Contre-mémoire soumis par le Gouvernement de la République française

Document Number
8997
Document Type
Date of the Document

2. COXTRE-MÉMO~RE SOUMIS PAR LE GOUVERNEMENT
' IIE LA RÉPUBLIQUE FKANÇAISE

TABLE IIES MATIÈRES

Pages
Contre-Mémoire ................ * 354

~istori~ue des négociations qui ont donné naissance au statut
actuel et des difficultésauxquellea donnélieu son application :

A. Les premières dificuités :1819-1824 ....... - 359
B. La négociation de 1824 ............. 363
C. I,anégociationde 1837-183 et9la convention du2 août 1839368

Partie II

Yoyens juridiques tirésde l'historiclue précédentet de nature
j fonder la conclusion que les espaces litigieune peuvent ètre
déclarés susceptibles d'appropriation privative par l'une ou
l'autre des Parties et quepar conséquent le statu quo doit être
maintenu .................. . 371

Histoire des espaces litigieux, depules plus anciens documents,
jusqu'à l'époqueoù a pris naissa~icelestatut qui les régitactuel-
lement, établissant la souveraineté de la France ..... 377
1. Situation généraledes îles de ln hfanche ..... 377
II. Situation des Écréhous ...........
- 3%
III. Situation des Minquiers ............ 397
Conctusionsdu Gouvernement de la Républiquefrançaise ... 403

Liste des anneses. ............... 404

Aaneses :
1. Lettrede M.Canning au prince de Polignac, di128février1825 4i5

II. Kough mernorandum .............. qro
III. Lettre du prince de Polignac ù M. Canning, du 16 sep
. ternbre 1824 ............:.... 410
IV. Projet de convention des 7 et g septembre 1824. .. 413 *
Le 29 décembre 1950 e Gouvernement de la République fran-
$aise et le Gouvernement du Royaume-Uni ont signéun compro-
mis, ratifié le 24 septembre 1951, ainsi conçu :

soumettant à la Cour internationale de Justice les différends
existant entre la République française et le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord concernant .la souveraineté
sur les ilotsdes Minquiers et des Ecréhous.

Le Gouvernement de la République française ét le Gouverne-
ment du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et de l'Irlande du
Nord ;
Considérant que des différends sont survenus entre eux à la
suite de revendications rie souveraineté de la part de l'une et
l'autre partie sur les ilots et rochers des groupes des -niinquiers et
des Écréhous ;
Désirant que ces différends soient résolus par une décision de
la Cour internationale de Justice qui déterminera leurs' droits
respectifs quant àla souveraineté sur ces ilots et rochers;

Désirant que soient définies les questions à soumettre à la Cour
internationale de Justice ;
Sont convenus de ce qui suit :

Article pre~nier,- La Cour est pri6c de déterminer si la souve-
raineté sur les îlots et rochers des groupes des Minquiers, d'une
part, et des Écréhous, d'autre part, dans la mesure où ces îlots
et rochers sont susceptibles d'appropriation, appartient à la Répu-
blique française oa au Royaume-Uni.

Article II. - Sans préjuger en rien de la charge de la preuvc,
les Parties contractantes sont conveniles, se référant à l'article 37
du Règlement de la Cour, que la procédure écrite consisterait en :
I) un mémoire du Royaume-Uni devant êtresoumis à la Cour
dans les trois mois qui suivront la notification du présent accord
prévue à l'articleIII ci-après ;
2) un contre-mémoire français devant être soumis dans les
trois mois qui suivront la remise du mémoire du Royaume-Uni ;
3) une réplique du Royaume-Uni, suitrie d'une duplique de
la France, devant êrre souniises l'une et l'autre dans ut1 délai
à fixer par la Cour. Article III. - Dés l'entréeen vigueur du présentaccord, celui-ci
pourra ètre notifié la Cour, conformément à l'article 40 du Statut
de la Cour, par l'une ou l'autre des Parties contractantes.

Article IV. - a) Le présent accord sera soumis à ratification.
6)Les instruments de ratification seront échangésle plus tôt ,
possible à Paris et le présent accord entrera en vigtteiir immédiate-
ment après l'échangedes ratifications.

En foi de quoi les soussignés,dûment autorisés par leurs gouver-
nements respectifs, ont signé le présent accord ct y ont apposé
leurs sceaux.

Fait en double à Londres, ce zglnc jour de décembre 1950, en
français et en anglais, les deux textes faisant également foi.

(Signé) ANDRE GROS.
(~ipréj \Y. E. BECKETT.

Les groupes de rochers et ilots dSnommésMinquiers et Écréhous
. s'étendent sur une superficie de plus de 260 km2 et, comme

l'indique le mémoire du Royaume-Uni, la plupart d'entre eus
sont affleurants ou iioyés. Trois ilots émergents dans le groupe
des Écréhous et un îlot dans Ie groupe des Minquiers peuvent,
bien que dépourvus de sources, êtrchabités pendant l'été.
Le Gouvernement de la République française, avant de déve-
lopper ses observations sur le différend porté devant la Cour,
remarque que les caractéristiqiics géographiques des plateaux
rocheux en question ne comportent pas l'existence d'un statut
unique coinme Ie suppose le Royaume-Uni en se fondant sur une
simple dénomination cartographique. Des plateaux rocheux s'éten-
dant sur une superficie maritime aussi étendue trouvent leur statut
juridique dans des actes coiiventionnels et non pas dans une
dbignation cartographique, el ce sera l'objet du présent mémoire
d'établir la portée des dispositions conventionnelles en vigueur
entre la France et le,Royaiirne-Uni réglant les statutsdes espaces
contestés.

Ainsi qu'il est énoncé à l'article premier du compromis du
29 décembre 1950, le différeridqui est soumis à la Cour porte sur
Ic point de savoir si la soiiveraini:té çur les îlots et rocherscles
groupes des Minquiers, d'une part, et des gcréhous, d'autre part,
appartient à la République française ou au Royaume-Uni, dans
la mesure ?ù ces ilots et rochers sont susceptihIes d'appropriation. D'après le Gouvernement du Royaume-Uni, le litige a été
déféré Ala Cour en partant de l'idéequ'aucun des îlots et rochers
litigieux ne doit être consid6ré comme res nzdliz~s, mais que la
souveraineté sur chacun d'eux, dans la mesure ou il est susceptible
d'appropriation, appartient soit à la France, soit au Royaume-Uni.
L'argumentation. du Gouvt:rnernent britannique, sur la base

de cette interprétation du coiiipromis, se ramène à deux propo-
sitions :
I) le Royaume-Uni a sur les territoires litigieux un titre ancien ;
2) il justifie d'une possesçioii effective, publique et paisible.
Le Gouvernement du Koyaurne-Uni soutient donc qu'en vertu
du droit-féodal, il a uii titre préférableà celui de la France et que,
tant à date ancienne qu'à I'époqiiemoderne, il a exercé sur les
territoires et espaces litigieux tint:possession effective, alors que
le Gouvernement de la Républicluefrançaise, en tout état de cause,
ne peut lui opposer qil'un titre nu sans aucun fait de possession
valable. .

Le Gouvernement de la K6publique française soutient de son
côtC :
I) qu'il n'y a pas lieu, cn 1952, contrairement à ce que soutient
le Gouvernement britannique, d'attribuer une souveraineté pri-
vative sur ces territoires et espaces litigieux à l'une ou à l'autre
des parties, ces territoires ou espact:s n'ktant plus susceptibles, ~
en droit, d'une telle appropriation par la raison que leur statut
a -été définitivement réglépar la convention conclue entre la
France et le Royaume-Uni le 2 août 1839 ; en fait, lesdits ilots -
n'étant pas susceptibles matériellement d'une appropriation

effective ;
2) alternativement, que la France ~iossèdeun titre préférable
à celui de la Grande-Bretagne et que, ou bien les faits de possession
invoqués au soutien de sa,prétention par le Royaume-Uni n'ont
pas la portée qu'il leur prête, ou bien le Gouvernement de la
Républiclue française peut en invoquer de son côté d'une portée
non moindre ou plus grande.
Le Gouvernement du Royaume-Uni raisonne comme s'il s'agis-
sait de soumettre à la Cour non la question du statut des espaces
Iitigieux tels qu'ils se comportent en 1952, mais la questiond de
savoir qui, du roi de France on du roi d'Angleterre, était suzerain,

au moyen âge, des territoires et espaces litigieux sans tenir compte
de l'existence d'un statut moderne consacré .par la convention
dc 1839.
Dans la forme qu'elle a prise en fin de compte, l'argumentation
des deux parties, ramenée à ce que le Gouvernement de la Répu-
blique française estime êtrel'essentiel, est la suivante :
Le Gouvernement de la Reine soutient que la convention du
2 août 1839 qui règle l'exercice de la pêchepar les ressortissants
des deux nations le long descôtes de leilrs territoires métropolitains
stipiile du côté de Jersey, dans son article 2,en ce qui concerne seulement la pêche aux huitres; que dès lors la convention de
1839 n'a pas fixéla limite de la mer territoriale britannique dans
ces parages A 3 milles autour de Jersey, mer basse, mais qu'i1
4- a lieu à l'application de Ilarticle 9, parak~aphe r, de la
convention, qui stipule pour la pêchegénérale unrayon de 3 milles,
mer basse, le long des côtes des iIes britanniques,.que, dès lisrs,
la limite tracée autour de Jersey est une limite spéciale et que
l'on ne saurait inférer de cette stipulation spécialeque la Grande-

Bretagne a jamais abandonné par l'effet de la conventio1-i.les
droits souverains qu?elle prétend avoir sur les rochers litigieux,
lesquels sont des ûes britanniques au sens de la convention. Le
lioyaurne-Uni demande à la Cour de lui reconnaître ces droits
souverains, non pas d'ailleurs tels qu'ils se comportaientà l'origine,
mais seulement dans la mesure où il s'agit de rochers ou d'îlots
susceptibles aujourd'hui d'approprjation.
La thèse du Gouvernement de la République française est, au
contraire, que la convention du 2 août x839 a réglé leslimites
des eaux territoriales des deux nations dans ces parages de telle
sorte que la limite de 3 milles, mer basse, tracée autour de Jersey,
constitue en cet endroit la limite de la mer commune ; qu'il
résulte de là que la France et le Royaume-Uni ont convenu en
xS39 de mettre - ou de laisser - dans la mer cornmune les îlots,
rochers ou espaces litigieux.
Afin de prouver le bien-fondé de son interprétation de la

convention de 1839, le Gouvernement de la République française
devra reprendre l'historique des' négociations qui, depuis les
premieres années de 'la Restauration jusqu-n 1839, ont préparé
ces conventions. Il s'étendra, après le Gouvernement du Royaume-
Uni, sur les négociations de 1824, entre le prince de Polignac,
ambassadeur de Fpnce à Londres, d'une part, M. Canning, Prin-
cipal Secrétaire d'Etat et de hauts fonctionnaires britanniques, de
l'autre. Il montrera que c'est en 1824 qu'ont commencé à se
dégager, gr%cepour une bonne part aux efforts du Gouvernement
britannique, Ies principes finalement acceptés, lors dela conclusion
de la convention de 1839, par le Gouvernement français, et que
celui-ci est seul aujourd'hui à défendre.
Le Gouvernement de la République française iie s'est pas déjugé
mêmedepuis que le Gouvernement du Royaume-Uni, ayant perdu
de vue la portCe véritable de la convention dc 1839, a prétendu
des droits de souveraineté exclusive sur les espaces aujourd'kiui

litigieux.
Si au cours des années il est arrivé au Gouvernement français
de suivre le Gouvernement du Royaume-Uni sur le terrain de la
contestation mutuelle de la souveraineté dans des conversations
souvent intcrroinpiies pendant de longues années. ce fut à son
corps défendant, afin de conserver ses droits, ce qui explique
que le Gouvernement de la République française, à la différence
du Gouvernement de la Reine, fasse de ses conclusions relativementa sa souveraineté privative des conclusions subsidiaires. Encore
une fois, il considère que le statut territorial des espaces
aujourd'hui litigieux a étéréglé en 1839, conclusion incompatible
avec toute décision d'appropriation privative au sens des conclu-
sions britanniques.
Le présent mémoire sera divisé en trois parties :

a) Partie 1 :Historique des négociations qui ont donné nais-
sance au statut actuel des espaces litigieux et des difficultésaux-
quelles a donné lieu son application ;
6) Partie II : Moyens juridiques tirés de l'analyse de ces faits
historiques, de nature à fonder la conclusion que les espaces
litigieux ne peuvent plus êtredéclaréssusceptibles d'appropriation

privative par l'une ou l'autre des parties ct que par conséquent
le statzdqzro doit être.maintenu ;
c) Partie III :.Histoire des espaces litigieux depuis les plus
anciens documents jusqu'à lrépoque où a pris naissance le statut
qui les régit actuellement, établissant la souveraineté de la France. PARTIE 1 .

HISTORIQUE DES S~COC~ATIOSS QUI ONT DONSÉ u -4ISSASCE .4U
STATUT ACTUEL ET DES DIFFICULTÉS AUXQUELLES 9 DOXSE
LIEU SON APPLICATION

A. - Les rentière sificultés: 1819-1824

La convention du 2 août 1839, qui règle aujourd'hui le statut
des eaux territoriales des deux nations dans leurs rapports
mutuels, a des origines à la fois tumultueuses et modestes.

Dans la cleuxièmc moitié du XVIII~~~~siècle, l'attention des
autorités franqaises fut attirée par l'existence de fertiles bancs
d'huîtres dans la cBaie de Granville i),soit que ces bancs se fussent
formés à cette époque, soit que la consommation des huitres à
l'intérieur du pays eût rendu le dragage assez rémunérateur pour
justifier une culture et une exploitation plus actives.
L'administration de l'ancien régime exerçait sur l'exyloitaiioii
des bancs une surveillance au moyen d'inspections périodiques
i des rapports. C'est dans un de ces rapports,
qui donnaient lieu
établi par M. Chardon, rcconseiller du Roi, commissaire départi
pour la visite des portsD, et daté du 12 juin 1786, que l'on trouve
décrite pour la première fois avec détaiis, la culture des huîtres
et l'cxploitation des bancs de ces parages. Ce document, bien
souvent cité au cours des discussions du siècIe dernier, énumère
les bancs d'huîtres en exploitation, y compris celui qui s'étend,
assez loin au Iarge, entre les Chausey et les Minquiers, et cite
les règlements destinés à en assurer la consenration.
Les pêcheurs français considéraient alors les bancs d'huîtres

comme leur Œuvre ou celle de leurs auteurç du XVIII*~ siècle. Ils
avaient cultivé les huitres, ils prétendaient récolter ce qu'ils
avaient semé : les fruits sont au maître du champ. Cette thkse,
fondéesur des droits historiques et qui explique les particularités
du régime de 1839 dans les parages de Granville, est nettement
résuméedans un commentaire écrit à l'usage du département
français des Affaires étrangères sur une note de M. Canning ail
prince de Polignac, en date du 2s février 1825, que nous aiirons
I'occasion de citer Aplusieurs reprises dans la suite de ce mémoire.

(Annexe 1 au présent memoire.)
((II s'agiti)écrit l'auteur inconnu, ((ilon d'une juridiction plus
ou moins étendue, mais d'un droit réel de propriétéqui n'a été
contesté que bien postérieurement a 1814, droit résultant di1

fait d'une possession immémoriale annuellement et constammeiit
fécondéepar une exploitation e?rcIusive,soumise à la surveillance
de l'autorité publique.
ciCette possession, >Ir Canning est forcé de la reconnaitre lui-
mêmeimplicitement, lorsqu'opposant des dénégationsaux dévas-tations reprochées aux pecheurs de Jersey, il ajoute : (on doit
« toutefois convenir que, de leur côté, les Français ont produit
« des publications de reglements très utiles pour la peche des
huîtres sur les côtes de Normandie et de Bretagne, pendant
n que les etats de Jersey n'ont produit aucun témoignage équi-
((vaient de soins pareils pour la pêcheen question n.
(On doit évidemment conclure de cet aveuquela France exerçait

'surles pêcheriesde Normandie et de Bretagne zbndroit de propriété)
(Arch. Aff.-Etr. blém. et Doc. Angleterre, t. rrg, pp. 295-299.)

La France; on le voit, fait valoir un titre historique à l'exploi-
tation exclusive des bancs.
Dans ce premier temps, chacun défend une idée en apparence
simple. Les pikheurs anglais prétendent draguer partout où il y
a des huîtres à draguer. Les pecheurs français résistent à cette
prétention partout oii ils ont des huitres à défendre, c'est-&-dire
dans toute l'étenduede mer où ils ont cultivé des huftres. estimant
de ce fait avoir un droit exclusifà la récolte.
Il suffit de reporter sur la carte ce que cette querelle signifie '

en lieues de mer, pour apercevoir tout ce que ces prétentions
contradictoires impliquaient de difficultés. Lq aires cultivées les
plus fertiles s'étendaient dans la baie de Cancale et au nord des
Chausey généralement à plus d'une lieue, dans certains endroits
à plus de deux lieues de la côte française, mer basse. D'autre part,
la nature voulait que de nombreux bancs, et non les moins fertiles,
fussent tout près de la côte française, à la toucher.
11n'étaitpas contesté que la France eût le droit de faire respecter
ses lois particulières quant à la siirveillance de la pêchepar des
étrangers le long de ses côtes, mais le rayon de la zone où cette

surveillance pouvait s'exerccr était sujet à discussion. Si l'on,
partait de la règlede la portée du canon, soit une lieue ou 3 milles,
on obtenait dans les eaux du Cotentin une première zone où les
Français pouvaient prétendre au monopole de la pêchedes huîtres
en vertu de leur monopole généralsur toutes esphces de pêches.
Mais c'était chasser les Anglais des bancs les plus fertiles, ceux
que naturellement ils corivoitaicnt le plus fort. D'autre part, si
les Français, en vertu de leur titre historique, réclamaient le mono-
pole du dragage des huîtres au delà de la limite des 3 miHes, ils
ne pouvaient empêcher les pêcheurs anglais de venir pratiquer
la pêche générald eans ces mémeseaux. Or, il n'est pas facile dans

ces conditions d'exercer une bonne et efficace police. Du moment
que l'on admet des limites différentes selon les natures de pêche,
on s'engage dans d'insurmontables difficultés. Pour Cviter ces
difficultés il faut accepter le principe de la limite commune pour
toutes les pêches, sinon absolument pour toutes les formes de
juridiction et de police. On n'en était pas là en 1819. Mais c'est
à quoi on devait aboutir en 1839. L'Œuvre de ces vingt ans est COSTRE-.\~ÉJIOIHE DU GOUVERNEJIEST FMNÇAIÇ (26 VI 52) 361

précisémentd'avoir édifiéun régime fondé sur le principe de la
limite unique, commune à toutes les peches.
La campagne de 1819 fut marquée dans ces eaux disputées par
une recrudescence d'activité des pecheurs britanniques en pro.vc-

nance pour la plupart, on le remarquera, non de Jersey mais de
lointains ports anglais. C'est une véritable «ruéevers les huîtres D,
c'est-A-dire vers la côte normande, à la toucher. Bien entendu,
du côté français, on accuse les pêcheurs anglais de méconnaître
la réglementation tutelaire et de ravager les bancs. Cette chaude
alarme se transmit jusqu'à Paris, qui mit en mouvement l'ambas-
sade de France à Londres. Le marquis de Latour-Maubourg rendit '
compte le 20 août 1819 des représentations qu'il venait dc faire
'au ministre anglais. La réponse de lord Castlereagh marquait

le peu dJimportarice qu'il attachait à cette question. Sous une
forme courtoise ellc revenait à dire: ((Chaque nation a ses lois
particuli6res.. concernant les pécheurs étrangers et la distancc de
la côte à laquelle on leur permet d'approcher, nous avons les
nôtres, faites respecter les vôtres.» Il s'agissait.cependant de tout
autre chose. Le Gouvernement français sentait bien dès lorsqu'urie
réglementation iinilat4rale ne répoiidait pas aux nécessitésde la
situation. Pour faire entendre raison aux pécheurs de l'une et de
l'autre nation, il fallait d'abord que les gouvernements se fussent
mis d'accord sur quelques principes propres semir de fondement ,

