Mémoire des Iles Marshall

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159-20150112-WRI-01-00-EN
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13984

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

OBLIGATIONS RELATIVES À DES NÉGOCIATIONS CONCERNANT LA CESSATION

DE LA COURSE AUX ARMES NUCLÉAIRES ET LE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE

(ÎLES MARSHALL c. PAKISTAN)

MÉMOIRE DES ÎLES MARSHALL

12JANVIER 2015

[Traduction du Greffe] T ABLE DES MATIÈRES

Page

PREMIERE PARTIE. INTRODUCTION........................................................................................ 1

Observations d’ordre général........................................................................................................ 1
Les armes nucléaires, une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes........................................... 2

Note verbale adressée à la Cour par le Pakistan............................................................................ 4

DEUXIEME PARTIE. OBSERVATIONS GENERALES RELATIVES A LA
COMPETENCE............................................................................................................................ 5
Le point I de la note verbale du Pakistan...................................................................................... 6

L’argument relatif au caractère politique................................................................................. 6

L’argument relatif à la compétence nationale.......................................................................... 8
L’argument relatif à la qualité pour agir.................................................................................. 9

Le point II de la note verbale ...................................................................................................... 12

Récurrence de l’argument relatif à la qualité pour agir.......................................................... 12

L’existence d’un «différend»................................................................................................. 12
L’absence de traité ou de convention en vigueur................................................................... 17

La réserve relative aux traités multilatéraux.......................................................................... 17

Le point III de la note verbale..................................................................................................... 19
L’argument selon lequel le Pakistan n’est pas partie au TNP................................................ 19

Le point IV de la note verbale..................................................................................................... 19

L’argument relatif au principe de «non-discrimination»....................................................... 19
Le point V de la note verbale...................................................................................................... 21

L’allégation relative au «formalisme juridique».................................................................... 21

Le point VI de la note verbale..................................................................................................... 21
Renvoi général aux arguments précédents............................................................................. 21

Le point VII de la note verbale ................................................................................................... 21

L’affirmation selon laquelle le Pakistan respecterait l’obligation qui lui incombe ............... 21
Le point VIII de la note verbale.................................................................................................. 21

Réserve de droit..................................................................................................................... 21

TROISIEME PARTIE. CONCLUSION......................................................................................... 22

___________ - ii -

L ISTE DES ANNEXES

Annexe 1 Rapport 2014 sur les effets d’un conflit nucléaire régional entre l’Inde et le

Pakistan. Rapport établi par Michael J. Mills, Owen B. Toon, Julia Lee-Taylor
et Alan Robock, intitulé «un conflit nucléaire régional provoquerait un
Refroidissement planétaire pluridécennal et une perte d’ozone sans précédent»

Annexe 2 Série de cartes représentant la propagation à travers le monde de la fumée

produite par un conflit nucléaire régional entre l’Inde et le Pakistan, et
sélection de cartes tirées du rapport de 2014 soumis en tant qu’annexe 1

Annexe 3 Note verbale en date du 9 juillet 2014 adressée au greffier par le ministère des
affaires étrangères du Pakistan

Annexe 4 Déclaration faite par la République des Iles Marshall au titre du paragraphe 2
de l’article 36 du Statut de la Cour

Annexe 5 Déclaration faite par la République islamique du Pakistan au titre du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour

___________ PREMIERE PARTIE

INTRODUCTION

O BSERVATIONS D ’ORDRE GÉNÉRAL

1. Conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le 10 juillet 2014, la République des
Iles Marshall traitera exclusivement dans le présent mémoire de la compétence de la Cour à l’égard

des questions soumises à celle-ci et de la recevabilité de la requête.

2. Le présent différend porté devant la Cour par la République des Iles Marshall (également
appelée ci-après les «Iles Marshall» ou le «demandeur») a pour objet le manquement de la
République islamique du Pakistan (également appelée ci-après le «Pakistan» ou le «défendeur») à
l’obligation qui lui incombe à l’égard du demandeur (ainsi qu’à l’égard d’autres Etats) de

poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations devant conduire au désarmement
nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace. Cette obligation de
négocier le désarmement nucléaire inclut, au premier chef, l’obligation, pour chaque Etat possédant
des armes nucléaires, de négocier de bonne foi pour mettre fin à la course aux armements
nucléaires.

3. Le 24 avril 2014, les Iles Marshall ont soumis neuf requêtes à la Cour. Chacune d’entre
elles, déposée contre un Etat défendeur différent, s’inscrit dans un contexte général particulier et
repose sur des faits distincts. Pour l’ensemble des requêtes, l’objet du différend avait trait à un
manquement similaire, de la part de chacun de ces neuf Etats, à l’obligation qui lui incombait de
poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire
dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.

4. Actuellement, seuls trois des neuf Etats concernés reconnaissent, par déclaration faite en
vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour internationale de Justice, comme
obligatoire de plein droit et sans convention spéciale la juridiction de celle-ci : l’Inde, le Pakistan et
le Royaume-Uni. Chacun d’eux reconnaît la juridiction de la Cour à ses propres conditions. Les
requêtes visant les six autres Etats incluent quant à elles une demande de consentement au sens du

paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement de la Cour.

5. A ce jour, seule la République populaire de Chine a officiellement informé la Cour qu’elle
n’acceptait pas sa juridiction. Les cinq autres Etats (les Etats-Unis d’Amérique, la République
française, la Fédération de Russie, l’Etat d’Israël et la République populaire démocratique de
Corée) n’ont pas répondu officiellement aux requêtes présentées par les Iles Marshall.

6. Le fait que certains seulement des neuf Etats acceptent de se présenter devant la Cour dans
leurs instances respectives ne saurait être considéré par celle-ci comme un obstacle à ce qu’elle
puisse connaître des trois affaires qui suivent leur cours (à savoir, la présente instance contre le
Pakistan ainsi que les instances introduites contre l’Inde et le Royaume-Uni). Chacun des
six autres Etats peut, en ne se présentant pas devant la Cour, faire obstacle au déroulement de
l’instance introduite contre lui. Il ne serait toutefois pas acceptable que le fait que ces Etats ne se

présentent pas devant la Cour compromette le droit du demandeur (que celui-ci fait valoir en
introduisant une instance) à ce que soient respectées les obligations en cause. - 2 -

L ES ARMES NUCLÉAIRES ,UNE ÉPÉE DE D AMOCLÈS AU -DESSUS DE NOS TÊTES

7. Les Iles Marshall se pencheront plus loin sur la note verbale que le Pakistan a adressée à la
Cour le 9 juillet 2014. A ce stade, le demandeur appelle l’attention sur la déclaration faite par le

Pakistan au point II du paragraphe 2 de sa note verbale, selon laquelle «le programme nucléaire
pakistanais n’a aucune incidence directe sur les intérêts de la République des Iles Marshall…» Ce

qui suit devrait permettre de démontrer que cette affirmation est inexacte.

8. La présente instance porte sur des obligations opposables erga omnes, qui lient les Iles

Marshall en tant que membre de la communauté internationale. Les intérêts du demandeur  qui
vont jusqu’à toucher son existence même  sont également concernés du fait des questions qui

sont en jeu. Il s’agit notamment du cataclysme potentiel que pourraient causer les forces nucléaires
pakistanaises, qui provoquerait une forte baisse de la température et un appauvrissement de la
couche d’ozone dans le monde entier. Une ou plusieurs explosions nucléaires, où que ce soit sur le
1
globe, surtout en zone urbaine, auraient des effets désastreux sur le plan humanitaire , que les
Marshallais, forts de leur expérience en matière de conséquences sanitaires et environnementales
des essais nucléaires, souhaitent naturellement éviter, ainsi que le demandeur l’a souligné dans

l’exposé écrit qu’il a présenté dans le cadre de la procédure consul2ative sur la question de la
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires . Une explosion de ce type aurait
également des répercussions négatives sur l’économie globale et, probablement, sur l’ordre
3
politique et juridique mondial , et donc sur les Iles Marshall. Par ailleurs, des hostilités nucléaires
causant des explosions dans une dizaine de villes auraient de graves conséquences sur le climat et,
partant, une incidence directe et significative sur les Iles Marshall. Ce risque illustre de manière

frappante la conclusion de la Cour citée au premier paragraphe de la requête, selon laquelle «[l]e 4
pouvoir destructeur des armes nucléaires ne peut être endigué ni dans l’espace ni dans le temps» .

