Exposé écrit du Japon (traduction du Greffe)

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Lettre en date du 17 avril 2009 adressée au greffier par l’ambassadeur du Japon

[Traduction]

J’ai l’honneur d’adresser ci-joint à la Cour internationale de Justice l’exposé écrit établi par
le Japon comme suite à l’ordonnance de la Cour du 17 octobre 2008 concernant la demande d’avis

consultatif de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la «Conformité au droit international de
la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du
Kosovo».

Je saisis cette occasion pour exprimer à la Cour internationale de Justice les assurances
réitérées de ma très haute considération.

___________ E XPOSÉ ÉCRIT DU GOUVERNEMENT DU JAPON

[Traduction]

Le 8 octobre 2008, l’Assemblée générale des Na tions Unies, à sa soixante-troisième session,
a adopté la résolution63/3, par laquelle elle dema ndait à la Cour internationale de Justice de

donner un avis consultatif sur la question suivante : «La déclaration unilatérale d’indépendance des
institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit
international?» Dans son ordonnance en date du17octobre2008, la Cour a décidé que

l’Organisation des NationsUnies et ses Etats Membres pouvaient présenter des exposés écrits sur
la question et fixé au 17avril2009 la date d’e xpiration du délai dans le quel lesdits exposés écrits
pouvaient être communiqués. Le greffier de la Cour internationale de Justice a notifié ladite
ordonnance au Japon par une lettre datée du 20octobre2008 adressée à l’Ambassadeur du Japon

au Royaume des Pays-Bas, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut de la Cour.

Le Japon s’est abstenu au vote sur la réso lution susmentionnée de l’Assemblée générale,
considérant que cette question comportait un aspect politique prononcé et qu’il était par conséquent

douteux que la demande d’avis consultatif adressée à la Cour contribue à la stabilité du Kosovo et
de la région. Le Japon tient cependant à soumettre le présent exposé écrit, afin de bien préciser
quel est son point de vue sur la question juridique dont est maintenant saisie la Cour, en
témoignage de sa confiance et de son engagement envers celle-ci et la justice internationale.

1. La question à propos de laquelle un avis consultatif est demandé

La Cour devrait se borner, dans son opinion, à répondre à la question qu’a posée

l’Assemblée générale.

La question pour laquelle un av is consultatif est demandé est la suivante:«La déclaration
unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo

est-elle conforme au droit inte rnational?» C’est une question très précise et strictement
circonscrite. Sur la base du libellé de la question posée, ce qui est demandé à la Cour concerne
exclusivement le point de savoir si la proclamation de l’indépendance du Kosovo proprement dite
est prohibée par une quelconque règle du droit interna tional. Nous considérons que la question du

statut présent ou futur du Kosovo, c’est-à-dire celle de savoir si ce dernier est un Etat, sort
essentiellement du cadre de celle qui a été posée et que la Cour irait au-delà de ce qui lui a été
demandé si elle venait à l’examiner.

En revanche, étant donné les circonstances politiques dans lesquelles la demande d’avis
consultatif a été faite, il est clair que ce qui est réellement sollicité sous le couvert de cette demande
est une évaluation juridique de l’acte de sécessi on et d’indépendance du Kosovo, c’est-à-dire une

réponse à la question de savoir si le Kosovo pe ut être ou non considéré comme un Etat. En
conséquence, il ne serait ni suffisant ni utile que nous considérions exclusivement la question de la
licéité de la proclamation de l’indépendance du Kosovo proprement dite sans donner notre
évaluation juridique des faits qui se rapportent à la sécession et à l’indépendance du Kosovo.

Dans le présent exposé écrit, nous examinerons tout d’abord la licéité de la déclaration
d’indépendance du Kosovo proprement dite, qui est le fond de la question principale posée. Nous
examinerons ensuite l’acte de sécession et d’indépendance du Kosovo et exposerons notre opinion

à son sujet.

Il n’a pas été demandé à la Cour de donner un av is consultatif sur la question de la licéité de
l’acte de reconnaissance par des Etats étrangers. Nous ne considérerons donc pas cette question

dans le présent exposé. - 2 -

2. La déclaration d’indépendance en tant que fait

Une déclaration d’indépendance est un fait. Le droit international général est muet quant à la
licéité de la déclaration d’indépe ndance. Pour qu’une entité form e un Etat, le droit international
exige généralement qu’elle remp lisse les conditions déterminant la qualité d’Etat, c’est-à-dire
qu’elle ait un gouvernement effectif administra nt une population permanente sur un territoire

défini. La question de savoir si une entité remp lit ces conditions intervient généralement dans le
contexte et au moment de sa reconnaissance par les autres Etats. Toutefois, une déclaration
d’indépendance, par elle-même, n’est pas une condition de la qua lité d’Etat et elle ne suppose pas
non plus la réalisation préalable des conditions susmentionnées. Par conséquent, une déclaration

d’indépendance est essentiellement un fait et elle n’ est pas juridiquement pertinente au regard du
droit international; le droit international ne c ontient quant à lui pas de règles ou de principes
déterminant l’effet juridique d’une proclamation d’indépendance.