à une bonne police. Sans quoi on continuerait à se battre. C'est
pourquoi le comte de Caraman, prenant la suite du marquis de
Latour-Maubourg, saisissait le20 août 1820 le ministre anglais
d'une proposition dont le mémoire britannique fait état dans ses
paragraphes 74, 75 et210-213.
Pour la première fois, comme le note avec juste raison le rné~noire
britannique, la notion de mer territoriale, dérivant de la souve-
raineté de l'État côtier, apparaît dans cette discussion. Il est
non nioins exact que la communication française contient la

phrase suivante :
cV., E. trouvera ci-joint des copies de ces tracés (des limites
proposées,reportées sur des cartes jointes), la couleur bleue indique
l'étendue de la mer territoriale pour la France et la couleur rouge
l'étendue de cette mer pour les îles d'Aurigny, de Cers (Sark),
de Jersey et des hlinquiers possédées par l'Angleterre i),phrase
qui provient dc la transcription d'une lettre du ministre dc la
Marine au ministre des Affaires étrangères en date du 14 sep-
tembre 1819.
Enfin, comme le dit te mémoire britannique (par. 75), le texte

de la lettre précitée du 14 septembre 1819 montre que si le
Goilvernement français reconnaissait que la souveraineté de l'État
riverain s'étend au delà des eaux adjacentes, il n'a pas souteriu
à l'époque que la limite des eaux territoriales fût dans tous les
cas de 3 mïlles à partir de la laisse de basse mer. C'est pourquoi
il propose, en égard aux circonstances particulières des parages36'2 CONTRE-ME~IOIHE DU GOUVERNERIIINT FEANGAIS (26 VI 52)

situés entre les îles de la Manche et les côtes avoisinantes de la
France, que les deux gouvernements fassent un accord sur une
ceinture maritime dé 6 inilles autour de leurs côtes respectives,
ce qui, faut-il ajouter, revientà poser le principe de l'unité de
rayon de tous Ies genres de pêches,et de la mer territoriale.
Le Gouvernement de la République franqaise ne cqntestera
pas que la proposition de hl. de Caraman passait les Ecréhous
sous silence,à la différence des Minquiers.
Finalement, le Gouvernement de la République française tient
à faire observer que, non seulement le Gouvernement britannique
c'a jamais fait de réponse à cette proposition du 20 août 1820,

mais qu'il n'y a jamais fait la moindre allusion jusqu'au 6 mars
1952. AU cours des négociations qui ont abouti à la convention
du z août 1839, c'est-à-dire pendant 19 ans, à quelques jours
près, les négociateurs des deux nations ont toujou,rs traité les
Minquiers comme M. de Caraman faisait déjAles Ecréhous. Ils
ont mis ou laisséces kifs et ces îlots dans la mer commune. On
verra que cela n'est nullement l'effet d'une négligence ou d'une
erreur.
Le comte de Caralnail, la situatioil locale ne s'améliorant pas,
eut à reparler de l'affaire des pècheries d'huîtres au ministre
anglais. La limite des6 milles était uiie question enterrée, mais
lord Londonderry, le 31 août XSZI ,dmettait l'exclusivité de la
peche des huîtres le long des côtes françaises au béiiéficedes
Français dans un rayon de 3 milles, haute mer, ce qui revenait
à repousser tout ce que les prétentions françaises pouvaient, en
apparence du moins, avoir d'exorbitant, pour donner aux pêcheurs
anglais plus que leur dû etleur ouvrir l'accès d'une bonne partie

de ces huitrières les plus voisines de la côte, dont l'invasion en
1819 avait mis en émoipopulations, administrateurset diplomates.
On ne pouvait s'entendre sur ces bases, mais de part et d'autre
on avait fait duchemin. On entrevoyait l'idéed'un rayon unique
pour tous les genres de pêches,sans doute le mêmeque celui
de la mer territoriale, bien quedi1côté anglais on n'eût rien dit ,
sur ce point.
Il ne s'agissait plus pour Paris de dblimiter des pêcheriesréser-
véesdans la mer. Il s'agissait de délimiter par rapport à la côte
une zone telle que les cultures d'huîtres des Français y fussent
comprises. On discutait de la 1ongueiir.d~ rayon, et c'était déjà
beaucoup. Le Gouvernement britannique tenait surtout, de son
côté, à organiser nn régime local, et Chateaubriand, .devenu
ambassadeur à Londres, reçut de lord Londonderry des propo-
sitionsà cet effet.011 ilornmerait de part et d'autre des com-
missaires qui seraient chargés de prendre au. nomdes deux gouver-

nements des arrangements propres à prévenir le retour des tenta-
tives des.pêcheurs anglais.
En France, cette proposition ne satisfit point. Certainà Paris
Ctaient restés attachés à l'idée desdroits de propriété. La com-mission de lord Londonderry se ferait juge dans chaque cas parti-
culier de l'étendue du droit de propriété. Or, il ne s'agissait pas
seulement d'apaiser les différends locaux. Il s'agissait aussi d'une
question de principe. En d'autres termes, on souhaitait une déli-
mitation convenue entre les deux nations tracée selon un principe
fixe, c'est-à-dire selon le droitpropriétédans l'esprit de quelques-
uns, selon d'autres principes d'une application plus aisée dans .
l'esprit de quelques autres.

L'année 1823n'apporte aucune amélioration dans la situation
locale. On nomme des experts qui doivent se réunir à Granville,
mais, quand l'expert britannique se présente en juillet, c'est pour

décIarer que ses instructions ne I'autorisent pas à concéder plus
d'une lieu, mer basse il est vrai,
La négociation est au point mort ;il va falloir rendre la parole
aux diplomates.

B. - La négociationde 1824

L'ambassadeur de France à Londres est maintenant le prince
de Polignac. Il veut aboutir, et, s'il est vrai qu'il finira par échouer,
il n'aura pas cependant perdu sa peine, car c'est bien de la négo-
ciation de 1824 que procède en dernière analyse le règlement
de r839.
=lu moment d'entrer en conversation, le prince de Polignac a
pour instruction de faire-tous ses efforts pour obtenir le rayon de
six niilles, mer basse. Ce qui intéresse surtout les pêcheursfrançais
et le service des pêches, c'estd'exclure les pêcheurs anglais de la
baie de Cancale et des parages, au nord des Chausey, compris

entre le banc de la Catheue, la chausséedes BŒufs et le Senéquet:
D'autre part, on sait bien en France que l'Angleterre est attachée
au principe de la plupart des publicistes, qui limitent à 3 milles,
ou une lieue marine, le rayon de la mer territoriale.
Au ministère dc la Marine on accepte l'idée que la limite dc
six milles dans les parages en cause pourra êtrestipulée, à titre
d'exception, sans préjudice du principe généralqui ala faveur de
la Grande-Bretagne, de telle sorte que la France s'interdise pour
l'avenir l'extension à d'autres côtes de la limite de six milles.
On admet encore, ce qui ne va pas sans danger, qu'il pi.)urra être
stipulé deux limites paralléles, l'une à 3 milles de la côte, iner
basse, pour le poisson flottant, l'autre à 6 milles, ou t.rois milles
plus avant dans la mer, pour les huîtres.
Le 16 janvier 1824, le prince de Polignac rend compte au
ministre de sa première conférence, tenue le15, avec MM.Planta
du Foreign Office,"et Hnhhouse, du Home Office, le département

dont relève, en Angleterre, le service des pêches.
Tl fait valoir dès l'abord son grand argument, la réciprocité.
La Grande-Bretagne a, dit-il, depuis longtemps iine législation etune réglementation qui interdisent aus pecheurs étrangers d'appro-
cher à moins de trois lieues de la côte anglaise dans certaines
eaux. La France ne fait que réclamer dans les parages litigieus
di1 Conteritin uil privilège de mêmenature.
La réglementation anglaise invoquée était cependant tombée
en désuétude au dire des com~nissaires britanniques. Ceux-ci
reconnaisssieiità chaque royaume maritime un droit de jurirliction
au delà (2)d'une certaine distance de ses côtes, mais la limitation
de cette distance était encore matière à cliscussionparmi les publi-
cistes; plusieurs systèmes avaient étémis en avant Ace srijet sans

qu'aucun eût étéencore généralement adopté ; plusieurs Puis-
sances s'étaient arrogé le droit de résoudre cette question dans
des vues d'intérêtparticulier, mais leurs prétentions avaient été
repoussées par les Puissances voisines, et la France nommément
n'avait jamais voulu reconnaître aucune des délimitations mari-
times établies par les différentes clauses des traités que l'ambassa-
deur de France venait de citer. Dans l'ktat actuel de la question,
les commissaires britanniques ne faisaient aucune difficulté de
respecter la délimitation de deux lieues marines du point de la
laisse de basse mer applicable à la baie connue sous le nom de
baie de Cancale, puisque cette délimitation avait toiljours été
respectée, nais il n'en était pas de meme le long des côtes di1
nord de Granville, où les pêcheursfrançais n'avaient que depuis
peu d'années l'habitude de pêcher des huîtres à une distance plus

grande que celle d'une lieue à mer basse. Pour se convaincre de
cette vérité,il suffisait de se rappeler que la plupart des huitrières
placées à deus lietresdes côtes françaises, entre les rochers Senéquet
et les îles Chausey, avaient étédécouvertes par les pêcheurs de
Jersey pendant la dernière guerre entre la France et 1'Angleterre.
qui avaient par conséquent acquis un droit incontestable à leur
yossession. droit que le fait se111de la cessation des hostilités
n'aurait pu leur enlever qu'autant qu'on eût pu leur opposer
l'application d'un principe de délimitation maritime universelle-
ment reconnu, chose qu'il était impossible de faire. Enfin, ils
terminèrent par proposer de nouveau la distancc d'une lieue du
point de laisse de basse mer comme délimitation erideçà de laquelle
il serait défendu aux pêcheursde Jersey de SC livrer, le long des

côtes françaises, à la pêche d'huîtres et au delà de laquelle la
jouissance de toute huîtrière établie appartiendrait en commun
aus pecheurs drs deux côtes.
Sauf la concessio~-irelative Ala baieci- Cancale, les coinmissaires
anglais n'avaient pas cédéuii pouce de terrain. Pourtarit, Polignac
finit par obtenir d'eux une proposition qiii lui parut raisonnable
et qui consistait à ((prendre une lieue marine du point de laisse
de basse mer, à partir des cotes, comme base de délimitation mari-
time dans le cas actuel ; on tracerai etrconséc[uenceune ligne de
démarcatioii à la distance ci-dessus indiquée le loiig des cotes
septentrionales de la Normandie jusqu'i Granville ; cette ligne remonterait vers les îles Chausey, de manière à intercepter, entre
ces deux points, tout passage aux pêcheurs anglais, ce qui rnett,rriit
àl'abri nos pêcheursdans la baie de Cancale ;la ligne ferait e~lsuite
le tour des îles Chausey puis se rapprocherait des côtes (toujourz
à la distance d'une lieue du point de laisse de basse mer), vers
la pointe de Menga, au N.O. du bourg de Saint-Colomb, et prendrait
sa direction finale vers l'île desmbiez. - Nos pêcheurs auraient
dans l'intervalle de mer compris entre les côtes et cette ligne de
démarcation le droit exclusif de la pêche ;en outre, on leur recon-
naîtrait également au delà de cette limite jusqu'à la distance de
deux lieues marines du pointde laisse de basse mer, un droit de
propriétésur toutes les huitriEres et bancs d'huitres qu'ils auraient
réellement cultivEs et exploité; depuis 1814, mais dorénav:~nt
toute nouvelle huîtrière forméc au delà de la limite d'une lieue

du point de laisse de basse mer pal-tir des côtes françaises, appar-
tiendrait en conimun aux pêclieurs français et anglais. Quant
à la distance qui servirait de limite aux frontières maritimes des
côtes de l'ile de Jersey, elle semit la mêmeque celle qui aurait été .
appliquée aux côtes de Francc, c'est-à-dire une. lieue marine du
point de laisse de basse mer, avec cette différence que toute hui-
trière ou banc d'huîtres placéau delà de cette limite serait exploité
en commun par les pêcheurs anglais et français. Le ministère de
la Marine fit repousser cette proposition qui était loin, selon ses
vues, de donner aux pêcheurs français toutes les huîtrières aux-
quelles 11savaient droit entre la ligne de 3 milles et la Iigne de
6 milles.
En. mai, Polignac, Planta et Hobhouse tinrent une nouvelle
conférence. Poligiiac ne plaide plus le droit de proprikté, comme
il l'avait fait d'abord, sans préjudice du principe de réciprocité.
Sur le terrain de la propriété, iI sent que ses interlocuteurs n'iront
pas au delà de leur proposition du mois de janvier, c'est-à-dire

la limite de 6 milles pour les huîtres dans la baie de Cancale, et
ailleurs les huîtrières comprises entre 3 milles et 6 milles, mais
à la condition cette fois d'avoir étéeffectivement expIoitées par
les Français depuis 1814.
Polignac va donc s'attacher plus fermement que jarnaiç au
principe de la r<ci]>rocité.Sachant l'Angleterre préxvenueen faveur
de la limite de"3 milles des eaux territoriales, il offrira de s'y
conformer et de renfermer dans cette limite les droits exclusifs
des pêclieurs nationaux le long de leurs côtes respectives, sauf
toutefois cri ce qui concerne la pêche des huîtres. Au nom de la
réciprocité,il rkclame dans les parages litigieux la limite d6 milles,
puisque Ies Anglais, de leur côté, dans certains parages le long de
leurs côtes, réclament une limite supérieure à 3 milles pour certaines
de leurs pscheries d'huîtres. C'est au fond l'argument dont il s'est
déjà servi, sans succès, en janvier, quand il lui fut répondu que
ces droits spéciaux, que d'après lui l'Angleterre réclamait, étaient
tombés en désuétude.Il fut plus heureux cette fois-ci. Les inter- locuteurs rédigèrent sur-le-champ un avant-projet sous le titre
de Rough Mew1orandu.m.Ce texte pose la règle des 3 milles, le
principe de la réciprocitéet, au nom de ce principe, lerégimespécial
I de la pêcheaux huîtres dans les parages litigieux, à savoir2 lieues
du havre de Carteret jusclu'au travers de Lingreville, etc. ; du
côté anglais, 3 milles autour de Guernesey, Jersey et Alderney
pour la pêchegénérale, maisdeux lieues, autour de Jersey, pour
la pêche exclusive (des huîtres). (Annexe II, Mémoire français.)

Enfin, le 7 septembre, Polignac et Canning se mettent d'accord
sur un projet de convention rédigéen français, dont le 9 sep-
tembre Polignac et Hobhouse arrêtentle texte anglais. La signature
est fixée au 15.
Le projet de convention des 7-9 septembre 1824 n'est que la
mise en forme, avec toutes les précisions nécessaires,du Rough
iMemorandzin~du mois de mai. (Annexe 26, Mémoiredu,Royaume-
Uni.)
Les hautes parties contractantes reconnaissent réciproquement
omme inhérent à la souveraineté territoriale de l'un et de l'autre

Etat le droit exclusif de pêcheen deçà de la distance d'une lieue
marine le long de leurs côtes, mer basse.
Du côté français, en vertu du principe de réciprocité, en ce
qui concerne la pêcheaux huîtres, aux moules et aux coquillages,
la Iigne servant de base à la dblimitation maritime Ie long de
cette, partie de la côte située entre le havre de Carteret et le
village de Lingreville est située à deux lieues marines depuis
la pointe S.O. du havre de Carteret jusqu'à un point O. du village
de Lingreville. A partir de ce point, cette ligne tournera autour
des îles Chausey à la distance d'une lieue marine, jusqu'aux
rochers appelés Les Sauvages, duquel point elle se dirigera vers

le sud sur la pointe du Menga, en s'approchant des côtes à la
distance d'une lieue marine, d'où enfin elle prendra une direction
Ouest conservant la même distance le long des côtes du départe-
ment des Côtes-du-Nord.
L'article3 fixe également du côté de Jersey la limite de la
pêche générale à 3 milles, conformément à la règle gknérale, et
à 6 milles en ce qui concerne la pêche deshuîtres, moules et
autres coquillages.
Le 15 septembre 1824, quand Polignac se rendit à la conférence
de signature, Planta et Hobhouse lui demandèrent si la.convention
était applicable à toutes les pêcheriesen généralle long des côtes

de-la France et de l'Angleterre. Polignac les renvoya à la lecture
des articles de la convention « dont le sens ilécrit-ilt(ne saurait
ètre obscur 1).
Ces articles stipulaient relativemerit aux huitres, moules et
coquillages d'une part, et à toutes les autres pêcheriesde l'autre.
En ce qui concerne la pêche générale,la Iimite était celle des
eaux territoriales fixées à une lie~e tout le long des côtes des
possessions respectives des deux Etatç en Europe. Sur quoi les commissaires anglais lui répondirent que si tel était le cas, il était
nécessaire d'examiner jusqu'à quel point la convention pourrait
affecter les pêcheriesanglaises de hareng le long des côtes dc Norfolk
et en mêmetemps ils produisirent une pétition adressée en 1819
au Gouvernement anglais par les pêcheurs descfites du Norfolk
qui réclamaient le privilkge exclusif de pêcherle hareng jusq~r'i
quatorze milles cn pleine mer. (Lettre de Polignac à Canning,

du x6 septembre 1824 : annexe III, ci-après.)
Dès lors. tous les efforts de PoliCIac nour renouer la coiiïrcr-
sation demeurèrent vains.
Le 28 février 1825, Canning lui adressa une longue riote, où,
sans faire aucune allusion aux pêcheursdu Norfolk, il sc foridait
sur des considérations plus hautes et plus généralespour expliquer
l'impossibilité pour le Royaume-Uni de signer le projet coinmuri
des 7 et g septembre 1824. (Annexe IV ci-après.)

IO Un examen attentif avait révélé aux autorités britaniiicliies
que les conccssions qu'elles avaient été sur le point de souscrire.
étaient des concessions sans contre-partie. Le qzrid pro quo cluc
Polignac avait cru trouver en offrant le respect des réglernenta-
tions spéciales du Royaume-Uni n'existait pas. II n'y avait donc
aucune raison d'empêcherles pêcheursbritanniques de se porter
sur les bancs d'huîtres situés A plus de 3 milles [le la côte
française.

2" La concessioii de la limite cle 6 milles clc 1ü part du
Royaume-Uni était donc toute gratuite. Mais, de plus, elle était
vaine, car toute stipulation d'un rayon supérieur à '3 millcs
se heurtait aux règles du droit international. S'il était vrai que
les deux Etats pouvaient à la rigueur, moyeiinant des mesurcs
appropriées, imposer à leurs ressortissa~its le respect mutuel dc:la
limite de 6 milles, ils n'avaient aucun moyen d'interdire ails
pêcheursd'une tierce nation, les Pays~Bas par exemple, de venir
pêcherau milieu du détroit qui sépare Jersey dcs côtes françaises,
ce qui montrait bien, au dire de Canning, que les stipulatiiins
de la convention étaicnt dénuéesde toute efficacité.
Polignac, naturellement, fut peu satisfait de cette note. 11

essaya, en s'adressant à Canning d'abord, puis à Planta, le5 avril
1Sz5, de montrer que si l'Angleterre ne réclamait plus aucun droit
exorbitant en ce qui concerne les huîtres, elle s'arrogeait cependitnt
celui d'exercer sa juridiction jusqu'à plus de 4 lieues en pleine
mer, à d'autres égards.Si elle admettait des esceptions au principe
des 3 milles, il était difficile de comprendre pourquoi elle repous-
sait la réclamation française touchant les huitrières du Cotentin.
Dans sa lettre du 5 avril a Planta, Polignac résume trCs claire-
ment sa thèse et, en mêmetemps, celle de Canning. (Publiée iti
H. A. Smith, Great Briilrilzawd the Law of Nations, I.ondori,
S.d., 1, pp. 157- 58.) a~a note officieuse que M.'Canning m'a adressée, en date du
28 février dernier, place la question agitée depuis longtemps entre
les deux gouvernements relativement à la détermination maritime
le long des côtes de France et d'Angleterre sur un terrain tout à
fait nouveau ;il ne s'agit plus -maintenant de pêcheriesfrançaises
ou anglaises, la question est ramenéepar M.Canning à ilne question
pure et -simple de juridiction *naritirne; là où s'étend cette juri-

diction, 011a un droit exclusif de pêche ;au delà, ce droit n'existe
plus, voilà ce que la note donne à entendre.
Or, puisque la loi des nations, ainsi que l'établit cette note
d'après l'opinion de quelques publicistes, est que la juridiction
maritime d'un pays ne doit s'étendre qzt'hune liezie en mer le long
de ses cotes, la France ne saurait s'arroger un droit de pêcheexclusif
au delà de cette limite sans se trouver en contravention avec une
loi reconnue, assure-t-on, comme loi des nations.
- aLa contre-note que j'ai envoyée le 22 du mois dernier à
hl. Canning a eu pour objet de démontrer que l'Angleterre, moins
qu'aucune autre nation, ne peut considérer comme loi des nations
l'opinion de quelques publicistes relativement aux limites qu'ils
prétendent fixer à la juridiction maritime d'un pays puisque, dans

l'état actuel de sa législation, cette puissance s'attribue un droit
de juridiction jusqu'à quatre Eieues en pleine mer. )I
La France persévéradans cette voie et le Royaume-Uni maintint
sa positior. Ce fut un échange de iu qttoq~~au terme duquel la

.- controverse \ntra en sommeil pour quelques années.

