Exposé écrit de la Suisse

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Schweizerische Eidgenossenschaft
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Confederazsvizra

713.4-WEKde Suisseaux PaysBas

L'Ambassade de Suisse présente ses compliments à la Cour internationale de

Justice et a l'honneur de se référer aux lettres no33294 du 10 octobre 2008 et

no 133310 du 20 octobre 2008 du Greffier de la Cour, concernant la c9nformité au

droit international de la déclaration unilatérale d'indépendance des institutions
provisoires d'administration autonome du Kosovo.

Le Gouvernement suisse a pris la décision de se prévaloir de la possibilité donnée

aux Etats membres de l'ONU de fournir des renseignements sur l'ensemble des

aspects soulevés par la question. Trente exemplaires en langue française de la

contribution de la Suisse sont remisà la Cour, en annexe à la présente note. Une

version inofficielle en langue anglaise sera remise à la Cour dans les prochains

jours.

L'Ambassade de Suisse saisit cette occasion pour renouveler à la Cour
/
internationale de Justice l'assurance de sa haute considération.

La Haye, le 15 avri2009

Annexes : mentionnées

Cour internationale de Justice
Palais de la Paix

La HayeConformité au droit international de la déclaration unilatérale

d'indépendance des institutions provisoires d'administration
autonome du Kosovo

(Requête pour avis consultatif)

Exposé écrit

adresséà la

Cour internationale de Justice

par la

Confédération suisse

conformément
à l'Ordonnance de la Cour
du 17 octobre 2008 I. INTRODUCTION

1. Le 8 octobre 2008, l'Assemblée générale des Nations Unies (« Assemblée générale») a
adopté la résolution 63/3 (A/RES/63/3) par laquelle elle a décidé, conformémà l'article 65
du Statut de la Cour internationale de Justice («Statut»), de demander à la Cour

internationale de Justic« Cour ») de donner un avis consultatif sur la question suivante :

« La déclaration unilatérale d'indépendance des institutions prov1s01res
d'administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit
international? »

2. Par une ordonnance du 17 octobre 2008, la Cour a décidé, conformément au paragraphe 1
de l'article 66 du Statut,

« que l'Organisation des Nations Unies et ses États Membres sont jugés
susceptibles de fournir des renseignements sur la question soumiseà la Cour
pour avis consultatif».

3. La Cour a fixé au17 avril 2009 la date d'expiration du délai dans lequel des exposés écrits
sur la question pourront être présentéà la Cour conformément au paragraphe 2 de l'article
66 du Statut.

4. La Cour a en outre fixé a17 juillet 2009 la date d'expiration du délai dans lequel les États
ou organisations qui auront présenté un exposé écrit pourront présenter des observations

écrites sur les autres exposés écrits conformément au paragraphe 4 de l'article 66 du Statut.

5. Enfin, dans la même ordonnance du 17 octobre 2008, la Cour a décidé que :

«compte tenu du fait que la déclaration unilatérale d'indépendance des
institutions provisoires d'administration autonome du Kosovo du 17 février
2008 fait l'objet de la question soumise à la Cour pour avis consultatif, les
auteurs de la déclaration précitée sont jugés susceptibles de fournir des
renseignements sur la question».

6. La Suisse souhaite faire usage de la possibilité de fournir un exposé écrit et, en observant
la forme et le délai prescrits, fait partà la Cour des considérations suivantes.

***

Il. BREF RAPPEL DE LA POSITION DE LA SIDSSE

7. Par souci de transparence, la Suisse souhaite brièvement rappeler sa position relative au

Kosovo avant d'aborder les questions de la compétence de la Cour, de l'opportunité pour la
Cour d'exercer sa compétence et, finalement, de la substance même de la question soumiseà
la Cour.8. La Suisse fait partie des États ayant reconnu le Kosovo. Dix jours après l'adoption de la
déclaration d'indépendance du Kosovo, la Suisse a en effet décidé de reconnaître le Kosovo
et d'établir des relations diplomatiques et consulaires avec ce pays. A cette occasion, le

Président de la Confédération suisse a fait la déclaration publique suivante :

«Berne, 27.02.2008 - Reconnaissance du Kosovo et établissement de relations
diplomatiques

Sur proposition du DFAE [Département fédéral des affaires étrangères], et
après consultation des Commissions de politique extérieure du Conseil des

États et du Conseil national, le Conseil fédéral a décidé aujourd'hui de
reconnaître le Kosovo et d'établir des relations diplomatiques et consulaires
entre nos deux pays.

Le Conseil fédéral aà cet égard pris note de la Déclaration d'indépendance
adoptée par l'Assemblée du Kosovo le 17 février dernier, ainsi que de
l'invitation formelle à reconnaître le Kosovo adressée au gouvernement suisse

par le Président et le Premier Ministre du Kosovo à cette mêmedate.
Le Conseil fédéral s'est en particulier félicité du ferme engagement, exprimé

dans les deux documents précités, des autorités du Kosovoà respecter dans leur
intégralité- y compris en ce qui concerne la protection des minorités et la
supervision de l'indépendance par une présence internationale civile et
militaire- les obligations découlant de la Proposition globale de règlement

portant statut du Kosovo de l'Envoyé spécial du Secrétaire Général des Nations
Unies pour le statut du Kosovo, Monsieur Martti Ahtisaari.
Le Conseil fédéral a également relevé que les autorités du Kosovo entendent

coopérer avec la présence militaire de l'OTAN, la KFOR, sur la base de la
Résolution 1244/1999 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Dans une tel1e situation, où les enjeux émotionnels sont importants et les
intérêts sont contradictoires, il n'y a pas de solution idéale. Le Conseil fédéral
estime toutefois que cette nouvelle étape dans la reconstitution politique de la
région demeure préférablà etoute autre alternative. Il considère d'autre part que

compte tenu des circonstances spécifiques du cas du Kosovo, cette
reconnaissance ne constitue pas un précédent.

.La clarification du statut du Kosovo est une condition pour la stabilité et le
développement économique et politique de la région des Balkans occidentaux
tout entière. Le Conseil fédéral exprime sa volonté d'y poursuivre l'engagement
de la Suisse et de participer activement aux efforts internationaux au Kosovo et

dans la région.
La Suisse a toujours pris des positions équilibrées dans les Balkans, en tenant

compte des intérêts légitimes de toutes les parties impliquées. Le Conseil
fédéral a tenuà souligner que la reconnaissance du Kosovo aujourd'hui va de
pair avec la volonté de resserrer les relations étroites qu'il entretient avec la
Serbie et de renforcer la très bonne coopération entre la Suisse et la Serbie.

9. Le 8 octobre 2008, lors du vote de l'Assemblée générale de la résolution 63/3 qui est à
l'origine de la requête pour avis consultatif, la Suisse a décidé de s'abstenir.

2 10. Comme on le sait, la résolution 63/3 a été adoptée par l'Assemblée générale par 77 votes

contre 6 et 74 abstentions. La Cour est dès lors saisie.

11.La Suisse accorde la plus grande importance au droit international public et au rôle de la
Cour internationale de Justice. Par conséquent, elle souhaite, dans la mesure de ses moyens,
contribuer à fournir des éléments pour répondrà ela question soumise à la Cour.

12. La Suisse souhaite que si la Cour décidait de rendre l'avis consultatif requis, ce dernier

puisse renforcer leprocessus de laconsolidation de la stabilité et de lapaix dans la région.

***

III. CONSIDERATIONS PRELIMINAIRES

a) Compétencede la Cour

13. En vertu de l'article 65, paragraphe 1, du Statut, la Cour peut donner un avis consultatif

sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé
par la Charte des Nations Unies («Charte»), ou conformément à ses dispositions, à

demander cet avis. La requête de l'Assemblée générale contenue dans la résolution 63/3 a été
formulée en application de l'article 96, paragraphe 1, de la Charte, en vertu duquel

l'Assemblée générale peut demander à la Cour un avis consultatif sur toute question
juridique.

14.L'Assemblée générale n'a pas outrepassé ses compétences en vertu de la Charte et
respecte, de l'avis de la Suisse, les limitations qui résultent en particulier des dispositions du

paragraphe 1 de l'article 12de la Charte. La question soumise par l'Assemblée générale a été
libellée en termes juridiques. Que cette question revête par ailleurs des aspects politiques
1
dans la situation actuelle, ne la prive pas de son caractère juridique •La nature politique des

1 Dans l'avis consultatif sur laLicéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléairelsa, Cour a confirmé sa
pratiqueà cet égard. Au paragraphe 13de l'avis, elle dit:

«Que cette question revête par ailleurs des aspects politiques, comme c'est, par la nature des
choses, le cas de bon nombre de questions qui viennent àse poser dans la vie internationale, ne
suffit pas à la priver de son caractère de 'questionjuridique ' et à 'enlever à la Cour une
compétence qui lui est expressément conférée par son Statut' (Demande de réformation du
jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif,.J.Recueil
1973, p. 172, par. 14). Quels que soient les aspects politiques de la question posée, la Cour ne

saurait refuser un caractère juridique à une question qui l'invite à s'acquitter d'une tâche
essentiellement judiciaire, à savoir l'appréciation de la licéité de la conduite éventuelle d'États
au regard des obligations que le droit international leur impose (voir Conditions de l'admission
d'un État comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948,
C.J.J.Recueil 1947-1948,p. 61-62;Compétence de l'Assemblée générale pour l'admission d'un
État aux Nations Unies, avis consultatif, C.J.J.Recueil 1950,6-7; Certaines dépenses des
Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.J.J.Recueil 1962,
p. 55).»

(Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultaf,.J.J.Recueil 1996-1, pp. 233-234,
par. 13).

3 motifs qui auraient pu inspirer la requête et les implications politiques que pourrait avoir
l'avis donné sont également sans pertinence au regard de l'établissement de la compétence de
2
la Cour. Ce n'est d'ailleurs pas non plus parce que la question met en jeu des faits qu'elle
perd son caractère juridique au sens de l'article 96 de la Charte 3•

15. De l'avis de la Suisse, la Cour est compétente pour répondre à la requête.

b) Opportunité de l'exercice de la compétence

16. L'article 65, paragraphe 1, du Statut dispose que: « [l]a Cour peut donner un avis
consultatif ...» (souligné par nos soins). La Cour jouit ainsi d'un pouvoir discrétionnaire de

décider si elle veut ou non donner l'avis consultatif qui lui est demandé. A cet égard, elle a
toujours été consciente de ses responsabilités en tant qu'« organe judiciaire principal des

Nations Unies» (article 92 de la Charte). Elle a souligné ce qui suit:

« L'avis est donné par la Cour non aux États, mais à l'organe habilité pour le lui
demander; la réponse constitue une participation de la Cour, elle-même
'organe des Nations Unies', à l'action de l'Organisation et, en principe, elle ne

devrait pas être refusée (Interprétation des traités de paix conclus avec la
Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.l.J.

