Réplique du Gouvernement de la République de Colombie

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8903
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Incidental Proceedings
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3. - RÉPLIQUE DU GOUVERNEMENT DE LA

RÉPUBLIQUE DE COLOMBIE

INTRODUCTION

1.- Le Gouvemement de la République du Pérou a présenté
à la Cour internationale de Justice, dans le délafixépar l'ordon-
nance du 17 décembre 1949, un Contre-Mémoire concernant
l'affaire de l'asile deVictor RaulHaya de la Torre à l'ambassade
de Colombie à Lima.

. 2. - La présente Réplique a pour objet d'examiner les divers
arguments présentés dans ce document et d'y répondre. Nous
suivrons, autant que possible, l'ordre des matières du Contre-
Némoire péruvien.

A) OBSERVATION RELATIVES A LA COMPÉTENCE

3. - Le Gouvernement colombien estime nécessaire, en premier
lieu, de se référer,brièvement, à la question de la compétence
de la Cour dans la présente affaire.Il est vrai que la compétence
de la Cour n'est contestée et ne pourrait l'être par aucune des
Parties. Maisil est certain aussi que le Contre-Mémoire péruvien
omet, pour'ce qui est du fondement de cette compétence (Introduc-
tion, pageIU~),un destextes invoqués,tant dans la requêteque dans
le Mémoire du Gouvernement colombien, à savoir, l'article 7 du
Protocole d'amitié et de coopération signé à Rici-de-Janeiro le
24 mai 1934 par la République de Colombie et par la République
du Pérou. Cette omission pourrait n'être qu'involontaire : elle n'est
pas moins évidente.

4.- De l'avis du Gouvernement colombien, l'article 7 du
Protocole d'amitié et de coopération, dont il est question au para-
graphe précédent, ne constitue pas seulement une des obligations
contractuelles les plus importantes formulées par un traité accepté
par les Parties, ayant reçu force de loi pour chacun des deux Etats
et enregistréselon la procédureen vigueurà l'époque desa signature
dans le Registre des Traitésde la Société desNations (Mémoiredu
Gouvernement colombien, paragraphe IO, page 16), mais en outre
cet article forme la base mêmede la compétence de la Cour.

Le Gouvemement colombien ne voudrait pas déduire de cette
omission que le Gouvernement du Pérounie l'existence ou le carac-
tère obligatoire d'un traité international signé par les plénipo-
tentiaires des deux pays et ratifié coniormément à.leurs normes
constitutionnelles respectives. Il aurait été, cependa.nt, naturel et HÉPLIQUE DU GOU\'EKNEZIEZIT COI,OZIBIEN (20 IV j0) 317

opportun qu'un texte de cette nature et de cette importance,
régissaiit les relations juridiques entre les Parties, se trouvât cité
dans le Contre-Xlémoirepéruvien,au chapitre relatif à lacompétence.

'j. - La Cour trouvera à l'aiinexe 12 du Xlémoiredu Gouver-
nement colombien les notes échangéesentre les plénipotentiaires
de la Colombie et du Pérou, MM. Eduardo Zuleta Angel et Victor
A~idrésBelauude, à la date du 31 août 1949, notes dans lesquelles
il est clairetnent établi que la signature du procès-verbal (Acta)
de la mêmedate, fixant d'une manière aniicale certaines modalités
de procédure, n'impliquait, sous aucune forme, « zbne limitation
OIL modification des droits qzci décoirlenteoz~rchactitte des Parties
de l'article7 d- Protocoled'amitiéet de coofiération soz~scritfia7 la

Colombieet le Péroz~ dans la ville de Rio-de-Janeiro le24 mai 1934 II.
Le Gouvernement colombien a, par coiiséquent, le droit d'es-
timer que cet article constitue le fondement principal de la compé-
tence de la Cour dans l'affaire qui lui a &tésoumise par sa requête
du Ij octobre 1949.

B) OBSERVATI~S SOSCERS.~STS ].ES FAITS

6.- La relation des circoiistaiices qui ont donné lieu à la
présente instance, ainsi que I'esposé des faits ayaiit immédiate-

ment précédél'octroi de l'asile à M. Victor Raul Haya de la
Torre, furent soumis à la Cour dans le Mémoiredu Gouvernement
colombien avec un souci de brièveté et un effort de synthèse qui
sont en harmonie avec l'esprit des dispositions du Statut et du
Règlement de la Cour et aussi avec la traditioii qui toujours a
prévalu dans la procédure judiciaire interiiatioiiale. Le Gouverne-
ment du Pérou a voulu, cependant, sans contester les circonstances
iii les faits mentionnés dans le Mémoiredu Gouvernement colom-
bien, fournir à la Cour (Contre-Mémoire, chapitre 1, (Les faits»,

pages IIO et suivantes) une relation de nombreux faits divers et
a antécédents de tout genre qui précédèrent l'octroi deI'asile »
(ibidem).
7. - Le Gouvernement colombien ne croit pas que la Cour
intcrnatioiiale de Justice puisse avoir dans le cas prksent une

compétence si étendiie;ou mêmeun iiitérêtquelconque à délibérer
sur des événements o de tout genre », survenus dans la République
du Pérou et dans lesquels le Gouvernement actuel de ce pays
croit pouvoir trouver des indices d'actions subversives de la part
d'un parti politique qu'il est cil droit de combattre et dont hl. Vic-
tor Kafil Haya de la Torre est le chef. Le rappel de ces nombreux
faits divers est sans doute de nature à porter atteinte au prestige
de ce groupement politique ;et si c'est là l'objet de leur inclusion
dans une piècede procédure commiiniquée à la Cour internationale

de Justice, ce but pourra être atteint saiis difficulté.Ce qui reste à
savoir, et ce que le Gouvernement colombien n'a pas étéen mesure318 REPLIQU DEU GOUI~ERNEMEKT COI.OBIBIEN (20 IV 50)
de saisir, c'est le rapport intime, direct et certain, de ces mêmes

faits avec le cas soumis à la Cour. En effet, sur los quinze événe-
ments citésà la page Ir1 du Contre-Mémoire,par exemple, aucunne
concerne la responsabilité de M. Victor Raiil Haya de la Torre ;
les dix autres relatés à la page suivante sont l'Œuvre ou d'in-
connus ou de personnes autres que M. Vtctor Ra61 Haya de la
Torre. riTous ces faits », ajoute le Contre-RIémoire péruvien,
((troublèrent l'opinion publique et plongèrent dans la plus grande
inquiétude les habitants de la capitale et du port du Callao n
(page 113). Le Gouvernement du Pérou voudrait, sans doute, sug-
gérer que M. Victor RaUl Haya de la Torre serait responsable de
l'exécution de ces actes. Ni la Cour, ni, de son côté, le Gouverne-

ment colombien n'ont à s'occuper d'un certain nombre de faits
qui ne concernent que bien indirectement la situation juridique
de M. Victor Raiil Haya de la Torre dans la présente affaire. En
tout cas, M. Victor Raiil Haya de la Torre n'ayant pas, et pour
cause, les vertus d'un magicien qui aurait pu avoir une responsa-
bilité individuelle dans de si nombreux attentats commis dans les
endroits les plus divers, il en résulte que l'on peut mettre en doute
l'utilité que présente l'insertion d'une semblable relation dans le
'Contre-Mémoire.

8. - En outre, les règles les plus élémentaires de logique
en matière criminelle nous indiquent qu'il est bien dangereux de
signaler a firiori la responsabilité d'un individu ou d'une coilec-
tivité sur la base d'un ensemble de faits apparents dont la répéti-
tion prolongée ou constante peut bien résulter de causes psy-

chiques ou matérielles multiples. A plus forte raison, dirons-nous,
lorsque, comme dans le cas actuel, le Gouvernemerit du Pérou fait
état d'informations parues dans de simples journaux dont on
sait le caractère alarmiste et peu responsable en présence d'une
crise politique. Le Gouvernement du Pérou semble avoir accompli
de la sorte une besogne aussi laborieuse qu'inutile en procédant au
découpage d'informations de presse dont la valeur intrinsèque
n'est nullement en rapport avec la gravité d'une affaire qui a été
portée devant la Cour internationale de Justice.

9. - Aussi, quels que soient l'utilité ou,ïobjet de cette relation
de faits et cantécédents de tout genre ii(page 110,ligne 6),la Cour
pourra-t-elle observer que la situation juridique de M. Victor RaUl
Haya de la Torre, en sa qualité de réfugiépolitique à l'ambassade
.de Colombie à Lima, ne semble pas devoir êtremodifiéeparce que,

tel jour, la police aura fait«la découverte d'une bombe ou d'une
bouteille incendiaire dans une épicerie sise au numéro 393 de la
rue Libertad )i.
IO. - Pour confirmer les observations qui précèdent, ~ious

nous permettons d'attirer l'attention de la Cour sur le manque de
caractère probatoire de certains de ces faits et o antécédents de HEPLIQUE DU GOUVERSEllEST COLOYBIES (20 IL7j0) 319

tout genre D inclus dans le Contre-Némoire péruvien. En voici
quelques-uns, à titre d'exemple:

c a) El Comercio, Lima, le mardi j octobre 1948.
Délentioft dzi chathffeur d'thite auto qui portait des bombes et
revolvers

....Selon les informations qui nous ont étédonnées, dimanche
soir, l'attention d'un agent de police fut attirée par une voiture
suspecte dont il s'approcha. Les occupants s'enfuirent, mais
l'agent parvint à arrêter le chauffeur, Miguel Sarria de la Cmz,
domicilié rue Abancay, au no 973, intérieur 20.
.... Dans la voiture on trouva des bombes explosives et plusieurs
revolvers, qui furent confisqués par les aiitoritks. (Contre-
Mémoire,annese 31, p. 2x5.)

b) El Comercio, Lima, le mardi 5 odobre 1948.
Arrestatioa d'un sectaire apriste qui transportait des armes au
siège du parti. - Il se fait accompagner paruir enfant

Le service de surveillance organisé par le 6me commissariat
arrêta dimanche dernier l'affiliéde la secte apriste Victor Fernan-
dez Ramirez, au moment où il transportait une quantité de cara-
bines et un grand nombre de mouchoirs blancs.
Les armes et les'mouchoirs étaient enfermésdans deux paquets :
l'un porté par le nomméFernandez, et l'autre par l'enfant Roberto
JJLors de l'interrogatoire, Fernandez déclara être domicilié au
no 263 de la rue Yavari, et il ne put nier qu'il transportait les
carabines et les mouchoirs au siège de l'Alliance populaire révo-
lutionnaire américaine ....(Contre-Mémoire,annese 31, p. 216.)

c) El Comercio, Lima, le 8 octobre 1948.

Arrestation d'zm individu portant rjo mètresde mèchespozhrbombes
La police du commissariat de Brefia a arrêtéun individu suspect
porteur de 150 mhtres de mèches pour bombes explosives. Lors-
qu'il fut détenu, il refusa de donner son nom, vociférant contre
les Forces armées ...L'investigation se poursuit, (Contre-MCrnoire.
annexe 31, p. 217.) 2

II. - Les garanties d'impartialité de la législation et de la
procédure pénales dans la République du Pérou ont été rappelées
dans le Contre-hIémoire (page 11j) ,tant pour ce qui est desdélits de
droit commun au cours d'une rébellion que du délit de rébellion

lui-même.
Toutefois, un document d'une haute importance, et qui doit
retenir l'attention de la Cour, nous a été révél6dans le Contre-
Mémoire : il s'agit de la lettre que hl. le ministre de la Marine du
Pérou adressait le j octobre 1948 à un fonctionnaire du pouvoir
judiciaire de ce pays, en l'espèce, le chef de la zone judiciaire de
la Marine dans le port du Callao, lui transmettant une dénonciation320 RÉPLIQUE DU GOUVERXEIEPIT COI.OI\IBIEX (20 IV 50)
contre M. Victor Rahl Haya de la Torre qu'il avait reçue de M. le

ministre de l'Intérieur.
Le doci-~e~- ~u~uel nous nous référonsnorte le chiffre Mbl-165
etla date du j octobre 1948 ; il est signépar hl. Julio César~ille~ai
et son texte, qui nous était inconnu, figure aux pages 243 et 244 du
Contre-hlémoire. L'analyse de ce document nous donne un exemple
significatif de justice politique, ou, si,l'on veut, de la volonté d'un

gouvernement qui veut diriger les actes de la justice vers un objectif
déterminé. En l'espèce, il s'agit de l'injonction, qui devient presque
une sommation lorsque l'auteur en est le ministn: de l'Intérieur,
adressée à la justice concernant les responsabilités d'ordre criminel
et d'ordre civil qui a devaient i>incomber à hl. Victor Raiil Haya
de la Torre, comme étant responsable des événements survenus au
Callao, le 3 octobre précédent.

Sans doute, l'auteur du document en question avait la suprême
responsabilité du maintien de l'ordre public. Mais le ministre de
l'Intérieur du Pérou ne demandait pas, en cette occasion, l'ouverture
d'ulic instruction judiciaire pure et simple contre inconnu. Il tenait,
bien au contraire, comme son collègue du ministère de la Marine
par la suite, àce que $1. Victor Rahl Haya de laTorre figurât comme
un des principaux responsables dans le procès criminel engagé.

Il voulait que celui-ci et ses collaborateurs soient passibles du
régime prévu aux' articles 164 du Code de justice militaire et 100
du Code pénal pour les auteurs et leurs complices dans l'exécution
du délit, et le document dont nous parlons considérait que (1la
justice seraitincomplète si l'on ne poursuivait contre lesdélinqziunts
que l'action pénale 1).Ainsi le rôle du juge se trouvait grandement
simplifié. Car la lettre procédait à l'énumération des mesures que

le juge devait prendre. Elle disait notamment :
«Par ordre de la loi, il faut les priver des instruments du délit
et-rendre leur responsabilité civile effective aux iins d'indemniser
l'Etat, les victimes et les membres de leur famille, s'il ya lieu,
des dommages et préjudices matérielset moraux qu'ils ont subis.
- Cette responsabilité retombe tant sur les individus quiont par-
ticipé au délitque sur les organisations qui les ont aidésile per-
pétrer selon les articles 70 et 71 du Code pénal i:t 1144 du Code
civil.- En conséquence,les biens des inculpés,ceux de l'Alliance
populaire révolutionnaire américaine A. P. R. A., ou Parti du
Peuple, comme organisation-mère, ceux de la maison d'édition
La Tribuna S. A., où se publiaient La Tribuna, La Tarde et
Politica, Radio Alegria, Fotograbado Peruana S. A. et la maison
d'édition nEl Callao iimoyens dont se servait l'A.P. R. A. pour
faire sa propagande préparatoire, pour exciter les basses passions,
pour senier la haine et fomenter la lutte des classes et pour

préparer et inciter au soulèvement contre le Gouvernement, et
les autres instruments servant à la même fin,doivent êtreséquestrés
le jour mêmeet retenus à titre de caution pour rendre la responsa-
bilitC dont il s'agit effective.-Ainsi disposent lesarticles 204,zoj,
206, 207, 633 et 635 (seconde partie) du Code de justice militaire,
72 du Code pénal et IOO du Code de procédure pénale. 1,(Contre-
Mémoire,annexe 41, p. 243.) REPLIQUE DU GOUVERNEMENT COLOIIBIEN (20 IV50)
321
12. - Cette lettre, écrite par un fonctionnaire si haut placé
dans l'administration de l'Etat péruvien, constituait, bien moins
qu'une mesure de défensede l'ordre public, une sommation au juge
de condamner certains citoyens par une procédure déterminée.

Elle permet en tout casde connaître les sentiments fort peu favo-
rables deM. le ministre de l'Intérieur, et avec lui du Gouvernement
péruvien tout entier, à l'égard dc M. Victor RaUl Haya de la Torre.
Ajoutons que l'existence ne fut plus dès ce moment, pour ce chef
politique, qu'une angoisse permanente. Jusqu'à l'instant où il
trouva refuge à l'ambassade de Colombie à Lima, M. Victor RaUl
Haya de la Torre eut, en effet, asa liberté ct sa vie» en danger.
Traqué par la police, chassé comme un bandit, ne pouvant faire
usage de ses biens, il savait par avance le sort qui lui était réservé si,
par hasard, il tombait entre les mains de ses juges i~déjà instruits

par M. le ministre de l'Intérieur sur la façon de mener sCprocès n.
La Cour appréciera donc la valeur de cette pièce que le Gouver-
nement du Pérou a voulu lui-mêmelui présenter, lorsqu'elle jugera
l'urgence des causes qui ont amené M. Victor Ra61 Haya de la
Torre à de~manderasile à l'ambassade de Colombie à Lima.

13. - Il est, par ailleurs, incontestable que la sommition de
11. le ministre de l'Intérieur du Pérou produisit ses effets : la lettre
écrite par ce haut fonctionnaire du pouvoir exécutif sur le degré

de culpabilité qui adevait » être imputé à M. Victor Rahl Haya de
la Torre, est du 5 octobre 1948 (Contre-Mémoire, annexe 41). Le
même jour, elle était remise pM. le ministre de la Marine du Pérou
au chef de la zone judiciaire de la Marine dans le port du Callao. Le
6 de ce mois, le juge d'instruction suppléant de la Narine avait déjà
pris des mesures d'une gravité exceptionnelle, telles que l'ouverture
d'une instruction et la mise sousséquestre des biens meubles et im-
meubles, véhicules, droits et actions, appartenant aux personnes
<énuméréesi)d ,it le juge (annexe 41). danslalettre de RI.le ministre
de l'Intérieur. LeI octobre 1948,l'auditeurayant au préalabledonné

un avis favorable et en exécutionde la décisiondu 10 octobre 1948
du chef de la zone judiciaire de la Marine, le juge d'instruction
suppléant décrétait i'ouverture d'une instruction contre plus de
soixante-dix personnes, et parmi elles, hl. Victor RaUl Haya de la
Torre (annexe 42). Le 25 octobre, le juge d'instruction ordonnait
I'arrestatioil des accusés non encore détenus, et le 8 novembre
suivant il demandait qu'on lui transmît les pièces à conviction
saisies au siège du Parti apriste et au domicile de hl. Victor Rahl
Haya de la Torre (annexes 43 et 44). Le 13 novembre, la police
portait à la connaissance du juge d'instruction que M. Victor RaUl

Haya de la Torre et d'autres inculpés n'avaient pu être arrêtés ;
le mêmejour, il ordonnait de procéder à la citation par sommation
publique des inculpés défaillants (annexes 45 et 46). Enfin, le
16 novembre 1948 fut publiée la première des trois sommations
publiques citant à comparaître M. Victor Raiil Haya de la Torre322 RÉPLIQUE DU GOUVERNEMEST COLOMBIES (20 IV50)

ainsi que cinquante-neuf personnes et les invitant à se défendre
contre les inculpations dont ils étaient l'objet du chef de délit
de rébellion militaire.
Deux conséquencessont à tirer de cet ensemble de faits que le
Contre-Mémoire pémvien présente à la Cour :

a) Que l'instiuction judiciaire ouverte le II octobre 1948 par
le juge d'instruction suppléant de la Marine dans le port du Callao,
contre M. Victor Ra61 Haya de la Torre, se poursuivaitsuivant le
plan établi par le ministre de l'Intérieur du Pérou,M. Julio César
Villegas.
b) Que cette instruction, dont 1e.caractèresommaire est indénia-.
ble et qui aboutissait en' peu de jours à un mandat d'amener

contre M. Victor Ra61 Haya de la Torre et au séquestre de tous
ses biens, meubles et immeubles, constituait pour celui-ci une
condamnation sans procès.

14.- Ainsi, il ressort du Contre-Mémoire péruvien que
M. Victor Raul Haya de la Torre est poursuivi actuellement par la
justice péruvienne et a dû se réfugier dans une ambassade, en
conséquenced'une dénonciation de M. le ministre di:l'Intérieur du
Pérou ;il en résulteégalementque c'étaitce haut fonctionnaire de
l'Etat péruvien qui fixait par avance l'étendue de la responsabilité.
qui «devait 11ètre imputéeà M. Victor Ra61Haya de la Torre dans.
un rprocès criminel ».

15.- Enfin, la Cour prendra peut-être conriaissance avec
quelque intérêtdu fait bien significatif que l'auteur des instructions.
ainsi adresséesle 5 octobre 1948, M. Julio César Villegas,ne put
contrôler en personne l'exécution de ses ordres concernant
M. Victor Ra61Haya de la Torre. Le 16 novembre 1948,eneffet, jour

où fut publiée la première des trois sommations à laquelle fait
allusion le Contre-Mémoire (page 117), M. Julio Cbsar Villegas se
trouvait, par une vicissitude paradoxale de la fortune, à l'arnbas-
sade de Colombie à Lima, en 'qualitéde réfugiépolitique et sous
la sauvegarde du drapeau colombien, qui devait, quelques sen~aiues
plus tard, protéger l'adversaire dénoncépar sa lettre du 5 octobre
1948. Un coup d'État - cette fois victorieux- à la têteduqueF
s'était placé Son Excellence le général Odria, Président actuel
de la République du Pérou, avait obligé leGouvernement consti-
tutionnel, dont faisait partie M. JulioCésarVillegas; àdémissionner.
L'institution de l'asile, que la Colombaetenu à défendredevant
la Cour, et dont ou reconnaîtra aiskment le caractère si hautement

humanitaire, permit à M. Julio César Villegas de se rendre en
territoire colombien, où il se trouve actuellement.
L'histoire pourra dire que le cas de M. Julio César Villegasest
celui d'un persécuteur persécuté. RÉPLIQUE DU GOUVERSEAIEST COLO.\IBIES (20 IV j~) 323

C) OBSER\'ATIOSS SUR 1.E RÔLE DE L.4 COUTUME DASS I.'ISTER-

PRÉTATIOS DU DROIT COXVESTIOSSEL
16. - Le Contre-Mémoire du Gouvernement du Pérou a déve-
loppédans le chapitre concernant n le droit (pagesrr8etsuivantes)
divers arguments tendant à prouver, notamment, l'inexistence du

droit coutumier généralde l'asile, aussi bien que d'une institution
coutumière de l'asile en droit américain. Se référant à de nom-
breuses considérations d'ordre juridique et diplomatique et prenant
pour base les élémentsformateurs de la coutume (1 : consz~etttdo,
et z : opinio izlris sine necessitatis), le Contre-Mémoirc essaie de
réfuter une thèse sur le droit à la qualification en matière d'asile
fondé sur la coutumc, qui se trouverait énoncéedans les travaux
de certains publicistes internationaux, tels que MM. Guggenheim
et Kopelmariis, mais que le Mémoire présenté à l,a Cour par le
Gouvernement colombien n'a, de son côté,jamaisformiilée. L'erreur

du Contre-Mémoire provient donc, dans ce chapitre, d'avoir voulu
réfuter l'opinion de hlhl. Guggenheim et Kopelmanis, comme si
ces deux jurisconsultes avaient un titre quelconque à défendre
nos conclusions
Le moins que l'on puisse exiger dans un débat judiciaire de cet
ordre est la présentation exacte et non tendancieuse des thèses que
l'on dit êtrecelles de l'adversaire. Or, c'est une vision déforméede
notre thèse que le Contre-hlémoire voudrait présenter à la Cour
en faisant croire que nous soutenons le droit à la qualification en
matière d'asile sur la base du droit coutumier escliisivement et

sans tenir compte du droit conventionnel reconnu. par les Parties.
17. - Il n'est pas inutile, en conséquence, de rappeler à la Cour
les termes dans lesquels notre Mémoirea présentéau chapitrc II,
paragraphes II à 13, les fondements juridiques de la requête :

. iII. La Cour internationale de Justice est appelée à se pro-
noncer, <:nvertu de la requêtequi lui a étéadresséepar le Gou-
vernement de Colombie le 15 octobre 1949. sur les questions
suivantes :
PremiBreq~acstion: Dans le cadre des obligations qui découlent,
en particulier, de l'Accordbolivarien sur l'extradition du 18 juillet
1911et de la Convention sur l'asile du 20 février1926, tous deux
en vigueur entre la Colombieet le Pérou,et, d'une façon générale,
du droit international américain, appartient-il ou nonà la Colom-
bie. en tant que pays accordant l'asile, de qualifierla nature du
délit aux fins du susdit asile?
Detrxièmequestion: D-ans le cas concret matière du litige, le
l'érou,en sa qualitéd'Etat territorial, est-il ou non obligécl'ac-
corder les garanties nécessairespour que le réfugiésorte du pays,
l'inviolabilité desa personne étant respectée ?

12.Le Goilvernement de Colombie demande à la Cour de se
prononcer affirmativement sur ces deux questions en tenant
compte tant des faits énoncésdans Ics pages précédentesque RÉPLIQUE DU GOUVfiRXEllEXT COLOMBIEX (20 IV 50)
324
des fondements de droit qui seront développésdans le présent
chapitre.
13.Les fondements de droit ont étéprésentés dansla requête
du Gouvernement colombien, laquelle se base expressément :

A. Sur les obligations généraleset spécialesqiii découlent pour
les Gouvernements du Pérou et de la Colombie des instruments
cités ci-après:
a) l'Accord bolivarien sur l'extradition du II juillet 1911;
b) la Convention sur l'asile, approuvée et signée à la VIme
conférence internationale américaine de 1928.
B. Sur la iiature juridique particulière de l'institution amé-
ricaine de l'asile, reconnue par le droit positif américain et par
la pratique des Iç'tats d'Amérique depuisle siècle dernier.

C. En -général, sur les normes du droit international positif
et coutumier américain. »
18. - Le Mémoire ainsi que la requête du Gouvernement
colombien sont fondés à titre principal sur Cles obligations conven-
tionnelles entre les Parties n, et, en conséquence, nous avons
demandé à la Cour qu'elle veuille bien procéder à l'interprétation

des textes ci-après :
a) L'Accord bolivarien sur l'extradition, ,signé à Caracas le
18 juillet 1911, par la Bolivie, la Colombie, YEquateur, le Pérou et
le Venezuela.
b) La Convention sur l'asile, approuvée par la Vlme Conférence
internationale américaine, réunie à La Havane, en 1928, également
signée et ratifiée par les Parties.
La question ainsi délimitéeet nettement précisée,il convient de
dire quel est le rôle de la coutume dans l'application du droit inter-
national américain sur l'asile. Ce serait déformer notre pensée que

de vouloir identifier la thèse du Gouvernement colombien avec
une conception susceptible de signifier la prééminence du droit
coutumier généralou américain sur le droit conventionnel.
19. - II ne s'agit pas, comme le voudrait le Contre-Mémoire,
du problème des sources du droit positif, ni de la conjonction de

deux élémentsformateurs de la coutume. L'idée formuléedans ce
document sur l'élément spécifiquementcaractéristique de la coutume
juridique, l'opinio iuris sive necessitatis, nous apparaît incontestable,
bien qu'il nous semble exagéré de dire que «la Cour permanente
de Justice internationale en a .... décidéde la façon la plus claire »
(page 119).
La Cour permanente de Justice internationale n'a jamais décidé,
comme le fait supposer le Contre-Mémoire, cide la façon la plus
claire », une question qui est encore débattue par la doctrine des

publicistes au sujet de la différenceexistant entre la Forceobligatoire
du traité et celle de la coutume. Depuisles travaux du doyen Duguit
jusqu'aux plus récents ouvrages de M. le professeur Basdevant, en
passant par ceux de nombreux jurisconsultes de plusieurs pays,on trouve toute une gamme d'avisdiversparmi les auteurs contem-
porains sur les élémentsformateurs de la coutume.
La preuve que la Cour permanente de Justice internationale a,
sur plus d'iiri point, réservéson opiriion à l'égard de ce problème
doctrinal de la coutume, ressort du' fait que l'arrêt concernant
l'affaire du Lotzis, auquel fait allusion le Contre-Mémoire, a été
pris à une voix de majoriti: et qu'il donna lieu à six abstciitioiis ou
opinions dissideiites. 1)aiis uii ouvrage écrit en l'honneur dc M. le
professeur Georges Scelle, La technique et les ;brinci;bes dz~droit

ptcblic (Librairie générale de Droit et de Jurisprudence - Paris,
~ggo),on peut lire ce qui suit :
<rLa difficulté qu'il y a à prouver l'élément psychique, c'est-à-
dire la conviction qu'a le sujet de droit appliquant une règle
coutumière d'esécuter une riorme déjà existante, ~i'a d'ailleurs
pas échappéaux tribunaux iiiternationaus. En effet, les cas dans
lesquels ils admettent I'opiitiojibris sive necessitntiscomme élément
formateur de la couturne sont très rares. Dans toute sa jurispru-
dence, la Cour permanente de Justice internationale n'a insisté
qu'une seule fois, réserve faite de trois opinions individuelles,
sur l'élément psycliique. C'estdaris l'affaire du Lotus, où elle a
déclaré : «C'est seulerncrit si l'abstention était motivbe par la
«conscience d'un devoir de s'abstenir que l'on pourrait parler de
«coutume internationale. » La Cour a donc accepté la théorie
dominante ;toutefois, si l'on examine de plus près son opinion,
on arrive à la conclusion au'elle n'a attaché aucune imvortance

constahte et répétéede poursuites pénales contre le capitaine
d'un navire étranger responsable d'une collision en Iiaute mer
a entraîné la création d'une règle coutumière imposaut zil'Etat
dont le'navire ne poss6de pas la nationalité de celui du capitaine
fautif, l'obligatioii de s'abstenir de telles poursuites. Au lieu
d'examiner si la conscience d'un devoir de s'abstenir en l'occurrence
existe, la Cour s'est bornée à constater que si les Etats s'étaient
souvent abstenus d'exercer des poursuites pénales dans un tel
cas, cela n'avait pas pour conséquence qu'ils se reconnaissent
obligésde s'en abstenir. La Cour a donc renoncé à faire la preuve
de L'existence ou de la rion-existence de l'élémentpsychique -
probablement parce clu'elle s'est rendu compte que cela était
pratiquement irréalisable. n (Paul Guggenlieim: Les deux éléments
de lucouttimeen droit i~ttcrnatioihal, tudepubliéedans Lu tecki~iqtie
et les priiicipes du droit Public. Librairie généralede Droit et de
Jurisprudence, Paris, ~gjo, tome 1, page 27j.)

