Observations écrites du Costa Rica sur la recevabilité des demandes reconventionnelles présentées par le Nicaragua

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18740
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CERTAINES ACTIVITÉS MENÉES PAR LE NICARAGUA DANS LA RÉGION FRONTALIÈRE
(COSTA RICA C. NICARAGUA)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU COSTA RICA SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES
RECONVENTIONNELLES PRÉSENTÉES PAR LE NICARAGUA
Le 30 novembre 2012
TABLE DES MATIÈRES
Pages
I. Introduction ..................................................................................................................................... 1
II. La première demande reconventionnelle (construction d’une route) est irrecevable ................... 3
A. Le Nicaragua ne peut opposer la même réclamation au Costa Rica dans le cadre de
deux actions distinctes devant la Cour ..................................................................................... 4
B. La première «demande reconventionnelle» n’est pas en connexité directe avec la
présente affaire ......................................................................................................................... 7
a) Absence de lien de connexité sur le plan factuel ................................................................ 7
i) Les faits pertinents sont de nature différente ................................................................ 7
ii) Les faits pertinents se rapportent à des lieux et à des moments différents ................... 8
b) Le caractère artificiel du «lien de connexité juridique directe» invoqué par le
Nicaragua ......................................................................................................................... 10
C. La jonction des deux instances n’est pas opportune ............................................................... 11
D. Conclusion ............................................................................................................................. 12
III. La Cour n’a pas compétence a l’égard des deuxième et troisième demandes
reconventionnelles ...................................................................................................................... 12
IV. La deuxième demande reconventionnelle (baie de San Juan del Norte) est irrecevable............ 15
A. Absence de lien de connexité sur le plan factuel.................................................................... 15
B. Absence de lien de connexité sur le plan juridique ................................................................ 16
V. La troisième demande reconventionnelle (droit de passage par le Colorado) est
irrecevable ................................................................................................................................... 17
A. Absence de lien de connexité sur le plan factuel.................................................................... 18
B. Absence de lien de connexité sur le plan juridique ................................................................ 19
VI. Conclusion ................................................................................................................................. 21
___________
I. INTRODUCTION
1.1. Dans son contre-mémoire du 6 août 2012 en la présente affaire relative à
Certaines activités, le Nicaragua a présenté pas moins de quatre demandes reconventionnelles
touchant diverses questions. Par une lettre du 28 septembre 2012, le greffier a invité le Costa Rica
à formuler ses observations sur la recevabilité de ces demandes reconventionnelles d’ici le
30 novembre 2012.
1.2. Les quatre demandes reconventionnelles du Nicaragua ont trait aux questions suivantes :
1) Les conséquences de la construction d’une route le long du fleuve San Juan ;
2) les conséquences du fait que la baie de San Juan del Norte n’existe plus ;
3) le droit des navires nicaraguayens d’emprunter le fleuve Colorado pour gagner l’océan ;
4) la violation par le Costa Rica de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue
par la Cour1.
1.3. Le Costa Rica considère que les trois premières demandes reconventionnelles sont
irrecevables, aucune d’elles n’étant en connexité directe avec ses propres demandes en l’espèce,
ainsi qu’exigé au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement de la Cour. En outre, la première
demande reconventionnelle est identique à la demande présentée par le Nicaragua dans sa requête
du 21 décembre 2011 en l’affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du
fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), et doit être rejetée pour cette raison également. Enfin,
en ce qui concerne les deuxième et troisième demandes reconventionnelles, la Cour n’a pas
compétence pour les accueillir.
1.4. Le Costa Rica reconnaît que la quatrième demande reconventionnelle, qui a trait à des
violations alléguées de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le
8 mars 2011, est recevable. Il n’est pas opportun d’examiner ici le fond de cette demande
reconventionnelle, ni les affirmations bien plus crédibles que le Costa Rica a formulées, preuves à
l’appui, concernant la manière dont le Nicaragua a lui-même méconnu l’ordonnance de la Cour
(voir les lettres du Costa Rica en date des 8 avril 2011, 13 avril 2011, 23 juin 2011, 3 juillet 2012 et
21 novembre 2012). La quatrième demande reconventionnelle du Nicaragua ne sera donc pas
examinée plus avant dans les présentes observations : la Cour aura l’occasion de connaître des
violations de l’ordonnance du 8 mars 2011 dont les deux Parties font état lors des audiences sur le
fond.
1.5. Aux termes de l’article 80 du Règlement de la Cour :
«1. La Cour ne peut connaître d’une demande reconventionnelle que si celle-ci
relève de sa compétence et est en connexité directe avec l’objet de la demande de la
partie adverse.
2. La demande reconventionnelle est présentée dans le contre-mémoire et figure
parmi les conclusions contenues dans celui-ci. Le droit qu’a l’autre Partie d’exprimer
ses vues par écrit sur la demande reconventionnelle dans une pièce de procédure
1 CMN, chapitre 9.
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additionnelle est préservé, indépendamment de toute décision prise par la Cour,
conformément au paragraphe 2 de l’article 45 du présent Règlement, quant au dépôt
de nouvelles pièces de procédure.
3. En cas d’objection relative à l’application du paragraphe 1 ou à tout moment
lorsque la Cour le considère nécessaire, la Cour prend sa décision à cet égard après
avoir entendu les parties.»
1.6. Le droit relatif à la recevabilité des demandes reconventionnelles et à la compétence de
la Cour pour en connaître est bien établi :
1) La demande reconventionnelle doit relever de la compétence de la Cour, telle qu’acceptée par
les parties2.
2) Pour satisfaire à la prescription formulée au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement, qui
exige qu’elle soit «en connexité directe avec l’objet» de la demande principale, la demande
reconventionnelle doit présenter un lien factuel direct avec celle-ci. Tel est le cas lorsque la
demande reconventionnelle :
a) porte sur des faits de même nature3, et
b) fait partie du même ensemble factuel complexe, en tant qu’elle porte sur des faits qui ont
eu lieu sur le même territoire, au cours de la même période, et qui s’inscrivent dans le
cadre des mêmes événements4.
Telle est la raison pour laquelle ont été jugées recevables les demandes reconventionnelles
présentées par la Belgique dans l’affaire des Prises d’eau à la Meuse5, par le Pérou dans
l’affaire du Droit d’asile6, par la République fédérale de Yougoslavie (telle qu’elle existait
alors) dans l’affaire du Génocide7, par les Etats-Unis d’Amérique dans l’affaire des
Plates-formes pétrolières8, par le Nigéria dans l’affaire Cameroun c. Nigéria9, ainsi que deux
des trois demandes reconventionnelles présentées par l’Ouganda dans l’affaire des Activités
armées sur le territoire du Congo10, la troisième ayant été déclarée irrecevable car elle ne
répondait pas à ces conditions.
2 Paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement ; Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du
17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 31 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie),
demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 321, par. 31.
3 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 34.
4 Ibid.
5 Prises d’eau à la Meuse, arrêt, 1937, C.P.J.I. série A/B no 70, p. 28.
6 Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 280-281.
7 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 34.
8 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle,
ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 205, par. 38.
9 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), ordonnance du
30 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 985-986.
10 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), ordonnance du
29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 678-680, par. 38-43.
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3) Pour satisfaire à la condition de connexité directe, il doit également exister un lien juridique
suffisant entre la demande reconventionnelle et la demande principale11. Cette condition ne
sera remplie que si la demande reconventionnelle et la demande principale visent à atteindre le
même but juridique, comme l’établissement d’une responsabilité au regard du même instrument
international12.
1.7. Dans les présentes observations écrites, le Costa Rica démontrera pourquoi les première,
deuxième et troisième demandes reconventionnelles sont irrecevables au regard de ces règles.
Il suivra le plan ci-après :
 Section II : La première demande reconventionnelle (construction d’une route) est irrecevable.
 Section III : La Cour n’a pas compétence à l’égard des deuxième et troisième demandes
reconventionnelles. A titre subsidiaire :
 Section IV : La deuxième demande reconventionnelle (baie de San Juan del Norte) est
irrecevable.
 Section V : La troisième demande reconventionnelle (droit de passage par le Colorado) est
irrecevable.
Le Costa Rica exposera enfin ses conclusions.
