la Cour n’a pas pour rôle
de se prononcer sur une demande hypothétique ou abstraite fondée sur un préjudice théorique
(même si celle-ci peut être interprétée comme constituant un différend).
8.35. Comme l’a souligné un commentateur,
«[p]our être constitutif d’un différend susceptible de faire l’objet d’un règlement
judiciaire, le désaccord entre les parties doit avoir une incidence pratique dans leur
relation, et ne saurait être purement hypothétique. La justice internationale n’a pas
pour rôle de clarifier des points de droit in abstracto. Le différend doit avoir trait à
des questions clairement définies entre les parties et ne doit pas être seulement
théorique.»160
8.36. La Cour a adopté la même position dans l’affaire du Cameroun septentrional, dans
laquelle elle a observé :
«La fonction de la Cour est de dire le droit, mais elle ne peut rendre des arrêts
qu’à l’occasion de cas concrets dans lesquels il existe, au moment du jugement, un
litige réel impliquant un conflit d’intérêts juridiques entre les parties. L’arrêt de la
Cour doit avoir des conséquences pratiques en ce sens qu’il doit pouvoir affecter les
droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude
dans leurs relations juridiques. En l’espèce, aucun arrêt rendu au fond ne pourrait
répondre à ces conditions essentielles de la fonction judiciaire.»161
8.37. Les Iles Marshall n’ont pas établi l’existence d’un dommage ou préjudice concret et
imminent que l’on puisse raisonnablement considérer comme dû aux actes ou omissions reprochés
au Pakistan, et qui pourrait être corrigé par une décision leur donnant gain de cause, notamment par
le biais du jugement déclaratoire et de la prescription qu’elles sollicitent. Dans la décision qu’il a
rendue le 3 février 2015, par laquelle il rejetait les demandes présentées par les Iles Marshall à
l’encontre des Etats-Unis d’Amérique, le tribunal fédéral américain de district a conclu que «la
crainte généralisée et théorique [exprimée par les Iles Marshall] face à l’utilisation éventuelle
d’armes nucléaires ne constitu[ait] pas pour le plaignant le dommage concret qui permettrait
d’établir l’existence d’un préjudice»162. Dans le contexte actuel, les dommages causés par des
retombées radioactives auxquels il est fait référence dans la requête et le mémoire du demandeur ne
pourraient survenir qu’à la suite d’un enchaînement de faits hypothétiques, et le préjudice allégué
dont le Pakistan serait responsable est purement théorique163. La «lutte contre le changement
160 Christoph Schreuer, «What is a Legal Dispute?» in I. Buffard et al. (sous la dir. de), International Law
between Universalism and Fragmentation, Festschrift in Honour of Gerhard Hafner (Leiden/Boston: Martinus Nijhoff
Publishers, 2008), p. 970 (annexe 15).
161 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume–Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 33.
162 République des Iles Marshall c. Etats-Unis d’Amérique, 2015 U.S. Dist. LEXIS 12785 (N.D. Cal. 2015),
ordonnance, p. 8 (annexe 11).
163 Voir mémoire, par. 45 (où il est question des «effets potentiellement désastreux des armes nucléaires» (les
italiques sont de nous)) et par. 8-9 (notamment plus d’une dizaine de verbes au conditionnel).
49
- 54 -
climatique»164 que mène le demandeur, et son affirmation selon laquelle «[l]’utilisation potentielle
d’armes nucléaires a bel et bien une incidence sur les intérêts des Iles Marshall, car elle fait peser
un risque majeur et inacceptable sur celles-ci»165, ne suffisent pas à établir la compétence de la
Cour en l’espèce ; celle-ci ne peut donc connaître des demandes des Iles Marshall à l’encontre du
Pakistan ni rendre la décision sollicitée par ces dernières. En résumé, les demandes présentées par
les Iles Marshall à l’encontre du Pakistan ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un règlement
judiciaire.
SECTION 7
LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL ET LE PAKISTAN NE SONT PAS LES PARTIES
APPROPRIÉES AU REGARD DES DEMANDES FORMULÉES PAR CELLE-CI
8.38. Les Iles Marshall affirment qu’un différend les oppose au Pakistan, différend qu’elles
demandent à la Cour de trancher. Elles ne produisent cependant aucun élément de preuve, et
encore moins d’élément concluant, établissant l’existence d’un différend entre le Pakistan et les
Iles Marshall au moment où la requête a été soumise à la Cour.
8.39. En réalité, il semble que la requête de la République des Iles Marshall ne porte
nullement sur un différend l’opposant au Pakistan, mais s’apparente davantage à une
demande présentée sous le couvert d’un différend entre Etats tendant à l’exécution
d’obligations «ancrées»166 dans l’article VI du TNP et «consacrées»167 par celui-ci, auquel le
Pakistan n’est pas partie, et à une tentative de réexamen de la procédure consultative de 1996 en
vue d’obtenir de la Cour les conclusions judicaires à caractère général qu’elle n’avait pas souhaité
formuler dans son avis consultatif de 1996.
8.40. Dès l’abord, tant la requête que le mémoire des Iles Marshall concernent également des
Etats tiers dont le demandeur affirme qu’ils sont «dotés d’armes nucléaires» ou qu’il est «avéré»
qu’ils «possèdent l’arme nucléaire»168. Toute décision concernant la prétendue obligation
découlant du droit international coutumier qui serait, selon la République des Iles Marshall,
«ancrée» dans l’article VI du TNP et «consacrée» par celui-ci169, imposerait de déterminer la
responsabilité internationale desdits Etats tiers à cet égard ; les mesures que, à la fin de leur
requête, les Iles Marshall demandent à la Cour d’ordonner au Pakistan supposent une action
unilatérale qui ne saurait aboutir au résultat souhaité sans le consentement et la participation de ces
mêmes Etats tiers. L’«affaire parallèle» dont les Iles Marshall ont saisi la justice américaine, au
motif que les Etats-Unis auraient violé les obligations leur incombant au titre du TNP prouve
également que le Pakistan n’est pas le défendeur approprié en l’espèce.
164 Requête, par. 9. L’argumentation de la République des Iles Marshall est également contradictoire en ce qui
concerne la description des dommages qui pourraient être causés par un conflit nucléaire, puisque, tout en faisant
référence à la «chut[e de] la température de la surface du globe» qui pourrait en résulter, elle indique que l’élévation du
niveau de la mer du fait de l’augmentation de la température de la Terre représente la plus grave menace qui puisse peser
sur celle-ci. Voir ibid., par. 8.
165 Mémoire, par. 41 (les italiques sont de nous).
166 Requête, par. 54.
167 Ibid., par. 2 et 36.
168 Ibid., par. 19. Sont mentionnés dans la requête les Etats-Unis d’Amérique, la Russie, le Royaume-Uni, la
France, la Chine, l’Inde, le Pakistan, Israël et la République populaire démocratique de Corée. Ibid., par. 17 et 19.
169 Ibid., par. 2, 36 et 54.
50
- 55 -
8.41. En outre, toute décision sur les demandes présentées par la République des
Iles Marshall impliquerait nécessairement de statuer sur les droits et obligations de ces Etats tiers,
qu’ils soient ou non parties au TNP. A cet égard, les Iles Marshall prient la Cour, dans leur
requête, de dire et juger que le Pakistan manque aux obligations internationales «ancrées» dans
l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci170 qui lui incomberaient en vertu du droit
international coutumier.
8.42. Outre le Pakistan, comme nous l’avons vu plus haut, la requête des Iles Marshall
concerne des Etats dotés d’armes nucléaires qui ne sont pas parties à l’affaire171. Comme l’a dit la
Cour en l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique, lorsque des demandes relatives à des
obligations juridiques
«sont formulées par un demandeur contre un défendeur dans une instance devant la
Cour et se traduisent par des conclusions, la Cour, en principe, ne peut que se
prononcer sur ces conclusions, avec effet obligatoire pour les parties et pour nul autre
Etat, en vertu de l’article 59 du Statut»172.
8.43. Toutefois, en vertu de la décision rendue en l’affaire de l’Or monétaire, lorsque l’objet
même du différend est constitué par les intérêts juridiques d’un Etat tiers non partie à l’instance, la
Cour ne peut exercer sa compétence. En pareilles circonstances, le principe selon lequel la Cour ne
peut que se prononcer sur les demandes formulées par les parties l’une contre l’autre ne s’applique
pas.
8.44. Dans cette affaire, une partie de l’or monétaire pris à Rome en 1943 était réclamée à la
fois par l’Albanie et par l’Italie. Dans son arrêt, la Cour s’est exprimée en ces termes :
«[La Cour] n’est pas simplement appelée à dire si l’or devrait être remis à
l’Italie ou au Royaume-Uni. Elle est invitée à trancher en premier lieu certaines
questions juridiques de la solution desquelles dépend la remise de l’or. … En
conséquence, pour déterminer si l’Italie a titre à recevoir l’or, il est nécessaire de
déterminer si l’Albanie a commis un délit international contre l’Italie et si elle est
tenue à réparation envers elle ; puis, dans ce cas, de déterminer aussi le montant de
l’indemnité.»173
Et la Cour de conclure :
«En l’espèce, les intérêts juridiques de l’Albanie seraient non seulement
touchés par une décision, mais constitueraient l’objet même de ladite décision. En
pareil cas, le Statut ne peut être considéré comme autorisant implicitement la
continuation de la procédure en l’absence de l’Albanie.»174 (Les italiques sont de
nous.)
170 Ibid.
171 Ibid., par. 17 et 20.
172 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, par. 88.
173 Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume–Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
et Etats-Unis d’Amérique) (question préliminaire), arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 31-32.
174 Ibid., p. 32.
- 56 -
8.45. L’Albanie n’étant pas partie à l’instance, la Cour a refusé de trancher le différend, tout
en relevant ce qui suit :
«En revanche, là où, comme dans le cas présent, la question essentielle à
trancher a trait à la responsabilité internationale d’un Etat tiers, la Cour ne peut, sans
le consentement de ce dernier, rendre sur cette question une décision qui soit
obligatoire pour aucun Etat, ni pour l’Etat tiers, ni pour aucune des parties qui sont
devant elle.»175 (Les italiques sont de nous.)
Alors même que la question sur laquelle la Cour devait statuer était in fine celle de la priorité entre
la prétention sur l’or du Royaume-Uni et celle de l’Italie, ce point ne pouvait être tranché, étant
donné qu’il dépendait d’une décision de la Cour sur une question préliminaire qui ne se posait
qu’entre l’Italie et l’Albanie.
8.46. Autrement dit, lorsque les intérêts d’un Etat tiers ne participant pas à l’instance
constituent l’objet même du différend dont la Cour est saisie, cette dernière ne peut se déclarer
compétente sans porter préjudice aux intérêts juridiques du défendeur et du ou des Etats tiers
concernés. Cela est particulièrement vrai lorsque les actes de l’Etat tiers représentent l’essentiel de
la composante factuelle du différend en question.
8.47. En pareilles circonstances, il est possible que le défendeur ne dispose pas de l’ensemble
des éléments factuels lui permettant de protéger ses intérêts. Un risque d’abus de procédure existe
par ailleurs, dans la mesure où un défendeur de minimis pourrait être mis en cause en l’absence du
principal adversaire et risquer de faire l’objet d’allégations visant d’autres adversaires qui ne sont
pas nommément désignés. Dans de telles circonstances, il serait inopportun que la Cour se déclare
compétente. Dès lors, l’instance introduite par le demandeur doit être considérée comme
irrecevable. Il est ici question des intérêts du défendeur et de l’intégrité de la procédure, non des
intérêts d’un ou de plusieurs Etats tiers ne participant pas à la procédure.
8.48. Si la Cour avait compétence pour se prononcer sur des obligations soit liées au TNP,
soit «ancrées» dans cet instrument ou «consacrées» par celui-ci176, il serait impossible de parvenir à
un règlement exhaustif de la question soumise à la Cour par le biais de la requête sans le concours
de l’ensemble des parties au TNP et des autres Etats concernés par l’affaire portée devant la Cour.
Celle-ci ne peut statuer sur les mesures sollicitées à cet égard par les Iles Marshall sans se
prononcer sur les droits et obligations de ces autres Etats. Le demandeur, ayant lui-même reconnu
que les obligations qu’il présente comme découlant du droit international coutumier sont «ancrées»
dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci, et ayant invoqué ledit traité plus de 20 fois
dans sa requête, ne peut à présent affirmer que l’effet de ces prétendues obligations peut être établi
et imposé à ces Etats tiers sans que ceux-ci y consentent ou ne soient parties à la présente instance.
175 Ibid., p. 33.
176 Requête, par. 2, 36 et 54.
51
- 57 -
CHAPITRE 2
LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL N’A PAS QUALITÉ POUR FORMULER
LES DEMANDES QU’ELLE A PRÉSENTÉES DANS LA REQUÊTE
8.49. Dans son mémoire, la République des Iles Marshall indique que,
«[p]our l’essentiel, [elle] considère que tout Etat a qualité pour obtenir l’exécution, de
la part de l’ensemble des autres Etats (et tout particulièrement de ceux, comme le
Pakistan, qui possèdent des armes nucléaires), de l’obligation découlant du droit
international coutumier «de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des
négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un
contrôle international strict et efficace»».177
La citation figurant dans ce passage du mémoire est tirée de l’avis consultatif donné par la Cour en
1996 (les termes qui y sont employés provenant eux-mêmes de l’article VI du TNP). L’argument
«essentiel» de la République des Iles Marshall consiste donc à dire qu’elle a qualité pour affirmer
devant la Cour «que l’obligation coutumière de procéder à des négociations est une obligation
erga omnes», et que le Pakistan y a manqué178. Or, ainsi que cela sera démontré dans le présent
chapitre, les Iles Marshall n’ont pas qualité pour formuler les demandes qu’elles ont présentées
dans la requête, et ce, pour plusieurs raisons.