3. Evaluation juridique de l’acte de sécession et d’indépend
ance du Kosovo

Comme indiqué ci-dessus, la déclaration d’ indépendance proprement dite est un fait.

Cependant, il ne serait pas utile de s’intéresser exclusivement à la déclaration d’indépendance du
Kosovo proprement dite en tant que fait, et d’examiner sa licéité sans tenir compte des
circonstances politiques qui ont conduit à la demande d’avis consultatif. En conséquence, le Japon
tient à examiner à présent comment peut être évalué juridiquement l’acte de sécession et

d’indépendance du Kosovo, c’est-à-d ire à rechercher si le Kosovo peut-être considéré ou non
comme un Etat.

1. Droit international général

Le droit international dispose que pour réaliser une sécession et devenir un Etat indépendant,
une entité doit remplir les conditions déterminant la qualité d’Etat, c’est-à-dire qu’elle doit avoir un
gouvernement effectif qui administre une population permanente sur un territoire défini. La

question de savoir si ces conditions sont remplies s’éclaircit souvent grâce à la reconnaissance des
autres Etats ou à l’admission de l’intéressé au sein des organisations internationales. La
reconnaissance ne sera cependant pas abordée dans le présent exposé, car c’est un sujet qui dépasse

le cadre de la question posée à la Cour.

Le droit international ne sanctionne géné ralement ni par une approbation ni par une
prohibition la sécession ou l’indépendance réal isée par une entité qui répond aux conditions

déterminant la qualité d’Etat. Ce dont nous devons nous souvenir , c’est que pour établir si une
entité remplit ou non les conditions déterminant la qua lité d’Etat au regard du droit international,
nous devons non seulement évaluer les faits con cernant cette entité, mais aussi examiner
attentivement le processus selon lequel elle est pa rvenue à remplir chacune de ces conditions. Par

exemple, le processus d’accession à l’indépendance et de sécession peut être jugé non conforme au
droit international s’il donne lieu à une violation de l’obligation juridique de ne pas recourir à la
force.

Ce qu’il est convenu d’appeler «le droit des peuples à l’autodétermination» (ou «à disposer
d’eux-mêmes») revêt une importance particulière à cet égard. Il est déclaré à l’article premier de la
première partie du pacte international relatif a ux droits économiques, sociaux et culturels et à
l’article correspondant du pacte international relatif aux droits civils et politiques ⎯ ces deux textes - 3 -

datant de1966 ⎯ qu’en vertu de ce droit de disposer d’eux-mêmes, tous le s peuples déterminent

librement leur statut politique et assurent libre ment leur développement économique, social et 1
culturel. De surcroît, la Cour a reconnu ce droit comme un principe établi du droit international .

Cependant, ce «droit à l’autodétermination» a été interprété de différentes manières. Sa

définition, son contenu et sa portée restent donc à établir et les interprétations qui en ont été faites
dans la pratique des Etats ainsi que dans la doctrine sont diverses. Il n’est plus contesté que le droit
des peuples coloniaux à disposer d’eux-mêmes, à se libérer des Etats impérialistes qui les

gouvernent et à obtenir l’indépendance ou un statut politique séparé est juridiquement établi.
Néanmoins, il n’y a dans les pactes internati onaux susmentionnés ou dans d’autres textes aucune
disposition établissant le droit général d’un groupe de gens à l’intérieur d’un Etat souverain, en

dehors du contexte colonial, à se séparer de cet Etat auquel ils ressortissent et à créer leur propre
Etat indépendant. La doctrine n’est pas unanime en ce qui concerne les relations entre le droit à
l’autodétermination et le principe de l’intégrité territoriale des Etats souverains.