II. LA PREMIÈRE DEMANDE RECONVENTIONNELLE (CONSTRUCTION D’UNE ROUTE)
EST IRRECEVABLE
2.1. La première demande reconventionnelle a trait à la construction par le Costa Rica d’une
route le long du fleuve San Juan. Selon le Nicaragua, elle a pour objet
«la perturbation et l’arrêt éventuel de la navigation sur le San Juan en raison de la
construction d’une route le long de la rive droite du fleuve par le Costa Rica, en
violation des obligations qui découlent du traité de limites de 1858 et de plusieurs
règles conventionnelles et coutumières relatives à la protection de l’environnement et
aux relations de bon voisinage»13.
2.2. Voici la décision que le Nicaragua demande à cet égard dans ses conclusions :
«Le Nicaragua prie la Cour de déclarer que :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
3) Le Costa Rica est responsable envers le Nicaragua
11 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 35 ;
Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle,
ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 205, par. 38 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et
le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), ordonnance du 30 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 985.
12 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 35.
13 CMN, par. 9.7.
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 en raison de la construction d’une route le long du fleuve San Juan de Nicaragua
par le Costa Rica, en violation des obligations qui découlent du traité de limites
de 1858 et de plusieurs règles conventionnelles et coutumières relatives à la
protection de l’environnement et aux relations de bon voisinage.»14
2.3. La première demande reconventionnelle est irrecevable pour les motifs suivants :
1) Elle est identique à la demande formulée par le Nicaragua dans sa requête introductive
d’instance en une autre affaire. Il n’est pas loisible à un Etat de faire simultanément valoir la
même réclamation dans le cadre de deux procédures distinctes, ce qui est contraire au principe
général exprimé à l’article IV du pacte de Bogotá, qui interdit expressément une telle pratique.
2) Le lien de connexité directe requis au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement n’existe pas,
que ce soit :
a) du point de vue juridique ; ou
b) sur le plan des faits.
3) Le Nicaragua cherche en fait à joindre les deux affaires distinctes qui sont actuellement
pendantes devant la Cour entre les deux Parties. Or, une telle jonction n’est pas opportune ici.
2.4. Un premier obstacle à ce que la Cour examine cette demande reconventionnelle
présentée par le Nicaragua le 6 août 2012 tient au fait qu’elle est identique à celle formulée par le
Nicaragua dans sa requête introductive d’instance du 21 décembre 2011. Aussi n’est-il pas
nécessaire de chercher à déterminer si cette demande reconventionnelle satisfait aux conditions de
compétence et de connexité directe énoncées au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement de la
Cour. Le Costa Rica démontrera toutefois, par souci d’exhaustivité, que même si elle ne faisait pas
déjà l’objet d’une autre procédure devant la Cour, la première demande reconventionnelle du
Nicaragua devrait être rejetée car elle ne constitue pas une véritable demande reconventionnelle et
ne répond pas à la condition de connexité directe.
A. Le Nicaragua ne peut opposer la même réclamation au Costa Rica
dans le cadre de deux actions distinctes devant la Cour
2.5. La première demande reconventionnelle est identique en ses termes à celle que le
Nicaragua a présentée dans sa requête introductive d’instance en l’affaire relative à la Construction
d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan, ou est manifestement incluse dans celle-ci et
couverte par elle. Les faits allégués à l’appui des demandes formulées dans cette affaire-là sont
exposés ainsi dans la requête :
«La présente requête est déposée par le Nicaragua en réaction à des activités
entreprises de façon unilatérale par le Costa Rica et menaçant de détruire le fleuve
San Juan de Nicaragua ainsi que son fragile écosystème, notamment les réserves de
biosphère et les zones humides bénéficiant d’une protection internationale qui jouxtent
le fleuve et dont la survie dépend de la propreté des eaux et de leur écoulement
ininterrompu.
14 CMN, p. 456.
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La menace la plus immédiate pour le San Juan et son environnement résulte de
la construction par le Costa Rica d’une route qui suit un tracé parallèle à la rive
méridionale du fleuve et passe extrêmement près de celle-ci, sur une distance d’au
moins 120 kilomètres, entre Los Chiles à l’ouest et Delta à l’est.»15
2.6. Dans sa requête introduisant cette nouvelle instance contre le Costa Rica, le Nicaragua
prie la Cour de dire et juger que le Costa Rica a méconnu :
«a) l’obligation lui incombant de ne pas violer l’intégrité du territoire nicaraguayen tel
que délimité par le traité de limites de 1858, la sentence Cleveland de 1888 et les
cinq sentences rendues par l’arbitre E. P. Alexander les 30 septembre 1897,
20 décembre 1897, 22 mars 1898, 26 juillet 1899 et 10 mars 1900,
respectivement ;
b) l’obligation lui incombant de ne pas causer de dommages au territoire
nicaraguayen ; et
c) les obligations lui incombant en vertu du droit international général et des
conventions pertinentes en matière de protection de l’environnement, dont la
convention de Ramsar sur les zones humides, l’accord sur les zones frontalières
protégées entre le Nicaragua et le Costa Rica (accord sur le système international
d’aires protégées pour la paix [SI-A-PAZ]), la convention sur la diversité
biologique et la convention concernant la conservation de la biodiversité et la
protection des aires forestières prioritaires de l’Amérique centrale.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Enfin, le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que le Costa Rica doit :
a) cesser tous les travaux de construction engagés qui portent atteinte, ou sont
susceptibles de porter atteinte, à ses droits ;
b) réaliser, et lui soumettre, une évaluation de l’impact sur l’environnement en bonne
et due forme, comprenant tout le détail des travaux.»16
2.7. Il apparaît clairement que la revendication que fait valoir le Nicaragua au titre de la
première demande reconventionnelle figurant dans son contre-mémoire déposé le 6 août 2012 en la
présente instance est la même que celle qu’il fait valoir dans la nouvelle affaire dont il a saisi la
Cour le 21 décembre 2011. En effet, les paragraphes pertinents du contre-mémoire ayant trait à
cette première demande reconventionnelle comportent de nombreux passages tirés de la requête
déposée dans l’affaire relative à la Construction d’une route, des renvois aux mêmes faits et aux
mêmes documents, et des allégations identiques à l’encontre du Costa Rica, notamment «l’absence
de plans détaillés et d’évaluation de l’impact sur l’environnement», «l’absence de consultation» et
les «dommages causés au territoire nicaraguayen et à l’environnement»17.
15 Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), requête
introductive d’instance, 21 décembre 2011, par. 4-5.
16 Ibid., par. 49-51.
17 CMN, par. 9.8-9.33.
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2.8. Un principe élémentaire veut que deux actions en justice à l’encontre de la même partie
et sur le même fondement ne puissent être exercées simultanément devant la même juridiction.
C’est ce qu’exprime la règle ne bis in idem, quoique plutôt invoquée en droit pénal, ainsi que, dans
un contexte plus général, la maxime electa una via, non datur recursus ad alteram [le demandeur
qui choisit un mode de règlement d’un différend renonce à faire usage de l’autre]. Il ne saurait être
loisible à une partie de demander à la Cour de condamner le même Etat deux fois, sur le fondement
des mêmes faits et pour les mêmes manquements.
2.9. En signant le pacte de Bogotá, le Nicaragua a accepté le principe electa una via, très
clairement posé par l’article IV dudit pacte18 en ces termes :
«Lorsque l’une des procédures pacifiques aura été entamée, soit en vertu d’un
accord entre les parties, soit en exécution du présent traité, ou d’un pacte antérieur, il
ne pourra être recouru à aucune autre avant l’épuisement de celle déjà entamée.»19
La règle, ici formulée en termes très généraux, a vocation à s’appliquer non pas uniquement aux
différends découlant du pacte de Bogotá, mais à «l’une des procédures pacifiques» (les italiques
sont de nous), qu’elle soit introduite «en vertu d’un accord entre les parties» ou «en exécution du
… traité ou d’un pacte antérieur». Elle couvre donc les procédures entamées en application de la
clause facultative et du pacte de Bogotá.