SECTION 1
LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL N’EST PAS FONDÉE À OBTENIR DE LA COUR
UNE DÉCISION SUR LES DEMANDES FORMULÉES DANS LA REQUÊTE
8.50. Premièrement, la République des Iles Marshall n’a pas qualité pour agir en son nom
propre en la présente espèce, car i) elle n’a pas établi qu’un différend juridique l’opposait au
Pakistan au moment du dépôt de la requête et ii) elle n’a pas présenté d’éléments de preuve, même
prima facie, attestant qu’un quelconque préjudice objectivement imputable aux prétendus actes ou
omissions du Pakistan lui aurait été causé ou pourrait lui être causé de façon imminente, et qu’il y
serait remédié par une décision de la Cour en sa faveur.
8.51. Deuxièmement, étant donné que la Cour ne s’est pas vu présenter d’éléments de
preuve, même prima facie, de l’existence d’une obligation erga omnes de mener des négociations
et que l’avis consultatif qu’elle a rendu en 1996 n’étaye en rien l’argument «essentiel» de la
République des Iles Marshall selon lequel «l’obligation coutumière de procéder à des négociations
[étant] une obligation erga omnes», «[c]haque Etat [y compris elle-même] a … un intérêt juridique
à ce qu’il [y] soit satisfait … en temps opportun»179, le demandeur ne saurait prétendre avoir un
intérêt juridique à ce qu’il soit satisfait en temps opportun à une obligation inexistante et, partant,
n’est pas fondé à ce que la Cour se prononce sur les demandes qu’il a formulées dans sa requête.
177 Mémoire, par. 31.
178 Ibid., par. 31.
179 Ibid., par. 31.
52
- 58 -
SECTION 2
LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL N’A PAS QUALITÉ POUR AGIR SUR LA BASE D’UNE
ACTIO POPULARIS CAR LA DÉCISION QU’ELLE SOLLICITE NE PORTE PAS SUR
DES OBLIGATIONS ERGA OMNES
8.52. Dans le mémoire, il est affirmé sans ambages que «[c]haque Etat a … un intérêt
juridique» à obtenir l’exécution des obligations auxquelles le Pakistan aurait manqué et, en
particulier, «l’obligation essentielle qui lui incombe de poursuivre de bonne foi et de mener à terme
des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle
international strict et efficace»180. De toute évidence, si la République des Iles Marshall a formulé
cette assertion, c’est parce que, n’étant pas liée au Pakistan par quelque traité pertinent, il ne lui est
pas possible d’invoquer le droit conventionnel pour étayer les demandes énoncées dans sa requête.
8.53. La République des Iles Marshall ne saurait introduire la présente instance comme une
sorte d’actio popularis, à moins qu’elle ne soit en mesure de démontrer qu’elle est juridiquement
fondée à le faire en raison du caractère erga omnes des obligations qu’elle allègue. Elle n’a fait
mention d’aucune autre base qu’il lui serait possible d’invoquer. Or, la Cour a rejeté la thèse selon
laquelle, en acceptant sa juridiction en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, un Etat
acquerrait le droit de la saisir de toute demande contre tout autre Etat ayant lui aussi accepté sa
juridiction181.
8.54. Dans son mémoire, la République des Iles Marshall «soutient que l’obligation
coutumière de procéder à des négociations est une obligation erga omnes» et que «[c]haque Etat a
donc un intérêt juridique à ce qu’il soit satisfait à cette obligation en temps opportun»182. Ainsi que
cela a été précisé ci-dessus, il s’agit là de son argument «essentiel»183. En introduisant la présente
instance, la République des Iles Marshall semble soutenir qu’elle a le droit d’agir au nom de la
communauté internationale184. Le Pakistan conteste que pareil droit existe dans le contexte de la
présente affaire.
8.55. Aucun élément de preuve n’atteste prima facie l’existence d’un tel droit. La
République des Iles Marshall concède que la Cour peut être amenée à s’interroger sur la nature des
obligations erga omnes
185. Elle admet donc que la Cour n’a jamais indiqué que les obligations dont
elle tire grief en la présente espèce étaient des obligations erga omnes. Dans sa requête, le
demandeur se réfère à l’observation faite par la Cour dans son avis consultatif du 8 juillet 1996 sur
la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, selon laquelle «l’exécution de
l’obligation exprimée à l’article VI [est] indubitablement [] un objectif qui demeure vital pour
l’ensemble de la communauté internationale aujourd’hui»186. Selon les Iles Marshall, cette
observation «revient à faire de l’obligation énoncée à l’article VI une obligation erga omnes»187.
Rien ne vient étayer cette affirmation. La déclaration du président Bedjaoui à laquelle la
180 Ibid., par. 11 et 31.
181 Affaires du Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), deuxième phase,
arrêt, C.I.J. Recueil 1966, p. 42.
182 Mémoire, par. 31. Voir également requête, par. 35.
183 Mémoire, par. 31.
184 Voir requête, par. 33-35 ; mémoire par. 8 et 31.
185 Mémoire, par. 34.
186 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 103.
187 Requête, par. 35.
53
- 59 -
République des Iles Marshall se réfère188 confirme au contraire que la Cour n’est pas parvenue à
pareille conclusion. Le passage pertinent en est en effet libellé ainsi :
«Comme la Cour l’a reconnu, l’obligation de négocier de bonne foi un
désarmement nucléaire concerne les quelque cent quatre-vingt-deux Etats parties au
traité de non-prolifération. Il me paraît pour ma part possible d’aller au-delà de cette
conclusion et d’affirmer qu’il existe en réalité une double obligation générale,
opposable erga omnes, de négocier de bonne foi et de parvenir au résultat
recherché.»189 (Les italiques sont de nous.)
8.56. En d’autres termes, dire que la Cour avait à l’esprit une obligation générale, opposable
erga omnes, de négocier de bonne foi et de parvenir au résultat recherché va au-delà de la
conclusion qu’elle a formulée dans son avis consultatif de 1996. L’argumentation qu’oppose la
République des Iles Marshall au Pakistan, lequel n’a ni signé ni ratifié le TNP, semble donc
intégralement reposer sur la déclaration du président Bedjaoui jointe à l’avis consultatif de 1996 et
sur l’affirmation selon laquelle ce que la Cour a indiqué en ce qui concerne les Etats parties à cet
instrument s’applique de la même manière aux Etats qui n’y sont pas parties. Or, la déclaration du
président Bedjaoui démontre le contraire.
8.57. Aucun principe de droit international général n’autorise la République des
Iles Marshall à porter la présente affaire devant la Cour. Pour pouvoir saisir celle-ci, un Etat doit
être en mesure de démontrer qu’il a un intérêt juridique au regard de l’objet du différend. C’est
précisément l’absence de pareil intérêt qui a conduit au rejet de la demande de la Belgique dans
l’affaire de la Barcelona Traction190 et au rejet des requêtes introduites par l’Ethiopie et le Libéria
dans les affaires du Sud-Ouest africain191. Les juges ayant joint une opinion dissidente aux arrêts
rendus dans les affaires du Sud-Ouest africain ont eux-mêmes reconnu qu’il était nécessaire que les
demandeurs commencent par démontrer qu’ils étaient juridiquement fondés à présenter leur
requête192.
8.58. Même lorsqu’une conception plus large des choses a été admise, il a été précisé
qu’«[i]l n’y a[vait] pas d’actio popularis généralement établie en droit international»193. Quand
bien même l’obligation coutumière de mener des négociations serait considérée comme donnant
naissance à des obligations erga omnes, le Pakistan soutient que la République des Iles Marshall ne
pourrait établir qu’elle a le droit de présenter des demandes sous la forme d’une actio popularis.
188 Requête, partie III, note de bas de page no
67.
189 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 273,
par. 23 (déclaration du président Bedjaoui).
190 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1970, p. 50.
191 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1966, p. 51.
192 Voir, notamment, C.I.J. Recueil 1966, p. 387-388 (juge Jessup) ; p. 443 (juge Padilla Nervo) ; p. 478
(juge Forster). Pour un examen général de la question de l’intérêt pour agir, voir K. M’Baye, «L’intérêt pour agir devant
la Cour internationale de justice», Hague Recueil vol. 209 (1988, II) p. 227-341.
193 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Libéria c. Afrique du Sud), opinion dissidente de M. le juge
Jessup, C.I.J. Recueil 1966, p. 387-388.
54
- 60 -
8.59. Ce point n’est pas contredit par les observations que la Cour a faites dans l’affaire de la
Barcelona Traction194. Ce qu’elle a indiqué dans cette affaire, c’est «qu’[u]ne distinction
essentielle d[evait] en particulier être établie entre les obligations des Etats envers la communauté
internationale dans son ensemble [les obligations erga omnes] et celles qui naissent vis-à-vis d’un
autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique». La Cour n’avait alors à connaître que
d’obligations entrant dans la seconde catégorie. Elle a toutefois observé, en ce qui concerne les
obligations de la première catégorie — à savoir les obligations erga omnes —, que «[c]ertains
droits de protection correspondants s’[étaient] intégrés au droit international général [] d’autres
[étant] conférés par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel»195.
La Cour n’a donc pas dit que toute obligation erga omnes pourrait donner lieu à une instance
prenant la forme d’une actio popularis. Les questions auxquelles il était expressément fait
référence sont, par essence, différentes de la prétendue obligation internationale de droit coutumier
«ancrée» dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci,196 dont la République des
Iles Marshall entend obtenir l’exécution en la présente instance.
8.60. Il est vrai que, dans l’exposé de leurs opinions dissidentes qui a été joint aux affaires du
Sud-Ouest africain, les juges Jessup et Tanaka ont exprimé une conception plus large que ne l’avait
fait la Cour du droit d’un Etat de porter une affaire devant elle. Ce faisant, ils se sont l’un comme
l’autre fondés sur la nature spéciale de certains traités conférant pareil droit197. En la présente
espèce, il n’existe cependant aucun traité de cette nature.
8.61. La Cour ne saurait autoriser un Etat à lui présenter en son nom propre — et, encore
moins, au nom de la communauté internationale — une demande dont il soutient qu’elle est fondée
sur des obligations erga omnes sans soumettre d’éléments de preuve prima facie attestant ce
caractère erga omnes. Or, tel est précisément ce que la République des Iles Marshall tente de faire
en la présente espèce en s’employant à établir la compétence de la Cour à l’égard du Pakistan et en
sollicitant des prononcés judiciaires de nature générale pouvant être utilisés contre d’autres Etats
qui ne sont pas parties à l’instance. Si la Cour acceptait de statuer sur pareilles demandes, toutes
les digues seraient rompues et les Etats pourraient attraire devant elle n’importe quel autre Etat, ce
qui contreviendrait à la nature consensuelle de sa juridiction. Cela créerait le chaos et ouvrirait la
porte à tous les abus, signant la fin du système de la clause facultative.
8.62. Les prétendues obligations de droit international coutumier «ancrées» dans l’article VI
du TNP et «consacrées» par celui-ci ne pourraient guère donner elles-mêmes naissance à des
obligations s’imposant à des Etats tiers qu’en cas de décision collective à cet effet prise par la
communauté internationale. Or, dans le contexte de la présente affaire, pareille décision collective
de faire spécifiquement appliquer l’article VI n’existe pas. En conséquence, le fait de considérer
que des Etats ont qualité pour agir en l’absence de pareille décision de la communauté
internationale reviendrait à appliquer des critères hautement subjectifs, ce qui serait contraire à
l’esprit de la Charte des Nations Unies et du Statut de la Cour. C’est pourquoi la République des
Iles Marshall ne saurait se fonder, pour introduire la présente instance, sur une prétendue obligation
de droit international coutumier «ancrée» dans l’article VI du TNP et «consacrée» par celui-ci.
194 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1970, p. 32-33.
195 Ibid., p. 32-34.
196 Voir requête, par. 2, 36 et 54.
197 Voir C.I.J. Recueil 1962, p. 425 (opinion individuelle du juge Jessup ; C.I.J. Recueil 1966, p. 386 (opinion
dissidente du juge Jessup) ; C.I.J. Recueil 1966, p. 252 (opinion dissidente du juge Tanaka).
- 61 -
8.63. Enfin, contrairement à ce que prétend la République des Iles Marshall, rien dans les
articles 42 ou 48 des articles de la commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat
pour fait internationalement illicite ne vient étayer sa position concernant sa qualité pour agir198.
CHAPITRE 3
PAR SA REQUÊTE, LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL TENTE ABUSIVEMENT DE ROUVRIR
LA QUESTION DE LA LICÉITÉ DES ARMES NUCLÉAIRES ET D’OBTENIR CE
QUI ÉQUIVAUDRAIT EN FAIT À UN AVIS CONSULTATIF
8.64. Il convient de rejeter l’affirmation du demandeur selon laquelle «la … requête ne vise
pas à rouvrir la question de la licéité des armes nucléaires»199, car elle est mensongère et
uniquement destinée à servir ses intérêts.