20. - Nais ces points reconnus, ou, du moins, placés hors de
discussion, il s'agit pour nous de savoir si le droit interiiational
uiie fois codifiépeut coexister avec la coutume.
Le Contre-Mémoire est d'avis que rila codification abroge les
coutumes,, (page 131). D'après iious, au contraire, la coutume a uii
double rôle à jouer : d'unc part elle est une des sources formelles
du droit international positif, lorsqii'clleéunit toutes Ics conditions326 REPLIQUE DU GOU\~EKSEJIEKT COLOMBIEX (20 IV 50)

positives ou négatives de validité, et d'autre part, elle constitue un
élémentd'interprétation de ce droit, et lui sert de complément pour
combler les lacunes de la norme écrite.En conséquence, la négation
de la coutume en tant que source formelle du droit international
positif seraità notre avis tout aussi fausse que le rejet de son exis-
tence à cOtéde la loi juridique en tant que norme prater legem
mais non contra legem.

Le droit international positif, tant qu'il n'y aura pas d'autorité
législative de super-État chargé d'édicterles grandes lois juridiques
internationales qui remplaceraient totalement la coutume comme
élément de constatation du droit, sera toujours dépendant de
celle-ci, et pour sa formation, et pour son évolution. Mais dans la
situation où se trouve actuellement la communauté internationale,
communauté encore inorganique, dépourvue d'une autorité exécu-
tive et d'un corps législatif international, les lois juridiques ne
représentent qu'une partie, bien limitée d'ailleurs, des normes
pouvant servir à l'élaboration du droit positif.

Ainsi, la coutume a deux caractères :
I) elle est une source du droit international positif;
2) elle est un élément d'interprétation de ce droit destiné à
combler les lacunes de la norme écrite.

21. - Cette doctrine nous semble reposer sur les affirmations
suivantes;

a) La constatation du rôl8 traditionnel de la cozitume dans la
formation dz6 droit inter~~ational@sitif

De mêmeque certaines cDéclarations des droits »ont subsisté
dans le droit constitutionnel de l'État et ont acquis une force
même supérieure à celle des lois constitutionnelles rigides, on
constate que des traditions ou des coutumes ont servi à établir des
normes du droit international général ou du droit international
américain. Il n'est pas rare non plus de trouver d:ms l'ordre juri-
dique international que la coutume, lorsqu'elle se sera établie à
l'encontre d'un traité, pourrait, ou le rendre inapplicable (consuetzldo
abrogatoria), ou contribuer à sa revision (desztetudo). ,

La plupart des traités internationaux à caractixe multilatéral
ont eu pour origine une action plus ou moins directe de la coutume.
Celle-ci a d'ailleurs contribué, à l'encontre de la thèse du Contre-
Mémoire, à rendre inévitable la caducité de certains traités inter-
nationaux. C'est ce que démontrent plusieurs pactes signésaprès
les deux dernières guerres mondiales :'du point di: vue politique
et diplomatique et sans méconnaître leur valeur initiale, leurs
effets ont été suspendus en raison de la force et de la nécessité
de la coutume.
Sur cette question, M. Georges Scelle, professerir à la Faculté

de droit de Paris, a soutenu le point de vue suivant : c II faut se mettre en garde contre la tendance que nous avons
en France à croire que le système législatif fait disparaître toute
action de la coutume. C'est une erreur. La coutume continue
i vivre dans les pays de droit écrit comme dans les autres.
Ce qui iious cache ce mouvement de la vie du droit, c'est d'abord
la prééminenceque nous accordons à la source législative. Quand
nous parlons du droit positif, instinctivement nous pensons aux
codes, et nous nous figurons que ce sont là des lois immuables et
souveraines, d'autant plus immuables qu'elles datent chez nous
de 140 ans. Le code nous régit, mais ce n'est pas lui seul qui
nous régit; à côté de lui, il y a la coutume et la jurisprudence.
L'urie des premières raisons qui nous fait croire que la coutume
n'existe plus, c'est donc un réflexe'de l'esprit trop naturel chez
les juristes: nous allons tout de suite à ce qui est l'expression
la plus formelle et la plus concrète de la règle de droit.
La seconde raison, c'est que nozrs?te percevonspas matérielle-
ment l'effet des autres sources. II est trés difficile de savoir quelle
est la ligne de démarcation entre la coutume et la jurisprudence,
et auel est l'effet de la coutume à I'éeardde la loi. Beaucour, de
juristes reconnaissent cependant 1'esi;tence de la coutume êtla
continuation de la vie coutumière à côté de la source lég-slative.
Voilà par exemple ce que dit Geny :
«La nécessité socialede la coutume diminue à mesure que la

<sécurité, lastabilité sont mieux assurées par la loi quand elle
«peut pénétrerdans les détails de la vie juridique et peut étre
«considéréecomme conforme à la volonté généraledes intéressés.
rLa coutume théoriquementpourrait disparaître si l'ensemble de
<la vie juridique pouvait tenir dans les cadres de la législation ;
<mais c'est impossible ; la coutume conserve son r51epour.combler
<les lnczrnesde la loi et pour en assurer l'ripplication. n,
Geny nous dit : «La coutume conserve son r5le ,n,mais il la
réduit à un rôle subordonné : combler les lacunes de la loi et en
assurer l'interprétation. A l'heure actuelle, dans notre droit, la
masse de la coutume est importante.
Mais la question n'est pas seulement de savoir si la coutume
peut continuer son rôle, un rôle auxiliaire vis-à-vis de la loi écrite,
mais de savoir si la loi écrite a une supérioritésur la coutume,
c'est-à-dire s'il y a une hiérarchie entre la norme législative et
la norme coutumiére. Y a-t-il une hiérarchie des normes: la
coutume doit-elle s'effacer devant la loi toutes les fois qu'elle
est en contradiction avec elle ou peut-elle au contraire la com-
battre ou même parfoisla remplacer?
En droit international, ce n'est pas douteux, nous le verrons. u '
(Coicrsde principes du drmt pfiblic, rédigé d'aprèsles ?loteset avec
l'atrtorisation de M. Scelle, proiesseur Ù la Faculté de droit de
Paris - Dipl6me d'étudessupérieures,droit pzrbl~~1 , 945-1946 -
Les Cours de droit, 158, me Saint-Jacques, I'aris, Vme.)
b) La constatation des limites (le la codification el de L'empiredes

tuaitks en droit international public
Une concordance absolue entre les traités et les faits est en
elle-mêmeirréalisable. Il y aura toujours place pour une révélation
du droit au moyen de la coutume, qui demeure, quoi qu'il ressorte328 RÉPLIQUE DU COUVERSENEST COI.OYBIEIC (20 IV 50)

de la thèse du Contre-Xémoire, non seulement une des sources
formelles de l'ordre juridique international, mais le support de
toute jurisprudence positive. Point n'est besoin d'insister sur les
limitations du droit conventioiinel international ; ces limitations
sont dues pour une part à l'absence d'un pouvoir législatif inter-
national capable de combler les lacunes destraités, et d'autre part
à I'évoliition si rapide des faits, surtout à l'époque coiitemporaine
ainsi qu'au résultat de la libre recherche scientifique. L'êtrele plus

perspicace ne pourrait embrasser d'un coup d'mil toutes les
modalités de la vie internationale de manière à pouvoir renfermer
en quelques principes uii système de législation siIr iine matière
déterminée.
Au surpius, la notion traditionnelle du droit recotiiiaît elle-
mêmedes limites à la toute-puissance de la loi, envisagée comme
source di1 droit positif, et, à cet égard, les idées jadis éno~icées
par Portalis demeurent valables pour iiotre temps. Ce grand juris-
consulte avait dit : ciles codes des peuples se font avec le temps ;
mais àproprementparler, on?telesfait pas 11.Dans le célèbreDiscours
prélinzinaire,il a dit également :

a Quoi que l'on fasse, les lois positives ne sauraient jamais
affaires de la vie. Les besoins de la sociétésont si variés, la com-
munication des hommes est si active, leurs intér6ts sont si mul-
tiples, et leurs rapports si étendus, qu'il est impossible au Iégis-
lateur de pourvoir à tout.- Dans les matières mêmesqui fixent
particulièrement son attention, il est une foule de détails qui
lui échappent, ou qui sont trop contentieux et trop mobiles pour
pouvoir devenir l'objet d'un texte de loi. - D'ailleurs, comment
eiichainer l'action du temps ? Comment s'opposer au cours des
événemerits, ou à la pente insensible des meurs ? Comment
connaître et calculer d'avance ce que l'expérience seulepeut nous
révéler? La prévoyance peut-elle jamais s'étendi-ei des objets
q11ela pensée ne peut atteindre ? - Un code, quelque complet
qu'il puisse paraître, n'est pas plutôt achevé, que mille questions
inattendues viennent s'offrir au magistrat ...-- Une foule de
choses sont donc nécessairement abandonnées à l'empire de
l'usage, à la discussion des hommes instruits, à l'arbitrage des
juges. - L'office de la loi est de fixer, par de grandes vues, les
maximes généralesdu droit, ù'établir des principes féconds en
conséquence, et non de descendre dans le (létail des questions
qui peuvent naître sur chaque matière. - C'est :lu magistrat et
au jurisconsulte, pénétrésde l'esprit généraldes lois, à en diriger
l'application.- De là, chez toutes les nations policées,on voit
toujours se former, à côté du sanctuaire des lois, et sous la sur-
veillance du législateur, un dépôt de maximes, de décisions et
de doctrines, qui s'épurejournellement par la pratique et par le
choc des débats judiciaires, qui s'accroit sans cesse <letoutes les
connaissances acquises, et qui a constamment étéregardé comme
le vrai supplément de la législation.... - II serait, sans doute,
désirable que toutes les matières pussent ktre régléespar des lois.- Mais à défautde teste précissur chaque matière, un usage
ancien, constant et bien établi, une suite non interrompue de
dkcisionssemblables, une opinion ou une maxime reçue, tiennent
lieu de loi. Quand on n'est dirigépar rien de ce qui est établiou
connu, quand il s'agit d'un fait absolument nouveau, on remonte
aux principes du droit naturel. Car, si la prévoyancedes Iégisla-
teurs est limitée, la nature est infinie, elle s'appliqueà tout ce
qui peut intéresser les hommes ...n (Fenet: hecrreil complet des
trauairxpré$arntoiresdu Code civil, tome 1, page 467.)

22. - Ces deux constatations - la Cour voudra bien le remar-
quer - font tomber une des pièces essentielles de L'argumentation
du Contre-Mémoire.
Assurément, il paraît très simple de dire que (ila codification

abroge les coutumes >I.Dans la pratique, nous trouvons le cas
contraire de la coutume qui forme et abroge les traités. Nais ce
principe scientifique nous permet d'ajouter que les traités interna-
tionaux seraient dépourvus de sens et resteraient sans effet si la
coutume prreter legem ne venait pas à l'appui de l'interprétat'ion
exégétique dutexte pour autoriser les décisionsde la jurisprudence.
Les observations qui précèdent impliquent que l'interprétation
des traités internationaux et notamment de l'Accord bolivarien
sur L'extradition et de la Convention de La Havaiie sur l'asile, loin
d'êtrebornée par une notion exégétique du clroit, doit utiliser les
données fournies par l'expérience et la coutume.

23. - En somme, un droit coutumier a toujours existé et s'est
imposé dans la vie internationale mème lorsque son action latente
et tacite 'n'a pas attiré directement l'attention et si, dans le droit
national codifié, la coutume ne représente plus qu'une source

secondaire, par contre, dans le droit international son rôle est
décisif.
La Cour permanente de Justice internationale a reconnu que
mêinc ,<les coufumes régissant les rapports entre particuliers
ressortissants d'Etats différents ont le caractère d'un vrai droit
international >i(C.P. J.I., Affaire de l'usine de Chorzow, Arrêt
no 13, 1928). et dans la vie internationale elle-mêmela thèse du
Contre-Mémoire suivant laquelle (la codification abroge les cou-
tumes » se trouve contredite par le fait que les traités et projets de
traités peuvent donner lieu à la création de coutumes internatio-
nales, ainsi qu'il résulte de la Convention de Vienne de 1815 pour
l'abolition de l'esclavage ; de la Convention numéro IV, signée à
La Haye le 18 octobre 1907, relative aux lois et coutumes de la

guerre terrestre, et de la Déclaration de Londres de 1909, demeurée
à l'état de projet, sur le droit de guerre maritime et le maintien du
principe de la limite des trois milles marins pour l'étenduedes eaux
territoriales.
La force obligatoire de la coutume a étéreconnue dans l'ordre
juridique international, et c'est à ce titre, croyons-nous, que330 RÉPLIQUE DU GOUVERSEYEST COLOalBIES (20 IV j0)

l'article 7 de la Convention no \'II de la Conférence de La Haye
pour la création d'une Cour internationale des Prises, l'article 38
du Statut de la Cour permanente de Justice internationale, ainsi
que le même articledu Statut en vigueur de la Cour internationale
de Justice, l'ont admise parmi les sources crkatrices du droit.
(Cf. A. Verdross : Le Fondemetzt dzrdroit intenzational, Recueil
des cours de l'Académie de Droit international de La Haye,
1928, vol. 16 ; J. L. Brierly : Règlesdz~droit de la paix, id., vol. 58,

pp. 70. 94 et ~99.; J.Basdevant : Règlesdu droit dela paix, id., vol.
58, pp. 4S6 et s99. ; Y. Gouet : La cozrtzrmee)r droit co>zstitrrtio~t.nel
iitfer~zeet en droit constitzition~ielinternational, édit. Pédone, Paris,
1932 ; C. Gianni : La cozrtrrnteen droit international, A. Pédone,
éditeur, Paris, 1931.)

24. - Pour ce qui est du droit d'asile, l'existence de la coutume
est nécessaire comme suite à l'insuffisance du droit écrit en face
des aspects nouveaux de cette pratique internatioiiale.Il faut
convenir que les dispositions arrêtéesà La Havane et à Montevideo
ne représentent qu'un aspect de la coutume admise et pratiquée
en Amérique latine en matière de droit d'asile.
Comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur de la présente
Réplique, la Convention de La Havane a voulu elle-mêmetenir

compte de la coutume comme élémentd'application du droit d'asile.
Cette référence si précise à la coutume justifie le point de vue
ci-dessus exposé par le Gouvernement colombien, à savoir: la
couttrme, en mime temps qzl'unesource formelledzcdroit internatiotzal
$ositij, consfilue un élémentil'inter$rétalionconstant de ce droit et
elle a pour jonction de combler les lacunes de la norme kcrite.

D) OBSERVATIONS SUR L'EXISTEXCE DU DROIT INTERNATIOSAL
AMÉRICAIN

25.-L'existence du droit international américain a étémise en
doute par le Gouvernement du Pérou dans le passage suivant du
Contre-&lémoireprésenté à la Cour :

rrSi l'on se plaçaià un point de vue purement doctrinal et théo-
rique, il y aurait lieude sedemander s'ilexisteun droit international
américain spécifiqueO . n l'a nié, et tout rëceniment encore (v.
Savelberg, avocat à la Haute Cour des Pays-Bas: Le problème
du droit international américain, étudié spécialeme~i t la lumière
des Conventions panaméricained se La Havane, La Haye, Stols,
1946) ;et, s'il en &taitainsi. cela suffiraàtrésoudrela deuxième
question que nous nous sommes posée.En admettant que ce droit
continental existe et qu'il puisse y avoir des coutumes spécifi-
quement américaines,cependant, une teiie coutume n'existe pas
en matiere d'asile.3)(Contre-blémoire,page 124.)

26. - Le Gouvernement colombien voudrait réfuter la thèse du
Contre-Mémoire en l'envisageant du mêmepoint de vue doctrinal
et théorique que le Gouvernement du Pérou. RÉPLIQUE DU GOUVERSEYEST COLO3IBIES (20IV j0) 331

Il est profondément paradoxal, en premier lieu, que dans un
litige porté devant la Cour internationale de Justice par deux Etats
américains, l'une des parties conteste l'existence, ainsi que le
caractère spécifique,du droit international américain, en se référant
simplement à l'opinion d'un avocat à la Haute Cour des I'ays-Bas.
Le fait que le Gouvernement du Pérou ii'ait étà mêmed'invoquer,
à l'appui de son argumentation sur l'inexistence d'un «droit iiiter-
national spécifique», qu'une opinion isolée, permet d'apprécier
combien cette thèse est fragile et jusqu'à quel point elle irait à
l'encontre de l'opinion des publicistes du Nouveau Monde.

La Cour, en tout cas, ne pourrait partager le point de vue dii
Gouvernement du Pérou, suivant lequel une seule affirmation
suffirait à démontrer avec une rigueur scientifique l'inexistence
d'un c droit internationalspécifique ».

27.-Le Gou\rernement du Péroune peut ignorer, sans doute, que
Ic champ d'investigation ouvert aux recherches de ccux qui veulent
approfondir la science du droit international américain est aiitre-
ment vaste que ne le laisserait supposer la présentation d'une
opinion isolÊe.
Nul, assurément, ne viendra contester, aujourd'hui, que clcpuisle
début de leiir histoire en tant que républiques démocratiques, les

nations aniéricaines ont oulu ljouir d'une complète autonomie par
rapport à l'Europe pour organiser une communauté pacifique
d'États indépendants. avec des buts particuliers et suivant des
règles juridiques propres. Cette communauté a existépendant tout
le cours du sis1nc siècle et elle a acquis une conscience de sa
solidarité sociale qui lui permit de convoquer, en 1689, la première
Conférence panaméricaine, réunie à \i7ashington. Le droit inter-
national américain avait pii, dès ce moment, s'exprimer sous une
forme concrète dans des réalisations positives, et, depuis lors, huit
coiiférences panaméricaines ordinaires se sont succédédans dif-

férents pays du Nouveau Monde, en ayant pour but la formation
et la consolidation d'un système juridique et politique américain.
L'muvre réalisée jusqu'àprésent par ces assemblées continen-
tales est si vaste, qu'il serait difficile d'en donner un aperçu,me
sommaire ; de nombreuses conventions et déclarations ont affirmé
les principes fondamentaux du droit international public américain ;
le règlement pacifique des différends internationaux, y compris
l'organisation d'un système d'arbitrage, a fait des progrès plus
marquants dans ce continent qu'il n'a étépossible d'en accomplir
en Europe ; on est parvenu, lors de laIXme Conférenceiiiternatio-
nale américaine tenue à Bogota en 1946. à adopter la Charte de
l'organisation des Etats américains, et, finalement, la codification

du droit international privé a étéachevée dans un code qui porte
le nom d'un des plus illustres jurisconsultes de l'Amérique latine,
hl. Antonio Sanchez de Bustamante, ancien juge à la Cour per-
manente de Justice internationale.
22 RÉPLIQUE DU GOUVERNEMENT COLOMBIEN (201V 50)
332
28.- 11.Alejandro Alvarez, à qui l'on doit des travaux de la plus
haute importance pour l'établissement des bases scientifiques du
droit international américain, a pu écrire ce qui suit :

«L'ensemble de toutes ces matières constitue un véritable
droil international américain.Cette expression peut paraître équi-
voque, car elle a déjà étéemployée, mais avec une tout autre
valeur.
La question qui se pose naturellement est celle de savoir si,
dans la communauté des nations, des règles + caractère améri-
cain sont possibles, et, dans l'affirmative, quels Etats elles pourront
affecte: les Rtats américains seuls, ou aussi les Etats de l'Europe
dans leurs rapports avec l'Amérique?
Sur le premier point, il n'existe aucun doute. Les États américains
peuvent proclamer directement (notamment dans leur code), ou
indirectement dans leur vie politique, des règles sur des matières
qu'ils jugent nécessaires, soit parce qu'ils ne croient pas devoir
accepter les règles existantes, soit qu'ils ne peuvent suivre celles
qui ont été créées pourd'autres circonstances, soit aussi parce
quDans les rapports internationaux.ère.puisqu'il n'existe pas un
législateur supérieur chargé de régler les rapports des États, c'est
la volonté expresse ou tacite des nations qui les établit. Un conti-
nent tout entier, qui manifeste sa volonté sous cette forme, peut
donc prétendre à l'application des règles qu'il se donne.,
Sur le deuxième point, la règle doit affecter tous les Etats dans
leurs rapports avec l'Amérique. Mais, dans la pratique, il se
présentera des cas où résisterpnt les Européens.En attendant qu'on
trouve des moyens pour résoudre les conflits, ilaudra déciderque
les règles américainesseront suivies quand elles devront recevoir
leur application dans le Nouveau Monde. Le contraire serait préten-
dre que l'Europe puisse imposer sa volonté,à l'encontre de tous les
États qui constituent ce continent.
Mais: à leur tour, quand les problèmes devront recevoir leur
solution en Europe, les Etats américains devront se conformer
aux principes européens. En somme, la loi de chaque continent
doit toujours êtrerespectée dans les applications sur son conti-
nent.n - (Alejandro Alvarez: Le Droit international américain.
A. Pédone,éditeur, Paris, 1910, pages 259 à 261.)

29. - Selon le même auteur, l'expression a droit international
américain 1)peut avoir plusieurs acceptions différentes dont nous
donnons ci-après une synthèse :
a) Les cas concrets du droit international qui, dans des ques-
tions internationales, se sont produits en Amérique latine.
b) Les problèmes résultant de Santagonisme d'intérêts entre
SAncien et le Nouveau filonde.
c) Les questions ayant trait à la solidarité d'intérêtsexistants
au sein de ce groupe d'États.

d) Les règles internationales que les États d'Amérique ont
retenues expressément comme faisant partie du <!droit interna-
tional américain ». HÉPLIQUE DU GOUI~ERSE~IEST COLO>IBIEN (20 IV50) 333

e) Les règlesdu droit international codifiées en Amériquelatine.
f) Les solutions des publicistes touchant les problèmes inter-
nationaux propres du droit international.
Quelle que soit l'opinion de la Cour sur chacune de ces accep-
tions, il convient d'affirmer que les nations américaines ont cons-

tmit un système rigoureusement scientifique de normes parti-
culièresdu droit international.
30.-.L'existence d'un droit international américain estune thèse

irréfragable.
Il nous serait facile de prouver que, dans le continent américain,
un ensemble de circonstances historiques, politiques et sociales,
aussi bien que les conditions ethniques et géographiques, ont
abouti à la formation d'une psychologie, ou si l'on veut, d'une
manière propre de concevoir le droit du Nouveau Monde. En tout
cas, ce droit est devenu l'une des plus importantes réalitésde la
science juridique contemporaine. 11 a étéimplicitement reconnu
par la Charte des Nations Unies comme un des aaccords régionaux »
auxquels fait allusion le chapitre VI11 de cet instrument. Ceci
permet d'affirmer que la communauté des États a institué une
organisation mondiale sur des bases continentales et régionales.

Par ailleurs, on voit que le droit international.américain, tel que
nous le concevons, ne s'opposepas au droit international universel.
Bien au contraire, il en est la prolongation et le complémént.C'est
à un système ainsi conçu que se sont référés lep sublicistes pour
définir le caractère spécial du droit propre à chaque continent,
ainsi qu'il ressort du texte suivant :N En étudiant d'une part le
droit international américain, c'est-à-dire les normes cristallisées
dans les relations interaméricaines, et le droit international de
L'Ezirope,d'autre part, on est obligéde constater certaines diffk-
rences et d'en tenir compte » (cf.S. Krylov : Les notionsprincipales
du droit des gens,Recueil des cours de l'Académiede Droit inter-

national de La Haye, vol. 70-1947-1, p. 121 ; dans le même sens,
voir Paul Fauchille: T~aitéde droit international public, Paris,
1922, tome I, pages 34 et suivantes).
(Voir également : Alejandro Alvarez : La reconstruccidn del
derechode gentes. El nuevoordeny la renovacidnsocial, Santiago du
Chili, 1944 ; José Gustavo 'Guerrero : L'Ordre international.
Neuchâtel, 1945 ; J. R. Orue y Arregui : Le régionalismedans
l'organisation internationale(Recueil des Cours de l'Académiede
Droit international de La Haye, 1935, vol. j3) ; Francisco José
Urmtia : Le Continent américain et le droit international, Paris,
1938, et du mêmeauteur: La codification dz~droit international
en Amérique (Recueil des Cours, op. cit., 1928, vol. 22) ;J. M.

Yepes : Les Accords régionaz6xet le droit international (Recueil
des Cours, op. cit., 1947. vol. 71), et du mêmeauteur: Philosophie
di6 fianamdricanismeet organisation de la paix, Neuchâtel, 1945.)334 R~PLIQUE DU GOUVERSEYENT COLOYBIEN (20IV 50)

31. - Sans doute une des caractéristiques du système américain
du droit international est le fait d'avoir accompli la codification
de ses principes généraux d'une façon <Igraduelle et progressive o.
En partant de cette notion, chaque progrès réalisévers la forma-
tion et la consolidation du système américain a été,non un acte
politique occasionnel, mais l'aboutissement de l'expérience et,
pour ainsi dire, l'expression écritede la raison. Ainsi ont étéincor-

porés dans les conventions et traités panainéricaiiis les graiids
principes de droit international de ce continent et notamment:
la solidarité continentale et l'assistance mutuelle en cas d'agres-
sion ; la non-intervention d'un Etat dans les affaires intérieures ou
extérieures d'un autre ; l'exclusion de la force coinme source du
droit, et, par conséquent, la condamnation d'une politique de
conquete et d'expansion ; la norme pacta szmt seruanda, comme
fondement ultime du droit international et de la paix ;la recon-
naissance expresse de la morale et de la bonne foi comme l'une des
grandes forces dont la politique des États américains doit s'inspirer

et la solution pacifique des conflits internationaux, quelles que
soient leur origine et leur nature.
Parmi ces principes, il faut remarquer ceux qui ont pour but,
d'assurer le respect de la dignité de la personne humaine et des
libertés fondamentales. La IXme Conférence internationale améri-
caine, tenue à Bogota en 1948, approuva la (1Déclaration améri-
caine des droits et devoirs de l'homme D, dont l'article XXVII a
reconnu l'asile en tant que droit subjectif pour la personne. Cette
règle, qui pourrait s'appliquer à II. Victor Rad1 Haya de la Torre,

est ainsi rédigée :
Toute personne a droit de chercher et de recevoir asile en
territoire étranger, en cas de persécution non motivéepar des
délitsde droit commun, et conformément à lalégislationde chaque
pays et aux accords internatioiiaux. »

32. - Ce fait historique, que le droit internatioiial américain
emprunte toujours son substratum à la vie clle-rueme, a permis
aux États d'Amérique d'envisager les problèmes du continent et
de les résoudre au moyen de règles propres.
Ainsi le demande à la Cour le Gouvernement de la République
de Colombie, dans le présent li'tige,puisque l'institution américaine
de l'asile comporte des questions et situations particulières au
Nouveau Continent.