C. - La négociation de 1837-1839
et la conveniion du 2 août 1839

L'application par une'entente officieuse de la convention de 1824
dans l'aire litigieuse n'était qu'un reinède provisoire et somme
toute peu efficace. Les incidents ne cessèrent point d'éprouver la

patience des autorités locales qui, heureusement, restèrent jusqu'au
.bout en boiis termes.
Chaque année la croisière française opère des saisies, non sans
rencontrer la résistance quelquefois très vive des équipages britan-
niques. Une fois au moins, en 1834, il y eut mort d'homme. Au
cours d'une saisie un matelot français fut grièvement blesséet le
patron anglais fut tué d'un coup de feu.
Enfin en 1836, leIO octobre, lord Granville, ambassadeur dtAngle-
terreà Paris, propose que les deux gouvernements désignent des
commissaires pour étudier une ligne de démarcation nouvelle qui,
sans compromettre sérieusement les intérêtsfrançais, laisserait
plus de champ à la pêchebritannique. La commission réunie a
Granville s'occupera tout d'abord de cela seulement, les huîtres

de la baie de Granville, le détroit qui sépare Jersey de la côte
de France avoisinante. Jamais, au cours de cette conversation,pas plus qu'en 1824, il n'est question des Écréhous, ni des
Minquiers. En revanche, la limite de la pèche exclusivement
anglaise est invariablement fisée à trois milles autour de Jersey,
mer basse. Le différend qui subsiste encore en novembre 1836

porte sur tout autre chose, sur un espace de mer qui s'étend le
long des côtes françaises entre le rocher Senéquet et le village
d'&on, espace qui renferme, ail dire des Fran~ais, des huîtrières
importantes.
Le 23 mai 1838, l'ambassadeur d'Angleterre informe le Gouver-
nement français des dispositions de son gouvernement qui serait
prêt à conclure une convention fixant les limites de la pêchesur
les autres côtes des cieux États. Cette stipulation généraledevrait
faire l'objet d'une convention séparée.

A GranvilIe les experts poursuivent leur Œuvre et, dans cinq
séances tenues du lcroctobre au 6 octobre 1838, ils arrêtent avec
toute la précision requise des lignes de démarcation propres à
satisfaire les deux parties.
L'année suivante le Gouvernement britannique fait parvc~iir
au Gouvernement français un projet qui deviendra, après quelques
retouches de peu d'importaiice, la,convention du 2 aoiit 1839.
Le préambule définit l'objetque les hautes parties contractantes
se sont proposé, lequel est double :

r0 reconnaître et sanctionner les limites établies et déterminées
par la cgmmission mixte instituée en 1837 en-dedans desquelles
les ressortissants des pays respectifs pourront librement exercer
la pêchedes huîtres entre l'île de Jersey et les côtes avoisinantes
de France ;

2O définir et régler les limites en dedans desquelles le droit
généralde pêchesur toutes les parties de la côte .des deux pays
sera exclusivement réservéaus sujets respectifs de la France et
de Ia Grande-Bretagne.

DU côté français (art. rc:r),la limite de la pèche aux huîtres
est constituée par des lignes tracées entre les points, indiqués
par les lettres A à K, sur la carte annexée à la convention.
Cette ligne de la pointe di1 Menga jusqu'au nord des Chausey
suit, à peu de chose près, le tracé de 1824. Au contraire, au nord
des Chausey, elle est d'abord tracée à plus de trois milles de la
côte du Cotentin, mer basse, mais ensuite à partir du point F,
elle reste en deçà des trois niilles jusqu'au point K.
L'article 2 fixe la limite, dri côté anglais, à 3 milles autoiir cle

Jersey, mer basse.
L'article 3 stipule expressément que dans l'entre-deux des
limites résultant des articles précédents, la pêche des huîtres
sera commune aux pêcheurs des deux nations.
Enfin, l'article g pose la règle du rayon de 3 milles pour
le monopole de la pêchegénéralele long des côtes de France etdes côtes des îles britanniques au bénéficedes nationaux res-
pectifs des deux États.

«Bien entendu ii,est-il ajouté dans. le premier alinéa, (que sur
cette partie des côtes de France qui setrouve entre le cap Carteret
et la pointe de BIenga, le droit exclusif de pêchen'appartiendra
qu'aux sujets français eii dedans des limites inentio~inées en
l'article lcr de la présente convention. 1,
Tel est pour l'essentiel le texte en vigueur aujourd'hui encore
après cent treize ans. CONTRE-JIE~IOIRE DU GOUPERKEJIEST FRAKÇAIS (26 VI 52)
371

PARTIE Il

MOYEXS JURIDIQUES TIRÉS DE HISTORIQU ERECÉDEST ET DE
NATURE A FONDER LA CONCLUSION QUE LES ESPACES LITIGIEUX NE

PEUVENT ÈTRE DÉCLARÉS SUSCEPTIBLES D'APPROPRIAT~OX PRIVATIVE
PAR L'UNE OU L'AUTRE DES PARTIES ET QUE PAR CONSÉQUENT LE
« STATU QUO » 13011E:TRE MAINTENU

Le Gouvernement de la République française se propose, dans
cette seconde partie de son mémoire, de défendre la seule inter-

prétation possible à ses yeux de la convention du 2 août 1839
et de réfuter l'interprétation qu'en soutient aujourd'hui !e Gou-
vernement britannique.
Il doit ressortir dq celte discussion que les espaces aujourd:hui
litigieus ont étéplacésdans la umer commune 1par la convention
de 1839 avec toutes les. conséquences de droit qui résultent de
là, à savoir:

IO que le statut actuel des espaces litigieux résulte d'un titre
nouveau qui a pris. naissance par l'accord des parties en 1839
et non pas d'un titre quelconque antérieur à 1839 ;
2" qu'une modification du statut actuel ne pourrait dès lors
résulter que d'un nouvel accord des parties.

Il sera commode de partir de la remarque du Gouvernement
du Royaume-Uni, au paragraphe 216 de son mémoire, selon
laquelle((si la souveraineté sur l'un ou sur l'autre des deux groupes
d'îlots avait été litigieuse aux époques où les deux conventicris

de 1824et 1839 étaient négociées, onaurait introduit une référence
expresse au droit exclusif de pêcheriedans les eaux territoriales
des Écréhous et des Minquiers r.
11est remarquable, comme le constate le Gouvernement britan-
nique de son côté, qu'à aucun moment entre lc 15 janvier 1324
et le 2 août 1839 il n'a étéquestion ni des Écr4hous ni des Xin-
quiers entre les deux gouvernements, tout au moins d'une manière

explicite. Le Royaume-Uni, pas plus que la France, n'a en effet
revendiqué un droit de souveraineté quelconque sur ces rochers.
Toutefois, il ne résulte pas de 18 que si le Gouvernement du
Royaume-Uni, au lieu de suivre la conduite qu'il a tenue, avait
revendiqué ces îlots, le Gouvernement français n'eiit pas de son
côté fait valoir ses droits. Aux yeux du Gouvernement de la Répu-
blique française, la commune conduite des deux gouvernements
'
en l'occurrence s'explique par Ie fait que, d'un commun accord,
ils ont suivi dans cette négociation des priricipes qui rendaient
inutiles cle pareilles discussions.
Il s'agissait en effet pour eus de régler cl'uiie manière réaliste
un différend relatif à l'exercice du droit de pêchedans. les eaux
resserrées cliii séparent Jersey des cotes de France avoisinantes.

zliIls ont considéré les espaces maritimes qui s'étendent dans cet
entre-deux seulement comme un bras de mer semé d'écueils.
Si l'on admettait le contraire, comment expliquer ce qui s'est
passé au cours de ces Iongues négociations, pourtant coiiduites
d'un côté comme de l'autre avec beaucoup de réflexion ?
A cet égard deux faits sont particulièrement instructifs :
IO La manière dont le Gouvernement britannique a accueilli la
proposition de Polignac qui a.fini par constituer le fond du projet

des 7-9 septembre 1824 et (lui tendait à régler la question de la
limite de la pêchedans son ensemble, le long de, toute l'étendue
des côtes des possessioiis européennes des deux Etats ;
2' La manière dont M. Canning, dans sa note à Polignac du
28 février 1825, a interrompu pour de longues années une négo-
ciation qui, un instant, avait paru si près d'aboutir, par des motifs
qui impliquent nécessairement que, pour lui, les espaces aiijourd'hui
litigieux ne relevaient pas de la souveraineté britannique.
En ce qui concerne le premier de ces kpisodes, que disait Polignac
eii mai 1824 ?
Offrant la limite de. trois milles partout ailleurs, il réclamait
celle de six milles entre la pointe de hlenga et Carterct contre le
respect le long des côtes anglaises de toutes les délimitations des

pècheries d'huîtres d'un rayon supérieur. à trois milles. Cette
délimitation de la pèche était expressément rattachée à la délimi- .
tation.des eaux territoriales. En somme, sauf en ce qui concernait
la baie de Granville où il réclamait six millesau nom de la récipro-
cité et pour les huitres seulement, Polignac offrait de sc rendre
à la thèse du Royaume-Uni qui défendait contre tout venant le
rayon de trois milles. Or, les négociateurs anglais, y compris
Canning, acceptèrent d'abord cette proposition. De. la combi-
naison des articles IC~ et 3 du projet commun des 7-9 sep-
tembre 1824 il résulte que le rayon de la mer territoriale autour de
Jcrsey est de trois milles et la liniite de la pêche aux huîtres. six
milles. Or, il n'a jamais été contesté que ces rayons dussent,&tre
mesurés de la côte de Jersey, mer basse, ce qui laissait Ies Ecré- .

hous hors des eaux de Jersey, bien que ces rochers fusset~t compris .
pour Ja plus grande partie en dedans de la limite de la pêchedes
huîtres réservée aux pêcheurs britanniques à l'exclusion des
pêcheurs français. Il n'a jamais étésoutenu en 1824 - ni d'ailleurs
en 1839 - que l'un quelconque des rochers des Écréhous décou-
vrant toujours, ou .le plateau tout entier, fussent le centre géné-
rateur d'une zone d'eaux territoriales au profit du Royaume-Uni.
S'ilfut alors entré dans les vues du Royaume-Uni de prétendre
un droit de souveraineté sur les Écréhous, il aurait été bien naturel
qu'il défendit les droits de la pêcheanglaise di1 côtéde Jersey en
prenant d'abord ce qu'il pouvait, au nom du droit international
etdc la règle des trois milles, que Polignac lui concédait désormais.
Le mêmeraisonnement vaut pour les Minquiers.
Venons-en au deuxiéme épisode caractéristique. Le 15 septembre 1824, le commissaire anglais, au lieu de signer
le projet, avait demandé à Polignac un sursis pour esaminer
l'incidence de la stipulation généraledu rayon de trois milles
sur les droits des pêcheurs de hareng du Xorfolk. Ce n'est pas,
comine semble le dire le mémoire anglais, le caractère généralde
la stipulation du rayon de trois milles qui fut la cause du revire-
ment anglais. Au contraire, le principe du rayon de trois milles,
concédépar Polignac, était la règlede toute Ia politique britannique
en la matière. Les négociateurs anglais invoquèrent seulcnient
un6 difficulté toute particulière d'application.
L'argument de Canning dans sa note du 2s février 1828 cst
tout autre, et d'ailleurs il ne fait pas allusion à la pêchedu hareng
par les gens du Norfolk, iilvoquée en septembre par les commis-
saires britanniques. Ce qui l'arrète, c'est le fait précisémentque

l'applicationde la règle des trois milles n'est pas généraleclans
le projet du7-9 septembre 1824. Or, dit-i1;c'est en vain que nous
stipuleroiis ilne exception, car d'abord de quel droit le Gouverne-
ment britannique interdirait-il à ses ressortissants de pêcheren
haute mer à,plus de trois milles des côtes franpises, de quel droit
lcs autorités françaises interdiraient-ellesaux .pêcheursbritan-
.niques de s'approcher jusqu'à trois milles des côtes de France ?
Mais, ajoute-t-il, admettons qu'une législation spéciale rende
possible entre les deux nations une telle restriction, ni la France
ni l'Angleterre ne pourraient l'imposer aux étrangers qui vien-
draient pêcherau milieu du détroit qui sépare Jersey des côtes
avoisinantes dela France. Or, quoi qu'on puisse penser de la valeur
intrinsèque de l'argument du ministre anglais, il implique néces-
sairement que, e.111824 et 1825, le Royaume-Uni considérait que
les eaux où se trouvent situés les rochers des Écréhous et des Min-
quiers appartenaient à la haute mer.

De toute évidence Canning, pas plus que Polignac, ne préten-
dait qu'il y eût dans les parages d'autre territoire générateur
d'une zone d'eaux territoriales que la côte française (Chausey
comprises) d'une part et Jersey de l'autre. \
Le projet dc convention de 1824 suppose que les négociat~:urs
des cleux nations considéraient que les espaces aujourd'hui litigieux
appartenaient à la haute mer ou à la mer commune, mais non en
propre à l'un d'entre eux. Or, cela demeure vrai ciela convention
de 1839, Rien au cours des négociations de 1836-1839 ne donne
A penser que les négociateurs de part et d'autre aient changé de
sentiment cltiant aux conditions nécessaires d'un bon statut des
parages litigieux. Ils ont voulu, comme en 1824, délimiter les
espaces de mer où les pêcheursdes deux nations exerceraient des
droits exclusifs et ceux où ils pratiqueraient la pêche encommun.
La convention de 1839 n'est rien d'autre que la convention de

1824, moiiis bicri rédigte, et définissant cependant des limites
micux étudiéesdans l'i~itérètdes pêcheurs des deux nations et
d'une bonne police. Or, l'interprétation mémelitt4raIedu texte conduit inéluctable-
ment à la conclusion que les Écréhous et les Minquiers ont été
laissées,ou si l'on veut, placéesdéfinitivement dans la mercommune.
Tout ce qu'on pourrait opposer à cette constatation tient à
certaines dificultés de texte. Au lieu d'être,comme la convention
de 1824 ,n texte tout entier préparéet rédigéà l'échelonsupérieur,
la convention de 1839 résulte de la combinaison assez maladroi-

tement opéréed'un texte d'experts (articles I à 8) et d'un texte
(articleg) beaucoup plus général,stipulant le principe du rayon
de trois milles, celui des eaux territoriales,. pour toutes les natures
de péche le long des côtes de France et des i(iles britanniques
(italiques par nous). En d'autres termes, la convention du
2 août 1839 consiste en réalitéen deux conventions, qu'on avait
voulu d'abord tenir séparées,la premikre relative à la pêchedes
huitres entre l'île de Jersey et la côte avoisinante de France
(articlesI à 8); la seconde (article 9) ayant pour objet de définir
(iles limites en. dedans desquelles le droit généralde pêche sur
toutes les parties des côtes des deux pays sera réservéaux sujets
respectifs de la France et de la Grande-Bretagne ».
La convention telle qu'elle était sortie des travaux des experts

offrait à l'Angleterre ce quid pro quo que la convention de 1824
ne lui donnait pas. Au nord des Chausey la ligne de démarcation
restait à partir du travers de Lingreville en deçà de la limite de
trois milles, de telle sorte que les pêcheurs britanniques avaient
désormais accès à quelques-uns des bancs les plus fertiles. II y
avait là une concession qui compensait les avantages obtenus par
la France entre le travers de Lingreville et les Chausejr et dans
la baie de Cancale. Cette fois la monnaie d'échangea ététrouvée
sur place. Du côté de Jersey, la limite de la pê-e aux huîtres
est ramenée à trois milles.
Si l'on stipulait, d'autre part, comme on le faisait dans l'arti9,e
que la limite de la pêche générale serait partout de trois milles,

on aboutissait, faute d'une disposition ad hoc, à un régimeoù, du
côté français, les limites de la pêche générale et de la péche aux
huitres ne coïncidaient pas. Du point A au point F, la pêcheaux
huitres débordait le domaine de la pêchegénérale ; du point F
au point K, c'est l'inverse qui se produisait. Or, c'est cette situa-
tion, dont on avait beaucoup souffert depuis 1824, que l'on voulait
éviter. (Voir carte annexc à la convention de 1839.)
La convention de 1839 est fondéesur l'unitéde limite. Il fallait
donc prévenir toute incertitude.
((Bien entendu que sur cette partie des côtes de France qui se
trouve entre lecap Carteret et la pointe du Menga, le droi txclusif
de toute espèce de pêchen'appartiendra qu'aux sujets français en
dedans des limites mentionnées en l'article premier de la présente

convention. a
Cette addition opportune levait du c.té français tous les doutes
qui auraient pu se produire sans elle. Mais, en s'attachant toujours à la lettre, il subsistait encore une
difficulté. L'article premier et l'articleg réglaient le rPgime de
toutes les espèces de pêchesle long des côtes de France. Cependarit, ,
du côté anglais, l'article 9 réglait la p&chegénéralele long detoute
. l'étendue des îles britanniques, tandis que l'article z réglait la
pèche des huitres autour de Jersey,-sans qu'on eût ajusté lesdeux
textes comme on l'avait fait pour le côté français. L'ajustement

n'a pas étéfait parce qu'il a étéjugé superflu. En effet, dans le
cas de Jersey, à la différence de ce qui avait lieu le long de la côte
française avoisinante, la limite applicable à la péche des haitres
était de trois.milles, la même que celle de la pêchegénérale.
Toute autre interprétation irait à l'encontre de la commune
intention des parties qui, à concéder l'interprétation britannique,
n'auraient réussi qu'à déplacer la difficulté après avoir fait tant.
d'efforts pour la résoudre. Car si l'on admet, en .faisant dire au

texte ce qu'il ne dit pas expressément, alors clu'il est si explicite
ailleurs, à savoir que la pêchegknérale serait réservée,par l'effet
de la convention, autour de ces îles britanniques que sont, les
ficréhous et respectivement les Minquiers dans lathèse britannique,
on aboutit à former un domaine maritime où la pêchegCnei-ale
est interdite aux Français mais non la pêche des huîtres, ce qui
revient à établir du côté anglais, avec tous ses inconvénieilts,
un régime que, .pour de si bonnes raisons, on répudie expres-
sément du côté français.
En second lieu, une pareille solution, dont il n'avait jamais
étéquestion au cours des ilégociations, rompt la réciprocité au

détriment de la France qui, au moment même où elle sacrifiait
un droit certain qu'elle tenait du droit international en ramenant
la limite de pêchesfort rémunératrices en deçà de trois milles,
se serait vu chassée de parages où ses pêcheurs avaient toujours
eu librement accès.
Enfin, la forme mêmede l'alinéa 2 de l'article 9 va contre
l'interprétation que nous critiquons.
iBien entendu >idit ce texte. Il s'agit non d'un ((toutefois »,
c'est-à-dire d'une restriction qui peut tenir à un autre motif que
la nature même des choses, mais au contraire d'une restriction

nécessitéepar l'esprit même du texte, énoncéedans le cas par-
ticulier en raison de circonstances toutes spéciales, mais qui
s'applique non moins nécessairement à la limite fixéeautour de
Jersey. Toute l'économie du texte suppose en effet l'accord des
parties sur le principe de bon sens déjà mentionné, faute duquel
il n'est pas de bonne police possible. L'expérience venait de le
prouver, il ne delfait plus 7 avoir dans une aire donnée qu'une
seule et mêmelimite pour toutes les espèces de pêcheset partout.
sauf l'exception de Is ligne ,4K, cette commune limite avait éti:
fixée à 3 milles parce que le rayon de 3 milles est celui des eaux
territoriales accepté par les deus nations. COSTRE->~É>!OIRE DU GOUVERYE31EST FRASÇAIS (26 VI 52)
376
Aucune convention entre les deux États depuis 1839 n'a eu
pour effet de modifier cet état de droit.
Le Gouvernement du Royaume-Uni invoque cependant la
convention du' 2 janvier 1859, relative à l'installation d'une ligne
télégraphique sous-marine entre le continent et les Ples anglo- .

normandes, pour soutenir que la souveraineté britannique s'étend
aux Écréhous et aux Minquiers considérées commedépendances
de Jersey au sens de cette convention.
Le moyen ne parait pas fondé. Dans la mesure où la mention.
des i(dépendances 1)dans le texte invoqué est autre chose qu'une
simple clause de style, le Gouvernement français soutient:
1) que la convention de 1859 doit s'interpréter d'après fa
convention de 1839, sur laquelle, en revanche, elle ne jette aucune
.mière ;