2.10. C’est de toute évidence une procédure pacifique qu’a entamée le Nicaragua en
présentant sa requête dans l’affaire relative à la Construction d’une route, et cette procédure n’est
pas encore arrivée à son terme. Comme l’a déclaré la Cour dans son arrêt rendu en l’affaire
Nicaragua c. Honduras,
«[a]ux fins de l’article IV du pacte, aucun acte formel n’est requis pour qu’on puisse
conclure qu’une procédure pacifique a été « épuisée». Cette procédure ne doit pas
nécessairement avoir abouti à un échec définitif pour qu’une nouvelle procédure
puisse être entamée. Il suffit que la procédure initiale se soit trouvée à un point mort
dans des conditions telles que ni sa continuation ni sa reprise n’ait été effectivement
envisagée à la date où une nouvelle procédure est engagée.»20
On ne saurait affirmer que la continuation de l’affaire relative à la Construction d’une route n’a pas
«été effectivement envisagée», cette affaire suivant lentement son cours, selon le calendrier choisi
par le Nicaragua.
2.11. Le Nicaragua a présenté sa requête introductive d’instance dans l’affaire relative à la
Construction d’une route le 21 décembre 2011, alors même qu’il avait entre les mains le mémoire
déposé le 5 décembre 2011 par le Costa Rica dans l’affaire relative à Certaines activités. Ainsi,
parfaitement conscient de la position du Costa Rica dans la présente affaire, il a choisi d’entamer
devant la Cour une nouvelle procédure concernant la construction d’une route par le Costa Rica.
Le Nicaragua avait la possibilité d’instituer une nouvelle procédure ou de soumettre la question
dans le cadre d’une demande reconventionnelle, sous réserve que celle-ci réponde aux critères
18 Eduardo Valencia-Ospina, «Bogotá Pact (1948)», in Rüdiger Wolfrum (dir. publ.), The Max Planck
Encyclopedia of Public International Law (2012), vol. I, p. 974, par. 10.
19 Traité américain de règlement pacifique (pacte de Bogotá), 30 avril 1948, Nations Unies, Recueil des Traités,
vol. 30, p. 83, article IV (les italiques sont de nous).
20 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 100, par. 80.
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énoncés à l’article 80 du Règlement de la Cour. Ayant opté pour l’introduction d’une nouvelle
instance, il ne saurait chercher à faire valoir la même prétention sous forme de demande
reconventionnelle dans la présente affaire.
2.12. Pour les raisons ci-dessus exposées, la première demande reconventionnelle du
Nicaragua doit être déclarée irrecevable in limine.
B. La première «demande reconventionnelle» n’est pas
en connexité directe avec la présente affaire
2.13. La première «demande reconventionnelle» du Nicaragua relative à la construction
d’une route au Costa Rica, le long du fleuve San Juan, ne répond pas à la condition de connexité
directe énoncée au paragraphe premier de l’article 80 du Règlement, et développée dans la
jurisprudence de la Cour. Cette absence de lien de connexité directe concerne non seulement les
faits et leur date, mais également le droit et les buts poursuivis.
a) Absence de lien de connexité sur le plan factuel
2.14. Comme on l’a vu, une demande reconventionnelle, pour présenter le lien de connexité
directe requis sur le plan factuel, doit satisfaire aux conditions cumulatives suivantes : 1) porter sur
des faits de même nature ; 2) s’inscrire dans le cadre d’un même ensemble factuel complexe,
3) concerner le même territoire et 4) concerner la même période. Aucune de ces conditions n’est
satisfaite par la première des «demandes reconventionnelles» du Nicaragua.
2.15. Le Nicaragua croit pouvoir établir ce lien de connexité directe sur le plan factuel en
affirmant ce qui suit :
«le projet de construction de route est en connexité directe avec la contestation
principale qu’a formulée le Costa Rica à l’encontre du programme de dragage
nicaraguayen : premièrement, à l’instar du programme de dragage, le projet de
construction est entrepris dans la zone frontalière ; deuxièmement, il apparaît qu’il a
été mis en oeuvre pour répondre au programme de dragage du Nicaragua,
troisièmement, comme on l’a vu, l’érosion, les ruissellements chargés de sédiments et
le déversement, dans le San Juan, d’arbres abattus, de débris et autres résidus
provenant des travaux de construction rendent le dragage d’autant plus nécessaire,
aggravant de ce fait le présent différend.»21
2.16. Aucun de ces arguments ne tient, comme on le verra dans les développements ci-après.
i) Les faits pertinents sont de nature différente
2.17. Dans le cadre de la rédaction de l’article du Règlement de la Cour internationale de
Justice ayant trait aux demandes reconventionnelles, le juge Fromageot avait commenté la notion
de «connexité directe» en définissant une demande reconventionnelle comme devant «dépend[re]
21 CMN, par. 9.75 (notes de bas de page omises).
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directement des faits de la demande principale»22. L’instance principale introduite par le
Costa Rica porte essentiellement sur des faits d’incursion dans la partie septentrionale du territoire
costa-ricien de Isla Portillos et d’occupation de ce territoire ainsi que sur la construction d’un canal
artificiel par le Nicaragua. L’affaire concerne également des actions accomplies ou envisagées par
le Nicaragua en vue d’opérations de dragage le long de la partie orientale du fleuve San Juan. La
construction d’une route par le Costa Rica sur son propre territoire n’a, par essence, absolument
rien à voir avec le fait d’occuper et de revendiquer un territoire étranger, et de tenter d’y construire
un canal. Il en va de même du dragage d’un fleuve sur lequel l’autre partie jouit de droits de
navigation et d’autres droits, ainsi que de prérogatives d’information et de consultation à l’égard
des travaux envisagés.
ii) Les faits pertinents se rapportent à des lieux et à des moments différents
2.18. Certains aspects factuels doivent tout d’abord être précisés. La route construite par le
Costa Rica ne se poursuit que jusqu’au point où le San Juan se sépare en deux bras pour donner
naissance au Colorado (Delta Costa Rica), quelque 25 kilomètres avant Isla Portillos (voir
croquis n° 1). Autrement dit, la route s’arrête sur la rive droite du Colorado et ne se poursuit pas
jusqu’à Isla Portillos ni jusqu’au caño, pas plus qu’elle n’approche de la zone occupée par le
personnel nicaraguayen. Elle n’a, de la même manière, aucune incidence sur la navigation sur le
San Juan.
2.19. Les faits sur lesquels le Nicaragua fonde à la fois sa requête dans l’affaire relative à la
Construction d’une route et sa demande reconventionnelle dans la présente affaire ne relèvent pas
de l’ensemble factuel complexe qui a conduit le Costa Rica à entamer la présente procédure, à
savoir des activités militaires et civiles entreprises par un Etat sur le territoire de l’autre, des
travaux liés à la construction d’un canal artificiel, impliquant notamment l’abattage de forêts
primaires et la présence continue de personnel dans une zone aujourd’hui revendiquée par les deux
Parties, ainsi que la mise en oeuvre prévue d’opérations de dragage. Les faits invoqués par le
Nicaragua dans sa demande reconventionnelle sont survenus un an après le dépôt de la requête du
Costa Rica. Cette première «demande reconventionnelle» s’écarte radicalement de la quatrième,
qui est manifestement en connexité directe avec les faits de l’espèce. En effet, celle-ci, bien que
dénuée de tout fondement juridique, porte sur une prétendue méconnaissance, par le Costa Rica,
des mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance du 8 mars 2011. A travers
elle, le Nicaragua poursuit un double objectif : rejeter la prétention correspondante du Costa Rica,
et avancer sa propre réclamation à l’égard des mêmes faits  l’envoi de personnel dans la même
zone (la partie septentrionale de Isla Portillos) et pendant la même période  que ceux
sous-tendant les manquements invoqués par le Costa Rica sur le fondement de l’ordonnance de la
Cour en indication de mesures conservatoires. Or, ce lien de connexité (une activité relevant du
même ensemble factuel complexe) présent dans la quatrième demande reconventionnelle du
Nicaragua est entièrement absent de la première.
2.20. Le Nicaragua cherche à établir un lien de connexité directe sur le plan factuel en
prétendant que le projet de construction de route «a été mis en oeuvre pour répondre au programme
de dragage du Nicaragua» et que «l’érosion, les ruissellements chargés de sédiments et le
déversement, dans le San Juan, d’arbres abattus, de débris et autres résidus provenant des travaux
de construction rendent le dragage d’autant plus nécessaire, aggravant de ce fait le présent
différend»23. Ces arguments fallacieux et infondés sont contredits par différents éléments. Tout
22 Actes et documents relatifs à l'organisation de la Cour, troisième addendum au n° 2, élaboration du Règlement
de la Cour, 11 mars 1936, trente-deuxième session, quatorzième séance (29 mai 1934), C.P.J.I. série D, p. 112.