Recueil 1950, p. 71 ; voir aussi Réservesà la convention pour laprévention et
la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.l.J. Recueil 1951, p. 19 ;
Jugements du Tribunal administratif de !'OIT sur requêtes contre !'Unesco,avis

consultatif, C.l.J. Recueil 1956, p. 86; Certaines dépenses des Nations Unies
(article 17,paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.l.J. Recueil 1962,

p. 155, et Applicabilité de la section 22 de l'article VIde la convention sur les

2
Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire
palestinien occupédu 9juillet 2004, la Cour a eu l'occasion de le confinner:
« La Cour a en outre affirmé, dans son avis sur la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes
nucléaires, que

'la nature politique des mobiles qui auraient inspiré la requête et les implications
politique que pourrait avoir l'avis donné sont sans pertinence au regard de
l'établissement de sa compétence pour donner un tel avis' (C.l.J. Recueil 1996 (1),
p. 234, par. 13).

La Cour estime qu 'il n'existe en l'espèce aucun élément susceptible de l'amer conclure
différemment. »
(Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis cof,.J.J.iC
Recueil 2004, pp. 155s, par. 41).
3
Dans son avis consultatif sur les Conséquencesjuridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique
du Sud en Namibie, la Cour avait déjà affinné :
«Selon la Cour, ce n'est pas parce que la question posée met enjeu des faits qu'elle perd le

caractère de 'questionjuridique' au sens de l'article 96 de la Charte. On ne saurait considérer
que cette disposition oppose les questions de droit aux points defait. Pour êtreà même de se
prononcer sur des questions juridiques, un tribunal doit normalement avoir connaissance des
faits correspondants, lesprendre en considération et, le cas échéant, à leur sujet.»

(Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
Africain) nonobstant la Résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971,
p. 27, par. 40).

4 privilèges et immunités des Nations Unies, avis consultatif,C.l.J Recueil 1989,
4
p. 189). »

17. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, seules des « raisons décisives»
(« compelling reasons ») pourraient l'inciter à refuser de répondre à une requête émanant de
5
l'Assemblée générale • Aucun refus, fondé sur le pouvoir discrétionnaire de la Cour, de 6
donner suite à une demande d'avis consultatif n'a été enregistré dans l'histoire de la Cour •

18. Il convient dès lors de se demander s'il existe, en l'espèce, de telles« raisons décisives».
A cet égard, trois motifs en particulier pourraient entrer en ligne de compte :

a) le défaut de consentement (v. ci-dessous pars. 19à 20),
b) l'absence de renseignements factuels nécessaires (v. par. 21) et

c) l'inopportunité politique (v. pars. 22 et 23).

19. En ce qui concerne le premier élément, l'absence de consentement, la Cour a affirmé,
dans l'avis consultatif relatif au Sahara Occidental, que :

«le défaut de consentement d'un État intéressé peut, dans certaines

circonstances, rendre le prononcé d'un avis consultatif incompatible avec le
caractère judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient
qu'accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un

État n'est tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s'il n'est pas
consentant. Si une telle situation devait se produire, le pouvoir discrétionnaire

que la Cour tient de l'article 65, paragraphe 1, du Statut fournirait des moyens
juridiques suffisants pour assurer le respect du principe fondamental du
7
consentement à lajuridiction » •

20. Or, la situation dans laquelle se trouve la Cour face à la requête formulée dans la
résolution 63/3 n'est pas celle qui est envisagée dans le passage cité. On ne saurait en effet

considérer la requête en cause comme un détournement du principe du consentement
applicable aux requêtes émanant d'États. D'abord, le Kosovo n'a pas pu donner son

consentement à la juridiction de la Cour: il n'est pas encore membre de l'ONU et par
conséquent pas partie ipsofacto au Statut; il n'est pas non plus devenu partie au Statut de la

Cour en vertu de l'article 93, paragraphe 2, de la Charte. Ensuite, il y a une autre raison pour
laquelle on ne saurait pas parler d'un détournement de la condition du principe fondamental

4Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996-p1.,235, par. 14.
5
Voir Jugements du Tribunal administratif de /'OIT sur requêtes contre /'Unesco, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1956, p. 86; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1962p.155; Conséquencesjuridiques pour les États de laprésence continue de l'Afrique du Sud
en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (/970) du Conseil de sécurité, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1971,. 27; Demande de réformation dujugement n° 158 du Tribunal administratif des Nations
Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 183; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975,
p. 21 ; Applicabilité de la section 22 de l'article VIde la convention sur les privilèges et immunités des Nations

Unies, C.I.J. Recueil 1989, p. 191 ; et Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1996-1,p. 235, par. 14.
6 Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004, p. 156, par. 44.
7
Sahara Occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975,p. 25, par. 33.

5 du consentement de lajuridiction : la question que l'Assemblée générale a posé àela Cour ne
se réduit pas à un différend limité à une dimension purement bilatérale. Elle s'inscrit en effet
8
dans un cadre bien plus large et intéresse lesNations Unies plus généralement •

21. Un deuxième motif qui pourrait amener la Courà refuser de donner suite à une requête
pour avis consultatif de l'Assemblée générale serait« l'absence concrète des 'renseignements
9
matériels nécessaires pour lui permettre de porter un jugement sur la question de fait' » • La
réponse à la question posée par l'Assemblée générale implique sans aucun doute un examen

approfondi des faits. A cet égard, les nombreux rapports du Secrétaire général sur la Mission
d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo ainsi que le rapport de ]'Envoyé

spécial du Secrétaire général sur le statut futur du Kosovo de mars 200?1° sont d'une utilité
certaine. Du reste, il appartient à la Cour elle-même de déterminer si elle dispose de

suffisamment d'éléments matériels pour lui permettre de répondre favorablement à la requête
qui lui est soumise par l'Assemblée générale. Le développement de la situation au Kosovo

paraît en tout cas bien documenté.

22. Un troisième motif pour lequel la Cour pourrait choisir de ne pas donner suite à la requête
serait l'inopportunité politique. Ce motif pourrait inclure, par exemple, l'argument qu'un avis

de la Cour pourrait avoir des effets négatifs sur le terrain ou l'argument que l'avis ne serait
d'aucune utilité. Les deux arguments ont été avancés dans l'affaire sur lC esonséquences

juridiques de l'édification d'un mur dans le territoirepalestinien occupéL .a Cour a pourtant
considéré ce qui suit :

« La Cour est certes consciente que la question du mur fait partie d'un
ensemble, et elle prendrait soigneusement en considération cette circonstance

dans tout avis qu'elle pourrait rendre. En même temps, la question que
l'Assemblée générale a choisi de lui soumettre pour avis est limitée aux
conséquences juridiques du mur, et la Cour ne tiendrait compte d'autres

éléments que dans la mesure où ceux-ci seraient nécessaires aux fins de
1'examen de cette question. » 11

23. Dans le passé, la Cour a soigneusement examiné s'il existait des raisons décisives pour

lesquelles la Cour devrait refuser de rendre un avis en raison de l'inopportunité politique.

8 Voir également Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif, C.1.J.Recueil 2004, p. 159, par. 50.

Dans l'avis consultatif sur lera Occidental, la Cour a en outre souligné ce qui suit :
«L'Assemblée générale n'a pas eu pour but de porter devant la Cour, sous la forme d'une
requête pour avis consultatif, un différend ou une controverse juridique, afin d'exercer plus
tard, sur la base de l'avis rendu par la Cour, ses pouvoirs et ses fonctions en vue de régler

pacifiquement ce différend ou cette controverse. L'objet de la requête est tout autre:il s'agit
d'obtenir de la Cour un avis consultatif que l'Assemblée générale estime utile pour pouvoir
exercer comme il convient sesfonctions ...
(Sahara Occidental, avis consultatif, C.LJ. Recueil 1975, pp. 26s, par. 39).
9
Sahara Occidental, avis consultatif, C.l.J. Recueil 1975,p. 28, par. 46.
10S/2007/168, 26 mars 2007.
11
Conséque~cesjuridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
C.LJ. Recuezl 2004, p. 160, par. 54.

6 12
Sur la base des conditions établies dans lajurisprudence de la Cour à ce sujet , la Suisse ne
voit aucune raison pour laquelle la Cour devrait refuser d'entrer en matière dans l'affaire
relative à la conformité au droit international de la déclaration d'indépendance du Kosovo.

24. Par conséquent, la Suisse a l'honneur de présenter, ci-après, ses commentaires relatifs à

la question soumise à la Cour.

***

IV. LADÉCLARATIOND'INDÉPENDANCEÀ LALUMIÈREDUDROIT

INTERNATIONAL

a) Généralités

25. La question soumise à la Cour porte sur la conformité au droit international de la

déclaration d'indépendance du Kosovo du 17février 2008.

26. Une déclaration d'indépendance d'un État est un événement factuel ponctuel, intervenant
à un certain moment historique plus au moins important. Sur le plan juridique, une

déclaration d'indépendance peut souvent soulever des questions de droit public, notamment
de droit constitutionnel, car elle peut s'accompagner d'un changement profond, voire d'une

rupture complète avec l'ordre de droit public en vigueur à ce moment.

27. En revanche, le sujet des déclarations d'indépendance n'est que rarement l'objet de

12 Dans l'avis consultatif relàtla Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléail, Cour a soulevé
que

«[l]'Assemblée générale est habilitée à décider elle-même de l'utilité d'un avis au regard de ses
besoins propres».
(Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consuC.I.JRecueil 1996-I, p. 238, par. 16).
Elle a poursuivi en ces termes :
«La Cour sait que, quelles que soient les conclusions auxquelles elle pourrait parvenir dans

l'avis qu'elle donnerait, ces conclusions seraient pertinentes au regard du débat qui se poursuit
à l'Assemblée générale, et apporteraient dans les négociations sur la question un élément
supplémentaire. Mais au-delà de cette constatation, l'effet qu'aurait cet avis est une question
d'appréciation.»
(Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consuC.I.JRecueil 1996-I, p. 238, par. 17).

Dans l'avis consultatif relatif aura occidental, la Cour a remarqué ce qui suit :
«De toute manière, il n'appartient pas à la Cour de dire dans quelle mesure ni jusqu'à quel
point son avis devra influencer l'action de l'Assemblée générale. Lafonction de la Cour est de
donner un avisfondé en droit, dès lors qu'elle a abouti à la conclusion que les questions qui lui
sont posées sont pertinentes, qu'elles ont un effet pratique à l'heure actuelle et que par
conséquent elles ne sont pas dépourvues d'objet ou de but.»

(Sahara Occidental, avis consultatif, C.I.J., Recueil 1975, p. 37, par. 73.).
Enfin, dans l'avis consultatif relatif auxséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire
palestinien occupé,la Cour a soulevé que
«[l]a Cour ne peut pas substituer sa propre appréciation de l'utilité de l'avis demandé à celle
del 'organe qui le sollicite, en l'occurrence l'Assemblée générale».

(Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif,
Recueil 2004, p. 163,par. 62).