1 Voir Tilman Ruff, «The health consequences of nuclear explosions», in Beatrice Fihn, éd., Unspeakable
suffering  the humanitarian impact of nuclear weapons (Reaching Critical Will, 2013),
http://www.reachingcriticalwill.org/images/documents/Publications/Unspe… [consulté le
11 décembre 2014]. Tilman Ruff est professeur associé au Nossal Institute for Global Health, Université de Melbourne,
et coprésident de l’Association internationale des médecins pour la prévention de la guerre nucléaire (International

Physicians for the Prevention of Nuclear War). Voir aussi le rapport de synthèse sur les conclusions de la conférence,
établi sous la seule responsabilité de l’Autriche, Conférence de Vienne sur l’impact humanitaire des armes nucléaires,
8 et 9 décembre 2014, dans lequel il est dit ce qui suit :
«Les répercussions de l’explosion d’une arme nucléaire, quelle qu’en soit la cause, ne

s’arrêteraient pas aux frontières des Etats, mais pourraient se faire ressentir au niveau régional et même
mondial. Une telle explosion sèmerait la mort et la désolation et provoquerait des déplacements,
occasionnant des dégâts considérables à long terme sur l’environnement, le climat, la santé et le bien-être
de l’homme, le développement socio-économique et l’ordre social, et pourrait même menacer la survie de
l’espèce humaine.»

http://www.bmeia.gv.at/fileadmin/user_upload/Zentrale/Aussenpolitik/Abr…
hair_s_Summary.pdf [consulté le 8 janvier 2015].
2 Lettre du 22 juin 1995 du représentant permanent des Iles Marshall auprès de l’Organisation des Nations Unies,

accompagnée de l’exposé écrit du Gouvernement des Iles Marshall, http://www.icj-cij.org/docket/files/95/8720.pdf
[consulté le 11 décembre 2014].
3 Cf. président Barack Obama, discours de Prague, 5 avril 2009 :

«Une arme nucléaire qui exploserait dans une grande ville  qu’il s’agisse de New York ou de
Moscou, d’Islamabad ou de Bombay, de Tokyo ou de Tel-Aviv, de Paris ou de Prague  pourrait causer
la mort de centaines de milliers de personnes. Et quel que soit le lieu, les conséquences seraient

extrêmement lourdes, que ce soit pour notre sécurité au niveau mondial, notre société, notre économie et,
en fin de compte, pour notre survie même.»
http://www.whitehouse.gov/the_press_office/Remarks-By-President-Barack-…-
Delivered [consulté le 11 décembre 2014].

4 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1996, C.I.J. Recueil
1996 (I), p. 226, par. 35. - 3 -

L’ampleur de cette menace a été mise en évidence par une étude relativement récente dans laquelle
les répercussions d’un conflit nucléaire (entre le Pakistan et l’Inde) sont évaluées (annexe 1) . Il y
est démontré que les effets d’une telle guerre, dans laquelle ne serait utilisé que 0,03 % de l’arsenal
nucléaire mondial, seraient dévastateurs pour toute la planète. Si chaque camp faisait exploser

50 armes de 15 kilotonnes dans des villes de l’autre Etat, cela produirait des quantités considérables
de fumée qui s’élèveraient dans la stratosphère et se répandraient dans le monde entier, et ferait
chuter la température de la surface du globe, tout en réchauffant la stratosphère.

9. Non seulement les grandes villes du Pakistan et de l’Inde concentrent des millions
d’habitants, mais elles fournissent aussi les matières combustibles qui alimenteraient les incendies
postérieurs aux détonations. Par conséquent, une guerre nucléaire entre ces deux Etats non
seulement tuerait directement des millions de personnes, mais engendrerait également d’énormes
quantités de fumée noire s’élevant dans la stratosphère, avec de graves répercussions pour les

habitants de la planète. La fumée dégagée par les incendies absorbant la lumière du soleil, la
température à la surface de la terre baisserait considérablement. En absorbant les rayons du soleil,
la fumée se réchaufferait et détruirait la couche d’ozone, et des rayons UV nuisibles atteindraient
ainsi la surface du globe. Le préjudice causé à la santé humaine, à l’agriculture et à la vie marine

serait immense. Dans cette étude sont évoquées un certain nombre de conséquences préjudiciables,
notamment la menace qui pèserait sur l’approvisionnement alimentaire à l’échelle mondiale.

10. Pour leur approvisionnement en nourriture, les Iles Marshall comptent d’autant plus sur
6
les ressources de l’océan qu’elles manquent de terres cultivables adaptées . Le demandeur importe 7
une grande partie des produits alimentaires dont il a besoin, notamment ceux d’origine animale .
Toute modification de l’atmosphère affectant l’agriculture des pays fournissant de la nourriture aux
Iles Marshall, comme les Etats-Unis, provoquerait une grave pénurie alimentaire. Même de légers
dommages à l’écosystème aquatique résultant de la dégradation de la couche d’ozone pourraient

faire disparaître la seule ressource alimentaire réellement accessible au demandeur. Les
Iles Marshall ne produisent qu’une quantité limitée de nourriture, et toute modification de la
température et du niveau des précipitations aurait une incidence directe sur cette production. Ne
disposant pas de ressources alimentaires durables, les Marshallais pourraient manquer de
nourriture, très probablement avant le reste du monde. L’étude susmentionnée fournit, nous

l’avons dit, une analyse approfondie des effets dévastateurs qu’aurait, au niveau mondial, une
guerre nucléaire. Les cartes géographiques  sur lesquelles figurent, en italiques, les
commentaires du demandeur  extraites de cette étude et du site Internet connexe montrent la

vitesse à laquelle la fumée dégagée se répandrait à travers le monde et s’élèverait dans
l’atmosphère, ainsi que les modifications de la température de l’air à la surface et des saisons de
croissance par suite de telles retombées (annexe 2).

11. Le fait que cette menace persiste et s’amplifie, et ce, alors que le Pakistan ne respecte pas

l’obligation essentielle qui lui incombe de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des
négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle
international strict et efficace, démontre en soi clairement l’importance et la nature du différend
opposant les deux Parties en la présente instance.

5
M.J. Mills et al., «Multi-decadal Global Cooling and Unprecedented Ozone Loss Following a Regional Nuclear
Conflict», Earth’s Future Research Paper 2014, à la p. 161.
6http://www.fao.org/ag/AGP/AGPC/doc/Counprof/southpacific/marschall.htm [consulté le 11 décembre 2014].

7http://atlas.media.mit.edu/profile/country/mhl/ [consulté le 11 décembre 2014]. - 4 -

N OTE VERBALE ADRESSÉE À LA C OUR PAR LE P AKISTAN

12. Dans une lettre en date du 28 avril 2014, le greffier a invité le demandeur et le défendeur
à rencontrer le président de la Cour aux fins spécifiées à l’article 31 du Règlement de celle-ci. Par
lettre datée du 9 juillet 2014, le Pakistan a adressé à la Cour une note verbale informant cette
dernière de sa position concernant la requête présentée par les Iles Marshall (annexe 3).

13. Dans sa note verbale, le Pakistan informait la Cour qu’il était «d’avis que la CIJ n’a[vait]

pas compétence et [qu’il] consid[érait] ladite requête comme irrecevable», donnant plusieurs
raisons à l’appui de son affirmation (par. 2 de la note verbale). Sur la base de la position exposée
par le Pakistan, la Cour a décidé, dans son ordonnance du 10 juillet 2014, que «les pièces de la
procédure écrite porter[aie]nt d’abord sur les questions de [s]a compétence … et de la recevabilité
de la requête». Ce faisant, la Cour a implicitement écarté la demande du Pakistan (contenue au
par. 3 de sa note verbale) tendant à ce que la requête du demandeur soit rejetée sans autre formalité.

14. Le demandeur entend respecter l’ordonnance rendue par la Cour et s’abstiendra par
conséquent de présenter pour l’instant un mémoire répondant au critère énoncé au paragraphe 1 de
l’article 49 du Règlement de la Cour, se contentant de soumettre le présent mémoire, qui porte
exclusivement sur les questions de compétence et de recevabilité soulevées par le Pakistan dans sa
note verbale du 9 juillet 2014. Les Iles Marshall tiennent à souligner qu’elles ont bien restreint

leurs observations aux questions expressément soulevées par le Pakistan  elles ne sauraient en
effet aller au-delà des points évoqués par le défendeur dans sa lettre. C’est à la Partie soulevant des
objections qu’il incombe de les exposer de façon précise et exhaustive, et non au demandeur de
deviner, le cas échéant, en quoi pourraient consister d’éventuelles objections supplémentaires.
Tenir un raisonnement différent serait contraire aux règles d’une bonne administration de la justice.
En tout état de cause, les Iles Marshall se réservent le droit de compléter le présent mémoire par

écrit ou lors de la procédure orale, lorsqu’elle aura eu l’occasion d’étudier le contre-mémoire du
Pakistan dans la présente phase de l’espèce. - 5 -

DEUXIEME PARTIE

OBSERVATIONS GENERALES RELATIVES

A LA COMPETENCE

15. Dans la présente procédure, la République des Iles Marshall invoque, comme base de
compétence de la Cour, le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de celle-ci, ainsi que les
déclarations des Iles Marshall et du Pakistan comportant acceptation de la juridiction obligatoire de

la Cour.