2) que, par conséquent, si la convention de 1839 exclut les
espaces litigieux du domaine de la souveraineté exclusive de
la Grande-Bretagne, on ne doit pas interpréter les termes rdépen-
dances de Jersey n, faute d'une définition précise, comme faisant
entrer dans le champ d'application de la convention de 1859
les espaces aujourd'hui litipieux.
Le Gouvernement britannique invoque, d'autre part, la conven-
tion du II novembre 1867 pour soutenir qu'il faut entendre la
convention du 2 août 1839 en ce sens qu'elle s'étendaux espaces
litigieux considérés comme dépendances de Jersey.
A cet égard, lcGouver~iement de la République française doit

faire observer qu'en tout état de cause la convention de 1867
(article 38) ne pouvait êtreregardée comme ayant un effet décla-
ratif mais seulement un effet attributif. Elle aurait coi~stituéune
renonciation de la part du Gouvernement français aux dispositions
de la convention de 1839 en tant qu'elles s'appliquaient aux
dépendances de Jersey au sens de la nouvelle convention. Il
resterait évidemment à déterminer dans quelle mesure ladite
convention de 1867 faisait rentrer les espaces litigieux dans ces
((dépendances iimais la convention de 1867 n'étant jamais entrée
en vigueur, la convention de 1839 reste la loi des parties, et toute
recherche de cette nature est superflue. Tout au plus peut-on

dire, puisque le moyen a été soulevépar le Gouvernement britaii-
nique, qu'il prouve seulemeilt qu'il fallait un nouvel accord des
parties pour étendre, A partir d'utie base nouvelle, la jiiridictiot~
exclusive de la Grande-Bretagne au delà du rayon de 3 milles
autour de la côte de Jersey, mer hasse, stipull! dans l'article 2
de la convention de 1839. PARTIE III

HISTOIRE DES ESPACES LITIGIEUX, DISPUIS LISS PLUS ANCIEXS
DOCU3IESTS JUSQU'A L'ÉPOQUE OU A PRIS NAISSANCE LE STATUT
QU1 LES R~GIT ACTUELLEMENT, ETABLIÇÇANT LA SOIIE:ERAI~'EI'É
DE LA FRANCE

Pour déterminer si la souveraineté sur les îlots ct rochers des'
groupes des Ecréhous et des hlinquiers a étéattribuée dc manière
incontestable à la France ou à l'Angleterre avant le statut accepté '
par les deux nations en 1839, il faut faire appel à l'histoire. Aussi

est-il bon de préciser le sens du mot iisouverain 3)au cours des.
temps. Au XIIW siècle, ce mot, venu du bas-latiriiisi~$eratz?ta, '
signifiait simplement isupérieur » :c'était un comparaiif. Comme
le dit Beaumanoir, un juriste du temps, dans ses Coz~flinaesde
CEernront-en-Beauvaisis, no 1043, chaque baron était ((souverain

eii sa baronnie 1; mais le roi, placé P la tête de la hiérarchie
féodale, était (csouverain par-dessus tous il.Peu à peu, le mot
ne se prit plus que comme superlatif : on ne coiisidéra comme
souverain que le prince qui n'avait pas de supérieur, la souveraineté .
s'cntcndit seulement de la puissance suprême. C'est ainsi que,
dans le droit moderne, la soiive~ainetéest la puissance propre à
un État indépendant, qui s'exerce sur un territoire déterminé.
.
Le préscnt mémoirese propose d'étudierla question des Écréhous
et des Minquiers jusqu'à la fin du xvrIrm*:siècle. Il prendra pour
base d'anciens documents dont la plupart ont été reproduits
dans les annexes A du mémoire britannique et s'efforcera de
- les iiiterpréter tant au point de vue historiqlie qu'au point de
vue juridiclue.

Cet examen comportera trois cliapitres :
1" Situation généraledes Elcsde la branche ;
2" Situation des Gcréhous ;

3' Situation des Minquiers.

L'étude historique de la situation généraledcs îles de la Manche
a un grand intérêt, carelle permet de déterminer à quelle partie
iricombe la charge de la preuve. I*,videmrnent, il ne s'agit pas

d'appliquer la maxime actori inculnbit pvobatio : car il n'y a on
l'affaire ni demandeur ni défendeur. Mais, comme on va le voir,
la Grande-Bretagne n'a d'autre titre qu'une longue possession
sur des îles qui traditionnellement faisaient partie du duché (le
Normandie : c'est a elle clii'il iiicombe de faire la preuve de sa
possession pour chaciinede ces iles. Au commencement dii XIII"~ siècle, toutes les îles de Ia Manche
voisines di1 Cotentin relevaient du duché de Normandie, qui était
un fief mouvant de la couronne de France. Ce duché appartenait
au roi d'Angleterre, qui de ce chef était vassal du roi de France,
comme aussi pour le comté d'Anjou et le duché d'Aquitaine.
Ainsi, le 22 mai 1200, le roi Jean d'Angleterre avait au Goulet
prêtél'hommage au roi de France Philippe-Auguste. (Voir les

chroniqueurs anglais : Rogcr de Hoveden, IV, 114 ; Roger de
Wendover, 1, 294.)
En 1202, le roi Jean, ayant étéassignéàplusieurs reprises devant
la Cour de France pour diver; manquements à ses devoirs féodaux,
refusa de comparaître. 1.e 28 avrii de cette année, ((la Cour du
Roi de France assemblée jugea que le Roi d'Angleterre devait
êtreprivé de toutes les terres que, jusqu'alors, lui et ses prédéces-
seurs avaient teiiues des rois de France, parce que, par loiig temps,
ils avaient mépriséde faire presque tous les services dus.par les
dites terres et ne voulaie~it presque en rien obéir à leur seigneurII.

(Traduit d'après Raoul de Coggeshall; Chronique, éd.Stevenson,
P- 136.1
On ne peut contester la validité de cet arrét ail point de vue
du droit féodal. De fait, les rois d'Angleterre, bien que prêtant
assez régulièrement l'hommage à leur seigneur le roi de France
pour leurs duchéset comtés du continent, avaient souvent manqué
à leurs devoirs féodaux. La commise, c'est-à-dire laconfiscation
du fief, était la sanction normale qu'encourait le vassal infidèle.
Le seul refus de venir à la Cour du seigneur, après une rsemonce n
régulière,était un nianquement grave, qui justifiait la commise.

C'est à tort que le mérnoire britannique ($ 16) n'y voit qu'un
prétexte juridique.
Le roi Philippe-Aiiguste commença à assurer l'exécution de
l'arrêten envaliissant la Normandie eii juin 1202.
Deux ans après, en juin 1204, il occupait toute la partie conti-
nentale du duché,qui fut désormaisrCuni à la couronne de France.
L'arrét de 1202 l'autorisait aussi à mettre en sa main les îles
de laManche qui dépendaient de la Bormaiidie. 11réussit à s'en

emparer en xzog. Mais, en 1206, ses hommes furent expulsés de
Guernesey, de Serk, puis de Jersey. II y eut encye en 1213 et
en 1214 des occupations françaises qui ne durèrent point. Finale-
ment, en 1218, les Aiig1a.i~avaient repris Jersey, Guernesey,
Aurigny, Serk et Herm : telle est l'énumération donnéepar des
lettres patentes du roi d'Angleterre Henri III du ZI juin IZIS.
(Pégot-Ogier, Histoi des lles delaihilche, yp. 172-189.)
En revanche, aucun texte n'établit que le roi d'Angleterre ait
retenu d'autres îles, plus proches du continent, comme les Écréhous,les Minquiers et les Chausey. Le Mont-Saint-Xichel échappa aiissi
à sa domination.

illa suite de l'arrêtde rzoz, l'état de guerre persista luiigtemps
entrc la France et 1'.4ngleterre, interrompu seulement cle temps
à autre par des trêves. Au cours de ces hostilités, les Franciais
s'emparèrent d'autres provinces que les rois d'Angleterre avaient
jusqu'alors tenues sur le continent à titre de fiefs : l'Anjou, la
Toiiraine et le Poitou. Saint-Louis chercha cependant à établir
une paix durable avec Henri III d'Angleterre, en lui laissant
iine partie des terres confisquéespar l'arrêtde 1202. Sur ces bases,
un traité de paix fut conclu i Paris entre les deux rois le 28 rnai .
1238 et ratifié ensuite par eus en octobre 1259. (Le texte du

traité est donné dans les Layettes dtb Trésordes Chartes, t. XII,
pp. 411, 487, nM 4416, 4554. - Voir Gavrilovitch, gtttde sur le
traité de Paris de 1259.)
Par ce traité, le roi d'Angleterre renonce eii faveur du roi cle
France à la Normandie, au hlaiiie, a l'Anjou et au Poitou. Lette
clause reconnaît implicitemeiit la légitimitéde l'arrêt rendu par
la 'cour de France en 1202, en vertu duquel ces provinces ont
étéoccupées par le roi de France. *En revanche, le duché de
Guyenne et divers pays voisins sont laissésou rétrocédés à titre
de fief au roi d'Angleterre qui, de ce chef, doit prêter l'hommage-
lige au roi de France.

Les articles4 et 6 parlent des îles possédéespar les deux parties
en termes vagues.
L'article 4 contient la disposition suivante : I(Et dc ce que
li rois de France donra au rei d'Engleten-e e à ses hoirs en fiez
et en demaines, li rois dJEilgleterre et si hoirs feront homage
lige au roi de France et à ses hoirs, rois de France, e ausi cle
Bordeau, de Baionne et de Gascoine, e de tote la terre, qu'il tient
cleça la mer dtEngleterre en fiez e en demaines, e des iiles, s'aucurie ,
en i a, que li rois d'Engleterre tiegne, que soient du reaume de
France, e tendra de li corne pers de France et dux de Aquitaine. »

11résulte de ce texte que le roi d'Angleterre doit l'hommage
pour toutes les îles relevant du royaume de France qui sont entre
ses mains. Il ne s'agit pas seulement des îles de l'océan, voisines
de l'Aunis et de la Saintonge, mais aussi des iles de la Manche
qui se trouvent « deça la mer dJEngleterre iet qui ont auparavant
fait du 'd"chb de Normandie. Le roi d'Angleterre les garde
((s'aucune en i a qu'il tiegne ii.Le traité ne dit pas lesquelles,
s'en rapportant à l'état de possession.
Dans l'article 6, il est question des îles qui sont en la possession
du roi de France ou dc ses frères:((Et par ceste pai faisant quittera
li rois d'Engleterre et si dui filal rei de France e Ases anceisors

e à ses hoirs et à ses frkres, se li rois d'Engleterre ou si anceisor380 COSTRE-AIÉ~IOIRE DU GOUYERSEJIEST FRASÇXIS (26 1.1 52)

aucune droiture ont ou oront onques en la chose cluc li rois dc
France tiegne ou tenist, (inclues ou si anceisor ou si frére, c'est
assavoir en la duché e en tote la terre de Normandie, en la conté
e en tote la terre d'Anjoii, (le Toraine e de Maine, en la colite
e en tote la terre de Poiters, ou aillors, eri aucune part dou reaurnc
de France, e es illes, se aucune en tienent Ii rois de France oii
si frère ou autres de eus et taz arrerages. ))

Sauf quelques interruptions causées par les guerres, le traité
de 1259 régit les rapports de la France et de l'Angleterre jusqu'à
la guerre de Cent ans.

Après la bataille de Poitiers de 1356, où le roi Jeail-le-Bon
fut fait prisonnier par les Anglais, des efforts furent faits pour
rétablir la paix entre les deux pays. Sur la base de dispositions
arrêtées à Brétigny le 8 mai 1360, un traité définitif fut conclu
à Calais le 24 octobre suivai~t. (IL est inutile de parler, comme
lc fait le mitmoire britannique,§ ig, d'un accord conclu à Londres
le 24 mars 1359 par le roi Jean prisonnier; cet accord, qui ne
fut pas ratifié, n'eut aucune suite.)

Aus termes de ce traité, le roi d'Angleterre acquiert, outre
les provinces qu'il tient déjà, diverses autres qui lui sont cédées
par le roi de France dans les régionsde l'Ouest et du Sud-Ouest
sur le versant de l'Océan : il doit les tenir par la manière que le
roi de France les tenait, c'est-à-dire en pleinc souveraineté. La
Normandie iie se trouve pas parmi ces provinces : elle doit rester
au roi de France.
L'article 6 du traité s'occupe des îles :ccItern est accordé que
le roi d'Angleterre et ses hoirs auront et tendront toutes les isles

adjaceils airs terres, pais et lieux: avant nommez, ensemble avec-
ques toutes les autres isles, lcsquclx le roi d'Angleterre tient
à présent. ii (Cosneau, Les grnrzds traités de la guerre de Cent
"jZ$,p. 43.)
Il faut remarquer (ce quc ne fait pas le mémoire britannique,
9 rg) que ce texte vise deus sortes d'iles. Ce sont, d'une part,
« les îles adjacentes aux terres, pays et lieux avant nommés »:
il s'agit des îles de l'Océan, Noirinoutiers, Ré, Ycu, Oléron et
autres, dépendant des provinces cSdées par le roi de France.
D'autre part, il est question des îles que lc roi d'Angleterre tient

à présent : cesont des îles de laManche voisines de la Normandie,
qui ne font pas partie des pays avant nommés. Pas plus que dans
le traité de1259 ,lles ne sont énumérée sc'est au roi d'Angleterre
à prouver sa possession. Le roi de France, conservant la Nor-
mandie, continue à rester maître des îles proches du littoral,
qui en dépendent et qui ne sont pas à présent tenues par le roi
d'Angleterre. On ne voit pas comment le mémoire britannique (5 132) peut tirer argument de ce texte pour dire cjrieles Écréhous
étaient,à la date du traité de Calais, détenuesparle roi d'Angleterre.
Il conviendrait de remarquer que les effets juridiques de ce
traité sont restés limités : d'abord, parce que les transferts de
souveraiiieté n'ont pas étéeffectués, ensuite parce que le traité de

Troves de x4zo a établi un nouveau statut.
L; traité he Brétigny comportait de simples cessioriç ou remises
matérielles de territoires au roi d'Angleterre; les transferts de
souveraineté et de dernier ressort, qui avaieiit été mentionnés diris
le projet de Brétigny, furent exclus du texte cléfinitifde Calais
et réservés : ils devaient faire l'objet de renonciations expresses,
à rédiger postérieurement dans la ville dc Bruges. (Voir à ce sujet
les lettres patentes du roi d'Angleterre du 24octobre 1360 :annexe II
du mémoirebritannique.) Ces renonciations liefurent jamais faites;

et le27 juillet 1361leroi Jean-le-Bon, invitant leshabitants desterri-
toires cédésà reconnaitre l'autorité anglaise par le sirnple hommage,
ajoutait cette clause : tcsauf et réservé a nous 1s souveraineté
et le dernier ressort jusques les renonciations soient faites. ii(Be
nombreuses lettres furent envoj~éessous cette forme par Jean-
le-Bon ; cf. les référencesdans Delachenal, Histoire de Charles [;,
t. II (Paris, ~gog), p. 334.) Les contestations qui s'elevkrent &
ce propos furent si sérieuses qu'elles entrainitrent la reprise des
hoçtilités en 1369. EI~cette mêmeannée 1369, les juristes de la
couronne dc France rappelérent dans un mémoire qiie les prédé-

cesseurs d'Edouard III, et Edciuard III lui-mêmeeri 1360, avaient
toujours reconnu les hommages faits BSaint-Louis pour la Guyenne,
Bordeaus, et i(iles qui sont en clroict Normandie ii(Dans lJéd.
Buchon de Froissart, t. V., app. p. 305.) AUcours de cette giieri-e,
les îles ariglo-normandes étaient occupées à plusieurs reprises par
les Franqais.

Le traité de Troyes de 1420 mit 1111terme à cette longue période
de confusion. Ce traité, qui est considéréhabitirellernent comme

désastreus pour la France puisqu'il déshéritait le fils de Charles
VI, au profit du fils d'Henri \J d'.4ngletcrre, offrait cependant
en compensation certains avantages théoriclues et juridiques ;
l'article21 contenait la renonciation du roi d'Angleterre au titre
de roi de France tant que Charles VI vivrait, et surtout l'article -18
rétablissait pour l'avenir, et évidemment dans l'espoir d'une union
personnelle, l'intégrité du Royaume de France : (Item, quand
il adviendra, que notre dit Fils le Roy Heiiry viendra à la Cou-
ronne de France,la Duchie de Normandie, aussi les aiitrcs, chacuries
lieu par LUS conquis au Royau~ne de France, seront soubz la

Jurisdiction, Obéissance,hfonarchie de la dite Couronne de France. w
(Annexe A 3 du mémoire présentépar le Gouveri~ement anglais.
Ed. Cosneau, p. 103.)
A la mort de Charles VI, en 1422, Henri VI, déjà roi d'Angle-
terre, devint souverain du Royaume de France, et c'est à la Franceque furent alors rattachéesla Normandie, les iles anglo-normandes,
et toutes les conquètes généralement faites par les Anglais. On
peut donc prétendre-que le traité de Troyes a annulé le .traité
de Calais et reconstitué l'unité du royaume de France.

Les accords de Picquigny-Amiens,' conclus en 1475 par les
rois Louis XI et Édouard IV, et le traité d'Étaples, conclu en
1498 par les rois Charles VI11 et Henri VII, liquidèrent la guerre
de Cent ans ;ils reconnurent un état de fait, l'équilibre qui s'était
établi entre lesdeus royaumes, plutôt qu'ils ne se soucièrent d'en
donner uii règlement juridique ; ils eurent pour objet de procurer
des subsides au roi d'Angleterre plutôt que de définirles domaines
respectifs des deux souverains.

Le traité de Picquigny-Amiens cependant contient une clause
territoriale, d'ailleurs assez vague, les troupes anglaises devant
évacuerla France moyennant le versement de sommes importantes
par le roide France au roi d'Angleterre ;cette clause fut exécutée
sur le continent, à l'exception de Calais, qui devait faire retour
à la France seulement en 1558 (Rymer, Foedera, coaventiones,
litevae, t. V, partie 2, pp. 65-66). Mais les îles normandes
n'étaient-elles pas exclues de cette évacuation puisque leur
statut ne fut plus jamais remis en question dans la suite ? Les
accords de Picquigny-Amiens ne contiennent aucune indication
à ce sujet ;cependant, comme ils ne sont que la consolidation
d'un état de fait, il convient de les compléter par le texte des
tréves co~~clues à la même époque entre les rois de France et
d'Angleterre.
A Amiens, un instrument spécialportant tréve avait été rédigé
en même tcmps que les autos accords, et il fut repris en texmes
identiques dans le traité dlEtaples. M-aisquelques années aupa-

ravant, en 1471, une trêve conclue entre Louis XI et Henri VI,
qui stipulait une suspension d'arrnes de 7 ans, avec droit de séjour
et de commerce pour les sujets respectifs des deux souverains,
déclarait :i(Item pendant lesdites treves ...Le Roy de France ne
fera ou souffera faire, par lui ne par sesbgez ...aucune descente,
guerre, hostilité, agression ou invasion audit royaume d'Angleterre,
seignerie d'lralande, ville et marche de Calais, Guynes et Harnes,
ysles de Grenesey, Jarsey et Aimery, et autres paiis, ysles, terreet
seigneuries qui sont ou seront tenues et possédéespar ledit seigneur
Roy d'Angleterre ou par ses si~bgez >)La liste des ilcs normandes
donnéesdans ce texte a u6 car:~ctèrelimitatif :seules sont nommées
les îles qui exceptioiinellement échappent'au royaume de France.
La trêvede 1471 permet duric de déterminer ce qui d'un commun
accord revenait au roi d'Angleterre à l'issue de la guerre de Cent
ans. Ni les îles Minquiers. ni les îles Écréhous ne sont comprises
dans cette reconnaissance.
Bien d'autres traités furent ensuite conclus entre la France et

l'Angleterre. Mais la plupart ne font pas mention des iles. Iln'enest parlé que dans deux traités de commerce du xvrrmcsiècle. Le
traité du 24 février 1606 passé entre Henri IV et Jacques It:t
porte cet article : (A aussi estéaccordé que les habitants des îles
de Jersay et Guernzay pourront librement et seurement passer et
trafiquer dans le royaunie <le France et jouiront en ,France tle
pareils privilèges dont les Français jouissent es dites îles, en payant

toutesfois par les uns et les autres les droits appartenant à l'un
et l'autre prince. 1)(Ryrner, Foedera, t. VII, 2mc partie, p. Ij4,
col. 2.)Un article semblable se trouvedans le traité du 3 novembre
1655 conclu entre Louis XIV et Cromivell. (Duinont, Corps zr~zi-
versel ed diplomatique, t. VI, 2me partie, p. 122.) Ces actes se tior-
nent à indiquer les deux principales îles angla-normandes : pour
les autres, ils s'en réfi:reiltà l'état de possession.