E) OBSER\'ATIONS COXCERXANT LE DROIT i\ LA QUALIFIC.~TlOS
EN ~IATIÈRE D'ASILE

33. - Le Contre-Mémoiredu Gouvernement du Pérou a présenté
a la Cour, sur le droit à la qualification en matière d'asile, un
certain nombre de thèses qui pourraient se résumercomme suit :
a) Le Gouvernement du Pérou n'a pas .d'obligation juridique

de nature coutumière en matière d'asile interne (page 118) ; b) Le Gouvernement du Pérou ne peut accepter que la règle
de l'article18 de l'Accord bolivarien sur l'extradition, du 18 juil-
let 1911, lui soit applicable dans le cas présent (page 135) ;
c) Le Gouvernement du Pérou, qui a ratifié la Convention de
La Havane, est liéen matière d'asile par cette convention, mais
par cette convention seule, et n'est tenu à aucune autre obligation
juridique que celles qui s'y trouvent stipulées (page 133) ;
d) Le Gouvernement du Pérou n'est pas lié par le Traité de
Montevideo de 1933, par suite du- défaut de ratification, et les
dispositions de ce traité ne lui sont applicables en aucune eircons-
tance (page 163) ; ..

e) Le Gouvernement du Pérou estime aue la règle de la auali-
fication définitive et irréfragable, telle q;e la conioit le ~oÛver-
iiement colombien, ne figure pas dans la Convention de La Havane
de 192s (page 163).
En somme, le Gouvernement du Pérou ne se sent liépar aucune
norme du droit international général américainà l'égarddu Gouver-
nement de la Colombie, pour ce qui est de la règle relative la

qualification de la nature du délit du réfugiépar 1'Etat accordant
l'asile. Pour aboutir à cette conclusion, le Gouvemcment du Pérou
a formulé, certes, des prémisses dont la raison et la vérité
scientifique font ressortir le caractère précaire. Tel est bien le
cas en ce qui concerne la prétendue abrogation de la coutume
par la codification et la soi-disant inexistence du droit international
américain. Mais ces prémisses, qui n'ont pas étédémontréespar
le Gouvernement du Pérou et qui ne pourraient l'êtresans boule-
verser complètement la science du droit international, lui étaient
nécessaires, on pourrait méme dire indispensables, pour se placer
dans une situation juridique privilégiée : en matière d'asile, le
Gouverneinent du Pérou n'aurait pas d'obligations ; il n'aurait
pas, non plus, de devoirs à remplir ; il n'aurait que des facultéset

leiir exercice serait la condition sine qrianon pour que l'institution
américaine de l'asile puisse pleinement fonctionner. Bien plus, en
dernière analyse, c'cst le Gouvernement de la Colombie qui
aurait, en donnant asile à M. Victor Ratil Haya de la Torre,
violé, d'une part, la Convention de La Havane de 1928 et,
d'autre part, la souveraineté du Pérou. Tel est, dans son essence,
l'aboutissement final de la thèse soutenue par le Gouvernement du
Pérou.
Le Gouvernement de la Colombie demande respectueusement à
la Cour de s'écarter de ces thèses et conclusions pour les raisons
ci-aprés :

34. - De quoi s'agit-il, en effet ? Essentiellement de savoir si,
dans le cadre des obligations en vigueur pour la République du
Pérou, et, d'une manière générale, selon le droit international
américain, le Gouvernement de ce pays est tenu, ou non, de
respecter la qualification aux fins de l'asile faite par le Gouveme-336 RÉPLIQUE DU GOUVERXE~IEITT COLOALBIEN (20 TV 50)

ment de la Colombie (première question, Mémoire,page 17). Au
surplus, la Cour est appelée à se prononcer, dans le cas concret
matière du litige, sur l'obligation pour le Gouvernement du Pérou
d'accorder les garanties nécessaires pour que le réfugiésorte du
pays, l'inviolabilité de sa personne étant respectée (deuxième
question, Mémoire, page 17).
La mission de la Cour ainsi précisée,il faut, tout d'abord, établir
quelle est la nature des obligations en matière d'asile dont le
Gouvernement du Pérou doit s'acquitter vis-à-vis du Gouverne-
ment de la Colombie. Cette question une fois rksolue, la Cour
devra déterminer la portée des obligations existant entre les

Parties, et notamment celle de l'Accord bolivarien sur l'extradition
du 18 juillet1911 et de la Convention de La Havarie de 1928 sur
i'asile. Le Gouvernement du Pérou a énoncé à ce sujet des réserves
qu'il convient d'éliminer.
i) Nature des obligations que le Gouvernement dzc Pérozcdoit
rencfilir

35. - Le Gouvernement du Pérou a formulé dans son Contre-
Mémoire diverses objections sur les obligations juridiques qu'il
doit remplir. Il convient, par conséquent, d'en préciser très
exactement la nature.
Ces obligations sont, en premier lieu, celles qui résultent du
droit conventionnel en vigueur entre les Parties,à savoir :l'Accord
bolivarien sur l'extradition, signéà Caracas le18 juillet1911, d'une
part, et d'autre part, la Convention sur l'asile approuvée par la

VIme Conférence internationale américaine en 1928. Ensuite,
vient une deuxième catégorie d'obligations conl.enues dans le
droit international positif et coutumier, et dont l'application de
la part du Gouvernement du Pérou, dans le cas présent, découle
des dispositions' énoncéespar les traités en vigueur et acceptées
par les Parties.
Ainsi, il existe, pour lesdites Parties, des obligations juridiques,
qui sont le complément des engagements souscrits et ratifiés par
les deux Gouvernements. Tel est le cas, non seulement .du droit
coutumier américain dont l'application est prévue à l'article2,
paragraphe premier, dela Convention de La Hava.ne de 1928 sur
l'asile, mais aussi de l'article de la Convention de Montevideo
de 1933. Nous verrons, par la suite, pourquoi ces dispositions
coutumières, ainsi que celles de l'article en question, constituent
des obligations découlant des engagements pris par les Parties
dans les traités en vigueur.

ii)Application de L'Accordbolivarien sur l'extr<~ditiondans le
firésentlitige

36.-Le Gouvernement du Pérou, sans formuler aucune objection
quant à l'application de la Convention de La Havane sur l'asile
de 1928, a prétendu que la requête de la Colonibie serait mal KÉPLIQUE DU GOUVERXEIIEKT COLORIBIEN (20 IV 50) 337

fondée d'invoquer l'article 18 de l'Accord bolivarien, celui-ci
C I un r i l'rdiro~ t 'a, r oicnt, ri~n
i voir *vc,c I:ireylemerit:~ticincl? I'ujil~.iiiirrnr 1 (Cuiitrc-\l(moirc,

Page 135).
Or, une pareille conclusion est formuléedans le Contre-Mémoire.
à l'aide d'un effort dialectique assez surprenant :primo, l'expression
juera de qui se rencontre an début de l'article 18 de l'Accord
bolivarien, pourrait signifier par son étymologie, selon le Gouver-
nement du Pérou, que, o de l'avis des rédacteurs, cet article est
étranger, « en dehors » des stipulations du traité sur l'extradition.

Il nc s'y trouve, dit le Contre-Mémoire,que pro forma 1,(page 135).
Secundo, la portée de cet article serait N nulle II(Contre-blémoire,
page 135) et, ce faisant, ce Gouvernement semble vouloir faire
une déclaration ex cathedra sur l'inefficacitéd'une disposition d'un
traité en vigueur. «Nulle II,dit-il, parce que les auteurs de 1'Ac-
cord bolivarien auraient fait, à propos de l'asile interne, d'une

part Iune constatation d'évidence » et, d'autre part, Cune simple
allusion au droit international, sans mêmerechercher les fonde-
ments )).(Contre-Mémoire, pp. 135 et 136.)

37. - Pour réfuter sur le terrain juridique la théorie ainsi édifiée,
il suffit d'établir l'étymologie de l'expression :tuera de. Le diction-
naire de l'Académie de la langue espagnole (quinzième édition,
Calpe, Madrid, 1925) affirme qu'une des acceptions de fziera de
est ademas de, c'est-à-dire en plzts de (du latin foras). Le diction-

naire espagnol de Casarés définit aussi filera de par ademas de.
Le dictionnaire espagnol-français de Salvat (Paris. Garnier Frères)
indique que les mots juera de sont synonymes de ademas de et
les traduit par en outre: Mêmesignification de ces mots dans le
dictionnaire espagnol de Fernindez Cuesta (tome III, Montaner,
edit. 1928) : fnera de a l'acception de en antre ou e?z $lus. Le

Contre-Mémoire a donc mal interprété l'expression tzcera de, qui
a la signification de en dehors de pris dans le sens de en outre
.ou en plz~s '.
D'ailleurs, à la règle suivant laquelle il faut prendre les mots
dans leur sens ordinaire, s'ajoute un autre principe bien connu

d'interprétation juridique :11le recours au contexte ». La pratique
diplomatique à cet égard est claire (John Basset Moore : A Digest
.of International Law, Washington, 1906, vol. V, page 249. $ 763),
et la jurisprudence internationale n'est pas moins explicite: aLes
mots, a dit la Cour permanente de Justice internationale, doivent
&tre interprétés selon le sens qu'ils auraient normalement dans

leur contexte, à moins que 1'interprétation.ainsi donnéene conduise
à des résultats déraisonnables ou absurdes. » (C. P. J. I.,SérieA/B,
no 15, page 39.) Ceci veut dire que l'Accord bolivarien comprend,
en plza ou en outre des dispositions concernant l'extradition, un
engagement relatif à l'asile interne. Cet engagement pourrait

Voir également Harrap's Standard Fyench and Enslish Dictionary (Londres,
1934) : sDehors >,,premiere acception, ain additia to this qilesti;apart to
thtr puertionn. Dansle m6me sens,A new Frencli-Englisand English-French
Dictionary, E. Clifton et A. Grimaur (Pari1923) iEn dehors de '3uopart/romn.338 RÉPLIQUE DU GOUVERNEMENT COLOMBIEX (20 IV j~)

sans doute être qualifié de a constatation d'évidence »; mais il
constitue, néanmoins, une véritable obligation juridique entre
les pays signataires dudit instrument. On ne voit: pas la raison
pour laquelle le Gouvernement du Pérou pourrait changer fon-
cièrement la substance de l'article 18 susmentionné dont le
texte est ainsi rédige : «En dehors (en outre) des stifiulations dzc

présent accord,les Etats signataires reconnaissent l'iltstitution de
l'asile conformément aux principes du droit international. 1)
36. - Finalement, le Gouvernement du Pérou prétend tirer un
autre argument contre l'application de l'article 18 de l'Accord boli-

varien dans le présent litige, en se référanta aux principes du droit
international n, que les auteurs de l'accord a se gardent, et pour
cause, dit le Contre-Mémoire,de définir > ,page136). Cette objection
nous parait, elle aussi, êtresans valeur. Car on rie voit pas sur
quelle base rationnelle on pourrait se fonder pour considérer
comme dépourvue de sens une disposition d'un traité qui ferait
simplement allusion « aux principes du droit international ».
Certes, la référenceainsi rédigéeest d'usage dans les traités ou
conventions et on vise par là l'ensemble des -règles juridiques,
coutumières ou positives, admises parmi les Etats civilisés. Le

fait que cette référence puissesembler vague n'est pas une raison
pour en conclure à la «nullité de l'articleil.
39. -Nous avons, par contre,soutenu que l'article 18de l'Accord
bolivarieu sur l'extradition contient une règlequi est effectivement
en vigueur entre les Parties, cette règleétant d'un intérgt juridique

positif pour le litige actuellement soumis à la Cour.
L'institution de l'asile que cet article reconnaii est celle déjà
admise par le droit international. II y a donc lieu de penser que le
droit positif aussi bien que, le droit conventionnel deviennent, en
vertu du mêmearticle, des normes applicables aux États coiitrac-
tants pour la réglementation en matière d'asile. Quel droit, pour-
rait-on demander ? En dehors des précédents, des usages et de
la coutume, le droit qui était en vigueur entre les ktats américains
et, notamment, les principes découlant des traité:; multilatéraux

élaboréssur le continent américain et dont l'autorité ne pouvait
êtrecontestée par les pays qui, à l'exemple de la République du
Pérou, étaient tout à la fois et signataires de ces instruments et
participants à la Conférence de Caracas.
Mais les auteurs de l'Accord bolivarien sur l'extradition avaient
à résoudrela question plus complexe du droit applicable à l'avenir.
Aussi ont-ils laisséà l'institution américaine de l'asile une souplesse
suffisante qui lui permit d'évoluer selon les progrès du droit et
conformément aux aspects nouveaux, toujours changeants, de

l'état social et politique des pays signataires. Voilà pourquoi, à
notre avis, l'article 16 de l'accord se réfère uniquement caux
principes du droit international il,sans indication expresse des
traités multilatéraux en vigueur contenant des règles sur l'asile,
à savoir : le Traité d'extradition signé à Lima le 27 mars 1879,
ail Congrès américain de jurisconsultes, le Traité de droit pénal RÉPLIQUE DU GOUVERNEJ~ENT COLOIIRIEN (20 IV 50) 339

international approuvé par le Congrès sud-américain de droit
international privé,le 23 janvier 1889, ainsi que le Traité de paix et
d'amitié conclu en 1907 par les républiques de l'Amériquecentrale.
Ce caractère dynamique du texte en question nous semble pré-
senter des avantages particuliers. D'une part, il est en harmonie
avec le caractère propre de la méthode juridique des États d'Amé-

rique pour l'évolution s graduelle et progressive IIdu droit inter-
national. D'autre part, il permet une plus large adaptation du droit
d'asile à toute une catégorie de faits, de notions,juridiques nouvel-
les, voire d'activités politiques et sociales des Etats contractants.
C'est sur ce point précisque nous avons rappelé les affinitésétroites
de l'article 18 de l'Accord bolivarien avec la théoriede l'institution,
dont on peut discuter la valeur, comme le remarque un des publi-
cistes cités dans notre hlémoire (page ~g),mais qu'il serait vain de
négliger pour l'interprétation de certains phénomènes juridiques.
(J. T. Delos : La Théorie de l'institution,Archives de Philosophie
du Droit et de Sociologie juridique, Paris, 1931, nos I, z, page 97.)

Le droit statutaire ou légal en matière d'asile revêtles aspects
d'une institution, c'est-à-dire qu'il faut l'envisager comme une
« réalitéjuridique objective >- selon la terminologie de Hauriou -
dont la fonction et le but sont destinés à se perpétuer dans un milieu
social donné. (Maurice Hauriou : Princifies de droit fiublic, Paris,
1916.)
Par ailleiirs, la Cour trouvera ci-après d'autres considérations
qui lui permettront de mieux saisir la portée de l'article 18 de
l'Accord bolivarien sur l'extradition.

40. - Cet article 18 de l'Accord bolivarien sur l'extradition a un

sens précis et clair :
Les États signataires ont voulu régler leurs rapports juridiques
sur les matières touchant et l'extradition et l'asile interne. Ils ont,
sans doute, arrêté un plus grand nombre de dispositions sur la
première de ces questions, par suite, notamment, des casnombreux
d'extradition qui, pendant les guerres civiles du xlxme siècleet du
début du sxme siècle, avaient surgi avec plus de fréquence et de
gravité que les cas d'asile.
Des fugitifs ou des déserteurs des armées de terre, en effet, ainsi
que des inculpés ou condamnés de droit commun, pouvaient, par
suite du voisinage de ces btats, échapper aux conséquences
d'ordre civil ou criminel de leurs actes lorsque, se trouvant sur un

territoire d'un autre Etat ou dans une légation, ils étaient à même
d'invoquer la connexité entre une inculpation de droit commun
et un délit decaractère politique. C'est ainsi que des conflits inter-
nationaux ont surgi entre la Colombie et le Venezuela, par exemple,
et entre le premier de ces pays et YEquateur, pendant les soulève-
ments armés qui eurent lieu à cette époque.
11n'en reste pas moins que la conférencetenue à Caracas en r911,
entre les pays dits <ibolivariens »,c'est-à-dire IaBolivie, la Colombie,340 RÉPLIQUE DU GOUVERNEMEST COLOlllBIEN (20 IV50)

l'Équateur, le Pérou et le Venezuela, avait pour objet principal de
fixer les normes juridiques denature à empêcherles frictions décou-
laiit des guerres civiles. Et c'est pourquoi, hormis l'accord sur
l'extradition et l'asile,la conférence,par la même occasion,approu-
véun accord sur les guerres civiles et la neutralité. Dans ces condi-
tions, l'accord sur l'extradition fait partie d'un tout ; il est insé-.
parable. des autres dkcisions de la Conférence de Caracas. Celle-ci
voulait embrasser l'ensemble des problèmes ayant trait aux consé-
quences internationales de la guerre civile : extradition, asile et
-
neutralité.
La méthode juridique d'interprétation des traités internationaux
ne peut éluder l'examen des conditions historiques, politiques et
autres dans lesquelles un instrument a étéélaboré.Il n'est pas
douteux que i'extradition, l'asile et la neutralité, peuvent bien être
envisagéspar le juriste comme des phénomènesdistincts. Toutefois,
la Conférencede Caracas a considérécesinstitutions du droit comme
les parties d'un règlement d'ensemble. Tel est le fait. Et, en pré-
sence de ce fait, disparaît l'objection formuléepar le Gouvernement
du Pérou sur la prétendue anullité» de l'article18 de l'accord sus-
mentionné, qui serait due à la différence purement doctrinale et
théorique entre l'extradition et l'asile. Or, l'article18 entraîne
pour les Parties au présent litige une obligation positive, dont la
mise en Œuvre permettra d'appliquer les ((principes du droit inter-
national > ,t par conséquent de tenir compte, à côté d'autres dis-

positions de caractère positif ou coutumier, de la règle de la qua-
lification unilatérale et irréfragable contenue à l'article2 de la
Convention de Montevideo de 1933 sur l'asile. Ce n'est certes pas
une cause de nullité de l'article18 de l'Accord bolivarien que cette
disposition ne soit pas aussi vaste qu'on pourrait le désirer. Il y
avait, pour les matières relatives àl'extradition, des précédents
plus abondants et une doctrine plus uniforme que ce n'était le cas
pour l'asile interne.En outre, la nouveauté de l'asile interne comme
phénomène juridique en Amérique latine amena les auteurs de
l'Accord bolivarien à éviter d'introduire une réglementation com-
pliquée sur une matière à laquelle il fallait tout siniplement appli-
quer les règles qui avaient étéacceptées par la coutuine ou par le
droit conventionnel en vigueur entre les États signataires. Ce point
est d'autant plus évident que l'article dit expressément : ~recon-
naître L'institzctiodel'asilea,ce qui veut dire :se conformer à une

solution déjà prise ou à des modalités déjà acceptét:~.Il aurait été
illogique de la part des auteurs de l'Accord bolivarien de reconnattre
une institution et d'introduire, en même temps, des principes dif-'
férents de ceux qui avaient été déjà acceptéspar le droit interna-
tional de l'époque.

41. Par conséquent, la Cour estimera peut-être pcuvoir se rallier
aux conclusions ci-après : a) L'Accord bolivarien sur l'extradition du 18 juillet 1911est en
vigneiir entre, le Pérou et la Colombie et il entraîne des obligations
concernant l'extradition et l'asile interne.
b) L'article 18 de cet accord contient une stipulation sur l'asile
interne, rédigée en outre ou en film des règles concernant l'extradi-
tion, mais constituant néanmoins une obligation formelle pour les
-
États signataires.
c) L'article 18 de l'Accord bolivarien sur l'extradition obliee les
États signataires à «reconnaitre i,l'institution de l'asile conformé-
ment (<aux principes du droit international », c'est-à-dire selon les
modalités du droit coutumier ou du droit positif de la communauté
des États américains.

iii)La règle de la qz~alificationzcnilatéraleet la Convention de
Ln Havane sur l'asile

42. - Il n'est pas douteux quela question principale du présent
litige porte, avant tout, sur l'interprétation juridique de la Con-
vention de La Havane de 1928 sur l'asile.
Alors mêmeque l'Accord bolivarien sur l'extradition du 18 juillet
1911 contient une norme dont nous avons étudiéet la nature et
la portée dans le paragraphe précédent, norme par laquelle les

Parties se sont obligées à reconnaitre les a principes du droit inter-
national iisur l'asile, c'est dans la Convention de la Havane de
1928 que l'on trouve une réglementation positive de l'institution
américaine de l'asile.

43.-Comme nous l'avons déjàexposédans le Mémoireprésenté à
la Cour au nom du Gouvernement de la Colombie, cette convention
prescrit, outre la faculté d'accorder l'asile aux réfugiéspolitiques
(article 1, alinéa 1). ct les conditions dans lesquelles cette faculté
peut être exercée par les États faisant partie de cet instrument,
la règle de la qualification unilatérale, impérative et irréfragable,
dont l'existence est 'impliquée par les dispositions de l'article z,
paragraphe I, ainsi rédigé:

<iL'asile des délinquants politiques dans les légations, sur les
navires de guerre, dans les camps ou sur les aéronefsmilitaires sera
respectédans la mesure où la coutume, les conventions ou les lois
du pays de refuge l'admettraient comme un droit ou par tolérance
liumanitaire, et conformémentaux dispositions suivantes ...,i

44. - Sur ce point spécifique de notre argumentation il faut,
tout d'abord, remarquer que l'asile comporte par lui-mêmeun
copffit juridictionnel entre deux souverainetés, à savoir, celle de
l'Etat territorial et celle de l'Etat accordant l'asile.

Or, tout. conflit juridictionnel de souverainetés deviendrait inso-
luble si l'un et l'autre des États en présencepouvaient revendiquer
des droits égaux en vue de régler un fait social donné. Ajoutons
que tel est le cas pour de nombreuses questions relevant des rap-342 K~LIQUE DU GOUVEIZNEAIEXT COLO~IBIEN (20 IV jo)

ports inter-étatiques à l'époque contemporaine, et il a fallu tou-
jours stipuler les règles en vertu desquelles l'une de deux souverai-
netés fait des concessions, et par un acte de sa propre volonté
autorise l'application d'une norme déterminée d'avance. Celle-ci
peut fort bien être une norme étrangère, lorsque les Etats ont
trouvé rationnel et logique de soumettre un probll-me donné, non

à la loi du territoire, lex loci, mais à la loi du contrat on de la per-
sonne, lex fori ou lex domicilii.
Le problème de l'asile se rattache très étroitement à celui de la
prééminencedu droit de 1'Etat accordant le refuge sur celui de
l'État territorialpour décider du sort de l'individu qui, en fait, se
trouve menacé dans l'exercice de ses droits fondamentaux, c'est-à-
dire dans sa vie,son intégritécorporelle ou sa liberté,par des violen-
ces contre lesquelles les autorités locales sont ou bien impuissantes
à le défendre ou bien complices de leur exécution. Le projet de
résolution sur «l'asile en droit international il(à l'exclusion de

l'asile neutre) présenté par M. Tomaso Perassi, professeur à la
Faculté de droit de l'Université de Rome, à la séancedu 30 juillet
1948 de l'Institut de droit international (session de Bruxelles) et la
discussion qui s'ensuivit sur la protection des droits fondamentaux,
permettent de saisir que telle est la justification de l'asile.
Si l'on admet le principe de l'asile- et il n'a jamais étécontesté
dans le présent litige -, c'est en obéissant à une règlejuridique de
convenance et de justice que chaque Etat autorise l'application,
disons même l'intervenfion de la loi étrangère sur son temtoire,
pour protéger les droits fondamentaux de l'homme. La souveraineté

de 1'Etat n'est pas, dans ces conditions, comproniise, puisqu'elle
accepte, soit expressément, soit tacitement, l'application de la loi
'étrangère. L'étendue de la règle conventionnelle est ainsi la consé-
quence de la volonté desparties, et son exercice ne peut nullement
constituer un Babus de droit >Icomme le fait supposer le Contre-
Mémoiredu Pérou (page 142) au sujet del'asile octroyépar le Gou-
vernement de la Colombie à M. Victor Raul Haya de la Torre.
Xous verrons par la suite combie~i ces notions juridiques, qui
nous semblent pourtant élémentaires,ont étéméconnues ou défor-
méesdans le Contre-Mémoiredu Gouvernement du Pérou à propos

des allégationsformulées à l'égarddu Gouvernement de la Colombie.

45. - Aussi est-il logique de penser que l'une desprincipales règles
pour la solution de ce conflit de compétence au sujet de l'asile, celle
dont la nature et la portée ont étéprévues pour assurer la défense
cles droits fondamentaux de l'homme, est la qualification de la
nature du délit du réfugiépar l'Etat accordant l'asile.
Cette règle est, tout d'abord, impliquée par la disposition de
l'article2, paragraphe 1, de la Convention de La Havane sur l'asile,
qui autorise l'application des coutumcs (zcsos),lois et conventions
du pays de refuge. Notre argumentation fera connaître à la Cour

le caractère rationnel de cette disposition adoptée à la Conférence KÉPLIQUE DU GOUVEKKE~~EKT COLO~IBIEX (20 IV 50) 343
de La Havane. Mais, par ailleurs, nous établirons que, mêmeen
faisant abstraction de ce point de vue juridique, l'article 2, para-
graphe 1, de la Convention de La Havane de 1928 sur l'asile com-

porte une obligation tacite qui est sous-entendue dans le système
choisi pour la solution du conflit de compétence entre la juridiction
de l'Etat requérant et celle de l'Etat territorial.
Nous soumettrons notre argumentation àla Cour dans cet ordre.
46. - 11 n'est pas douteux, à notre avis, que les auteurs de
la Convention de La Havane, lorsqu'ils ont réglél'institution de
l'asile par une norme écrite, ne se sont pas proposé d'abolir les
autres sources formelles du droit concernant cette matière. Par

contre, ils se sont référéàl'ensemble du droit national du pays de
refuge, à savoir, ses coutumes (usos), lois et conventions, en vue
de fixer la portée des obligations de l'État territorial.
On pourrait mêmese demander si la Convention de La Havane
n'a pasd'autre objet à son article 2, paragraphe I, que de permettre
l'application de la <coutume (uso),des conventions et des lois du
pays de refuge ». Les travaux préparatoires de la Convention de
La Havane indiquent, en effet, que les Etats américains avaient
envisagé une réglementation plus stricte des matières contenues à
l'article z'de cette convention. Toutefois, 1:opposition de plusieurs
États, parmi lesquels se trouvaient les Etats-Unis d'Amérique,
amena la Conférence de La Havane à adopter une solution qui
permettrait à chaque Etat d'appliquer ses coutumes (zlsos), ses
conventions ou ses lois en vigueur pour l'exercice du droit d'asile.
Ce point concernant l'interprétationde l'article 2, paragraphe 1,
de la Convention de La Havane sur l'asile ressort clairementdu
rapport soumis au Gouvernement du Mexique par M. Fernando
Gonzilez Roa, rapporteur de la Deuxième Commission de la

VIImrConférence internationale américaine, réunie à La Havane en
1928 Dans ce rapport, il est dit ce qui suit :
«Avant que le projet ne fût discuté, le rapporteur eut con-
naissance que quelques délégations, parmi lesquelles se trouvait
celle des Etats-Unis, avaient l'intention de s'opposer au droit
d'asile. Bans ces conditions, le rapporteur proposa de modifier
l'articleII du projet, afin de déclarer que l'asile serait respecté
dans la mesure où il serait admis soit comme droit, soit par tolé-
rance humanitaire, par l'usage ou les conventions en vigueur,
dans les pays qui l'accorderaient. Bien que sous cette forme les
États contractants conservent la liberté de poursuivre leur poli-
tique propre en matière d'asile, la délegatiorides Etats-Unis fit
le droit d'asile comme faisant partieon du droitainternationalr
Informe de la delegacidnde Mexico a su Gobiernosobrela VI Con-
erencza l?lfer?zacionalAmericana, Mexico. 1928.)
I
Une opinion semblable a été émise par M. Julio Escudero,
rapporteur du projet de convention sur l'asile soumis au Deuxième
Congrès sud-américain réuni à Montevideo en 1939. Au cours de344 RÉPLIQUE DU GOUVERNEMENT COLOMBIEN (20 IV j~)

la séancedu 3 août 1939, en effet, M. Julio Escudero a bien précisé
que la Convention de La Havane de 1928 sur l'asile accordait
une plus grande latitude que son projet, à la evolonté de l'Etat
qui accorde l'asile, étant donné que dans cette convention cette
matière est régléepar l'usage, les conventions ou les lois du pays
de refuge 1).(Actas de la Reunion de Jz$risconszdtosde Montevideo ;
de 18 de julio a 4 de agosto de 1939, primera etapa de trabaios. -
llonteyideo, 1940.)
Cette interprétation de l'article 2, paragraphe 1, de la Conven-

tion de La Havane sur l'asile de 1928 est également admise par
M. L. Savelberg, cité comme une autorité par le Contre-Mémoire,
et qui a exprimé sur ce sujet l'opinion suivante :
«Le premier alinéa de i'article présent ne contient pas une
reconnaissance inconditionnelle ou générale de l'asiledans les
légations,les navires de guerre, etc. ; il dispose a.u contraire que
cette institution ne sera respectée que dans la mesure où elle
serait admise, soit comme droit, soit comme tolérance humani-
taire, par la coutume, les conventions ou les loisdu pays de refuge.
Il s'ensuit que la convention présenten'établitnullement entre
les Ëtats contractants un droit d'asile au profit des criminels
politiques qui n'existerait pas déjàauparavant. La détermination
du fait si l'asile existe est au contraire laissée.entièrement aux
coutumes, aux conventions ou aux lois du pays de refuge. L'article
dispose seulement que dans le cas où, d'après les normes de ce
pays, l'asile existe, il sera respecté etdonne pour ce cas quelques
règles concernant la manière dont il devra êtreexercé.La con-
vention présente s'adapte ainsi aux conceptions traditionnelles
di1droit des gens. 1,(M. L. Savelberg : Le Problèntedzcdroit inter-
national améri:cain,La Haye, 1946, page 279.)

47. - On voit ici l'importance capitale du rôle de la coutume
comme source du droit et comme instrument de L'interprétation
des traités.
Les conclusions du Contre-hlémoire ont voulu par une dialectique
subtile orienter la Cour vers une opinion absolue : iiLa Conven-
tion de La Havane de 1928, dit ce document (page 139), unique
instrument qui lie les Parties dans le présent cas, ne contient pas
de règles sur la qualification. » Or, ce passage nous semble contenir

une double négation erronée : il nie l'existence des autres instru-
ments qui lient le Gouvernement du Pérou dans le cas présent et
soutient l'absence d'une règle sur la qualification dans la Conven-
tion de La Havane.
En fait, la règle de la qualification qui découle de l'article z,
paragraphe I, de la Conventipn de La Havane résulte également
de la faculté reconnue aux Etats contractants de donner appli-
cation à leurs coutumes, lois ou conventions. On ne saurait, en
thèse générale,,nier la possibilité pour une convention de régler,
à son gré, son champ d'application et celui des autres sources

juridiques concurrentes et susceptibles de contredire ses disposi-
tions, comme c'est le cas de la coutume, des lois et conventions du RÉPLIQUE DU GOUVEHSE~IEST COLO~I (B0 IE 'I)
345
pays de refuge. Le Contre-Mémoire prétend avec force - on
s'explique maintenant pourquoi - que nla codification abroge
les coutumes » (page 131). en vue d'écarter du présent litige le
droit coutumier antérieur ou postérieur à la Convention de La
Havane, ainsi que toutes autres institutions juridiques à venir.
Nous affirmonsque cette thèse est par elle-mêmecontestable
en droit. Car, hormis les raisons que nous avons exposéesdans un

précédentchapitre, les textes des traités, comme ceux des lois,
ne peuvent contenir l'ensemble du droit sdont la nature organique,
disait Savigny, ne peut être épuiséepar une règle abstraite 1)
(Savigny : Traité de droit romain, Paris, 1840, tome 1, page 42).
A vrai dire, une loi nouvelle ne peut pas empêcherles manifes-
tations du droit, et par suiteCIla disposition qui invalide d'avance
une coutume future est aussi inefficaçe que celle qui prohiberait
le droit futiir »(Goudsmit : Cozirsdes Pandecles, trad., Vuysteke,
tome 1, page 36).

48. -Par conséquent,nous nous trouvons devantune règleautre-
ment complexe que ne le suppose le Contre-Rlémoiredu Gouverne-
ment du Pérou.
Cette règle de l'article 2, paragrapheï,autorise i'application de
la coutume (z~so),en mêmetemps que des lois et conventions du
pays de refuge. Le droit légalet le droit coutumier ont de la sorte
une force identique pour l'exercice di1droit d'asile. Selon lesystème
choisi par la Convention de La Havane, il ne tient qu'au gouverne-
ment du pays de refuge de fixer l'étenduedexet ensemble de règles

juridiques en vigueur dans cet État, pour leur application à l'asile.
D'ailleurs, le Contre-Mémoire lui-mêmeadmet la validité des
règles conventionnelles issues de traités successifs, lorsque les
signataires de la première convention ont consenti dans une
disposition espresse de celle-ci, à accepter une procédure révision-
niste prévue dans certaines conditions » (page 134). En l'espèce,
c'est la volonté des parties contractantes de la Convention de La
Havane de 1928 qui a estimé qu'aucun désaccordn'existait du fait
de la concurrence du droit légalet du droit coutumier ainsi que des
lois et conventions du pays de refuge, et, dans ce cas, selon les
règles de la jurisprudence internationale, l'intention des parties est
créatrice de la norme juridique (C. P. J. I., Avis consultatif n12,
page 19) et «en l'absence de réserves expresses, oune peut déduire
du texte d'un traité des limitations ou des restrictionquelconques
....tant ces limitations offriraient un caractère exceptionnel J)
(C.P. J. I., Avis consultatif noII,page 37).
11 s'ensuit que le problème actuellement posé devant la Cour
n'est pas de savoir si la République du Pérou a ou non ratifié la

Convention de filontevideo de 1933 sur l'asile, mais celui de fixer
l'étendue des engagements pris à La Havane et de connaître si la
République de Colombie peut assurer, pour sa part, l'application
de ses propres coutumes, lois et conventions. Tel est, du moins,le cas, si l'on étudie l'article z, paragraphe I, de la Convention de
La Havane de 1928 sur l'asile dans son contexte et:sans écarter le

problème qui en résulte par des objections qui ne nous paraissent
pas avoir de valeur sérieuse. Le Contre-Mémoire, en effet, voudrait
faire croire que notre argumentation s'appuierait tout cntière
sur la virgule qui suit le motzcsage (page I~I), alorsqu'il s'agit d'un
problème fondamental d? droit international américain : la règle
généralepar laquelle un Etat a reçu la faculté d'appliquer l'ensem-
ble des dispositions qui font partie de son droit national en matière
d'asile.