16. Dans sa déclaration, la République des Iles Marshall accepte la juridiction de la Cour
(sous réserve d’exceptions mineures qui ne trouvent pas à s’appliquer dans la présente procédure et

que le Pakistan n’a pas soulevées) en employant la formule générale «conformément au
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour» (annexe 4).

17. Dans la sienne, le Pakistan reprend quant à lui les termes exacts du paragraphe 2 de

l’article 36 du Statut (annexe 5). Il y adjoint trois exceptions, dont deux sont invoquées dans sa
note verbale en date du 9 juillet 2014. Il sera fait précisément référence aux exceptions concernées
en temps utile, au moment de traiter, dans le présent mémoire, les arguments avancés dans cette
note. Le demandeur considère que l’invocation, par le Pakistan, desdites exceptions n’est pas
fondée.

18. La requête de la République des Iles Marshall s’appuie en particulier sur les alinéas b), c)
et d) de la déclaration faite par le Pakistan en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la
Cour. Les termes (et l’ordre) de ces alinéas correspondent à ceux de cette disposition.

19. La requête de la République des Iles Marshall porte, en premier lieu, sur un différend
ayant pour objet un «point de droit international» au sens de l’alinéa b) de la déclaration du
Pakistan. Dans son avis consultatif du 8 juillet 1996, la Cour a conclu à l’unanimité qu’«[i]l

exist[ait] une obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations
conduisan8 au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et
efficace» . A l’évidence, le Pakistan nie l’existence d’une telle obligation et le fait qu’il enfreigne
celle-ci. Au point III de sa note verbale en date du 9 juillet 2014 adressée à la Cour, il affirme, à
juste titre, qu’il «n’est pas partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP)».

Puis, il soutient que «l’interprétation exagérée et infondée de l’article VI de cet instrument ne
s’applique ni aux Etats non parties au TNP ni erga omnes». La République des Iles Marshall ne
sait pas au juste en quoi sa requête est «exagérée et infondée» , mais il est clair qu’il existe un
différend sur un point de droit international, à savoir l’application, par le Pakistan, de l’obligation,
en vertu du droit international coutumier, de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des

négociations conduisant au désarmement nucléaire.

20. En second lieu, le différend qui oppose la République des Iles Marshall et le Pakistan
concerne la réalité de faits qui «constitue[nt] la violation d’un engagement international» (voir

alinéa c) de la déclaration du Pakistan). La République des Iles Marshall estime que les faits

8Voir C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 266, par. 105, point 2 F.

9Le refus patent d’une obligation de droit coutumier est étonnant dans la mesure où le Pakistan a voté en faveur
d’une série de résolutions de l’Assemblée générale soulignant l’obligation de poursuivre de bonne foi des négociations.
Voir la requête des Iles Marshall, par. 40. - 6 -

présentés dans sa requête (et qu’elle exposera en détail lors de la phase du fond) démontrent une
violation des obligations qui incombent au Pakistan en vertu du droit international coutumier, telles
que la Cour les a reconnues dans son avis consultatif du 8 juillet 1996. Or, le Pakistan le conteste

manifestement.

21. S’agissant de l’alinéa d) de la déclaration du Pakistan, la décision demandée par la
République des Iles Marshall comprend un ensemble de déclarations concernant la violation, par le

Pakistan, de ses obligations internationales, ainsi qu’une ordonnance, et porte donc clairement sur
«[l]a nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un engagement international».

22. Dans sa déclaration, le Pakistan exclut les différends «qui s’élèveraient à propos» d’un

traité multilatéral, à moins que «toutes les parties au traité dont il s’agit ne soient également parties
à l’affaire portée devant la Cour». Or la requête de la République des Iles Marshall contre le
Pakistan ne «s’élève [pas] à propos» du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP).
Le demandeur soutient fondamentalement que le Pakistan est lié par le droit international

coutumier. Outre sa déclaration sur l’obligation relative au désarmement, la Cour a considéré ce
qui suit : «La Cour mesure dans ces circonstances toute l’importance de la consécration par
l’article VI du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires d’une obligation de négocier de
bonne foi un désarmement nucléaire.» 10

11
Elle a également déclaré que l’obligation était «exprimée» à l’article VI . C’est en vertu de
cette obligation de droit international coutumier qu’il y a lieu de considérer que «s’élève» la
présente espèce.

LE POINT IDE LA NOTE VERBALE DU PAKISTAN

23. Au point I de sa note verbale en date du 9 juillet 2014, le Pakistan semble avancer trois

arguments juridiques distincts sur la compétence et la recevabilité. Le premier est que la requête
«revêt un caractère purement politique», le second qu’elle «implique des questions de sécurité
nationale qui relèvent de la compétence interne du Pakistan» et le troisième que «[l]e demandeur
n’a[] pas d’intérêt pour agir». Ces arguments sont tous dénués de fondement.

L’argument relatif au caractère politique

24. Contrairement à certaines juridictions nationales, la Cour n’a jamais eu pour principe
général de s’abstenir de connaître de certaines instances au motif qu’un différend juridique

comporterait des aspects ou des implications politiques. Deux brefs extraits d’arrêts rendus par la
Cour suffisent à le prouver :

«La lettre de l’ambassadeur de Turquie en date du 24 avril 1978 fait aussi valoir

que le différend entre la Grèce et la Turquie est «de nature hautement politique».
Cependant un différend opposant deux Etats au sujet de la délimitation de leur plateau
continental peut difficilement ne pas comporter quelque élément politique, et le
différend en cause est à l’évidence un de ceux au sujet desquels «les parties se
conteste[nt] réciproquement un droit».» 12

10
Voir C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 263, par. 99.
11Ibid., p. 264-265, par. 102-103.

12Affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 14, par. 31. - 7 -

«Il convient également de rappeler que, comme en témoigne l’affaire du Détroit
de Corfou (C.I.J. Recueil 1949, p. 4), la Cour ne s’est jamais dérobée devant l’examen
d’une affaire pour la simple raison qu’elle avait des implications politiques ou
comportait de sérieux éléments d’emploi de la force.» (Activités militaires et
13
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci.)

25. Les décisions rendues par la Cour dans des affaires dont elle était saisie pour avis
consultatif sur des aspects sensibles vont dans le même sens. Ainsi, dans son avis consultatif sur la

Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour a déclaré ce qui suit :

«La question que l’Assemblée générale a posée à la Cour constitue
effectivement une question juridique, car la Cour est priée de se prononcer sur le point
de savoir si la menace ou l’emploi d’armes nucléaires est compatible avec les

principes et règles pertinents du droit international. Pour ce faire, la Cour doit
déterminer les principes et règles existants, les interpréter et les appliquer à la menace
ou à l’emploi d’armes nucléaires, apportant ainsi à la question posée une réponse
fondée en droit. Que cette question revête par ailleurs des aspects politiques, comme

c’est, par la nature des choses, le cas de bon nombre de questions qui viennent à se
poser dans la vie internationale, ne suffit pas à la priver de son caractère de «question
juridique» et à «enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée
par son Statut»…» 14

De même dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de la construction d’un
mur dans le territoire palestinien occupé :

«La Cour ne saurait par ailleurs accepter le point de vue, également avancé au
cours de la procédure, selon lequel elle n’aurait pas compétence en raison du caractère

«politique» de la question posée. Ainsi qu’il ressort à cet égard de sa jurisprudence
constante, la Cour estime que le fait qu’une question juridique présente également des
aspects politiques, «comme c’est, par la nature des choses, le cas de bon nombre de
questions qui viennent à se poser dans la vie internationale, ne suffit pas à la priver de
son caractère de «question juridique» et à «enlever à la Cour une compétence qui lui

eot expressément conférée par son Statut» (Demande de réformation du jugement
n 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1973, p. 172, par. 14). Quels que soient les aspects politiques de la
question posée, la Cour ne saurait refuser un caractère juridique à une question qui

l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir l’appréciation de
la licéité de la conduite éventuelle d’Etats au regard des obligations que le droit
international leur impose (voir Conditions de 1’admission d’un Etat comme Membre
des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil
1947-1948, p. 61-62 ; Compétence de l’Assemblée générale pour l’admission d’un

Etat aux Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 6-7 ; Certaines
dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1962, p. 155).» (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes
nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13.)»5

13
Arrêt du 26 novembre 1984, compétence de la Cour et recevabilité de la requête, C.I.J. Recueil 1984, p. 435,
par. 96.
14C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 234, par. 13.

15Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du
9 juillet 2004, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136, par. 41. - 8 -

26. Le différend soumis à la Cour est également d’ordre juridique, puisqu’il porte sur la
question de savoir si le défendeur respecte l’obligation que lui impose le droit international
coutumier de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations. Pour se prononcer sur
les demandes de réparation déclaratoire des Iles Marshall et sur l’ordonnance sollicitée, la Cour

devra «déterminer les principes et règles [de droit international] existants, les interpréter et les
appliquer» à la situation alléguée par le demandeur.

27. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a commenté cette décision de la

Cour dans les termes suivants :

«Les doctrines relatives aux «questions politiques» et «questions non
susceptibles de recours judiciaire» sont des reliques des réserves afférentes à la
«souveraineté», à l’«honneur national» etc. dans les anciens traités d’arbitrage. Elles

ont disparu du droit international contemporain, sauf lorsque l’argument de la
«question politique» est parfois invoqué devant la Cour internationale de Justice dans
des procédures consultatives et, très rarement aussi, dans des procédures
contentieuses.

La Cour a constamment rejeté cet argument comme ob16acle à l’examen d’une
affaire. Elle considère qu’il n’est pas fondé en droit.»

28. Dans l’ouvrage intitulé «The Law of the United Nations» (1951), M. Hans Kelsen a

analysé comme suit la différence entre les différends juridiques et politiques :

«Dans la terminologie courante, on distingue les différends «juridiques» de
ceux qui ne le sont pas, c’est-à-dire des différends «politiques». Le caractère juridique
ou non, autrement dit politique, d’un différend ne dépend pas du fond de celui-ci, à

savoir de l’objet qui oppose les parties, mais des normes qui lui sont applicables. Le
différend est de nature juridique s’il doit être tranché en suivant des normes de droit
positif, et de nature non juridique, soit politique, s’il y a lieu de le régler en appliquant
d’autres normes, notamment les principes de justice ou d’équité.» 17

29. En l’espèce, la situation correspond précisément au premier cas. La République des
Iles Marshall cherche à appliquer les normes de droit positif dans le différend qui l’oppose au
Pakistan.

L’argument relatif à la compétence nationale

30. La déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faite par le Pakistan
exclut les «différends concernant des questions qui, d’après le droit international, relèvent

exclusivement de la compétence nationale du Pakistan». Le terme «exclusivement» est très fort.
Une obligation de droit international coutumier consistant à négocier de bonne foi pour débarrasser
le monde des armes nucléaires ne saurait être caractérisée comme relevant «exclusivement de la
compétence nationale» d’un Etat, encore moins de celle d’un des neuf Etats à posséder de telles
armes de destruction massive.

16Le Procureur c. Duško Tadić (arrêt relatif à l’appel de la défense concernant l’exception préjudicielle
d’incompétence), affaire n IT-94-1-AR72 (2 octobre 1995), par. 24.

17Hans Kelsen, The Law of the United Nations: A Critical Analysis of Its Fundamental Problems, p. 478 (1951). - 9 -

L’argument relatif à la qualité pour agir

31. Après avoir, dans sa requête, fait part de son expérience des essais nucléaires, le
demandeur a exposé dans le présent mémoire l’intérêt qu’il avait, à différents titres, à ce qu’il soit
mis un terme à la menace nucléaire (voir ci-dessus «Les armes nucléaires, une épée de Damoclès

au-dessus de nos têtes»). Pour l’essentiel, la République des Iles Marshall considère que tout Etat a
qualité pour obtenir l’exécution, de la part de l’ensemble des autres Etats (et tout particulièrement
de ceux, comme le Pakistan, qui possèdent des armes nucléaires), de l’obligation découlant du droit
international coutumier «de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations
conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et

efficace». Comme indiqué au paragraphe 35 de sa requête, le demandeur soutient que l’obligation
coutumière de procéder à des négociations est une obligation erga omnes. Chaque Etat a donc un
intérêt juridique à ce qu’il soit satisfait à cette obligation en temps opportun.

32. Le demandeur appelle l’attention sur le passage suivant de la décision que 18 Cour a
rendue en l’affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited :

«Une distinction essentielle doit … être établie entre les obligations des Etats
envers la communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-à-vis
d’un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature même, les

premières concernent tous les Etats. Vu l’importance des droits en cause, tous les
Etats peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits
soient protégés ; les obligations dont il s’agit sont des obligations erga omnes.

Ces obligations découlent par exemple, dans le droit international

contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi
des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne
humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination
raciale. Certains droits de protection correspondants se sont intégrés au droit
international général (Réserves à la convention pour la prévention et la répression du

crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23) ; d’autres sont c19férés
par des instruments internationaux de caractère universel ou quasi universel.»

33. Ce dictum est important en ce que la Cour, s’exprimant sur la question du génocide, y

affirme que les obligations s’imposant à l’ensemble des autres Etats possédant des armes
nucléaires, ainsi que les droits de protection correspondants, peuvent découler du droit international
coutumier autant que du droit des traités. L’obligation qui a été invoquée par la République des
Iles Marshall contre tous les Etats dotés d’armes nucléaires en la présente espèce illustre le
chevauchement existant entre ces deux sources de droit. De toute évidence, pour ce qui est de

l’ensemble des Etats parties au TNP, l’obligation découle d’un traité. Toutefois, pour ce qui est des
quatre Etats non parties, dont le Pakistan, elle est de nature purement coutumière et, pour reprendre

18
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1970, p. 3.
19Ibid., p. 32. - 10 -

l’expression employée par la Cour en l’affaire de la Barcelona Traction, relève du «droit
international général» .20

34. La Cour pourra certes être amenée à examiner plus précisément la nature des obligations
erga omnes. De fait, dans l’affaire de la Barcelona Traction, elle n’a pas dressé la liste complète
des obligations auxquelles elle se référait, se contentant d’en fournir quelques exemples. L’on

pourrait donc ajouter à cette liste non exhaustive une question fondamentale pour la survie de
l’humanité et qui a toujours fait partie de l’ordre du jour de l’Organisation des Nations Unies
depuis la création de celle-ci, à savoir l’abolition des armes nucléaires . Ainsi que la Cour l’a

souligné dans son avis consultatif du 8 juillet 1996, «[l]e pouvoir destructeur des armes nucléaires
ne peut être endigué ni dans l’espace ni dans le temps. Ces armes ont le pouvoir de détruire toute
civilisation, ainsi que l’écosystème tout entier de la planète.» 22

35. La République des Iles Marshall est un petit Etat insulaire qui n’a pour lui que la force du
droit. Elle ne peut donc qu’avoir qualité pour obtenir l’exécution de l’obligation en vigueur de
poursuivre et de mener à terme des négociations conduisant à l’élimination des armes nucléaires

qui ont «le pouvoir de détruire toute civilisation, ainsi que l’écosystème tout entier de la planète».

36. Il existe à cet égard une analogie étroite avec les obligations que la Cour a déjà eu

l’occasion d’examiner s’agissant du génocide et de la torture. En l’affaire relative à des Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, elle a recherché «si le seul fait d’être partie à
la convention [contre la torture] [était] suffisant pour qu’un Etat soit fondé à la saisir d’une
demande tendant à ce qu’elle ordonne à un autre Etat partie de mettre fin à des manquements
23
allégués aux obligations que lui impose cet instrument» . Voici ce qu’elle a conclu :

«68. Ainsi qu’il est précisé dans son préambule, l’objet et le but de la

convention est «d’accroître l’efficacité de la lutte contre la torture … dans le monde
entier». En raison des valeurs qu’ils partagent, les Etats parties à cet instrument ont un
intérêt commun à assurer la prévention des actes de torture et, si de tels actes sont
commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité. … Tous les

autres Etats parties à la convention ont un intérêt commun à ce que l’Etat sur le
territoire duquel se trouve l’auteur présumé respecte ces obligations. Cet intérêt
commun implique que les obligations en question s’imposent à tout Etat partie à la
convention à l’égard de tous les autres Etats parties. L’ensemble des Etats parties ont

«un intérêt juridique» à ce que les droits en cause soient protégés (Barcelona Traction,
Light and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33). Les
obligations correspondantes peuvent donc être qualifiées d’«obligations erga omnes

partes», en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque Etat partie a un intérêt à ce
qu’elles soient respectées. De ce point de vue, les dispositions pertinentes de la

20 Les obligations découlant du droit coutumier étant parallèles à celles prévues par les traités, il convient de
relever que 146 Etats sont parties à la convention sur le génocide, 156 à la convention contre la torture et 190 au TNP.
Cette large adhésion au TNP pourrait justifier à elle seule de voir en son article VI une nouvelle source de droit
coutumier. Mais il se trouve par ailleurs que la Cour, dans l’avis consultatif qu’elle a rendu en 1996 sur la question de la
Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, aux paragraphes 99-101, fait à la fois référence à l’article VI et à
la pratique de l’Assemblée générale consistant à attester l’existence d’une obligation découlant du droit coutumier. Le
fait que les Etats ayant ratifié le traité soient désormais au nombre de 190, ainsi que la pratique ultérieure, notamment à

l’Assemblée générale, étaye sans conteste l’existence de cet usage.
21 Voir les débats concernant la première résolution de l’Assemblée générale sur toute question et la pratique
ultérieure aux paragraphes 100-103 de l’avis consultatif rendu par la Cour sur la question de la Licéité de la menace ou de
l’emploi d’armes nucléaires.