7 considérations approfondies en droit international. Par exemple, la question de savoir si et à

quel moment une entité devient un État en droit international est bien différente de celle de
savoir si et à quel moment est intervenue une déclaration d'indépendance, et, le cas échéant,

comment elle était formulée. Une entité sécessionnistepeut tout à fait devenir un État au sens
du droit international sans qu'une déclaration d'indépendance ait été prononcée. Inversement,
une déclaration d'indépendance d'une entité sécessionniste ne provoque pas nécessairement

la naissance d'un État au sens du droit international. Il n'est donc pas étonnant que les
déclarations d'indépendance n'aient jamais vraiment été examinées en droit international.

28. Ce serait toutefois aller trop loin que de prétendre que le droit international reste
entièrement muet sur les déclarations d'indépendance, et que ces dernières tombent par

conséquent dans un videjuridique total.

29. Tout d'abord, les entités sécessionnistes sont soumises et doivent se conformer aux règles
du droit international avec effet erga omnes. Il serait théoriquement possible, par exemple,

qu'une déclaration d'indépendance contienne une incitation au génocide, et enfreigne ainsi le
droit international à caractère impératif (jus cogens). Une analyse de la déclaration
d'indépendance du Kosovo fait immédiatement ressortir que cette déclaration ne viole

nullement le droit impératif, mais que ses auteurs ont, bien au contraire, porté la plus grande
attention au respect des droits de l'homme, à l'interdiction du recours à la force et à d'autres

principes du droit international. Que la déclaration d'indépendance du Kosovo soit l'objet
d'une demande d'avis consultatif à la Cour ne saurait d'ailleurs suggérer qu'elle pourrait

enfreindre des dispositions contraignantes du droit international ou des obligations erga
omnes.

30. De l'avis de la Suisse, l'intérêt que l'Assemblée générale a porté à la déclaration
d'indépendance du Kosovo tient bien davantageà une circonstance spéciale, à savoir qu'elle

s'inscrit dans un long processus d'indépendance qui a donné lieuà une supervision
internationale et a débouché sur des résultats sur lesquels les parties impliquées ne sont pas
toutes satisfaites. Ce processus a été lancé par la résolution 1244 du Conseil de sécurité,

examinéeà la section b ci-dessous.

b) La résolution 1244du Conseil de sécuritéet sa miseen Œuvre

i) Bref historique

31. Le Conseil de sécurité s'est penché sur la situation au Kosovo à partir du 31 mars 1998;
il adopta pour la première fois dans ce contexte une résolution en vertu du Chapitre VII de la
13
Charte et demanda une solution politique sans délai de la crise du Kosovo •Il réitéra son

13
S/RES/1160. La communauté internationale avait lancé plusieurs initiatives,avant l'aggravation de la crise du
Kosovo en 1998, pour faciliter un règlement politique entre les parties concernées. Le plan de paix de la
conférence de La Haye de 1991 sur la Yougoslavie prévoyait «uthe republicsshall applyJully and in good
faith the provisions existing prior to 1990for autonomous provinces.» (Peace Conference on Yugoslavia,
Carrington Draft Paper, « Treaty Provisions for the Convention », UN Doc S/23169, Annexe VII 18 octobre
1991). '

8appel le 23 septembre 1998, en condamnant « l'usage indiscriminé de la force », et en se
déclarant« alarmé par l'imminence d'une catastrophe humanitair e14•Le 24 octobre, il s'est

dit « vivement alarmé et préoccupé par la situation humanitaire grave qui persiste dans tout le
Kosovo, ainsi que par l'imminence d'une catastrophe humanitaire » 15• Le 14 mai 1999, il se

déclara une fois encore «gravement préoccupé par la crise humanitaire », et demanda
instamment que soit apportée une aide humanitaire aux réfugiés 16•Dans la résolution 1244 1,

il déplora que les exigences prévues dans ses résolutions n'aient pas été pleinement
satisfaites, et se montra résolu à remédier à la situation humanitaire grave qui existait au

Kosovo.

32. La résolution 1244 du Conseil de sécurité a été adoptée le 10juin 1999, un jour après la

signature par la République fédérale de Yougoslavie (RFY) et la Serbie d'un accord avec
l'OTAN sur le stationnement d'une présence internationale de sécurité au Kosovo (KFOR).

33. La résolution 1244, adoptée par 14 voix en faveur et une abstention, se réfère

premièrement à la déclaration du 6 mai 1999 du sommet de Saint-Pétersbourg du G8, qui
avait adopté les principes généraux d'un règlement politique de la crise du Kosovo. Elle se

réfère deuxièmement à l'accord sur les principes (plan de paix) visant à trouver une solution à

la crise du Kosovo, présenté à Belgrade le 2 juin aux dirigeants de la RFY par M. Ahtisaari,
alors président de la Finlande et représentant l'Union européenne, et M. Tchemomyrdine,
18
représentant spécial dela Fédération de Russie •Le 3juin 1999, le gouvernement de la RFY
et le Parlement serbe approuvaient l'accord. Ces deux documents figurent en annexe de la

résolution 1244.

La conférence de Londres de 1992 avait créé un groupe de travail en vue du règlement de la crise du Kosovo.
Ce qui avait conduit à la signature le 1ptembre 1996 de l'accord de Sant'Egidio entre la République fédérale
de Yougoslavie et Ibrahim Rugova, représentant le Kosovo; l'accord visait à nonnaliser le système d'éducation
pour les enfants et les étudiants albanophones.t. Egidio Education Agreement, 1 September 1996, signé par
Ibrahim Rugova et Slobodan Milosevic, et Agreed Measures for the Jmplementation of the Agreement on

Education of 1 September 1996, Belgrade, 24 March 1998, signé par Ratomir Vico, Goran Percevic, Dobrosav
Bjeletic, Fehmi Agani, Abbdulj Rama et Redzep Osmani, in : Heike Krieger, The Kosovo Conflict and
International Law, An Analytical Documentation, 1974-99, Doc. 8).

Après 1997, c'est surtout le groupe de contact (formé des ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de
France, d'Allemagne, de Russie, du Royaume-Uni et d'Italie) qui s'est occupé du Kosovo; ses efforts de
médiation ont débouché sur les Accords de Rambouillet en 1999(Accord intérimaire pour la paix et l'autonomie
au Kosovo). Pour le texte des accords, voir la lettre datée du 4 juin 1999, adressée au Secrétaire général par le
représentant permanent de la France auprès de l'Organisation des Nations Unies, S/1999/648, Annexe -
Accords de Rambouillet.

Toutes ces initiatives ont été sans effet durable : le plan de paix de La Haye de 1991 a été rejeté par la Serbie,
l'accord de Sant'Egidio n'a jamais été appliqué par la République fédérale de Yougos- ce que l'Assemblée
générale de l'ONU a constaté avec regret et les Accords de Rambouillet de 1999 n'ont été signés que par le

représentant du Kosovo, mais pas par la République fédérale de Yougoslavie.
14S/RES/1199.
15S/RES/1203.

16S/RES/1239.
17S/RES/1244.

18Agreement on the Principles (Peace Plan) to Move towards a Resolution of the Kosovo Crises, Presented in
Belgrade on 2 June to the Leadership of the FRY by the President of Finland, Mr. Ahtisaari, Representing the
European Union, and Mr. Chernomyrdin, Special Representative of the Russian Federation.

9 34. L'objectif de la résolution 1244 était d'exposer les éléments sur la base desquels une

solution politique au statut du Kosovo devait reposer. Dans cette résolution, le Conseil de
sécurité exigeait en particulier la cessation d'actes de violence et de répression et le retrait du

Kosovo de toutes les forces armées et de police par la RFY. Il décida en outre le déploiement
de présences internationales civile et de sécurité - la Mission d'administration intérimaire des

Nations Unies au Kosovo (MTNUK)- avec l'accord de la RFY et sous la direction d'un
représentant spécial de l'ONU.

35. Si les tâches de la présence internationale de sécurité de la MTNUKétaient liées au

maintien de la paix, celles confiéesà la présence internationale civile étaient de faciliter le
processus politique en vue de la détermination du statut du Kosovo. Le Conseil de sécurité

exigea le retrait des forces militaires, policières et paramilitaires fédérales de la République
fédérale de Yougoslavie se trouvant au Kosovo. Il exigea aussi que tous les groupes armés

albanais du Kosovo mettent fin à toutes opérations offensives. Enfin, il pria le Secrétaire
général de lui fournir des comptes rendus à intervalles réguliers.

36. Le 10 décembre 2003, après quelques années sans développements majeurs dans le

processus de détermination du statut final du Kosovo, la MTNUKprésenta un document, les
« Normes pour le Kosovo», énumérant les standardsà atteindre pour qu'une société

multiethnique stable 19 démocratique s'instaure au Kosovo. Ces normes reçurent l'aval du
Conseil de sécurité •

37. En mars 2004, la MINUK présenta le Plan d'application des Normes pour le Kosovo qui

devait servir de base à l'évaluat20n des progrès accomplis dans leur application. Or, dans son
rapport du 30 novembre 2004 ,l'Envoyé spécial du Secrétaire général considéra que le Plan
en question n'était pas crédible dans la mesure où il apparaissait matériellement impossible

d'appliquer l'ensemble des normes avant d'entamer les négociations sur le statut du Kosovo.
L'Envoyé spécial proposa de définir des objectifs prioritaires afin que lesdites négociations

soient sujettes à des conditions raisonnables et réalisables.

38. Cette approche permit l'instauration d'une nouvelle dynamique et contribua à des
développements positifs. En 2005, dans son«examen global de la situation au Kosovo » 21,

l'Envoyé spécial du Secrétaire généfria tlétat de ces développements tout en relevant certains
domaines dans lesquels il restait des progrès à faire. Malgré quelques réserves, il

recommanda de lancer le processus visant à atteindre un statut final pour le Kosovo. Cette
conclusion reçut l'aval du Conseil de sécurité 22.

39. En mars 2007, après plus d'une année de pourparlers avec les deux parties, le nouvel

Envoyé spécial du Secrétaire général, M. Ahtisaari, présenta un rapport qui faisait état de

19Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 12décembre 2003, S/PRST/2003/26.
20
Annexe de la lettre datée du 17novembre 2004, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire
général, S/2004/932.
21 Annexe de la lettre datée du 7 octobre 2005, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire
général, S/2005/635.
22
Déclaration du Président du Conseil de sécurité du 25 octobre 2005, S/PRST/2005/51.

10l'impasse des négociations et affirmait que toutes les possibilités de parvenir à une issue

négociée avaient été épuisées.Face à cette impasse, il conclut que la seuleoption viable pour
ce «cas inédit » était une indépendance sous supervision internationale et soumit une
«Proposition globale de Règlementportant statut du Kosovo» 23•

40. Cette proposition, dénommée aussi« le Plan Ahtisaari », contenait des dispositions de

nature constitutionnelle, économique, sécuritaire, ainsi que des dispositions relatives à la
promotion et à la sauvegarde des droits des communautés, à la décentralisation de

l'administration et à la préservation et protection du patrimoine culturel et religieux. La
proposition fut acceptée par les représentants du Kosovo mais fut rejetée par ceux de la
Serbie.

