Contre-mémoire du Royaume de Belgique

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Introduction
1
INTRODUCTION
0.1 Par Requête datée du 17 octobre 2000 déposée au Greffe de la Cour, la République
démocratique du Congo («RDC») a introduit une instance contre le Royaume de Belgique
(«la Belgique») alléguant que l’émission par la Belgique d’un mandat d’arrêt contre le
ministre des Affaires étrangères de la RDC, violait le « principe selon lequel un Etat ne peut
pas exercer [son pouvoir] sur le territoire d’un autre Etat », le « principe de l’égalité
souveraine entre tous les Membres de l’Organisation des Nations Unies », et « l’immunité
[diplomatique] du ministre des affaires étrangères d’un Etat souverain ».
1
La Requête
demandait à la Cour de dire que la «Belgique devra annuler le mandat d’arrêt international …
décerné le 11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la
République démocratique du Congo, Mr. Abdulaye Yerodia Ndombasi».2
Dans son exposé
des moyens, la Requête soutient (A) que la compétence universelle prévue par la loi belge et
en vertu de laquelle le mandat d’arrêt a été émis, ainsi que le mandat d’arrêt lui-même, sont en
violation du droit international, et (B) que «[l]exclusion … de l’immunité du ministre des
affaires étrangère en exercice est contraire à la jurisprudence internationale …, [au] droit
coutumier et [à] la courtoisie internationale…»3
0.2 En ce qui concerne la compétence de la Cour, la Requête déclare que «la Belgique a
accepté la juridiction de la Cour et, en tant que de besoin, la présente requête vaut acceptation
de cette juridiction par la République démocratique du Congo».4
0.3 En même temps que sa Requête introductive d’instance, la RDC a également déposé
une Demande en indication de mesures conservatoires par laquelle elle demandait à la Cour
d’ordonner «la mainlevée immédiate du mandat d’arrêt litigieux».5
0.4 Aux termes de l’article 31 du Statut et de l’article 35 du Règlement de la Cour («le
Règlement»), la Belgique, par lettre adressée à la Cour en date du 30 octobre 2000, a notifié à
la Cour son intention de choisir un Juge ad hoc et désigné pour les besoins de la présente
affaire Mme Christine Van den Wyngaert, ressortissante belge et Professeur de Droit à

1
Requête introductive d’instance du 17 octobre 2000 (ci-après “Requête”), Partie I(1) et (2).
2
Requête, Partie II (souligné dans l’original).
3
Requête, Partie IV(A) et (B) respectivement (souligné dans l’original).
4
Requête, Partie V.
Introduction
2
l’Université d’Anvers. La RDC a désigné M. Sayeman Bula-Bula, ressortissant de la RDC et
Professeur de Droit à l’Université de Kinshasa, en tant que Juge ad hoc pour les besoins de la
présente affaire.
0.5 La Cour a tenu audience, au sujet de la demande en indication de mesures
conservatoires de la RDC, du 20 au 23 novembre 2000. Au cours des débats, la RDC a
invoqué les Déclarations faites par la Belgique et la RDC en vertu de l’article 36(2) du Statut
de la Cour («Statut») comme fondement de la compétence de la Cour dans cette affaire. La
Déclaration faite par la Belgique en vertu de l’article 36(2) du Statut date du 17 juin 1958.6
La Déclaration faite par la RDC en vertu de l’article 36(2) du Statut date du 8 février 1989.7
0.6 Le 20 novembre 2000, au moment même de l’ouverture des plaidoiries sur la
demande de mesure conservatoire de la RDC, un remaniement ministériel est intervenu en
RDC. A la suite de ce remaniement, M. Yerodia Ndombasi, visé par le mandat d’arrêt, a
cessé d’exercer les fonctions de ministre des Affaires étrangères de la RDC et a été nommé
ministre de l’Education nationale.8
0.7 Par ordonnance du 8 décembre 2000, la Cour a rejeté la demande en indication de
mesures conservatoires de la RDC. Dans cette ordonnance la Cour se fondait sur le fait que,
vu le remaniement ministériel du 20 novembre 2000, il n’était «pas établi qu'un préjudice
irréparable pourrait être causé dans l'immédiat aux droits du Congo et que le degré d'urgence
soit tel qu'il y ait lieu de protéger ces droits par l'indication de mesures conservatoires».9
0.8 Lors des plaidoiries sur la demande en indication de mesures conservatoires, la
Belgique a soutenu que le remaniement ministériel privait d’objet la Requête de la RDC. Elle
a donc demandé à la Cour de rayer l’affaire du rôle. Cependant, notant que le mandat d’arrêt
n'avait pas été rapporté «et qu'il vise toujours la même personne, nonobstant les nouvelles
fonctions ministérielles qu'elle exerce»,10 la Cour a conclu que