22C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 243, par. 35.
23
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil
2012, p. 422, par. 67. - 11 -

convention contre la torture sont comparables à celles de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide, au sujet desquelles la Cour a fait
observer ce qui suit :

«Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts propres ;
ils ont seulement tous et chacun un intérêt commun, celui de préserver les fins
supérieures qui sont la raison d’être de la convention.» (Réserves à la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,

C.I.J. Recueil 1951, p. 23.)

69. L’intérêt commun des Etats parties à ce que soient respectées les obligations
pertinentes énoncées dans la convention contre la torture implique que chacun d’entre

eux puisse demander qu’un autre Etat partie, qui aurait manqué auxdites obligations,
mette fin à ces manquements. Si un intérêt particulier était requis à cet effet, aucun
Etat ne serait, dans bien des cas, en mesure de présenter une telle demande. Il s’ensuit
que tout Etat partie à la convention contre la torture peut invoquer la responsabilité
d’un autre Etat partie dans le but de faire constater le manquement allégué de celui-ci

à des obligations erga omnes partes, telles que celles qui lui incombent en application
du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7, et de mettre fin à un tel
manquement.» 24

37. Il en va de même en la présente affaire. Outre la «consécrati25 … d’une obligation de
négocier de bonne foi un désarmement nucléaire» qu’il contient , le traité énonce, en préambule,
les principes qui sous-tendent cette obligation :

«Considérant les dévastations qu’une guerre nucléaire ferait subir à l’humanité
entière et la nécessité qui en résulte de ne ménager aucun effort pour écarter le risque
d’une telle guerre et de prendre des mesures en vue de sauvegarder la sécurité des
peuples,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Déclarant leur intention de parvenir au plus tôt à la cessation de la course aux
armements nucléaires et de prendre des mesures efficaces dans la voie du

désarmement nucléaire,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Désireux de promouvoir la détente internationale et le renforcement de la

confiance entre Etats afin de faciliter la cessation de la fabrication d’armes nucléaires,
la liquidation de tous les stocks existants desdites armes, et l’élimination des armes
nucléaires et de leurs vecteurs des arsenaux nationaux en vertu d’un traité sur le
désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace» . 26

38. Ce sont les mêmes considérations qui sous-tendent l’obligation prévue par le droit
international coutumier à laquelle la Cour a fait référence dans son avis consultatif. Les Iles

24
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil
2012, p. 449-450.
25 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 263,
par. 99.

26Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 729, p. 176 et 178,
préambule. - 12 -

Marshall soutiennent que l’obligation de négocier dans un tel contexte est une obligation dont tout
membre de la communauté internationale peut demander l’exécution.

39. Outre les conclusions similaires de la Cour sur le génocide et la torture, la position du
demandeur concernant la qualité pour agir est étayée par les articles 42 et 48 des articles de la CDI
27
sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite .

LE POINT II DE LA NOTE VERBALE

40. Le point II de la note verbale du Pakistan en date du 9 juillet 2014 comprend trois

phrases contenant quatre arguments différents visant à contester la compétence de la Cour ou la
recevabilité de l’instance introduite par les Iles Marshall.

Récurrence de l’argument relatif à la qualité pour agir

41. La première phrase est ainsi formulée : «… le programme nucléaire pakistanais n’a

aucune incidence directe sur les intérêts de la République des Iles Marshall». Cela semble être une
résurgence de l’argument relatif à la qualité pour agir, déjà examiné dans la partie intitulée «Les
armes nucléaires, une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes» du présent mémoire, dans laquelle
sont exposées les raisons pour lesquelles la République des Iles Marshall a intérêt à ce que soit
écartée la menace nucléaire, et dans la partie intitulée «L’argument relatif à la qualité pour agir».

L’utilisation potentielle d’armes nucléaires a bel et bien une incidence sur les intérêts des
Iles Marshall, car elle fait peser un risque majeur et inacceptable sur celles-ci. Par ailleurs, le
programme permanent d’armement nucléaire du Pakistan, ainsi que celui des autres puissances
nucléaires, est, rappelons-le, au cœur des préoccupations de la communauté internationale, dont les
Iles Marshall font partie. Ce programme permanent compte d’ailleurs au nombre des éléments de

preuve invoqués par les Iles Marshall pour établir que le Pakistan a manqué à l’obligation qui lui
incombe de s’engager de manière concrète et de bonne foi sur la voie de l’abolition des armes
nucléaires.

L’existence d’un «différend»

42. La deuxième phrase du point II de la note verbale contient deux arguments, dont le premier
semble consister à affirmer que les Iles Marshall n’ont pas fait état d’un différend au sens du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour («Il n’existe aucun différend direct ou indirect
entre la République des Iles Marshall et la République islamique du Pakistan».) Comme cela a été
précisé ci-dessus sous l’intitulé «Observations générales relatives à la compétence», non seulement

il existe un «différend» entre le demandeur et le Pakistan, mais en outre ledit différend est d’ordre
juridique, ainsi que l’exigent le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et les conditions dont le
Pakistan a assorti sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour. Le différend
concerne la question de savoir si le Pakistan respecte ou non l’obligation que lui impose le droit
international coutumier de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant

au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.

43. La Cour a établi des paramètres clairs pour déterminer l’existence d’un différend. Selon sa
jurisprudence constante, «[u]n différend est un désaccord sur un point de droit ou de fait, une

27Responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, résolution de l’Assemblée générale des
Nations Unies A/RES/56/83 (2002). - 13 -

contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes» . De plus, 28

«l’existence d’un différend [dans une affaire donnée] demande à être établie objectivement par la
Cour» et «[celle-ci], pour se prononcer, doit s’attacher aux faits. Il s’agit d’une question de fond,
et non de forme» . Il convient en particulier de «démontrer que la réclamation de l’une des parties
31
se heurte à l’opposition manifeste de l’autre» , cette opposition pouvant toutefois être déduite de
l’attitude adoptée par la partie concernée à l’égard de la réclamation. Ainsi que la Cour l’a déclaré,

«un désaccord sur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses
juridiques ou d’intérêts ou le fait que la réclamation de l’une des parties se heurte à
l’opposition manifeste de l’autre ne doivent pas nécessairement être énoncés

expressis verbis. Pour déterminer l’existence d’un différend, il est possible, comme en
d’autres domaines, d’établir par inférence quelle est en réalité la position ou l’attitude
d’une partie.» 32

44. Il est en l’espèce satisfait à ces critères. Il ressort des déclarations et de l’attitude des
Parties qu’il existe entre elles un différend d’ordre juridique sur la question de savoir si le Pakistan

respecte son obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant
au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.

45. Comme elle l’a exposé dans sa requête et dans l’introduction du présent mémoire, la
République des Iles Marshall est particulièrement consciente des effets potentiellement désastreux

des armes nucléaires et, ces dernières années, elle a accentué son engagement en faveur d’une
intensification du désarmement nucléaire dans le monde. A plusieurs reprises, et dans différentes
instances, elle a demandé aux Etats possédant des armes nucléaires de se conformer à leur
obligation de prendre des mesures en vue du désarmement nucléaire. C’est ainsi que, le

26 septembre 2013, à l’occasion de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des
Nations Unies sur le désarmement nucléaire, le ministre des affaires étrangères de la République
des Iles Marshall a instamment prié «toutes les puissances nucléaires d’intensifier leurs efforts pour
33
faire face à leurs responsabilités à l’égard d’un désarmement effectif et sûr» . Le 13 février 2014,
à l’occasion de la deuxième conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, la
République des Iles Marshall a réitéré sa position, affirmant expressément que tout Etat possédant

des armes nucléaires qui ne s’engageait pas dans des négociations conduisant au désarmement
nucléaire manquait à ses obligations internationales. Elle s’est exprimée en ces termes :

«les Iles Marshall sont convaincues que des négociations multilatérales visant à créer
un monde à jamais dépourvu d’armes nucléaires auraient dû être engagées depuis
longtemps. Nous estimons en effet que les Etats possédant un arsenal nucléaire ne

28 Affaire des Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I., série A, n 2, p. 11 et, plus
récemment, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30.

29 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
30
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30.
31
Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328 et, plus récemment, Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 442, par. 46.
32 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315, par. 89 ff.

33 Déclaration du ministre des affaires étrangères de la République des Iles Marshall, M. Phillip Muller,
en date du 26 septembre 2013 (disponible, en anglais, à l’adresse suivante : http ://www.un.org/en/ga/68/
meetings/nucleardisarmament/pdf/MH_en.pdf). - 14 -

respectent pas leurs obligations à cet égard. L’obligation d’œuvrer au désarmement
nucléaire qui incombe à chaque Etat en vertu de l’article VI du traité de
non-prolifération nucléaire et du droit international coutumier impose l’ouverture
immédiate et l’aboutissement de telles négociations.» 34

46. Cette déclaration illustre de façon parfaitement claire la teneur du grief sans équivoque
formulé par la République des Iles Marshall à l’encontre de tous les Etats détenteurs d’un arsenal
nucléaire, dont le Pakistan. Le comportement visé y est clairement énoncé, à savoir le fait que ces
Etats ne se sont pas sérieusement engagés dans des négociations multilatérales conduisant à un

désarmement nucléaire. Le fondement juridique du grief formulé à leur égard y est tout aussi
clairement indiqué, à savoir l’obligation juridique qui incombe à chaque Etat en vertu du droit
coutumier international.