8.65. Une première demande initiale d’avis consultatif sur la licéité des armes nucléaires
avait été présentée par l’Organisation mondiale de la Santé le 3 septembre 1993 et rejetée par la
Cour au motif qu’elle ne portait pas sur une question se posant dans le cadre des activités de cette
organisation, ainsi que l’exige le paragraphe 2 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies. Une
nouvelle demande, émanant, cette fois, de l’Assemblée générale des Nations Unies, a par la suite
été accueillie par la Cour, aboutissant à l’avis consultatif rendu en 1996.
8.66. Dans cet avis, la Cour a rappelé qu’elle tirait sa compétence consultative de l’article 65,
paragraphe 1, de son Statut et de l’article 96, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies, qui
dispose que «[l]’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité peut [lui] demander … un avis
consultatif sur toute question juridique».
8.67. Vingt-deux Etats, dont la République des Iles Marshall, ont pris part à la procédure
consultative de 1995-1996 introduite par la demande de l’Assemblée générale. Le Pakistan ne
figurait pas au nombre de ces Etats.
8.68. Il y a lieu de relever que, dans le cadre de l’exposé oral qu’elle a fait devant la Cour en
1995, la République des Iles Marshall s’est référée aux essais nucléaires menés sur son territoire
par les Etats-Unis entre 1946 et 1958. Invoquant des instruments conclus entre les Etats-Unis et la
République des Iles Marshall (notamment l’accord de libre association), elle a affirmé que «les
maladies et décès causés par les essais nucléaires a[vaient] donné lieu à indemnisation au titre
d’accords internationaux»200.
198 Mémoire, par. 39.
199 Requête, par. 2.
200 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, CR 1995/32 (Kronmiller), p. 20.
55
- 62 -
SECTION 1
RIEN DANS LE STATUT DE LA COUR NE PERMET DE FAIRE APPEL OU D’OBTENIR
LA REVISION DES AVIS CONSULTATIFS RENDUS PAR ELLE
8.69. Il n’est pas contesté que les avis consultatifs de la Cour n’ont pas d’effet obligatoire.
Son Statut ne comporte, par ailleurs, aucune disposition lui conférant compétence si «une question
juridique se pose quant au sens ou à la portée d’un avis consultatif. En pareille situation, la Cour
ne peut donner une interprétation d’un avis consultatif que dans le cadre d’une nouvelle demande
d’avis consultatif»201.
8.70. Un avis rendu par la Cour dans l’exercice de sa compétence consultative ne peut faire
l’objet d’un recours ou d’une demande en revision dans le cadre d’une procédure contentieuse
fondée principalement sur des constatations et conclusions qui auraient été formulées par la Cour
ou certains de ses membres lors de la procédure consultative initiale. Le Statut de la Cour ne
prévoit aucun mécanisme permettant d’obtenir la revision ou l’interprétation des avis consultatifs,
et encore moins de faire appel de ceux-ci, et certainement pas de la manière dont la République des
Iles Marshall entend le faire en la présente affaire.
8.71. Dans le cadre de l’exercice de sa compétence consultative, la Cour, après avoir entendu
un grand nombre d’Etats, dont la République des Iles Marshall, et d’organisations
intergouvernementales, a déjà eu l’occasion de traiter en détail de la question de la licéité de la
menace ou de l’emploi des armes nucléaires.
8.72. Ainsi que l’indique clairement la requête déposée en la présente instance, le demandeur
entend obtenir que la Cour exerce sa compétence contentieuse à l’égard du Pakistan [en se
prévalant] de prononcés qui, comme il le reconnaît, n’émanaient pas de la majorité de la Cour en
1996, lorsqu’elle a rendu son avis consultatif202, ou dont on peut considérer qu’ils reflètent une
conclusion antérieure de la Cour «[s]e fondant en grande partie sur son analyse de l’article VI du
[TNP]», comme il l’admet également203. Force est de conclure que la République des Iles Marshall
cherche à soumettre une nouvelle fois, au moyen de la clause facultative, la question de la licéité
des armes nucléaires déjà réglée dans l’avis consultatif de 1996, et à obtenir ce qui équivaudrait en
pratique à un avis consultatif. Sa demande de jugement déclaratoire n’est rien d’autre qu’une
demande d’avis consultatif. Cela est inacceptable et constitue l’une des raisons pour lesquelles la
Cour devrait considérer sa requête comme irrecevable et refuser de connaître des demandes qui y
sont formulées.
201 Shabtai Rosenne (avec le concours de Yael Ronen), «The Law and Practice of the International Court,
1920-2005», vol. II, p. 1001 (Martinus Nijhoff Publishers, 4e
éd., 2006)
202 Voir requête, par. 35 ; mémoire, par. 34.
203 Requête, par. 1.
56
- 63 -
CHAPITRE 4
LA REQUÊTE DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL EST IRRECEVABLE EN L’ABSENCE
DES PARTIES INDISPENSABLES DEVANT LA COUR
SECTION 1
TOUTE DÉCISION SUR LES DEMANDES DES ILES MARSHALL METTRAIT NÉCESSAIREMENT
EN CAUSE LES DROITS ET LES OBLIGATIONS D’AUTRES ETATS
8.73. La requête des Iles Marshall contient le passage suivant :
«les Iles Marshall sont particulièrement sensibilisées aux effets désastreux des armes
nucléaires. De 1946 à 1958, période pendant laquelle la communauté internationale
les avaient placées sous la tutelle des Etats-Unis d’Amérique (ci-après les
«Etats-Unis»), elles ont en effet été à plusieurs reprises le théâtre d’essais nucléaires.
Au cours de ces douze années, 67 armes nucléaires de différentes puissances ont
explosé dans les Iles Marshall [du fait des Etats-Unis], à distance variable de
populations humaines.»204
8.74. Aux termes de l’accord de libre association dont il a été fait état plus haut (voir
par. 2.16), les questions de sécurité et de défense concernant les Iles Marshall relèvent de l’autorité
et de la responsabilité pleines et entières des Etats-Unis.
8.75. La République des Iles Marshall reconnaît que le Pakistan n’est pas partie au TNP205.
En sollicitant une décision condamnant cet Etat sur la base d’obligations de droit international
coutumier prétendument «ancrées» dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci, les
Iles Marshall cherchent en réalité à obtenir une décision qu’elles pourraient utiliser contre les Etats
dotés d’armes nucléaires qui sont parties au TNP. Il est rappelé que, à l’époque où il déposait sa
requête devant la Cour, le demandeur a introduit une «instance parallèle» à l’encontre des
Etats-Unis devant le tribunal fédéral de district de Californie.
8.76. Compte tenu des rapports étroits qui existent entre les Iles Marshall et les Etats-Unis,
qu’il s’agisse de l’utilisation d’armes nucléaires et des essais nucléaires ou de l’instance parallèle
introduite devant les tribunaux américains, le Pakistan considère que les Etats-Unis sont une partie
indispensable en la présente affaire. Pour atteindre l’objectif que se sont fixé les Iles Marshall
lorsqu’elles ont présenté leurs demandes à savoir que des négociations soient menées de bonne
foi afin de parvenir au désarmement nucléaire , tous les Etats dotés d’armes nucléaires sont des
parties indispensables.
8.77. Par ailleurs, puisqu’ils exercent le contrôle effectif de la sécurité nationale de la
République des Iles Marshall, les Etats-Unis ont un intérêt juridique dans l’issue de la présente
affaire. L’on ne se trouve donc pas simplement dans la situation où les intérêts juridiques
américains seraient touchés par une décision en l’espèce : les questions de souveraineté et de
sécurité nationales des Etats-Unis constitueraient en fait «l’objet même» de l’instance, comme ce
fut le cas pour l’Albanie en l’affaire de l’Or monétaire. La conclusion s’impose : la Cour ne peut
déterminer s’il y a eu violations des obligations énoncées à l’article VI du TNP ou des obligations
204 Ibid., par. 8.
205 Mémoire, par. 58 («Le Pakistan n’ … est pas partie [au TNP]»).
57
- 64 -
de droit international coutumier prétendument «ancrées» et «consacrées» dans cet article ont été
respectées ou non, violations qui toucheraient nécessairement des Etats tiers sans que ceux-ci ne
participent à l’instance.
8.78. La requête des Iles Marshall enfreint le principe du consentement, qui empêche la Cour
de se prononcer sur les obligations juridiques des Etats parties au TNP et des autres Etats sans leur
accord. Le Pakistan soutient que le principe énoncé en l’affaire de l’Or monétaire est directement
applicable en l’instance introduite par les Iles Marshall, car la Cour ne peut statuer en l’espèce sans
déterminer si les Etats dotés d’armes nucléaires qui sont parties au TNP manquent aux obligations
qui leur incombent en vertu de l’article VI dudit traité, dont la République des Iles Marshall
cherche à obtenir le respect par le Pakistan en les assimilant à des obligations découlant du droit
international coutumier.
8.79. Certes, la compétence de la Cour ne dépend pas toujours du consentement de chacun
des Etats dont les intérêts pourraient être touchés par la décision en question. Dans l’affaire de
l’Or monétaire, la Cour a reconnu qu’il convenait d’établir une distinction entre les intérêts
juridiques constituant «l’objet même de la décision» et les intérêts qui seraient seulement touchés
par suite de cette décision206.
8.80. Toute décision sur les demandes présentées par les Iles Marshall à l’encontre du
Pakistan exige que soit au préalable tranchée la question de l’existence des obligations juridiques
incombant aux Etats parties au TNP au titre de l’article VI de celui-ci ou des obligations découlant
du droit international coutumier, telles qu’alléguées par le demandeur. Dès lors, ce n’est pas contre
le Pakistan que la République des Iles Marshall aurait dû introduire l’instance, mais contre les Etats
dotés d’armes nucléaires qui sont parties au TNP. Au regard des demandes présentées par les
Iles Marshall, la position du Pakistan est tout simplement logique.
SECTION 2
RESPONSABILITÉ DE L’ETAT : LE PAKISTAN N’EST PAS L’ETAT AUTEUR
DU FAIT ILLICITE
8.81. En ce qui concerne les demandes des Iles Marshall, le Pakistan est en position d’Etat
tiers. Ce n’est pas lui que l’Etat qui prétend avoir subi un préjudice peut légitimement poursuivre.
Le Pakistan n’est qu’un Etat tiers que le demandeur utilise pour faire valoir ses droits et intérêts à
l’encontre d’autres Etats, en particulier ceux dotés d’armes nucléaires qui sont parties au TNP.
8.82. Si la véritable relation entre la République des Iles Marshall et le Pakistan n’est pas de
l’ordre de celle qui peut exister entre l’«Etat lésé» à l’«Etat auteur du fait illicite», alors l’instance
introduite par la première à l’encontre du second implique qu’il soit établi qu’un préjudice a été
causé par d’autres Etats tiers, puis que ce préjudice ait fait l’objet d’une décision s’imposant
collectivement à plusieurs Etats, parmi lesquels le Pakistan. Pour se prononcer sur les demandes
des Iles Marshall, la Cour ne peut imputer une quelconque responsabilité dérivée au Pakistan sans
avoir établi au préalable que ces autres Etats manquent aux obligations qui leur incombent au titre
de l’article VI du TNP. Une telle conclusion constitue le préalable nécessaire à toute décision sur
la responsabilité du Pakistan.
206 Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France ; Royaume–Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
et Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 32.
- 65 -
8.83. Le demandeur insiste de plus sur le fait que son seul intérêt en l’espèce est de parvenir
au désarmement nucléaire. Outre que la République des Iles Marshall n’a pas qualité pour
formuler les demandes figurant dans sa requête, la Cour ne peut déclarer que les prétendues
obligations de droit international coutumier «ancrées» dans l’article VI du TNP et «consacrées»
dans celui-ci n’ont pas été respectées alors que des Etats dotés d’armes nucléaires parties au TNP,
ainsi que d’autres Etats possédant également des armes nucléaires mais non parties à ce traité, ne
participent pas à l’instance introduite devant elle.
SECTION 3
LA COUR NE PEUT SE PRONONCER SUR LES DROITS ET OBLIGATIONS D’ETATS TIERS
SANS QUE CEUX-CI Y CONSENTENT OU NE SOIENT PARTIES À L’INSTANCE
8.84. Ainsi qu’il a été expliqué plus haut, c’est une règle bien établie que la Cour ne peut
statuer sur les droits et obligations des Etats sans leur consentement exprès ou leur participation à
l’instance introduite devant elle. Cette règle, qui découle du principe de l’égalité souveraine et de
l’indépendance des Etats, est la condition sine qua non de la compétence de la Cour dans toute
procédure contentieuse207. Elle est également étroitement liée aux considérations qui ont conduit le
Pakistan à assortir sa déclaration d’acceptation de 1960 d’une réserve relative aux traités
multilatéraux.
8.85. Le Pakistan soutient que les intérêts d’Etats tiers ne participant pas à l’instance seraient
tout aussi gravement lésés par une décision qui, relative aux droits et obligations d’une partie
devant la Cour, aurait des conséquences pour ces Etats tiers que par une décision sur une
responsabilité dérivée, comme ce fut le cas en l’affaire de l’Or monétaire. Les droits de ces Etats
tiers ne peuvent être déterminés par la Cour sans que ceux-ci y consentent ou ne soient partie à
l’instance.