41. Dans une dernière tentative de trouver une issue à cette impasse,une troika composée de

représentants de l'Union européenne,de la Russie et des États-Unis fut établiedans le but de
poursuivre les négociations entre les parties. Après 120 jours de pourparlers intenses, les
24
parties ne sont pas parvenues à un accord •

ii) Conformité de la déclaration d'indépendance avec la résolution 1244 du Conseil de
sécurité

42. On ne peut tirer de la résolution 1244 du Conseil de sécurité aucune interdiction d'une

déclaration d'indépendance du Kosovo.

43. Au paragraphe 10 du préambule, le Conseil de sécurité réaffirme la souveraineté et
l'intégrité territoriale de la RFY. Les préambules des résolutions de l'ONU posent le cadre

d'interprétation des paragraphes du dispositif et servent à rappeler aux États la nécessité de
respecter ces principes dans l'applicationdes mesures décidées.

44. Le Conseil de sécurité a pour pratique d'affirmer particulièrement le respect de la
souveraineté et de l'intégrité territoriale d'un État lorsqu'il prend des mesures de contrainte

contre lui en vertu du Chapitre VII de la Charte. Il indique par là que son intention n'est pas
de lui faire perdre sa souveraineté nationale par ces mesures de contrainte, ni de remodeler

ses frontières. Cette formule d'apaisement n'a toutefois qu'une importance relative : dans le
préambule de sa résolution 1272, par laquelle il mettait en place une administration de

transition au Timor oriental, le Conseil de sécurité réaffirmait la souveraineté et l'intégrité
territoriale de l'Indonésie, alors qu'il soutenait expressément dans la même résolution
l'indépendance ultérieure du Timor oriental dans le cadre d'un processus de transition placé
25
sous l'autorité de l'ONU •Par analogie, la référence à l'intégrité territoriale de la RFY dans

23
Lettre datée du 26 mars 2007, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, ainsi que
son annexe, S/2007/168 (2007).
24Lettre datée du 10 décembre 2007, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général,
S/2007/723.
25
S/RES/1272 du 25 octobre 1999, par. 12 du préambule: « réaffirmant son respect de la souveraineté et de
l'intégrité territoriale de l'Indonésie»mais au par. 3 du préambule: « (...)d'engager un processus de
transition vers l'indépendance, sous l'autorité de l'Organisation des Nations Unies, et qu'il considère comme
reflétant fidèlement les voeux de la population du Timor ».

Ille paragraphe 10du préambule de la résolution 1244ne signifie nullement que le futur statut
du Kosovo devait obligatoirement se confiner dans les frontières de laRFY.

45. Le premier paragraphe du dispositif fait également indirectement allusion à la

souveraineté territoriale de la RFY, car le Conseil de sécurité y décide que « la solution
politique de la crise au Kosovo reposera sur lesprincipes généraux énoncés à l'annexe 1 » de

la résolution. L'annexe en question lance un« processus politique menant à la mise en place
d'un accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie
substantielle, qui tienne pleinement compte des accords de Rambouillet et des principes de
26
souveraineté et d'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie (...). »
Cette référence indirecte n'est pas non plus une affirmation perpétuelle de l'intégrité

territoriale de la RFY, elle ne porte que sur le processus politique qui doit conduire à la mise
en place d'un accord-cadre politique intérimaire. Le Conseil de sécurité n'a pas prévu de

mesures spécifiques dans la résolution 1244en cas d'échec du processus politique.

46. On note aussi dans ce contexte que la résolution 1244 se réfère aux Accords de
Rambouillet, qui prévoient explicitement que le règlement définitif de la question du statut
27
devra respecter la volonté de la population du Kosovo •

47. De plus, la résolution 1244 a donné pour mandat à la MINUK de préparer le Kosovo à
son futur statut, tout en ne précisant pas lestâches de la mission quant à ce statut. Le Conseil

de sécurité a par exemple chargé la mission de« faciliter, en attendant un règlement définitif,
l'instauration au Kosovo d'une autonomie et d'une auto-administration substantielles», et de

« faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, en tenant
compte des Accords de Rambouillet » 28.C'est ensuite l'évolution concrète de la situation sur

le terrain - sous le régime de la résolution 1244 et non sans que le Conseil de sécurité ait eu
la possibilité de se prononcer à de multiples reprises -, qui a amené le Kosovo à

l'indépendance plutôt qu'à un retour sous le gouvernement de Belgrade. C'est donc au terme
d'un processus mené par l'ONU et en seule conséquence de l'exécution du mandat de la

résolution 1244 que le Secrétaire général a en fin de compte été conduit à recommander sans
ambiguïté l'indépendance du Kosovo sous supervision de la communauté internationale.

48. Si le Conseil de sécurité avait effectivement voulu interdire l'indépendance du Kosovo il
l'aurait fait en des termes clairs et non équivoques dans un paragraphe opérationnel
29
contraignant de la résolution 1244 . Or, le Conseil de sécurité avait délibérément choisi de

26
S/RES/1244 (1999), annexe l, p. 6.
27Accord de Rambouillet, chapitre 8, article premier: Amendements et évaluation d'ensemble, paragraphe 3 :
« Trois ans après l'entrée en vigueur du présent Accord, une réunion internationale sera convoquée en vue de
définir un mécanisme pour un règlement définitif pour le Kosovo, sur la base de la volonté du peuple, de l'avis

des autorités compétentes, des efforts accomplis par chacune des Parties dans la mise en Œuvre du présent
Accord, et de l'Acte final de Helsinki (... )
28SIRES/1244 (1999), par. 11, let. a et e.
29
Dans sa résolution 541 du 18 novembre 1983 par exemple, le Conseil de sécurité avait estimé que la
proclamation faite par les autorités chypriotes turques le 15 novembre 1983était présentée comme portant
création d'un Etat indépendant dans le nord de Chyp» était« incompatible avec le Traité de 1960 relatif à la
République de Chypre ». Dans la partie opérationnelle de la résolution, le Conseil de sécurité coralaé
proclamation susmentionnée comme juridiquement nulle et demand[a] son retrait» (par. 2). Par conséquent, il
« demand[a] à tous les Etats de respecter la souveraineté, l'indépendance, l'intégrité et le non-alignement de la

12ne pas se prononcer de manière définitive sur la question de l'indépendance du Kosovo au
moment de l'adoption de la résolution 1244. Cette dernière escompte un« règlement

définitif», mais sans rien dire sur le contenu, les contours et la portée d'un « règlement ».
Le Conseil de sécurité n'a donc pas fixé d'avance le règlement définitif du statut du Kosovo ;
il s'est limité à lancer un processus politique à la faveur duquel devait se préparer un

règlement politique.

49. Cela est confirmé, si besoin en est, par le procès-verbal de la séance du Conseil de
sécurité du 10juin 1999. Le représentant du gouvernement de la RFY avait demandé que la
formulation de la résolution soit modifiée comme suit :

« Le projet de résolution du Conseil de sécurité devrait donc contenir les points
suivants : une réaffirmation ferme et sans équivoque du respect total de

l'intégrité territoriale et de la souveraineté de la République fédérale de
Yougoslavie; une solution politique à la situation au Kosovo-Metohija qui
serait basée sur une large autonomie( ...). La solution au Kosovo-Metohija doit
s'inscrire dans le cadre juridique de la République de Serbie et de la République

fédérale de Yougoslavie, ce qui implique que tous les services publics et d'État
dans la province, y compris les organes de l'ordre public, fonctionnent
conformément aux Constitutions et lois de la République fédérale de

Yougoslavie et de la République de Serbie. (... ) Au paragraphe 9 a) et b) du
dispositif, la résolution demande en termes pratiques à la République fédérale
de Yougoslavie de renoncer à une partie de sa souveraineté territoriale et
d'accorder l'amnistie aux terroristes. En outre, au paragraphe 11 du dispositif, la

résolution établit un protectorat, prévoit la création d'un système économique et
politique séparé dans la province et ouvre la possibilité à une sécession du
Kosovo-Metohija de la Serbie et de la République fédérale de Yougoslavie. »30

50. Le Conseil de sécurité n'a pas donné suite aux exigences de la RFY : l'intégrité territoriale
de la RFY n'est pas affirmée de manière absolue dans le dispositif de la résolution, qui ne

prévoit pas non plus que la présence civile internationale au Kosovo doive observer les lois
de la RFY et de la Serbie. D'ailleurs, lors de la séance du 10 juin 1999, le représentant du

Royaume-Uni avait constaté que:

« Cette résolution au titre du Chapitre VII, ainsi que ses annexes, énoncent
clairement les exigences essentielles de la communauté internationale

auxquelles Belgrade doit satisfaire. L'interprétation et les conditions que la
délégation de la République fédérale de Yougoslavie a essayé de proposer ont
été rejetées.31

51. Le procès-verbal de l'adoption de la résolution 1244 montre donc clairement que le
Conseil de sécurité n'avait pris aucun parti sur le futur statut du Kosovo. Si la résolution 1244

ne contient pas de disposition sur le futur statut de Kosovo, ce n'est pas à cause d'une

République de Chypre» (par. 6) et demanda expressément«à tous les Etats de ne pas reconnaître d'autre Etat
chypriote que la République de Chypre» (par. 7).
30S/PV.4011, 10juin 1999. La déclaration faite originairement en anglais mentionne systématiquement le terme
plus correct de« projet de résolution»(« draft resolution »).
31S/PV.4011, lOjuin 1999.

13inadvertance dans sa rédaction. Bien au contraire, le Conseil de sécurité n'avait aucune
intention de préjuger le processus lancé par la résolution. Le processus était d'emblée et
délibérément ouvert.

52. Il en ressort que la résolution 1244 ne saurait être interprétée comme interdisant la
sécession du Kosovo.

c) Conformitéau regard du droit internationalgénéral

53. La Suisse répond maintenant à la question de savoir si d'autres éléments du droit
international pourraient conduire à penser que la déclaration d'indépendance du 17 février
2008 est contraire au droit international. Comme on l'a vu (au par. 29), on ne saurait

reprocher à la déclaration d'indépendance de contredire des normes impératives du droit
international (comme l'interdiction du recours à la force ou les obligations touchant aux droits
fondamentaux de la personne humaine) ; on est donc surtout conduit à se demander si la

déclaration d'indépendance viole d'autres normes ou principes juridiques, notamment le
principe généralement reconnu en droit international de l'intégrité territoriale des États.

i) Principe de l'intégrité territoriale

54. Le respect de l'intégrité territoriale fait partie intégrante du principe de souveraineté
reconnu en droit international. La garantie de l'existence territoriale des États assure
notamment la stabilité de l'ordre international.

55. L'article 2, paragraphe 4, de la Charte, qui contient le principe de l'intégrité territoriale, ne
se réfère qu'à l'obligation correspondante faite à tous les membres «dans leurs relations

internationales» ; s'adressant aux États tiers, elle s'applique «vers l'extérieur».
L'inviolabilité de l'intégrité territoriale visée à l'art2,lalinéa 4, ne s'adresse en revanche
pas à des entités au sein d'un État. Cette disposition ne s'applique pas« vers l'intérieur» d'un

Etat.