49. - Sur la base de ces principes et conclusions, nous croyoris
devoir soumettreà la Courles élémentscoilstitutifs du droit national
de la République de Colombie en matière d'asile.

Le délit de rébellion imputé à M. Victor Ra61 Haya de la ~hrre
figure parmi les délits contre nle régimeconstitutiontiel et la sécurité
intérieure de l'État »,dutitre II du Code pénal colombien (loi 95 de
1936). dont les dispositions (chapitre premier, articles 139 à 141).qui
permettent de considérer le réfugiéà l'ambassade de Colombie à
Lima comme un délinquant politique, doivent êtreconsidérées à la
lumière des principes contenus dans la Constitution de la Répu-
blique de Colombie (titre III, a Des droits civils et garanties socia-
les n).L'esprit de cette législation pénale colombienne en matière
de délit politique nous est donné par l'exposé des motifs du Code

pénal de 1936. De ce document, il convient de citer le paragraphe
ci-après :
xLe titre II a trait aux délits contre le régimeconstitutionnel
et la sécurité intérieurede l'Etat, c'est-à-dire ceux qui ont un
caractère politique et dont les auteurs ne sont. pas considérés
comme des délinquants vulgaires et ordinaires, inais comme des
citoyens qui ont agi parfois sous l'inspiration des idéaux et de.;
motifs les plus nobles et les plus élevés.Tenant compte de ce
critère fondésur les principes modernes de la doctrine des péna-
listes les plus avancésen matière de délit politique, la Commission
a diminué la gravité de la peine, avec des sanctions appropriées
telles que la prison, l'interdiction des droits et fonctions publiques,
l'arrestation dans une caserne ou établissement niilitairen (Comi-
sion de Asuntos penales y penitenciarios, Codigo penal, Bogota,
Imprenta nacional, 1937. page 14.)

Il est à peine besoin de dire que la République de Colombie a
incorporé dans son droit national la disposition contenue à l'ar-
ticle z de la Convention de Rlontevideo sur l'asile de 1933, en
vertu de la loi no 15 de 1936 approuvée par le Congrès de la
Colombie et conformément à sa ratification ultérieure par M. le
Président de la République de Colombie. Le Gouvernement de
la Colombie a donc le droit de procéder à l'application de l'article2
de cette convention, par lequel la qualification du délit politique

appartient à 1'Etat qui accorde l'asile. RÉPLIQUE DU GOUVERNEYENT COLO~IBIEN (20IV 50) 347

Pour ce qui est de la coutume de la Colombie à l'égard du
droit d'asile, nous attirons l'attention de la Cour sur l'avant-
dernier paragraphe de la déclaration faite le7 avril1949 par le
ministre des Affaires étra~igèresde la Colombie, en réponse à la
note du 6 avril de la mêmeannée qui lui avait étéadressée par
M. le ministre des Relations extérieures du Pérou (Mémoire,
annexe 9).Cette déclaration soulignait qu'il n'était pas exact
de dire que la Colombie n'avait jamais pratiqué la règle de la
qualification unilatérale de la nature du délit du réfugié.Ellc
disait notamment: ciLa Colombie a invariablement respecté
cette norme dans les cas qui se sont présentés : celui de l'asile
du DI Laureano G6mez à l'ambassade du Brésil, celui de l'asile

de MM. Joaquin Tiberio Galvis et Hernando Vega Escobar à
l'ambassade du Venezuela » (nfémoire, annexe 9).
Au sujet des cas mentionnés par N. le ministre des Affaires
étrangères de la Colombie, il faut rappeler également les cir-
constances dans lesquelles fut accordé l'asile par l'ambassadeur
du Venezuela à Bogota à quelques individus responsables de
l'émeute du g avril 1948 En cette occasion, la Colombie a admis
le droit à la qualification de la part du Gouvernement du Vene-
zuela, bien que celui-ci n'eût pas ratifié la Convention de Monte-
video de 1433 sur l'asile et que, par conséquent, le droit en
vigueur entre les deux pays était celui qui découlait de la Conven-
tion de La Havane sur l'asile de 19~8. La situation juridique
était donc similaire à celle de la Colombie avec le Pérou dans le
cas de M. Victor Ra61 Haya de la Torre. L'analogie est plus

évidente encore, si l'on tient compte du fait que les personnes
réfugiées à l'ambassade du Venezuela à Bogota étaient inculpées
de délits de caractère politique en même temps que de délits
de droit commun, comme étant responsables d'avoir provoqué
des incendies dans des bâtiments publics et d'avoir pris la tête
d'un soulèvement armé. Ceci constituait une inculpation firima
fncie à l'égard des personnes réfugiées.La Colombie, encore une
fois, accepta le droit à la qualification de la' part du Gouver-
nement du Venezuela.
Il convierit de rappeler également que le Gouvernement de la
Colombie a toujours invoqué le droit à la qualification de la
nature du délit du réfugiéde la part de l'État accordant l'asile
lorsque, dans ses ambassades ou légations à l'étranger, l'asile
fut octroyé à des réfugiéspolitiques. Voici quelques exemples

caractéristiques: à l'occasion du soulèvement militaire au Guate-
mala, en juillet 1949, la légation de Colombie reçut quelques
réfugi6s politiques;le Gouvernement colombien, malgré certaines
observations de l'autorité territoriale, exerçle droit de(qualifier
lui-mêmele délit s des personnes réfugiées,et le Guatemala accepta
finalerrieiit la position prise par la Colombie. Au mois d'octobre
et de novembre 1946. NI. Julia César Villegas, ancien ministre
de l'Intérieur du Gouvernement péruvien présidépar hl. Busta-

23346 REPLIQU DE GOUVERNEMENT COLO&IBIEN (20 IV jo)

mante y Rivero, et le député apriste M. Javier Pulgar Vidal,
se sont réfugiés à l'ambassade de Colombie à Linia. Le Gouver-
nement colombien qualifia MM. Villegas et Pulgar Vidal comme
des réfugiéspolitiques, et le Gouvernement di1 Pérou accepta
finalement la qualification unilatérale faite par la Colombie. 11
est à remarquer que le Gouvernement du Pérou qui délivra un
sauf-conduit à MM. Villegas et Pulgar Vidal esl. celui qui est
actuellement au pouvoir.
La Cour appréciera donc les motifs de droit pour lesquels le

Gouvernement de la Colombie a estimé, le 3 janvier 1949, que
M. Victor Rad Haya de la Torre, réfugié en sonambassade à
Lima, devait être considéré commeun délinquant politique du
point de vue du droit national colombien, et conformément à
l'article2, paragraphe I, de la Convention de La Havane sur
l'asile de 1928, et à l'article2 de la Convention de Montevideo
de 1933 sur l'asile politique.

50. - Mais, d'autre part, il convient d'attirer l'attention de la
Cour sur l'existence d'une obligation tacite ou, en d'autres termes,
d'une clause sous-entendue à l'article 2, paragraphe 1, de la
Convention de La Havane sur l'asile.

D'après l'opinion de Paul Fauchille, a les partie:; contractantes
d'un traité ne sont pas seulement tenues d'exécuter ce qui est
exprimé dans le texte de la convention ou dans les paroles échan-
gées ; elles sont aussi obligéesd'exécutertoutes les clauses sous-
entendues qui découlent naturellement des termes du contrat
d'après l'équité, l'usage et la loi il.(Paul Fauchille : Traité de
droit international public, Paris, 1926, tome 1, page 365.)
La Cour permanente de Justice internationale :L eu l'occasion
de déclarer, au sujet de l'interprétation des trait&, que ce que
l'on doit rechercher dans un texte et à la lumière de son contexte,
c'est l'intention des parties. «L'intention des parties, dit-elle,

que l'on doit rechercher dans le contenu de l'accord, en prenant
en considération la manière dont l'accord a étéétabli, est décisive»
(C.P. J. I., Avis consultatif no 5, page 17.)
Aussi devons-nous, suivant la doctrine de la jurisprudence
internationale, déterminer le «contenu de l'accord B, sans nous
borner à la lettre du texte, comme le voudrait le Contre-blémoire
du Gouvernement du Pérou. A cet égard, il s'agit de discerner
quelle est la nature de cette clause implicite ou sous-entendue.
Et si l'on examine l'esprit, plutôt que la lettre, de la disposition
susmentionnée, on constate qu'elle a pour but,cle résoudre un
conflit de compétence juridictionnelle entre les Etats américains
pour ce qui est de l'asile interne dans les légations ou à bord des
navires. La solution de ce conflit de compétence forme l'objet

de la convention elle-même,dont cette disposition est une partie
essentielle. De la sorte, les auteurs de la convention devaient se
prononcer sur un point de droit précis, à savoir :lorsqu'il s'est RÉPLIQUEDU GOUVERSEMEXT COLOMBIES (20IV 50) 349
produit un cas d'asile, appartient-il à l'État territorial ou à I'État
requérant de décider du sort du réfugié ? En d'autres mots, le .
réfugié est-il soumis, une fois l'asile accordé, à la souveraineté

de l'État territorial ou à celle de I'État requérant ?
Le problème, ainsi résumé, aétérésolu, comme il ressort du
texte de l'article 2,paragraphe 1, de la Convention de La Havane
sur l'asile, en faveur de l'État accordant l'asile, et cette répartition
des compétences, à vrai dire, faite d'une manière si explicite.
constitue le mérite principal de la convention dans le droit positif
américain. Par ailleurs, l'instrument dont il s'agit introduit en
cette matjère un système parfaitement logique, dans lequel le
réfugié,qui, par définition, est censéne pas jouir des droits fonda-
mentaux de la personne humaine dans 1'Etat territorial, est placé
sous la protection de l'État requérant. Il n'en pouvait être autre-

ment décidé,et, de ce point de vue, la solution énoncée à l'articl2,
paragraphe 1, de la Convention de La Havane mentionné ci-
dessus, est analogue à celle déjà incorporée dans d'antres instm-
ments multilatéraux touchant l'asileà savoir: l'article7 du Traité
d'extradition signé à Lima le 27 mars 1879 (Mémoire,annexe 18)
et l'article 17 du Traité de droit pénal international approuvé par
le Congrès sud-américain de droit international privé le 23 jan-
vier 1889 (ol). cit., annexe 18).
Par conséquent, il existe une clause sous-entendue à l'article 2,
paragraphe I,de la Convention de La Havane de 1926 sur l'asile,
et cette clause - c'est la volonté des Parties qui en a ainsi décidé

- entraîne la faculté juridique pour 1'Etat accordant l'asile de
qualifier la nature du délit du réfugié.La faculté de demander,
en outre, les garanties nécessaires pour que le réfugié puissese
rendre en territoire étranger, dont il est question à l'article 2,
alinéa 3, de la même convention,en est la conséquenceimmédiate et
directe. En somme, le droit à la qualification de l'État requérant en
matière d'asile constitue une règle sous-entendue clans la norme
portant réglementation du conflit de compétenceentre deux souve-
rainetés, ce qui forme l'objet essentiel de la Convention de La
Havane. .4ppelés à décider laquelle des deux souverainetés devait
prédominer sur l'autre pour la sauvegarde des droits du réfugié.

les auteurs de la Convention de La Havane, en effet, décidèrent
d'octroyer à l'État accordant l'asile, ?ne faculté juridiqiie qui
est synonyme d'une prééminencesur I'Etat requérant pour déter-
miner le sort du réfiigié.

51. - Pareille solution, seule acceptable en droit, parce qu'elle
est de nature à résoudre un conflit de compétence jiiridictionnelle
entre deux États américains, revient à suivre, dans la matière
du litige, la cirègle de l'efficacité du traitéII,ou de la ratio legis
de la Convention de La Havane pour l'application du droit d'asile.
L. Ehrlich (L'interprétation des traités, Recueil des cours de 1'.4cd-
démiede Droit international de La Haye, vol. 24, page 82)remarque350 KÉI'I~IQUE DU GOUYERSEYEST COLO>IRIES t20 IVj0)

que «le principe de la bonne foi impose une interprétation qui
rende le traité efficace n. (Or, ajoute-t-il, il s'ensuit qu'en inter-
prétant le traité, il faut, si faire se peut, tenir conipte de son but I)
(ibidem). On doit supposer, dans le cas présent, que les auteurs de
la Convention de La Havane ont eu l'intention d'établir une règle
pratiquement opérante à l'article 2, paragraphe 1, auquel nous
avons fait allusion, et tel ne serait pas le cas, si les deus soyve-

rainetés en présence, celle de 1'Etat requérant et celle de l'Etat
requis, devaient avoir des droits égaux pour fixer le sort du réfugié.
Notre dilemme est clair : l'une ou l'autre de ces souverainetés
doit décider du sort du réfugié,et si c'est la seconde, à savoir, celle
de l'État qui est ceiisé le poursuivre, non seuleineut l'article 2,
paragraphe 1, de la Convention de. La Havane n'aurait aucun
sens, mais l'institution américaine de l'asile elle-mêmedisparaîtrait.
Toute autre coiiclusion enlèverait à la Convention de La Havane
ses effets pratiques. La Cour ne voudra certainement pas en
décider ainsi.
Dira-t-on que l'application de la ratio legis à la matière du litige

pourrait entraîner une interprétation trop exteiisive de la volonté
des Parties contractantes de la Convention de La Havane ?Iiemar-
quons seulement avec Carlos Calvo que «toute clause prgtant à
un double sens doit s'interpréter et s'entendre dans le sens qui peut
lui faire sortir son effet utile et non dans celui qui la rendrait impra-
ticable, plus onéreuse ou inoins favorable (Carlos Calvo : Le droit
z>~teritationrilthéoriqzceet pratique, Paris,1896, toine 3, page 396).
Signalons encore que la Cour permanente de Justice internationale
a rendu plusieurs décisions dans lesquelles elle exprime l'avis que
son d&r cst dc rcc11ercI1~lr'iiitr.rl~rérnriunqiii :isi;irc le iii;ixim;~m
<l'cCTic:~ciaCx disvositions à inrcr1)ri.tc.r.:\iiisi. ellt:i.<:Iclétcr-

minant la nature et l'étendue d'une disposition, envisager ses
efets pratiqzles plutôt que le motif prédominant par lequel on la
supposeavoirété inspirée )i(C.P.J. I.,Avisconsultatif no13,page 19.
Voir également : Avis consultatif du IO septembre 1923 (affaire des
colons allemands en Pologne), Série A/B, no 6,page 25 ;Avis consul-
tatif du 15 septembre 1923 (acquisition de la nationalité polonaise),
Série A/B, ilo 7, page 17 ;Avis consultatif du 23 juillet 1926 (com-
pétence de l'organisation internationale du Travail pour réglemeri-
ter accessoirement le travail personnel du patron), SérieA/H, no 19,
page 19 ;Ordonnance du 19 aôut 1929 (affaire des zones franches de
la Haute-Savoie et du Pays de Gex). Série A/B, no 35, page 13;
et Avis consultatif du 6 avril 1935 (affaire des écolesminoritaires

grecques en Albanie), Série A/B, no 64, page 20.)
L'argumentation du Contre-Mémoire, à ce sujet, s'inspire d'un
critère strictement attaché à l'expression littérale du texte, saris
chercher à en dégager l'esprit. Pour le Gouvernrmcnt du Pérou,
([la règlede la qualification [du délit] nefigure dans aucune conven-
tion américaine concernant l'asile, sauf dans les deux qui ont été
signéesà Moiitevideo en 1933 et1939 I(Contre-Mémoire,page 137). K~PLIQUE UU GOUVERXEJIEXT CO~O\IRIEX (20 IV j0) 351

alors que la ratio legis de la Convention de 1928, le motif détermi-
nant qui a entraîné son adoption, ala vue que l'on s'y est proposée I>
selon le mot de Vattel, est la solution d'un conflit de compétence
juridictionnelle entre deux États américains en matière d'asile.
Et, par suite, cette solution exige comme corollair,e le droit à la
qualification de la nature du délit du réfugiépar 1'Etat requérant.

De ce point de vue, Ehrlich, en mêmetemps que Fauchille que
nous avons cité précédemment, est de l'avis suivant :ciSi le traité
autorise qnelque chose, non pas parce que les parties ont voulu
poser seulement des principes généraux,mais parce qu'elles vou-
laient voir réalisé cequi était stipulé, il permet aussi, mêmepar
sous-entendu, ce qui est indispensable pour la réalisation de la
stipulation. Cette règleest connue dans la jurisprudence des États-
Unis sous le nom de rdoctrinedes pouvoirsimplicites r » (McCulloch
u. Maryland, 4 Wheaton, 316, cf. Munro : The Goven~mentof the

United States, 1925, pp. 2.73-255) ; elle a étésuivie aussi dans la
jurisprudence australienne (par exemple, d'Emden u. Pedder,
I Commonwealth Law Refiorts, III, 113 ; cf. Deakin u.Webb, ibid.,
624 ; Webb a. Outrim (1907) AC. 88-89) (Ehrlich, op. cit., page 84).
Le Contre-Mémoire du Gouvernernent du Pérou, à n'en pas
douter, a voulu tenir compte uniquement - et c'est là son erreur
principale - de l'interprétation littérale du texte pour ce qui est
de l'Accord bolivarien sur l'extradition du 18 juillet 1911 et de la

Convention de La Havane sur l'asile de 1928. Mais ni le traité,
nile contrat ne contiennent tout le droit ;il y a des règles d'inter-
prétation de ces actes que la science juridique admet. Les auteurs
du Contre-Mémoire se sont laissé guider par le Ifantôme de la
codification Idont parlait François Geny, un des maîtres de l'inter-
prétation juridique (cf. François Geny : Méthode d'interprétation
et sozlrcesen droitprivépositif, Paris, 1932, tome I, page 112).

52. - Trois conclusions préliminaires peuvent, d'ores et déjà,
recevoir l'assentimeiit de la Cour :
ï) La Convention de La Havane sur l'asile prescrit le respect

de la faculté, reconnue à 1'Etat accordant l'asile, de qualifier
la nature du délitdu réfugié, se1011l'ensemble de son droit national,
c'est-à-dire ses coutumes (z<sos),lois et conventions.
ii) La Convention de La Havane de 1928 sur l'asile prescrit à
son article 2, paragraphe I, une règle dont le but, ratio legis, est
la solution d'un conflit de compétence juridictionnelle entre deux

souverainetés sur l'exercice du droit d'asile.
iii) Le système juridique qui est à la base de l'institution amé-
ricaine de l'asile empêche que l'État requérant et l'Etat requis
puissent exercer en mêmetemps une faculté identique concernant
la qualification de la nature du délit du réfugié.3j2 RÉPLIQUE DU COUVERNE>IENT COLOMBIEN (20 IV 50)

F) OBSERVATION CONCERNANT LES GARANTIES NÉCESSAIRES POUR
LA SORTIE DE M. V~CTOR RAULHAYA DE LA TORRE EN TERRI-
TOIRE ÉTRANGER

53. - Le Gouvernement de la Colombie a soutenu sur ce point,
dans son Mémoire(paragraphes 32 et suivants), les thèses ci-aprés :
a) Une fois exercéela faculté de l'État accordant l'asile, la quali-
fiqation de la nature du délit du réfugiédoit êtrerespectée par

1'Etat territorial, ainsi qu'il ressort de l'articz, paragraphe I, de
la Convention de La Havane sur l'asile :
rL'asile des criminels politiques sera respecté dans la mesure
dans laquelle, comme un droit ou par tolérarice liumanitaire,
l'admettraient la coutume (zisos)les conventions ou les lois du
pays rie refuge et d'accord avec les dispositions suivantes.i,

b) Ce serait« dépouiller letraité d'une grande part de sa valeur »
(Mémoire,page 33) que de permettre à I'Etatterritorial de mécon-
naître la qualification à laquelle a procédé1'Etat accordant l'asile
et surtout de refuser les garanties nécessaires pour que le réfugié
puisse se rendre en territoire étranger. Or, d'après la jurisprudence
internationale citée dans notre Mémoire, aUne interprétation qui
dépouillerait le traité....d'une grande part de sa valeur ne saurait

êtreadmise II(C. P. J. I., Avis consultatif na 7, page 17).
c)L'asile diplomatique ou interne ne constitue par lui-même
qu'une étape prélimiiiaire en vue de l'octroi de l'asile territorial
aux réfugiés.La différence entre l'asile diplomatique et l'asile
territorial est uniquement d'ordre pratique, puisque dans le premier

cas aussi bien que dans le second, le réfugiéest mis sous la sauve-
garde d'autorités étrangèresqui l'accueillent afin de le soustraire à
une persécution injuste dont il pourrait être l'objet de la part de
l'État territorial.IIserait donc illogique dans la pratique d'accorder
aux réfugiésune protection dans une ambassade ou légation et de
ne pas lui permettre de se rendre en territoire étranger, ainsi qu'il
est prévu à l'articl2, alinéa3, de la Convention di: La Havane de
1928 sur l'asile :

oLe Gouvernement de l'État pourra exiger que le réfugiésoit
mis hors du territoire national dans le plus bref délai possible :
et i'ageiit diplornatique du pays qui aurait accordé l'asilepourra
à son tour (de son côté)exiger les garanties iiécessairespour que
le réfugiésorte du pays, l'inviolabilité de sa personne étant
respectée.11
54. - Le Gouvernement du Pérou voudrait rkpondre par des

subtilités grammaticales et juridiques à notre thèse.
En premier lieu, le Contre-Mémoire fait mention d'une opinion
de M. Hector Lira (pages 144 et 145). laquelle,malgré la valeur et le
talent de son auteur, ne pourrait, en aucun cas, êtreconsidérée
comme une interprétation authentique de la Corivention de La RÉPLIQUE DU GOUVERNEMENT COLOMBIEN (20IV 50) 353

Havane de 1928 sur l'asile. D'autant plus que dans le passage
cité, M. Hector Lira se borne tout simplement à constater que la
doctrine brésilienne sur l'asile a subi des variations, pour ce qui
est de ses principes et de son application, pendant les années1924
et 1925.
Ensuite, le Contre-Mémoirefait état de la conclusion à laquelle
aboutit MlleFelice Morgenstern, dans un article publiéen 1948 par
The British Year Book of International Law. Ce passage n'apporte
pas un argument plus solide que le précédent. On se demande
l'autorité que cet article pouvait bien présenter pour fixer la portée
des obligations découlant du droit international américain en

matière d'asile. On pourrait aller jusqu'à estimer que ces citations
d'auteur sont à peine recevables par la Cour à titre d'indices d'une
interprétation quelconque de la Convention de La Havane de 1928
sur l'asile.
C'est en alléguant ces arguments auxqiiels nous avons fait allu-
sion, et en se référant à une décision de la Cour permanente de
Justice internationale dans l'affaire des zones franches de la Haute-
Savoie et du Pays de Gex qui n'invalide pas notre thèse, que le
Contre-Mémoire affirme «avoir réfutéles arguments de caractère
généralque le Mémoirede la Colombie expose sur cette question 1)
(page 147) .n peut dire par conséquent que le Contre-Mémoiredu
Gouvernement du Pérou croit avoir réfuté nos arguments avec

deux citations d'auteurs choisis au hasard dont les textes sont
aussi peu concluants que possible et n'ayant pas, que l'on sache,
d'autorité scientifique dans le présent cas. Mais la Cour trouvera
certainement que la matière du litige dépassela valeur intrinsèque
de ces deux citations.

55.-L'argument principal présentéàla Courpar leGouvernement
du Péroudans son Contre-Mémoireest celui qui a trait à l'expression
a suvez, à son tour,qui figure à l'article 2, alinéa3, de la Convention
de 1928 sur l'asile.
D'après le Contre-Mémoire, l'expression n su vez signifierait

que l'article établit, en ordre successif, deux facultés: la première,
pour l'État territorial, qui pourrait exiger que «le réfugiésoit
mis hors du temtoire national dans le plus bref délai possible n,
tandis que la seconde appartiendrait à l'État accordant l'asile
dans k cas, et dans ce cas seulement, où l'État territorial deman-
derait que le réfugiésoit mis'hors du territoire national. De la
sorte, l'expression a su vez devrait établir une procédure qui,
selon le Contre-Mémoire, pourrait être appelée «à éclielons, où
un pas ne peut se faire sans que le pas précédent ait été fait
par l'autre Etat II(page 148). Le Contre-Mémoire poursuit : (et
nous voyons alors que le Gouvernement de la Colombie saute du
à la demande de sauf-conduit
fait de la communication de l'asile
ou de garanties, sans attendre que le Gouvernement du Pérou
ait exigé la sortie de l'rasilé» de son territoire, exigence sans334 REPLIQUE DU GOUVERNEYEST COLOMBIEN (20 IV j0)

laquelle le Gouvernement colombien manque de base légale pour
demander soit le sauf-conduit, comme il l'a,fait au début, soit les
s garanties »,comme il le fait dans sa requête ».
Remarquons tout d'abord que, dans l'énoncéde cette thèse,
le Contre-Mémoire met en évidence, d'une façon exclusive, la
signification de a su uez, c'est-à-dire à son tour II.Ainsi, cette

expression considérée isolément, hors de son contexte et dans
le sens de «rang successif », lui permet de tirer des conclusions
juridiques hasardeuses que le texte examiné dans son ensemble
n'autoriserait pas. En voici un exemple : RA son tour, dif le
texte, c'est-à-dire après ; après que le Gouvernement de l'Etat
[territorial]aura exigé son départ [du réfugié] dans le plus
bref délai. » (Contre-Mémoire, page 148, in fine.) Pourquoi en
serait-il ainsi? Pourquoi faut-il séparer l'expression a su vez de
son contexte pour lui donner une des acceptions du dictionnaire ?

En effet, le dictionnaire de l'Académie espagnole(huitièmeédition,
1933) établit que l'expression a suvezpeut avoir dans une deuxième
acception le sens de : por su parte, sefiaradamente.
Mais il est hors de doute que pour obtenir une saine inter-
prétation juridique, l'analyse d'un texte ne doit pas être faite
sur la base d'un mot, exclusivement, ou d'une expression prise
isolément et détachée de son contexte. On sait que les mots
remplissent dans l'oraison une fonction déterminée, qui peut

bien ne pas coïncider avec une des acceptions qui figurent dans
le dictionnaire, et c'est pour ce motif que la jurisprudence inter-
nationale a condamné cette méthode, sans .hésiter: cC'est le
contexte », a dit la Cour permanente de justice internationale,
« qui est le critère». (C. P. j. I., Avis consultatif no 2, page 34.)
Et si l'on examine attentivement la rédaction de l'article 2,
paragraphe 3, de la Convention de La Havane, on constate que
de,ux propositions y sont contenues, à savoir, celle concernant

l'Etat territorial et celle ayant trait à l'État accordant l'asile,
qu'il convient de préciser dans le texte original :

Première proposition :
rEl Gobierno del Estado podri exigir que el a~iladosea puesto
fuera del territorionacional dentro del mas breve plazo posible; 1)

Deuxième proposition :

cy el agente diplomatico del pais que hubiere acordado el asilo
podra a su vez exigir las garantias necesariaspara que el refugiado
salga del pais respetandose la inviolabilidad de su persona. n

Il y a lieu de relever, aussi, que dans le texte original ces deux
propositions sont séparées parun point et virgule. Le mot espagnol
y (en français aet ») a pour fonction de signaler que l'agent
diplomatique a su vez, à son tour, peut exercer la faculté dont il
s'agit. Ceci explique quela deuxièmeproposition soit accompagnée KÉPLIQUE DU GOUYERYEMENT COLOMBIEN (20 IVjo) 355

de l'expression a szcuez,« à son tour IIafin dc caractériser le paral-
lélismedes deux facultés et leur corrélation. Il est donc tout à fait
inexact de dire que l'article 2, alinéa 3, de la Convention de La
Havane de 1928 sur l'asge établit une procédure « à échelons n,
par laquelle l'actipn de l'Etat accordant l'asile serait subordonnée
à la requêtede 1'Etat territorial demandant que le réfugiésoit mis
hors de son .territoire. 11 est, par contre, logique de penser que
l'une e; l'autre de ces facultés s'exercent séparément,c'est-à-dire
que l'Etat territorial peut avoir des motifs pour demander ou
non la sortie du réfugiéet qu'il en est de même, à plus forte raison,

pour 1'Etat accordant l'asile.
La Cour nous permettra, en effet, d'insister sur les conséquences
juridiques et pratiques qui pourraient découler de la, thèse du
Contre-Mémoire péruvien, d'après laquelle ce serait 1'Etat tern-
torial, c'est-à-dire l'État qui est censé poursuivre injustement
le réfugié,qui pourrait, seul, exiger la sortie du territoire. Une
telle doctrine - si elle prévalait - aurait pour effet de vider de
tout son contenu l'institution de l'asile, et de transformer l'asile
diplomatique, par nature temporaire, en un refuge indéfini.