8.86. Or, l’établissement des faits permettant de déterminer les droits et obligations des
Parties à présent devant la Cour exige la participation de ces Etats tiers. Par ailleurs, il est très
probable que les éléments factuels auxquels fait référence la requête ne soient pas en la possession
ou à la disposition desdites Parties. Dès lors, les questions soulevées dans la requête ne sauraient
être pleinement tranchées. En conclusion, la Cour ne peut se prononcer sur la base d’éléments de
preuve insuffisants.
SECTION 4
LE PRÉJUDICE ALLÉGUÉ PAR LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL NE POURRAIT ÊTRE
RÉPARÉ PAR UNE PRESCRIPTION SPÉCIFIQUE VISANT UN SEUL ETAT
8.87. Le Pakistan n’est ni une «partie intéressée» ni une partie «directement concernée» par
les obligations «ancrées» dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci (qu’elles soient
décrites comme relevant du droit international ou autre). Sans la participation de l’ensemble des
Etats dotés d’armes nucléaires, il ne serait pas en mesure de s’acquitter des responsabilités qui
découleraient d’une décision allant dans le sens des demandes des Iles Marshall. Aucune décision
de la Cour prescrivant au Pakistan de respecter les obligations «ancrées» dans l’article VI du TNP
et «consacrées» par celui-ci ne permettrait au demandeur d’atteindre ses objectifs. La capacité du
207 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 48, opinion individuelle
du vice-président Nagendra Singh.
58
- 66 -
Pakistan à «mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire» est, faute de
coopération des Etats dotés d’armes nucléaires, extrêmement limitée.
8.88. Le Pakistan fait valoir qu’un arrêt en sa défaveur et en faveur de la République des
Iles Marshall ne bénéficierait en aucune manière, sur le plan juridique, au demandeur, et ne lui
apporterait aucun avantage direct. Ainsi qu’il est exposé dans le présent contre-mémoire, la
décision sollicitée par les Iles Marshall vise en réalité les Etats dotés d’armes nucléaires qui sont
parties au TNP.
8.89. Il ressort implicitement de l’argumentation du demandeur que celui-ci exige en fait que
le Pakistan accepte les termes du TNP, alors qu’il n’y est pas partie.
8.90. Etant donné qu’ils ne participent pas tous à l’instance devant la Cour, les Etats dotés
d’armes nucléaires ne seraient pas tous liés par l’arrêt de cette dernière, et pourraient continuer de
posséder et produire des armes nucléaires. Une approche aussi peu consensuelle ne peut que
générer une asymétrie des intérêts nucléaires dans le système international.
8.91. Dans sa demande, la République des Iles Marshall méconnaît la participation requise
de l’ensemble des Etats dotés ou non d’armes nucléaires qui sont parties au TNP mais qui ne
participent pas à la présente instance. Si la Cour devait prescrire spécifiquement au Pakistan
d’exécuter les obligations invoquées par les Iles Marshall, sans le faire également à l’égard des
autres Etats avec lesquels celui-ci devrait engager des négociations mais à l’égard desquels elle
n’a pas compétence , cela reviendrait à demander au Pakistan de faire quelque chose qu’il ne
saurait faire à lui seul. La Cour n’a pas le pouvoir de lui ordonner de prendre les mesures
nécessaires pour exécuter le TNP, traité conclu entre les Iles Marshall et d’autres Etats, et ne peut
obliger les 190 Etats parties audit instrument à tenir des négociations sur le désarmement nucléaire.
Cette situation ne peut certainement pas être corrigée par une décision judiciaire qui contraindrait le
Pakistan, et lui seul, à négocier. Les négociations sont par nature multilatérales208. Dans le cadre
de négociations multilatérales relatives au désarmement, l’ensemble des Etats concernés doivent
trouver un juste équilibre entre le souci de leur sécurité nationale et leur volonté de parvenir au
désarmement.
8.92. Même si la Cour pouvait le contraindre à engager des négociations portant
spécifiquement sur la cessation de la course aux armements nucléaires, ou à y participer, le
Pakistan ne pourrait, unilatéralement, atteindre les objectifs ni s’acquitter des obligations énoncés
dans un traité multilatéral auquel il n’est pas partie. La question de savoir si une décision judiciaire
ordonnant au Pakistan de tenir des négociations sur le désarmement nucléaire inciterait les Etats
dotés ou non d’armes nucléaires à prendre part auxdites négociations est de nature conjecturale,
sans parler de la question de savoir si d’autres Etats y participeraient sur la base des exigences des
Iles Marshall. Aucun des Etats parties au TNP ne participe à la présente procédure, et aucun n’est
donc lié par quelque jugement déclaratoire ou prescription qui pourrait en résulter.
208 Lorsqu’il a rejeté les demandes présentées par les Iles Marshall à l’encontre des Etats-Unis d’Amérique, le
tribunal fédéral américain de district a conclu :
«[l]a demande du plaignant tendant à ce que ces tentatives [de négociations au sujet de mesures concrètes
relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires] soient entreprises dans les douze mois est
arbitraire et ne tient aucun compte des activités et des intentions des autres Etats également
signataires du [TNP]». République des Iles Marshall c. Etats-Unis d’Amérique, 2015 U.S. Dist. LEXIS
12785 (N.D. Cal. 2015), ordonnance, p. 11 (annexe 11).
59
- 67 -
SECTION 5
LA QUESTION DU CONSENTEMENT DES AUTRES ETATS A UN CARACTÈRE
EXCLUSIVEMENT PRÉLIMINAIRE
8.93. Le Pakistan soutient que la Cour devrait s’abstenir de trancher les demandes des
Iles Marshall au fond étant donné que la requête est de toute évidence irrecevable.
8.94. Le point sur lequel la Cour doit d’abord se prononcer est celui de savoir si l’absence
des Etats tiers indispensables empêche celle-ci de déclarer recevables ou non les demandes de la
République des Iles Marshall. Cette question a un caractère véritablement préliminaire et doit être
tranchée à ce stade. Par conséquent, avant de pouvoir examiner au fond tout élément relatif aux
demandes des Iles Marshall, la Cour doit se pencher sur la question de la présence nécessaire des
Etats tiers indispensables en l’affaire au présent stade de la procédure.
CHAPITRE 5
LE PROCESSUS JUDICIAIRE EST PAR NATURE INAPTE À RÉSOUDRE LES QUESTIONS DE
DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE IMPLIQUANT PLUSIEURS ETATS
SECTION 1
LA SITUATION DONT FONT ÉTAT LES ILES MARSHALL DANS LEUR REQUÊTE
NE SAURAIT ÊTRE TRAITÉE OU RÉSOLUE PAR LA VOIE JUDICIAIRE
8.95. Le Pakistan estime qu’il n’existe aucune norme permettant d’apporter une solution
acceptable aux demandes formulées par les Iles Marshall dans leur requête. La Cour ne saurait
déclarer que le Pakistan a manqué aux obligations que lui impose le droit international sans
examiner des éléments de preuve se trouvant entre les mains d’Etats tiers qui ne participent pas à
l’instance ni se prononcer, entre autres, sur l’équilibre qu’il convient d’observer entre sécurité
nationale et désarmement.
8.96. Les questions que soulève la requête des Iles Marshall sont complexes et ne sauraient
être résolues par le Pakistan ou le demandeur, que ce soit ensemble ou séparément. Dans ces
conditions, le Pakistan soutient que, du fait de son objet, cette affaire est impropre à un règlement
judiciaire par la Cour.
8.97. Pour le Pakistan, les questions relatives au désarmement nucléaire que soulève la
requête des Iles Marshall ne peuvent être réglées que par la voie de négociations multilatérales
menées dans le cadre d’instances compétentes en matière de désarmement209. Compte tenu de la
complexité des questions géopolitiques internationales et du souci des Etats dotés d’armes
nucléaires d’assurer leur sécurité nationale, le Pakistan est d’avis que la Cour devrait déférer les
questions en litige aux instances multilatérales appropriées, car elles ne sauraient être résolues par
209 Voir mémoire, par. 34 (où il est fait mention d’«une question … qui a toujours fait partie de l’ordre du jour de
l’Organisation des Nations Unies depuis la création de celle-ci, à savoir l’abolition des armes nucléaires»).
60
- 68 -
la voie d’une décision rendue dans le cadre d’une procédure judiciaire entre deux Etats210. La
principale question en cause — à savoir la poursuite de bonne foi de négociations en vue d’adopter
des mesures efficaces pour parvenir à un désarmement nucléaire complet — fait entrer en ligne de
compte des facteurs à la fois nombreux et complexes dont la Cour, en l’absence de l’ensemble des
Etats dotés d’armes nucléaires et donc sans leur consentement, n’a ni la capacité ni le pouvoir de
connaître. En l’absence du consentement et de la participation de ces Etats dotés d’armes
nucléaires, la Cour ne saurait se prononcer sur les demandes formulées par le demandeur à l’égard
du Pakistan, ni prescrire en conséquence au Pakistan de prendre quelque mesure que ce soit pour
parvenir à un désarmement nucléaire total.
8.98. Puisqu’il existe des mécanismes politiques internationaux à même de connaître des
demandes de la République des Iles Marshall, la Cour n’est pas l’instance appropriée pour apporter
une solution à ces réclamations impliquant plusieurs Etats. Les questions soulevées par la présente
affaire touchent aux relations internationales et géopolitiques de nombreux Etats, le Pakistan
n’étant que l’un d’entre eux. En l’absence d’une décision collective prise simultanément par
l’ensemble des Etats dotés d’armes nucléaires, le respect des obligations de droit international
coutumier qui seraient «ancrées» dans l’article VI du TNP ou «consacrées» par celui-ci ne peut
aboutir au désarmement nucléaire. La Cour l’a reconnu dans l’avis consultatif qu’elle a rendu
en 1996, lorsqu’elle a affirmé que «toute recherche réaliste d’un désarmement général et complet,
en particulier nucléaire, nécessite la coopération de tous les Etats»211. Ces considérations
renforcent encore la position du Pakistan lorsqu’il affirme que la Cour n’est pas l’instance
appropriée pour connaître des questions que le demandeur lui demande de trancher dans un cadre
bilatéral.
SECTION 2
FAIRE DROIT AUX DEMANDES DES ILES MARSHALL À L’ENCONTRE DU PAKISTAN N’AURAIT,
EN L’ABSENCE DE VOLONTÉ DE NÉGOCIATION DES ETATS DOTÉS D’ARMES NUCLÉAIRES,
AUCUN EFFET JURIDIQUE CONCRET
8.99. L’efficacité d’un arrêt de la Cour ne dépend pas seulement du caractère contraignant
que confèrent à celui-ci les articles 94 de la Charte des Nations Unies et 59 du Statut de la Cour.
Un arrêt doit également pouvoir être exécuté par les parties de manière à ce qu’il remplisse son
objectif. Une décision sur une question de droit ne peut guider les parties quant au comportement
qu’elles doivent adopter que si elles ont une compréhension claire des mesures concrètes et
réalisables qui sont attendues d’elles du fait de cette décision. Dans la grande majorité des cas, ces
mesures sont évidentes et énoncées par l’arrêt lui-même, par exemple, la libération des personnes
détenues en otage (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran) ou le paiement
d’une certaine somme à titre de dommages-intérêts ou de réparation (Détroit de Corfou et
Ahmadou Sadio Diallo). Plus les circonstances sur lesquelles porte l’arrêt sont complexes et
incertaines, ou plus les intérêts en jeu ou les conséquences d’une erreur sont importants, plus la
possibilité d’échouer est grande, quelle que soit la bonne foi des parties.
210 Il est important de relever que, en rejetant les demandes présentées par la République des Iles Marshall contre
les Etats-Unis, le tribunal fédéral de district compétent, arguant de la nature multilatérale du TNP, a fait observer que
«[l]e traité ne cré[ait] pas d’obligation bilatérale entre les Etats-Unis et les Iles Marshall et [que] le tribunal ne saurait dès
lors faire respecter pareille obligation.» République des Iles Marshall c. Etats-Unis d’Amérique, U.S. Dist. LEXIS,
vol. 12785 (2015) (N.D. Cal. 2015), ordonnance, p. 9 (annexe 11).
211 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 264, par. 100.
61
- 69 -
8.100. La Cour a reconnu qu’il ne relevait pas de sa fonction judiciaire de donner aux parties
de tels conseils pratiques212. Ceux-ci sont toutefois essentiels à la maîtrise effective de situations
de conflit armé telles que celle qui était alléguée en l’affaire du Nicaragua213 ; il en va de même en
l’espèce.
8.101. Le prononcé que, par leur requête, les Iles Marshall cherchent à obtenir de la Cour
concerne et touche tous les Etats dotés d’armes nucléaires ; or, il convient de noter que ceux-ci
obéissent à des motivations qui leur sont propres et qui échappent au contrôle de tout Etat tiers.