56. Même s'il était possible de se prévaloir du principe de l'intégrité territoriale compris dans

un sens élargi comme un principe juridique à valeur générale allant au-delà de la formulation
de l'article 2, alinéa 4, de la Charte, applicable aussi à des entités au sein d'un État, ce
principe ne serait pas absolu, mais assorti lui-même de restrictions. L'une de ces restrictions
pourrait être le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, également ancré fermement en

droit international.

14ii) Le droit despeuples à disposer d'eux-mêmes

57. Le droit international garantit le principe de l'intégrité territoriale des États, maisil

reconnaît en même temps le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Tous deux figurent
dans la Charte des Nations Unies ainsi que dans l'Acte final de la Conférence de la CSCE de

Helsinki (1975), ou encore dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe (1990).

58. L'étendue du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes reste contestée. Aux yeux de la

Suisse, ce droit est passé ces dernières décennies d'un principe relevant d'une aspiration
politique à une norme du droit international directement opposable, qui représente à présent
32
un élément du droit international coutumier et une obligation erga omnes •Mais l'exercice
de ce droit est assortide conditions précises.

59. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est d'abord apparu sous forme de norme à

caractère programmatique dans l'article 1, paragraphe 2, de la Charte. Le paragraphe 1 de
l'article 1 commun des Pactes de 1966 des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme en a

donné une première esquisse de définition juridique. Il prévoit que tous les peuples ont le

droit de disposer d'eux-mêmes, et qu'en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut
politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. Quelques

années plus tard, l'Assemblée générale formulait le droit à l'autodétermination de la façon la
plus contraignante et la plus complète jusque-là avec la« Déclaration 2625 de 1970 relative

aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les
États conformément à la Charte des Nations Unies» (diteDéclaration sur les relations
3
amicales/ ,reconnue comme étant déclaratoire du droit international coutumier pour ce qui
est de certaines de ses dispositions 34• Ce passage du principe politique de l'autodétermination

à un droit directement opposable a été confirmé dans le contexte de la décolonisation par la
jurisprudence de la Cour dans ses avis consultatifs sur le Sud-Ouest africain (1971) 35 et le

Sahara occidental (1975)36,ainsi que dans l'arrêt qu'elle a rendu dans l'affaire du Timor
7
orientaP •

32
Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.l.J. Recueil 1, . 90« La Cour considère qu'il n'y a rien à
redire à l'affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, tel qu'il s'est
développé à partir de la Charte et de la pratique de l'organisation des Nations Unies, est un droit oppergale
omnes. Le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes a été reconnu par la Charte des Nations Unies

et dans la jurisprudence de la Cour (voir Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de
l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31-32, par. 52-53 ; Sahara occidental, avis consultatif; C.J.J. Recueil
1975, p. 31-33, par. 54-59); il s'agit là d'un des principes essentiels du droit international contemporain».
33
A/RES/25/2625 du 24 octobre 1970, annexe.
34 Voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), C.I.J.
Recueil 2005, p. 56, par. 162; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua

c. Etats-Unis d'Amérique),fond, arrêt, C.I J. Recueil 198p,. 10l, par. 191.
35 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
qfricain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif ,C.J.J. Recueil 1971p,p.
31-32, pars. 52-53.
36
Sahara occidental, avisjuridique, C./.J. Recueil 1975, pp. 31-33, pars. 54-59.
37 Timor oriental (Portugal c.Australie), C.1.J.Recueil 1995,p. 102,par. 29.

15 60. Cet énoncé de principes sur les relations amicales aborde aussi les rapports entre la

souveraineté nationale, l'intégrité territoriale et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Selon les principes que la Déclaration sur les relations amicales pose, la création d'un État
souverain et indépendant constitue pour le peuple concerné un moyen d'exercer son droit à

disposer de lui-même. La Déclaration contient à cet effet une clause de sauvegarde qui se lit
comme suit:

«Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou
encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait,
totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout

État souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de
l'égalité de droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes énoncé ci­
dessus et doté ainsi d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple
appartenant au territoire sans distinction de race, de croyanceou de couleur.38

61. Elle stipule que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ne saurait être interprété

comme autorisant une sécession pour autant que l'État souverain concerné se conduise
conformément aux principes de l'égalité devant la loi et du droit des peupleà disposer d'eux­
mêmes et que son gouvernement représente l'ensemble de la population du territoire sans

distinction de race, de croyance ou de couleur. Une clause de sauvegarde analogue a été
confirmée dans la Déclaration et le Programme d'action de Vienne de la Conférence
mondiale sur les droits de l'homme de 1993:

« En application de la Déclaration relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à

la Charte des Nations Unies, [le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes] ne
devra pas être interprété comme autorisant ou encourageant toute mesure de
nature à démembrer ou compromettre, en totalité ou en partie, l'intégrité
territoriale ou l'unité politique d'États souverains et indépendants respectueux du

principe de l'égalité de droits et de l'autodétermination des peuples et, partant,
dotés d'un gouvernement représentant la totalité de lapopulation appartenant au
territoire, sans distinction aucune.39

62. Cela veut dire que le droit international protège expressément l'intégrité territoriale d'un
État au détriment du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes pour autant que son

gouvernement représente l'ensemble de la population sans discrimination aucune. Dans un tel
cas, la population exerce son droit à disposer d'elle-même par sa représentation au sein du

gouvernement, qui a l'obligation de respecter leprincipe d'égalité devant la loi.

63. Inversement, l'intégrité territoriale d'un État n'est plus protégée sans limitation lorsque

son gouvernement ne représente pas l'ensemble de la population, pratique arbitrairement la
discrimination à l'encontre de certains de ses groupes, et viole ainsi manifestement le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes. Dans un tel cas, la déclaration d'indépendance d'un

peuple faisant partie d'une population nationale plus grande pourrait être conforme au droit
international et ne pas vioIer leprincipe de l'intégrité territoriale.

38
A/RES/25/2625 du 24 octobre 1970,annexe.
39A/CONF.157/23 du l2juillet 1993,par. 2.

1664. La Cour suprême canadienne, en particulier, a examiné cette question dans son Renvoi de
1998 relatif à la sécession du Québec.À cette occasion, elle a fait la distinction entre le droit
interne et externe des peuples à l'autodétermination:

« Les sources reconnues du droit international établissent que le droit d'un

peuple à disposer de lui-même est normalement réalisé par voie
d'autodétermination interne - à savoir la poursuite par ce peuple de son
développement politique, économique, social et culturel dans le cadre d'un État

existant. Le droit à l'autodétermination externe (qui, dans le présent cas, pourrait
prendre la forme de la revendication d'un droit de sécession unilatérale) ne naît
que dans des cas extrêmes dont les circonstances sont par ailleurs
soigneusement définies.» 40

65. La Cour suprême n'exclut donc pas totalement le droit d'un peuple à déclarer

unilatéralement son indépendance, contre la volonté de l'État dont il faisait partie
précédemment. Mais c'est un acte exceptionnel, qui ne peut être accompli que dans des

circonstances soigneusement définies. Pour la Cour suprême, il est incontestable en droit
international que de telles circonstances peuvent se présenter dans le cas de peuples colonisés

ou soumis à une domination étrangère. Elle n'exclut pas non plus qu'elles puissent se
rencontrer dans un troisième cas :

« lorsqu'un peuple est empêché d'exercer utilement son droit à
l'autodétermination à l'interne, il a alors droit, en dernier recours, de l'exercer
par la sécession.( ...) De toute évidence, une telle situation s'apparente aux deux

autres situations reconnues en ce que la faculté du peuple concerné d'exercer à
l'interne son droit à l'autodétermination est totalement contrecarrée».41

66. Selon la doctrine dominante, un peuple peut exceptionnellement se prévaloir du droit
externe à disposer de lui-même lorsque l'État viole systématiquement et gravement le droit
42
interne à l'autodétermination sur la base de traits distinctifs du groupe, de telle sorte que l'on
ne puisse plus attendre de ce groupe qu'il demeure au sein de l'État concerné. Si un peuple

placé dans une telle situation ne pouvait se prévaloir du droit externe à disposer de lui-même,
le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes perdrait sa fonction intrinsèque 43!44 L.a Suisse

partage cette opinion.

40
Renvoi relatif à la sécession du Québec, Cour supr(, 998) 2 SCR 217; International Lin Domestic
Courts ILDC 184(CA 1998),par. 126[Renvoirelatif à la sécession du Québec].
41Renvoi relatif à la sécession du Qu,ar. 135.
42
Par exemple par le meurtre, l'emprisonnement illimité sans base légale, la destruction de relations familiales,
la dépossession sans égard pour les besoins vitaux, des interdictions spéciales d'exercice de certaines
professions religieuses ou d'utilisation de sa propre langue, et enfin par l'imposition de ces interdictions par des
mesures et des moyens brutaux (cf. Karl DOEHRINGS,elf-Determination, in: Bruno Simma (édit.),rter
of the United Nations :A Commentary (2 Edition, Oxford 2002) [DOEHR2002], p. 58.
43James CRAWFORDT ,he Creation of States in International Law (Oxford 2006) [CRAWF2006], p. 119;

Antonio CASSESSE, Self-Determination of Peoples: A Legal Reappraisal (Cambridge 1995), pp. 109ss; Daniel
THÜRER,Das Selbstbestimmungsrecht der Volker; mit einem Exkursus zur Jura/rage (1976), p. 15s.; Daniel
THÜRER, Das Selbstbestimmungsrecht der Volker und die Anerkennung von Staaten, in Hanspeter
Neuhold/Bruno Simma (éd.),Neues europèiisches Volkerrecht nach dem Ende des Ost-West-Konjliktes (Baden­
Baden 1996) [THÜRER1996], p. 50; Hans-Joachim HEINTZE,in: Knut lpsen, Vôlkerrecht (5. Auflage,

1767. La Suisse estime que le respect de l'intégrité territoriale est certes un principe important
du droit international. Il n'est pas, toutefois, isolé d'autres principes fondamentaux en droit

international. En particulier, il n'est pas absolu au point d'exclure, en toutes circonstances,
un droit à la sécession. Un droit à la sécession fondé sur le droit despeuples à disposer d'eux­

mêmes neut exister, mais ne peut être exercé que dans des situations tout à fait
exceptionnelles, lorsque tous les autres modes d'exercice du droit à l'autodétermination ont

échoué ou doivent être considérés comme inutilisables en raison de violations graves et
45
systématiques des droits de l'homme . En d'autres termes, la proclamation d'un État
indépendant, distinct de l'État précédent, doit rester la solution de dernierrecours pour qu'une

population puisse exercer son droit d'autodétermination interne etjouir des droits de l'homme
et des droits des personnes appartenant à des minorités garantis par le droit international 46•

Dans de telles situations extrêmes, le droit de se séparer d'un État par une déclaration
d'indépendance unilatérale peut donc être défini comme une solution ultima ratio. Cette

conception avait déjà été défendue d'ailleurs en 1921 par la deuxième commission de la
Société des Nations à propos de lavolonté des îles Aland de faire sécessionde la Finlande 47•

68. Même si l'on voulait reconnaître que le respect de l'intégrité territoriale s'applique aussi à

l'intérieur d'un Etat, on pourrait faire valoir, de l'avis de la Suisse, que les strictes conditions

à remplir pour se prévaloir du droit à l'autodétermination étaient remplies dans le cas
spécifique du Kosovo : que le peuple du Kosovo peut exercer son droit à l'autodétermination

(iiici-dessous), qu'il avait été en butte à des violations graves et systématiques des droits de
l'homme et des droits des personnes appartenant à des minorités (iv ci-dessous), et que la

déclaration d'indépendance constituait bien pour lui une solution de dernier recours(ultima
ratio) (v ci-dessous).