56. - C'est à ce propos que le Contre-Mémoire invoque le pré-
tendu danger pour l? souveraineté nationale résultant de la
faculté accordée à 1'Etat requérant par l'article 2, alinéa 3, d?
la Convention de La Havane de 1926 sur l'asile.

iiAinsi, dit le Contre-Mémoire,i'l est évident que ce serait pour
un Gtat une véritable limitation de sa souveraineté que de se
voir obligéd'autoriser, contrairement à son point de vue, la sortie,
de son territoire, d'une ses nationaux, sur l'exigencedu représen-
tant diplomatique d'une autre Puissance.» (Page 146.)
Cette objection nous semble avoir étéconçue eu égard à une

situation juridique irréelle, qui n'est pas celle des Parties, et qui
ne tient compte du droit d'asile tel qu'il est régipar les normes en
vigueur. 11est difficile de supposer qu'il n'existe pas ici de règle de
droit international et qu'en conséquence le Gouvernement de la
Colombie ait pu fixer à sa guise la démarche de son agent diploma-
tique à Lima, en vue d'obtenir les garanties indispensables pour la
sortie di1 réfugié,l'inviolabilité de sa personne étant respectée.
Pourtant, on risque de tomber dans l'erreur par la lecture du
passage cité précédemment et en particulier par l'expression

finale, «sur Z'exigenced'un représentant diplomatique d'une autre
Puissance >i.« Exigence in'est pas le mot qui convient à l'exercice
'd'une fonction juridique, déterminée par une disposition du droit
conventionnel en vigueur entre les Parties, à savoir, l'article2,
paragraphe 3, de la Convention de La Havane sur l'asile de 1928.
On s'aperçoit immédiatement que l'objection ainsi formulée
constitue une simple remarque dénuée detout fondement juridique.
Elle exprime, cependant, une tendance qui est visible dans le
Contre-Mémoire et dont le but nous paraît être de vouloir.présenter356 REPI-IQUE DU GOUVERNE-\IEST COLOJIBIES (20 IV 50)
les démarches accomplies par l'agent diplomatique de la Colombie

à Lima, dans le cas de l'asile de hl. Victor Ratil Haya de la Torre,
comme une iiintervention s abusive dans une affaire qui ne serait
pas régléepar le droit international. Ici, encore, l'argumentation
du Contre-Mémoire n'est pas préciséeet elle ne se soucie guère de
constater l'existence de la Convention de La Havane elle-~nême
et de l'ensemble de ses dispositions, mais plus particulièrement de
celles qui sont contenues à l'article2 de cet instrument.
Par ailleurs, nous assistons depuis un siècleà une transformation
profonde des règles juridiques de la communauté internationale,
et pour répondre aux besoins nouveaux les plus pressants, des

règles nouvelles ont étécréées,qui n'ont cesséd'enrichir le droit
international, (Voir Nicolas Politis : Les nouvelles tendances du
droit international, Paris, 1927.) Jadis, l'on pouvait soutenir que la
vieinternationale était indéterminéequant à ses formes d'organisa-
tion collective. Mais la communauté des États a trouvé nécessaire
d'accepter certaines règles ayant pour objectif la réalisation d'un
idéal de civilisation et de bien commun, et plus particulièrement
la défense des droits fondamentaux de l'homme sur le plan inter-
national. Tel est bien le cas des nombreuses chartes et traités
multilatéraux aui ont limité dans ce but la comuétence absolue de

l'État.
Du reste, on ne peut pas parler d'«intervention I),ni d'uexi-
gence d'un représentant diplomatique d'une autre Puissance 1).
comme le fait le Contre-Mémoire, au sujet de l'asile interne (pages
143, 146 et 150) lors u'on a souscrit des obligations donnant lieu à
des facultés pour les % tats contractants et dont l'exercice normal
ne peut, dans ces conditions, se confondre avec un « abus de droit 1,.
Le Gouvernement du Pérou ne doit pas non plus l'estimer par
suite des obligations qu'il a librement consenties en matière d'asile.
La jurisprudence internationale a bien précisé cette notion que la

conclusion d'un traité n'est pas pour 1'Etat le signe d'un abandon
de sa souveraineté :
rLa Cour, se refuse à voir dans la conclusion d'un traité
quelconque, par lequel un Etat s'engage à faire oiià ne pas faire
quelque chose, un abandon de sa souveraineté. Sans doute, toute
convention engendrant une obligation de ce genre apporte une
restriction i'exercicedes droits souverains de l'gtat, en ce sens
qu'elle imprime à cet exercice une direction déterminée.Mais la
facultéde contracter des engagements internationaux est précisé-
ment un attribut de la souverainetéde i'Etat.n(C.P. J. 1.affaire
du vapeur Wimbledon, SérieA, no 1, page 25. Voir également :.
Avis consultatif noIO,échange despopulations grecqueset turques,
page 21.)

Enfin, alors même que l'asile pourrait constituer un cas d'ccinter-
vention r,il y aurait lieu justement de remarquer, avec le professeur
Georges Scelle, que «l'asile, somme toute, se présente comme uiie
forme d'inter~ention, et si en règle généralel'intervention estprohibée, il est des cas où elle se produit et se justifie pratiquement,
notamment lorsqu'il s'agitde I'inten,entioii d'humanité(v. Rougier :
La théorie de l'interventionhumntiitaire, R. G. D. 1.P., t. XI'II,
1910, pp. 468 et sqq.) 1)'.

57. - En droit international américain,on a toujours reconnu à
la coutume en matière d'asile une autorité particulière.

Deux motifs pourront expliquer cette situation :
a) d'une part, l'absence, jusqu'en 1928, d'une réglementation
généralede l'asile dans le droit conventionnel américain pour

l'ensemble des pays de ce continent. Ce fait seul, hormis les réfé-
rences à la couhme dans les traités sur l'extradition et l'asile, fut
de nature à donner une réelleimportance au droit coutumier ; et

6) d'autre part, le défaut d'une jurisprudence internationale sur
l'asile. Ni les tribunaux ou commissions d'arbitrage institués en
Amérique, nipar ailleurs la Cour de Justice de l'Amériquecentrale,
qui fut de courte durée, nefournirent d'élémentsd'appréciationsur

le droit d'asile.
Ce caractère spécifiquedu problème de l'asile en droit interna-
tional américain devra retenir l'attention de la Cour.

58. - Le Gouvernement de la Colombie, dans ces conditions,
estime utile de soumettre ci-après à la Cour une documentation
aussi objective que possible sur la coutume américaine en matière
d'asile, et à cette fin de lui présenter un résumé des principaux cas

d'asile survenus dans les pays du Nouveau Continent. La Cour

' Voici le texte d'une partie de la cammunicatinn faite par Ic professeur
Georges Scelle à la Revriegdndndra le droit intemalional pirblic1912. pp. 623 elsqq.:
xLa pratique de l'asile, tout au mains de ce que certains auteunoppellent
l'asile interne,se présente comme une des particularitk du droit inter-
national américain.
....les motifs qui justifient en pratique l'usage <le l'asile srencontrent
parfois en Orient, en Asie, en Amérique surtout. II se peut qu'il sufise d'un
répit accordé aux fugitifs. pour les arracher au sort cruel qui Ics menace
et apaiser les passions du vainqueur. Avec les luttes intestines et Içç r6vo-
lutions endémiques. l'utilité de l'asile renait. et indéfendable en droit inter-
national et au point de vue théorique. il se justifie au 'point de vue huma-
nitaireen droit des gens loti' senri'. L'asile, somme toute, se présentccornme
une forme d'intervention. et si en r&gle générale l'intervention est prohibée.
il est des cas où elle se produit et se justifie pratiquement. notamment
loisqu'il s'agit de l'intervention d'humanité (v. Rougier : La lhdoric de
i'inlerumtion hi'maniloire, R. G. D. 1. P., t. XVII, igio, pp. 468 et rqq.).
C'est pourquoi l'asile a persisté dans les pays neufs. chez des nations jeunes
et ardentes dotées avant maturité politique d'un parlementarisme sans
freinoù lu conquete du pouvoir se présente sous l'aspect d'unelutte brutale
d'appétits et se traduit par des conflits cndérniques. Et c'est pourquoi i'asile
est resté l'une des particularit4s du droit public internntiond des nations
latines d'Am6rique. i>355 RÉPLIQUE DU GOUVERKEYENT COLOYBIEX (20 IV j~)

remarquera certainement que, d'une manière générale,les États
d'Amérique ont accepté le principe de la qualification par l'État
accordant l'asile, ainsi que la règle suivant laquelle il appartient à
1'Etat requérant, quand il le jugera opportun, de deniander à l'État
territorial les garanties nécessairespour que leréfugiésorte du pays.

jq. - Le résumé descas auxquels nous faisons allusion est le
suivant :

1

ARGENTINE

En 1931, l'Argentine donna toutes les garanties à l'ambassade
d'Espagne lorsqu'eile accorda asile au Président Irigoyen.
En 1946, l'Argentine réclama et obtint les garanties nécessaires
pour la sortie de Bolivie de 13 rasilés» dans son ambassade à
La Paz, lors de la révolution contre Villaroel.

En 1949, quand le députéRodriguez Araya reçut asile àl'ambas-
sade de l'Uruguay à Buenos-Aires, le Gouvernement argentin lui
accorda un sauf-conduit pour sortir du pays dans les 24 heures.

En 1874, ilfilf. Criales et Poso furent accueillis à l'ambassade des
États-Unis à l'occasion de la révolution qui eut lieu au cours de
cette année.

En 1946, le Gouvernement de Bolivie accorda des sauf-conduits à
NbI. Otazo, Zuazo, Tapia, Claro et Paz, aasilésnà l'ambassade du
Venezuela et à d'autres politiciens réfugiésdans plusieurs missions
diplomatiques de l'Amérique du Sud.

En 1920,le 16juillet, le ministre des États-Unis Maginnis accorda
asile à l'ancien Président de la République Guerra, ainsi qu'à quel-
ques-uns de ses ministres. Toutes les missions diplomatiques accré-
ditées à La Paz, à l'exception de celles du Chili et de la France,
accordèrent asile à plusieurs réfugiés,par la même occasion.

En 1930, pendant la révolution qui eut lieu au (cours de cette

année, presque toutes les missions diplomatiques étrangères à
Rio-de-Janeiro accordèrent asile à plusieurs citoyens brésiliens
poursuivis.
A cette occasion, le Gouvernement brésilienrespecta entièrement
leur droit d'asile. Le Conseil fédéral.par sa déclarationdunovem-
bre 1930. a reconnu expressément que : aIl doit êtrepermis aux
réfugiéspolitiques dans les ambassades et légations étrangères,
conformément au droit international, d'abandonner le pays, du RÉPLIOUE DU GOU~EHSE>IEST COLO>IRIEX (20IV jo) 359

moment qu'ils ne se dirigent pas vers les États limitrophes di1
Brésil.n

En 1933, plusieurs cas d'asile furent accordéspar I'ambassade
d'Espagne à Rio-de-Jaiiciro.

En 1891, les partisans dc Balmaceda se réfugierentdans diverses
légations, entre autres celles d'Espagne et des Etats-Unis d'Amé-
rique. Le nouveau Gouvernement chilien, alléguantque les réfugiés

et leurs amis abusaient du droit d'asile, fit surireiller ces deus
Iégations et la surveillance se prolongea malgré les réclamations
des deux ministres. hIais finalemeiit, l'asile setermina par l'einbar-
quement des réfugiés sur un navire des États-Unis, leYorktown.

En 1933. durant la ré\~olutionqui s'est produite au cours dc cette
année, le Président AIontero obtint asile à l'ambassade d'Argen-
tine à Santiago, et I'ambassade d'Espagne donna en mêmetemps
asile à l'ancien Président du Chili, le docteur Arturo Alessandri.

En 1904, le Gouverneur Cuesta reçut asile au consulat des États-
Unis, et II autres personnes au consulat d'Italie.

En 1945, des sauf-conduits furent accordés à XI&I.Enriqiiez,
Vasquez et Iriarte Ramirez, (asilés1)à la Iégation du Venezuela.

EQUATEUR
En 1840, le généralGuilherme Franco reçut asile sur le navire
de guerre pémvien Tumbas, qui leva l'ancre et partit pour le port

du Callao.
En 1850, le 21 juillet, l'ancien Présidentde l'ÉquateuM. Roca.
dont le gouvernement fut renversé par un mouvement révolutio~i-
naire, fut condamné h la prison. Ayant repris sa liberti? le 23 du
mêmemois, il obtint asile au consulat de la Nouvelle-Grenade
; (aujourd'hui la Colombie), et plus tard à celui des Ékats-Unis.

En 1859, AI. Garcia Moreno obtint asile à Guayaquil, à bord
du navire péruvieii Amazo?zas.

En 1885, le Président de la République, M. Antonio Borrero, et
soli ministre de l'Intérieur, le généralSalazar, reçurent asilà la
légation de Colombie.
En 1906, le Président Garcia reçut asilà la légationde Colombie
à Quito.

En 1911, le journaliste équatorien Eduardo Rlera se réfugia à
la Iégation du Chili à Quito. En 1946,le Gouvernement permit le départ de M. Luis Maldonado
Tamayo, « asilé11à l'ambassade du Venezuela.

En 1870,au mois de mai, 31.Corbett,miiiistrede Grande-Bretagne
près le Gouvernement du Guatemala, donna asile à l'homme poli-
tique bien connu, Granadas, poursuivi pour rébellion.Le ministre
des Affaires étrangères, en demandant à M. Corbett s'il avait

accordé protection à ce réfugié,n'obtint aucune réponse, et fut
prévenu911'il n'yauailpas lieu de lzti donner desexplications concer-
nant c6 qiti se passait dans L'édificdfc représentant deSa Majesté
brita~miqtre. Un certain nombre de soldats surveillèrent alors
les abords de la résidence de hl. Corbett. Finalement, Granadas
obtint le permis nécessairepour abandonner le pays.

En 1920, plusieurs réfugiéspolitiques furent reçus à la légation
d'Espagne.
En 1944, hlRI. Santizo, Perales, Monzo et autres asilési1dans
différentes ambassades, reçurent leurs sauf-conduits.

En 1945. le Gouvernement accorda des sauf-conduits pour sortir
du pays à MM. Aguilar, Martinez, Del1 Acua Eguizabal, Gonzalez
Lopez et Ariza, qui avaient demandk asile àl'ambassade du Nicara-
gua, et à AIM. Luna, Quifiones, Mendizabal Mansilla et Cuellar

Garcia, qui avaient demandé asile à I'ambassade du Salvador.
En 1947.AI.Castafieda Duarte, «asilénà l'ambassacledu Salvador,
reçut un sauf-conduit.

En 1948,MAl.Pimeritel, Ramirez et Paiz, iasilés1dans lesambas-
sades du Brésilet de l'Équateur, sortirent du pays.
En 1949, le Gouvernement accorda des sauf-conduits pour soriir
du pays à un certain nombre d'iasilési,: 13 à l'ambassade du

Salvador, un à l'ambassade du Brésil,un à l'ambassade d'Argen-
tine, un à l'ambassade du Chili, deux à la légation de Colombie,
un à l'ambassade de Costa-Rica, un à l'ambassade du Honduras,
trois à l'ambassade du Mexique, trois à la Nonciature apostolique ..
et deux à l'ambassade de Panama.

En 1868, à l'occasion d'une réyolution, plus de Ijo personnes
reçurent asile à la Iégation des Etats-Unis à Port-au-Prince, et
le Goui~ernement autorisa leur départ pour New-York.
En 1875,l'ancien ministre de l'Intérieurde Haïti, legénéralLamo-
the, reçut asile à la légation de Graiide-Bretagne. et plusieurs

autres personnes reçurent asile par la même occasion à la légation
des États-~iiis d'Amérique. REPLIQUE DU GOU\~ERXE.\IEXT COLO)IBIEN (20 IV 50) 361

En 1875. le Président Domingue accorda des sauf-conduits à
plusieurs hommes politiques aasilesidans différenteslégations.

En 1876,le Président Domingue reçut asileégalementàlalégation
de France à Port-au-Prince et le Gouvernement lui accorda l'autori-
sation de partir pour laFrancà bord d'un navire deguerre français.

En 1878, le chef de la révolution, le général Tanis,et un rand
nombre de ses partisans, reçurent asile aux légations des ftats-
Unis, de Grande-Bretagne, de France et du Libéria,et le Gouver-
nement leur accorda des sauf-conduits pour partir à l'étranger.

En 1879, à l'occasion de la ré\rolutiondu généralBazelais, celui-ci
et plusieurs de ses partisans reçurent asile à la Iégationde Grande-
Bretagne et partirent à bord du navire de guerre britannique
Boxer.
~IEXIQUE

En 1911, le général PorfirioDiaz fut vaincu et se réfugiaavec
plusieurs de ses partisans à bord du navire de guerre des États-
Unis IVheeling, qui se trouvait dans un port mexicain. et partit
pour les États-~nis.

XICARAGUA

En 1909,le Président Zelaya se réfugiaet partit à bord du navire
mexicain GetzeralGuerrero.

En 1908. le Président Ferreira et ses ministres se réfugièrentà
la Iégation d'Argentine.

En 1911, à Asuncion, plusieurs navires de guerre argentins durent
donner asile à des réfugiéspolitiques.

En 1922, l'asile politique fut également exercéau cours de cette
année par les missions diplomatiques étrangères.
C'est à cette occasion que, l5 juin 1922, les missions diplomati-
ques des pays suivants :Allemagne, Argentine, Espagne, Bolivie,
Brésil, Cuba, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Péroz~ et
Uruguay se réunirent à Asuncion, et signèrent un accord sur les
règlesà suivre en matière d'asile.

PEROU

En 1865,legénéralCanseco reçut asile àla Iégationdes Etats-Unis
à Lima. Le Gouvernement du Président Pezet protesta violemment,
mais cinq mois plus tard les partisans de Canseco le renvershrent et
ce furent Pezet et ses amis qui durent se réfugierà la Iégationde
France et sur plusieurs navires mouillés en rade di1 Callao. Le362 RÉPLIQUE DU GOUVERSE3IEST COI.031BIES (20I\'50)

généralCanseco. oubliant l'asile qui lui avait été accordé aupara-
vant, s'opposa à la reconnaissance du mêmeprivilhge à ses adver-
saires, sous prétextc que ceux-ci avaient commis des délitsde haute
trahison. II fut obligécependant d'admettre l'asile et accorda entin
les sauf-conduits nécessaires.

En 1914, l'asile fut accordépar la Iégationde Bolivie à Lima au
docteur Alberto Ulloa Cisneros.

En 1930, l'asile fut accordé à la légation de Bolivieà Lima au
docteur Alberto Salomon.

En 1936, lin grand nombre de personiles reçurent asile au consulat
du Pérou à Madrid.
En ~ge(, $1. José B.Linares et plusieurs ressortissants guatémal-

tèques reçurent asile la Iégationdu Pérouau Guatemala. Le Pérou,
qui avait accordé l'asile, réclama et obtiiits sauf-conduits néces-
saires (annexe 16 du blémoire colombien).
En 1946, plusieurs membres du Gouverncmeiit du généra\l'illaroel
reçurent asile à l'ambassade du Pérou à La Paz.

En 1948, M. Ricardo Franceschi reçiit asile h I'ainbassade du
Pérou à Panama, et la Iégation du Pérou réclamale sauf-conduit
nécessaire (annexe 17 du Mémoire colombien).
En 1948, le docteur Manuel Seoane reçut asile à l'ambassade du

Brésilà Lima, ?il.Luis Alberto Sanchez à l'ambassade du Paraguay,
Rf?iI.Javier Pulgar Vidal et Julio César Villegas à l'ambassade de
Colombie, 31. Hugo Otero à l'ambassade du Chili, MùI. Xiguel
Gutiérrez Aliaga et Luis Felipe Rodriguez à l'ambassade de l'Uru-
guay. M. Luis Carnero à I'ambassade du Mexique, et 61.Andres
Towsend à l'ambassade du Venezuela à Lima.
Toutes les personnes aasiléesnen 1948 reçurent des sauf-conduits
et purent quitter le pays, bien que certaines d'entre elles, comme
MM. Seoane, Siilchez, Pulgar Vidal, Miguel Gutiérrez Aliaga et
Luis Felipe Rodriguez, chefs du Parti apriste, fusseiit poursuivies,
comme M. Haya de la Torre, par les m&rncsjuges et dans la même

instruction ouverte àl'occasion des événements du Callao.
Les sauf-conduits délivrésà MM.Gutiérrez Niaga et Luis Felipe
Rodriguez figurent en annexe à la présente Réplique (annexe 1).

S.~L\:ADOR

En 1894, plusieurs officiers et soldats reçurent asilà bord du
navire de guerre des Etats-Unis Benwiftgton.
En 1922, le chargé d'affairesd'Espagne accorda asile à plusieurs
réfugiés politiques, entre autres M. Miguel Toinaz Molina.

En 1933, le Paraguay a sollicitéet obtenu des sauf-conduits pour
plusieurs réfugiés. VENEZUELA

En 1935, à l'occasion du décèsdu généralGomez, le ministre
d'Espagne à Caracas accorda asile à la famille du général Garcia,
à l'ex-représentant du Venezuela en Espagne, M. Pérez, et à de
nombreuses personnalités politiques. Le Gouvernement de Caracas
affecta des forces militairesà la sécuritéet à la protectioii des
réfugiéset autorisa leur sortie du pays.
En 1948, le Président Romulo Betancourt obti~it asile à I'am-
bassade de Colombie et, par la suite, le Gouvernement lui permit
de sortir du pays.

En 1948, l'ambassade du Venezuela à Bogota accorda asile à
MM. Joaquin Tiberio Galvis et Hernano Vega Escobar, pour-
suivis par la justice colombienne à l'occasion des événements du
9 avril1948. Ils obtinrent des sauf-conduits pour se diriger vers
le Venezuela.

Les publicistes qui prétendent nier la cobtiime de l'asile en
Amérique latine s'appuient généralementsur une liste de cas où
eurent à intervenir les autorités des Etats-Unis.
Comme le droit d'asile ne doit êtrerespectéque dans la mesure
où il est admis par les ?sages, lois et coutumes du pays qui accorde
l'asile, et comme les Etats-Unis ne le reconnaissent que dans des
cas exceptionnels, le refus ou la concession de l'asile de la part
des autorités des États-Unis ne pourrait servir à établir l'existence
ou l'inexistence de la coutume de l'asile telle qu'elle existe en
Amérique latine.
On peut évidemment citer uiie sériede cas où le droit d'asile lie
fut pas reconnu pas des fonctionnaires des États-Unis, et entre
autres :
a) lc cas de l'ambassadeor Revnolds qui, en 1815, refusa l'asile
à M. Suarez en Bolivie;
b) le cas du ministre E>~tonqui, en1851, refusa l'asile au coloiiel
Arteaga au Chili ;
c) le cas oh, en1866, la légation des États-Unis refusa l'asileail
Président Lo~ez au Pararuav :
d) le cas où en 1693.le Chargéd'affaires auprès de la Répu-
blique dominicaine, Powell, refusa l'asile à plusieurs accusésde
haute trahison.
Rlais s'il-est vrai que, dans les cas énuméréci-dessus, les auto-
rités des Etats-Unis ont refusé d'accorder l'asile à des hommcs
politiques poursuivis dans divers pays de 1'Amériquedu Sud, oti
peut citer entre autres les cas suivants où le droit d'asilefut recoiinu
par des ministres et meme par des consuls des Etats-Unis :

24364 RÉPLIQUE DU GOUTERSEZIENT COLO&lBIEN (20 IV j0)

a) en 184.- en Éauateur, lors de l'asile accordé à Rocafuerte à
Guayaquil ;
b) en 1843, en Argentine, lors de la dictature de Rosas ;
c) en 1849, lorsaue le ministre Clav donna asile à un chef révo-
lutionnaire'i ~imâ ;
d) en 1850, en Équateur, lors de l'asile accordé à Roca ;

e) en 1874. quand la légation des États-Unis donna asile à
Criales et Pino en Argentine ;
f) en 1875, lors de l'asile accordé à l'occasion de la révolution
de Lamothe à plusieurs personnes à Haiti ;
g) en 1877, quand le Gouvernement des Etats-Unis protesta et
obtint réparation pour les incidents qui eurent lieu à Mazatlin
lorsque des soldats s'opposèrent à l'asile accordé par le consulat
des États-Unis au généralArce ;
hl en 1878, lors de l'asile accordé à Haïti à l'i~ccasionde la

révolution du généralTanis ;
i)en 1889, quand l'asile fut accordé à Haiti à Duvivier et à
deux de ses comuaenons lorsau'ils furent accusésde haute trahison :
j) en 18g1, l&sdu cas d'asile accordéau Chili aux partisans de
Balmaceda ;
k) en 1895, quand le secrétaire d'État Blaine exigea la démis-
sion de son ministre Mitzer pour n'avoir pas fait respecter l'asile
accordé à bord d'un navire des Etats-Unis à Barnindia ;
1) en 1895, quand la légation des États-Unis accorda l'asile au
généralSavasti à Quito ;

m) en 1904, lors de l'asile accordé à Cuesta dans la République
dominicaine ;
n) en 1920, lors del'asile accordé en Bolivie à l'ancien Prési-
dent de la République Guerra;
O) en 1922, lors de l'asile accordé à plusieurs personnes à
Asuncion.

III

En dehors de certaines occasions où sont intervenues les autorités
des États-Unis, on ne cite généralement commecas d'opposition
des États américains au droit d'asile que les suivants :

a) Le refus en 1924, par le ministère des Affaires étrangèresdu
Brésil, d'accorder un sauf-conduit au lieutenant aviateur Santos,
réfugié à la légation d'Argentine. Le ministère permit cependant
son départ avec un passeport et un visa délivréspar la mission
diplomatique argentine.

b) Le refus, dans des circonstances analogues, d'accorder un
sauf-conduit à un réfugiéà la légation du Pérou à Rio-de-Janeiro
en 1925. On permit son départ également avec passeport et visa
délivréspar la mission diplomatique péruvienne. RÉPLIQUE DU GOU\7ERSE31EST COLOZIBIES (20 IV 50) 365
c) L'opposition en 1894 du ministre des Affaires étrangèresdu

Brésil contre l'asile accordéà 432 réfugiéssur des navires portu-
gais. L'opposition était fondée sur l'existence d'accusations pour
des actes de piraterie en haute mer, et ce fut surtout le fait de les
avoir débarqués en Argentine et non au Portugal qui donna lieu
aux réclamations postérieures.

d) Les réclamations du Gouvernement du Chili à l'occasion de
l'asile accordéen 1891 aux partisans de Balmaceda. Ces réclama-
tions se fondaient, non sur l'asile lui-même,mais sur l'abus que,
paraît-il, les réfugiésfaisaient du droit d'asile en communiquant
avec leurs partisans. Le Gouvernement du Chili donna du reste
les autorisations nécessaires pour l'embarquement des IIasilés)à
bord du navire des États-Unis Yorktown.

e) L'arrestation par le Gouvernement de la République domini-
caine en 1873 de plusieurs individus au consulat de Grande-
Bretagne. Ceux-ci durent êtremis en liberté aussitôt après, à la
suite des réclamatioiis de la Grande-Bretagne.

f) La protestation du Président Alexis contre l'asile accordé
à Anténor Firmin et à ses partisans par le Corps diplomatique à
Haiti en 1908. Le Gouvernement menaça de se saisir des rkfugiés
par la force, mais l'Allemagne, la France et l'Espagne se inirent
d'accord pour envoyer quelques croiseurs dans les eaux haïtiennes
et obtinrent des explications satisfaisantes.

S'il est vrai que, par la suite, les Gouvernements des Etats-
Unis, de la France et de la Grande-Bretagne déclarèrentque doré-
navant e ils n'accorderaient plus d'asile aux citoyens haïtiens »,
ce fut parce que les révolutions devinrent si fréquentes en Haiti
que le mémeministre des Affaires étrangèreset plusieurs membres
du Gouvernement. qui avaient protesté à l'occasion de l'asile
accordé à Firmin, durent se réfugier quelques semaines plus tard
aux consulats de France, d'Allemagne et des États-Unis.