5
Demande en indication de mesures conservatoires, § 2.
6 Annexe 1.
7 Annexe 2.
8 Ordonnance du 8 décembre 2000 sur la Demande en indication de mesures conservatoires (ci-après
“Ordonnance sur les mesures conservatoires”), § 51. Voir aussi Mémoire de la République Démocratique du
Congo du 15 mai 2001 (ci-après “Mémoire RDC”), § 11.
9
Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 72.
Introduction
3
«la requête du Congo n'a pas, à l'heure actuelle, été privée d'objet; et qu'elle
ne saurait dès lors accéder à la demande de la Belgique tendant à ce que
l'affaire soit rayée du rôle à ce stade de la procédure».11
0.9 La Cour a observé, par ailleurs, qu’il était «souhaitable que les questions soumises à
la Cour soient tranchées aussitôt que possible … [et que] il convient de parvenir à une
décision sur la requête du Congo dans les plus brefs délais …».12
0.10 Par ordonnance du 13 décembre 2000, la Cour a pris note
«que les pièces de procédure comprendraient en l'espèce, dans l'ordre, un mémoire
de la République démocratique du Congo et un contre-mémoire du Royaume de
Belgique, et que ces pièces traiteraient à la fois des questions de compétence et de
recevabilité et du fond».
13
0.11 La Cour a fixé au 15 mars 2001 le dépôt du mémoire de la RDC et au 31 mai 2001 le
dépôt du contre-mémoire de la Belgique .
0.12 Postérieurement à l’ordonnance de la Cour du 13 décembre 2000, les délais pour le
dépôt des mémoires des parties ont été reportés, par ordonnances des 14 mars 2001 et 12 avril
2001, au 17 mai 2001 pour le dépôt du mémoire de la RDC et au 17 septembre 2001 pour le
dépôt du contre-mémoire de la Belgique .
0.13 Conformément à l’ordonnance du 12 avril 2001, la RDC a déposé son mémoire le 15
mai 2001.
0.14 A la suite du dépôt du mémoire de la RDC, et au vu de certains points mentionnés
dans ce mémoire, la Belgique a prié la Cour de déroger à ses ordonnances du
13 décembre 2000 et du 12 avril 2001 et de permettre l’ouverture d’une phase préliminaire
conformément à la procédure habituelle de la Cour. La raison principale de la demande belge
était que, comme l’indiquait le mémoire de la RDC, M. Yerodia Ndombasi, visé par le mandat
d’arrêt, n’était plus membre du gouvernement de la RDC. A la lumière de ce développement,
la Belgique a observé que

10 Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 56.
11 Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 57.
12 Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 76.
13 Ordonnance du 13 décembre 2000.
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4
«[c]e fait nouveau a des implications importantes pour cette affaire. Il
soulève des questions de compétence et de recevabilité pour les motifs entre
autres que l'affaire telle que présentée dans le mémoire du Congo s'écarte
sur des points importants de l'affaire telle qu'elle a été présentée dans la
requête introductive d'instance du Congo, et que l'affaire est désormais sans
objet. Il donne aussi à penser que le besoin de diligence est moins
pressant.»14
0.15 La Belgique ajoutait que, vu ce nouvel élément, elle envisageait de soulever des
exceptions de compétence et de recevabilité.
0.16 Après avoir consulté les Parties, la Cour, par ordonnance du 27 juin 2001, a rejeté la
demande de la Belgique de suspendre la procédure sur le fond et d’ouvrir un instance séparée
sur les exceptions préliminaires. Toutefois, la Cour a reporté la date pour le dépôt du contremémoire
de la Belgique au 28 septembre 2001.
0.17 Le présent contre-mémoire du Royaume de Belgique est déposé conformément à
l’ordonnance de la Cour du 27 juin 2001. Comme indiqué dans sa lettre à la Cour en date du
14 juin 2001, et conformément aux ordonnances de la Cour du 13 décembre 2000 et 27 juin
2001, le contre-mémoire expose, d’une part, des exceptions de compétence et de recevabilité
et traite, d’autre part, du fond de l’affaire de la RDC.
0.18 Comme indiqué dans la Requête introductive d’instance, la RDC soutient, pour
l’essentiel, que le fait pour un magistrat belge d’affirmer sa compétence à l’égard
d’infractions prétendument commises en RDC par un ressortissant de la RDC, alors que les
victimes ne sont pas de nationalité belge ou que les faits en cause ne portent pas atteinte à la
sûreté ou au crédit de la Belgique, est une violation de la souveraineté de la RDC. Plus
particulièrement, la RDC affirme que l’émission d’un mandat d’arrêt par un juge belge contre
le ministre des Affaires étrangères en fonction de la RDC viole le droit international.
0.19 Notant que «ce grief et ces demandes diffèrent quelque peu de ceux et celles qui
furent formulés dans sa requête introductive»,15 la RDC a reformulé son argument dans son
mémoire dans les termes suivants:

14 Ordonnance du 27 juin 2001.
15 Mémoire RDC, § 8.
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5
«L’émission et la diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril
2000 par un organe de l’État belge procèdent, ainsi qu’il sera démontré ciaprès,
d’au moins une violation du droit international dont la R.D.C. est
victime: la violation de la règle de droit international coutumier relative à
l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des ministres des affaires
étrangères en fonction.»16
0.20 Sur la base de cette nouvelle formulation, la RDC prie la Cour de dire et juger, entre
autres,
«[q]ue’en émettant et en diffusant internationalement le mandat d’arrêt du
11 avril 2000 délivré à charge de Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi, la
Belgique a violé, à l’encontre de la R.D.C., la règle de droit international
coutumier relative à l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des
ministres des Affaires étrangères en fonction».17
0.21 La RDC demande également à la Cour de dire et juger que la Belgique est tenue de
retirer et d’annuler le mandat d’arrêt et qu’il est interdit à tout Etat, en ce compris la Belgique,
d’y donner suite.18
0.22 Malgré la reformulation de l’argumentation de la RDC, tant la Requête que le
mémoire de la RDC montrent que l’élément central des allégations portées contre la Belgique
est que cette dernière viole le droit international en permettant l’émission et la diffusion
internationale d’un mandat d’arrêt contre le ministre des Affaires étrangères en fonction de la
RDC.
0.23 Consécutivement à la formation d’un nouveau gouvernement congolais par le
Président Joseph Kabila, le 14 Avril 2001, «M. Abdoulaye Yerodia n’apparaît plus sur la liste
des membres de ce gouvernement».19 M. Yerodia Ndombasi, visé par le mandat d’arrêt, n’est
en conséquence plus, à ce moment-là, ni ministre des Affaires étrangères de la RDC ni un
membre du gouvernement de la RDC ayant un poste ministériel quelconque. L’élément
central et critique des allégations de la RDC contre la Belgique est ainsi devenu sans effet.