München 2004) [HEINTZE 2004), pp. 421ss; DOEHRING 2002, pp. 57s.; ChristianTOMUSCHAT G,eneral Course
on Public International Law, Académie de Droit International, Recueil des Cours 1999 (La Haye 200l),

pp. 253s. ; Dietrich MURSWIEK, Die Problematik eines Rechts auf Sezession - neu betrachtet, Archiv des
Volkerrechts (AVR) 31 (1993) [MURSWIEK 1993), pp. 313s.
44 La souveraineté et l'intégrité territoriale ne sont paàsprendre ici comme des valeurs absolues, mais doivent
s'appuyer sur une légitimité découlant de la responsabilité prise à l'égard des sujets de droit. Elles ne

représentent pas un but en soi, mais sont au service du peuple et des droits de l'homme, qui seuls légitiment leur
institutionnalisation. Voir Daniel THORERDer Wegfallejfektiver Staatsgewalt; 'TheFailed State?,Berichte der
Deutschen Gesellschaft für Volkerrecht (BDGV) 34 (1995), p. 15; Voir aussi CRAWFORD 2006, p. 384:
"International law bas extended its protection of the territorial integrity of States, though not to the point of
providing a guarantee."
45
Reference re Secession of Quebec, par. 134; CRAWFORD 2006, p. 119; Hans-Joachim HEINTZEi,n: Ipsen
2004, pp. 422s.; DOEHRING 2002, p. 58; DanielTHÜRERi,n: Encyclopedia of Public International Law (North­
Holland 2000), p. 371 [THÜREREPIL] ; MURSWIEK 1993, pp. 313 s.
46
Voir article 1 du Pacte international relatif aux droits civils et polit«Tous les peuples ont le droit de
disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement
leur développement économique, social et culturel». Voir également article 27 du Pacte international relatifaux
droits civils et politique« Dans les Etats où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les
personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres

membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou
d'employer leur propre langue».
47 Commission of Rapporteurs, League of Nations Doc. B.7.21/68/106 (1921), Official Journal, Suppl. No. 5,
1921, p. 24 : "The seperation of a minority from the State of which it forms a part and its incorporation in

another State can only be considered as an altogether exceptional solution, a last resort when the State Jacks
either the will or the power to enact and applyjust and effective guarantees."

18iii) Titularité du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes du peuple du Kosovo et

légitimation démocratique à l'exercice de ce droit

69. Selon l'article l commun des Pactes des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme,
tous les peuples possèdent le droit de disposer d'eux-mêmes 48• Les tentatives effectuées par
49
des États pour limiter ce droit auxpeuples colonisés ont été repoussées •

70. La notion juridique de peuple titulaire du droit à disposer de lui-même est imprécise. La
pratique des États ajusqu'à présent été d'éviter délibérément de définir la notion de peuple de

façon conclusive. Ainsi, Aureliu Cristescu, Rapporteur spécial de la Sous-Commission de la
lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, estime lui aussi

que:
« [o]n constate, en effet, que chaque fois qu'au cours de l'histoire un peuple a
pris conscience d'être un peuple toutes les définitions se sont révélées
50
superflues. »

71. La Suisse partage cette opinion dans son principe. Mais on peut en fait ressortir quelques
éléments supplémentaires 51 :

1. Le droit à l'autodétermination est couplé au principe d'égalité. Tous les
peuples le possèdent dans la même mesure, il ne saurait être reconnu à un

peuple ou nié à un autre de façon sélective, pour des motifs subjectifs.

2. Le droit à l'autodétermination est celui d'une collectivité qui dépasse le
simple rassemblement d'individus. Ce qui cimente un peuple, c'est une
conscience commune ou une volonté politique commune. Cela découle de la

teneur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, norme fondamentale de
l'État démocratique. Par conséquent, toute tentative visant à définir de façon
conclusive et objective, scientifiquement constatable, la notion de peuple

titulaire du droit à disposer de lui-même est intrinsèquement contradictoire.

3. L'exercice du droit à l'autodétermination nécessite en règle générale que le
peuple concerné possède une base territoriale commune.

48
Voir aussi l'Observation généraleno. 12: Articlepremier(Dro itl'autodétermination),adoptéesa vingt et
unièmesession(1984) par le Comitédesdroitsde l'homme instaurépar le Pacteinternationalrelatif aux droits
civilset politiques(HRI/GEN/1/Rev.9 (Vol.I)pp. 213s.):«Cedroitrevêtd'importanceparticulière,parceque
sa réalisationestune conditionessentielledela garantieet du respecteffectifdes droitsindivi,duelsde l'homme
ainsi que de la promotion et du renforcementde ces droits. C'est pour cette raison que les Etats on fait de ce

droit des peuples de disposer d'eux-mêmes, dans les deux Pactes, une dispositiondu droit positif, qu'ils ont
placée,en tant qu'article premier,séparémentet entêtedetousles autresdroitsénoncésdanscesPactes.
49Au moment de la ratificationdes Pactesrelatifsaux droitsde l'homme, en 1979,l'Inde avait déclaré:« the
words ,the right of self-determination' ..... applyonlyto the peoplesunder foreigndominationand( ...) do not
apply to sovereign independentStatesor to a section of a peopleor nationwhich is the essence of national

integrity''. La France, l'Allemagne et les Pays-Bass'étaient opposés à cette restriction, faisant valoir que la
Charte des Nations Unies'ne prévoyaitaucune condition limitant l'exercice du droit des peuplesdisposer
d'eux-mêmes.
50 Aureliu CRISTESCU L,e droità l'autodéterminatio(nNew York 1981, N Doc. E/CN.4/Sub.2/404/Rev.l),
p. 38,par. 274.
51
THÜRER 1996,pp. 45s.,voiraussiTHÜRER EPIL,pp.364ss.

19 72. Rosalyn Higgins s'exprime ainsi à ce sujet:

« To what unit does the concept of self-determination apply? If the international

order is not to be reduced to a fragmented chaos, then some answer must be
provided to this question .... Self-determination refers to the right of the
majority within a generally accepted political unit to the exercise of power. It is

necessary to start with stable boundaries and to permit political change within
them. » 52

73. Pour James Crawford, la question de la définition juridique de la notion de peuple dans le
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes tourne autour de l'identification des territoires

susceptibles de se prévaloir d'un tel droit :

«At the root, the question of defining 'people' concerns identifying the
categories of territory to which the principle of self-determination applies as a
matter of right. »53

74. Pour lui, il est également clair que ce droit ne peut être exercé que sans contrainte sur la

base du principe de l'égalité, s'agissant d'un droit étroitement lié aux droits fondamentaux. Il
continue ainsi :

«First, it applies to entities whose right to self-determination is established
under or pursuant to international agreements, and in particular to mandated,

trust and non self-governing territories. Secondly, it applies to existing States,
excluding for the purposes of self-determination those parts of the State that are
themselves self-determination units as defined .... However, there is a further

possible category of self-determination units, that is, entities part of a
metropolitan State but that have been governed in such a way as to make them,
in effect non-self-governing territories - in other terms, territories subject to

carence de souveraineté. Possible examples are Bangladesh, Kosovo and
perhaps Eritrea. »54

75. Le peuple du Kosovo peut alors se prévaloir d'un droit à disposer de lui-même différent
de celui de la population de l'État serbe. Ce cas peut arriver :

«when the inhabitants [of the territories forming distinct political-geographical
areas] are arbitrarily excluded from any share in the government either of the

region or of the State to which they belong, with the result that the territory
becomes in effect, with respect to the remainder of the State, non-self­
governing. » 55

76. Finalement, dans son Renvoi relatif à la sécession du Québec(1998), la Cour suprême

canadienne constatait à ce sujet :

52
Rosalyn HIGGINS, TheDevelopmentofInternationalLawthroughthePoliticalOrgansof the UNO(London
1963),p. 104.
53CRAWFORD 2006, p.126.
54CRA WFORD 2006, p.126.
55
CRAWFORD 2006, p. 127.

20 «Il est évident qu'un 'peuple' peut s'entendre d'une partie seulement de la
population d'un État existant. Le droit à l'autodétermination s'est développé dans

une large mesure en tant que droit de la personne et l'expression est
généralement utilisée dans des documents où paraissentà la fois les
mots 'nation' et 'État'. La juxtaposition de ces termes indique que le mot
'peuple' ne vise pas nécessairement l'entière population d'un État. Le fait de

restreindre la définition de ce mot à la population d'États existants, d'une part,
rendrait largement superflue la reconnaissance du droit à l'autodétermination,
compte tenu de l'insistance corrélative, dans la majorité des documents sources,

sur la nécessité de protéger l'intégrité territoriale de56États existants et, d'autre
part, ferait obstacle à l'objectifréparateur de ce droit.

77. Sur la base de la doctrine précitée, la Suisse conclut que le peuple du Kosovo est titulaire
du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le Kosovo était en effet un non-selfgoverning

territory, tel que défini par Crawford.

78. Compte tenu de l'étroite relation entre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et les

droits fondamentaux d'une société démocratique, se pose dans le même temps la condition
que la revendication de ce droit ne pourra être prise en compte que si la majorité de la

population à l'intérieur du territoire concerné s'est prononcée en faveur de
l'autodétermination. Cette condition est également remplie.

79. La déclaration d'indépendance du 17 février 2008 a été opérée par des représentants
démocratiquement élus de la population du peuple du Kosovo. Les élections avaient eu lieu

le 17 novembre 2007. Dans le rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité du
3janvier 2008, il a été constaté au sujet du déroulement de l'élection que « [l]e scrutin s'est

déroulé sans incidents, à l'issue d'une campagne électorale globalement équitable et calme,
et, comme l'a confirmé le Conseil de l'Europe, dans le respect des normes européennes et
des normes internationales »57• Lors de la déclaration d'indépendance, la majorité s'est

engagée dans le même temps à respecter les droits fondamentaux des personnes appartenant
à des minorités : le Kosovo doit être un Etat multiethnique respectueux de ces droits tels que
58
garantis par le droit international •

80. Dans ces circonstances, le peuple du Kosovo peut se prévaloir du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes.