Tels sont les actes diplomatiques anciens qui conceriie~it lesîles
de la Manche. Aucun n'en donne une énumération complète.
Quelle conclusion peul-on en tirer pour résoudre le présent litige 3
Le point de départ juridique est l'arrêt de la Cour de France
du 28 avril 1202 qui, conformément au droit féodal, décida qtie

le roi d'Angleterre devait êtreprivéde toutes les terres qu'il teiiait
du roi de France pour avoir rrianqué à son devoir de vassal. Eri
fait, l'arrêt n'eut pas son plein effet puisque le roi d'Angleterre
maintint en sa main certaines îles dépendant du duché de Nor-
mandie. La possessioii de ces îles lui fut reconnue par les traités
de 1259 et de 1360. Mais ni l'un ni l'autre de ces traités ne doiirie
de précision se bornant a dire que le roi d'AngIeterre conservera
les îles «qu'il tient à. priisent11.
C'est donc au Gouvernement britannique qu'incombe la charge
de la preuve. Certes, il peut aisgrnent établir une longue possessioii
pour les six iles de Jersey, Guernesey, Aurigny, Serk, Herm et

jethou. Mais comme on va le voir, le mémoire qu'il a préseiité
pour ie présent litige n'apporte pas de preuve pertinente qu'il ait
jamais tenu en sa main les Écréhouç et les Minquiers.
En cas de doute, le droit doit être présuméen faveur de Ia
République française qui a succédé à la souveraineté des ancieiis
rois de France. D'après le droit féodal,la souveraineté était impres-
criptible, à moins qu'on ne pût invoquer une possession imrné-
moriale qui était considéréecomme équivalente à un titre. R.Iêrne
inhabitées, ies l?créhous et les Minquiers sont restées SOUS la
souveraineté. française du moment que la Grande-Bretagiie n'!.
a pas exercé son autorité d'une façon constante. Une série de faits terident à démontrer que, depuis la main-
mise de Philippe-Auguste sur la Normandie en 1204, les îles
Écréhous ont constamment relevé de la couronne de France par
l'intermédiaire de l'abbaye de Val Richer située dans cette pro-
vince près ,de Lisieux (département du Calvados, arrondissement
de Pont-1'Evêque).
Il n'y avait encore au commencement du 'rIK11nsiècle qu'une
ile d'Écréhou. Au cours des temps, cette île devait être envahie

peu à peu par la mer au point de n'ètre plus aujourd'hui qu'un
amas de rocfiers sur l'un desquels on voit encore a marée basse
les ruines de la vieille chapelle.

Lc premier tiire qui concerne l'île tli'Écréhou.est donné par la
Gallia Clzristiana, t. XI, Instrumenta, col. 94, no 32. Il est
reproduit dans les annexesdu mémoire britannique, A 7.
C'est une charte datée de 1203, par laquelle Pierre de Préaux
donne à l'abbaye de Val Richer l'île d'Écréhou pour y construire
une basilique sousl'invocation de la Vierge. En voici la traduction :

iA tous les fils de Sainte MéreÉglise à qui le présent écrit
parviendra, Pierre de Préaus, Salut dans le Seigneur. Sachez tous
que je, en considérationde la divine pitié, ai concédéet donnéet
confirmépar ma présente charte a Dieu et à l'égliseXotre-Dame
de Val Richer et aux moines qui y servent Dieu, pour Ie salut de
l'âtt~ede Jean, illustre roi d'Angleterre qui m'a donnéles iles et
pour le salut de mon âme et de cellesde mon pèreet de ma mère et
de celles de tous mes ancêtres,l'île diEcréhou entièrement pour
y édifierune basilique cn l'honneur de Dieu et de Sainte-Blaxie,en
sorte que les saints mystères y soient célébréshaque jour, laquelle
île devant êtretenue et possédée librement et paisiblemerit yleine-
ment et en titre d'honneur, en libre, pure et perpétuelle aumône,
ainsi que tout ce que dans ladite île ils pourront augmenter et
édifier.Item,j'aiconcédé auxdits moines tout ce qui leur sera donné
raisonnablement par rnes hommes de Jersey, Guernesey et Aurigny
par esprit de charités sauf mori droit. (Corroboration et liste de
témoins.)L'an de l'Incarnation 1203. 1)

Cette charte doit être soigncusernent analysée et commentée.
Le protocole initial indique que l'acte émane de Pierre de
Préaux, sans faire mention de ses qualités. Par ailleurs, nous

l Le mémoire britanniquedit iPiers9dc Préaux, cas sujet, alors que le cas
régime NFierreia prbvalu dans l'usage.savons qu'il était vassal du roi d'Angleterre Jean qui, le 14 janvier
1200, lui avait concédéà titre de fief les îlesde Jersey, Guernesey
et Aurigny avec d'autres revenus, moyennant le service de trois
chevaliers.
A la vérité, la donation du roi Jean était sous condition : il
était stipulé que les biens donnés lui feraient retour s'il mariait
Pierre à une riche héritière. En revanche, la donation devait

devenir définitive si ce mariage ne se réalisaitas (Rotzdi chartavum
if1tztrri Lorzdinensi.asservati,éd.Dufius Hardi, vol. 1,5I, reproduit
dans les annexes du mémoire britannique, A 8).
En 1203, deux ans s'étaient passés depuis la donation du roi
Jean et Pierre de Préaux était toujours en possession des îles.
C'est alors qu'il donna l'ile d'Écréhou à Notre-Dame de Val
Rich'er, aux moines qui y servaient Dieu. Cette ile faisait partie
du fief des îles qu'il tenait du roi Jean : car Pierre a soin de
rappeler que c'est le roi qui lui a donné les îles : qzciinsrclasrnihtz'
dedit.
En donnant Écréhou, Pierre de Préaux vise à une fin spirituelle :
le salut de l'âme de son roi, dont il est un vassal fidèle, le salut
de son âme et aussi le salut des âmes de son père, de sa mère et de
tous ses ancêtres. Aussi, il met comme condition que les moines

de Val Richer construiront dans l'ile une basilique en l'honneur
de Dieu et de Ia Vierge-Marie, où les saints mystères seront célébrés
chaque jour.
Il est essentiel de remarquer, pour la solution du présent litige,
que cette donation est faite en pure, libre et perpétuelle aumône
(in liberam et pziramet perfiett~ameZemosynam).Le droit de l'époque
entend par aumône toute donation faite 3.une église. L'aumône
est dite franche ou libre quand elle fait du bien donné un aIIeu
qui est libéréde toute mouvance féodale :elle ne comporte qu'un
service de prières. Cf. E, Blum, Les origines du brej de lai et
d'aumône, dans Travaztx de la semailze d'histoire clzdroit ,no~mand,
1923, pp. 371 et ss.
Il ne faut donc pas voir dans la donation dc Pierre de Préaux

une sous-infëodation, comme le dit le mémoire britannique au
$ 126. Par l'effet de la franche aumône, lc lien féodal antérieur
est rompu. Désormais, l'ile d'EcrPhou n'a d'autre seigneur temporel
que Notre-Dame de Val Richer qui la possède en pleine propriété
comme un alleu. Elle ne relève plus. du fief des îles.
Pierre de Préaux pouvait légitimement faire une telle donatio~i
du moment qu'elle ne portait pas tort à son seigneur : car d'après
le droit féodal le seigneur ne devait pas subir de préjudice de
I'ailmône faite par son vassal (Srtmma de Zegilizts Normannie,
XXX, 2). L'île dJEcréhou était un rocher stérile qui ne produisait
aucun revenu : elle ne contribuait en 'rien au service des trois
chevaliers que comportait le fief des îles suivant la charte de
1200. Pierre de Préaux pouvait l'aliéner sans diminuer la valeur
de son fief. Le roi Jean ne fit pas d'objection à cette donation. Bien plus,
il participa à l'aumône de son vassal en donnant à I'abbaye de
Val Richer une rente de vingt sous sur son trésor pour les besoins
de la nouvelle église ; il en est question dans un plaid de 1309
examiné ci-après. En cette année 1203, il était encore en pos-
session du duché de Normandie, et, à ce titre, il avait l'abbaye
de Val Richer sous sa garde : I'ile. d'ficréhou dépendait de lui
par l'intermédiaire de l'abbaye su lieu d'en relever par I'inter-
médiaire du fief des îles.
Dans sa charte de 1203,Pierre de Préaux souhaite aussi que
ses vassaux s'associent à son Œuvre pie. Il autorise par avance
toutes les donations raisonnables que feront aux moines de Val
Richer ses hommes de Jersey, Guernesey et Aurigny par esprit

de charité. 11faut toutefois que son droit soit sauf. Les vassaux
ne peuvent pas faire de donations en franche aumône sur les
fiefs qu'ils tiennent de leur seigneur dans les iles. Tous les bicns
donnés par eux continueront à relever de la seigneurie des îles.
VraisemblabIement, c'est à cette époque que I'abbaye de Val .
Richer reçut pour les besoins de l'église d'Écréhou diverses
redevances et particulièrement des rentes de froment, assignées
sur des terres sises à Jersey, qui sont mentionnées dans un état
du xvm. siècle.Trois chevaliers, apparemment les vassaux de Pierre
de Préaux dans les îles, assistaientà l'acte de 1203 et sont indiqués
comme témoins. Ils ont pu immédiatement manifester leur libé-
ralité à l'exemple de leur seigneur.
On voit quePierre de Préaus était totalement d&oué à son
suzerain. le roi Jean. Le roi avait aussi.pleine confiance en lui.
Quand la Normandie fiit envahie par Philippe-Auguste, c'est
Pierre qui fut chargé de la défense de Rouen, ville principale du

duché. Il en dirigea la résistance pendant quarante jours. Xe
recevant aucun secours du roi d'Angleterre, il rendit la place le
24 juin 1204. Abandonné par sonseigneur direct, il prèta l'hom-
mage au roi de France, son seigneur supérieur, pour son fief de
Préaux, dans le bailliage de Rouen. (Liste des fiefs tenus du roi
de France, Historiens de France, t. XXIII, p. 613, a. b., 614,
j.,726, a.) L'annéesuivante, le roi jean ayant repris les principales
iles de la Manche lui en enleva la seigneurie. Plus tard, Pierre
revint à l'allégeance du roi d'Angleterre qui néanmoins ne lui
restitua pas les îles.

-4 la suite de la conquête de la Normandie, l'abbaye de Val
Richer passa sous la garde du roi de France qui succéda aux

droits du duc. Aussi désormais l'abbé, comme irn vassal laïque,
reçut des convocations pour l'ost du roi. (Historiensde France,
t. XXIII, p. 798. Convocation pour l'ost de Flandre (13oq).) Il.
*continua cependant à posséder l'ile dPÉcréhou :se coilformant à- la donation de Pierre de Préaux, il y construisit une églisequi fut
mise sous le vocable de Notre-Dame et fut desservie par un prieur
et un moine désignéspar lui. Cette possession fut confirmée à
Val Richer par des lettres de Saint-Louis. (Hermant, Histoire
du diocèse de Bayeux, manuscrit de la bibliothèque de Caen,
t.II, p. 206.)
En somme. le sort de l'île dJÉcréhou.dénendance de Val Richer.
fut semblabfe i ccclui des Chausey, dép&idance dc l'abbaye di
Mont-Saint-Michel. A la différencedes autres îles normandes, ces
iles furent soustraites à la domination du roi d'Angleterre. PIusieiirs
faits tendent à Ic montrer.

Pendant environ deux siècles, les établissements ,ecclé;iastiques
des pays passés dans le domaine de la couronne de France à la
suite de I'arrét de 1202 conservèrent les biens qu'ils possédaient
avant cette date dans les iles restées au roi d'Angleterre. Ainsi,
encore au commencement du XIvme siècle, les abbayes de Mar-
moutier~ près de Tours et du Mont-Saint-Michel avaient à Jersey
et à Guernesey un patrimoine important comprenant rnaisoiis,
terres, moulins, cens et rentes. Même,toutes les paroisses des îles
restèrent sous le patronage d'abbayes normandes qui, de ce chef,
y percevaient la dîme. (Fouillé du diocèse de Coutances, daris
Historiens de France, t. XXIII, pp. 517.518. Cf.: Pégot-Ogier,
Histoire des Iles deInManche, p. 192 ;J. Havet, dans BibEiothèqzle
deL'École des Chartes,1876, p. 205, no IO,rS77, P. 296.)

La fortune foncière de l'abbaye de Val Ricfier ne fut donc pas
diminuée du fait que les principales iles de la Manche étaient
séparées de la Norm;indie. Pendant longtemps elle posséda à
Jersey des biens qui étaient affectésau prieuré cl'Écréhou.L'état
en est indiqué dans un rentier du xvmcsiècle,qui fut dresséd'ayrks
des documents plus anciens. (Cet état se troiivait autrefois à
Caen dans les archives départementalcs du Calvados. Une copie
en avait étéfaite, en 1886, par M. Pauliat chargi: par le ministère
français des Affaires Gtrangères d'étudier la clucstion dJEcréhou:
on la trouve annexée à son rapport. Le documeiit est reproduit
dans l'annexe A 18 du mémoire britannique. La présentation
typographique de cette dernière reproduction est susceptible
d'induire en erreur. Elle porte au début en lettres capitales :Les
rentes de Notre-Dame de Escrehozt ;en Gierresey; puis à la ligne,

((Guiffrey Galicen », comme si toutes ces rentes étaient levées
seulement à Jersey. Dans l'original, il n'y a certainement pas
de capitale ni d'alinéa, Mieux vaut lire avec M. Pauliat : (Les
rentes de Notre-Dame d'Escrehou :en Gierresey, Guiffrey Galicen,
etc. ») On y relhvc particulièrement que, dans les paroisses de 13
Trinité, de Saint-Martin et de Saint-Sauveur; des redevances de
froment sont dues par divers tenanciers : la quaritité dont chacun
est redevable est détcrminke suivant les mesures qui sont alors
en usage, quartiers, cabots ou cabotaux. On peut supposer que388 CONTRE-~~ÉJIOIRE DU GOUVERNEblENT FRANÇAIS (26 VI 52)
la plupart de ces rentes ont été constituées par des vassaux de

Pierre de Préaux au moment de sa donation.
Sur le continent,le prieuréfut aussi dotépar diverses fondations.
Le rentier en relate dans les paroisses de Barneville (Manche,
arrondissement de Valognes), de Saint-Nicolas du Bosc Rogier
(aujourd'hui Saint-Nicolas du Bosc l'Allé : Eure, arrondissement
de Bernay) et de Longueville (Manche, arrondissement de Cou-
tances). Ces donations sont postérieures à la réunion de Ia Nor-
mandie à la couronne de France : Simon de 'Dammartin, indiqué
comme donateur d'un moulin à Barneville, mort en 1239, avait
épousénon Alix de France, fille du roi Louis VII, comme le dit
Ic rentier, mais Marie de Ponthieu, fille de ladite Alix. (Père
Anselme, Histoire gkzéaiogiqzr ee la ~it.rl2nedF~ance,t. 1,p. 77,
t. III, pp. 301-303.) Le rentier dit ex1)ressémentque la donation
faite par Guillaume Coquerel d'un boisseau de sel sur un moulin
de Longueville date de 1235, Quant à Guillaume d'Argentes,
donateur d'un moulin L vent, Hermant dit dans son Histoire dzt
diocèsede Bayeux, t. II, p. 204 :«En 1209, Guillaume dJArgences
donna sa terre de Surtinviile pour faire subsister deux religieux
prophès de l'abbaye de Val Richer, ce qui fut confirmépar Hugues

clc hlorviile, évêquede Coutances. » Ces donations faites sur le
continent après 1204 soiit une preuve que les sujets du roi de
France ne considéraient pas l'ile dJÉcréhou comme une terre
étrangère.

III

Le prieur d'kcréhou était cependant en rapports fréquents
avec les autorités de Jersey pour les intérêtsqu'il avait dans
cette He. On Ic constatc plusieurs fois dans la première moitié
du x[vme siècle.S'ilrelevait de la souverairieté britannique pour
ses biens situésà Jersey,il cn restait indépendant pour son prieuré.
C'est ce qui apparait d'abord dans un plaid de quo warranlo
de 1309. (Texte édité en 1903 dans la 18"'" publication de la
Sociétéjersiaise (Rolls of the assizes Izekl inthe Channel Islands
in the second year of the reign of KingEdweinrd II, p. 339)) et
reproduit dans les annexes au mémoire hritannique, A 12.) On
entendait par cette expression un procès porté devant des assises
que le roi d'Angleterre instituait dans les pays soumis à sa domi-
nation pour la recherche de ses droits. Malgré les protestations

des habitants, ces assises furent organisées Jersey et à Guernesey
dans les mêmesconditions qu'en Angleterre. Chaque possesseur
de biens, sur lesquelsles officiers du roi d'Angleterre prétendaient
que leur maître avait des droits, était cité devant des justiciers
itinérants venus sur les lieux. 11 était somm6 de produire ses
titres, de dire de quel garant (de quo .ieiarrnntoil se réclamait
pour justifier sa possession.Des jurés, choisisparmi les habitants
de la paroisse, attestaient quelle était la vCrité en l'affaire. Un procès-verbal, établi pour chaque plaid, indiquait la décision
prise. (Besnier, La cozttz~me de Nonna~idie p. 257 ; Pégot-Ogier,
op. cil., p. 213.)
L'abbé de Val Richer fut plusieurs fois ajourné devant un
plaid de quo warranto pour y répondre de biens qu'il avait à
Jersey. Voici la traduction du passage qui le concerne dans le

plaid de 1309 :
iL'abbé de Val Richer a étésomméd'être aujourd'hui ici pour
répondre au seigneurroi au sujet d'un moulin avec ses appartenances
dans la paroisse de Saint-Sauveur et cle l'avoi~erie du prieuré
d'(Êcréhou), choses que le seigneur roi reclarne comme son droit
par l'orgaiiede Guillaume de hlaresk. Item ledit abbéa été somméde
répondre au seigneur roi ausujet du plaid pour dire de quel garant il ,
réclame ledroit de percevoir et d'avoir par la main de solireceveur
vingt sous des deniersdu seigneur roi, dontla perception appartient
au seigneur roi.
Ledit abbé n'est pas venu ;mais le prieur dudit prieuréd'Écrékou
est venu et a dit êtrele procureur généralet le représentant dutlit
abbéet de son couvent dais cette île, sqiis leur sceau.
Ila dit que le lieu de la cllapelle d'Ecréhou n'a pour fonds et
pour toute sa soutenance rien autre que ledit moulin et ladite rente
annuelle, qu'il est exilé au point que, loin de l'ile de Jersey, il
s'élhveen mer sur un petit rocher, où il n'y a pas de terre cultivable
ni d'autre maison que la chapelle.
Celui qui se dit prieur a dit'quc, pour ce qui le concerne, lui et
son compagnon et leur valet, ils demerircnt toute l'année dans
ladite cliapelle pour entretenir s:ms interruption un feu ardent,
afin que les mariniers naviguant de nuit sur 1:rnier puissent par
le moyen de ce feu éviterle périldes rochers voisins clela chapelle,
où il y a grand péril.Ils n'ont rien de plus dans l'année pourleurs
. nécessités,si ce n'est ledit nioulin et ladite rente annuelle de vingt
sous, choses que leurs prédtkesscurs ont possédéesdepuis un temps
dont on a perdu le souvenir en la mêmeforme qu'eus-mêmesjouis-
sent i présent. Et néanmoins, eux deux, ils cdlébrent toujours la
niesse pour le seigneur roi et ses ancêtres.
Et les jurés attestent la mêmechose. 1Stparce que le prieur
démoiitre fidèlement que l'abbé, en raison de la pauvreté de cette
tenure, ne veut pas travailler pour elle, il est permis au prieur de
tenir lesdites choses, comme illes a tenues jusqu'h présent, aussi
longtemps qu'ilplaira au seigneur roi.II
Ce procès-verbal reconnait nettement que le prieuré d'Écréhou

relève de l'abbaye de Val Richer qiii cst sur le co~itinent. C'est
l'abbi: qui a étécité à comparaître : il se fait représenter par le
prieur dJEcréhou, qui vient porteur d'une procuration validée
par le sceau du monastère. Le prieur n'agit donc qu'au nom de
son commettant.
Rien n'établit que le roi d'Angleterre exerce sur le prieuré
une autorité quelconque. Sans doute, dans l'acte d'ajourriement,
l'abbé de Va1 Richer était somméde rcpondre au sujet de l'avouerie
que le roi aurait eue sur le prieuré (et advocalionerrapriorafzcs).L'avoué était un laïc qui était chargéde la défensed'un établisse-
ment ecclésiastique : il avait la garde de ces biens et percevait
à ce titre diversesredevances. Parfois il avait un droit de patronage
qui lui permettait de désigner le chef de l'établissement,ou tout
au moins d'approuver sa nomination. On ne nous dit pas quelles
sont, en l'espèce, les préte~itionsdu roi d'Angleterre au titre de
l'advocatio.Il suffit de constater que le prieur s'abstient de répondre
sur cette question et que le tribunal n'insiste pas. (C'est ceque ne