Faire droit aux demandes de la République des Iles Marshall à l’encontre du Pakistan n’aurait (et
ne pourrait avoir) aucun effet sur les Etats dotés d’armes nucléaires qui ne participent pas à
l’instance mais dont la présence est nécessaire dans toute négociation visant à parvenir au
désarmement nucléaire. En présentant la question comme si elle se posait uniquement entre la
République des Iles Marshall et le Pakistan, le demandeur donne une impression tout à fait erronée
quant à la véritable nature du désarmement nucléaire ainsi que des mesures extraordinaires que
chacun des Etats dotés d’armes nucléaires aurait besoin de prendre pour satisfaire aux obligations
que le droit international coutumier lui imposerait et qui seraient «ancrées» dans l’article VI du
TNP et «consacrées» par celui-ci.
8.102. Comme le stipule l’article 59 du Statut, les arrêts de la Cour ne sont obligatoires que
pour les Etats parties à l’affaire portée devant celle-ci et pour le cas qui a été décidé. Les Etats
tiers, dont les intérêts pourraient être touchés par un arrêt rendu en l’espèce, ne seraient pas liés par
celui-ci. Dès lors, un prononcé de la Cour n’aurait aucun impact concret sur ceux des Etats dotés
d’armes nucléaires n’ayant pas participé à l’instance.
8.103. Le Pakistan estime que, en substance, l’affaire que le demandeur a portée devant la
Cour ne peut être réglée par la voie judiciaire. En principe, une affaire ne peut faire l’objet d’une
décision de la Cour que si la compétence de celle-ci est fondée en droit et que l’affaire peut être
tranchée au fond conformément au droit. Une affaire ne saurait faire l’objet d’un règlement
judiciaire si, pour une raison ou une autre, elle ne peut être tranchée conformément au droit. Si la
frontière séparant les affaires susceptibles d’un règlement judiciaire de celles qui ne le sont pas
peut être difficile à tracer, il est néanmoins admis qu’elle doit l’être214.
8.104. La présente affaire ne peut faire l’objet d’un règlement judiciaire. En effet, les
demandes formulées par les Iles Marshall dans leur requête nécessiteraient la participation de tous
les Etats concernés par les questions soulevées dans la requête. En l’absence des autres Etats
réputés être en possession d’armes nucléaires, la Cour n’est pas en mesure de procéder aux
constatations de fait qu’appelleraient les demandes formulées par les Iles Marshall ; dans ces
conditions, elle ne saurait réellement contribuer à la résolution des questions qui sont au cœur de
l’affaire.
8.105. Pour que la Cour remplisse correctement sa fonction judiciaire, il est essentiel que ses
arrêts servent de véritables objectifs et soient susceptibles d’avoir un effet juridique concret.
212 Affaire Haya de la Torre (Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 83.
213 Voir Derek Bowett, United Nations Forces: A Legal Study of United Nations Practice (1964) pour un exposé
exhaustif de la multitude de facteurs entrant en jeu.
214 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 168 (opinion individuelle de M. le juge Lachs) et p. 240 (opinion dissidente de M. le
juge Oda).
- 70 -
Rendre des décisions «dépourvues d’objet ou de but»215 ne relève pas de la fonction judiciaire. En
se prononçant en l’espèce, la Cour outrepasserait sa fonction, puisque sa décision ne pourrait
apporter de solution aux questions pouvant être considérées comme étant au cœur de l’affaire. Elle
exercerait en vain sa compétence contentieuse en l’espèce. Or la Cour a par le passé indiqué
qu’elle refuserait «de laisser se poursuivre une procédure qu’elle sait condamnée à rester stérile»216.
8.106. Dans la présente affaire, faire droit à la demande en jugement déclaratoire ou en
prescription présentée par les Iles Marshall reviendrait en fait à imposer au Pakistan de respecter
l’article VI du TNP alors que celui-ci n’est pas partie à cet instrument. Toutefois, comme cela a été
exposé ci-dessus, pareil remède n’aurait aucun effet pratique : il ne lierait pas les autres Etats
réputés être en possession d’armes nucléaires, pas plus qu’il n’améliorerait la situation de la
population des Iles Marshall ou de la communauté internationale dans son ensemble.
8.107. Il ressort de l’examen du remède sollicité par la République des Iles Marshall dans la
présente affaire que celui-ci serait dépourvu d’objet concret et tendrait à favoriser la discorde
internationale en matière de désarmement nucléaire plutôt qu’à l’apaiser. Dans l’affaire des
Essais nucléaires, la Cour a déclaré que, «[s]i le règlement judiciaire peut ouvrir la voie de
l’harmonie internationale lorsqu’il existe un conflit, il n’est pas moins vrai que la vaine poursuite
d’un procès compromet cette harmonie»217. Le respect des obligations que le demandeur cherche à
faire observer passe nécessairement par la participation et la coopération consensuelles de tous les
Etats concernés.
8.108. Ainsi qu’il a été précisé ci-dessus, quand bien même la Cour trancherait en sa faveur,
la République des Iles Marshall ne pourrait obtenir le résultat escompté. Il ne pourrait en aller
autrement que si tous les Etats dotés d’armes nucléaires étaient partie à la présente instance et
consentaient à entamer des négociations avec le Pakistan.
8.109. En l’absence de tous ces Etats, la Cour ne peut tout simplement pas rendre à
l’encontre du Pakistan une décision qui règlerait la question du désarmement nucléaire ou
contribuerait à la régler, pas plus qu’il ne serait raisonnable qu’elle oblige le Pakistan, qui n’est pas
partie au TNP, à s’acquitter des obligations de droit international coutumier qui seraient «ancrées»
dans l’article VI de cet instrument ou «consacrées» par celui-ci sans que les autres Etats dotés
d’armes nucléaires ne se joignent à lui pour parvenir au même résultat. Pour cette seule raison, il
serait contraire à la bonne administration de la justice que la Cour statue sur la demande des
Iles Marshall.
8.110. Afin d’être à même d’exercer un effet contraignant sur les Etats qu’ils visent ou
concernent les arrêts de la Cour doivent être susceptibles d’application juridique effective. Comme
l’a déclaré le juge Fitzmaurice en l’affaire du Cameroun septentrional,
«[i]l va de soi qu’une décision de la Cour, même si elle n’est pas susceptible
d’application juridique effective, pourrait être employée à d’autres usages. Elle
pourrait fournir une satisfaction morale. Elle pourrait servir à assurer à l’opinion
publique de l’une ou l’autre des parties que quelque chose a été fait ou du moins tenté.
Elle pourrait être employée aussi à des fins politiques. Mais est-ce là le genre
215 Voir Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 37 ; Cameroun septentrional (Cameroun
c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 38.
216 Essais nucléaires (Australie c. France) (Nouvelle-Zélande c. France), arrêts, C.I.J. Recueil 1974, p. 271.
217 Ibid.
62
- 71 -
d’objectif qu’un arrêt de la Cour doit avoir ? La réponse doit être négative, il me
semble, si ce sont là les seules fins que l’arrêt puisse servir et si, par suite, l’arrêt
n’avait et ne pouvait avoir aucun domaine d’application juridique.»218
8.111. Une situation analogue s’est présentée en l’affaire des Zones franches de la
Haute-Savoie et du Pays de Gex, dans laquelle la Cour permanente de Justice internationale a
refusé de trancher la question des exemptions douanières au motif qu’aucun arrêt rendu à ce sujet
n’aurait pu prendre effet sans l’approbation ultérieure des parties à l’instance. En conséquence, la
Cour a déclaré :
«Après un examen très approfondi, la Cour maintient son opinion : pour elle, il
serait incompatible avec son Statut et avec sa position en tant que Cour de justice de
rendre un arrêt dont la validité serait subordonnée à l’approbation ultérieure des
Parties.»219
8.112. En l’espèce, un arrêt rendu contre le Pakistan devrait, pour prendre totalement effet,
être ultérieurement approuvé par les autres Etats réputés être en possession d’armes nucléaires mais
qui ne participent pas à la présente instance et ne sont pas d’une autre manière représentés devant la
Cour.
8.113. Dans l’intérêt de la bonne administration de la justice, la Cour devrait donc refuser de
se prononcer sur la présente affaire au motif que, si le Pakistan devait appliquer un arrêt rendu en
sa défaveur, il serait contraint d’exécuter des obligations énoncées dans le TNP nonobstant le fait
que i) il a, dans l’exercice de sa souveraineté, décidé de ne pas signer et ratifier cet instrument et
ii) quand bien même il consentirait à appliquer volontairement l’article VI du TNP ou à se
conformer à la prescription spécifique réclamée par la République des Iles Marshall, les Etats dotés
d’armes nucléaires ne s’associeraient probablement pas à lui.
SECTION 3
LES DIFFÉRENDS TOUCHANT À LA DÉFENSE ET À LA SÉCURITÉ NATIONALES
NE SAURAIENT PAR NATURE FAIRE L’OBJET D’UN RÈGLEMENT JUDICIAIRE
8.114. Comme cela est exposé dans la septième partie ci-dessus, dans les affaires des Essais
nucléaires, les juges de Castro, Forster et Gros ont estimé que la notion de défense nationale (qui
engloberait les essais nucléaires) devait être interprétée de façon large.
8.115. Les demandes formulées par la République des Iles Marshall touchent directement à
la souveraineté du Pakistan et équivalent à une ingérence dans les affaires internes de celui-ci,
lesquelles relèvent de sa seule compétence.
8.116. Le programme nucléaire du Pakistan étant pour celui-ci une question de défense et de
sécurité nationales, les demandes formulées par les Iles Marshall sur ce point ne sauraient faire
l’objet d’un règlement judiciaire en ce qu’elles contreviennent à la Charte des Nations Unies. Ainsi
que cela a été exposé ci-dessus, celle-ci dispose en effet :
218 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 107 (opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice).
219 Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, arrêt, 1932, C.P.J.I série A/B n° 46, p. 161.
63
- 72 -
«[a]ucune disposition de la présente Charte n’autorise les Nations Unies à intervenir
dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat ni
n’oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de
règlement aux termes de la présente Charte» (les italiques sont de nous).
Dès lors, les demandes des Iles Marshall ne sont pas recevables.
SECTION 4
UN ARRÊT EN FAVEUR DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL PRIVERAIT
LE PAKISTAN DE LA CAPACITÉ DE PROTÉGER LES DROITS SOUVERAINS
QU’IL A DE LONGUE DATE FAIT VALOIR
8.117. Faire droit aux demandes des Iles Marshall aurait une incidence directe sur le pouvoir
du Pakistan de conclure et d’exécuter des traités, ainsi que sur sa capacité à mener sa politique
étrangère et à prendre des décisions en matière de défense et de sécurité nationales.
8.118. Faire droit aux demandes des Iles Marshall priverait le Pakistan de la capacité à
protéger ses droits souverains et d’en jouir, mais aussi de préserver sa sécurité nationale. A cet
égard, le caractère artificiel de l’argumentation avancée par le demandeur contre le Pakistan est
patent. Si les demandes formulées par la République des Iles Marshall étaient accueillies, le
Pakistan perdrait de fait sa capacité de prendre souverainement des décisions en matière de
conclusion de traités et de sécurité nationale. Pareil résultat irait à l’encontre des déclarations faites
par la Cour dans son avis consultatif de 1996 en ce qui concerne la situation dans laquelle la survie
même d’un Etat est en cause220.
CHAPITRE 6
LA COUR AYANT CONCLU QUE LA BONNE FOI N’ÉTAIT PAS EN SOI UNE SOURCE
D’OBLIGATION, ELLE NE PEUT FAIRE DROIT AUX DEMANDES
DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL
8.119. La décision sollicitée par la République des Iles Marshall repose sur le manquement
allégué du Pakistan à une obligation de bonne foi qui lui incomberait envers cet Etat. Dans la
section «Remèdes sollicités» de la requête, le demandeur se réfère en effet au principe de la
bonne foi comme si celui-ci constituait en soi une source d’obligation dont l’inobservation pourrait
donner lieu à un jugement déclaratoire et à une prescription spécifique.
8.120. La Cour a conclu que «le principe de la bonne foi ... n’[était] pas en soi une source
d’obligation quand il n’en existerait pas autrement»221. En dépit de ce dictum sans équivoque, la
République des Iles Marshall, tant dans sa requête que dans son mémoire, se prévaut de ce
principe, qu’elle dépeint comme une source indépendante d’obligation dont le non-respect, par le
Pakistan, justifierait une prescription spécifique. Dans son mémoire222, elle précise ainsi que,
220 Voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 266,
par. 105 2) E).
221 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 105, par. 94.
222 Mémoire, par. 31.
64
- 73 -
«[p]our l’essentiel, [elle] considère que tout Etat a qualité pour obtenir l’exécution, de
la part de l’ensemble des autres Etats (et tout particulièrement de ceux, comme le
Pakistan, qui possèdent des armes nucléaires), de l’obligation découlant du droit
international coutumier «de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des
négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un
contrôle international strict et efficace»», et que «l’obligation coutumière de procéder
à des négociations est une obligation erga omnes».
8.121. A cet égard, il est relevé, dans la dernière édition de l’ouvrage Oppenheim’s
International Law, que
«la CIJ a insisté sur le fait que le principe de la bonne foi était l’un des principes de
base présidant à la création et à l’exécution d’obligations juridiques, mais qu’il n’était
pas en soi une source d’obligation quand il n’en existerait pas autrement (affaire
relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières, C.I.J. Recueil 1988,
p. 105). Il conviendrait donc sans doute de dire que le principe de la bonne foi «n’est
pas en soi une source d’obligation quand il n’en existerait pas autrement».»223
8.122. A l’appui de ses demandes fondées sur la bonne foi, la République des Iles Marshall
invoque le paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies224. Le Pakistan a toutefois
assorti sa déclaration d’une réserve relative aux traités multilatéraux qui le protège contre les
demandes formulées au titre d’un instrument tel que la Charte.