56Renvoirelatifàlasécessiondu Québec ,ar. 124.
57S/2007/768, par. 3.
58
Voir Déclaration d'indépendance, par. 2:« Nous déclarons que le Kosovo est une république démocratique,
laïque et multiethnique, guidée par les principes de non-discrimination et de protection égale devant la loi. Nous
protégerons et promouvrons les droits de toutes les communautés du Kosovo et créerons les conditions
nécessairesàleur participation effective aux processus politique et de prise d» décisions.

21iv) Violations graves et systématiques des droits des personnes appartenant à des
minorités et des droits de l'homme au Kosovo

81. En 1989, le Parlement serbe annulait le statut d'autonomie de la province. L'Assemblée

parlementaire du Kosovo perdait ainsi le droit de s'opposer à des modifications de la
constitution de la République de Serbie. En 1990, le Parlement serbe dissolvait l'Assemblée

parlementaire et le Conseil exécutif du Kosovo, et les autorités serbes obtenaient le droit
d'administrer le Kosovo et d'annuler les décisions des autorités du Kosovo 59•

82. Les violations graves et systématiques des droits des personnes appartenant à des

minorités et des droits de l'homme au Kosovo sont bien documentées. L'Assemblée générale
s'est penchée pour la première fois en 1992 sur la situation des droits des personnes
appartenant à des minorités et des droits de l'homme au Kosovo 60• Un an plus tard, elle

constatait une détérioration. Dans sa résolution 48/153 adoptée par consensus, elle
condamnait «énergiquement en particulier les mesures, les pratiques discriminatoires et les

violations des droits de l'homme infligées aux Albanais de souche du Kosovo ainsi que la
répression à grande échelle imputables aux autorités serbes». Elle pressait en particulier la

RFY:

« a) De prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre immédiatement un
terme aux violations des droits de l'homme dont sont victimes les Albanais de
souche du Kosovo, notamment aux mesures et pratiques discriminatoires, aux

détentions arbitraires et au recours à la torture et autres traitements cruels,
inhumains ou dégradants ainsi qu'aux exécutions sommaires;
b) De rapporter [en anglais: to revoke, ce qui devrait se traduire plus

correctement par «d'abroger»] toutes les dispositions législatives
discriminatoires, en particulier celles qui sont entrées en vigueur depuis 1989 ;
c) De restaurer les institutions démocratiques du Kosovo, dont le Parlement et

l'appareil judiciaire; 61
d) De renouer le dialogue avec les Albanais de souche du Kosovo (...) » •

83. Fin 1994, l'Assemblée générale constatait une nouvelle détérioration de la situation des
droits des personnes appartenant à des minorités et des droits de l'homme: renvoi

discriminatoire d'une grande partie des fonctionnaires albanais de souche, brimades à
l'encontre d'organes d'information de langue albanaise, discriminationà l'encontre des élèves

et des enseignants albanais, fermetures d'écoles, d'universités et d'instituts culturels. La
résolution condamnait la répression à grande échelle pratiquée par la police et les forces

59 L'action de la Serbie contre le Kosovo violait la constitution yougoslave de 1974, qui reconnaissait à la

province autonome du Kosovo, au sein de la Yougoslavie, un statut équivàlcelui des six républiques, avec
son propre Parlement, sa propre constitution, sa propre cour de justice ainsi que sa propre représentation
paritaire dans tous les organes de la Fédération, dont la présidence. Il sied de relever que la violation de la
constitution de 1974 était à l'origine d'un développement qui a eu pour résultat le démembrement de la
Yougoslavie. Voir Joseph MARKO,The constitutional development of Kosovo/a 1913-1995, in J. Marko (éd.):
Kosovo/a. An Analysis of the Kosovo/a Coriflictfrom the Perspective of Political Science, Comparative and
International Public Law (Berlin 2000), pp. 261-279.
60
A/RES/47/147 du 26 avril 1993 (adoptée le 18décembre 1992).
61A/RES/48/153 du 7 février 1994 (adoptée le 20 décembre 1993),par. 19.

22armées de la RFY et de la Serbie contre les Albanais de souche sans défense, et qualifiait leur
action de «nettoyage ethnique». L'Assemblée générale exigeait une fois encore le

rétablissement de « véritables institutions démocratiques au Kosovo, dont le Parlement et
l'appareil judiciaire», et le respect de« la volonté de ses habitants, ce qui serait le meilleur
62
moyen d'empêcher l'intensification du conflit » •

84. Les résolutions adoptées chaque année par l'Assemblée générale sur le Kosovo jusqu'au
mois de décembre 1999témoignent d'une aggravation sur le terrain La situation d•s droits

de l'homme et des droits des personnes appartenant à des minorités se détériorait à vue d'Œil
64
au Kosovo, où une partie de la population se radicalisait , et où la migration s'amplifiait
constamment, laissant présager de l'éclatement d'une très grave crise aux très lourdes

conséquences pour la population civile. Dans sa dernière résolution 54/183 du 17 décembre
1999, l'Assemblée générale rappelle, dans le préambule, « [l]es années de répression,

d'intolérance et de violence qu'a connues le Kosovo, ledéfi que représente l'édification d'une
société pluriethnique sur la base d'une autonomie substantielle » 65•

85. Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a également analysé la

situation de l'époque au Kosovo. Des anciens membres de l'Armée de libération du Kosovo

et des hauts responsables de la RFY et de Serbie ont dû répondre de leurs actes devant le
TPIY. Indépendamment de la responsabilité pénale des individus jugés, une lecture des

conclusions du Tribunal quant aux faits montre que la situation au Kosovo était caractérisée
par une vaste campagne de violence. Dans l'affaire Milutinovié et consorts,la Chambre de

première instance a conclu qu'entre le milieu de l'année 1998et le milieu de l'année 1999,un
conflit armé avait eu lieu au Kosovo 66• Le TPIY a en outre conclu que, durant cette période,

les forces armées et de police placées sous le contrôle des autorités de la RFY et la Serbie
avaient conduit une vaste campagne de violence dirigée contre la population civile albanaise
67
du Kosovo et avaient délibérément expulsés des albanais du Kosovo de chez eux •Le TPIY
a également conclu qu'au cours de cette campagne, de nombreux meurtres, actes de violence
68
sexuelle et d'autres crimes avaient été commis par ces forces armées et de police •Selon la

Chambre de première instance, certains de ces actes étaient constitutifs de p69sécutions contre
la population civile albanaise du Kosovo, sur labase de leur origine •

86. Même après la fin de l'ère Milosevié, en 2000, la politique menée par la Serb àiel'égard

62
A/RES/49/204 du 13 mars 1995 (adoptée le 23 décembre 1994).
63Cf. A/RES/50/190 du 6 mars 1996 (adoptée le 22 décembre 1995) ; A/RES/51/111 du 5 mars 1997 (adoptée
le 12 décembre 1996); A/RES/52/139 du 3 mars 1998 (adoptée le 12 décembre 1997); A/RES/53/164 du 25

février 1999 (adoptée le 9 décembre 1998); A/RES/54/183 du 29 février 2000 (adoptée le 17 décembre 1999).
64Cf. A/RES/53/164 du 25 février 1999 (adoptée le 9 décembre 1998), par. 9.
65
A/RES/54/183 du 29 février 2000 (adoptée le 17 décembre 1999), par. 3 du préambule.
66TPIY, IT-05-87, Procureurc. MilanMilutinoviéetconsorts ,ugement du 26 février 2009, Vol. I, par. 841.
67
TPIY, IT-05-87, Procureurc. MilanMilutinoviéetconsorts, Jugement du 26 février 2009, Vol. Il, pars. 1156
à 1178. Voir aussi les conclusions en droit de la Chambre de première instance qui établissent que des actes
commis par les forces sous le contrôle des autorités de la RFY et de la Serbie étaient constitutifs de crimes
contre! 'humanité et dans certains cas de crimes de guerreibid.«Legal findings » pars. 1179 à 1262.
68
Ibid.voir notamment Vol. II, pars. 238,382, 432-433, 549,679, 1189, 1192, 1194.
69TPIY, IT-05-87, Procureurc. MilanMilutinoviéetconsorts, Jugement du 26 février 2009, Vol. Il, pars. 1193,
1198, 1209, 1211, 1213, 1218, 1223, 1224, 1237, 1249. ,

23du Kosovo n'a pas été exempte d'aspects discriminatoiresà l'encontre de la majorité
albanaise. La constitution serbe de 2006, qui définit le Kosovo comme faisant partie

intégrante de la Serbie, a été appliquée au Kosovo sans égard pour la majorité albanaise de sa
population. Celle-ci n'a pas été invitée à participer à la préparation du projet de constitution,
et ses voix n'ont pas compté dans le référendum d'adoption 70•Des estimations montrent que

la constitution n'aurait pas été acceptée par l'électorat de la Serbie si les Albanais du Kosovo
avaient eu la possibilité de voter contre ou si leurs voix avaient été comptées comme un
71
boycott •La procédure adoptée pour ce référendum apparaît ainsi en contradiction manifeste
avec les vues maintes fois exprimées par les représentants officiels serbes, selon lesquelles le

Kosovo serait partie intégrante de la Serbie. Elle peut aussi être perçue comme s'inscrivant
dans la politique d'obstruction déployée par la Serbie pour entraver leprocessus politique mis

en place dans la résolution 1244 du Conseil de sécurité en vue d'une solution définitive de la
question du statut du Kosovo. Surtout, elle peut également être perçue comme une indication

que la Serbie n'était pas disposée à inclure l'ensemble de la population du territoire dans le
système de représentation démocratique en place sans procéder à des discriminations fondées

sur l'origine ou d'autres facteurs.

v) Déclaration d'indépendance du 17 février 2008 : dernier recours du Kosovo pour
exeréer son droit d'autodétermination (ultima ratio)

87. Ce qu'il y a de particulier dans les efforts d'indépendance du Kosovo, c'est indéniablement

le fait que la communauté internationale a accompagné le processus. Ce qui ramène à la
résolution 1244 du Conseil de sécurité évoquée ci-dessus (pars. 3lss). La mise en Œuvre de la

résolution 1244 a conduit au fil des années à estimer que le processus politique initialement
conçu comme ouvert, devait inévitablement déboucher sur l'indépendance du Kosovo. Après
quelques huit années d'administration par l'ONU, le Secrétaire général a recommandé le 26
72
mars 2007 de faciliter la transition du Kosovo vers une indépendance supervisée par la
communauté internationale. Sa recommandation se fondait sur le rapport de son Envoyé

spécial, M. Martti Ahtisaari, sur le futur statut du Kosovo.