remarque pas le mémoirebritannique, par. 128-130.)C'estla preuve
que la demande faite au nom du roi d'Angleterre n'a aucun
fondement :le roi n'a pas qualité pour se dire avoué du prieuré
d'Ecréhou qui depuis 1203 ne relève pliis du fief des iles, Le
prieur, au nom de son abbé, se borne à s'expliquer sur certains
revenus tirés de l'île deJersey que le roi prétcnd lui appartenir:
un moulin avec ses appartenances dans la paroisse de Saint-
Sauveur et une rente de vingt sous sur le trésor royal.
Pour j~stiiier l'affectation deces biens aux besoins cie Notre-
Dame dlEcréhou, le prieur invoque deux arguments :la pauvreté
du prieuré et les services rendus. Pl exagère en disant que, avec
son compagnon et son valet, il n'a pas d'autre soutenance que les
revenus qui lui sont contestés ; par ailleurs, nous savons que le

prieuré d'Ecréhou jouissait de divers revenus, soit dans les îles
normandes, soit sur le continent. Mais, comme on ne lui demande
d'explications que sur certains revenus particuliers qu'il a dans
l'île de Jersey, il ne juge pas utile de parler des autres, sur lesquels
il n'est pas somméde répondre. Il allègue, au surplus, les services
rendus. Il indique que des messes sont dites dans sa chapelle pour
le roi d'Angleterre:en cela il ne fait que se conformerà la fondation
de Pierre de Préaux, qui comportait ses prières pour le roi Jeari.
Ce service de prière n'implique aucunement que le prieur recon-
iiaisse le roi d'Angleterre comme son seigneur :l'&lise a toujours
accepté de prier pour un chrétien quelconque, mêmeun étranger.
Le prieur rappelle aussi qu'il entretient toutes les nuits un feu
pour avertir les mariniers, qui naviguent près de l'île, des dangers
auxquels les exposent les rochers voisins de la chapelle : il s'agit

de mariniers venus de tous pays, du Cotentin comme de Jersey.
Quant aux titres qu'on lui demande de produire, le prieur invoque
ia possession irnmé~noriale qui dans le droit dir temps vaut titre.
Il ne lui servirait de rien de présenter la charte de fondation de
1203, conservée aux archives de Val Richer, parce qu'il n'est
pas tenu dc justifier de la posçeçsion de l'île d'Écréhou. Il aseule-
ment à s'expliquer sur des biens sià Jersey :peut-êtreproviennent-
ils de donations verbales, pour lesquelles aucun écritn'a étédressé.
Vraisemblablement, cette possession immémoriale remonte à
plus d'un siècle, au temps où l'île de Jersey n'était pas séparée
de la Normandie.
Les explications du prieur d'gcréhou parurent suffisantes. Les
jurés de l'assise en attestèrent la sincéritéet le juge commis par le roi d'Angleterre permit au prieur de tenir les biens contentieux,
comme il l'avait fait jusqu'alors, aussi longtemps qu'il plairait
au roi.
En fait, la rente annuelle de vingt sous sur le trésor britannique
continua àêtrepayéeau prieur dJEcrChoudans lesannéessuivant.es.
C'est ce que montre le compte fourni à l'Échiquier par le gardien
des îles pour l'année financière 1328-1329. (Pièce annexe A 15
jointe au mémoire britannique. Cf. le $ 47 du mémoire.) Cette
somme est comptée en monnaie fran~aise de deniers tournois
et non pas en sterlings comme d'autres qui sont dues à des fonda-
tions ecclésiastiques ~ppartenant à des abbayes normandes, telles
que la Trinite de Caen. Ce n'est certainement pas une preuve que
le prieuré d'gcréhou relevait de la souveraineté britannique.

A cette époque, le prieur d'Écréhou eut encore plusieurs fois
à plaider devant les juges du roi d'Angleterre pour des affaires
qu'il avait à Jersey.
En 1323, il fut citéà comparaître au sujet d'un mur qui avait
été construit autour d'une manse an~artenant à Notre-Dame
dtÉcréhou sur le rocher Archirondel 'dans la paroisse de Saint-
Martin, mur qu'on disait préjudiciable au roi et aux voisiri:
ayant donné des explications suffisantes, il fut ronvoyé des fins
de la poursuite. En 1325, il se plaignit de déprédationscommises
à ce même rocher par des Anglais qui lui avaient dérobé son lit,
ses vttements de chapelle, un plat avec trépied, des poules et
des chapons : pour quoi il demanda une indemnité de 12 marcs,
5 shellings, en monnaie sterling. (Annexes A 13 et A 14 au mémoire
britannique. Cf. le mémoire, 3s 46-47.) Ces procès montrent que
Notre-Dame d'Écréhou avait des intérets à Jersey, non qu'elle

fut sous la souveraineté du roi d'Angleterre.
En 1331, le prieur Thomas, venu à Jersey pour y percevoir
ses rentes, s'oublia jusqu'à frapper et jeter A terre la veuve de
Robert Hubert dansune maison sise dansla paroisse de la Trinité.
Les juges du roi à Guernesey, saisis de l'affaire, décidèrent qu'il
serait tenu en garde de justice jusqu'à sentence définitive.
(Annexe A 16 au mémoire britannique, Cf, E47 du mémoire.)Le
fait ayant étécommis sur le territoire de Jersey, on s'explique
la compétence des juges du roi d'Angleterre. Mais il n'en faudrait:
pas conclure qu'Écréhou fût sous la souveraineté britannique.

Quelques années après, la situation des abbayes du continent
qui avaient des biens dans les îles anglo-normandes risquait d'être
compromise par la guerre qui menaçait d'éclater entre la Fraiice '
et l'Angleterre. Au début, le roi kdouard III fit montre de tolé-
rance. Le 18 août 1337, il accorda des lettres patentes de protection392 CONTRE-MÉRIOIRE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS (26 VI 52)

à divers prieurs dépendant d'abbayes françaises pour qu'ils
pussent venir librement B Jersey et Guernesey afin d'y vaquer
à leurs affaires. (Annexe A 17 au mémoirebritannique. Cf. 5s 48,
131 du mémoire.)
Le prieur d'Ecréhou, qui avait souvent besoin de venir à Jersey
pour y percevoir ses rentes, reçut des lettres de ce genre. Elles
sont mentionnées dans le patent roll d'Édouard III par cette
brève indication : « Prior ds Acrehow de inszcla de Jersey. 1)Il

ne faut pas traduire comme le fait le mémoirebritannique iGcréhou
de l'île de Jersey 1: car le prieuré était établi dans une autre
île. Il ne faut pas, non plus, en conclure que ficréhou fût une
dépendancc de Jcrsey.
Traduisons plus simplement, en disant que la protection du
roi était donnée au «prieur d'Ecréhou quant à l'île de Jersey i).
C'est dans les mêmes conditions que lc rôle relate des Iettres
patentes accordées pour le «Prior de Blanca Landl-c de insztla
de Genzereye 1): le prieuré de Blanchelande ne se trouvaip as
dans l'île de Guernesey ni ne pouvait en êtreconsidéré comme
une dépendance ;il était établi sur le continent à Varcnguebec,
canton de La Haye du Puits, arrondissement de Coutances, dépar-
tement de la Manche (Dom Cottineau, Ré#ertoiredes abbayes et

prieztrés,t. 1, col. 388). Ce prieuré avait. seulement des biens à
Guernesey pour lesquels il était franc tenant de la couronne (Julien
Havet, Les cours royales des $les normandes, dans Bibliothèqzcede
~'Ecole des Chartes, 1877, p. 298).
Lc patent roll indique, au surplus, que les lettres de protection,
sont accordées aux prieurs seulement iquamdiu vegi placuerit».
Elles sont révocables à volonté sous le bon plaisir du roi. Provi-
soirement, le roi excepte ces prieurs dela commission de l'Échiquier
ordonnant la saisie des biens de tous Français se trouvant en
territoire britannique (Cal. Fine Rolls, 1337-1347, p. 37, d'après
le mémoire britannique, 48, note 931, mais ce n'est qu'aussi
longtemps qu'il lui plaira. On ne comprendrait pas cette restriction
s'il s'agissait de sujets du roi d'Angleterre:les sujets d'un prince

sont en permanence sous sa protection, qui ne peut pas leur être
retirée arbitrairement.
Le prieur dlÉcréhou n'était aucunement sujet britannique,
puisqu'il venait du continent. II était désignépar l'abbé de Val
Richer qui le choisissait librement parmi les moines de son abbaye.
Ainsi, le jeudi avant les Rameaux de l'année 1338 (nouveau
style), alors que la France et l'Angleterre étaient en guerre, Gabriel,
abbé de Val Richer, envoya deux moines pour gard'er et régir
la chapelle de Notre-Dame d'Écréhou. (Gallia Christiana, t. XI,
p. 447, qui donne l'année 1337. Mais l'année cornmensant à
Pâques en Normandie, comme dans tout le royaume de France,
il convient de ramener la date au nouveau style.) 11 n'est pas
indiqué que cet envoi ait étéautorisé par le roi d'Angleterre en

raison d'une prétendue avouerie. CONTRE-~~ÉMOIRE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS (26 VI 52) 393

La guerre entre ,la France et I'Angleterre durant indéfiniment,
un acte du padement de 1414, confirmé par le roi d'Angleterre
Henri V, ordonna la confiscation de tous les biens que les églises
de France possédaient en territoire britannique.Il est vrai que,
quelques années après, Henri V, vainqueur des Français à Azin-
court, occupa la Normandie tout entière. Croyant avoir conquis
définitivement cette province, ilaccorda aux abbayes normandes
la restitution de leurs biens. Ainsi, par lettres patedueI~~mars
1420, datées du château de Rouen, ce prince, qui se disait roi

de France et d'Angleterre, concéda à ses amés et féaux, l'atibé
et les moines de Val Richer, tous les biens temporels qu'ipossé-
daient dans son duché de Normandie. [Du Monstier, Nezcsiria
Pia, p. 830. Les lettres sont datées du I~~ mars, 7rne année de
Henri V, qui avait commencé le 20 mars 1413. M)ais, après la
victoire de Formigny, remportée par les Français en 1450, les
Anglais furent définitivement chassésde Normandie. Les abbayes
normandes furent considérées comme étrangères et les biens
qu'elles avaient dans les territoires restés sous la domination
britannique furent confisquésau profit de Iacouronile d'Angleterre,
De cette façon, l'abbaye de Val Richer perdit tous les biens
qui, à Jersey, étaient affectésà son prieuré d'kcréhou. Désormais,
les rentes de Notre-Dame d'Écréhou dans cette île figurent dans
des (extentes iiétats détaillésdressés par des officiers royaux,
qui donnent l'inventaire des biens appartenant à la couronne
britannique.

Ainsi, une extente dresséesous le règne de Henri VI11 en 1528
relève comme biens de Iacouronne des rentes dues àcause d'&ré-
hou (by causeof Esmehou) par divers tenanciers dans des paroisses
de l'île de Jersey le jourde Saint-Michel Archange. (Extente de
l'ile de Jersey (1528). Sociét jérsiaise,6me publication, p. 20,
document reproduit dans les annexes au mémoirebritannique,
A 19.) Si l'on compare cette extente avec l'état des rentes de
Val Richer établi un siècleplus tôt, on constate que les redevances
dues par des tenanciers dans les paroisses de Saint-Martin et de
Saint-Sauveur sont restéesles mêmes.
On ne peut pas soutenir que la confiscation desrentesu prieiiré
dJÉcréhou fût le résultat de la réforme à la suite de laquelle le
roi d'Angleterre s'appropria les biens descouvents comme l'allègue
un mémorandum britannique du 2août 1947E .n 1528 , enri VIII,
encore soumis à l'Église romaine, ne songeait pas à persécuter
les couvents. La confiscation des rentes d'Ecréhou ne peut s'expli-

quer que parce que ce prieuré était considérécomme Ctranger :
elle fut le résultat des mesures prises contre les alien firiories.
L'extente de 1528ne faitque constaterune situation qui remontait
au sièclepréckdent. Il faut aussi remarquer que l'extente mentionne les rentes dues
au prieiiré d'ecréhou mais non le prieuré lui-même.Les mesures
de confiscation n'atteignaient que les biens appartenant à des
étrangers situés sur le territoire britanniqueLa couronne d'Angle-
terre s'était bien approprié les rentes due by cause oJ Escrehou
dans l'ile de Jersey soumise à sa domination ;elle ne s'était pas,
en revanche, emparée de l'ile dtÉcréhou et de la chapelle qui
s'y trouvait. C'est une preuve que cette île n'était pas considérée
comme territoire britannique.
D'autres extentes, établies ensuite en 1607, 1668,1749 ,e font
que répéterles indications de 1528, avec des changements dans

les noms des tenanciers. (Annexe au mémoire britannique A 19.)
Elles rappellent q~'i1 s'agit de rentes de froment dues autrefois
pour le prieuré d'Ecréhou : for Ihefirioryof Escreho (1607) (pour
Ecreho 1) (1668), « pour la prioré d'Escreho ii(1749) Pas plus
qu'auparavant, il n'est jamais fait mention du prieuré lui-même
ni de l'ile où il était situé.

Cependant, les passions religieuses amenèrent la ruine de l'église
dtEcréhou. Hermant, qui écrivit vers la fin du xv11mesiècleune
histoire du diocèsede Bayeux, nous apprend que, au cours des
guerres de religion, la chapelle de Notre-Dame fut détruite par
les Anglais. (T. II, p. 203, di1 manuscrit de la bibliothéque de
Caen.) Une destruction n'est pas une prise de possession. Ce n'est
qu'un acte de guerre, dont on ne saurait tirer argument pour

affirmer la souveraineté britannique sur .l'ile d:Écréhou. Des
Anglais, envoyés sur le continent par la reine Elisabeth pour
soutenir la cause protestante, y firent de semblables ruines. On
peut mêmedire que, si l'île avait passé pourune terre britannique,
les Anglais n'auraient pas démolila chapelle :elle aurait étéconfis-
quée pour êtreaffectéeau culte anglicai~,
Il ne semble pas que, par la suite, l'abbaye de Val Richer ait
songé à faire reconstruire Notre-Dame d'ficréhou. Sans doute,
une carte du diocèse de Coutances, éditée en 1689 par Mariette de
la Pagerie, indique encore une chapelle dans l'ile dJÉcréhou. Mais
ce n'était plus apparemment qu'un amas de ruines. L'île, qui
commençait à êtreenvahie par les flots, était devenue inhabitable.
Elle s'était morceléepour devenir un archipel composéde plusieurs
îlots. Si la chapelle avait échappéaux guerres de religion, elle
n'aurait pas résistéaux maréeset aux tempetes.

On ne saurait soutenir que cette invasion de la mer ait mis
fin à la souveraineté française qui s'était jusqu'alors exe~céepar
l'intermédiaire de l'abbaye de Val Richer. Le groupe des Ecréhous
n'était plus habité ; mais il ne cessait pas d'êtrefrançais. Jusqu'à la fin du XVIII~~ siècle,les autorités britanniques n'ont
jamais contesté la souveraineté française sur les Ecréhous. Deliuis
le moyen Age, des habitants de Jersey y sont venus pour pêcher
des poissons ou récolter du varech. Mais aucun des actes qui
sont relatés n'implique la souveraineté britannique.
En 1309, les assises de la couronne tenues dans la paroisse

de Saint-Martin de Jersey eurent à s'occuper de la mort de vingt-
quatre habitants de cette paroisse qui avaient périsur leur bateau
près d'Ecréhou où ils étaient alléschercher du varech, Les assises
jugèrent que l'accident était dû à une mauvaise fortune de mer
et que personne n'était suspect de malveillance. La compétence
de ce tribunal s'explique rntione persona parce que les victimes
étaient des habitants de ersey. Il n'apparaît pas qu'il ait prétendu
à une juridiction sur lesdcréhous rationesoli.(Annexes au mémoire
britannique A 79. Cf. le mémoire, 3 131.)
Nous savons aussi que les pecheurs de Jersey devaient la dime
du poisson au recteur de leur paroisse, en quelque lieu qti'iis
l'eussent pris. C'est ce que inontre l'ouvrage de Le Geyt Sur la
constitution, Lesloiset les usages de Jersey, rédigévers la fin du

xvllme siècle, t. 1,p. 86. 11 dit :{(La dixme du poisson est deue ..
au bénéficede laparoisse où le pasteur (Iire : pescheur ; cf. t. 'III,
p. 615) fait sa résidence, en quelque place et avec quelque sorte
d'applets comme on dit que le poisson soit pris à la coste de I'isle
et aux enclaves, sçavoir : Roques Doe, Minquais, Chausé, Ecreho,
Ermé, Serc, soit par le pescheur ou par gens de sa famillr.(Annexe
A 69 in fine.)
Il ne faut pas, comme l'avait fait un mémoire britannique de
190. 5Annexe A 69. - Le présent mémoire mentionne l'ouvrage
de Le Geyt, 5 49, 52, sans insister sur la question), donner au
mot « enclaves 1le sens de dépendances, qui ne saurait convi:nir
aux Chausey, îles certainement françaises, qui sont comprises
dans l'énumération de Le Geyt. Bien souvent on dit qu'une

personne possède une enclave dans la propriétéd'autrui, ce qui
s'applique à une terre complètement indépendante au milieu
d'une autre : c'est ainsi qu'autrefois le comtat d'Avignon, qui
appartenait au pape, était une enclave dans le royaume de Fraiice.
Ici d'ailleurs, Le Geyt parle du poisson pris à la côte de l'ile de
Jersey et caux enclaves i; il ne dit pascà ses enclaves 1)Confor-
mément à l'étymologie du mot, ilfaut entendre par <(enclaves )>
des îles qui sont enfermées dans la mêmemer que Jersey. Le
Geyt veut dire que le pêcheurdoit la dîme du poisson à la paroisse
de son domicile, en queIque lieu qu'il l'ait pêchédans les enclaves
de la mer Cotentin, même aux Chausey ou aux Écréhous. Cette.
obligation n'implique pas que les Écréhous non plus que les'Chausey soient sous la domination britannique. C'est seulement
un devoir du paroissien envers son recteur.
On voit, d'ailleurs, axvxrme siècle,dans des périodestroublées,
les autorités de Jersey prendre des mesures pour restreindre les
voyages de leurs ressortissants aux Écréhous. Le 9 juin 1646,
une ordonnance défendit aux habitants de Jersey de pêchersans
permission de l'autorité ,paroissiale, soit aux Chausey,soit aux

Écréhous. En 1692, les Etats de Jersey limitèrent lesvisites aux
Ihréhous en raison de la guerre entre la France et l'Angleterre:
seules pouvaient s'y rendre les personnes qui avaient un motif
légitime, comme la récolte des algues. Ces mesures montrent
bien que les Écréhous n'étaient pas considéréescomme une terre
britannique. Il faut aussi remarquer qu'en 1646 elles étaient
assimilées aux Chausey. (Mémoirebritannique, $5 40 et 49.) CONTRE-31Éhl01~~ DU GOUVERNEhiENT FRANÇAIS (26 Vf 52) 397

III

Il est dificile d'étudier l'histoire des Minquiers avec autant
de détails que celle des Écréhous : car les documenrs anciens
concernant ces iles sont rares.

11convient de rappeler brièvement l'histoire des Chausey, qui '
sont les îles les plus proches des Minquiers, avec l'aide de l'article

du Père de Gibon, Les Zles Chausey, dans le Pays de Gra?rville,
t. V. et VI.
L'archipel de Chausey avait été donné à l'abbaye du Mont-
Saint-Michel en 1022 par le duc de Normandie Richard II (op.
cil.,t. V, p. 254). Cette abbaye le conserva après la réunion de
la Normandie à la France, ayant des droits semblables à ceux
qu'avait Val Richer sur l?créhou. Elle y établit un prieuré où
résidaient deux moines (VI, 263). Puis elle concéda ce prieuré
. aux Frères mineurs de l'ordre de Saint-François, concession qui
fut confirmke en 1343, par Ie roi dc France Philippe VI (VI, 27s).
Le prieuré deChausey fut dktruit en 1543 par les Anglais. :Les
Franciscains ayant cessé d'y rksider, les îles restèrent dCscrtes.
Cependant, quelques années après, le roi de France Henri II y
fitconstruireune forteresse (VI, 308-9).
Les Chausey ont donc relevé de la souveraineté française depuis
la réunion de la Normandie à la France, d'abord par l'intermé-

diaire du Mont-Saint-Michel, puis directement. (Les dires du
mémoirebritannique, 3 30, sur les Chausey sont sans fondement.)
Vraisemblablement les Minquiers dépendaient des Chausey. C'est
ce qui résulted'une bulle du pape Alexandre III du 27 janvier 1179
qui confirme à l'abbaye du Mont-Saint-Michel toutes ses posses-
sions. Parmi ces possessions Ia bulle mentionne (totana insndnnt
de cause cum pertinenliis suis n.On ne voit pas quelles peuvent
êtreles pertinentia de Chausey, sinon les Minquiers (VI, 251).