23 CMN, par. 9.75.
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d’abord, la raison pour laquelle le Costa Rica a entrepris la construction de la route n’est pas liée au
programme de dragage. Le défendeur n’a produit aucun élément de preuve venant étayer son
affirmation sur ce point. La route a été construite dans le cadre d’un décret n° 36440-MP instituant
l’état d’urgence, qui avait été pris, précisément, pour répondre à l’invasion et à l’occupation par le
Nicaragua d’une portion de territoire costa-ricien. Cette route avait également pour objet de
faciliter les déplacements des forces de l’ordre et des riverains en cas de conflit armé et de pallier
les restrictions accrues imposées par le Nicaragua à l’égard de la navigation sur le San Juan. Il ne
s’agissait pas de répondre au programme de dragage ni d’agir de quelque autre manière contre
celui-ci.
2.21. Par ailleurs, aucune des demandes du Costa Rica dans la présente affaire n’est fondée
sur les opérations de dragage conduites par le Nicaragua sur le San Juan. Le Costa Rica, comme il
l’a déjà indiqué, ne s’oppose pas au dragage du fleuve en soi24. Ce qu’il dénonce, c’est une
violation par le Nicaragua des dispositions pertinentes du traité de limites et de la
sentence Cleveland du fait de travaux réalisés sur le fleuve susceptibles d’affecter le Costa Rica25.
Ce ne sont pas les opérations de dragage proprement dites qui constituent les faits pertinents, mais
les actes dont le Costa Rica affirme qu’ils ont été entrepris en violation de ces dispositions.
2.22. Pour ce qui est du lien de connexité territoriale, il ne suffit pas d’affirmer, comme le
fait le Nicaragua, que des faits ont eu lieu «dans la zone frontalière». La situation, en l’espèce, est
très différente de celle qui prévalait dans l’affaire Cameroun c. Nigéria. La moindre analogie ne
saurait être établie entre la déclaration faite alors par la Cour, selon laquelle les faits invoqués à
l’appui des demandes reconventionnelles étaient «réputés avoir tous eu lieu le long de la frontière
entre les deux Etats»26, et la situation à laquelle renvoie la première demande reconventionnelle du
Nicaragua. Dans l’affaire Cameroun c. Nigéria, il s’agissait d’un différend frontalier existant tout
le long de la frontière entre les deux Etats, accompagné d’une demande de réparation du
demandeur. Dans le cas présent, en revanche, les faits invoqués dans la requête par laquelle le
Nicaragua a entamé une nouvelle procédure, ainsi que ceux invoqués au titre de sa première
demande reconventionnelle, concernent des activités s’étant déroulées en différents lieux de la
région frontalière (voir croquis n° 1). Les actions qui sont reprochées au Nicaragua dans la
présente affaire ont eu lieu dans la partie septentrionale de Isla Portillos (Costa Rica) et dans le
secteur oriental du San Juan, dont les eaux font partie du territoire nicaraguayen. Le croquis n° 1
confirme que les opérations de dragage en cause dans la présente affaire intéressent, comme
l’indique le contre-mémoire du Nicaragua27, une zone qui s’étend du point où le Colorado se
détache du San Juan jusqu’à l’embouchure de ce dernier. La route construite par le Costa Rica
commence plus à l’ouest, à Los Chiles (en un point où la frontière entre les deux pays ne suit pas le
San Juan) et s’arrête précisément à Delta Costa Rica, à l’endroit où le San Juan donne naissance au
Colorado. La route ne traverse pas le Colorado, pas plus qu’elle ne pénètre dans les zones humides
occupées par le Nicaragua (et il n’est pas prévu qu’elle le fasse). Il apparaît donc très clairement
que les faits de la présente espèce et ceux invoqués à l’appui de la nouvelle procédure entamée par
le Nicaragua en décembre 2011 et réitérés ici à titre de demande reconventionnelle sont survenus
dans des zones géographiques bien précises et parfaitement distinctes les unes des autres.
24 Affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), 11 janvier 2011, CR 2011/1, p. 70, par. 49-50 (Crawford) ; MCR, par. 5.57.
25 Affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), requête introductive d’instance, 18 novembre 2010, par. 39 e) et f) ; MCR, par. 5.17-5.123.
26 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), ordonnance
du 30 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 985-986.
27 CMN, figure 5.3., p. 225.
- 10 -
2.23. Il n’existe donc pas de lien de connexité directe, sur le plan factuel, entre la première
demande reconventionnelle du Nicaragua et les faits de l’instance principale introduite par le
Costa Rica : les faits pertinents sont totalement distincts et se sont produits en des lieux et à des
moments différents.
b) Le caractère artificiel du «lien de connexité juridique directe» invoqué par le Nicaragua
2.24. Le Nicaragua ne se donne pas la peine de dissimuler le fait que sa première demande
reconventionnelle reflète exactement les demandes formulées dans l’affaire relative à la
Construction d’une route. Il invoque, dans les deux procédures, les mêmes accords internationaux
que ceux qu’a cités le Costa Rica dans la présente affaire28.
2.25. Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer artificiellement les mêmes instruments
internationaux que ceux sur lesquels le demandeur fonde ses demandes pour établir un lien de
connexité juridique directe avec celles-ci. Dans la présente affaire, le Costa Rica invoque, en
premier lieu, la violation par le Nicaragua de l’obligation de respecter la frontière établie par
l’article II du traité de limites de 1858 et par la première sentence Alexander, du fait d’actes
d’occupation du sol, de la construction d’un canal artificiel et de sa revendication tardive de
souveraineté sur une portion du territoire costa-ricien située au sud ou à l’est de la frontière29 ; et,
en second lieu, la violation du paragraphe 6 du troisième point de la sentence Cleveland, qui
énonce l’obligation faite au Nicaragua de s’abstenir de mettre en oeuvre des travaux en
conséquence desquels le «territoire du Costa Rica [serait] occupé, inondé ou endommagé … [ou
qui] arrête[raient] … ou perturbe[raient] … gravement la navigation sur ledit fleuve ou sur l’un
quelconque de ses affluents en [tout] endroit où le Costa Rica a le droit de naviguer»30. Le
Costa Rica invoque également d’autres instruments internationaux qui ne sont même pas cités par
le Nicaragua à l’appui de sa nouvelle revendication, que ce soit dans sa requête en l’affaire relative
à la Construction d’une route ou dans son contre-mémoire déposé en la présente instance. Parmi
ces instruments, figurent notamment la Charte des Nations Unies et la charte de l’Organisation des
Etats américains31.
2.26. La nouvelle revendication, soumise sous deux formes distinctes par le Nicaragua, ne
concerne pas le traité de limites de 1858, lequel, selon ses propres termes, constitue la
lex specialis32 et «est l’accord international principal applicable en la présente affaire»33. Même à
supposer, pour les besoins de l’argumentation, que la construction d’une route par le Costa Rica
constitue un fait internationalement illicite (ce qui n’est pas le cas), elle ne saurait être considérée
comme une violation du traité de limites. Comme le reconnaît le Nicaragua, la route en cours de
construction est intégralement située en territoire costa-ricien. Quand bien même la construction
pourrait causer un quelconque préjudice au territoire nicaraguayen (ce qui n’est pas le cas), l’enjeu
ici n’est pas l’existence de la frontière telle qu’elle est décrite par l’article II du traité de limites, ni
aucun autre droit auquel pourrait prétendre le Nicaragua sur le fondement de ce traité, et encore
moins sur le fondement de la sentence Cleveland ou des sentences Alexander. Il est exact que,
28 Affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua
c. Costa Rica), requête introductive d’instance, 21 décembre 2011, par. 47-48 ; CMN, par. 9.76.
29 Affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), requête introductive d’instance, 18 novembre 2010, par. 39 a) ; MCR, chapitre IV.