8.123. En tout état de cause, la Cour serait contrainte, si elle devait appliquer le principe de
la bonne foi aux négociations menées par le Pakistan en matière de désarmement, à se prononcer
sur nombre de questions d’ordre politique au sens large, qu’il s’agisse de définir la notion de
«poursuite [entre Etats souverains] de négociations» multilatérales sur le désarmement, ou celle
d’efforts déployés de bonne foi en vue de conclure une «convention relative à un désarmement
nucléaire dans tous ses aspects», ou encore d’identifier les positions politiques ou les stratégies de
négociation susceptibles de démontrer que le défendeur fait preuve de mauvaise foi.
8.124. Pour déterminer si le Pakistan manque actuellement à son obligation de bonne foi, la
Cour aurait à s’interroger sur le bien-fondé des stratégies adoptées et des choix effectués s’agissant
des négociations à long terme, dont les résultats pourraient ne se manifester que dans un avenir plus
ou moins lointain. Or, un prononcé judiciaire sur des questions aussi sensibles pourrait avoir des
conséquences inattendues sur toute négociation en cours ou à venir.
8.125. La requête est, pour les raisons qui viennent d’être exposées, irrecevable.
223 Robert Jennings et Arthur Watts, Oppenheim’s International Law (9e
édition, Harlow, 1992), vol. 1, p. 38.
224 Voir la requête, par. 46.
- 74 -
PARTIE 9
L’EXAMEN DES DEMANDES DE LA RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL
POURRAIT COMPROMETTRE LA BONNE ADMINISTRATION DE
LA JUSTICE ET L’INTÉGRITÉ DE LA FONCTION JUDICIAIRE
9.1. Même si la Cour concluait, contrairement à ce qu’affirme le Pakistan, qu’elle a
compétence pour connaître des demandes de la République des Iles Marshall et que la requête est
recevable, il n’en demeurerait pas moins, comme sa jurisprudence le fait clairement apparaître,
qu’il est des circonstances dans lesquelles elle doit se refuser à exercer sa compétence, faute de
quoi la bonne administration de la justice et l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour s’en
trouveraient compromises.
9.2. Dans l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour a ainsi observé ce qui suit :
«C’est par l’acte du demandeur que la Cour est saisie, mais, même si, une fois
saisie, elle estime avoir compétence, la Cour n’est pas toujours contrainte d’exercer
cette compétence. Il y a des limitations inhérentes à l’exercice de la fonction
judiciaire dont la Cour, en tant que tribunal, doit toujours tenir compte. Il peut ainsi y
avoir incompatibilité entre, d’un côté, les désirs d’un demandeur ou même des deux
parties à une instance et, de l’autre, le devoir de la Cour de conserver son caractère
judiciaire. C’est à la Cour elle-même et non pas aux parties qu’il appartient de veiller
à l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour.»225 (Les italiques sont de nous.)
9.3. Les principes généraux de l’administration de la justice exigent que, afin de pouvoir
faire l’objet d’un prononcé judiciaire, toute allégation formulée par un demandeur soit
suffisamment fondée pour satisfaire à un seuil minimal. C’est donc à la partie cherchant à établir
un fait qu’il revient d’en apporter la preuve. Ainsi que l’a relevé un auteur, «la partie à laquelle
incombe la charge de la preuve doit non seulement produire des éléments attestant ses allégations,
mais aussi convaincre le tribunal que ceux-ci sont solides, sous peine de voir ses allégations
rejetées faute de preuve ou de preuves suffisantes»226.
9.4. C’est donc à titre préliminaire que la Cour doit rechercher et décider si la requête de la
République des Iles Marshall présente les aspects factuels de l’espèce et ses demandes d’une
manière suffisamment détaillée pour que le Pakistan puisse appréhender les allégations formulées
et y répondre.
9.5. Le Règlement de la Cour dispose en effet que
1) le demandeur est tenu d’indiquer et d’exposer «la nature précise de [s]a demande»
(paragraphe 2 de l’article 38) ; et que,
2) dans son mémoire, le demandeur doit exposer ses allégations de manière suffisamment détaillée
pour permettre au défendeur de comprendre la ou les demandes formulées et de répondre à ces
allégations dans son contre-mémoire (paragraphe 1 de l’article 49).
225 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963,
p. 29.
226 Bin Cheng, General Principles of Law as Applied by International Courts and Tribunals (Cambridge,
Grotius Publications, 1987), p. 329-331.
65
- 75 -
9.6. En outre, conformément à l’ordonnance du 10 juillet 2014 que le président a rendue en
l’affaire, «il échet à la Cour d’être informée de tous les moyens de fait et de droit sur lesquels les
Parties se fondent en ce qui concerne sa compétence et la recevabilité de la requête»227.
9.7. Il convient de noter que
1) la République des Iles Marshall n’a mentionné à aucun moment, que ce soit dans sa requête ou
par le passé, un quelconque manquement dont elle ferait grief au Pakistan, pas davantage qu’un
préjudice que celui-ci lui aurait causé ou serait sur le point de lui causer ; et que
2) la thèse de la République des Iles Marshall relative aux prétendues obligations de droit
international coutumier «ancré[e]s» dans l’article VI du TNP et «consacrées» par celui-ci n’a
pas été démontrée ; ne sont invoquées à l’appui de cette thèse que des obligations découlant
d’un traité auquel le Pakistan n’est pas partie ainsi que d’autres sources non contraignantes.
9.8. La Cour doit donc déterminer si la thèse avancée par la République des Iles Marshall, en
l’absence de tout argument ou élément de preuve à l’appui des demandes formulées par celle-ci
dans sa requête, est susceptible d’étayer les allégations portées contre le Pakistan. Le Pakistan
affirme que tel n’est pas le cas. En conséquence de quoi les demandes formulées par la République
des Iles Marshall ne satisfont pas au critère le plus élémentaire qui leur permettrait de faire l’objet
d’un prononcé judiciaire et sont, partant, irrecevables.
227 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Pakistan), ordonnance du 10 juillet 2014, C.I.J. Recueil 2014, p. 472.
66
PARTIE 10
CONCLUSIONS
10.1. Le Gouvernement de la République islamique du Pakistan prie la Cour de dire et juger,
par les motifs qui précèdent, tant séparés que conjoints, que les demandes formulées dans la
requête de la République des Iles Marshall du 24 avril 2014 : 1) ne relèvent pas de la compétence
de la Cour ; 2) sont irrecevables.
Le 1er décembre 2015.
Le coagent de la République islamique du Pakistan
près la Cour internationale de Justice,
(Signé) Moazzam Ahmad KHAN.
14001
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS RELATIVES À DES NÉGOCIATIONS CONCERNANT LA CESSATION
DE LA COURSE AUX ARMES NUCLÉAIRES ET LE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE
(ÎLES MARSHALL c. PAKISTAN)
CONTRE-MÉMOIRE DU PAKISTAN
(COMPÉTENCE ET RECEVABILITÉ)
Annexes 1 à 16
1ER DÉCEMBRE 2015
[Traduction du Greffe]
LISTE DES ANNEXES
Page
Annexe 1 Déclaration de S. Exc. M. Muhammad Nawaz Sharif, premier ministre de la
République islamique du Pakistan, à l’occasion de la réunion de haut niveau
de l’Assemblée générale sur le désarmement nucléaire, New York
(26 septembre 2013) 1
Annexe 2 Résultat des votes de la résolution 57/85 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2002) [annexe non traduite] 3
Annexe 3 Résultat des votes de la résolution 58/46 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2003) [annexe non traduite] 3
Annexe 4 Résultat des votes de la résolution 60/76 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2005) [annexe non traduite] 3
Annexe 5 Résultat des votes de la résolution 61/83 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2006) [annexe non traduite] 3
Annexe 6 Résultat des votes de la résolution 62/39 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2007) [annexe non traduite] 4
Annexe 7 Résultat des votes de la résolution 64/55 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2009) [annexe non traduite] 4
Annexe 8 Résultat des votes de la résolution 65/76 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2010) [annexe non traduite] 4
Annexe 9 Résultat des votes de la résolution 66/46 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2011) [annexe non traduite] 4
- ii -
Annexe 10 Résultat des votes de la résolution 67/33 de l’Assemblée générale des
Nations Unies intitulée «Suite donnée à l’avis consultatif de la Cour
internationale de Justice sur la licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires» (2012) [annexe non traduite] 5
Annexe 11 République des Iles Marshall c. Etats-Unis d’Amérique, 2015 U.S. Dist.
LEXIS 12785 (N.D. Cal. 2015), ordonnance faisant droit à la demande de
rejet 6
Annexe 12 République des Iles Marshall c. Etats-Unis d’Amérique, 2015 U.S. Dist.
LEXIS 12785 (N.D. Cal. 2015), mémoire des défendeurs-intimés [annexe
non traduite] 11
Annexe 13 Article 245 de la Constitution du Pakistan [extraits] 12
Annexe 14 Rapport des directeurs exécutifs sur la convention sur le règlement des
différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres
Etats, 18 mars 1965 (adoptée le 10 septembre 1964 par la résolution no
214
du Conseil des gouverneurs de la banque internationale pour la
reconstruction et le développement), CIRDI, vol. 1 (1993), rapport 23
[extraits] 13
Annexe 15 C. Schreuer, «What is a Legal Dispute?», in I. Buffard et al. (sous la dir.
de), International Law between Universalism and Fragmentation,
Festschrift in Honour of Gerhard Hafner (Leiden/Boston: Martinus Nijhoff
Publishers, 2008) [extraits] 14
Annexe 16 Maffezini c. Espagne, décision concernant la compétence, 25 janvier 2000,
ILM, vol. 40, p. 1129 [extraits] 15
___________
ANNEXE 1
DÉCLARATION DE S. EXC. M. MUHAMMAD NAWAZ SHARIF, PREMIER MINISTRE DE LA
RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DU PAKISTAN, À L’OCCASION DE LA RÉUNION DE HAUT
NIVEAU DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE SUR LE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE,
NEW YORK (26 SEPTEMBRE 2013)
Monsieur le président,
Monsieur le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d’abord à remercier le Mouvement des non-alignés d’avoir pris l’initiative
d’organiser cette réunion extraordinaire. Le Pakistan s’associe à la déclaration faite au nom de ce
Mouvement par le président de la République islamique d’Iran, S. Exc. M. Hassan Rohani. A
l’heure actuelle, les efforts déployés de par le monde pour réguler, réduire et prévenir la
prolifération des armes, notamment nucléaires, se heurtent à de graves obstacles. Il y a
trente-cinq ans, cette auguste assemblée était parvenue à un consensus sur le mandat et le dispositif
nécessaires pour avancer dans le domaine du désarmement. Or ce consensus s’est hélas érodé au
fil du temps, et les objectifs fixés sont devenus de plus en plus difficiles à atteindre. Cette réunion
tombe donc à point nommé pour nous amener à chercher un terrain d’entente. Elle nous donne
l’occasion unique de donner un nouvel élan à notre engagement collectif et de retrouver un
consensus sur le désarmement et la non-prolifération.
Monsieur le président, le Pakistan est attaché à l’objectif d’un désarmement général et
complet, qui soit mondial, applicable à tous sans discrimination et vérifiable. Notre conception du
désarmement nucléaire est déterminée par les principes directeurs énoncés lors de la première
session extraordinaire de l’Assemblée générale consacrée à ce sujet, qui a affirmé le droit de
chaque Etat à la sécurité et à la sécurité non diminuée au plus bas niveau d’armement et de forces
armées. Cela signifie la sécurité pour tous et non pour quelques privilégiés. C’est en 1998, au
cours de mon deuxième mandat de premier ministre, que le Pakistan a entrepris de mener des essais
nucléaires. Je puis vous assurer que cette décision a été mûrement réfléchie ; elle nous a été dictée
par les faits nouveaux qui se produisaient dans notre voisinage. Il s’agissait d’un choix existentiel
en faveur de la stabilité stratégique de notre région. Notre politique nucléaire est guidée par les
principes de modération et de responsabilité. Nous ne voulons pas de course aux armements en
Asie du Sud, car les conséquences d’un conflit nucléaire seraient terribles. Le Pakistan s’en tiendra
comme toujours à sa politique de dissuasion minimale crédible, sans s’engager dans une course aux
armements. Dans le même temps, nous sommes bien conscients de la dynamique en matière de
sécurité et poursuivrons notre politique de dissuasion afin de renforcer la stabilité stratégique en
Asie du Sud. Au début du mois, j’ai présidé une réunion de notre Autorité nationale de
commandement, au cours de laquelle nous avons réaffirmé notre position stratégique constructive.
Malheureusement, des stratégies nucléaires qui ont été dictées, dans un passé récent, par des
raisons politiques et l’appât du gain modifient l’équilibre stratégique dans notre région. Je saisis
cette occasion pour appeler la communauté internationale à mettre fin à la discrimination dans le
domaine nucléaire, qui a de graves incidences sur la sécurité nationale du Pakistan et, de fait, sur le
régime mondial de non-prolifération. S’agissant de la proposition de traité sur les matières fissiles,
notre position est déterminée par la sécurité nationale et l’équilibre stratégique en Asie du Sud.