47. Par cette déclaration sans équivoque, faite dans le cadre d’une conférence internationale

à laquelle le Pakistan participait, ce dernier a été informé que la République des Iles Marshall
estimait que, en ne s’engageant pas sérieusement dans des négociations multilatérales, il violait ses
obligations internationales découlant du droit international coutumier. Cette déclaration publique,
ainsi que, plus généralement, la position adoptée par la République des Iles Marshall sur cette
question depuis quelques années, constituent une preuve manifeste de l’existence d’un différend

entre elle et chacun des Etats possédant des armes nucléaires, dont le Pakistan. Par son objet, ce
différend est identique à celui que la République des Iles Marshall a par la suite soumis à la Cour
par sa requête. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à l’Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie
c. Fédération de Russie), la Cour a reconnu que

«[s]’il n’est pas nécessaire qu’un Etat mentionne expressément, dans ses échanges
avec l’autre Etat, un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer ledit traité
devant la Cour (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt,

C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83), il doit néanmoins s’être référé assez
clairement à l’objet du traité pour que l’Etat contre lequel il formule un grief puisse
savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet égard» .5

Si ce dictum concerne un différend ayant trait à l’application d’un traité, il en va de même des

différends ayant trait au droit international coutumier. En l’espèce, il ne fait aucun doute que la
République des Iles Marshall a fait plusieurs fois suffisamment clairement état de ses griefs à
l’égard du Pakistan pour que celui-ci «puisse savoir qu’un différend exist[ait] ou p[ouvait] exister à
cet égard». Aussi le Pakistan ne saurait-il à présent soutenir sérieusement que la République des
Iles Marshall n’a pas démontré l’existence d’un différend entre les deux pays au sujet du

non-respect par le Pakistan de l’obligation que lui impose le droit international coutumier
d’engager des négociations conduisant au désarmement nucléaire.

48. On ne saurait contester que les griefs formulés par la République des Iles Marshall se
soient heurtés à l’opposition manifeste du Pakistan. On peut, en premier lieu, déduire cette

opposition du comportement adopté par celui-ci. Alors que, dans ses déclarations publiques, le
Pakistan a fréquemment réaffirmé son attachement à l’objectif consistant à débarrasser le monde

34
Déclaration des Iles Marshall, deuxième conférence sur l’impact humanitaire des armes nucléaires, Nayarit,
Mexique, 13-14 février 2014 (disponible, en anglais, à l’adresse suivante : http ://www.reachingcriticalwill.org/images/
documents/Disarmament-fora/nayarit-2014/statements/MarshallIslands.pdf).
35Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30. - 15 -

36
des armes nucléaires , il ressort de son comportement, qui est demeuré inchangé malgré les griefs
et les demandes formulés par la République des Iles Marshall, qu’il ne respecte pas l’obligation que
lui impose le droit international coutumier de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des
négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects. Au lieu de cela, il

maintient une ligne de conduite qui consiste à accroître et à améliorer ses forces nucléaires et qui
est contraire à l’objectif du désarmement nucléaire. Dans sa requête, la République des
Iles Marshall a déjà exposé les projets actuels du Pakistan tendant à étendre, améliorer et diversifier
son arsenal nucléaire . Il n’est pas nécessaire de revenir ici sur ce point. Ce qu’il convient de

souligner à ce stade, c’est que, par son comportement, le Pakistan a clairement démontré son
opposition aux griefs formulés par la République des Iles Marshall. Ainsi que la Cour l38 déclaré,
déterminer s’il existe un différend est «une question de fond, et non de forme» . Or le fond de
l’affaire réside dans le fait que le Pakistan maintient un comportement contraire à l’obligation que
lui impose le droit international coutumier de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des

négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle
international strict et efficace.

49. Non seulement l’opposition du Pakistan aux griefs formulés par la République des

Iles Marshall peut être déduite de son comportement, mais celui-ci a également explicitement
contesté le bien-fondé de ces griefs. Dans sa note verbale en date du 9 juillet 2014, il a déclaré
(par. 2, point III) que «l’interprétation exagérée et infondée de l’article VI [du TNP] ne
s’appliqu[ait] ni aux Etats non parties [à ce traité] ni erga omnes» et que, de surcroît (point VII), il
«n’a[vait] de cesse de soutenir, au sein des enceintes multilatérales appropriées, un désarmement

général, complet et vérifiable qui repose sur les principes de l’universalité et de la
non-discrimination et s’effectue sous un régime de contrôle international efficace.»

50. S’agissant du fait que le Pakistan n’est pas partie au TNP, il ressort clairement de la

requête de la République des Iles Marshall que la revendication formulée par celle-ci à l’égard du
Pakistan est uniquement fondée sur le droit international coutumier. On comprend difficilement, à
la lecture de la note verbale, quelle est exactement la position du Pakistan en ce qui concerne
l’obligation de poursuivre de bonne foi et de mener à terme des négociations conduisant au
désarmement nucléaire. Il est néanmoins évident qu’il existe un différend d’ordre juridique entre

les Parties quant à la teneur et aux conséquences de l’obligation énoncée dans la requête, quant à la
question de savoir s’il s’agit d’une obligation de nature coutumière et qui, dès lors, s’applique au
Pakistan, et quant à celle de savoir en outre s’il s’agit d’une obligation dont le respect est dû à la
communauté internationale dans son ensemble (erga omnes) par le Pakistan. Par ailleurs,

s’agissant de l’argument du Pakistan selon lequel celui-ci respecterait cette obligation du seul fait
des positions qu’il adopte dans des enceintes multilatérales, c’est là une affirmation que la
République des Iles Marshall conteste, comme le montre sa requête.

51. S’il convient de laisser à la phase de l’examen de l’affaire au fond toute question relative
à la teneur de l’obligation de négocier invoquée à l’encontre du Pakistan, il faut, au présent stade de
l’affaire, souligner que la note verbale de ce dernier ne fait que confirmer l’existence d’un différend
entre lui-même et la République des Iles Marshall. En exprimant son désaccord à l’égard des
positions de la République des Iles Marshall quant à l’existence d’une obligation internationale

pouvant être invoquée contre lui, le Pakistan montre lui-même qu’il existe un différend entre les
Parties. La Cour a l’obligation de connaître du différend et de dire ce qu’impose le droit

36
Pour les références, voir requête de la République des Iles Marshall, par. 30-32.
37Ibid., par. 27-29.

38Voir supra, note n 35. - 16 -

international coutumier, et elle a compétence pour ce faire. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire
relative à Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), la Cour a relevé que :

«dans la présente affaire, les griefs formulés en fait et en droit par le Liechtenstein

contre l’Allemagne sont rejetés par cette dernière. Conformément à sa jurisprudence
bien établie … , la Cour conclut que «[d]u fait de ce rejet, il existe un différend
39
d’ordre juridique» entre le Liechtenstein et l’Allemagne» .

De la même manière, on peut en l’espèce affirmer que les griefs formulés en droit par la
République des Iles Marshall sont rejetés par le Pakistan et que, par conséquent, du fait de ce rejet,

il existe un différend d’ordre juridique entre ces deux Etats.

52. Le fait que ces éléments soient suffisants pour prouver l’existence d’un différend est
confirmé par la jurisprudence bien établie de la Cour, aux termes de laquelle :

«[il n’est pas nécessaire] que l’existence de la contestation se soit manifestée d’une
certaine manière, par exemple par des négociations diplomatiques. Il paraît bien
désirable qu’un Etat ne procède pas à une démarche aussi sérieuse que l’assignation

d’un autre Etat devant la Cour, sans avoir auparavant, dans une mesure raisonnable,
tâché d’établir clairement qu’il s’agit d’une différence de vues qui ne peut être
dissipée autrement. Mais, vu la teneur du texte, la Cour estime ne pas pouvoir exiger

que la contestation se soit formellement manifestée ; à son avis, il doit suffire que les
deux gouvernements aient en fait manifesté des opinions opposées quant au sens et à
la portée d’un arrêt de la Cour.» 40

53. A propos de cette conclusion, il a été déclaré que «[c]ela rev[enait] à dire qu’établir

l’existence d’un différend suppos[ait] qu’un grief ait été formulé par une partie et rejeté par une
autre, mais que ce rejet n’a[vait] pas à être le résultat de négociations ou de contacts antérieurs
entre les Etats en litige» . Le même auteur a également relevé que, pour qu’un conflit donne lieu à

un différend, «il est nécessaire que l’un des Etats concernés l’«active» en formulant des griefs
auxquels l’autre devra s’opposer. Cela peut se produire par voie de négociations diplomatiques
préalables à la saisine de la Cour ou de déclarations faites à la Cour elle-même» . De surcroît, si,

bien entendu, ainsi que l’a décl43é la Cour, «[e]n principe, le différend doit exister au moment où la
requête [lui] est soumise» , l’existence de celui-ci tel qu’il est défini dans la requête peut
également être prouvée par les positions adoptées par les Parties devant la Cour. De fait, aux fins

39
Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 19, par. 25.
40 Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I. série A n 13, p. 10-11 ;

également Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du 24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 218, par. 46.
La présente affaire satisfait même à cette condition, qui est celle que doit remplir un différend soumis à la Cour en vertu
de l’article 60 du Statut, or la gamme des différends en fait et en droit pouvant être soumis à celle-ci en vertu de
l’article 36 est bien plus vaste.
41
R. Kolb, The International Court of Justice, Hart Publishing, 2013, p. 314.
42 Ibid., p. 306.