60. - La coutumc, ainsi que les conventions américaines en
matière d'asile, ont reçu une application bien connuc pendant la
guerre civile d'Espagne de la part de nombreux Ctats d'Amé-
rique et d'Europe.
11serait superflu de rappeler àla Cour l'historique de ces événe-
ments, ainsi que les conditions mêmesdans lesquelles cette appli-
cation de l'asile eut lieu en Espagne. Le fait que nous tenons à
signaler, fait dont l'importance ne pourrait étre contestée pour
l'examen de la matière du litigc, est celui de l'extension, pendant
une période de crise institiitionnelle dans un pays européen, du
champ d'application de la coutume et des conventions améri-

caines en matière d'asile.
Nous ne voudrions nullement tirer. de ce fait la conséqiiencc
d'une extension possible du droit d'asile interne à l'Europe, à366 RÉPLIQUE DU GOUVERKEJIEST COLOJIBIES (20'1~j~)

titre permanent. Mais il a été démontrép ,ar cette pratique inter-
nationale, que les droits de l'homme à la vie, à l'intégritécorporelle
et à la liberté, ne peuvent êtresauvegardés, dans certaines condi-
tions, que par l'octroi de liasile diplomatique et par la qualification
de la nature du délit du réfugiépar l'Etat accordant l'asile. Les
pourparlers diplomatiques qui eurent lieu à partir du mois d'oc-
tobre 1936, entre le Gouvernement espagnol et le Corps diploma-
tique accrédité à Madrid, aussi bien que les notes échangéessur
la question des réfugiésdans de nombreuses légations et ambas-
sades étrangères, permettent d'affirmer qu'il fut impossible de
concevoir le droit d'asile sans la faculté de qualifier la nature du

délit du réfugiépar l'Etat accordant l'asile.
Parmi les documents que nous pourrions citer à l'appui de notre
thèse, doit figurer la note adressée le 19 octobre 1936 par l'ambas-
sadeur du Chili àMadrid, M. Aurelio Nunez Morgado, en sa qualité
de doyen du Corps diplomatique et au nom de celui-ci, au ministre
des Affaires étrangères d'Espagne. Dans cette note, on lit notam-
ment : IC...le droit d'asile existait avant la Convention de La
Havane, et il a toujours existé ...».Toutefois, la note à laquelle
nous faisons allusion présente un intérêtparticulier parce qu'elle
défend la faculté, que le Corps diplomatique estimait nécessaire,
de qualifier la nature et les circonstances juridiques des délits

imputés aux réfugiés.Et, dans ce sens, le débat engagépar l'ambas-
sadeur du Chili, M. Agustin Edwards, au Conseil de la Sociétédes
Nations, pourrait démontrer aussi que d'après la conscience juridi-
que de la communauté des États, il est inadmissible que le gouver-
nement de 1'Etat territorial soit en mêmetemps celui qui.détermine
le sort des réfugiés.
En cette occasion, le Gouvernement du Pérou donna connaissance
de son point de vue dans le communiqué suivant, qui porte la
date du 21 octobre 1936 :a Le Gouvernement du Ptirou a répondu
favorablement à la consültation relative à une expression de soli-
darité des chancelleries de l'Amérique par rapport au droit d'asile,

et il l'a fait en parfaite communauté d'idéesavec les thèses défen-
dues à Madrid par les représentants diplomatiques de la République
argentine, du Chili et d'autres pays ....Le ministre des Affaires
étrangères du Pérou, se conformant aux instruction:; du Pré,sident
de la République, s'est adressé directement au ministre d'Etat à
Madrid, pour affirmer la validité de l'asile diplomatique, lequel
correspond à des principes humanitaires s'appliquant au statut
juridique des Iégations ; il invoque, en outre, le fait que le Pérou a
reconnu traditionnellement un large droit d'asile à la légation d'Es-
pagne à Lima, laquelle en a fait usage en plusieurs occasions, et il
dit enfin que, l'asile étant une doctrine contractuelle en Amérique,
l'Espagne n'y peut pas êtreconsidéréecomme étrangère. I>(Com-

muniqué de l'ambassade du Pérou à Buenos-Aires du 21 octobre
1936, publié dans La Nacidn, no 23.429, de la mêmedate.) RÉPLIQUE DU GOU~ERSEZIEST COLOZIBIES (20 1~ 50)
367
(Voir sur ce chapitre : Carlos Bollini Sha\v : Derechode asilo,
Buenos-Aires, 1937; ministère des Affaires étrangères de la
République argentine : Projet de conventio~zszrr le droit d'asile,
Buenos-Aires, 1937 ;Cuerpo diplomitico acretlitado en La Paz :
Derechode asilo, Gestionretilizada ante el Exmo-Gobiernode Bolivia.

Jzilio-Septiembre de 1946, La Paz, Bolivia ; Hugo Cabral de
hloncada : O asilo interno em Direito InterrzacionalPz~blico,EdiçZo
de Autor, Coimbra, 1946 ; Robin : Le droit d'asileet les négociations
pour sa sf~$pression à HaéYi,R. G. D. 1. P., 1908, XV ; Reale:
Le droit d'asile, Recueil des Cours, op. cit., vol. 63 ; Dictionnaire
diplomatiqzre,tome 4, Paris, Genève, Xew-York, 1949.)

H) OBSER\.ATIOSS SUR LA COUTUZIE GÉSER.~LEZIEST SUIVIE PAR
LA RÉPUBLIQUE DE COLOZIBIE ES AIATIÈRE D'ASILE

61. - Le Contre-Mémoire a fait, au sujet de la coutume géné-
ralement suivie par la République de Colombie en matière d'asile,
quelques allusions tendant à démontrer :

a) que, le 16 février 1885, le secrétaire d'État aux Affaires étran-
gères de la Colombie adressa aux membres du Corps diplomatique
accrédité à Bogota une circulaire aux termes de laquelle <iil leur
déniait le droit d'accorder l'asile aux personnes hostiles au Gouver-
nement et compromises dans la guerre civile de l'année d'avant »
(Contre-.\lémoire. page 128) ;

b) que, 'le12 mars 1892, le ministre des Affaires étrangèresde la
Colombie aurait, par une note diplomatique adressée au chargé
d'affaires de France, exprimé un avis favorable à la restriction du
droit d'asile mème pour les délinquants politiques, comme étant
contraire à la souveraineté et à l'ordre public (Contre-Némoire,
page 129) ;

c) que, lors de la guerre civile d'Espagne et à l'occasion de l'asile
accordé dans ce pays par tliverses ambassades et légations étran-
gères, Il'attitude du représentant diplomatique de la Colombie en
Espagne préseilta des caractères singuliers, en relation avec celle
du Corps diplomatique, ainsi qu'il ressort du rapport de M. Rai-
mundo Rivas, approuvé par la Commission consultative du minis-
tère des -4ffairesétrangèresde ce pays »(Contre-hlémoire,page 151).

62. - Il convient de dire, quant à la première de ces allusions,
qu'elle reproduit les arguments déjà exposés par le ministre des
Relations extérieures du Pérou dans sa note du 19 mars 1949,
no D. 6-814, adressée à l'ambassadeur de Colombie à Lima (Mé-

moire, annexe 6, page 63). L'ambassadeur'de Colombie, dans sa
réponsedu 28 mars 1949, no7319.fournit les éclaircissements néces-
saires quant aux opinions primitivement attribuées au Président
de la République de Colombie en 1885, Rafael Xufiez, dans la note
di1 ministre des Relations extérieures du Pérou, et qui, en réalité.368 RÉPLIQUE DU GOUVERKE'IENT COLOMBIEN (20 IV 50)

appartenaient au secrétaire d'État aux Affaires étrarigères, Vicente
Restrepo. Il est donc important de souligner le paragraphe sui-
vant de la réponse mentionnée ci-dessus :

«Je ne puis pas omettre, maintenant, de me réfiirerà la phrase
que Votre Excellence cite comme prononcée par le Dr Rafael
Nufiez dans le but de démontrer que «la finalité politique de
<certains actes de terrorisme ne peut pas leur conférer la nature
nde délit politique».
En premier lieu, je dois noter que cette phrase n'appartient
pas au Dr Rafael Nufiez, mais à M. Vicente Restrepo, secrétaire
d'État des Relations extérieures, qui, le 16 février 1865, adressa
une circulaire au Corps diplomatique uniquemeiit afin d'éviter
que le manque de paiement des impôts extraordinaires décrétés
à l'occasion de la guerre civile, donnit lieuà l'asile dans les Iéga-
tions. Ensuite, je dois observer que le Gouvernement de la Colombie
ne prétendit jamais soutenir la thèse que V. Exc. lui attribue,
en s'appuyaiit sur la circulaire que V. Exc. cite de manière incom-
plète. Pour s'en convaincre, il suffit de lire dans son intégralité
le texte de la circulaire mentionnée et celui de la note comolé-
mentaire adresséeau Corps diplomatique le 27 février168j, coite-
nant des éclaircissements substantiels, auxquels V. Exc. ne
daigne pas se référer.n (Mémoire,annexe 7, pige 75.)
La Cour remarquera certainement que le Gouvernement du
Pérou n'a pas voulu tenir compte de cette mise au point, dans son
Contre-Mémoire, et qu'il insiste sur une interprétation erronée d'un

fait historique, déjà exposé par lui, sans vouloir se niférer àla note
complémentaire du 27 février 1885 du secrétaire d'État aux Affaires
étrangères de Colombie.
Il nous semble, dans ces conditions, nécessaire et opportun de
relever notre surprise devant cette étrange méthode d'analyser des
faits historiases...aui rét tend écarter une série de circonstances
essentielles pour cette analyse, afin d'aboutir à des conclusions
dénuéesde tout fondement.
Ajoutons simplement que la circulaire de M. Vicente Restrepo,

citée Dar le Pérou, est datée du 16 février 1885. Le 27 du même
mois, ce même fonctionnaire adressait au Corps 8iplomaiique accré-
dité au~rès de son Gouvernement. une nouvelle c~r~ ~ ~reen réoonse
à plus&urs notes que lui avaient envoyées des chefs de miSsions
diplomatiques étrangères. De cette nouvelle circulaire, nous citons
los paragraphes suivants:

n .... bien qu'au fond les points de vue du Gouvernement de
Colombie sont en parfait accord avec la réponse de Votre Excel-
lence en ce oui concerne I'asileaccordédans les hôtels des l"eations
étrangères aux ressortissants nationaux qui interviennent dans
la politique de mon pays, considérant cependant les réserves
auxquelles certains parigiaphes de ma communication à ce sujet
ont donné lieu de la part de Votre Excellence sur l'inviolabilité
de son domicile, je dois déclarer à Votre Excellence que cette
inviolabilité sera respectéed'une manière absolue par mon Gouver-
nement, et que même dans le cas, moralement impossible, où RÉPLIQUE DU GOUVEKXEMENT COLOMBIEN (20 IV50) 369

menacées en raison de cette inviolabilité, il ferait appel pour se
défendre à des procédésqui ne l'amèneraient siirement pas B
passer outre & ces privilèges diplomatiques.
De plus, ma note précédente,que la présente communication
ne fait que compléter, fut dictée en raison d'une dénonciation
reçue par nioii Gouvernement et selori laquelle un Colombien
voulait se prévaloir des immunités reconnues à un drapeau
étranger, pour ne pas êtreassujetti au paiement proportionnel
des emprunts obligatoires, cas qui a vivement surpris mou Gou-
vernement et auquel il se propose de remédier en prenant les
mesures ntcessaires, mais dans les limites prescrites par les tgards
et coutumes internationales.>i(Antonio José üribe: Anales diplo-
maticos y consnluresde Colonzbia,vol. IV, Bogota, page 352.)

63. - Pour ce qui a trait à la note du ministre des Affaires
étrangères de Colombie, M. Marco Fidel Suarez, il nous est facile

de répondre que celui-ci s'adressait le 12 mars 1892 au chargé
d'affaires de France, M. Alexandre Mancini, pour lui transmettre
les informations demandées dans sa note du 5 de ce mois. (Voir
Diario Oficial de la République de Colombie, no 8758, 3 avril 1892.)
M. Mancini avait demandé à M. Suarez l'opinion du Gouvernement
de la Colombie sur le droit d'asile en général, à l'occasion d'une
controverse diplomatique engagée entre les États-Unis d'Amérique
et le Chili sur cette question. Le ministre des Affaires étrangères de
Colombie considéra alors opportun de faire remarquer au chargé
d'affaires de France à Bogota, qu'il avait seulement l'intention de

lui transmettre une opinion, et non pas l'avis définitifde son gouver-
nement. «Jenevois $asd'inconvércientd , it-il, dprésenteràVotreExcel-
lence un résumédes idéesdemon Gozcvernementsur cesujet, lesqz6elles
naturelleme~ztconstituent une o$inion et non pas I'adoptiond'unerègle
obligatoire11(Diario Oficial, etc., op. cit.). Danscet esprit, M. Suarez
formule une opinion qui ne peut avoirle sens d'une négationdudroit
d'asile, ainsi que leContre-Mémoire voudrait le faire croire (page129).
Il envisage, par contre, les difficultés qui s'opposent à l'application
de l'asile aux délinquants politiques, ainsi que les moyens d'y

faire face.
64. - Dans cet ordre d'idées, le Contre-Mémoire prétend que
<il'attitude du représentant diplomatique de la Colombie en Espagne
présenta des caractères singuliers, en relation avec celle du Corps

diplomatique~r (page 151). Pour formuler un telargument, lecontre-
Mémoire fait état d'un rapport de hl. Raymundo Rivas, soumis à
la Commission consultative du ministère des Affaires étrangères de
Colombie et approuvépar celle-cile 7 septembre 1937. Il y a lieu de
faire remarquer à la Cour que cet argument, tel qu'il est présenté
daris le Contre-Iflémoire; semble en opposition avec un texte cité
dans le même document (annexe 52). à savoir la réponse adressée
par la République de Colombie, en mêmetemps que par les autres
Ftats américains. à un mémorandum du Gouvernement du Chili370 RÉPLIQUE DU GOUVERNEI.IENT COLOMBIEN (20 IV50)

sur la question du droit d'asile pendant la guerre civile d'Espagne
et dont le texte est le suivant :I(Le Gouvernement de Colombie ....
partage le point de vue de la Chancellerie chilienne sur le sens et la
portée de ce recours à propos duquel les pays américains fixèrent
leur critérium lors des Conférencesde La Havane et de Montevideo
par desconventions inspiréespar de profondes raisons humanitaires,
approuvées et ratifiées par la Colombie ....Le principe de l'asile
représente noblement les sentiments de l'Amérique il(annexe 52
du Contre-Mémoire). En outre, le document oublie, lorsqu'il

fait une référencepartielle du rapport de M. Raymundo Rivas,
d'attirer l'attention de la Cour sur le texte complet de celui-ci.
Nous nous permettons, par conséquent, de fournir à la Cour les
conclusions du texte dont il s'agit:
iEn synthèse, et considérant que la conscience juridique de
l'Amériques'est clairement prononcéeen faveur du droit d'asile ;

'contre cette institutiontconsidérant aussiqu'il convient de coopé-
rer aux mesures tendant à former l'âme continentale en faisant
un geste de bonne volonté enversla chancellerie de l'Argentine,
qui est intéressée ausuccèsdu projet de convention sur l'asile,
la sous-commissionvous propose de dire au ministre des Affaires
étrangères que la Commission consultative estime qu'il n'y a
aucun inconvénient à ce que le Gouvernement de la Colombie
accepte et signe, le cas échéant,la convention dont il s'agit.»

De ce texte, il ressort que la Commission consultative du
ministère des Affaires étrangères était d'avis de recommander au
Gouvernement de la Colombie le projet de convention sur le
droit d'asile proposé le 27 juillet 1937 par le ministère des Affaires

étrangèresde la République argentine. Ainsi, le rapport, considéré
intégralement dans son contexte, fournit des éléments pour le
présent litige qui vont à l'encontre des conclusions du Contre-
Mémoire du Gouvernement du Pérou.

6j. - Enfin, le Contre-Mémoire fait état d'un chapitre du
livre : Le Panaméricanismeet le droit international, écrit en 1929
et publié au début de 1930 par l'agent de la République de
Colombie auprès de la Cour internationale de Justice. Dans le
chapitre cité par le Contre-Mémoire, l'auteur dit que nmême en

Amérique latine, l'asile tend à disparaître à mesure que ces peuples
sortent de la période agitée des guerres civiles, qui le rendaient
nécessaire pour des raisons d'humanité II.Ceci a &téécrit avant
que la crise mondiale des années 1929 et suivantes n'ait eu les
profondes répercussions qu'elle devait avoir, par la suite, sur
la structure politique et économique du monde entier, surtout
dans les pays de l'Amérique latine. Une série de révolutions et
de coups d'Etat ébranlèrent les institutions constitutionnelles des
pays latino-américains, avec les plus graves conséquences pour
le maintien et le respect des droits fondamentaux de la personne KÉPLIQUEDU GOUVEKSEYEST COLOUBIES (20 IV jo) 371

humaine. -4ussi la pratique de l'asile, que l'on pouvait croire
jusqu'alors en déclin, dut-elle êtrerétablie dans des proportions
jamais atteintes auparavant. Quelques années plus tard survint
la guerre civile d'Espagne, dont le caractère d'atrocité et de
cruauté rendit encore plus nécessaire l'asile pour sauver la vie
de centaines et de milliers de personnes qui demandèrent la
protection diplomatique aux légations et ambassades étrangères
accréditées à Madrid. Quand l'auteur de ce livre écrivait en 1929
que l'asile tendait à disparaître, il n'était pas possible de prévoir
les profonds changements qui se produiraient bientôt. 11 a été,
peut-être,.un mauvais prophète. C'était là un optimisme que,

malheureusement, les faits n'ont pas justifié. Et, comme on l'a
très souvent observé, les faits sont plus têtusque toutes les for-
mules de l'esprit. D'ailleurs, l'auteur lui-même reconnaissait
qu'il ne représentait qu'une minorité en Amériquelatine, puisque
les nombreux auteurs et publicistes qu'il citait étaient, déjà en
1930, d'un avis opposé. Et il ajoutaià la fin du chapitre reproduit
dans le Contre-Mémoire : aComme conclusion, donc, de ce que
nous avons dit jusqu'ici, nous pouvons affirmer que la convention
sur l'asile s'inspire des plus respectables principes d'humanité et
de la pratique généralede beaucoup de peuples anciens et modernes.
L'histoire de l'Amérique latine est remplie de cas où l'asile a
servi pour sauver d'une mort imminente des personnages poli-

tiques poursuivis par des meutes ivres de sang et de haine, per-
sonnages considérables qui plus tard sont parvenus à rendre
d'immenses services à leur patrie. 1,
Le grand bouleversement que ces événements et surtout la
deuxième guerre mondiale de 1939-1945 ont causé dans la con-
ception du droit et de la vie humaine elle-mêmedevait déter-
miner uii changement radical dans la conception des juristes
de toutes les écolespour envisager les problèmes du droit inter-
national. Tout a changé dans les dernières décades,qui comptent
parmi les plus mouvementées et les plus malheureuses de l'histoire.
Le droit d'asile qui, en 1930, pouvait s'acheminer vers une dispa-
rition parce qu'inutile, est devenu aujourd'hui plus nécessaire

que jamais à la suite du désarroi politique, économique, social
et spirituel que la secousse cosmique de la dernière guerre a
provoquée dans tous les peuples du monde. Ceci est tellement
vrai que le mêmeauteur du livre publié en 1930 - cité par le
Contre-Mémoire - a proposé en 1g49 à la Commission de droit
international des Nations Unies, dont il est membre, que le droit
d'asile cesse d'etre une institution exclusivement latino-amén-
caine pour devenir une institution Œcuménique destinée à sauve-
garder la vie et la liberté des persécutés pour desmotifs politiques,
religieux ou raciaux dans tous les pays de la terrc, sans discri-
mination d'aucune sorte. Il semblerait juste que, si l'on invoque

l'autorité scientifique de cet auteur pour rappeler qu'en 1g30
il croyait que le droit d'asile tendait à disparaitre mrme enAmérique latine. on lui reconnaisse cette mêmeautorité lorsqu'il
affirme, comme il l'a fait à la Commission de droit international
des Nations Unies, que le droit d'asile se justifie plus que jamais
à l'époque contemporaine, lorsque l'humanité vit et souffre dans
un monde qui n'est plus le mPme sous aucun rapport que celui
de 1930.

1) OBSERII~TIOSS COSCERSAXT L'ATTITUDE DU C;OUI'ERSEMENT
DE LA RÉPUBLIQUE DE COLO~~IB DIANS L'OCTROI DE L'ASILE A
R.1.V~CTOR RA~~L HAYA DE LA TORRE

66. - Le Contrc-Mémoiredu Gouvernement du I'éroua formulé
un jugcmcnt grave sur l'attitude adoptée par le Gouvernement
de la Colombie le 3 janvier 1949, lorsque M. Victor Kahl Haya de
la Torre prit refugeà son ambassade à Lima.
Cejugement a étéportédans maints passages du Contre-Mémoire,
et, notamment, aux pages 142, 147,153, 154 et 156.L'ensemble de

ces opinions nous semble avoir étérésumédans le dernier alinéa des
conclusions préliminaires du Contre-Mémoire, où on lit ce qui sui:
« La qualification provisoire d'aasil» politique du sieur Haya de
la Torre par l'ambassadeur de Colombie à Lima était hâtive et
injustifiée, puisque l'urgence requise par l'articleparagraphe 2,
premièrement (inciso firimero),de la Convention de La Havane
n'existait pas.I(Contre-Alémoire,page 163.)

67.- Le Gouvernement de Colombie constate, tout d'abord,
que dans la correspondance diplomatique qui suivit l'octroi de
l'asileà M. Victor Raul Haya de la Torre, le Gouvernement du
Pérou n'avait jamais oséformuler avec autant de franchise que
de confiance dans ses propres arguments, des opinions sur al'abus
de droit » et la« violation de la Convention de La Havane ,iainsi
que des a droits souverains du Pérou n,de la part de l'ambassadeur
qui avait accueilli ce réfugié politique.Il y a donc une nouvelle
thèse du Gouvernement du Pérou touchant le droit d'asile, tel qu'il
fut exercé le3 janvier1949 par l'agent diplomatique de la Colombie
à Lima ;ct, quels que soient les motifs de ce changement d'opinion,
le Gouvernement de la Colombie ne trouvc que des avantages dans

la nouvelle position juridique et politique que le Gouvernement du
Pérou a librement choisie.
Car, malgré le désir du Gouvernement de la Colombie d'éviter
dans son Mémoiretoute référence à certains aspects de la situation
constitutionnelle dans laquelle setrouvait le Gouvernement du Pérou
pendant les mois antérieurs au 3 janvier 1949,et notamment après
le coup d'État qui eut lieu dans la ville d'Arequipa le 27 octobre
1g4S. nous sommes tenus - par suite de la nouvelle position juridi-
que et politique du Gouvernement du Pérou - de rappeler à la
Cour pourquoi et dans quelles conditions l'ambassadeur de Colom-
bie à Lima, M. Carlos Echeverri Cortés, accepta de donner à
M. Victor Rad1 Haya de la Torre le refuge que celui-ci demandait. . HÉPLIQUE DU GOUVEKSE>IEST COLOJIBIEN (20 IV 50) 373

68. - L'ambassadeur de Colombie à Lima, en accordant l'asile
à hl. Victor Ratil Haya de la Torre le 3 janvier 1949, a agi sur la
base des faits suivants :

a) La situation politique anormale existant au Pérou à la suite
de la déclaration de l'état de siège proclamé par le gouvernement
constitutionnel présidépar M. José Luis Bustamante y Rivero,
en vertu du décret suprêmedu 4 octobre 1948, publiédans le journal
officiel ElPerrca~to dii 4 octobre de la mêmeannée. Ce décret fut
promulgué à l'occasion du soulèvement militaire survenu dans la
ville de Callaoà la mêmedate. et il avait pour effet principalement
de suspendre r dans toute la République, à partir de la date du
présent décret, les garanties assuréespar les articles 56, 61, 62, 67

et 68 de la Constitution de l'gtat, d'accord avec les dispositions
de l'article 70 de la mêmeCharte 1).
6) Le renouvellement et la prorogation de la déclaration de l'état
de siège décrétédans les termes et conditions mentionnés au
paragraphe précédent. En effet, d'accord avec l'article 70 de la

Constitution nationale du Pérou, «quand la sécurité de i'Etat
l'exige, le pouvoir exécutif pourra suspendre totalement ou partiel-
lement, sur l'ensemble ou sur une partie du territoire national, les
garanties proclamées aux articles 56, 62, 67 et 68 »,mais, en vertu
du mêmearticle, cette suspension «ne dépassera pas trente jours r.
Pour ce motif, ICtoute prorogation exige un nouveau décret ».C'est
pourquoi le Gouvernement du Pérou, présidépar le général hlanuel
A. Odria, qui avait renversé le gouvernement présidépar M. José
Luis Bustamante y Rivero & la suite d'un soulè\~ement armé,
décida de proroger de trente jours l'état de crise, par décretssuprê-
.
mes du z novembre, du z décembre 1948 et du z janvier 1949.
c) La déclaration d'état de crise nationale »faite par le gouver-
nement constitutionnel présidépar M. José Luis Bustamante y
Rivero, selon le décret supréme du 25 octobre 1948 paru au journal
officielEl Perzlano do 26 octobre 1948. Cette déclaration contient
diverses affirmations du Gouvernement du Péroucontre «l'Alliance

populaire révolutionnaire américaine >d,irigée par M. Victor Ra61
Haya de la Torre. Ori peut conclure de ces faits à un état de lutte
entre le Gouvernement du Pérou et ce parti politique.
d) La situation spéciale dans laquelle se trouvait <l'Alliance
populaire révolutionnaire américaine 11 non seulement en consé-

quence du décret et de la déclaration mentionnée au point précé-
dent, mais encore en vertu des élémentssuivants :
I) Le décret suprême du 4 octobre 1948 promulgné par le
Gouvernement de M. José Luis Rustamante y Rivero, paru au
journal officiel EL Perzrarzodu 5 octobre 1948, qui ordonne que
ce parti soit mis ICliors la loi,et déclare que e ses activités sont
contraires à la structure démocratique du pays, à sa sécurité
interne et à l'ordre public >i(article premier). Le même décret RÉPLIQUE DU GOUVEKKEIIENT COLO~IRIEN (20 IV jo)
374
dispose «que dorénavant il ne sera permis au parti mentionné
d'exercer aucune sorte d'activité et enfin que les dirigeants. dudit
parti seront traduits devant la justice nationale ciicomme fauteurs
((et instigateurs des tragiques événements subversifs du 3 du niois

scourant 1) i(article3).Enfin, le ministre de l'Intérieur et de la
police était chargé de l'application de ce décret (article 4).
2) La situation juridique du parti dénommé CIAlliance populaire
révolutionnaire américaine i)et par conséquent celle de ses diri-
geants, parmi lesquels figurait en première ligne M. Victor Rad1
Haya de la Torre, non seulement se trouva aggravée par le décret
suprême du 4 octobre 1948,mais encore à la suite de sa ratification
par le décret-loi du 1.rnovembre 1948 promulgué par le général

Manuel A. Odria en sa qualité de président de la Junte militaire
de gouvernement du Pérou. Ce décret, paru au journal officiel
El Peruatto du z décembre 1948, implique la négation absolue
des droits politiques pour tous les citoyens appartenant à ce parti.
e) La nouvelle parue dans la presse de la capitale du Pérou,

notamment dans El Comercio et La Prensa de Lima en date
du 14 octobre 1948, sur l'existence d'une instruction pour délit
de 1rébellion militaire 11engagée par le juge d'instruction de la
Marine contre de nombreux membres de 11l'Alliance populaire
révolutionnaire américaine II,parmi lesquels figurait en premier
lieu M. Victor Raiil Haya de la Torre.

/) La sommation adressée par le juge d'instrui:tion suppléant
de la Marine, eu date du 13 novembre 1948, sur la base des
articles 695 et suivants du Code de justice militaire, à M. Victor
Rad1 Haya de la Torre et à de nombreux autres niembres du
parti aAlianza popular revolncionaria americana ,> aux fins sui-
vantes : «se présenter au cabinet du juge suppléant ....pour se
défendre contre les charges qui pèsent sur eux à la suite de l'ins-

trnction dont ils sont l'objet fiour délitde rébellionmilitaire.... j1.
Cette sommation a paru à trois reprises au journal officiel El
Perz~anoles 16, 17 et 18 novembre 1948 (annexe 47 du Contre-
blémoire péruvien).
g) L'établissement d'une cour, martiale pour juger sommaire-

ment les auteurs, complices et autres responsables des délits de
rébellion, sédition ou mutinerie, décrétépar la Junte militaire
de gouvernement du Pérou, présidée,par M. le généralManuel
A. Odria, en vertu du décret-loi du 4 novembre 1948 paru au
journal officiel El Perz~anodu 5 novembre 1948 (annexe 2). Ce
décret contient aux articles 7, 8, 9 etIO les dispositions suivantes :

<iArticle 7. La Cour martiale décidera à sa discrétion si elle
acceptera un ou plusieurs défenseurs nommés par les accusés
ou si elle les désigneraelle-même.
Article 8. La Cour martiale, pour punir les dilits qu'elle est
appelée à juger, pourra infliger enchaque cas, en les augmentant
jusqu'au maximum, les peines prévues par les lois actuelles pour RÉPLIQUEDU GOUVERSE~IEST COLO>IBIES (20 IV 50) 373

de tels délits, ou passer aux peines immédiatement supbrieures.
pouvant aller jusqu'à infliger la peine de mort.
Article 9.La condamnation 5 la peine de mort exigera uii
, avis favorable d'au moins quatre membres de la Cour martiale.
En cas contraire, l'internement sera infligé.

Article10. Contre la sentence pronoiicée par la Cour mar-
tiale, il n'y aura aucun autre recours d'appel et son exécution
sera ordonnéeimmédiatement par son président. ,)
h) Le fait que l'inculpation visant M. Victor Raul Haya de
la Torre correspond à un délit dénommé o rébellion militairei,
aux termes de la notification du juge suppléant de la Marine et

que la procédure de i'instmction fut, dès le commencement,
confiéeà la juridiction exclusivement militaire du Pérou, précisé-
ment parce qu'il ne s'agissait pas d'un délit de droit commun.
i)Le fait que, dans sa dénonciation présentée aux autorités
compétentes (journal officiel El Pert~ano du 8 octobre ~gqS), le

communiqué officiel du gouvernement constitutionnel du Président
Bustamante y Rivero s'est référé seulement aux délits de Irébel-
lion militaire et contre la sùreté de l'État ID.Ce communiqué
déclare que le Gouvernement a soumis Urie dénonciation formelle
' au tribunal militaire sur les événements révolutionnaires du
dimanche 3 octobre ; non seulement il a mis à la disposition de
la justice exclusivement militaire les nombreux détenus ayant
participé à ces événements comme auteurs matériels des délits
de. rébellion militaire et contre la sûreté de l'État, mais encore

il a signalé comme auteur moral et instigateur principal pleine-
ment identifié, le Parti du Peuple dit i(Aliaiiza popular revolu-
cionaria americana (A. P. R. A.) » et par conséquent ses chefs et
dirigeants, étant donné l'organisation verticale ou à comrnaii-
dement unique caractérisant ce parti.

j) Le fait également notoire que, dans d'autres communiqués
officiels du même gouvernement, on mentionne uniquement le
délit de rébellion militaire du 3 octobre 1948 (journal officiel El
Peruano du 13 octobre).
k) Le fait que i'iasilé11Victor Rad1 Haya de la Torre fut
reconnu légalement comme chef politique de son parti et que ce

dernier a foiictionné, conformément à la Constitution et à la loi,
à partir du 15 mai 1945, date à laqiielle ce parti futinscrit au
jury national des élections, après examen et approbation de ses
statuts, buts et programmes.
1) Le fait bien connu que plusieurs des personnes inculpées
et citées en mêmetemps que M. Haya de la Torre ont reçu asile

postérieurement à l'ouverture de l'instruction et ont obtenu des
sauf-conduits de la Junte militaire de gouvernement.
69. - Ainsi, lorsque le Gouvernement du Pérou, dans son
Contre-Mémoire, soutient que le Gouvernement de la Colombie a376 RÉPLIQUE DU GOUVERNEMENT COLOMBIEN (20 IV 50)

(ccommis ce qu'on appelle communément un Iabus de droit I)1)
(page 142) ;que la qualification de M. Victor Rab1 Haya delaTorre
comme délinquant politique «manque en outre de base juridique »
(page 147) ; que, pour ce qui est de la Convention de La Havane,
(iles dispositions d'ordre strictement contractuel n'ont pas étéres-
pectées i)(page 153) ;quenotre déclaration sur les motifs et l'urgence

de l'asile de ce réfugié rmanque totalement de base » (page 154) ;
et, finalement, lorsque le Contre-3fémoire soumet à la Cour des
conclusions tendant à déclarer, constater et condamner ces préten-
dues violations du droit de la part du Gouvernement de la Colombie,
il méconnaît des faits essentiels dont l'évidence est de nature à
amener la Cour à débouter le Gouvernement du Pérou de ses
conclusions.
Nous ne voudrions pas nous étendre sur cet ensemble de faits

qui nous semblent parler par eux-mêmes. Il nous suffira, pour
appuyer nos conclusions, d'attirer l'attention de la Cour sur l'insti-
tution de la Coiir martiale pour juger sommairement et condamner
à mort, par des sentences sans appel, les personnes coupables d'un
délit contre la sécurité intérieurede l'Etat. Mais ce décret-loi du
4 novembre 1946, qui précédait par conséquent l'octroi d'asile
à M. Victor Ra61 Haya de la Torre, doit êtreconsidéréen m&me
temps que les autres dispositions alors en vigueur sur la mise hors'

la loi du parti dénommé eAlliance populaire révolutionnaire améri-
caine n.Et si l'on considèreque, selon d'autres décrets-loisen vigueur,
toutes les garanties constitutionnelles étaient suspendues ; que, par
ailleurs, la Cour martiale devait décider à sa discrétion si «elle
acceptera un ou plusieurs défenseurs nommés par les accusés »
(article 7 dii décret-loi du 4 novembre 1946), il y a lieu de penser
que non seulement le Gouvernement de la République de Colombie
pouvait avoir des motifs d'humanité pour accueillir hf. Victor Raul

Haya de la Torre dans son ambassade de Lima, mais aussi et
surtout des raisons d'urgence et de justice, à la fois, pour donner
application à l'asile.