Le m4moire britannique ne relève pour les in quiers que des
textes des xvllrneet xvIIrmo siècles, aucun de ces textes n'établit

la souveraineté de l'Angleterre.
Des habitants de Jersey allaient au XVII~~ sièclepêcherle poisson
aux Ifinquiers comme ils faisaient aux Écréhous ou aux Chausey.
(bfémoirebritannique, § 52.) Comme l'indique Le Geyt, dans un
passage cité plus haut, ils en payaient la dîme au recteur de leurparoisse. Il est inutile d'insister sur ce point : des faits de pêche

ne manifestent pas la souveraineté. Le Gouvernement du Royaume-
Uni a invoqué divers faits concernant l'usage de ces îles par les
habitants de Jersey pour le ramassage du varech et les actes. de
juridiction de la Cour seigneuriale de Noirmont à Jersey en matière
d'épaves trouvkes sur ces mêmes rivages.
Il est possible que le ramassage du varech, particulièrement
de la variété appelée (goémon de rive », c'est-à-dire le goémon

qui tient au sol, à la différence des ((goémons de mer n ou des
goémons épaves »,ne doive pas êtreassimilé à un simple droit
de p&che l. Encore faudrait-il savoir quelle sorte de goémon les
habitants de Jersey ramassaient sur les côtes des Minquiers. En
tout cas, il convient de remarquer que les rôles de Noirmont à
Jersey de 1615-1617ne font pas allusion à cette pratique, contraire-
ment à ce qui a étéavancé: le mémoire anglaisprécité(art. 145a

et 206), et celui qui l'avait précédé en 1947 ,nt donné une mau-
vaise interprétation du terme médiéval « vraic ilAux xvirme siècle,
((vraic »,ou (varech il,n'a pas le sens de ((seaweed iic'est-à-dire
de goémon, mais doit êtrerapproché du latin civeriscus iiet de
l'ancien français varec », qui signifie épaves ; il suffit pour s'eii
convaincre de se rapporter au Coutumier de Normandie, comme
nous allons le voir dans le paragraphe suivant, et à la mention

« varec » portée en marge d'une découverte d'épaves en 16x5
(mémoireanglais, annexe A 20, reprod. phot., fol. 69).
En matière d'épaves, le mémoire tiu Gouvernement anglais
ne peut avancer que trois cas à l'appui de ses prétentions : le
premier en 1615, le deuxikme en 1617, et Ie troisième en 1692.
Les deux premiers se trouvent dans le rôle de la Cour seigneuriale
de Noirmont à Jersey (mbmoire anglais, annexe A 20). En 1615,

un habitant de Jersey avant enlevé quelques pièces de la mature
et des agrès, ainsi qu'un coffret, d'un navire perdu ailx hlinqiiierç,
venant probablement de Honfleur, la Cour ordonna à son sergent
de prendre ces objets en garde jusqu'à ce qu'il soit statué. En
1617, un autre habitant de Jersey ayant enlevé iine ancre d'un
bateau «perdu aux Minquiers et aux environs iiet l'ayant porté
à Saint-Malo, fit défaut devant la Cour. Rien n'indique que,

dans ces deux cas, la Cour de Noirmont à Jersey ait attribué
les épaves ail seigneur ; et mêmesi elle l'avait fait, cette mesure
ne pourrait prouvcr la souveraineté: anglaise sur les Minquiers :
d'abord parce qu'il ne s'agit que d'actes unilatéraux ;ensuite
parce que les épaves de ce genre n'appartenaient qu'au seigneur
du fief, et non au souverain 2.
La sentence de la Cour royale de Jersey du 6 août 1692 parait

plus importante, parce qu'elle revendique comme «appartenant
l Voir Dalloz, Répertoirepratique, art. varech.
L'or et les choses précieuses sont attribués au souve;ccetera avtem
singuladominis remanebunt in quorum fcodis fuerint appliS.tCoutumiers de
Normandie. ch. XVT, De veriscis (éd.Tardif, 1896). à Leiirs Majestés ))les débris, câbles, voiles et canons de certains
vaisseaux ayant fait naufrage aux Minquiers. Elle n'a cependant
aucune valeur probante, si l'on considère lescirconstances ;depuis
le début de l'année 1692, Louis XIV était en guerre avec Guil-
laume III, et deux mois avant cette sentence, à la fin de mai et
au début de juin, des engagements mettant aux prises les flottes
française et anglaise avaient abouti à l'échecde la Hougue ; la

flotte française à cette occasion avait traversé les parages des
îles anglo-normiandes, où elle avait subi des pertes. Il s'agit donc
dans ce cas d'épaves de navires de guerre ennemis, que la Cour
de Jersey revendique comme appartenant au roi d'Angleterre.
Aucune conclusion juridique ne peut être tirée de ce fait de guerre.

En ce qui concerne la période postérieure, le Gouvernement
de Ia République française n'estime pas nécessaire de procéder
à un examen détaillé desarguments de fait qu'allègue le mémoire

britannique.
Il ressort en effet de l'examen de ces faits qu'ils sont en quaçi-
totalité postérieurs à la naissance dii litige, c'est-à-dire: 1869 en
ce qui concerne les Minquiers, 1876en ce qui concerne les Ecréhous.
Aussi bien les rares faits qui remontent à une datc antérieure à
la naissance du litige que ceux qui lui sont postérieurs n'ont '
jamais manqué de soulever les protestations du Gouverne1ni:nt
français, comme le démontre d'ailleurs le mémoire britannique
(section C, Irepartie; Section E, II11no partie).
Les faits de possession postérieurs à ,la naissance d'un litige
ou faisant l'objet d'une contestation de 1'Etat intéressé nepeuvent

présenter aucune valeur en tant qu'élémeritde solution du différend.
Il ne peut donc être question d'urie « possession )ibritannique
quelconque sur ces îlots, encore moins d'une possession (paisible i).
a) Les Écréhous ont étéadnzinistrativenzenttraitéescomme /aisant
partie de la $aroisse de Saint-Martin, dans l';le de Jersey. .En

1826, Ea police de cette paroisse traduisil George Rome~il d~a.izt
la Cour royde de Jersey (par. 135).
Mais si la Cour de Jersey a eu connaissance de faits accomplis
sur les récifs des Écréhous, elle n'a dû les connaitre qu'à raison
de la qualité anglaise des parties intéressées.Il n'a par contre
jamais été portéà la connaissance du Gouvernement français que
cette Cour ait tranché quelque contestation entre Ies nombreux
pêcheursfrançais qui ont, de tous temps, fréquenté les îles.

. bj Une autre preuve de l'exercice coniinzl de I'ailtorite'policière
sur les Zlots serait apportée par I'écriteazt aflché à Mnrnzot~ère
en 188#,émanant du connélable de Saint-Martin et invitant les
pêcheurs à ne'pas Iaisser de détritus sur l'ilot (par. 136 ii). En réservant ses doutes sur la valeur de cet argument, le
Gouvernement de la République franqaise remarque que cette
inscription est postérieure à la naissance du litige.
c) Des enqzlêtes ont621 Ea'ezecn vue d'établirla cause du décèsde
personnes dont le cadavre avait ktk trozivész~ les ilots ou firéde
cezrr-ci (par. 137).
Le 12 novembre 1917 et le 19 juillet 1948.
d) Des maisons situLes szcr les î^Eotsont ététaxées pour la taxe
paroissiale de Jersey (par.136).
En 1889 pour la première fois, donc treize aniiées :iprèsles
premières contesta tions. .
e) Des opérutions de recensement ont eztlieu sur les iEots .

(pL'unique exemple qu'en donne le mémoire britannique est

celui de l'année 1901.
f) Des mesures ont étéprises en vue d'a$pliqzter les règlei~zettts
[i~Jersey (par. 138).
En 1884.
g) Des baux ont ktk accordéssur Ia Majtresse-fle par la Couronne
(par. 140).
L'exempIe le plus ancien dont fait état le mémoire britannique
remonte à 1923. Il convient d'ailleurs d'ajouter que même y
aurait-il des maisons anglaisessur les rochers litigieux, l'existence
de propriétés privées ne saurait décider de la question de la
souveraineté des territoires en litige (voir Lindley : The acquisition
and government of backward ferritoryin International Law (p. 23)).
h) Si, pendant plus d'~t)~siècle,les maisons situéesaux Écrélzozrs
ont étéocczcpéesexcl~csive~ne~z ptar des Jersiais et autres res-
sarfissaats anglais, les autorités de Jersey n'expliquent pas les

incidents survenus entre habitants de Jersey et pêcheurs français
à l'occasion de chaque nouvelle tentative française de maintien
sur une des îles. Les querelles locales n'ont pas éte encouragées
du côté français, et l'on ne saurait y trouver argument.
i) Il est prortvé que peitdant les soixante dernières nnnkes
pozw le moins, Les azdoritésde Jersey ont parfois visité les ilots
comme dépendancesde Jersey, et y ont fait flotter le pavillon
britannique.
D'après le mémoire meme, les visites officielles nc remontent
pas au dela de 1892. De plus, la France n'a cessé de protester
contre ces manifestations.
i) Les alttorifés de Jersey ont égalemelztconsacrd des fonds
à la co~zstrz~ctine divers travaux sur les Zlotstelsqzsela construc-
tion d'tiwe rampe à Mar??zotière(par. 145).
En 1893, rgor, rgro, rgjo:
En 1895, 1906, 1947.
k) Enfin, pour ce qiii est des argilments relatifs à la ~iCchc,

si l'usage immémorial et iiniverseltement reconnu aux p&cheurs français de pêcher aux lhréhous pouvait être mis en doute,
l'existence même des accords de pêche entre Les deux Ztats
sufirait à prouver que, pour qiiedes contestations se soient élevées
entre ressortissants des deux États, ces derniers devaient p&cher
dans les mêmeseaux.

Le Gouvernement de la République française estime pouvoir
invoquer de son côté des faits de possession, ailx mêmeséporlues,
de nature à contredire ceux du Royaume-Uni.
n) La France peut opposer &.la Grande-Bretagne le fait incon-
testable d'avoir seule assuméla charge de l'éclairageet du balisage
des iles pendant plus de soixante-quinze ans, sans que ce fait
n'appelle de réserves de la part du Gouvernement britannique.
La France a assumé spontanément ce service public en 1861,
une vingtaine d'années avant toute contestation.
b) Ce fut un Français, Beautemps-Beaupré, et non pas, comme
le maintient le mémoire britannique, l'officier de marine Martin
White, qui, en 1831, exécuta la première étude hydrographiclue .
de l'archipel des MinquiersEn outre,en 1888, une mission française
chargée du relevC hydrographique de ces îles construisit sur
plusieurs d'entre elles des Œuvres provisoires destinées à.faciliter

ce relevé.Ces amers furent respectéset ne donnèrent lieuA aucune
protestation contre la présencede travaux français dans ces eaux.

LJ&tude historique qui précède autorise le Gouvernement de

la République francaise à.soutenir:
IO Que la République française est fondée à r6clarner comme
siennes toutes les iIes dépendantes de l'ancien duch4 de Nor-
mandie, à l'exception de celles qui sont restées en lapossession
du roi d'Angleterre, ainsi qu'il est dità l'articl4 di1 traité de
Paris de 1259 et à l'article 6 du traité de Calaisde 1360. C'i:st
au Gouvernement du Royaume-Uni à faire la preuve de sa pns-
session. Comme il n'a point fait cette preuve pour les kcréhous
et les Minquiers, ces iles doivent revenir à la France.
II est d'ailleurs établi que depui1204, I'ile d'Écréhoua relevé
de la souveraineté française par l'intermédiaire de l'abbaye de

Val Richer à qui eHe avait étédonnée en franche aumene.
z0 Que les fait alléguiispar le Gouvernement britannique dans
son mémoire ne démontrent aucunement que, avant la fin du
XVIIP~ siècle, il ait accompli sur les Ecréhous et les Minquiers
des actes quelconques irnpIiquant une souveraineté territoriale.
a) Il ne peut pas tirer un argument du fait que, depuis long-
temps, des habitants de Jersey ont fréquenté ces îles pour y
pêcherdes poissons ou y ramasser du varech. Cornme le montre
le texte précitéde Le Geyt, ils alIaient aussi aux Chaiisey qui,402 CONTRE-MÉMOI RUE GOUVERNEMENT FRANÇAIS (26VI 52)

depuis 1204, n'ont jamais relevé de la souveraineté britannique.
Inversement, des aveux de la baronnie de Saint-Pair en Cotentin,
eii date de 1555 et de 1556, montrent que le droit de pêchede
ses ressortissants, tous sujets français, s'étendait jusqu'aux îles
de Jersey et de Guernesey (Père de Gibon, Les iles de Chausey,
article publie par le Pays dGranville,Igro, p.262). Si les pécheurs
de Jersey allaient aux Chausey, aux hlinqiiiers et aux Écréhous,
les pècheurs du Cotentin allaient à Jersey et à Guernesey. II
est évident que tout cela n'a rien à voir avec la question de
. .
souveraineté.
b) On ne peut pas non plus inyoquer le fait que des Jersiais
revenant des Minquiers oii des EcrChous aient eu à répondre
de certains de leurs actes devant les autorités de leur pays. Ils
devaient la dîme du poisson qu'ils avaient pêchéail recteur de
leur paroisse. Ils étaient tenus de remettre les épaves, qu'ils
avaient ramenées, au seigneur de leur manoir ou au roi. On voit
aussi la cour de justice de la couronne d'Angleterre faire une
enquêtesur les causes d'un naufrage survenu aux Ecréhous, dont
les victimes étaient des habitants de JerseyEn toutes ces affaires,
les autorités de Jersey ont exercé une juridiction personnelle
sur leurs sujets qui étaient allésaux Rfinquiers ou aux Écréhous,
comme elles auraient agi s'ils étaient revenus d'un voyage en
Le mémoire britannique ne relate aucun acte de
pleine mer.
juridiction accompli sur les lieux mêmequi aurait comporté une
compétence territoriale. Conclusions du Gouvernement de la Républiquefrançaise

Le Gouvernement de la République française pense avoir établi
ue le régime juridique des îlots et rochers des Minquiers et des

Z4créhous afait l'objet d'un règlement entre la France et l'Angle-
terre lors de la convention du2 août 1839 qui place ces espa.ces
dans la mer commune aux deux nations. Ilans l'hypothèse où
la Cour déciderait de suivre la Grande-Bretagne dans sa demande
de modification de cerégime, le Gouvernement de la République
française a démontréque les textes anciens n'ont jamais transféré
à l'Angleterre Ia souveraité de terres indéniablement rattachées
à l'origine àIa France et que les faits de possession invoqués
par le Royaume-Uni ne lui sont pas opposables.
Le Gouvernement de la République française demande donc
à la Cour internationalede Justice de dire et juger:
x0 que les espaces en question ne sont pas susceptibles d'appro-
priation par Ia France ou par le Royaume-Uni depuis que,

par la convention du z août 1839,les deux nations les ont placés
dans leur mer commune ;
2" que, si ledit régime de 1839 devait êtreatteint et la sou-
veraineté attribuée de manière exclusiveA -l'une des Parties, les
titres et les faits invoqués par la France entraînent la rcconnriis-
sance de sa souveraineté sur les espaces en question.

L'Agent du Gouvernement de la République
française,

(Signé A)SDKI? Gnos.404 COXTRE-MEMOIRE DU GOUVERXEBIENT FRANÇAIS (26 VI 52)

LISTE DES ANNEXES AU CONTRE-MÉMOIRE FRANÇAIS

DANS L'AFFAIRE DES MINQUIERS ET DES IXRÉHOUS
Page

ANNEXE 1. - Lettre de M. Canning au princede Polignac,
du 28 février 1825 ......... 405
ANNEXEII. - Rougli mernoraiidum .......... 410 .

ANNEXEIII. - Lettre du prince de Polignacà M. Canning,
du 16septembre 1824 ......... 4x0
ANNEXEIV, - Projetde convention des 7etg septembre ~824 413 ANNEXES AU CONTRE-MEMO FIRAEÇAIS (xO I) 405
d
Annexz I

LETTRE DE M. CANNING AU PRINCE BE POLIGWAC
DU 28 F~VRIER 1825

Foreign Office, February28, 1S25.
Alon Prince,

Your Excellency will 1 trust do me the justice to believe that the
interval which has elapsed since our last Conference, on the so long-
litigated subject of the Oyster Fisfieries, has not been an interval of
negligence or of needless delay.On the contrary it has been employed
in collecting materials for the final opinion, whic1 am non7 to have
the honor to announce to Your Excellency on the part of my Govern-
ment, of which materials a portion was to be sought through repeated
references to the Law Advisers of the Crown, in matters both of civil
and municipal law ; and another portion throiigh itiquiries addressed
to every Custom House, and indeed every Port throughout the wholc
Circumference of the United Kingdom.
It is only within these few days that the last of these returns have
corne in.
The correspondence which Your Excellency has in the meantime
carried on with Mr. Planta explains by what insensible gradations
and by what unforeseen turns of argument, a question which at the
outset appeared so short and simple has grown into one of perplesing
. difficulty and magnitude.
The discussion arose frorn the squabbles of a few fishermen about
the limitsof a particular bed of oysters. But by process of time and

of reasoning, the whole of the fisheries of both countries, and what
isstillmore important the first principles of Maritime Law as respecting
fisheries and territoriajurisdiction,have been brought within the
range of the discussion ; and must be affected by the decision of it.
Neither is there any blame justly attributable to either Party for
these extraordinary. variations; still less any presumption of incon-
sistency (as Your Excellency seems to intimate in your letter of the
6th of Decernber to Mr. Planta) to be derived from the readiness with
u-hich those who were charged with the negotiation on the part of
Great Britain, have adopted in different stages of that negotiation,
differentand indeed opposite schemes of settlement.
On the contrary, the spirit of accommodation which has pervacled
the whole discussion on our side (and 1 have no doubt also on tliat
of Your Excellency and of Your Government) sufficiently accounts
for the facility with which various suggestions have been adopted
at first sight with favour, which subsequent examination, and new
lights, have shown to be impossible to be reduced into practice ; and
which have, on that account only, been after full discussion unwillingly
abandoned.
For the better illustratioof this statement, it may be advisable
torecapitulate shortIy the successive stages of the whole transaction.
It originated in a complaint of the French Government,"that certain
beds of oysters in the Channel between the coast of Normandy and
Brittany and the Isle of Jersey", alleged to have been, time out of mind, the property of France, first by right of prior occupation ; next
by the habit of assiduous cultivation and care, "had been invaded
by the fishermen of Jersey. Which fishermen not contented with
claiming a right of participation in the fruits and profits of that oyster
fishery had further, by their mode of exercising their assumed right,
committed waste upon the oyster beds; rendering void thereby the
efforts of French industry, and spoiling even more than they brought
alGay+''
In this cornplaint are comprised two distinct allegations which it
is important to separate ; the first, that ofa claim of exclusive property
on the part of France ; the second, that of a misconduct on the part
of the British fishermen, in misusing the property which they considered
themselves entitled to share.
With regard to the claims of property, it is admitted on al1 hands,
that the oyster-beds so claimed lie beyond a maritime Ieague from the
coast of France. Two leagues, indeed, is the distance to which France
is obliged to propose to extend her jurisdiction, for the purpose of
bringing them within her controI. Now it is plain that nothing but a
desire to conciliate conflicting interests, and to bring the dispute to an

amicable decision, upon its own limited grounds, without stirring much
wider questions, could have induced the British negotiators, overlooking
(so long as it was not brought fonvard as a substantive and prominent
point of discussion) the untenableness, in points of ~irinciple, of a claim,
to extend territorial jurisdiction over the sea beyond the limits, which
the general usage of nations has assigned to it ; to go at once into an
examination of tlie facts of the case, with a desire to arrive ata practical
remedy .
The facts of the case, as stated by the '~rench Governrnent, are
contested by the authorities of Jersey.
It is dcnied that France, in point of fact, has enjoyed that
preoccupancy which she averred, or at least that she has enjoyed it
unquestioned. It is asserted that, for a series of years, the fishermen
of Jersey have frequented the oyster-bank in question, have explored
its treasurcs, sometimes alone, sometimes conjointly, with the .French
fishermen ;and that no fault was found with their frequentation of the
spot, until lately :when the French Government, instigated by the I
fishermen of Granville (in consequence probably of the squabbles that
had occurred between them and the fishermen of Jersey), resolved to

make an effort to appropnate the ~vholeto French use.
The charge of waste and spoil, brought fonvard against the Jersey
fishermen, is also positively denied : but it must be admitted that the
French have produced on their part, copies of very salutary regulations
for the oyster fishery off the coast of Norrnandy and Brittany, while
the States of Jersey have not produced any equivalent proof of the
like care bestowed on the fishery in question on their part.
This admission will at least show the candour and fairness with
which it has been intended to investigate the merits of the dispute,
on the part of the British Governrnent.
For the settlement of this dispute, and for the avoidance of future
conflicts between the rival parties of fisliermen, it Ras proposed by
France that two leagues should be assigned, by mutual agreement, as
the limit of the respective oyster fisheries of Granville on the one hand,
and of Jersey on the. other : or that, in such parts of the intervening ASNEXES .4u COXTRE-IIÉMOIREFRANÇAIS (NO 1) 407
channel as were not altogether four leagues in breadth, a liiie drawn
through the middle of the Channel should be the line of'demarcation.