43 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30 ; Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 442, par. 46. - 17 -

de déterminer l’existence d’un différend, la Cour a, dans plu44eurs affaires, attribué une valeur
probante aux déclarations faites devant elle par les Parties .

54. En conclusion, par leurs déclarations et comportements antinomiques tant avant qu’après
le dépôt de la requête, la République des Iles Marshall et le Pakistan ont manifesté l’existence d’un

différend quant au non-respect par ce dernier de son obligation de poursuivre de bonne foi et de
mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous
un contrôle international strict et efficace. Dès lors, l’exception soulevée par le Pakistan à cet
égard doit être rejetée.

L’absence de traité ou de convention en vigueur

55. Dans la seconde partie de la deuxième phrase du point II de sa note verbale, le Pakistan
ajoute l’argument selon lequel «la requête ne renvoie [en outre] à aucun traité ou convention en
vigueur entre [lui-même et la République des Iles Marshall] conférant compétence à la Cour
conformément à l’article 36 de son Statut.» La République des Iles Marshall convient qu’il

n’existe pas de «traité ou convention en vigueur» conférant compétence à la Cour en vertu du
paragraphe 1 de l’article 36 du Statut. Sa requête n’est toutefois pas fondée sur cette disposition.
Comme exposé à son paragraphe 60, celle-ci est entièrement fondée sur les obligations réciproques
qui incombent aux Parties en vertu de leurs déclarations faites au titre du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut de la Cour. Les deux paragraphes de cet article constituent deux bases de

compétence distinctes et l’une ou l’autre suffit à conférer compétence à la Cour.

La réserve relative aux traités multilatéraux

56. A la troisième phrase du point II de sa note verbale, le Pakistan donne à entendre que,

dans leur requête, les Iles Marshall «n’[ont] pas tenu compte des réserves dont le Pakistan a assorti
sa déclaration d’acceptation en vertu de la clause facultative et qui empêchent toute partie
d’invoquer la compétence de la Cour relativement à un quelconque différend qui s’élèverait à
propos de l’interprétation ou de l’application d’un traité multilatéral». Le demandeur a déjà traité
cet argument dans la partie intitulée «Observations générales relatives à la compétence». Le
différend qui l’oppose au Pakistan trouve son origine dans l’obligation que le droit international

coutumier impose à celui-ci, et non dans une obligation contractée en vertu d’un traité multilatéral.
La République des Iles Marshall développera cet argument dans les paragraphes suivants.

57. Il ressort des mots employés dans la réserve formulée par le Pakistan que celle-ci est
soumise à deux conditions. La première concerne l’objet du différend, ladite réserve s’appliquant

aux différends «qui s’élèveraient à propos d’un traité multilatéral». Ainsi, l’existence d’un
différend à ce sujet présuppose que les affirmations du demandeur soient fondées sur un traité
multilatéral applicable à la relation que celui-ci entretient avec le défendeur. La seconde condition
est que «toutes les parties au traité dont il s’agit» soient «également parties à l’affaire portée devant
la Cour» ou, à défaut, que le Pakistan ait accepté la juridiction de la Cour pour le cas d’espèce.

L’intention qui sous-tend ce texte est d’exclure la possibilité qu’un différend relatif à un traité
multilatéral auquel le Pakistan est partie soit introduit contre lui seul, sans que les autres parties au
traité dont il s’agit ne soient également parties à l’affaire et, partant, liées par l’interprétation que la
Cour fera de celui-ci.

44Voir, notamment, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ;
Guinée équatoriale (intervenant)), C.I.J. Recueil 1998, arrêt, p. 316, par. 93 ; Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), C.I.J. Recueil 1996 (II),
arrêt, p. 614-615, par. 29 ; Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), C.I.J. Recueil 2005, arrêt, p. 19, par. 25. - 18 -

58. Cette réserve ne saurait servir à exclure la compétence de la Cour à l’égard du différend
soumis par la République des Iles Marshall, car il n’existe pas de différend entre celle-ci et le
Pakistan «à propos d’un traité multilatéral». Si l’obligation d’engager de bonne foi des
négociations conduisant au désarmement nucléaire est également énoncée à l’article VI du TNP, le
différend entre les Iles Marshall et le Pakistan ne «s’élèv[e pas] à propos» de cet instrument,

puisque le Pakistan n’y est pas partie. La Cour a donc à connaître en l’espèce d’un différend ayant
exclusivement trait au respect, par le Pakistan, de l’obligation que lui impose le droit international
coutumier de poursuivre de bonne foi et de mener à leur terme des négociations conduisant au
désarmement nucléaire dans tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace. Le

fait que la règle inscrite à l’article VI du TNP ait le même contenu que la règle de droit
international coutumier sur laquelle la République des Iles Marshall fonde sa demande ne
transforme pas — et ne saurait transformer — le présent différend en un différend à propos du
TNP.

59. L’objection du Pakistan est tout à fait contraire à la position adoptée par la Cour dans
l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique). Sur le plan fonctionnel, la réserve des Etats-Unis
est formulée de la même manière que celle du Pakistan. Dès lors, ce qu’a dit la Cour dans cette
affaire s’applique aussi en la présente espèce. Les Etats-Unis avaient à l’époque soutenu que, si les

prétentions du demandeur ne faisaient que reprendre ses demandes expressément fondées sur
certains traités multilatéraux, la réserve s’appliquait aussi aux différends formulés en vertu du droit
international coutumier.

La Cour a écarté cet argument dans les termes suivants :

«La Cour ne peut rejeter les demandes nicaraguayennes fondées sur les
principes du droit international général et coutumier au seul motif que ces principes
sont repris dans les textes des conventions invoquées par le Nicaragua. Le fait que les
principes susmentionnés, et reconnus comme tels, sont codifiés ou incorporés dans des
conventions multilatérales ne veut pas dire qu’ils cessent d’exister et de s’appliquer en

tant que princ45es de droit coutumier, même à l’égard de pays qui sont parties auxdites
conventions.»

La Cour a également formulé l’observation suivante :

«l’effet de la réserve est uniquement d’exclure l’applicabilité de la Charte des
Nations Unies et celle de l’Organisation des Etats américains en tant que droit
conventionnel multilatéral et n’a pas d’autre incidence sur les sources du droit
international que l’article 38 du Statut prescrit à la Cour d’appliquer» .

60. Il convient de relever que, si la réserve relative aux traités multilatéraux avait été
invoquée en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), c’est parce que le différend soumis par le Nicaragua était en
réalité un différend tant au regard du droit conventionnel multilatéral que du droit international
coutumier. En la présente espèce, en revanche, le différend qui oppose la République des

Iles Marshall et le Pakistan est— et ne peut qu’être — un différend relevant exclusivement du droit
international coutumier, le Pakistan n’étant pas partie au TNP. L’invocation de cette réserve par le
Pakistan n’en est que d’autant moins fondée, si tant est que cela soit possible.

45
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence de la Cour et recevabilité de la requête, arrêt du 26 novembre 1984, C.I.J. Recueil 1984, p. 424, par. 73.
46Ibid., fond, arrêt du 27 juin 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 38, par. 56. - 19 -

61. Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, l’objection que le Pakistan a soulevée en
invoquant la réserve relative aux traités multilatéraux doit être rejetée.

L E POINT IIIDE LA NOTE VERBALE

L’argument selon lequel le Pakistan n’est pas partie au TNP

62. Au point III de sa note verbale en date du 9 juillet 2014, le Pakistan déclare qu’il n’est
pas partie au TNP, ce dont conviennent les Iles Marshall. Il avance également un argument qui

semble nier l’existence et la nature erga omnes de l’obligation de droit international coutumier
reconnue dans l’avis consultatif du 8 juillet 1996. Ces questions ont été traitées précédemment
dans les sections intitulées «Observations générales relatives à la compétence», «L’argument relatif
à la qualité pour agir» et «L’existence d’un différend».