Nous plaidons en faveur d’un régime global de retenue stratégique, qui impose la retenue nucléaire
et l’équilibre des forces conventionnelles et s’accompagne d’un mécanisme de règlement des
conflits. Acteur majeur des efforts de non-prolifération à l’échelle mondiale, le Pakistan a participé
de manière constructive à l’initiative louable du Sommet sur la sécurité nucléaire. Je demande
- 2 -
l’intégration de mon pays dans tous les régimes de contrôle des exportations, y compris dans le
Groupe des fournisseurs nucléaires. En tant que Premier ministre, je pense que le déficit
énergétique est l’une des crises les plus graves que le Pakistan ait connues. Nous avons besoin
d’énergie provenant de toutes les sources aussi bien conventionnelles qu’alternatives. Le
Pakistan remplit les conditions requises pour avoir pleinement accès à la technologie nucléaire
civile à des fins pacifiques. Nous disposons des compétences, de la main-d’œuvre et des
infrastructures nécessaires pour produire de l’énergie nucléaire civile. Alors que nous relançons
notre économie nationale, nous comptons sur l’aide et la coopération de la communauté
internationale en matière d’énergie nucléaire, dans le cadre des garanties de l’AIEA.
Monsieur le président, les pressions qui pèsent sur le régime mondial de non-prolifération se
sont accrues ces dernières années. La poursuite de politiques fondées sur la discrimination et sur
un système de «deux poids, deux mesures» a porté atteinte à l’intégrité des traités et des normes en
matière de non-prolifération. Il y a donc lieu de redynamiser et de renforcer le mécanisme
multilatéral de désarmement. Or, pour ce faire, nous avons besoin d’une volonté politique
collective. Nous devons en effet forger un nouveau consensus sur le désarmement et la nonprolifération
nucléaires, qui soit fondé sur l’équité, l’équilibre, la modération et la coopération entre
Etats. J’invite donc l’Assemblée générale à convoquer une session extraordinaire en vue de
susciter un nouveau consensus sur le désarmement, la non-prolifération et la promotion de la
coopération dans le domaine de l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Le
Pakistan est disposé à apporter sa contribution pour favoriser un tel consensus à l’échelle
internationale.
Je vous remercie, Monsieur le président.
___________
- 3 -
ANNEXE 2
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 57/85 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU DE
L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2002)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
ANNEXE 3
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 58/46 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2003)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
ANNEXE 4
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 60/76 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2005)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
ANNEXE 5
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 61/83 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2006)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
- 4 -
ANNEXE 6
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 62/39 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2007)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
ANNEXE 7
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 64/55 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2009)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
ANNEXE 8
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 65/76 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2010)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
ANNEXE 9
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 66/46 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2011)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
- 5 -
ANNEXE 10
RÉSULTAT DES VOTES DE LA RÉSOLUTION 67/33 DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES
NATIONS UNIES INTITULÉE «SUITE DONNÉE À L’AVIS CONSULTATIF DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE SUR LA LICÉITÉ DE LA MENACE OU
DE L’EMPLOI D’ARMES NUCLÉAIRES» (2012)
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
- 6 -
ANNEXE 11
RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL C. ETATS-UNIS D’AMÉRIQUE
2015 U.S. DIST. LEXIS 12785
N.D. CAL. 2015
ORDONNANCE FAISANT DROIT À LA DEMANDE DE REJET
Cour de district des Etats-Unis d’Amérique
District nord de la Californie
REPUBLIQUE DES ILES MARSHALL,
demandeur,
c.
LES ETATS-UNIS D’AMERIQUE ET AL.,
défendeurs.
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N° C 14-01885 JSW
ORDONNANCE FAISANT DROIT A
LA DEMANDE DE REJET
La République des Iles Marshall (ci-après le «demandeur») a intenté une action pour
violation du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (ci-après le «traité») contre les
Etats-Unis d’Amérique (ci-après les «Etats-Unis»), le président, le ministère de la défense et son
secrétaire, le ministère de l’énergie et son secrétaire, ainsi que la National Nuclear Security
Administration (ci-après désignés collectivement les «défendeurs»). Le demandeur affirme que les
défendeurs manquent à l’obligation que leur impose le traité de poursuivre de bonne foi des
négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements
nucléaires. Les défendeurs invoquent plusieurs moyens distincts pour conclure au rejet de l’action.
La Cour FAIT DROIT A la demande de rejet présentée par les défendeurs.
Contexte
Le demandeur allègue que les Etats-Unis ont manqué à l’obligation que leur impose
l’article VI du traité en ne poursuivant pas de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces
relatives au désarmement nucléaire.
L’article VI du traité est ainsi libellé :
«Chacune des Parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des
négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux
armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un
traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et
efficace.»
Selon le rapport accompagnant la résolution dans laquelle le Sénat a donné son avis et son
consentement en ce qui concerne la ratification du traité, celui-ci a pour «objectif fondamental de
mettre un frein à la propagation des armes nucléaires en interdisant aux Etats parties ... qui sont
dotés de telles armes d’en transférer à d’autres Etats, et en interdisant aux Etats qui en sont
dépourvus d’en recevoir, d’en fabriquer ou d’en acquérir de quelque autre manière»
(S. Ex. Rep. 91-1, 1 (1969)).
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Le demandeur allègue que les défendeurs ont manqué aux obligations que leur impose
l’article VI du traité et a introduit la présente action en vue d’obtenir 1) un jugement déclaratoire
fondé sur le Code des Etats-Unis, titre 28, article 2201, concernant a) l’interprétation du traité et
b) la question de savoir s’il a été violé par les Etats-Unis ; et 2) une injonction prescrivant aux
Etats-Unis de prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux obligations qui leur
incombent au titre de l’article VI du traité dans un délai d’un an à compter de la date du jugement
en la présente affaire, «y compris en appelant à la tenue ou en procédant à l’organisation de
négociations tendant au désarmement nucléaire sous tous ses aspects» (citation complète au
par. 23).
Les défendeurs invoquent plusieurs moyens pour conclure au rejet de la demande dans son
intégralité. D’une part, ils affirment que le demandeur n’a pas qualité pour faire valoir ses
prétentions. D’autre part, ils allèguent que le principe de la question politique fait obstacle à la
demande tendant à ce que la Cour ordonne la tenue de négociations internationales sur le
désarmement nucléaire. Ils soutiennent en outre que le traité ne confère pas le droit d’intenter une
action civile devant la juridiction fédérale, que la demande ne relève pas du ressort territorial de la
Cour et qu’elle est irrecevable pour cause de forclusion.
La Cour examinera également d’autres faits dans la suite de la présente ordonnance.
Analyse
Les défendeurs invoquent, pour conclure au rejet de la demande, plusieurs moyens distincts
que la Cour abordera successivement ci-après.
A. Qualité pour agir
Les défendeurs sollicitent le rejet de la demande au motif que le demandeur n’a pas qualité
pour agir au regard de l’article III de la Constitution des Etats-Unis, conclusion que la Cour
examinera au titre de l’article 12 b) 1) des Règles fédérales de procédure civile (voir White v. Lee,
227 F.3d 1214, 1242 (9th Cir. 2000)). La demande de rejet pour défaut de compétence ratione
materiae présentée en vertu de cette disposition peut être «de principe ou propre aux faits» (Safe
Air for Everyone v. Meyer, 373 F.3d 1035, 1039 (9th Cir. 2004)). En l’espèce, les défendeurs
contestent de principe la qualité pour agir du demandeur, de sorte que la Cour doit «tenir pour
établies l’ensemble des allégations de fait exposées dans la demande et interpréter celle-ci» en
faveur du demandeur (voir Chandler v. State Farm Mut. Auto Ins. Co., 598 F.3d 1115, 1121-22
(9th Cir. 2010) ; voir également Lujan v. Defenders of Wildlife, 504 U.S. 555, 561 (1992) : «Au
stade de la procédure écrite, des allégations factuelles générales de préjudice résultant des
agissements du défendeur peuvent être suffisantes puisque, dans le cadre de l’examen d’une
demande de rejet, les faits spécifiques sur lesquels elles reposent sont présumés avérés» (renvois
internes et citations omis)).
Le principe de la séparation constitutionnelle des pouvoirs, consacré à l’article III de la
Constitution, exige du demandeur qu’il formule une demande à l’égard de laquelle il a qualité pour
ester devant la juridiction fédérale. Selon la tradition, pour satisfaire aux exigences
constitutionnelles en la matière, le demandeur doit ainsi démontrer 1) qu’il a subi un «préjudice
réel», c’est-à-dire un préjudice qui soit a) concret et défini, et b) effectif ou imminent, par
opposition à un préjudice conjectural ou hypothétique ; 2) que ce préjudice semble raisonnablement
imputable à l’action incriminée du défendeur ; et 3) qu’il y sera vraisemblablement, et non pas
hypothétiquement, remédié par une décision favorable (affaire Lujan, 504 U.S., 560-61 ; voir
également Clapper v. Amnesty International, 133 S. Ct. 1138, 1147 (2013) : «[N]ous avons répété
à maintes reprises que le préjudice appréhendé devait être d’une imminence certaine pour pouvoir
être considéré comme un préjudice réel et que les allégations de préjudice éventuel étaient
insuffisantes» (citations, renvois internes et parenthèses omis ; les italiques sont dans l’original)).
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En l’espèce, le demandeur invoque deux chefs de préjudice afin d’établir sa qualité pour
agir. Premièrement, il affirme que le comportement des défendeurs l’«expose ... aux dangers que
présentent les arsenaux nucléaires existants et au risque bien réel que d’autres Etats mettent au
point des armes nucléaires» (citation complète au par. 92). Une telle crainte généralisée et
théorique face à l’utilisation éventuelle d’armes nucléaires ne constitue pas pour le plaignant le
dommage concret qui permettrait d’établir l’existence d’un préjudice (voir Pauling v. McElroy, 278
F.2d 252, 254 (D.C. Cir. 1960) : dans cette affaire, les demandeurs n’avaient pas qualité pour
chercher à faire interdire les essais nucléaires, le préjudice allégué étant partagé avec «l’ensemble
de l’humanité» et «avec les êtres humains de manière générale» ; voir également Johnson
v. Weinberger, 851 F.2d 233, 235 (9th Cir. 1988)).
Le demandeur affirme avoir subi un autre préjudice en ce qu’il a été privé de sa part des
avantages devant découler de l’accord prévu par le traité (citation complète au par. 92). Il fait
valoir que, en tant qu’Etat signataire de ce dernier, il a qualité pour chercher à en faire respecter les
dispositions (voir Jamaica v. United States, 770 F. Sup. 627, 630 n.6 (M.D. Fla. 1991) : «En tant
que partie contractante au traité, la Jamaïque a qualité pour dénoncer la violation de celui-ci»). Il
soutient avoir qualité pour poursuivre en justice la violation du traité et affirme que le préjudice
qu’il a subi se trouverait réparé si les Etats-Unis se conformaient aux obligations qu’ils ont
contractées. Il allègue que le traité institue des droits et des obligations, et que le manquement à
celles-ci emporte violation des droits individuels qu’il énonce en faveur de ses signataires (voir
Zivotofsky ex rel. Ari Z. v. Sec’y of State, 444 F3d. 614, 617 (D.C. Cir. 2006) : «Le Congrès est
habilité à légiférer pour créer un droit dont la privation peut conférer qualité pour ester en justice,
même lorsque, en l’absence de la loi établissant ce droit, le préjudice subi par le demandeur serait
inconnu en droit.»).
Même à supposer que l’inexécution d’un contrat confère qualité pour agir aux parties à
celui-ci et qu’il convienne de considérer les accords internationaux comme des contrats, le
demandeur ne tient pas compte du fait que la Cour ne peut accorder ni l’exécution spécifique ni la
réparation du préjudice allégué (voir notamment Canadian Lumber Trade Alliance v. United
States, 30 C.I.T. 391, 418- 420 (Ct. Int’l Trade 2006)). Quand bien même la Cour serait habilitée à
ordonner aux défendeurs d’exécuter les obligations en cause, la réparation demandée ne pourrait
être octroyée au demandeur (voir notamment l’affaire Gonzales v. Gorsuch, 688 F.2d 1263, 1267
(9th Cir. 1982) : le demandeur n’a pas qualité pour agir si la décision qu’il sollicite n’est pas
susceptible de remédier au préjudice allégué). La Cour estime que la réparation demandée — à
savoir que les Etats-Unis mènent de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives
au désarmement nucléaire — est insuffisante pour établir la qualité pour agir, car elle ne peut
donner lieu au prononcé d’une ordonnance susceptible d’exécution (voir ibid., citant l’affaire
Greater Tampa Chamber of Commerce v. Goldschmidt, 627 F.2d 258, 263-64 (D.C. Cir. 1980) :
l’annulation d’un accord intergouvernemental ne saurait remédier au préjudice, l’intervention d’un
souverain étranger étant nécessaire à cette fin). En l’espèce, la mesure sollicitée ne tient pas
compte de la participation de l’ensemble des autres Etats, dotés ou non de l’arme nucléaire, qui
sont parties au traité, mais pas à la présente action en justice. Le traité ne crée pas d’obligation
bilatérale entre les Etats-Unis et les Iles Marshall et le tribunal ne saurait dès lors faire respecter
pareille obligation. Il est impossible de réparer le préjudice allégué par le demandeur en ordonnant
à l’un des Etats parties seulement l’exécution des obligations visées.