Nous pouvons considérer que le cas du Kosovo sort du contexte colonial et, comme indiqué
ci-dessus, nous ne pouvons parvenir à une juste inte rprétation juridique en considérant simplement
la pertinence du droit à l’autodétermination. Ce dont il convient de prendre dûment note dans la
suite d’opérations qui a conduit à la déclara tion d’indépendance du Kosovo, c’est le processus

d’engagement continu de la communauté internationale, en particulie r de l’Organisation des
Nations Unies, comme nous l’exposerons dans la section 3 ci-après.

2. Evaluation juridique à la lumière de la résolution 1244 du Conseil de sécurité

Parmi les documents de l’Organisation des NationsUnies concernant le Kosovo, la

résolution 1244 du Conseil de sécurité, adoptée à la fin du conflit en 1999, est tout particulièrement
à considérer. Bien qu’elle ait pour principal obj et de donner une base juridique à l’engagement de
l’Organisation des Nations Unies dans l’administration du territoire du Kosovo par la mise en place
des institutions d’une administration provisoire, la résolution 1244 ne contient aucun terme laissant

entrevoir une conclusion quant au statut juridique futur du Kosovo. Rien non plus dans cette
résolution ne permet de présumer que l’indépendance du Kosovo est exclue.

La résolution indique que la mission d’administration intérimaire des NationsUnies au
Kosovo (MINUK) «assurera une administration trans itoire de même que la mise en place et la
supervision des institutions d’auto-administration démocratiques provisoires» (par.10), et que sa
principale responsabilité sera de «faciliter, en a ttendant un règlement définitif, l’instauration au

Kosovo d’une autonomie et d’une auto-administrat ion substantielles, compte pleinement tenu de
l’annexe 2 et des accords de Rambouillet» (par. 11) . En conséquence, il apparaît que la résolution
s’applique seulement à la période de transition, jusqu’à ce que le statut définitif du Kosovo soit

réglé, et qu’elle n’exclut pas une déclaration d’indépendance par le Kosovo (suivie de la sécession
et de l’indépendance).

3. Evaluation juridique compte tenu du caractère sui generis du cas du Kosovo

Le processus qui a conduit à la réalisation par le Kosovo des conditions définissant la qualité
d’Etat se caractérise, comme l’exposent en détail les paragraphes a)-d) ci-après, par un engagement

continu de la part de la communauté internationale, en particulier l’Organisation des Nations Unies.
Et c’est ce processus qui a fait de la question du Kosovo un cas particulier (sui generis). Le
processus de la sécession et de l’indépendance du Ko sovo se justifie à la lumière de son caractère

1 Conséquences juridiques pour les Etat s de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Consede sécurité, avis consultatif, C.I.J.Recueil, p.31-32,
par. 52-53 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J.Recuei, p. 31-33, par. 54-59 ; Timor oriental (Portugal

c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29. - 4 -

sui generis. Quelles que soient les positions divergentes des Etats à l’égard de la sécession et de

l’indépendance du Kosovo, le caractère sui generis de ce cas est largement reconnu par la
communauté internationale, comme en témoignent le rapport établi en mars 2007 par
M.MarttiAhtisaari, envoyé spécial du Secrétaire général pour le processus concernant le statut
2 3
futur du Kosovo , la déclaration d’indépendance du Kosovo , les conclusions sur le Kosovo en
date du 18 février 2008 formulées par les ministres des affaires étrangères européens, ainsi que les
déclarations des Etats membres du Conseil de sécurité à la session tenue par celui-ci après la
5
déclaration d’indépendance .

a) Sous le régime de la Constituti on de 1974, la République fédéra tive socialiste de Yougoslavie

était constituée de sixrépubliques et de de ux provinces autonomes; le Kosovo était une
province autonome à l’intérieur de la République de Serbie et jouissait d’un degré d’autonomie
considérable, presque équivalent à celui des si xrépubliques. Cette situation s’est maintenue

jusqu’à ce que la Serbie révoque l’autonomie du Kosovo en1989. La dissolution de
l’ex-Yougoslavie commença avec les déclarations d’indépendance de la Slovénie et de la
Croatie en1991; un conflit ethnique de grande am pleur et de graves violations des droits de

l’homme s’ensuivirent dans de nombreuses parties de la région. Le conflit armé prit fin
en 1995 par suite des efforts de médiation de la communauté internationale, y compris l’ONU,
et l’ex-Yougoslavie fut divisée en cinqEtats indépendants. Au cours de la dissolution de

l’ex-Yougoslavie, les Albanais du Kosovo, qui constituaient la majorité de la population du
Kosovo et qui éprouvaient du ressentiment à l’égard des Serbes depuis la révocation de
l’autonomie de la région, inte nsifièrent leurs revendications d’indépendance; il s’ensuivit un
violent conflit ethnique entre les Albanais du Ko sovo et les forces serbes qui donna lieu à de

graves violations des droits de l’homme et se solda par un grand nombres de réfugiés et de
personnes déplacées dans leur propre pays.

b) En 1999, en réponse au refus de la Serbie d’ accepter la proposition de paix au Kosovo faite par
la communauté internationale, l’OTAN engagea une campagne de frappes aériennes contre la
Serbie, en vue de prévenir une nouvelle aggravation de la catastrophe humanitaire au Kosovo.