30 Sentence Cleveland, MCR, annexe 7.
31 MCR, par. 1.1.
32 CMN, par. 3.51, 4.36, 5.173.
33 CMN, par. 9.79.
- 11 -
étant donné la nature de la demande, la Cour ne peut, à ce stade, déterminer si celle-ci est viable au
fond. En revanche, ce qu’elle peut d’ores et déjà faire dans le cadre de la présente procédure
incidente, c’est reconnaître l’absence de lien de connexité juridique directe entre, d’une part, la
prétendue violation d’une frontière conventionnelle ainsi que de l’intégrité territoriale d’un Etat,
du droit de consultation et de l’obligation de s’abstenir de porter atteinte au territoire de l’autre Etat
qui découlent explicitement du traité de limites et de son interprétation par la sentence Cleveland
et, d’autre part, la prétendue violation du même traité du fait de la construction d’une route par le
Costa Rica en territoire costa-ricien.
2.27. Par ailleurs, le Nicaragua reconnaît lui-même que sa nouvelle revendication n’est
fondée ni sur le traité de limites, ni sur aucun autre traité particulier. Tout en prétendant qu’aucun
plan détaillé ni aucune étude d’impact sur l’environnement n’ont été réalisés en vue de la
construction de la route au Costa Rica, il affirme, dans son contre-mémoire, que, «en l’absence de
traité constituant une lex specialis, c’est le droit international général qui doit s’appliquer»34.
2.28. Enfin, mis à part le fait qu’il s’agit d’une activité licite entreprise par le Costa Rica sur
son propre territoire, la construction de la route ne peut être qualifiée de mesure aggravant le
différend porté devant la Cour, pour la simple raison que le Nicaragua considère que cette
construction constitue l’objet d’un différend distinct dans une autre instance.
2.29. Les considérations ci-dessus exposées démontrent également que les Parties, à travers
leurs demandes respectives, poursuivent des buts juridiques différents. La première «demande
reconventionnelle» présentée par le Nicaragua n’est pas en connexité directe, que ce soit en fait ou
en droit, avec les demandes soumises en la présente instance.
C. La jonction des deux instances n’est pas opportune
2.30. Conscient de ne pas pouvoir présenter la même demande deux fois, le Nicaragua
cherche de fait à obtenir la jonction des deux instances :
«Le Nicaragua estime que, avec le dépôt de ses demandes reconventionnelles
dans la présente affaire, notamment de celle portant sur les dommages causés par la
construction de cette route au fleuve San Juan de Nicaragua et à sa navigabilité, le
débat concernant la jonction des deux instances est devenu plus opportun. Cette
question devra être tranchée par la Cour.»35
2.31. Au vu des circonstances de l’espèce, il ne serait ni opportun ni équitable d’admettre
cette «demande reconventionnelle» ou de joindre les deux instances. Au contraire, ce serait aller à
l’encontre d’une bonne administration de la justice.
2.32. Les deux affaires — celle relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans
la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et celle relative à la Construction d’une route au
Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) — ont chacune un objet distinct.
34 CMN, par. 9.14.
35 CMN, par. 1.27.
- 12 -
La première concerne principalement l’exercice de la souveraineté territoriale. Tant que le
différend qui en est à l’origine n’aura pas été tranché par la Cour, le Costa Rica se verra empêché
d’exercer sa souveraineté sur une partie de son territoire. La situation commande donc de régler ce
différend avec célérité.
2.33. De même, chacune de ces affaires a son propre calendrier procédural. La Cour a pris
acte de ce que les Parties s’accordent sur le fait qu’un second tour de procédure écrite n’est pas
nécessaire dans la présente affaire. Dans la seconde, le Nicaragua doit présenter son mémoire,
attendu pour le 19 décembre 2012. Le Nicaragua ayant sollicité un délai d’un an, le Costa Rica
bénéficiera du même délai pour déposer son contre-mémoire. L’économie procédurale impose de
garder les deux affaires séparées, et non de les joindre. La jonction ne se justifie pas non plus du
point de vue de la cohérence, étant donné que les conclusions énoncées en fait et en droit dans une
affaire ne sont nullement requises aux fins du règlement de l’autre. Enfin, la composition de la
Cour diffère d’une affaire à l’autre.
2.34. Pour l’ensemble de ces raisons, la jonction des deux instances porterait gravement
atteinte au droit du Costa Rica de rechercher et d’obtenir une décision de la Cour dans l’affaire
dont il l’a saisie en novembre 2010, affaire dont la phase écrite est, en pratique, terminée (sauf si
les demandes reconventionnelles devaient être admises).
D. Conclusion
2.35. En résumé, la première «demande reconventionnelle» du Nicaragua doit être déclarée
irrecevable pour les motifs suivants :
1) en tant qu’elle est identique aux demandes portées devant la Cour par le Nicaragua dans une
autre affaire, cette demande va à l’encontre du principe electa una via énoncé à l’article IV du
pacte de Bogotá ;
2) elle ne satisfait pas à la condition de connexité directe, que ce soit du point de vue des faits, du
lieu, du temps, du droit ou des buts poursuivis.
III. LA COUR N’A PAS COMPÉTENCE A L’ÉGARD DES DEUXIÈME ET
TROISIÈME DEMANDES RECONVENTIONNELLES
3.1. La Cour, lorsqu’elle apprécie la recevabilité d’une demande reconventionnelle, doit
nécessairement déterminer, avant toute chose, si elle a compétence pour examiner le bien-fondé de
cette demande. Dans son contre-mémoire, le Nicaragua a affirmé que la compétence de la Cour
pour accueillir ses demandes reconventionnelles était fondée sur l’article XXXI du traité américain
de règlement pacifique signé à Bogotá le 30 avril 1948 (le pacte de Bogotá)36 et sur la déclaration
d’acceptation faite par les deux Parties en application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la
Cour37.
36 CMN, par. 9.4.
37 CMN, par. 9.5.
- 13 -
3.2. Le Nicaragua, bien qu’ayant accepté la juridiction de la Cour pour examiner au fond le
différend dont elle a été saisie par le Costa Rica, ne démontre pas en quoi ses demandes
reconventionnelles satisfont aux critères de recevabilité définis dans le pacte de Bogotá et/ou le
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. Or, l’application de ces critères exclut toute compétence de
la Cour pour connaître des deuxième et troisième demandes reconventionnelles du Nicaragua.
3.3. Concernant le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, rappelons que, le 23 octobre 2001,
le Nicaragua a présenté au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies une réserve à sa
déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour, rédigée en ces termes :
«Le Nicaragua ne reconnaîtra ni la juridiction ni la compétence de la Cour
internationale de Justice à l’égard d’aucune affaire ni d’aucune requête qui auraient
pour origine l’interprétation de traités, signés ou ratifiés, ou de sentences arbitrales
rendues, avant le 31 décembre 1901.»38
3.4. Si le Nicaragua peut reconnaître, en tant que défendeur, la compétence de la Cour au cas
par cas, il ne peut toutefois, tant que sa réserve demeure en vigueur, présenter des demandes à
l’encontre d’une autre partie sur le fondement de traités signés et ratifiés, ou de sentences arbitrales
rendues, avant le 31 décembre 1901. L’effet de la réserve du Nicaragua est double : elle s’applique
non seulement à lui-même, mais également à tout autre Etat partie au Statut de la Cour.
Le Costa Rica peut se prévaloir et se prévaut expressément  de la réserve faite par le
Nicaragua, par réciprocité. Comme l’a énoncé la Cour,
«[l]a réciprocité en matière de déclarations portant acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour permet à une partie d’invoquer une réserve à cette acceptation
qu’elle n’a pas exprimée dans sa propre déclaration mais que l’autre partie a exprimée
dans la sienne… La réciprocité permet à l’Etat qui a accepté le plus largement la
juridiction de la Cour de se prévaloir des réserves à cette acceptation énoncées par
l’autre partie.»39
3.5. En conséquence, le Nicaragua ne peut saisir la Cour de demandes tombant sous le coup
de la réserve qu’il a lui-même formulée à l’égard de la compétence de celle-ci.
3.6. Le pacte de Bogotá énonce, en son article VI, une disposition temporelle limitant
également la compétence de la Cour :
«Article VI
Ces procédures ne pourront non plus s’appliquer ni aux questions déjà réglées
au moyen d’une entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale ou d’une décision
d’un tribunal international, ni à celles régies par des accords ou traités en vigueur à la
date de la signature du présent pacte.»40
38 Le texte de la réserve du Nicaragua est disponible à cette adresse : http://www.icj-cij.org/jurisdiction/
index.php?p1=5&p2=1&p3=3&code=NI.