70. - On comprend, dans ces conditions, que le Contre-Mémoire
apporte lui-mêmebeaucoup de lumière sur cet ensemble de faits
quand il admet (page 154) qu'il y avait une (accusation$ortéefiar
le ministère de L'IntérieurI>contre M.Victor Raul Haya de la Torre.

Nous avons déjà eu l'occasion d'examiner dans la seconde partie
de notre Réplique la portée de la lettre du 5 octobre 1948, que le
ministre de la Marine du Pérou écrivait. à un fonctionnaire du
pouvoir judiciaire. sur les instructions du ministre de l'Intérieur.
11nous faut maintenant signaler à la Cour que cette intervention
du pouvoir exécutif du Pérou dans les actes de procédure arrêtés
par le pouvoir judiciaire de ce pays, modifia entièrement, et sans
doute dans un sens défavorable, la situation juridique de M. Victor
Rad Haya de la Torre. REPLIQUE DU GOUVEKSEYEST COLOIIBIES (20 IV j~) 377

En effet, selon les annexes 40 et 41 du Contre-Mémoire, le 5 octo-
bre 1948s'est produite l'introduction de l'action en justice contre les
responsables, exécutants et fauteurs pour délit de rébellion militaire
sans que l'arrêt désigne, sous une forme quelconque, M. Victor
Raiil Haya de la Torre. Cependant, comme suite à la lettre de ce

jour adresséepar le ministre de l'Intérieur et transmise à la même
date par le ministre de la Marine au chef de la zone judiciaire de la
Marine, le juge d'instruction - quelques heures seulement après
l'intervention du pouvoir exécutif - rendit l'arrêt du 6 octobre,
base de l'instruction qui a paru suffisante,à côtéd'autres faits dont
nous ferons l'analyse par la suite, pour consigner dans le Contre-
hlémoire l'opinion que voici : aLe Gouvernement du Pérouestime
de son devoir de défendre l'ordre juridique, social et constitutionnel
interne, et de respecter l'opinion générale,qui voit en l'asile. inter-
prété et appliqué comme prétend le faire le Gouvcrnemeiit de
Colombie, le manteau de l'impunité jeté sur taiit de délits que la

justice interne doit éclaircir.II(Page 162.)

71. - Nous savons, en effet, que le Contre-Mémoire contient
trois autres chefs d'accusation i l'égard de M. Victor Ra61 Haya
de la Torre : sa participation éventuelle à l'assassinat de M. Fran-
cisco Grana Garland ; les délits dits de terrorisme dont serait
coupable le parti denommé BA. P. R. A. II; et finalement, les
liens qui uniraient le réfugié à M. Eduardo Balarezo.

a) En ce qui concerne la première question, le respect que
nous avons pour l'indépendance de la justice et la circonstance
qu'une instruction a étéengagée contre hI. Victor Raiil Haya
de la Torre, nous défendent d'exprimer une opinion sur le fond
de l'affaire.
Par ailleurs, il sera facile à la Cour de constater que cette

instruction ne fut engagée contre le réfugiéque le 5 décembre
1949 (annexe 60 du Contre-Mémoire), c'est-à-dire presque une
année après I'octroi de l'asile. De ce fait, la Cour pourra estimer
avec nous que cette accusation, quel que soit le résultat du procès,
constitue un élément ex fosl facto dont on ne doit pas tenir compte
dans le présent litige.

6)11 nous est possible, d'autre part, de nous référer à l'accu-
sation portée contre M. Victor Raul Haya de la Torre du chef
de terrorisme. Sur ce point spécifique, les notes adressées à l'am-
bassadeur de Colombie à Lima par le ministre des Relations
extérieures du Pérou, et particulièrement celle du 19 mars 1949,
no D. 6.814 (Mémoire,annexe 6), ont exprimé une doctrine qui
s'oppose à celle qui est contenue dans le Contre-Mémoire actuelle-
ment soumis à la Cour.

La correspondance diplomatique du Gouvernement du Pérou
faisait croire qu'il existait, parmi les tendances modernes du
droit pénal, un nouvcau délitdésignésous le nom de Iterrorisme 11.De profondes réflexionsjuridiques et sociologiques ont été avancées
dans ces documents en vue de prouver que ales terroristeiine
doivent pas bénéficierde l'asile. On ne s'attendait pas, en con-
séquence, à lire dans ce Coritre->lémoire que Kles délits dits
de terrorisme iie sont pas des délits nouveaux qui n'auraient
paç existé auparavant et qui auraient surgi comme une forme
nouvelle de délit n (page 1j7).
Le Gouvernement de laColombie, dans cesconditions, ne considère
pas nécessaire de se prononcer sur une question pratiquement
abandonnée par le Goiivernement di1 Pérou dans soli Contre-

blémoire.

c) Quant aux aniicxes, coupures de journaus et lettres de
fonctionnaires du Bureau des narcotiques des Etats-Unis, cités
dans le Contre-Jlémoire pour prouver l'éventuelle connexion
entre M. Haya de la Torre et le chef d'une bande interriationale
de narcotiques, la Cour pourra remarquer :
i) S'il est vrai que les autorités des Etats-Unis ont établi les
activités délictueuses d'un certain M. Balarczo, c'est le chef du
département péruvien des Investigations, le caphine Alfonso de
Mier Terin, qui fit toutes Ics déclarations recueillies dans les
journaux, dont la reproduction photographique figure dans le

Contre-Mémoire péruvien ; c'est seulement sur la base des infor-
mations de ce fonctionnaire péruvien que la presse américaine
annonça que M.Victor Raiil Hayade laTorre étaitarrivéaux Etats-
Unis en mars 1948 à bord du navire de guerre péruvien Callao.
Cette information est contestée par hI. Haya de la Torre, qui
affirme avoir fait le voyage de Lima à New-York à bord d'un
avion de la Peri~via~~International Aimays. II fut du reste,
à son retour à l'aéroport de Lima, l'objet d'une grande mani-
festation populaire dont s'occupa la presse.
ii) La lettre du 27 mai 1949 de RI. Garland H. \Villiams,
superviseur du district de New-York, citéedans le Contre-hIémoire

et selon laquelle aentre janvier et mars 1948, \7ict.or Raul Haya
de la Torre visita les États-unis à bord d'un navire de guerre
péruvien non identifié IIet tandis que le navire était entré en
cale sèche dans le port 'de Xew-York, Victor Ratil Haya de la
Torre habita chez Balarezo à Great River » paraît être fondée
sur le crédit que prêtait ce fonctionnaire aux informations du
chef du Bureau des investigations du Pérou, car le même Rf. \\'il-
liams, quelques semaines plus tard, rectifia sa déclaration et
affirmaque ce n'était pas M. Victor Rad Haya de la Torre, mais
son frère Edmundo, qui serait parti à bord du Callao vers le
Pérou (mémorandum du 30 août adressé au directeur du Bureau
des narcotiques, annexe 34, pièce 3, du Contre-Mémoire) ;de plus,
au cours de l'instruction ouverte par la Cour du district de New-

York (annexe 33 du Contre-Mémoire). le mêmeBalarezo affirma
d'une part que RI. Edmuiido Haya de Iû Torre ii'avait jamais RÉPLIQUE DU GOUVERNEMEKT COLO>IBIEN (20 IV 50) 379

étéaux États-unis et, d'autre part, que ce serait au Pérou et
non aux États-Unis qu'il aurait étéson hôte.
72.- Toutes ces contradictions expliquent la réaction du juge'
américainlorsqu'il décida(annexe 33;page 228, du Contre-Mémoire) :
« ....à partir de maintenant nous allons éliminer complètement

de l'affaire tout ce qui touche la ré\rolutionpéruvienne imaginaire
ou réelle,tout ce qui concerne le Parti apriste, et tout ce qui se
rapporte à La Torre, et en généralsur toute la situation, parce
que je ne vois pas que ces preuves puissent avoir une importance
quelconque pour le sujet matière principale de ce cas >i.
La Colombie ne voit pas non plus l'importance que ces preuves
pourraient avoir pour le cas soumis à la Cour.

73..- L'étude des faits précédentsnous permet d'établir que,
le 3 janvier 1949. les motifs d'urgence que pouvait avoir l'am-
bassadeur de Colombie à Lima pour accorder à M. Victor Raul
Haya de la Torre la condition de réfugiépolitique étaient les
suivants :
a) Le Pérou se trouvait en état de crise politique intérieure et le

Gouvernement avait suspendu les garanties des droits fonda-
mentaux reconnus par la Constitution de ce pays.
b) Les faits de «tout genre u citéspar le Gouvernement du Pérou
dans son Contre-Mémoire commedélitsde droit commun éven-
tuellement commis au cours de la rébellion ou à cause d'elle,
n'étaient mentionnés nidans l'arrêtdu chef de la zone judiciaire
de la Narine du 4 octobre 1948 ordonnant d'engager laprocédure
contre lespersonnes présumées responsablesde rébellionmilitaire,
ni dans la sommation publiéedans le journal officiel El Peruunn
le 16 novembre 1948, seuls documents publics connus avant
le 3 janvier.

c) Aucun des documents cités dans le Contre-Mémoire(annexes 31,
33. 34, 60, 61) contre M. Victor Raul Haya de la Torre, qui ne
pouvaierit pas, pour la plupart. être connus lors de l'octroi de
l'asile,ne constitue d'accusations ou condamnation dans le
sens prévu à l'article1, paragraphe 1, de la Convention de La
Havane. Ces documents ont trait soit à des faits étrangersà sa
personne ou à ses actes, soit à des agissements sur lesquels la
justice n'a pas jusqu'à présent rendu ,une sentence définitive.

d) Dans le cas où un procès contre RI. Victor Raul Haya de la
Torre eût étéengagé,avant le 3 janvier 1949,par les tribunaux
militaires péruviens, le réfugiéaurait été sujetà l'application
non de la loi pénale existant au moment des événementsde
Callao, mais de celle, établie ex post Jaclo par le décret-loi du
4 novembre 1948,qui ordonne à la Cour martiale de lui appliquer
la peine r immédiatement supérieure >Ià celle établiepar les lois
au moment de la rébellionet l'autorise à infliger jusqu'à la peine
de mort. (Annexe 2.)

25J) OBSERVATION SUR LA DEMANDE RECONVENTIOXNELLE DU

GOUVER~EWEN DU PÉROU

74. - Le Contre-Mémoiredemande à la Cour, comme conclu-
sion et à titre reconventioiinel, de déclarer, par un seul et même
arrêt, e que l'octroi de l'asile par l'ambassadeur de Colombie à
Lima à Victor Raul Haya de la Torre, a étéfait en violation
de l'article r, paragraphe r, et de l'article z, paragraph2,premiè-
'rement (incisa primera), de la Convention sur l'asile signéeà La
Havane en 192s » (page 164).
Aux termes de l'article 63 du Règlement de la Cour, lorsque

l'instance a étéintroduite par requête, une demande reconvention-
nelle peut êtreprésentéedans les conclusions du contre-mémoire,
CIpourvu que celte demande soit en connexité directe avec l'objet
de la requête, et qu'elle rentre dans la compétence de la Cour n.
Aiilsi, la Cour devra décider si cesdeux conditions ont étéeffec-
tivement remplies dans le présent cas, et si, par conséquent, le
recours intenté par le Gouvernement du Péroului paraît recevable.

75. - Il y aurait lieu de se demander tout d'abord si cette
demande du Gouvernement du Pérou est ou non en cconnexité

directe), avec l'objet de la requêteet aux termes de l'article 63
du Règlement, c'est-à-dire, ayant un rapport intime et sûr avec
la matière du litige, telle qu'elle a étéprécipar les deux questions
actuellement soumises à la Cour.
Le mot «connexité n exprime selon Littré la ,.<liaisonentre
plusieurs affaires>I,et selon le Dictionnaire de l'Académiefrançaise
(huitième édition, Paris, 1g3z), c'est I[la liaison d'une chose avec
une ou plusieurs autres du mêmegenre 1,La même idée se retrouve

dans le Dictionnaire de syitonymes de Lafaye (Paris, 1861), lorsque
le sens de ce mot est indiqué comme étant celui d'un e simple
rapport qtriest dans les choseset dans la nature mémedes choses ».
C'est dans ce sens que le motr connexité Iquisetrouve à l'article 63
du Règlement doit êtrecompris et interprétépour le présent cas.
Le Gouvernement du Pérou devra donc soumettre à la Cour
les élémentsde preuve qui permettront à celle-ci d'apprécier le
lien intime et direct existant, ratione materia, entre le contenu

de sa demande et le contenu de la requête. Cette preuve doit
montrer, en particulier, pourquoi l'examen juridique de la première
question de la requête concernant l'existence ou l'inexistence du
droit à la qualification en matière d'asile et celui de la seconde
question ayant trait à la sortie de M. Victor Rad Haya de la
Torre dans les conditions prescrites à l'article2, paragraphe 3,
de la Convention de La Havane sur l'asile de 1928, ne pourraient
pas se décider en faisant abstraction des problèmes nouveaux,
conçus sur un plan différent du nôtre, et que le Gouvernement

du Pérou soumet par sa demande reconventionnelle à la Cour.
,'... . . RÉPLIQUE DU GOUVEKSE3IEST COLOYBIES (20 IV 50) 381

On ne voit pas, d'une façon claire et nette, en quoi peut bien
reposer, ratione materia, la s connexité directe IIde la demande
et de la requête, alors que la premièredéplace la matière du
litige déterminéepar la seconde.

76. - Sans doute, le Gouvernement du Pérouvoudrait engager
à l'égarddu Gouvernerncnt de la Colombie une nouvelle instance,
différente de la première déjà soumise à la Cour, et qui aurait
trait à la façon dont l'asile a étéoctroyé par l'ambassadeur de
Colombie, à Lima, à M. Victor Raul Haya de la Torre.
Si tel est le cas, il conviendrait de rappeàela Cour que, d'après
le ministre des Relations extérieures du Pérou lui-meme, dans
sa note no D.-816. du 6 avril 1949, adressée à l'ambassadeur

de Colombie à Lima (Mémoire, annexe 8), «l'objet du débat
est la qualification unilatérale, obligatoire dans l'asile 1). C'est
autour de ce problème de droit, examiné à la lumière des obli-
gations existant entre les Parties, d'une part, et du droit inter-
national américain, d'autre part, ainsi que sur la qnestion con-
cernant la sortie de hl. Victor Raul Haya de la Torre, I'invio-
labilité de sa personne étant respectée, que les deux pays se sont
divisés et non pas sur les conditions dans lesquelles l'asile aurait
étéoctroyé.
L'ensemble de la correspondance diplomatique échangéeentre
les Parties, depuis le 4 janvier 1949 jusqu'au septembre de
la mêmeannée (Mémoire,annexes I à 15). y compris le procès-

verbal (Acta) signé à Lima le 31 août 1949, par les plénipoten-
tiaires de la Colombie et du Pérou, ont eu pour objet de trancher
ce litige que nous avons ultérieurement soumis à la Cour, sous
forme de deux questions comprenant les points essentiels de la
controverse diplomatique. Par conséquent, la demande reconven-'
tionnelle embrasse de nouvelles questions et de nouveaux problè-
mes, qui n'ont pas de «connexité directe n, non plus avec les
matières qui ont 'fait l'objet dc la controverse diplomatique entre
les Parties. Le Gouvernement de la Colombie le constate, encore
une fois (voir le paragraphe 67 de la présente Réplique), afin
d'attirer l'attention de la Cour sur le manque de a connexité

directe)Ientre la demande reconventionnelle et la matière objet
du litige.
La Cour, en qualifiant sa propre compétence sur la base de
l'articl63 du Règlement, devra, par conséquent, estimer les preu-
ves que le Gouvernement du Pérou pourra lui présenter dans sa
Duplique, au sujet de la (1connexité directe », ratione materiŒ,'
entre la demande reconventioniielle et la requête duGouvernement'
de laColombie. Cespreuves n'ont pas étéjusqu'à présentapportées.

77. - Quant au fond du problème nouveau soulevé par la
demande reconventionnelle du Gouvernement du Pérou. nous
estimons que cette demande n'est pas fondée endroit, pour les trois
raisons principales suivantes :382 H~~PLIQUE DU GOUVERSE~IEXT COLOZIBIES (20 IV50)

a) L'article1, paragraphe 1, de la Convention de La Havane sur
l'asile, vise les personnes qui auraient étéaccuséesou condamnées
pour un dLlit de droit cummuttet qui de ce fait ne pourraient pas
en bénéficier.II faut admettre qu'une telle accusation ou condam-
nation, pour qu'elle produise des effets juridiques quant à L'octroi
de I'asile, ne doit pas constituer un élémentex fiost facto. De toute
évidence, c'est la date de l'octroi de l'asile qui permet de fixer
le statut juridique du réfugiéeu égardà la législationnationale de
l'État territorial, et c'est à cette date seule qu'il convient d'exa-
miner l'accomplissement des obligations qui incombent à l'État
requérant. Mais, par ailleurs, les formes verbales employées dans

cet article sont celles qui correspondentà un acte déjàaccompli,
c'est-à-dire une accusation ou condamnation définitive qui
aurait dans le dernier cas la valeur de la chose jugée.
Sur la base de ces principes, il nous semble que le Gouvernement
du Pérou n'a pas fourni, jusqu'à présent, un ensemble de preuves
qui soient de nature à êtreconsidéréespar la Cour comme irréfra-
gables, pour démontrer qu'une accusation ou condamnation défini-
tive pour délitsde droit commun et ayant, s'il s'agit d'une condam-
nation, la valeur de la chose jugée, aurait étéprononcée avant le
3 janvier 1949 c.ontre la personne de M. Victor R:rul Haya de la
Torre. Cette lacune, si graves que soient les suppositions ou déduc-
tions du Gouvernement du Pérou à l'égard du réfugié,constitue
un élément qui enlève tout fondement juridique à la demande
reconventionnelle pour ce qui est des dispositions contenues à

l'articl1, paragraphe 1,de la Convention de La Havane sur I'asile.
En effet, aucune des pièces présentéespar le Gouvernement du
Pérou, dans son Contre-Mémoire, sur les trois chefs principaux
d'inculpation mentionnésdans ce document, à savoir :la complicité
de M. Victor Rad Haya de la Torre dans la révolution survenue
le 3 octobre 1948dans le port du Callao;sa participation éventuelle
à l'assassinat de M. Francisco Grata Garland, ainsi que les liens
qui uniraient le réfugiéavec M. Eduardo Balarezo, ne constitue
une accusation ou condamnation dans le sens que nous avons
constatéde l'articl1, paragraphe 1,de la Conventioii de La Havane
sur l'asile.
Les observations sur chacun de ces faits, incluses clanslaprésente
Réplique, le font voir clairement à la Cour.

b) Le 3 janvier1949 our où fut accordéI'asilepar l'ambassadeur
de Colombie à Lima à M. Victor Rad Haya de la Torre, celui-ci
était l'objet d'une sommation, publiée dans le joiirnal officiel El
Peruano le16 novembre 1948 l'invitantà comparaître par-devant
la justice militaire, en conformité des dispositions des artic695
et suivants du Code de justice militaire du Pérou, pour répondre
à l'inculpation d'avoir commis le délit derébellionmilitaire. (Contre-
Mémoire, annexe 47.) ' KEI'I,IQUIS 1)GOUVEKSE\IEST COLO>IHIEN (20 IV j0) 383

Ce document, transmis à la Cour par la Partie défenderesse,nous
permet d'écarter toute autre référencedocumentaire pour déter-
miner la situatioti juridique de M. Victor Raiil Haya de la Torre,
le jour où il prit son refuge à l'ambassade de Colombie à Lima.
C'est donc dans ce document que nous voulons trouver la preuve
d'une attitude irréprochable et d'un haut caractère humanitaire
de l'ambassadeur de Colombie à Lima, M. Carlos Echeverri Cortes.
qui se trouva, cii ce jour, devant un homme poursuivi pour un
délit de rébellion militaire et dans les conditions matérielles de
persécution caractérisée de la part du pouvoir exécutif de l'État

péruvien, que nous avons signalé à la Cour dans les chapitres
précédents de la présente Réplique.
Le document en question ne fait état, ainsi que la Cour pourra
le remarquer, que da6délit de rébellionmilitaire (Contre-blémoire,
annexe 47). Voilà la faute que l'ambassadeur de Colombie à Lima
pouvait seule connaître, le 3 janvier 1949, de la part de M. Victor
Ra61 Haya de la Torre, et il s'agissait, en l'espèce, de l'ouverture
d'une instruction qui ne pouvait pas constituer, selon l'article I,
paragraphe 1, dc la Convention de La Havaiie sur l'asile, une
accusation ou condamnation définitive pour un délit de droit
commun. Est-ce par la sommation publiée dans le journal officiel
El Pera~at~o d,u 16 novembre 1948, ou par les entrefilets parus dans

d'autres publications non officielles sur des menus faits divers,
survenus dans des conditions extrêmement vagues, que le Gouver-
nement du Pérou voudrait fixer la situation juridique du réfugié?
Faut-il penser que le réfugié,en outre de la sommation du juge
d'instructioii, doit se considérer coupable des nombreux faits divers
recueillis avec autant de soin que de patience dans le Contre-
blémoiredu Gouverncment du Pérou ?
4 notre avis, le Gouvernement du Pérou est dans l'erreur lors-
qu'il tâche de formuler une demande reconventionnelle pour une
prétendue violation de l'article I, paragraphe I, de la part du

Gouvernement de la Colombie. Celui-ci, par contre, prétend avoir
accueilli le 3 janvier949 dans son ambassade de Lima un individu
dont la seule charge qui pesait sur lui était celle de rébellion
militaire.
c) Au surplus, des coiisidérations d'opportunité, qui ne sont pas
forcément des raisons juridiques, ont guidé les auteurs du Contre-
Mémoire à présenter une deuxième cause de reconvention pouvant
renforcer la première. Sans doute, le Gouvernement du Pérou
s'était rendu compte lui-même dela faiblesse de son argumentation ;
cette insuffisance était trop manifeste pour ce qui est de la violation
par l'ambassadeur de Colombie de l'article 1,paragraphe I,de la
Convention sur l'asile signée à La Havane en 1928, et, par consé-
quent, il fallait troliver une autre base de discussion sur l'octroi

de l'asileà M. Victor Ra61 Haya de la Torre.
Car, en second lieu, la demande reconventionnelle du Gouverne-
ment du Pérou cherche à faire constater par la Cour une prétendue384 RÉPLIQUE DU G0IJvl:RSEAlEST COLO\IBIES (20 IV 50)

violation de l'article 2, paragraphe 2, premièrement (inciso
primero), de la Convention sur l'asile signée à La Havane en 1928,
du fait ou comme résultat de « l'octroi de l'asile par l'ambassadeur
de Colombie 2 Lima à Victor Rad Haya de la Torre » (Contre-
Mémoire,page 164). Toutefois, le fondementjuridique de la demande
reconventionnelle du Gouvernement du Pérou n'est pas mieux
assuré si l'on examine ce deuxième objectif.
Le texte dont il s'agit est rédigécomme il suit :

«Premièrement :L'asilene pourra Ctreaccordésauf dans les cas
d'urgence et pour le temps strictement iiidispensable pour que le
réfugiése mette en sûretéd'une autre manière. »

Ainsi, la disposition susmentionnée peut être violée, soit parce
que l'asile est accordé dans un cas dont l'urgence n'est pas mani-
feste, soit parce que l'asile n'est pas limité, quant au temps, à la
période rstrictement indispensable pour que le réfugié semette en
sûreté d'une autre manière ,i.Les circonstances de l'asile de

JI. Victor Rahl Haya de la Torre sont-elles de nature à justifier
la demande ? Le Contre-Mémoire parait attacher une importance
particulière aux faits qui ont précédé l'octroi de l'asile, puisqu'iy
revient sur ces circonstances à plusieures reprises et notamment
aux pages 142, 143. 144. 146, 148, 150. 153. 154 et 156. non pas
pour en donner un récit détaillé,mais plutôt pour formuler un
jugement d'ensemble et pour conclure par la grave affirmation
que voici : « La qualification provisoire d'~ asilé r politique du
sieur Haya de laTorre par l'ambassadeur dc Colombie à Lima était
hâtive et injustifiée, puisque l'urgence requise par l'article z, para-

graphe 2, premièrement (iitciso primero), de la Convention de
La Havane n'existait pas. » (Page 163.)
Le Contre-Mémoire ne fait connaître les raisons qui justifient la
demande reconventionnelle du Gouvemement di1 Pérou d'une
manière uniforme. Il laisse des doutes quant à la façon dont l'atti-
tude de l'ambassadeur de Colombie aurait constitué une «viola-
tion i~des principes du droit. En effet, si d'après les annexes et par
la lecture des nombreux entrefilets, commentaires et nouvelles

sensationnelies publiés dans les journaux de Lima, il semblerait
qu'une situation de xterrorisme » prévalait au Pérou ;si d'après
ces annexes l'existence de bombes explosives y était à tel point
abondante que l'on en trouvait aussi bien sur la voie du tramway
(no 17) que dans un autobus (no 18). dans les locaux du quotidien
La Prensa (no 19). ou surletoit d'un hôtel (no 20), pour nous borner
à quelques-uns des cas principaux, alors le Gouvernement du Pérou
est en contradiction avec lui-meme lorsqu'il déclare à la page 153
de son Contre-Mémoire que dans les jours précédant l'octroi de
l'asileà M. Victor Raul Haya de la Torre, la a sit.uation dans la

ville (de Lima) était normale ,iOn lit :i<l'ordre public et la sécurité
individuelle étaient garantis ; la situation dans la ville était nor-
male, et le Gouvemement se conformait scrupuleusement à ses RÉPLIQUE DU GOUVEHh'EJlENT COLOA111113h('20 IV 50) 38j

obligations, respectant et faisant respecter les droits descitoyens. ir
Cette situation, pensons-nous, ne pouvait être tellement nor-
male ; l'ordre public et la sécuritéindividuelle ne devaient être'si
bien garantis par l'application des lois ordinaires qu'il a fallu,
pendant les mois antérieurs à l'octroi de l'asile à hl. Victor Raul
Haya de la Torre (voir supra le paragraphe 6S), déclarer l'état de

siège (décret-suprémedu 3 octobre 1948) ;renouveller et proroger
cette situation juridique exceptionnelle (décrets suprêmesdu
z novembre, z décembre 19~8 et du z janvier 1949) ; ordonner la
mise hors la loi d'un parti politique dont le réfugiécst le chef
(décretsuprémedu 4 octobre 1948) :oiivrir des instnictions contre
plus de soixante personnes par-devant la juridiction militaire (som-
mation publiéedans le journal officiel El I'eruanodu 16 novembre
1948.annexe 47 du Contre-Mémoire).Il est difficilede concilier deux

affirmations contraires : ou bien la situation était normale dans la
ville de Lima et, en général,au Pérou,et, dans ce cas, cet ensemble
de mesures extraordinaires devient incompréhensible, ou bien la
situation était anormale aussi bien dans la ville que dans le pays et,
.dans ces conditions, ces mesures, et non pas la thèse du Contre-
Mémoire,trouvent leur explication naturelle.
Le Contre-Mémoire, toujours dans l'exposé des faits, a oublié
de fournir un détail sur lequel nous voulons surtout attirer i'atten-
tion de la Cour. Par décret-loi du 4 novembre 1948 (annexe z),
édicté par la Junte militaire du Pérou, la Cour martiale était insti-
tuée en vue d'appliquer, mêmepour de simples complices du délit

de rébellionmilitaire et même pour descivils comme c'étaitle cas
de M. Victor Raiil Haya de la Torre (article I), les peines prévues
par'les lois actuelles pour de tels délits, ou passer aux peines immé-
diatement supérieures,en pouvant aller izisqu'à infliger la peine de
mort JI(article 8). L'on voitque cet article modifiait le principe bien
connu du droit pénalnulla pena sine lege, c'est-à-dire, qu'il entrai-
nait en quelque sorte la création par la Junte militaire du Pérou
d'une échellede peines plus graves que celles qui étaient prévues
par les lois ordinaires. Et si I'on ajoute que I'instmction ne pouvait
dépasser trois jours (acicle 5) ; si I'on tient compte du fait que
l'instruction avait un caractère sommaire et qu'elle était du ressort
des juges désignés directementpar le pouvoir exdcutifselon l'article43

du Code de justicemilitaire du Pérou;si l'onréfléchiq t u'une instmc-
tion sommaire ainsi achevée constituait néanmoinsla base pour la
décision de la Cour martiale prise dans les six jours suivants
(article 6).et si I'onse rappelle quele ministre de l'Intérieur donnait
des ordres aux juges pour guider l'instruction d'unecertaine manière,
on doit conclure que ce n'était pas l'octroi de l'asile au réfugié mais
la procédure de la Cour martiale qui pouvait être«hâtive et injusti-
fiée»: '

78. - Le Contre-Mémoirene pourrait prétendre, non plus, la
violation de. l'article z, paragraphe 2, premièrement (incisa386 RÉI>I.IQUI~DU GOUVIIKNEYEXT COLOMBIEN (20 IV 50)

firimero),de la Convention sur l'asile signéeà La Havane en 1948.
par l'ambassadeur de Colombie à Lima, en ce qui a trait à la
durée du refuge et, dit l'article, «pour le temps strictement
indispensable pour que le réfugié semette en sùreté d'une autre
manière ».
La demande reconventionnelle, dans ce cas, manquerait de
toute base juridique et logique : d'une part, le (ouv verne ment

du Pérou refuse au Gouvernement de la Colombie a les garanties
nécessaires pour que le réfugiésorte du pays, i'iriviolabilité de
sa personne étant respectée >i(article2,paragraphe 3, de la Conven-
tion de La Havane sur l'asile) ; d'autre part, le iouv verne ment
du Pérou formulerait sa demande contre le Gouvei-nement de la
Colombie pour une prétendue violation du droit, et sur la base
précisément de la disposition que prévoit le refuge s dans les
cas d'urgence et pour le temps strictement indispensable pour

que le réfugiése mette en sûreté d'une autre manière D (article2,
paragraphe z, de la Convention de La Havane sur l'asile).
Le Contre-Mémoiren'est pas explicite sur le point de vue du
Gouvernement du Pérou quant à la façon dont le iouv verne ment
de la Colombie aurait dû s'acquitter des obligations que prescrit
cet article. Mais il n'a pas dépendu, certainement, du Gouverne-
ment de la Colombie, la prorogation .du séjour du réfugiéà l'am-
bassade de Colombie à Lima. Bien au contraire, la responsabilité.

d'une telle situation incombe entièrement à la Partie défenderesse,
car le Gouvernement de la Colombiea toujours voulu, et le prétend^
encore, que le Gouvernement du Pérou doit lui permettre de.
terminer une situation d'asile indéfini,dont la Cour comprendra.
facilement le caractère irrégulier.
En tout cas, intenter une demande reconventionnelle sur la
base d'une disposition qu'on empêche à l'adversaire d'exécuter,
équivaut. suivant la jurisprudence internationale, B se prévaloir

d'une objection fondée sur la non-exécution d'un engagement
international par soi-même. (C.P. J. 1.. Arrêt no 2 (Aflaire des-
concessions !Mavrommalis en Palesline), SérieA, no 2, page 33 ;.
Avis consultatif no 15 (Contfiétencedes lribiinaztx de Dantzig),.
Série B. no 15, pages 26 et 27.)