Par ailleurs, le tribunal est d’avis que l’action intentée soulève une question politique qui
échappe fondamentalement à la compétence du pouvoir judiciaire et que la Constitution réserve
aux organes correspondants de l’Etat. La demande tendant à ce qu’il examine et contrôle les
décisions et politiques des Etats-Unis concernant leur arsenal et leurs programmes nucléaires est
inadmissible, et excède très nettement la compétence du juge fédéral. En l’absence de norme
judiciairement applicable lui permettant de se prononcer sur la violation présumée de l’accord
international par les Etats-Unis, la Cour conclut que cette question politique relève davantage des
voies exécutives et diplomatiques.
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B. Question politique
Même à supposer que le demandeur parvienne à démontrer qu’il a qualité pour engager une
action en justice, la Cour estime que l’affaire portée devant elle soulève une question politique qui
échappe fondamentalement à la compétence des tribunaux et dont l’examen «procède de
l’observation formulée il y a fort longtemps par le Chief Justice Marshall, selon laquelle «[l]e
présent Tribunal ne peut jamais connaître de questions qui revêtent un caractère politique ou que la
Constitution et les lois attribuent à l’exécutif»» (Alperin v. Vatican Bank, 410 F.3d 532, 544
(9th Cir. 2005), citant Marbury v. Madison, 1 Cranch 137, 5 U.S. 137, 170 (1803)).
«L’incompétence des tribunaux à l’égard des questions politiques découle essentiellement du
principe de la séparation des pouvoirs» (Baker v. Carr, 369 U.S. 186, 210 (1962)). Ce principe
«interdit tout examen, par un organe judiciaire, des différends liés aux décisions politiques et aux
jugements de valeur qui relèvent, conformément à la Constitution, du Congrès ou de l’exécutif»
(Japan Whaling Ass’n v. Am. Cetacean Soc’y, 478 U.S. 221, 230 (1986)).
Ce principe veut que la juridiction fédérale ayant par ailleurs compétence pour connaître
d’un différend s’abstienne de statuer lorsque l’affaire soulève des questions ressortissant aux
organes politiques de l’Etat (voir l’affaire Baker, 369 U.S., 210). Il trouve en particulier à
s’appliquer s’agissant de la conduite des affaires étrangères (ibid., 211), encore que les instances
relevant de ce domaine ou de celui des relations extérieures ne soulèvent pas toutes de telles
questions. Pour déterminer si l’affaire dont elle est saisie met en jeu une question politique sur
laquelle elle doit s’abstenir de statuer, la juridiction doit examiner les facteurs suivants : «1) la
possibilité de démontrer que la Constitution attribue la question à un organe politique autonome ;
2) l’absence de norme connue en droit et susceptible d’être appliquée pour résoudre la question ;
3) l’impossibilité de rendre un jugement qui ne soit subordonné à une décision politique ne relevant
manifestement pas de l’exercice d’un pouvoir judiciaire discrétionnaire ; 4) l’impossibilité pour la
juridiction de trancher la question sans manquer au respect dû aux autres organes de l’Etat ; 5) la
nécessité inhabituelle de suivre inconditionnellement une décision politique déjà prise ; et
6) l’embarras que pourraient causer des décisions divergentes émanant de différents organes sur
une même question» (Zivkowich v. Vatican Bank, 242 F. Sup. 2d 659, 665 (N.D. Cal. 2002), citant
l’affaire Baker, 369 U.S., 217). Si l’un ou l’autre de ces facteurs ««ne peut être écarté de l’affaire»,
la juridiction doit rejeter l’action au motif qu’elle échappe à la compétence des tribunaux en raison
de la question politique qu’elle soulève» (ibid.).
En l’espèce, la Cour est d’avis que les conclusions du demandeur ont trait à la «fonction des
affaires étrangères, qui relève de la compétence exclusive de l’exécutif conformément à la section 2
de l’article II de la Constitution des Etats-Unis» (Earth Island Institute v. Christopher, 6 F.3d 648,
652 (9th Cir. 1993)). Le demandeur invite la Cour à interpréter le traité afin de contraindre
l’exécutif à s’acquitter de l’obligation lui incombant d’engager des discussions avec des Etats
étrangers. Or pareille demande irait à l’encontre du principe de la «séparation des pouvoirs et la
Cour ne saurait y faire droit» (ibid.). Dans l’affaire Earth Justice, la cour d’appel du neuvième
circuit a examiné la demande tendant à forcer l’application d’une loi imposant au secrétaire d’Etat
d’entamer avec des pays étrangers des discussions sur la protection des tortues de mer. Elle a jugé
que la question portée devant elle échappait à la compétence des tribunaux, puis rejeté l’affirmation
selon laquelle la «mesure demandée à la cour de district se limit[ait] à examiner et à interpréter la
loi adoptée par le Congrès» (ibid., 6531
). En l’espèce, la Constitution n’habilite pas davantage la
Cour à contraindre l’exécutif à engager avec des Etats étrangers des discussions sur la réduction
des armements ou des programmes nucléaires du pays, la faculté de négocier avec d’autres Etats
étant expressément réservée à l’exécutif, c’est-à-dire à un organe politique autonome (voir
l’affaire Zivkowich, 242 F. Sup. 2d, 665).
1
Contrairement à ce que soutient le demandeur, la Cour s’estime liée par ce précédent, indépendamment de la
question de savoir si la cour d’appel du neuvième circuit a abordé la constitutionalité de la loi en cause.
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Par ailleurs, la Cour conclut qu’il n’existe aucune norme connue en droit et susceptible d’être
appliquée pour régler le différend soulevé en l’espèce par le demandeur. Celui-ci prie la Cour
d’ordonner à l’exécutif, au moyen d’une injonction, de prendre «toutes les mesures nécessaires
pour se conformer aux obligations que lui impose l’article VI du traité dans un délai maximal d’un
an à compter de la date du présent jugement, y compris en appelant à la tenue ou en procédant à
l’organisation de négociations tendant au désarmement nucléaire sous tous ses aspects» (citation
complète au par. 23). Or c’est aux autorités politiques qu’il revient de déterminer, à la faveur de
l’ensemble des ressources et du savoir-faire qu’elles ont acquis dans les domaines de la sécurité
internationale ainsi que des affaires diplomatiques et militaires, ce qui constitue des tentatives de
poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la
course aux armements nucléaires. La demande du plaignant tendant à ce que ces tentatives soient
entreprises dans les douze mois est arbitraire et ne tient aucun compte des activités et des intentions
des autres Etats également signataires du traité. La Cour jugeant ne pas disposer des normes
nécessaires pour prononcer l’injonction demandée, elle se voit contrainte de rejeter la présente
action en ce qu’elle échappe à la compétence des tribunaux en raison de la question politique
qu’elle soulève (voir l’affaire Zivkowich, 242 F. Sup. 2d, 6652
).
C. Ressort et forclusion
Dans leur demande de rejet de l’action, les défendeurs affirment que la demande ne ressortit
pas au présent district. Au cours des plaidoiries, les Parties ont toutefois convenu que la Cour avait
compétence pour statuer sur les questions préliminaires que sont la qualité pour agir et sa propre
aptitude à être saisie, privant ainsi d’objet la question de la compétence territoriale. Ayant conclu
que l’affaire devait être rejetée au motif que le défendeur n’a pas qualité pour agir et en tant qu’elle
soulève une question politique, la Cour n’abordera pas la question du ressort. Point n’est besoin
par ailleurs d’examiner la question de la forclusion.
Conclusion
Par ces motifs, la Cour FAIT DROIT A la demande présentée par les défendeurs et tendant
au rejet de l’action. Un jugement distinct sera rendu et il est ordonné au greffier de clore le dossier.
IL EN EST AINSI ORDONNE.
Le 3 février 2015.
Jeffrey S. WHITE,
Juge de district des Etats-Unis.
2
Selon la Cour, la question de savoir si le traité est directement applicable ou s’il confère le droit d’intenter une
action civile est dépourvue de pertinence pour ce qui est de sa mise en application par un Etat partie. Jugeant que, d’un
point de vue juridique, l’affaire portée devant elle échappe à la compétence des tribunaux et que le traité lui-même est
muet quant au contrôle de son application et ne prévoit pas la possibilité de saisir la juridiction fédérale, la Cour estime
que son exécution est tributaire de l’intérêt et de l’honneur des parties. En effet, ce traité est «avant tout un pacte conclu
entre des Etats indépendants» et, en tant que tel, «[l]’application de ses dispositions est normalement tributaire de l’intérêt
et de l’honneur des gouvernements qui y sont parties» (Medellin v. Texas, 552 U.S. 491, 505 (2008), citant l’affaire Head
Money Cases, 112 U.S. 580, 598 (1884)). «Si [ces intérêts] ne conduisent pas au résultat escompté, la violation du traité
donnera lieu à des négociations et à des réclamations à l’échelle internationale ... Il va de soi que ces questions ne sont
pas du ressort des tribunaux judiciaires et que ceux-ci ne peuvent accorder aucune réparation.» (Ibid.)
- 11 -
ANNEXE 12
RÉPUBLIQUE DES ILES MARSHALL C. ETATS-UNIS D’AMÉRIQUE, 2015 U.S. DIST. LEXIS 12785
(N.D. CAL. 2015), MÉMOIRE DES DÉFENDEURS-INTIMÉS
[ANNEXE NON TRADUITE]
___________
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ANNEXE 13
ARTICLE 245 DE LA CONSTITUTION DU PAKISTAN
[EXTRAITS]
PARTIE XII. DIVERS
CHAPITRE 2. FORCES ARMÉES
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Article 245. Fonctions des forces armées
1. Les forces armées, agissant sur instruction du Gouvernement fédéral, défendront le
Pakistan contre les menaces de guerre ou agressions extérieures et, sous réserve
des dispositions de la loi, viendront en aide au pouvoir civil, lorsqu’elles auront été
appelées à le faire.
2. La validité d’une instruction formulée par le Gouvernement fédéral en vertu de la
première clause ne pourra être mise en cause devant aucune instance judiciaire.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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ANNEXE 14
RAPPORT DES DIRECTEURS EXÉCUTIFS SUR LA CONVENTION SUR LE RÈGLEMENT DES
DIFFÉRENDS RELATIFS AUX INVESTISSEMENTS ENTRE ETATS ET RESSORTISSANTS
D’AUTRES ETATS, 18 MARS 1965 (ADOPTÉE LE 10 SEPTEMBRE 1964 PAR
LA RÉSOLUTION NO
214 DU CONSEIL DES GOUVERNEURS DE LA BANQUE
INTERNATIONALE POUR LA RECONSTRUCTION ET LE DÉVELOPPEMENT),
CIRDI, VOL. 1 (1993), RAPPORT 23 [EXTRAITS]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nature du différend
26. … L’expression «différend d’ordre juridique» a été employée pour signifier que, si les
conflits de droits relèvent de la compétence du Centre, tel n’est pas le cas des simples conflits
d’intérêts. Le différend en cause doit avoir trait à l’existence ou à la portée d’un droit ou d’une
obligation juridique, ou encore à la nature ou à l’étendue de la réparation due à raison du
manquement à une obligation juridique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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ANNEXE 15
C. SCHREUER, «WHAT IS A LEGAL DISPUTE?», IN I. BUFFARD ET AL. (SOUS LA DIR. DE),
INTERNATIONAL LAW BETWEEN UNIVERSALISM AND FRAGMENTATION, FESTSCHRIFT IN
HONOUR OF GERHARD HAFNER (LEIDEN/BOSTON: MARTINUS NIJHOFF
PUBLISHERS, 2008) [EXTRAITS]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
II. Les échanges de communications conduisant à un différend
L’existence d’un différend suppose un certain degré de communication entre les parties. La
question doit avoir été abordée avec l’autre partie, laquelle doit s’être opposée, fût-ce
indirectement, à la position du demandeur.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IV. Différends hypothétiques
Pour être constitutif d’un différend susceptible de faire l’objet d’un règlement judiciaire, le
désaccord entre les parties doit avoir une incidence pratique dans leur relation, et ne saurait être
purement hypothétique. La justice internationale n’a pas pour rôle de clarifier des points de droit
in abstracto. Le différend doit avoir trait à des questions clairement définies entre les parties et ne
doit pas être seulement théorique.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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ANNEXE 16
MAFFEZINI C. ESPAGNE, DÉCISION CONCERNANT LA COMPÉTENCE, 25 JANVIER 2000,
ILM, VOL. 40, P. 1129 [EXTRAITS]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
96. Un différend est généralement précédé d’une succession naturelle d’événements
commençant par l’expression d’un désaccord et l’affirmation d’une divergence de vues. Avec le
temps, ces événements acquièrent une portée juridique précise à mesure que les prétentions sont
formulées par les parties, puis débattues entre elles, et enfin respectivement rejetées ou
ignorées … Il a également été souligné, à juste titre, que l’existence du différend supposait un
degré minimal de communication entre les parties, dont la première doit avoir soumis la question à
la seconde, qui doit s’être opposée directement ou indirectement à la position du demandeur.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Contre-mémoire du Pakistan