39 Interhandel (Suisse c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1959, p. 23.
40 Traité américain de règlement pacifique (pacte de Bogotá), 30 avril 1948, Nations Unies, Recueil des Traités,
vol. 30, p. 83, article VI.
- 14 -
3.7. Les procédures visées à l’article VI incluent la procédure judiciaire qui fait l’objet du
chapitre IV du pacte de Bogotá. C’est pourquoi, en application de cet instrument, les questions
déjà réglées au moyen d’une entente, d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal
international, ou celles qui sont régies par des traités qui étaient en vigueur avant le 30 avril 1948,
ne peuvent faire l’objet d’une telle procédure  en l’occurrence, d’un recours devant la Cour
internationale de Justice.
3.8. Dès lors, en vertu de l’exclusion, par le Nicaragua lui-même, de la compétence de la
Cour pour connaître de «[toute] affaire [ou] requête qui aurai[t] pour origine l’interprétation de
traités, signés ou ratifiés, ou de sentences arbitrales rendues, avant le 31 décembre 1901», ainsi que
par l’effet de l’article VI du pacte de Bogotá, qui exclut les «questions déjà réglées au moyen d’une
entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal international,
[ainsi que] celles régies par des accords ou traités en vigueur à la date de la signature du présent
Pacte» (le 30 avril 1948), la deuxième et la troisième demandes reconventionnelles ne relèvent pas
de la compétence de la Cour.
3.9. En ce qui concerne la deuxième demande reconventionnelle, à savoir, la situation de la
baie de San Juan del Norte et la souveraineté partagée qu’y exercent le Costa Rica et le Nicaragua,
c’est une question qui a été réglée par l’article IV du traité de limites du 15 avril 1858, qui se lit
comme suit : «La baie de San Juan del Norte ainsi que la baie de Salinas seront communes aux
deux républiques, en conséquence de quoi seront également partagés les avantages liés à leur usage
et l’obligation d’assurer leur défense.»
3.10. Les droits dont les Parties jouissent sur la baie n’ont fait l’objet d’aucune décision,
interprétation ou limitation dans le cadre de la sentence Cleveland de 1888 ou des
sentences Alexander (1897-1900), si bien que la question de la souveraineté partagée exercée sur la
baie relève uniquement de l’article IV du traité de limites de 1858.
3.11. L’article VI du pacte de Bogotá dispose que les procédures visées dans celui-ci,
notamment la procédure judiciaire, ne peuvent s’appliquer aux questions régies par des accords ou
traités en vigueur à la date de signature du Pacte. Du fait de cette limite temporelle, le Nicaragua
ne saurait présenter la deuxième demande reconventionnelle relative à la baie de San Juan
del Norte puisque, à la date de la signature du pacte de Bogotá, le traité de limites de 1858 était en
vigueur depuis quelque 90 ans.
3.12. Quand bien même la sentence Cleveland de 1888 ou les sentences Alexander auraient
contenu des dispositions spécifiques relatives à la situation juridique de la baie de San Juan
del Norte, la limite temporelle établie par le pacte de Bogotá s’appliquerait à ces deux instruments.
En tout état de cause, aucune de ces sentences ne porte sur des questions relatives à la souveraineté
partagée exercée sur la baie de San Juan del Norte.
3.13. Cette question ne peut pas non plus relever de la compétence de la Cour en raison de la
réserve faite par le Nicaragua à sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour
sur la base du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut. A l’évidence, le traité de limites de 1858 a été
conclu avant le 31 décembre 1901 (date énoncée par le Nicaragua dans sa réserve) et, dès lors, la
Cour n’a pas compétence pour connaître des questions qui font l’objet de l’instrument ainsi
invoqué par le Nicaragua, ni d’aucun autre instrument ou sentence antérieur à cette date.
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3.14. La troisième demande reconventionnelle, relative au prétendu droit des navires
nicaraguayens d’accéder à l’océan en passant par le Colorado, se heurte aux mêmes difficultés. Le
Nicaragua tente de défendre la recevabilité de sa demande reconventionnelle en arguant que son
objet relève du traité de limites de 185841. A l’appui de cette allégation, il cite l’article V de cet
instrument :
«Tant que le Nicaragua n’aura pas recouvré la pleine possession de ses droits
sur le port de San Juan del Norte, l’usage et la possession de Punta de Castilla seront
communs et également partagés entre le Nicaragua et le Costa Rica ; tant que durera
cette communauté, le cours entier du Colorado en marquera la limite.»42
3.15. Le Nicaragua fonde la compétence de la Cour pour connaître de cette demande
reconventionnelle sur le traité de limites de 1858. Or, comme cela a été précisé, il résulte, d’une
part, de la réserve qu’il a apportée à sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la
Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut et, d’autre part, du champ d’application
temporel découlant de l’article VI du pacte de Bogotá, que la troisième demande reconventionnelle
présentée par le Nicaragua ne relève pas de la compétence de la Cour. Quand bien même on
supposerait que la question soulevée par le Nicaragua dans sa troisième demande reconventionnelle
aurait été traitée dans le cadre de la sentence Cleveland de 1888, on parviendrait à la même
conclusion s’agissant de l’absence de compétence de la Cour.
3.16. Par conséquent, la deuxième et la troisième demandes reconventionnelles présentées
par le Nicaragua ne remplissent pas la condition relative à la compétence de la Cour énoncée à
l’article 80 du Règlement.
IV. LA DEUXIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE (BAIE DE SAN JUAN DEL NORTE)
EST IRRECEVABLE
4.1. Le Nicaragua tente de présenter une demande reconventionnelle dans laquelle il soutient
que la baie de San Juan del Norte n’existerait plus43. Une telle demande reconventionnelle ne
présente aucun lien, en fait ou en droit, avec les demandes formulées dans sa requête par le
Costa Rica. En particulier, dans l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua
dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), le Costa Rica ne formule aucune demande
concernant la baie, pas plus qu’il ne s’y réfère dans ses conclusions. Dès lors, le Nicaragua ne
saurait démontrer que sa nouvelle demande relative à sa souveraineté exclusive sur la baie présente
un quelconque lien avec la demande principale formulée par le Costa Rica.
A. Absence de lien de connexité sur le plan factuel
4.2. La deuxième demande reconventionnelle présentée par le Nicaragua et les demandes
formulées par le Costa Rica ne s’inscrivent pas dans le même ensemble factuel complexe.
41 Voir CMN, par. 9.43.
42 Ibid.
43 CMN, par. 1.29.
- 16 -
4.3. Premièrement, elles portent sur des zones géographiquement distinctes. Les demandes
formulées par le Costa Rica concernent Isla Portillos, située à l’est du San Juan44, ainsi qu’une
petite partie du fleuve. La demande du Costa Rica relative à l’atteinte portée à sa souveraineté
concerne les activités menées par le Nicaragua à Isla Portillos ; la demande du Costa Rica relative à
la violation du régime de protection de l’environnement concerne les activités menées par le
Nicaragua à Isla Portillos. Elle concerne également le programme de dragage, au sujet duquel le
Nicaragua n’a pas consulté le Costa Rica. La deuxième demande reconventionnelle du Nicaragua
concerne, quant à elle, la baie de San Juan del Norte, située à l’ouest du San Juan45. Il est faux de
dire, comme le Nicaragua, que l’argumentation du Costa Rica porte sur la «question de la
souveraineté sur le territoire situé dans l’ensemble de la zone de l’embouchure du San Juan»46. La
déclaration de la Cour invoquée par le Nicaragua, selon laquelle «les droits en litige … découlent
des prétentions des Parties à la souveraineté sur le même territoire»47, ne concerne pas la baie de
San Juan del Norte. Elle a été faite par la Cour dans son ordonnance en indication de mesures
conservatoires et concerne manifestement la partie septentrionale de Isla Portillos48.
4.4. Deuxièmement, la deuxième demande reconventionnelle du Nicaragua et les demandes
du Costa Rica n’ont pas entre elles de lien temporel. Les demandes du Costa Rica concernent des
événements qui se sont produits à partir de 2010, tandis que la deuxième demande
reconventionnelle du Nicaragua concerne des événements qui se seraient produits, selon lui, au
XIXe siècle. Le Nicaragua soutient en effet que la baie de San Juan del Norte était devenue une
lagune avant le début du XXe siècle49. Dès lors, cette demande reconventionnelle n’est pas
recevable.