L E POINT IV DE LA NOTE VERBALE

L’argument relatif au principe de «non-discrimination»

63. Au point IV de sa note verbale en date du 9 juillet 2014, le Pakistan fait valoir un
«principe de non-discrimination» exigeant «que l’ensemble des Etats possédant des armes
nucléaires participent à la présente instance et que ceux-ci [acceptent] la compétence de la Cour en
l’espèce». Malgré ses recherches, le demandeur n’a pas trouvé un tel «principe» dans la
jurisprudence de la Cour ou dans celle de sa devancière, la Cour permanente de Justice

internationale. Aussi imparfaite qu’elle soit, l’analogie la plus proche est fournie par la décision
rendue par la Cour en l’affaire de l’Or monétaire et la jurisprudence qui en découle.

64. Selon sa jurisprudence, la Cour ne peut exercer sa juridiction si un Etat tiers peut être

considéré comme ayant un intérêt légitime dans un différend dont elle est saisie et si cet intérêt
juridique «[est] non seulement touché[] par une décision, mais constitue[] l’objet même de ladite
décision» . Ainsi, en l’affaire de l’Or monétaire, la Cour s’est abstenue d’exercer sa juridiction
puisqu’elle ne pouvait connaître du différend principal entre l’Italie et le Royaume-Uni sans statuer

sur une question préliminaire essentielle ayant trait à la responsabilité internationale d’un Etat, en
l’occurrence, l’Albanie, qui n’était pas partie à l’instance. De même, dans l’affaire du
Timor oriental, elle a estimé qu’elle ne saurait

«exercer la compétence qu’elle tient des déclarations faites par les Parties

conformément au paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut car, pour se prononcer sur
les demandes du Portugal, elle devrait statuer à titre préalable sur la licéité du
comportement de l’Indonésie en l’absence du consentement de cet Etat» . 48

65. Le présent différend relatif à l’obligation du Pakistan de poursuivre de bonne foi et de
mener à terme des négociations conduisant au désarmement nucléaire ne soulève pas la question de
la tierce partie indispensable. L’objet du cas d’espèce est l’allégation de non-respect, par le
défendeur, d’une obligation lui incombant en vertu du droit international coutumier. Cette
allégation n’est en rien affaiblie par le fait que le même comportement illicite puisse être imputé à

d’autres Etats. Ainsi qu’énoncé au paragraphe 1 de l’article 47 du projet d’articles sur la
responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, «[l]orsque plusieurs Etats sont

47 Affaire de l’or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume–Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et Etats-Unis d’Amérique), question préliminaire, arrêt du 15 juin 1954, C.I.J. Recueil 1954, p. 32.

48Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt du 30 juin 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 105, par. 35. - 20 -

responsables du même fait internationalement illicite, la responsabilité de chaque Etat peut être
invoquée par rapport à ce fait» . Pour statuer sur la question du non-respect par le défendeur de
l’obligation énoncée dans le droit international coutumier, la Cour n’a pas besoin de se prononcer,
à titre préliminaire, sur la position juridique d’un Etat tiers. Il se peut que, d’une manière abstraite,

tous les Etats soient «touchés» par l’interprétation de la Cour du droit international coutumier,
même si l’arrêt de celle-ci n’est pas juridiquement contraignant pour les Etats tiers. Cependant, il
convient d’opérer une distinction entre, d’une part, l’existence d’un intérêt à voir déterminer des
obligations de droit international coutumier et, d’autre part, la situation dans laquelle la position

juridique d’Etats tiers «constituer[ait] l’objet même» de la décision. Il n’est donc pas justifié
d’appliquer l’exception relative à la tierce partie indispensable.

66. En d’autres termes, on peut affirmer qu’une décision de la Cour concernant les
obligations qu’impose le droit international coutumier à un Etat possédant des armes nucléaires

pourrait avoir des implications pour tous les autres Etats dotés de telles armes, en particulier si leur
position ne diffère pas de celle de l’Etat défendeur. Il y a toutefois lieu de distinguer cette situation
du cas où la position juridique d’un Etat tiers constitue l’objet même du différend. Ainsi que la
Cour l’a observé en l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru,

«toute décision de la Cour sur l’existence ou le contenu de la responsabilité que Nauru
impute à l’Australie pourrait certes avoir des incidences sur la situation juridique des
deux autres Etats concernés [la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, qui, avec
l’Australie, étaient les autorités administrantes de Nauru avant que cet Etat n’accède à

l’indépendance], mais la Cour n’aura pas à se prononcer sur cette situation juridiqu50
pour prendre sa décision sur les griefs formulés par Nauru contre l’Australie» .

Dans cet arrêt, la Cour n’a pas retenu l’objection de l’Australie selon laquelle elle devrait s’abstenir
d’exercer sa juridiction au motif que la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni n’étaient pas parties à

l’instance. De même, la Cour n’a pas à se prononcer sur la situation juridique des autres Etats
possédant des armes nucléaires pour déterminer si le défendeur viole ses obligations de droit
international coutumier, et ce, même si sa décision «pourrait [] avoir des incidences sur la situation
juridique» de ces Etats.

67. En effet, la position des Iles Marshall est plus solide encore que celle de Nauru dans
l’affaire des Terres à phosphates. Dans cette instance, il était affirmé que l’obligation de
l’Australie et celles de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni étaient solidaires. En la présente
espèce, c’est une obligation individuelle incombant à chaque Etat en vertu du droit international

coutumier que les Iles Marshall cherchent à faire exécuter.

68. Les Iles Marshall déplorent ne n’avoir pu appeler tous les Etats dotés d’armes nucléaires
à comparaître devant la Cour. C’est là le propre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, et tous

les Etats ne sont pas aussi louables que le Pakistan, qui a bien voulu reconnaître la compétence de
la Cour.

49Voir ci-dessus la note n 27.

50 Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 261-262, par. 55. - 21 -

L E POINT V DE LA NOTE VERBALE

L’allégation relative au «formalisme juridique»

69. Il est difficile de saisir la teneur des objections soulevées par le Pakistan au point V de sa
note verbale du 9 juillet 2014, ainsi qu’aux points VI et VII, et la République des Iles Marshall se

réserve le droit d’y revenir si le Pakistan venait à clarifier ces arguments ultérieurement. Le
point V ne semble pas contenir d’argument juridique. Il va sans dire que la République des
Iles Marshall ne considère pas qu’une décision de la Cour reconnaissant sa compétence et la
recevabilité de la requête relèverait «d’un certain formalisme juridique», ni qu’il y aurait
«manifestement abus de la procédure de la Cour».

LE POINT VI DE LA NOTE VERBALE

Renvoi général aux arguments précédents

70. Au point VI de sa note verbale du 9 juillet 2014, le Pakistan semble avancer des

arguments déjà formulés dans les points précédents. Il s’agit apparemment de la simple réitération
d’arguments généraux sur la compétence et la recevabilité qui sont traités dans d’autres parties du
présent mémoire.

LE POINT VII DE LA NOTE VERBALE

L’affirmation selon laquelle le Pakistan respecterait l’obligation qui lui incombe

71. Au point VII de sa note verbale du 9 juillet 2014, le Pakistan semble affirmer qu’il
respecte en fait l’obligation de droit international coutumier reconnue par la Cour dans son avis
consultatif du 8 juillet 1996. Si c’est bien ainsi que ce point peut être interprété, il concerne des

questions (de droit et de fait) qui touchent au fond de l’affaire, et non une question de nature
préliminaire qu’il y aurait lieu d’examiner à ce stade de la procédure.

L E POINT VIIIDE LA NOTE VERBALE

Réserve de droit

72. Le Pakistan déclare au point VIII qu’il «se réserve tous les droits de protéger ses intérêts
nationaux vitaux». La République des Iles Marshall affirme pour sa part que tous les Etats
jouissent de tels droits dans les limites du droit international. - 22 -

TROISIEME PARTIE

CONCLUSION

73. Conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le 10 juillet 2014, le présent mémoire
est limité aux questions de compétence et de recevabilité soulevées par le Pakistan. En ce qui

concerne le fond de l’affaire, le demandeur maintient ses conclusions, y compris la décision
sollicitée, telles qu’exposées dans la requête en date du 24 avril 2014. Il se réserve le droit de
préciser ou modifier ces conclusions à un stade ultérieur de la procédure.

74. Sur la base de l’exposé des faits et des moyens juridiques qui précède, la République des
Iles Marshall prie la Cour de dire et juger qu’elle a compétence pour connaître de la présente

affaire et que la requête est recevable.

Fait le 12 janvier 2015

Le coagent de la République des Iles Marshall
devant la Cour internationale de Justice,

(Signé) M. Tony A.DE B RUM .

Le coagent de la République des Iles Marshall
devant la Cour internationale de Justice,

(Signé) M. PhonVAN DEN B IESEN.

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Document Long Title

Mémoire des Iles Marshall

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