88. Dans son rapport, l'Envoyé spécial expliquait pourquoi la réintégration du Kosovo dans la
Serbie n'était pas envisageable. Sa conclusion que « [l]a réincorporation à la Serbie n'[ était]

pas une option viable» était fondée notamment sur les raisons suivantes :

«Depuis huit ans, le Kosovo et la Serbie sont administrés comme deux entités

totalement à part. Par suite de la création de la Mission d'administration
intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) par la résolution 1244
(1999), qui a assumé tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires dans

tout le Kosovo, il est de fait que la Serbie n'exerce plus aucune fonction
gouvernementale au Kosovo. Cet état de fait indéniable est irréversible. La

70
Voir International Crisis Group, Serbia 's New Constitution, Democracy going backward, Policy Briefing
No 44, 8 November 2006.
71
Wolfgang BENEDEK,Implications of the Independence of Kosovo for International Law, in I.Buffard/J.
Crawford/A. Pellet/S. Wittich (éd.),ernational Law between Universalismand Fragmentation, Festschrift in
Honour of Gerhard Hafuer (2008), p. 13.
72S/2007/l 68.

24 restauration du pouvoir serbe au Kosovo serait inacceptable pour l'écrasante
73
majorité de sa population.»

89. Après avoir constaté que le maintien de l'administration internationale menace de
compromettre le développement économique et social, le rapport arrivait à la conclusion que

« l'indépendance est la seule option qui permettrait d'assurer la stabilité politique et la
viabilité économique du Kosovo » 74• Cette supervision internationale devait garantir que le

processus démocratique se poursuivrait au Kosovo, et que les droits des personnes
appartenant à des minorités en particulier y seraient garantis; elle devait se concentrer, dans

ce contexte, sur la consolidation de l'État de droit, la décentralisation, la protection des
minorités et de l'Église orthodoxe serbe, pour soutenir le relèvement de l'économie du

Kosovo et sa capacité de réconciliation sociale.

90. L'Envoyé spécial constatait par ailleurs dans son rapport que l'indépendance du Kosovo
contre la volonté de la Serbie était un cas inhabituel de règlement d'un conflit, et qu'il fallait

la replacer dans le contexte de la résolution 1244 comme dans celui de la dissolution
tumultueuse de la République fédérale socialiste de Yougoslavie :

« Le Kosovo est un cas inédit qui appelle une solution inédite. Cette solution ne

constitue pas un précédent pour d'autres conflits non réglés. En adoptant à
l'unanimité la résolution 1244 (1999), le Conseil de sécurité répondait aux
interventions de Milosevié au Kosovo en retirant la gouvernance de celui-ci à la

Serbie, en plaçant le Kosovo sous administration temporaire de l'Organisation
des Nations Unies et en instituant un processus politique visant à déterminer son

statut futur. Ensemble, ces facteurs font la singularité du cas du Kosovo.( ...) En
mettant ainsi le point final au dernier épisode de la dissolution de l'ancienne
Yougoslavie, nous permettrons à la région d'entamer un nouveau chapitre de
75
son histoire, fondé sur lapaix, la stabilité et laprospérité pour tous. »

76
91. La mission mise en place par le Conseil de sécurité au mois d'avril 2007 comme le reste
des négociations menées sous l'égide des États-Unis, de la Russie et de l'Union européenne,
77
n'ont pas produit de nouveaux résultats •

92. L'une des raisons majeures motivant la recommandation du Secrétaire général a été que
toute autre solution aurait ignoré la volonté de la majorité de la population du Kosovo.

L'Assemblée générale avait appelé dès 1994 Belgrade à respecter la volonté de la population
du Kosovo, alors que la Serbie venait de procéder à la suppression anticonstitutionnelle du

statut d'autonomie du Kosovo et entamait une politique de nettoyage ethnique de la
province 78.Cette exigence se retrouvait dans le texte des Accords de Rambouillet de 1999.

93. La résolution 1244 a mis en place une administration internationale qui de facto a dû

73S/2007/168, par. 7.
74
S/2007/168, par. 1O.
75S/2007/168, pars. 15-16.
76
S/2007/256, 4 mai 2007.
77S/2007/723, 10décembre 2007.
78
A/49/204 du 23 décembre 1994.

25 gouverner le Kosovo de façon indépendante de la Serbie. Toutes les solutions de règlement

amiable possibles ont été explorées avec la Serbie dans le cadre du processus politique
intense lancé par la résolution 1244, malheureusement sans succès. Sur ce plan

particulièrement important - la négociation d'un règlement politique-, la MTNUKn'a ainsi
pas pu mettre en Œuvre comme prévu la résolution 1244, les autorités à Belgrade et la
79
communauté serbe au Kosovo s'y montrant fortement réfractaires •Le référendum de 2006
sur la constitution a finalement montré que les autorités de Belgrade n'avaient aucune
intention de laisser l'ensemble de la population du Kosovo s'associer aux décisions politiques

en Serbie.

94. Ramener le Kosovo sous la souveraineté serbe contre la volonté de la population de la
province aurait constitué une pratique de la communauté internationale tout à fait choquante

eu égard à la Charte et aux droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le groupe de contact
avait aussi souligné au début des négociations menées dans le cadre de la résolution 1244 la
nécessité de respecter la volonté de la population du Kosovo dans le règlement de la question
80
du statut • Selon l'Envoyé spécial du Secrétaire général, la seule solution était l'indépendance
sous supervision de la communauté internationale, qui devait garantir en même temps le

respect des droits des personnes appartenant à des minorités au Kosovo. Le Secrétaire général
a d'ailleurs invité les.membres de la communauté serbe du Kosovo à« sortir de leur logique
81
fondamentale de non-coopération » ,et àjouer leur rôle de citoyens dans la vie politique du
Kosovo.

95. La déclaration d'indépendance a suivi, le 17 février 2008, une fois qu'il est apparu
clairement que le processus mené depuis le 10juin 1999, soit près de dix ans, ne pouvait pas

déboucher sur une solution consensuelle. Elle a dans le même temps réitéré l'engagement du
Kosovo à agir en conformité avec les principes du droit international et les résolutions du

Conseil de sécurité de l'ONU. La déclaration d'indépendance a souligné la volonté du
Kosovo à respecter dans leur intégralité - y compris en ce qui concerne la protection des

minorités et la supervision de l'indépendance par une présence internationale civile et
militaire - les obligations qui faisaient partie intégrante du Plan Ahtisaari.

96. Il en ressort que la déclaration d'indépendance du Kosovo est bien une action de dernier
recours (ultima ratio), ce qui satisfait au dernier des critères pour que le Kosovo puisse se

prévaloir du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La Suisse estime donc qu'il n'existe,
même en droit international général, aucun élément conduisant à penser que la déclaration

d'indépendance du Kosovo ne serait pas conforme au droit international.

97. Pour la Suisse, l'indépendance du Kosovo est un fait depuis le 17 février 2008. La Suisse
estime qu'un retour à l'état antérieur n'est plus possible aujourd'hui. De surcroît, toute
tentative de restauration du statu quo ante serait regrettable et même révoltant au regard des

79
Et ceci cont~airement aux termes de la résolution 54/183 du 17 décembre 1999 de l'Assemblée générale de
l'ONU qui souhgne que les autorités de la République fédérale de You«ont l'obligation de respecter les
dispositions de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité ainsi que les principes généraux pour un
règlement politique de la crise du Kosovo adoptés le 6 mai 1»99(...).
80
81Déclaration du groupe de contact sur l'avenir du Kosovo, Londres, 31janvier 2006, par. 7.
S/2007/168, par. 12.

26 82
principes de la Charte ,car elle témoignerait- dans une région déjà durement éprouvé-e
d'un mépris flagrant pourla volonté clairement exprimée de la grande majorité de la

population kosovare.

***

V. CONCLUSIONS

98. De l'avis de la Suisse, les éléments ci-dessous sont déterminants dans la réponse à donner
à la question soumise par l'Assembléegénérale à la Cour.

a) La déclaration d'indépendance du Kosovo du 17 février 2008 n'est pas contraire au
droit international impératif ni à d'autres règles importantes du droit international ayant des

effets erga omnes. Elle témoigne au contraire de la ferme volonté du Kosovo de respecter
pleinement le droit international, notamment l'interdiction du recours à la force, et le respect
des droits humains, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités.

b) La déclaration d'indépendance ne contredit pas la résolution 1244 du Conseil de

sécurité. La Suisse considère que la résolution lançait un processus sans préjuger de son
résultat, ni, en particulier, du statut définitif du Kosovo. L'indépendance ultérieure du Kosovo
était une option parmi d'autres. Sans opter pour elle, la résolution 1244en avait délibérément

ménagé la possibilité; De même, la résolution ne contient aucune prescription faisant
dépendre la solution de la question du statut du Kosovo du consentement de la République
fédérale de Yougoslavie.

c) La déclaration d'indépendance du 17 février 2008 n'est pas contraire au principe de

l'intégrité territoriale. Le principe de l'intégrité territoriale figurant notamment dans la Charte
de l'ONU ne s'applique qu'aux relations internationales, mais pas à l'intérieur même d'un
État. Dans cette perspective, on peut considérer que le principe de l'intégrité territoriale n'est

pas pertinent dans l'examen des déclarations d'indépendance d'entités sécessionnistes.

d) Subsidiairement, si le principe de l'intégrité territoriale devait être compris comme un
principe juridique de portée générale, auquel ilconviendrait de reconnaître une validité allant
·au-delà de l'article 2, paragraphe 4, de la Charte, la Suisse estime qu'il n'a pas été violé,

compte tenu de la situation particulière du Kosovo. En effet, la situation du Kosovo
remplissait toutes les conditions - pourtant strictes - dans lesquelles un peuple peut

exceptionnellement revendiquer l'indépendance en se prévalant du droit à disposer de lui-

82SimonChestennanrappelle,parexemple:

«[I]n those rare situations, in which the United Nations and other international actors are
called upon to exercise state likefunctions, they must not /ose sight of their limited mandate to
hold that sovereignty power in trustfor the population that will ultim»tely claim it.
SimonCHESTERMAN YNo,, ThePeople - The United Nations, Transitional Administration, and State-Building,
(Oxford·NewYork 2004),p. 257.

27même : existence d'un peuple titulaire du droit à l'autodétermination et unité territoriale,
volonté démocratiquement établie de la grande majorité de la population dans ces limites
territoriales, violations graves et systématiques des droits des personnes appartenantà des
minorités et des droits de l'homme ainsi que sécession comme mesure de dernier recours

(ultima ratio).

e) La particularité de la situation du Kosovo réside dans les grands efforts

internationaux, entrepris depuis 1999sous l'égide du Conseil de sécurité, visant à trouver une
solution politique de la question du statut du Kosovo. Pendant de longues années, tous les
acteurs, en particulier du côté kosovar, ont favorisé la recherche d'une solution aussi
consensuelle que possible. La déclaration d'indépendance du Kosovo n'est intervenue qu'au

moment où il apparaissait clairement qu'un consensus ne pourrait pas être trouvé dans un
délai utile. La mise en Œuvre de la résolution 1244 par la communauté internationale a ainsi
fait évoluer la situation d'une façon qui alors que tous les efforts internationaux de solution

consensuelle avaient fini par échouer - ne laissait plus au Kosovo que l'option de s'engager
sur la voie de l'indépendance.

*****

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Exposé écrit de la Suisse

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