B. Absence de lien de connexité sur le plan juridique
4.5. Bien que le Nicaragua tente d’établir un lien entre sa deuxième demande
reconventionnelle et l’argumentation du Costa Rica au motif que celle-ci «soulève une question de
souveraineté»50, il n’existe aucun lien juridique entre l’une et l’autre.
4.6. Premièrement, la demande du Costa Rica relative à l’atteinte portée à sa souveraineté et
la demande reconventionnelle du Nicaragua ne concernent pas des obligations réciproques, pas
plus qu’elles ne poursuivent le même but juridique. Dans sa demande, le Costa Rica affirme que le
Nicaragua, par les activités qu’il a menées à Isla Portillos, a porté atteinte à sa souveraineté ; dans
sa demande reconventionnelle, le Nicaragua affirme qu’il a souveraineté exclusive sur une zone
totalement distincte, au motif que cette zone serait devenue sédimentée.
44 Comme le montre, par exemple, le croquis 1.3 : MCR, p. 18.
45 Comme le montre, par exemple, le croquis 1.3 : MCR, p. 18 (sous la légende «Bahía San Juan del Norte»).
46 CMN, par. 1.29 (les italiques sont de nous).
47 CMN, par. 9.80, citant Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, par. 56.
48 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), demande en
indication de mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, par. 55-56.
49 CMN, par. 6.147-6.151.
50 CMN, par. 1.29.
- 17 -
4.7. Deuxièmement, le droit applicable invoqué dans la demande du Costa Rica et dans la
demande reconventionnelle du Nicaragua n’est pas le même. La demande reconventionnelle du
Nicaragua concerne principalement l’interprétation de l’article IV du traité de limites de 185851,
puisque le Nicaragua, estimant que la baie lui appartient du fait de la sédimentation, est d’avis que
cet article ne régit plus la souveraineté partagée sur la baie. La demande du Costa Rica ne
concerne absolument pas l’interprétation de l’article IV. Le Costa Rica soutient que le Nicaragua a
porté atteinte à sa souveraineté sur le territoire qui lui appartient conformément aux dispositions de
l’article II du traité de limites, et à l’interprétation donnée dans la sentence Cleveland de 1888 et les
sentences Alexander, uniquement en ce qui concerne le territoire de Isla Portillos et dans la mesure
où ce territoire est concerné52.
4.8. Par conséquent, en l’absence de lien de connexité directe entre les demandes sur les
plans factuel et juridique, la deuxième demande reconventionnelle du Nicaragua n’est pas
recevable.
V. LA TROISIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE (DROIT DE PASSAGE
PAR LE COLORADO) EST IRRECEVABLE
5.1. Quand bien même la Cour se déclarerait compétente pour connaître de cette demande
reconventionnelle53, le Nicaragua n’a pas démontré que celle-ci remplit l’autre condition que pose
l’article 80 du Règlement à sa recevabilité. D’emblée, la demande reconventionnelle n’est pas
valable car elle n’est pas en connexité avec la demande du Costa Rica.
5.2. La troisième demande reconventionnelle du Nicaragua n’est pas «en connexité directe»
avec l’objet des demandes du Costa Rica. En effet, elle ne présente aucun lien avec l’une
quelconque des conclusions présentées par le Costa Rica dans sa requête et son mémoire. En
d’autres termes, le Nicaragua n’a pas établi de lien de «connexité directe» entre le prétendu «droit
des navires nicaraguayens d’accéder à l’océan en passant par le Colorado» et une quelconque
demande correspondante présentée par le Costa Rica. A l’évidence, pareil lien de connexité ne
peut être trouvé car il ne s’agit pas là, même indirectement, d’un objet du présent litige. En fait, le
Nicaragua ne saurait mentionner le moindre paragraphe du mémoire du Costa Rica qui présenterait
un quelconque lien de connexité avec un prétendu droit nicaraguayen de navigation sur le
Colorado.
5.3. Comme la Cour l’a fait observer, le lien de connexité directe requis à l’article 80 du
Règlement de la Cour signifie que la demande reconventionnelle doit «poursuivre le même but
juridique» que la demande principale54. Le but juridique de la présente affaire est de déterminer la
licéité ou non des activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière, dont le Costa Rica
soutient qu’elles constituent des violations graves de son droit à la souveraineté et à l’intégrité
territoriales, et qui ont également entraîné des violations de certaines obligations découlant du traité
de limites de 1858 et de son interprétation par la sentence Cleveland ainsi que des règles relatives à
51 CMN, par. 6.141.
52 MCR, chapitre IV.
53 Voir supra, section III.
54 Voir CMN, par. 9.73.
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la protection de l’environnement55. La présente affaire n’a absolument pas trait aux droits de
navigation sur le Colorado, et ne présente pas même un lien ténu avec cet objet.
A. Absence de lien de connexité sur le plan factuel
5.4. Les faits évoqués par le Nicaragua à l’appui de cette troisième demande
reconventionnelle ne correspondent à aucun des faits liés aux demandes présentées par le
Costa Rica et en sont totalement indépendants. Ils ne s’inscrivent en aucun dans le même ensemble
factuel complexe.
5.5. A l’appui de sa troisième demande reconventionnelle, le Nicaragua avance les
arguments suivants :
1) «[D]u fait des activités menées par le Costa Rica, les bateaux et navires
nicaraguayens ne peuvent naviguer jusqu’à la mer en passant par le San Juan, car
l’embouchure du San Juan sur la mer est bloquée la majeure partie de l’année et,
de toute façon, seules les petites embarcations peuvent y naviguer.»56
2) «Malgré cela, le Costa Rica s’oppose à ce que le Nicaragua se livre à des activités
de dragage au niveau du cours inférieur du San Juan.»57
3) «De surcroît, le Costa Rica a disposé des obstacles physiques à l’entrée du
Colorado de façon à empêcher les navires nicaraguayens d’atteindre la mer en
passant par cet itinéraire ou même de simplement naviguer sur le fleuve, et il
envoie des vedettes armées pour faire respecter ce blocus.»58
5.6. Les faits allégués par le Nicaragua sont soit erronés, soit dépourvus de pertinence.
Quand bien même ils seraient avérés, ils ne présenteraient aucun lien de connexité avec l’objet des
demandes soumises par le Costa Rica. Comme son nom l’indique, l’affaire relative à Certaines
activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) porte sur
des activités menées dans la région frontalière, à savoir, l’occupation du territoire costa-ricien, la
construction d’un canal artificiel et l’abattage d’une forêt vierge à cet emplacement, ainsi que la
planification et l’exécution partielle de travaux de dragage qui pourraient mettre en danger le
territoire costa-ricien, le tout sans que le Costa Rica ait été consulté. Les «faits» susmentionnés
présentés par le Nicaragua, quand bien même ils seraient avérés (ce qui n’est pas le cas), ne
présenteraient aucun lien de connexité directe avec les faits de la présente espèce. Ils sont nés du
désir du Nicaragua de forger de toutes pièces un ensemble factuel complexe visant à donner une
représentation erronée de l’affaire et à en accroître la complexité59.
55 Voir MCR, par. 1.6.
56 CMN, par. 9.42.
57 Ibid.
58 Ibid.
59 Bien que  si les demandes reconventionnelles étaient recevables  l’établissement de la preuve des faits
allégués à l’appui de celles-ci relèverait du fond, le Nicaragua peut difficilement soutenir que ses demandes
reconventionnelles sont recevables s’il s’appuie sur des déclarations non seulement dépourvues de tout fondement, mais
dans certains cas auxquelles on ne saurait manifestement accorder aucun crédit.
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5.7. Quand bien même les faits allégués par le Nicaragua seraient plausibles, ils ne
présenteraient aucun lien avec le fond de l’affaire ou avec les demandes soumises par le
Costa Rica.
5.8. Quand bien même la définition de la «portée du différend»60 avancée par le Nicaragua
dans son contre-mémoire serait acceptée comme telle  ce qui ne se peut  celui-ci n’a pas tenté
de définir le différend comme portant sur des faits liés au Colorado, sur les droits de navigation en
vigueur sur ce fleuve, ou sur les activités qu’y mènerait le Costa Rica. Il n’existe aucun lien de
connexité, pas même indirecte, entre les faits sur lesquels porte le différend et ceux que le
Nicaragua fait valoir pour justifier la recevabilité de sa troisième demande reconventionnelle. Dès
lors, celle-ci doit être déclarée irrecevable.