Ultérieurement, par suite des efforts de médi ation déployés par l’ ONU et par d’autres
intervenants, les forces de sécur ité serbes se retirèrent du Kosovo et le Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies adopta la réso lution 1244 autorisant, aux fins du maintien de

la sécurité au Kosovo, la création d’une missi on d’administration intérimaire des Nations Unies
et la mise en place d’une force de sécurité internationale dirigée par l’OTAN.

c) Echappant au contrôle effectif de la Serbie depuis1999, le Kosovo a créé et renforcé les
institutions de son administration intérimaire en tenant des élections avec l’aide de la
communauté internationale et en constituant ses propres assemblée, présidence et
gouvernement. La majorité de la population a fait savoir qu’elle aspirait à ce que le Kosovo

devienne indépendant dans les meilleurs délais.

d) En 2005, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies désigna M. Ahtisaari, ancien

président de la Finlande, pour être son envoyé spécial chargé de diriger le processus sur le statut
futur du Kosovo. M.Ahtisaari conduisit des né gociations entre les parties intéressées, y
compris le Kosovo et la Serbie. En mars 2007, il soumit à l’Organisation des Nations Unies sa

proposition, dans laquelle il recommandait l’indépendance du Kosovo s ous la supervision de la

2Lettre en date du 26 mars 2007 adressée par le Secrétaire général au président du Conseil de sécurité, à laquelle
est jointe le rapport de l’envoyé spécial du Secrétaireral pour le processus concernant le statut futur du Kosovo
(UNS/2007/168, 26 mars 2007), p. 4, par. 15.
3
Déclaration d’indépendance prononcée par l’Assemblée du Kosovo, 17 février 2008, par. 6 du préambule.
4
Conseil de l’Union européenne (relations extérieus), conclusions sur le Kos ovo, 18février2008, dernier
paragraphe.
5Nations Unies, doc. S/PV.5829, 18 février 2008. - 5 -

communauté internationale. Le Kosovo accepta cette proposition recommandant son
indépendance, mais la Serbie la rejeta. Au second semestre de 2007, après l’échec du Conseil

de sécurité à obtenir un consensus sur l’approba tion de la proposition, une «troïka» constituée
de négociateurs de l’Union européenne, des Etats-Unis et de la Russie déploya de nouveaux
efforts pour régler la question du statut mais ces efforts ne débouchèrent sur aucun progrès
sensible. Cette impasse incita l’Union europée nne à conclure qu’un règl ement effectif par la

voie de négociations n’était plus envisageable. Après cette série de tentatives, le Kosovo,
estimant qu’une poursuite des négociations ne pr oduirait aucun résultat tangible, proclama son
indépendance en février 2008.

L’évaluation juridique de la sécession et de l’indépendance du Kosovo dépend, dans une
large mesure, du caractère sui generis de ce cas, qui est imputable au processus d’engagement actif
et continu de la communauté internationale, en pa rticulier de l’ONU. En conséquence, nous ne
pouvons et ne devons déduire de l’évaluation juridique du cas du Ko sovo aucune règle générale ou

principe général de droit international.

4. Conclusion

Comme nous l’avons observé, la déclarati on d’indépendance du Kosovo est un fait et il
n’existe aucune règle de droit international qui la régisse, car elle n’est pas juridiquement
pertinente.

De surcroît, la sécession et l’indépendance du Kosovo sont justifiées compte tenu du
caractère sui generis que présente le cas de ce pays, et elles ne s’opposent à aucune règle de droit
international applicable, notamment la résolu tion1244 du Conseil de sécurité. On peut donc

considérer que la déclaration d’indépendance du Kosovo ne contredit pas l’évaluation juridique de
l’acte de sécession et d’indépendance du Kosovo.

Pour finir, le Japon tient à ajouter que, quel que soit l’avis consultatif que puisse rendre la

Cour sur cette question, celui-ci ne devrait pas être considéré comme un précédent établissant un
principe général applicable à la sécession et à l’indépendance d’un Etat.

___________

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