79. - Eii résumé,le Gouvernement du Pérou n'a pas réussi
à démontrer le bien-fondé de la demande reconventionnelle qu'il
a présentée.à la Cour, au sujet de la prétendue violation des arti-
cles 1, paragraphe 1, et 2, paragraphe 2, premièrement (inciso.
firimero), de la Convention sur l'asilesignéeà La Havane en 1928,
par l'ambassadeur de Colombie à Lima, et comme conséquence

de nl'octroi1)de l'asile à hl. Victor Raul Haya de la Torre.
Cette affirmation, qui est décisivepour l'examen de la demande
recon\~entionnelle du Gouvernement du Pérou, est fondée :
i) Sur le texte authentique de la sommation du juge d'instruc--

tion suppléant de la Marine du Pérou, faite à M. Victor Rahl RÉPLIQUE DU GOUVEKSEIIEST COLO3IBIES (20 11j0) 367

Haya de la Torre en date du 16 novembre 1948. document publié
à l'annexe 47 du Contre-hlémoire.
ii) Sur la mention d'un seul délit, celui de rkbellion ~izilitaire,
qui est faite dans le document cité à l'alinéa précédenti), ainsi
que sur la circonstance de n'avoir pas fait état, ce même juge'

d'instruction, d'aucune circonstance, directe ou indirecte, pouvant
signifier l'existence d'un délit de droit commun de la part du
réfugié.
iii) Sur la circonstance juridique d'avoir étéinculpéle réfugié
par-devant une juridiction spéciale dont la compétence, aux

termes du livre 1, titre II, du Code de justice militaire du Pérou,
s'étend à certains délits spéciaux, principalement à l'égard de
ceux qui concernent l'ordre public et la sécurité intérieurede
l'État péruvien (article II).
iv) Sur le fait qu'en l'absence du réfugié,ni l'accusation, ni la

condamnation - dans l'hypothèse ou elles auraient existé -
Iie pouvaient êtredéfinitiveset que, par conséquent,il manquait la
condition essentielle prescrite à l'article1, paragraphe I, de la
Convention sur l'asile signéeà La Havane en 1928.
v) Sur le caractère spécial du délit de rébellion militaire, le

seul qui ait étémentionné dans la sommation du juge d'instruction
suppléant de la Marine du Pérou, contre M. Victor Rad1Haya de la
Torre, en date du 16 novembre 1948, et en conformité avec les
articles 240, 241. 243 et 244 du livre II, section IV, titre 1, du
Code de justice militaire du Pérou.
vi) Sur le fait que pour ce qui est des autres chefs d'inculpation
mentionnésdans le Contre-Mémoire,à savoir, la participation éven-

tuelle du réfugiéà l'assassinat de M. Francisco Grana Garland, et
les liens soi-disant existants avec M. Eduardo Balarezo, la preuve
n'a pas été apportée à la Cour par la Partie défenderesse
d'une accusation ou condamnation définitive prononcée, avant
le 3 janvier 1949, contre M. Victor Raul Haya de la Torre.
Pour établir le bien-fondé de sa demande reconventionnelle,le
Contre-Mémoireaurait dû présenter à la Cour les preuves suivantes :

i) Que M. Victor Kadl Haya de la Torre, le 3 janvier 1949, était
l'objet d'une accusation ou d'une condamnation définitive pour
délits communs.

ii) Que le Gouvernement de la Colombie aurait étéà même,
dans l'hypothèse d'une telle accusation ou condamnation, de con-
naître la décisiondu tribunal compétent.
iii) Que EvI.Victor Rad Haya de la Torre avait, depuis le 3 octo-
bre 1948jusqu'au 3 janvier 1949,la jouissance de toutes les libertés

ainsi que des droits fondamentaux reconnus par la Constitution
nationale du Pérou aux citoyens de ce pays. iv) Que si M. Victor Rahl Haya de la Torre s'était conformé à
la sommation du juge d'instruction suppléant de la Rlannedu Pérou,
en date du 16 novembre 1948, il aurait étéà mêmed'assurer sa
défeiiseet de jouir de l'impartialité de la justice dans les conditions
.du décret-loi du 4 novembre 1948.
ces conditions, l'asile accordé à Al. Victor Raul
v) Que, dans
Haya de la Torre par l'ambassadeur de Colombie à Lima, le 3 jan-
vier 1949, ne constitue pas un cas d'urgence et que, finalement,
le Gouvernement de la République de Colombie a obtenu les garan-
ties nécessaires de la part du Gouvernement du Pérou npour que
le réfugié semette en sùreté d'une autre manière II.

K) OB~ERV~TIO XISALES

80. - Le Goilvernement du Pérou a formuléune demande recon-
ventionnelle sur la base d'un ensemble de considérations assez peu
concordantes. Au milieu d'allégations contradictoires, on ne voit
pas nettement pourquoi l'ambassadeur de Colombie aurait agi en
contradiction d'un principe quelconque de droit international, et,
en particulier, qu'il puisse y avoir un case d'abus de droit » ou de
violation de la souveraineté de la République du Pérou, par l'octroi
de l'asile à JI.Victor Raul Haya de la Torre.
Le Gouvernement du Pérou n'a pas apporté la preuve qui lui

était nécessaire pour établir le bien-fondé de sa demande recon-
ventionnelle, ni pour ce qui a trait à la violation de l'article 1,
paragraphe I, de la Convention de La Havane sui-l'asile, ni pour
ce qui regarde la contravention à l'article z, paragraph2, premiè-
rement (incisa firimero), du mêmeinstrument, par l'ambassadeur
de Colombie. La seule pièce authentique de procédure qui ait étb
soumise à la Cour à l'appui de la demande reconventionnelle du
Gouvernement du Pérou, hormis des nouvelles parues dans de
simples journaux et dont on sait la valeur dans le présent cas, est
la sommation du juge d'instruction suppléant de la Marine rendue
en date du 16 novembre 1948 (annexe 47). Et cette pièce pourrait
servir uniquement pour constater que M. Victor Rad Haya de la
Torre, le jour où il chercha refuge à l'ambassade de Colombie à

Lima, était poursuivi - mais non accusé ni condamné, confor-
mément à l'article I,paragraphe 1,de la convention mentionnée
ci-dessus - pour un délit de rébellion militaire.
D'ailleurs, au sujet de l'accusation concernant le caractère
«hâtif et injustifié de l'asile:sur la base des faits que nous avons
rapportés à la Cour (voir sufiva paragraphe 68) ; considérant la
situation intérieure qui prévalait au Pérou, depuis le 3 octobre
1948, et ayant en vue la menace de la peine de mort pouvant être
appliquée par un tribunal militaire dans une périodede neuf jours,
à compter dès l'ouverture de l'instruction et jusqu'à l'exécution de
la sentence prononcée sans appel ;considérant que cette instruc-
tion devait être faiteeii trois jours par des juges nommés par lepouvoir exécutif; et considérant, d'autre part, que les membres
de ce pouvoir exécutif du Pérou, en l'espèce la Junte militaire
surgie d'un coup d'état victorieux, étaient des ennemis politiques

du réfugié, hf. Victor Raiil Haya de la Torre, il est difficilement
concevable, dans ces.conditions, que I'urgericede l'asile ne soit pas
pleinemeiit constatée dans le présent litige.

SI. - D'après nous, la situation qui se présente à la Cour est la
soivante :
Uiie instance a étéengagéepar la requete du Gouvernement de la
République de Colombie déposéeau Greffe de la Cour lc 15 octo-
bre 1949. Sont Parties à la présente instance le Gou\~ernement
de la République de Colombie, d'une part, et le Gouvernement de
la République du Pérou, d'autre part.
Cette instance vise l'interprétation du droit conventionnel eu
vigueur entre les Parties, ainsi que des obligations découlantde
ces mêmes traités et conventions, et découlant aussi du droit
international américain en matière d'asile. pour déterminer si la
faculté de qualifier la nature du délitdu réfugiéappartient ou non
à l'État accordant l'asile. L'instance vise également la situation
anormale d'asile indéfini,pouvant mettre en danger les relations
cordiales entre les deux pays, qui s'est créàl'ambassade de Colom-

bie à Lima par suite du refus du Gouvernement de la République
du Pérou d'accorder, en conformitédes stipulations contenues à
l'article2, paragraphe 3, de la Convention sur l'asile signéeà La
Havane en 1928, les garanties nécessaires pour que le réfugié
M. Victor Raiil Haya de la Torre sorte du pays. l'inviolabilitéde
sa personne étant respectée.
Le Gouvernement de la Colombie ,revendique sa compétence
dans les termes de l'articlez, alinéa premier, de la Convention de
La Havane sur l'asile, principalement pour qualifier le réfugié à
son ambassade de Lima, M. Victor Raul Haya de la Torre, aux
fins de l'asile. En outre, le Gouvernement de la Colombie estime
qu'il a droit, selon la disposition contenil'articl2, paragraphe 3,
de la convention mentionnée ci-dessus, à recevoir les garanties
que le Gouvernement du Pérou, eu sa qualitéd'État territorial. est
obligéde lui donner, pour la sortie de M. Victor Raiil Haya de la
Torre dans les conditions auxquelles nous venons de faire allusion.
Sur le terrain du droit con\~eutionnel aussi, bien que sur celui du
droit international américain, en général,le Gouvernement de la
Colombie a pu fixer'le bien-fondé des coiiclusions de son Mémoire

du IO janvier 1950.
Le Gouvernement du Pérou conteste cette compétence.

82. - Ce litige ne serait pas, actuellemeiit, soumisà la Cour,
si le Gou\~eruement du Pérou n'avait devant lui la forte person-
nalité ainsi que l'intelligence .bien connues de hl. Victor Raiil
Haya de la Torre. Le Gouvernement du Pérou ne pourrait guère390 RÉPLIQUE DU GOUVEKXEYENT COLOXBIEN (20 IV 50)

l'ignorer. Quelques semaines avant l'arrivéede ce.réfugiéà l'am-
bassade de Colombie à Lima, en effet, le Gouvernement du Pérou
reconnut la validité de l'asile ainsi que de la qualification unila-
térale par 1,'État requérant, et accorda aussi les garanties néces-
saires pour la sortie de réfugiés,dans des conditions qui rappellent
très exactement le cas de M. Victor Ra61 Haya de la Torre. Or.
s'agissant d'individus également inculpés du délit de rébellion
militaire,à l'occasion des événements survenus le :; octobre 1946
dans le port du Callao, et des membres du mêmeparti politique
auquel appartient M. Victor Rahl Haya de la Torre, le Gouverne-
ment du Pérououblia, sans doute, de contester et la qualification

unilatéralepar 1'Etat accordant l'asile et le fait, pour lui essentiel,
de n'avoir pas ratifié la Convention sur l'asile politique signée
à Montevideo en 1933. Ceci, qui met en évidence le caractère
spécial du présent litige eu égardà la personnalité de M. Victor
Raul Haya de la Torre, est arrivé dans le cas de MM. Manuel
Gutiérrez Aliaga et Luis Felipe Rodriguez, réfugiés au début de
novembre 1948 à l'ambassade de l'Uruguay à Linia, et qui ont
reçu leurs sauf-conduits le 17 février 1950 (annexe 1) ;M. Javier
Pulgar Vidal, réfugié à l'ambassade de Colombie à Lima, le
29 octobre 1948, et qui a reçu son passeport le 2 décembre 1948.

83. - Il va sans dire que la décisionde la Cour internationale
de Justice aura une portée historique pour le droit d'asile amé-
ricain. Les conséquences d'une telle décisionne seront pas limitées
à la République de Colombie, ni par ailleurs à la solution de la

controverse juridique sur l'asile indéfini de. Victor Ra61 Haya
de la Torre à l'ambassade de Colombie à Lima. Cette décision
aura toute la valeur et l'importance d'une norme obligatoire en
conscience pour.les États américainsà l'avenir. dans l'application
de l'asile, et, surtout, de la Convention sur cette matière signée
à La Havane en 1928. Par la nature mêmedes choses, l'institution
américaine de l'asile pourra, ou continuer à être appliquée, ou
tomber en désuétude, si la Cour accepte ou non le droit pour
l'État accordant l'asile de qualifier la nature du délit du réfugié.
Sans lui, l'institutionde l'asile, issue du droit coutumier et du
droit conventionnel américain, ne pourrait nullement remplir sa
fonction protectrice des droits fondamentaux de l'homme, lorsque,à

la suite de ces crises profondes si communes aux pays neufs, de
l'Amérique, la légalitéet l'ordre constitutionnel dans un Etat
sont suspendus. Aussi avons-nous la conviction de servir par
notre action juridique, non pas un intérêtnational exclusif,mais
celui des États américainssur ces problèmes particuliers du droit.
Le Gouvernement de la République de Colombie, en tout cas,
a pleinement confiance dans la haute sagesse et l'impartialité
de la Cour. CONCLUSIONS

Par ces motifs et tous autres qui seront présentésdans la procé-
dure orale,

PLAISE A LA COUR

Débouter le Gouvernement de la République du Pérou de ses
conclusions,

DIRE ET JUGER :
Conformémentaux conclusions formuléespar le Gouvernement de
la République de Colombie dans son Mémoiredu IO janvier Igjo,
soumis à la Cour à la mémedate, et

Rejetant toute conclusion contraire,

1.- Que la République de Colombie a le droit, en tant que
pays accordant l'asile, de qualifier la nature du délit aux fins du
susdit asile, dans le cadre des obligations qui découlent enparti-
culier de 1'Accord bolivarien sur l'extradition du 18 juillet 19x1
et de la Convention de La Havane sur l'asile du 20 février1928et,
d'une façon générale,du droit international américain ;

II.- Que la République du Pérou, en sa qualité d'État territo-
rial, est obligée,dans le cas concret matière .du litige, d'accorder
les garanties nécessairespour que RI.Victor Raiil Haya de la Torre
sorte du pays, l'inviolabilité de sa personne étant respectée.

Fait à La Haye, le 20 avril 1950.

L'agent du Gouvernement colombien :
(Signé Prof. J. N. YEPES,

jurisconsulte di1 ministère des
Affaires étrangères de Colombie. ANNEXES A LA RÉPLIQUE COLO~IBIENNE (NO1)
392

Annexe I

DOCUMENTS RELATIFS A L'ASILE DE MM. MANUEL
GUTIÉRREZ ALIAGA ET LUIS FELIPE RODRIGUEZ A
L'AMBASSADE DE L'URUGUAY A LIMA (PÉROU) ET AUX

SAUF-CONDUITS QUI LEUR ONT ÉTÉ ACCOR1)ÉS PAR LE
GOUVERNEMENT PÉRUVIEN
[Traduction]
A

L'AMBASSADE DE L'URUGU.~Y (A LIMA) AU MINISTÈRE DES RELATIONS

EXTERIEURE ST DU CULTE DU PÉROU

Ambassade de l'Uruguay 711948-142.
L'ambassade de l'umguay présente ses salutations au ministère
des Relations extérieures et du Culte et poàtsa connaissance que
dans les dernières heures de la journée du premier novembre courant,
le docteur Manuel GutiérrezAliaga, médecin-chirurgien, s'est réfugié
au siège de l'ambassade et a exprimé l'intention de quitter le pays
dès que les sauf-conduits nécessaires.lui auront étéaccordés.

Lima, le z novembre 1948.
Pour copie conforme:

(Signé)ALFREDOPACHECO,
Directeur général.
[Suivent les légalisations d'usage.]

L'AMBASSA DEEL'URUGUAY (ALIMA) AU MINISTÈRE DES RELATIONS

EXTÉRIEURES ET DU CULTE DU PÉROU
[Tradnction]
Ambassade de l'Uruguay 71x948-149.

L'ambassade de l'Uruguay présente ses salutations au ministère
des Relations extérieures et du Culte et poàtsa connaissance que,
hier, 4 novembre, dans la soirée, le docteur Luis Felipe Rodriguez,
avocat, s'est réfugiéau siège de l'ambassade et a exprimé l'intention
de quitter le pays dès que les sauf-conduits nécessaires lui auront
étéaccordés.

Lima, le 5 novembre 1948. . . ..
Pour copie conforme:

(Signé) ALFREDO PACHECO,
Directeur général.
[Suivent les légalisations d'usage.] ANSESES A LA RÉPLIQUE COLO.\IBIESSE(s' 1)
393

L'A&~BASSA DDEEL'URUGUAY (A LIMA) AU MINISTÈRE DES RELATIONS
EXTÉRIEURE~ ET DU CULTE DU PÉROU

[Traduction]

L'ambassade de l'Uruguay, par notes verbales nas 711948-142 et
711948-149.en date du 2 novembre 1948 et 5 novembre 1948respective-
ment, a fait connaître au ministère des Relations extérieures et du
Culte que les docteurs Manuel Gutiérrez Aliaga, médecin-chirurgien.
de Huancaya, et Luis Felipe Rodriguez, avocat. se sont réfugiésau
siège de l'ambassade et qu'ils ont exprimé l'intention de quitter le
pays. Dans lesdites notes verbales out étédemandés les sauf-conduits
nécessaires.à cette fin.
Ulréric.ureineiiL'II(liiteclilII jnrivi6:r1949, 1' cli.~rg&J':tfi:tirrs
#ri.(IL'I'Uriiguit),, cunfurtnL:ni~:LIIX~~IS~~IICIIOI<Icson Guuvernc-

iiieiir;iclr.rn;~ietkubt~.iilin? ;iiitliciice(le 5. lisc .\I. l':\mL~~i~s:t~lcur
~aviei Delgado Irigoyen, secrétaire général des Kelationsextérieures
et du Culte, dans le but de s'informer au sujet de l'octroi de sauf-
conduits pour les réfugiés (asilados) en question et accélérerautant
que possible la procédure nécessaire.A cette occasion, M. le secrétaire
général a indiquéqu'il s'occuperait de laquestion, qu'il examinerait
la situation des réfugiésà l'ambassade de l'Uruguay et qu'il porterait
à la connaissance de S. Esc. le Ministre des Relations extérieures les
motifs ayant donné lieu ladite audience,
En rapport avec les faits qui précèdent, le chargé d'affaires a.i.de
l'Uruguay a reçu pour instructions de son Gouvernement d'insister
auprès du Gouvernement du Pérou sur la necessitéde hàter la remise
des sauf-conduits, qui ne peut pas être retardée en invoquant une
prétendue connexion des réfugiésavec des délits de droit commun
ou des délits politiques connexes de délits de droit commun, en vertu
du principe selon lequel c'est le pays accordant l'asile qui qualifie la
nature politique ou de droit commun du délit.
Le Gouvernement de l'Uruguay considère également que, juridique-
ment, il incombe au Gouvernement péruvien de remettre lesdits sauf-
conduits et qu'après que les délinquants en question se trouveront
en territoire étranger, il pourra procédeà une demande d'extradition,
s'il estime qu'il s'agit d'un délit de droit commun.
Considérant qu'un retard injustifié équivaut à un rehs, le chargé
d'affairesa. i.de l'Uruguay a pour inst~ctions,d'annoncer une action
ultérieure, au cas où les sauf-conduits ne seraient pas octroyés dans
un délai convenable et bref.

Lima, le 14 février 1950.
Pour copie coiiforme:
(Signé ALFICEDO PACHECO,

Directeur général.
[Suivent les légalisations d'usage.] NOTE VERBALE NO 6-23-1
[Traductiogr]
Le ministère des Relations extérieures et du Culi:e se réfère aux
communications de l'ambassade de 1'Uruguay nos 142 et 149, en date
des z et 5 novembre de l'annéeécoulée,et lui remet les sauf-conduits
accordés aux docteurs Manuel Gutiérrez Aliaga et Luis Felipe Rodri-
guez, pour qu'ils puissent se rendre en Uruguay.
Cependant, il (le ministère des Relations extérieui-eset du Culte)
tient àAffirmerexpressément que le Gouvernement possède despreuves
multiples et incontestables qu'à l'Alliance populaire révolutionnaire
dénomméeaussi Parti du Peuple (Partido del Pueblo), et àses membres,
parmi lesquels figurent les réfugiésà l'ambassade, incombe une entière
culpabilité dans la préparation et la direction la rébellionde caractère
militaire qui s'est produite au Callao le 3 octobre 1948 et dans d'autres
délits de droit commun qui sont envisagés et punis par nos codes.
Par conséquent, notre chancellerie croit opportun de déclarer que
le fait d'accorder un sauf-conduità MM. Gutiérrez Aliaga et Rodriguez
ne saurait être interprété à l'encontre du droit de demander leur
extradition, si les tribunaux compétents en décident ainsi.

Lima, le 17 février 1949.
Pour copie conforme :
(Signé)ALFREDOPAGHECO,
[Suivent les légalisations d'usage.] Directeur général.

[Traduction] Ambassade de l'Umgoay 7/rg4g/rg.
L'ambassade de l'Uruguay, se référant à la communication no6-2311,
en date du 17 courant, du ministère des Relations extérieures et du
Culte, par laquelle lui ont étéenvoyés les sauf-conduits accordés aux
docteurs Manuel Gutiérrez Aliaga et Luis Felipe Rodriguez Vildosola
pour que ceux-ci puissent se rendre en Uruguay, a l'honneur de faire
connaître à la chancellerie que ces Messieurs, réfugiésau siège de
l'ambassade, partiront le vendredi 25 du mois courant par l'avion
de la Panagra sEl Inter-americano i>qui quittera l'aéroport de Lima-
tambo i 8 heures 5.

Lima, le 23 février 1949.
Au Ministère des Relations extérieures et du culté. E/V.

Pour copie conforme :
(Signé)ALFREDOPACHECO,
[Suivent les légalisations d'usage.] Directeur général. Annexe n" 2

CRÉATIOX D'UNE COUR MARTIALE POUR JUGER SOM&IAIRE-
MENT LES AUTEURS, COMPLICES ET AUTRES RESPONSABLES
DES DÉLITS DE REBELLION, .SÉDITION OU EMEUTE
{Trndi~ction]
DÉCRET-LOn Io 4

La Junte militaire de gouvernement, considérant :
Qu'il est un devoir primordial du Gouvernement qui s'est constitué,
d'assurer l'ordre public et de défendre les institutions démocratiques du
pays ;
Qu'il est nécessairedans ce but que les délits qui portent atteinte à
ces objectifs soient jugés dans un court délai et punis avec sévérité.
immédiatement, de façon à ce que la peine ait sa plus grande efficacit;
En exercice des pouvoirs qui lui ont éti.conférés,édicte le décret-loi
qui suit :

Article - Les auteurs et complices, ainsi que ceux qui, d'une
façon quelconque, pourraient ètre (aparecieran) responsables des délits
flagrants de rébellion, sédition ou émeute, commis par des militaires
ou des civils, ou par les deux, prévus à la section quatre du Livre
la sécuritéet la tranquillité publiques prévus aux sections 7, 8 etntre10
du Code pénal, seront iupés sommairement par les Cours martiales.
" -
Article 2. - Les Cours martiales seront nomméesdans chaque cas
par le ministre compétent, dans un délaide 24 heures, après I'esécution
du fait qu'elles dotvent juger.
-4rticle3. - Les Cours martiales seront présidéespar un militaire
de rang ou hiérarchieégalou supérieur à celui de l'inculpé leplus carac-
tériséet elles seront intégrées,en outre, par deux officiers supérieurset
deus subalternes.
S'il s'agit de civils, les Cours martiales seront intégréespar trois
officiers supérieurs et deux subalternes et seront présidéespar l'officier
de la plus haute hiérarchie ou par le plus ancien.
Srticle 4. - Les Cours martiales seront assistéespar des conseillers-
assesseurs (azrdi!ores letrados) de la dépendance qui les aurait convo-
quées.
Article 5. - En même tenips que la Cour martiale, sera également
nommé un juge d'instruction, lequel devra terminer l'instruction dans
un délaide trois jours prorogeables de trois autres.

Article 6. - L'instruction une fois terminée dans le délaiétabli à
l'article précédent,le juge d'instmction la transmettra avec son rapport
finalà la Cour martiale, laquelle, aprhs l'avis de son conseiller-assesseur,
doit surseoir pour ceux quTnes'avèrent pas comme responsables. et elle
régularisera la procédure à l'égarddes responsables. ]>ans ce cas, elle
nommera un agent du ministère public qui doit Ctre d'une hiérarchie
niilitaire égaleoii supérieureà celle de l'inculpéle plus caractkrisé;elle
fera établir les preuves qu'elle jugera nécessaireset elle prononcera la
pas dépasser sis jours. cette procédure de la Cour martiale ne pourra

26 ANNEXES A LA RÉPLIQUE COLO>IBIENNE (N' 2)
396
Article 7.- La Cour martiale décidera à sa discrétionsi elle accep-
tera un ou plusieurs défenseurs nommés par les accusais ou si elle les
désignera elle~m6rne.
Article 8.- La Cour martiale, pour punir les délits qu'elle est
appelée à juger, pourra infliger en chaque cas, enlesaugmentant jusqu'au
maximum, les peines prévues par les lois actuelles pour de tels délits
ou passer aux peines immédiatement supérieures, eu pouvant aller
jusqu'à infliger la peine de mort.
Article g.- La condamnation à la peine de mort exigera un avis
favorable d'au moins quatre membres de la Cour martiale. Eu cas
contraire, l'internement sera infligé.

Article ro.- Contre la sentence prononcée par la Cour martiale il
n'y aura aucun autre recours d'appel et son exécutiori sera ordonnée
immédiatement par sou président.
Fait à Lima, Maison de Gouvernemeiit. le quatrième jour du mois de
novembre, mil neuf cent quarante-huit.

Généralde brigade MANUET A.. ODR~AP ,résident de la Junte
militaire de gouvernement.
Contre-amiral Féderico Diaz Dulanto, ministre des Relations
extérieures et du Culte.
Généralde brigade Zen6n Noriega, ministre de la Guerre.

merce.nel Luis Ramirez Ortiz, ministre des Finances et du Com-
.-~
Lieutenant-colonel Augusto Villacorta. ministre de l'Intérieur
et de la Police.
Lieutenant-colonel Marcial Merino, ministre de la Justice et du
Travail.
Lieutenant-colonel Alfonso Llosa G. P., ministre des Travaux
publics (Fomento y Obras publicas).
Contre-amiral Roque A. Saldias, ministre de la Marine.
Colonel Alberto Lopez, ministre de la Santé publique et de
l'Assistance sociale.
Colonel Juan Mendoza, ministre de l'Éducation publique.

Général C. A. P. José Villanueva, ministre de l'Aéronautique
Colonel Carlos Mifiano, ministre de l'Agriculture.
J'ordonne qu'il eii soit exbcutk et publié.

Lima, le 4 novembre 1948.
(Signé)MANUEO LDR~A.
Zenou Noriega.

El Peruano, journal officiel, Lima, le 5 novembre 1948.)
[Suivent les légalisations d'i1sage.j.

Document file FR
Document
Document Long Title

Réplique du Gouvernement de la République de Colombie

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