B. Absence de lien de connexité sur le plan juridique
5.9. Le Nicaragua n’a pas non plus établi l’existence d’un lien de connexité directe entre le
droit applicable en l’espèce et celui qu’il invoque à l’appui de sa troisième demande
reconventionnelle.
5.10. Le Nicaragua soutient que
«[sa] troisième demande a trait à son droit de navigation sur le Colorado, tant qu’il n’a
pas la possibilité de naviguer sur le San Juan lui-même. Cette question trouve
directement son fondement dans le traité de 1858. De surcroît, elle est
indissociablement liée au besoin impératif de draguer le San Juan en application des
dispositions de cet instrument (et au droit exclusif dont jouit le Nicaragua en la
matière). Le Costa Rica conteste précisément le droit du Nicaragua de draguer le
fleuve et, en même temps, lui refuse l’accès aux eaux du Colorado pour parvenir à
l’Océan atlantique (mer des Caraïbes).»61
5.11. Il convient de relever qu’on ne saurait exiger du Costa Rica qu’il conteste un droit
purement imaginaire, ou qu’il formule une demande à propos de celle que le Nicaragua a
officiellement présentée pour la première fois dans son contre-mémoire.
5.12. Le Nicaragua prétend tenir du traité de 1858 des droits de navigation sur le Colorado62.
Cette allégation est totalement dépourvue de fondement. Rien dans cet instrument ne vient étayer
une telle revendication. De même, l’allégation du Nicaragua selon laquelle ses activités de dragage
sur le San Juan constitueraient une raison valable justifiant qu’il demande pour la première fois des
droits de navigation sur le Colorado est sans fondement.
5.13. Rien dans le traité de 1858 ne peut être interprété comme conférant au Nicaragua des
droits de navigation sur un quelconque fleuve costa-ricien, notamment le Colorado. Bien au
contraire, l’article V du traité, sur lequel le Nicaragua fonde sa nouvelle demande, ne lui confère
absolument pas de droits de navigation. Il n’y est pas même fait mention de la navigation sur le
Colorado. Cet article est ainsi libellé :
60 CMN, par. 1.9.
61 CMN, par. 9.82.
62 Ibid.
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«Tant que le Nicaragua n’aura pas recouvré la pleine possession de ses droits
sur le port de San Juan del Norte, l’usage et la possession de Punta de Castilla seront
communs et également partagés entre le Nicaragua et le Costa Rica ; tant que durera
cette communauté, le cours entier du Colorado en marquera la limite.»
5.14. Cet article disposait clairement que l’usage et la possession de Punta Castilla seraient
temporairement partagés, et désignait temporairement le Colorado comme frontière, uniquement
dans la mesure où le Nicaragua n’avait pas recouvré la pleine possession du port de San Juan
del Norte, puisque cette partie de territoire était alors sous le contrôle de la Couronne britannique.
L’article V du traité de limites établissait clairement que le Colorado servirait de frontière
uniquement tant que cette situation perdurerait. La communauté instaurée sur Punta Castilla devint
caduque lorsque le Nicaragua recouvrit la pleine possession du port de San Juan del Norte,
en 1860. A cette date, le Colorado cessa d’être la frontière, qui fut dès lors constituée par la limite
convenue à l’article II du traité de limites de 1858, à savoir, la rive droite du San Juan.
5.15. En d’autres termes, lorsque le Nicaragua recouvrit la possession du port de San Juan
del Norte  en vertu du traité entre la Grande-Bretagne et le Nicaragua relatif aux indiens Miskitos
et aux droits et créances des sujets britanniques63, signé à Managua le 28 janvier 1860 ,
l’engagement temporaire pris par le Costa Rica (le partage de Punta Castilla et le consentement à ce
que le Colorado serve de frontière) devint caduc.
5.16. L’article V du traité de 1858 faisait référence au fait que le Nicaragua n’était pas en
possession du port de San Juan, puisque celui-ci relevait alors du contrôle d’une autre puissance.
En donnant à ce fait historique un fondement différent, à savoir que le Nicaragua n’est pas en
possession du San Juan en raison du phénomène de sédimentation qui touche le cours inférieur du
fleuve, le Nicaragua dévie l’article V  qui visait la «possession» d’un port, et non celle d’un
fleuve  de son objet et de son but, et fausse le sens de la notion de «possession» elle-même.
5.17. Le traité de 1858 n’établit pas de droits de navigation en faveur du Nicaragua sur le
Colorado, pas plus qu’il ne dispose que ce fleuve constituerait la frontière si le Nicaragua venait
ensuite à perdre la «possession» ou l’usage du port de San Juan del Norte. Les droits temporaires
que l’article V a pu conférer au Nicaragua étaient subordonnés à l’unique circonstance qui
empêchait cet Etat d’être en pleine possession du port de San Juan del Norte au moment de la
conclusion du traité de limites. Une fois que cette circonstance temporaire aurait cesser d’exister et
que le Nicaragua aurait recouvré la possession du port, cette partie du traité serait considérée
comme ayant été dûment exécutée ; tel fut en effet le cas, si bien que le Costa Rica ne fut plus dans
l’obligation d’accepter que le Colorado serve de frontière temporaire, et encore moins de
reconnaître au Nicaragua des droits de navigation sur ce fleuve. Il convient d’ajouter que,
depuis 1860, le Nicaragua n’a jamais prétendu disposer d’un tel droit.
5.18. Comme cela a été clairement rappelé par les deux Parties ainsi que par la Cour en
l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica
c. Nicaragua), le fait que, dans la zone pertinente, la frontière entre les deux pays est constituée par
la rive costa-ricienne du San Juan n’est pas contesté.
63 28 janvier 1860, Consolidated Treaty Series (CTS), vol. 121, p. 317.
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5.19. De plus, le Costa Rica n’a à aucun moment de la présente affaire invoqué l’article V du
traité de limites. Il soutient que le Nicaragua a violé l’article II de cet instrument, dans la mesure
où ce dernier a porté atteinte à son intégrité territoriale telle qu’établie par cet article, qui ne
présente manifestement aucun lien de connexité avec l’article V du traité.
5.20. Non seulement il n’existe aucun lien de connexité directe entre le droit applicable à
l’affaire et celui que le Nicaragua a invoqué à l’appui de sa troisième demande reconventionnelle,
mais en outre aucun droit ne saurait être invoqué à l’appui de cette demande. En particulier, ni le
traité de 1858 ni la sentence Cleveland ne permettent d’établir un quelconque lien de connexité
entre la question du dragage du San Juan et la navigation sur le Colorado. Le paragraphe 6 de
l’article 3 de la sentence Cleveland confère au Nicaragua un droit conditionnel d’entreprendre des
travaux d’amélioration du fleuve. Le paragraphe 9 de l’article 3 de la sentence confère au
Costa Rica le droit de «refuser à la République du Nicaragua le droit de dévier les eaux du fleuve
San Juan lorsque cette déviation arrêterait ou perturberait gravement la navigation sur ledit fleuve
ou sur l’un quelconque de ses affluents en tout endroit où le Costa Rica a le droit de naviguer».
Ces dispositions ne présentent aucun lien avec la question du contrôle exercé sur le Colorado, à
propos de laquelle le paragraphe 7 de l’article 3 de la sentence est catégorique : «L’affluent du
fleuve San Juan connu sous le nom de Colorado ne saurait, en aucune partie de son cours, être
considéré comme la frontière entre la République du Costa Rica et la République du Nicaragua.»
Cette disposition est inconditionnelle.
5.21. En résumé, tant du point de vue du droit conventionnel que de celui du droit
international général, les deux choses  la sédimentation du San Juan et les droits de navigation
sur le Colorado  ne présentent absolument aucun lien. Dès lors, la troisième demande
reconventionnelle présentée par le Nicaragua doit être déclarée irrecevable.
VI. CONCLUSION
Pour toutes ces raisons, le Costa Rica prie respectueusement la Cour de déclarer irrecevables
en la présente instance la première, la deuxième et la troisième demandes reconventionnelles
présentées par le Nicaragua dans son contre-mémoire.
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Croquis no 1 (voir version PDF)
___________

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Document Long Title

Observations écrites du Costa Rica sur la recevabilité des demandes reconventionnelles présentées par le Nicaragua

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