Nothing could be fairer inappearance than this proposal :and there
was accordingly every disposition on the part of the British negotiatorç
to adopt it, subject only to the obviously necessary condition that the
two leagues thus assigned to Jersey should be found to cortiprise an
equitable portion of the contested fishery. But it was Iiardly to be
expected that they slioiild agree to adopt a regulatiori which should
lenve nearly the whole of the fish oti the French sicle of the line of
demarcation.
Such, upon refercncc to Jersey, was ascertained to be the effect
of the proposed division.
Upon this discovery it was, that the range of the discussion was
necessarily widened. It was siiggested by Your Excelleiicy that there
might be other oyster fisheries on the coast of England, whicli had
been extended, like this of France, beyond the recognized limit ol
territorial jurisdiction over the sea, by ancient usage, or by gradua1
encroachment ; and that an agreement which should sanctioii those
usages or encroachments, at the same tirne that it assigned to Frarice
a jurisdictioii extending to two leagues instead of orle, off the cozt
of Normandy and Rrittaiiy, wotild be equal and equitable compensating
to the oyster fisheries of Englnnd in general, the concession made to
France, at the single exliense of Jersey.
The enquiries which were set on foot in consequence of this silg-
gestion are, as 1 have said, only just terminated. The result of tliem
is that there is wo sucli opcning for a compensatory arrangement.
The oyster fisheries of the United Kingdom are, for the most part
within creeks, and harbours or headlands, unquestionably within the

range of uncontested territorial dominion. If there be any instaiices
beyond that range, we have neither the pretension nor the wish to
protect them by stipulations equivalent to those which Your Excellency
has proposed for the appropriation to France of the fislicry near Jersey.
You are welcome to share with us in any oyster batiks which we may
frequent beyoiid the recogiiizecl limits of our natural jurisdiction.
It follows that if we were to concede the appropriation whicli Your
Excellency requires on the side of Jersey, we sbould make t1i:it con-
cession gratuitously, and iri order to make that gratuitous concession
we must conserit to depart from the generally received pririciple of
territorial jurisdiction anclto recognize an exception to that general
principle pregnant with consequences, the extent of which it is riot
easy to foresee.
But even if we were disposed to make this concession from int:re
urbanity and good neighbourhood it is not in our power to make it
eflectual, for your purpose, whether as regards our own execution of
what we should stipulate, or as regards the force of that stipulation
as agai~lst other Powers.
And first as to the latter proposition.
England and France undoubtedly have the right and the power
to corne to an agreement that, so far as relates to themselves they
w111abrogate, in the whole or in part, that ancient principle of Iav
by which the maritime league, the portée du canon (or by whatever
definition itmay be thoüght expedient to describe it) is established
as the mesure and extent of a nation's dominion from its own shores It is hardly necessary to observé that the difficulty which 1 here
state as certain to arise on the supposition of a conve?itioinetween the
two Governments, would apply with tenfold force to an ordinance
of the French Government. Indeed an ordinance which should by the
mere authority of that Government, extend the territorial jurisdiction
of France from one to two leagues from the coast, would be such an
assumption of a power to control international law by municipal regu-
lations, as could not fail to alarm al1nations navigating any of the seas
by which the territory of France is bounded.
The conclusion to which we are brought by al1these facts and reason-
ings is, 1am afraid, not more satisfactory than that aiwhich the British
and Dutch negotiations arrived in the 17th Century.
The rule of Law is clear and general, and its obligationisadmitted by
al1 nations.
It is hazardous to shake such general prescriptive authority for any
partial and tempqrary advantage.

The only case in Lvhichit would not be utterly unsafe to do so, would
be one in which two Powers, having an interest exclusive of al1 third
parties, in the point to be adjusted, should be able to adjust that point
by mutual and equivaIent concessions, a case in which the danger of
the example of a deviation from established law would be justified by
some immediate advantage, so clearly and so equally affecting the
subjects of both Countries that the legislatures of both might willingly
lend their aid to carry the compact into execution.
But the question now before the British Government is one of
undatera1 concession, and a concession of the most objectionable klnd,
as involving the sacrifice of a yrincipIe.
Under these circumstances and after the fullest and niost dispassioriate
consideration, we see no excuse for consenting to admit a deviation
from the general rule, which fixes the limit of a country's territorial
dominion over the sea at the distance of one league from its coasts. Al1
beyond that limit is open sea, a sea which is open to France indeed as
well as to England, but which it is not in the power of any partial agree-
ment to shut to England while it is open tu France.
What rernains to be considered is, whi:ther we may not be able to
divest Our joint use of the oyster bankç which lie between the coast
of France and the Island of Jersey, .ai a greater distance than a mari-
time league from both, of some of its alleged inconveniences, by regu-
lating the direction of thst enterprize on the part of the peoplofjersey,
which we have not the power (if we had the right) effectually to restrain,
and by making a field of common industry a source of common profit.
IVe are willing forthis purpose to adopt any regulations which irlay
be suggested to us as expedient, for the preservation and improvenient
of a fishery, which the fishermen of both countries wiI1have an equal
interest ta preserve and improve. ANNEXES AU CONTRE-MÉMOIRE FRANÇAIS (NO' II-III)
410

Annexe II

ROUCH MEMORANDUM

The French Government uniformly respecting the exclusive right
of fishing on the part of British subjects, within the distance of one
marine league, from the coast of.the British possessions, as well as
the exclusive right of such fisheries on those coasts, exceeding that
distance, founded on 'Royal Charter, Actsof Parliament, privategrants
qr immemorial usage ;and the British Go~~ernmentbeing anxious to
act towards that of France i?~a spiritof perfect reciprocias respects
these matters ;
Differeiiceshaving arisen as to the extent and limits of tlie Property
of France, in the fisheries of Cancale and Granville, which have led
to frequent dissensions and contests between the subjects of the t~vo
countries, since the year 18x9.
The Undersa Plens
Article.
Settles the lirnit of the French oyster fisliery to be one marine league
along the coasts of Normandy generally, but two marine leagueç from
off Havre de Carteret to off Lingreville an....
Article2.
H.B. Majy engages that H.M's subjects shall abstain fronl fishing
witArticle3d.irnits abovementioned.
Settles the limit for the fishery round the island of Guernesey, Jersey
and Alderney at one marine league generally, but the exclusive fishery
round Jersey at two marine leagues.
Article.
H.M. CH. Mai. engages that His subjects shall not fishwithin
the above limits:

Pour copie conforme.
L'Ambassadeur de France,
T,ePRINCE DE POLIGNAC.

Anrzsxe III

LETTRE DU YRlNCE DE POLIGNAC A M. CANNING
DU 16 SEPTEMBRE 1Sz4

Londres, le 16 septembre
1824.
Lettre confidentielle
à Al,Canning.

Pêcheriesde Granville.
Monsieur,

Tout en respectant les motifs qui ont engagé messieurs Planta et
Hobhouse à retarder la conclusion de la Convention que j'avais l'espé-rance de signer daris la Conférence que j'ai eue hier15 septembre avec
ces deux messieurs au Foreign Office, je ne puis vous dissimuler que
ce retard m'a autant étonné que contrarié; j'avais déjà donné connais-
sance à mon Gouvernement des dauses de la Convention, ainsi qu'elles
avaient étéarrêtées dansles deux derniéres conférences ; mon Gouver-
nement en avait paru satisfait, et je lui avais aiinoiicé officiellement
que la signature (le la Convention devait avoir lieu hier 15 du mois.
1T.M. Planta et Hobhouse m'ont demandé si la. convention dont il
s'agit était applicable à tontes les pêcheriesen gériérslsituées le long
des côtes de la France et de l'Angleterre. Je n'ai pu que les renvoyer
à la lecture des articles ,de la convention qui déterminent les limites
respectives des pêchesdes deus pays selon la nature de ces pêches,
soit qu'elles concernent les huîtres, moules, ou autres coquillages,
soit qu'elles concernent le poisson qu'on peut désigner sous .le nom
de poisson de passage (floating fisfi).Or V. Exc. sait que ces articles
ont été l'objet de longues discussions, que leur rédaction a souvent
étéchangéeet modifiée,et que leur sens (à ce qu'il me parait) ne saurait
êtreobscur.
M.M. Planta et Hobliouse m'ont dit que puisque cette convention
embrassait en généraltoiites les pêcheries qui se trouvent placées le
long des cdtes de France et d'Angleterre, il était iiécessaire, avant
de la conclure, d'examiner jusqu'a quel point elle pouvait affecter
les pêcheries anglaises de harengs situées le long des côtes de Norfolk,
me donnant en mêmetemps lecture d'une pétition adressée au Gouver-
nement anglais au mois de novembre IST~ (c'est-à-dire iy a près

de cinq ans) par les pêcheurs anglais des côtes de Norfolk, qui réclament
le privil5ge exclusif de pêcher le hareng jusqy'h quatorze milles en
pleine mer, et qui se plaignent d'agressions que des pêcheurs fran~ais
aiiraient commises A cette époque le long de leurs côtes. Je ne fais
aucune observation sur cet examen tardif des intérêtsdes pêcheurs
de Norfolk, qui est cause du retard qu'éprouve la conclusion de la
convention ; bien que ces intérêts aient pu être depuis longtemps .
discutés, je ne prétends pas dire que, m&me h l'époque avancée à ,
laquelle se trouve la riégociation, il n'en faille point les prendre en
considération ; néanmoins, V. Excellence ne sera pas surprise de mon
propre étonnement, en voyant surgir une difficulté de cette nature
i l'occasion d'un genre d'intérêtpour lequel on avait stipillé, dès le
principe même,dans Ia discussion des articles de la présente convention
où se trouvent expressément spécifiées lesdeux natures de pêches
dont elle a en vue de rbgler l'exercice exclusif le long des côtes des
deux pays respectifs, savoir: celle des huîtres, et celle de tout autre
poisson désigné en anglais sous la dénomination de R floating fiçhu;
depuis cinq mois que nous nous occupons de la rédaction de cette
convention, nous avons sans doute eu le temps de peser la valeur de
chacun des articles qu'elle renferme, et Votre Excellence nie rendra
la justice de croirque dans la marche de cette négociation, j'aicherché
avec la plus grande impartialité à garantir les intérêtsraisonnables
des pêcheurs des deux nations.
Je dis raisonnables, parce quejene puis supposer que Votre Excellence
reconnaisse comme telles. les prétentions des-pécheurs de Norfolk de
pêcher exclusivement le hareng à la distance de quatorze milles en

pleine mer ; cette prétention, vu les limites étroites dans lesquelles
sont renfermées les mers européennes, serait plus absurde que celle ANNEXES AU CONTRE-JIÉMOIRE PRANÇAIS (ri0III)
412
que faisait valoir dernièrement la Russie dans l'immense Mer pacifique,
dans laquelle, si je ne me trompe, elle prétendait se rendre propriétaire
exclusive d'une étendue de mer de plus de cent milles à partir de ses
côtes. V. Excellence a justement réclamécontre cette prétention, et,

d'aprés ce qu'elle m'a fait l'honneur de me dire, elle a obtenu que la
Russie restreindrait ses limites maritimes à la distance de deux lieues.
J'observerai en outre, quartt à ce qui concerne la pêchedes harengs,
que ces poissons, qui descendent des mers septentrionales vers des
mers plus tempérées, y arrivent en telle abondance, qu'ils couvrent
la surface de l'eau A des distances de plus de douze et quatorze milles,
et que, quand même,tous les pêcheursréunis des trois Royaumes de
la Grande-Bretagne et de l'Irlande ne s'occuperaient exclusivement
qu'à ce genre de pêche,ils ne pourraient'prendre la dixième partie de
ces poissons voyageurs ; A l'absurdité de la prétention se trouve donc
jointe l'impossibilité dela réaliser.
Reste à examiner les plaintes forméesen ISI~ par les pêcheurs anglais
' de Norfolk contre les pêcheurs français ; ici, d'après l'exposé desfaits
tels qu'ils m'ont étéprésentés par KM. Planta et Hobhouse, je ne
puis m'empêcher de croire que les pêcheurs français n'aient étédans
leur tort; j'ai demandé à ces Messieurs si de semblables agressions se
sont renouvelées depuis cette époque, ils n'ont pu me donner aucun
éclaircissement sur ce point ; dans tous les cas, je vais en écrireà mon

Gouvernement, et désirant, aussi bien que V. Exc., que dans des ques-
tions de la nature de celle dont il s'agit ici, les deux nations montrent
la bonne intelligence qui règne entre Elles, en se plaçant, autant que
possible, à l'égard l'une de l'autre sur un pied de parfaite réciprocité,
je l'inviterai, jusqu'à ce qu'un a-angement définitif ait été pris entre
les deux pays, à donner les ordres les plus positifs pour qu'il soit défendu
aux pêcheurs français de s'approcher pour la pêche du poisson de
passage (floating fish) plus prés des côtes d'Angleterre que rlele font
les pêcheurs anglais des côtes de France.
Je suis réellement désoléd'importuner encore V. Exc. en remettant
de nouveau cette affaire sous ses yeux ; mais Elle sent de quelle impor-
tance est la conclusion de cette convention pour lesmalheureuses familles
qui souffrent depuis cinq ans sur Ies côtes de Granville par suite de
la dévastation de leurs propriétés.Je dois dire cependant que la Confé-
rence que j'ai eue hier ne sera pas sans quelque résultat heureux pour
leurs intérêts,puisque M.M. Planta et Hobhouse touchés de leur posi-
tion, et comprenant qu'elles ne devaient point étre victimes d'un retard
imprévu dans la conclusion définitive de la Convention, ont senti qu'il

serait juste de leur appliquer provisoirement le bénéfice desarticles
de cette niêmeconvention, et m'ont promis d'agir auprès du Gouverne-
ment anglais dans le but cle faire donner l'ordre aux pêcheurs de l'île
de Jersey de s'abstenir de pêcheren de+ des limites de deux lieues,
à partir des côtes de France, dans lesquelles limites se trouvent placées
les huîtrières de Granville ; je me suis alors engagé, de mon côté, à
inviter mon Gouvernernent à retarder provisoirement aussi l'effet de
l'ordonnance relative aux pêcheries deGranville, qu'il avait eu origi-
nairement l'intention de soumettre a l'approbation du Roi, en cas
que les deux pays ne pussent tomber d'accord sur la fixation des limites
maritimes de leurs pêcheries respectives; mais V. Exc. pensera sans
doute avec moi qu'un pareil provisoire est loin de remplir le but qu'Elle
et moi, nous nous proposons d'atteindre, celui de lier les sujets des deux nations par les mêmessentiments d'harmonie et de bonne intelli-
gence qui unissent les deux Gouvernements.
Je prie Votre Excellence de recevoir la nouvelle assurance de ma
haute considération.

PROJET DE CONVENTION DES 7 ET g SEPTEMBRE 1Sz4

Rédaction arrêtée dansla
Conférence du 7 septembre 1824
au Foreign Office.

Au nom dela Très Sainte Trinité,

Sa Majesté le Roi de France et de Navarre et Sa Majesté le Roi du
Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande,
Voulant faire cesser les coritestations qui se sont élevéesentre des
sujets des deux royaumes relativement A l'étendue et aux limites de
la propriété de la France dans les pêcheries situées le long des côtes
nord et sud de Granville et désirant saisir cette occasion de réglerimi-
formément et sur le pied de Ia plus parfaite réciprocitk les limites mari-
times des deux pays en ce qui concerne les pêcheries :
Ont nommé à cet effet pour leurs plénipotentiaires respectifs, savoir :

Lesquels, munis des pleins pouvoirs nécessaires sont convenus des
articles suivants :

Artide r. - Les Hautes Parties contractantes reconnaissent récipro-
quemenf comme inhérent à la souveraineté territoriale de l'un et de
l'autre Etat le droit exclusifde pêche en deçà de la distance d'une lieue
' marine ou de la vingtième partie d'un degré, à partir du rivage le long
des côtes de leurs possessions respectives en Europe. Eiles reconnaissent
également, au delà des limites ci-dessus exprimées, en ce qui concerne
les pêcheries d'huîtres, moules et autres coquillages de mêmenature,
le droit spkcial et exdusif à,de telles pêchesappartenant soità la Cou-
ronne ou au domaine de I'Etat, soit à des individus ciu à des corpora-
tions de l'une et de l'autre nation, dans tous les cas oh ce droit sera
fondé sur des chartes, ordonnances royales, arrêts,dons de la Couronne
.
ou concessions particulières, actes législatifs, décisions judiciaires, actuel-
lement en vigueur, ou sur un usage immémorial, ou sur des privi1i:ges
locaux ou personnels, qui seraient reconnus légaux par les tribunaux ,
compétents dans celui des deux pays oii l'exercice desdits priviléges
serait réclamé commeayant existé antérieurement à la présente conven-
tion.
Article z, - Les limites de pêcheriesfrançaises d'huîtres, nioule:: et
autres coquillages de mêmenature le long des côtes des départements
de la Manche, d'Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord, sont, d'apres
les bases générales tracées ci-dessus, fixées a une lieue marine, sauf 414 -4NNEXES AU CONTRE-MÉMOIRE FRANÇAIS (NO IV)

l'exception qui suit, et qui, d'après les documents communiqués par
l'une des Hautes Parties contractantes se trouve également fondée sur
les principes énoncésdans l'article premier de la présente convention.
La ligne servant de base à la délimitation maritime le long de cette
partie de la côte située entre le Havre (le Carteret et le village de
Lingreville, est fixée à deus lieues marines depuis la pointe S.O. du
Havre de Carteret jiisqu'à un autre point O. du village de Lingreville.
A partir de ce point, cette ligne tournera autour des isles de Chausey
à la distance d'une lieue marine, jusqu'aux rochersappelés Les Sauvages
duquel point elle se dirigera vers le sud sur la pointe du Menga, en

s'approchant des côtes à la distance d'une lieue marine, d'où enfin
elle prendra une direction ouest, conservant la mêmedistance le long
des côtes du département des Côtes-du-Nord.
Article 3. - Les limites des pêcheries anglaises d'huitres, moules
et autres coquillages de même nature sont fixées à une lieue marine
autour des îles de Guernesey, -4lderney et Sark et à deux lieues autour
de l'isle de Jersey.

Article 4.- Les distances, à partir du rivage le long des côtes des
deux Etats respectifs et spécifiéesdans les articles précédents comme
devant former les limites maritimes des deux pays en ce qui concerne
leurs pêcheriesrespectives, seront prises du point de laisse de basse mer.
Partout où, par suite de la proximité des deux côtes, les lignes
tracées comme délimitation maritime, en vertu des deux articles
précédents, empiètront l'une sur l'autre, la mi-canal sera considérée
comme limites respectives des pêcheries des deux nations.

Article 5.- Aussitôt après l'échange desratifications de la présente
convention, les Hautes Parties contractaiites feront marquer sur les
lieux les limites respectives des pêcheries d'huîtres, moules et autres
coquillages de mêmenature désignésdans les articles 2 et 3.
Chacune des Hautes Parties contractantes nommera un commissaire
qui s'entendra avec le commissaire désignépar l'autre Partie contrac-
tante dans le but de marquer lesdites limites.

Article 6. - LL. MM. le Roi de France et de Navarre et le Roi du
Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande s'engagent récipro-
quement à tenir la main. à ce que leurs sujets respectifs s'abstiennent
de pêcher en deçà des limites fixées ci-dessus le long des cbtes des
deux pays.
Article 7. - Cette convention sera ratifiée par les deux Hautes
* Parties contractantes et les ratifications seront échangées 5 Londres
dans le délai d'un mois ou plus tôt si faire se peut. '

En foi de quoi -les Plénipotentiaires respectifs ont signé la présente

convention et y ont apposé le sceau de leurs armes.
Fait à Londres le ....de l'an de grâce mil huit cent vingt-quatre.

Document file FR
Document
Document Long Title

Contre-mémoire soumis par le Gouvernement de la République française

Links