16 Mémoire RDC, § 6.
17 Mémoire RDC, § 97(1).
18 Mémoire RDC, § 97.
19 Mémoire RDC, § 11.
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6
0.24 A la lumière de ces faits nouveaux, et eu égard à la formulation nouvelle, par la
RDC, de sa réclamation, la Belgique estime que la Cour n’est pas compétente en l’espèce
et/ou que la requête n’est pas recevable. Ces points sont abordés en détail dans la Partie II du
présent contre-mémoire. En résumé, la Belgique soutient à ce sujet, à titre cumulatif ou
subsidiaire, que :
(a) vu que M. Yerodia Ndombasi n’est plus ministre des Affaires étrangères de la RDC
et vu qu’il n’occupe aucun autre poste dans le gouvernement de la RDC, il n’y a plus
de « différend » entre les Parties au sens donné à ce terme dans les Déclarations
facultatives d'acceptation de la juridiction de la Cour des Parties ; la Cour n’est donc
pas compétente ;
(b) vu que M. Yerodia Ndombasi n’est plus ministre des Affaires étrangères de la RDC
et vu qu’il n’occupe aucun autre poste dans le gouvernement de la RDC, l’affaire est
aujourd’hui sans objet et la Cour devrait en conséquence refuser de se prononcer sur
le fond de l’affaire ;
(c) l’affaire telle qu’elle se présente aujourd’hui est substantiellement différente de celle
introduite initialement par la RDC ; la Cour n’est donc pas compétente en l’espèce
et/ou la requête n’est pas recevable;
(d) à la lumière des circonstances nouvelles concernant M. Yerodia Ndombasi,
l’instance est devenue une forme d’exercice de la protection diplomatique en faveur
d’une personne qui n’a pas épuisé les voies de recours internes ; la Cour n’est donc
pas compétente et/ou la requête n’est pas recevable.
0.25 Indépendamment de ce qui précède, et au cas où la Cour devrait décider qu’elle est
compétente en l’espèce et que la requête est recevable, la Belgique estime que la règle non
ultra petita limite la compétence de la Cour aux questions qui font l’objet des conclusions
finales de la RDC.
0.26 En résumé, les principales conclusions de la Belgique quant aux questions de fond
soulevées par la RDC sont les suivantes :
Introduction
7
(a) Le mandat d’arrêt est d’une nature telle qu’il n’enfreint pas la souveraineté de la
RDC ni ne crée d’obligation dans le chef de la RDC;
(b) L’affirmation, par le juge belge, de sa compétence, au titre de la législation belge
pertinente, est conforme au droit international:
(i) Il existe un lien de rattachement entre les parties civiles plaignantes et la
Belgique, lien fondé sur la nationalité et/ou la résidence;
(ii) Elle est conforme à l’obligation imposée aux Hautes Parties Contractantes par
la Quatrième Convention de Genève Relative à la Protection des personnes
civiles en temps de Guerre de 1949 20 – en particulier les articles 146 et 147 –
que la législation belge a mis en oeuvre;
(iii) Elle est conforme aux principes de droit international coutumier permettant
aux Etats d’exercer une compétence universelle notamment pour la répression
des crimes de guerre et crimes contre l’humanité;
(c) Alors qu’un ministre des Affaires étrangères en exercice jouit en général d’une
immunité de juridiction devant les cours et tribunaux d’un Etat étranger, cette
immunité ne s’applique qu’aux actes accomplis à l’occasion de ses fonctions
officielles. Elle ne peut protéger ces personnes dans leurs actions privées ou
lorsqu’ils agissent autrement en dehors de l’exercice de leurs fonctions officielles ;
(d) L’immunité ne peut en aucun cas protéger un ministre des Affaires étrangères en
exercice soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre ou des crimes contre
l’humanité ;
(e) Le mandat d’arrêt reconnaît explicitement que, si M. Yerodia Ndombasi avait visité
la Belgique en qualité de ministre des Affaires étrangères de la RDC, suite à une
invitation et en sa qualité officielle, il n’aurait pas pu être arrêté ;

20 NURT, vol. 75, p. 31.
Introduction
8
(f) Quelles que soient les conclusions de la Cour quant au fond de l’affaire, l’objet
principal des demandes finales de la RDC excède la fonction judiciaire de la Cour et
ne devrait en conséquence pas faire l’objet d’un jugement par la Cour.
0.27 Ces conclusions sont traitées en détail dans la Partie III du présent contre-mémoire.
La structure du contre-mémoire se présente donc comme suit:
Partie I – Contexte et questions préliminaires
Partie II – Exceptions quant à la compétence et la
recevabilité
Partie III – Le fond de l’affaire
Conclusions
Conclusions finales
Partie I: Contexte et questions préliminaires
9
PARTIE I
CONTEXTE ET QUESTIONS PRELIMINAIRES
1.1 Cette Partie du contre-mémoire de la Belgique décrit le contexte de l’affaire et traite
de certaines questions préliminaires qui concernent aussi bien la Partie II (compétence et
recevabilité) que la Partie III (fond de l’argumentation de la RDC). Plus particulièrement,
cette partie aborde les sujets suivants:
A. Les faits et le contexte juridique
B. L’argumentation de la RDC
C. Les fonctions occupées par M. Yerodia Ndombasi aux moments pertinents
pour la présente instance
A. Les faits et le contexte juridique
1.2 Les principaux éléments de fait et de droit relatifs aux arguments de la RDC sont
présentés dans les parties substantielles du présent contre-mémoire. Par commodité, on peut
résumer comme suit les faits essentiels et certains points de droit s’y rapportant.
1.3 En novembre 1998, plusieurs plaintes ont été déposées auprès d’un juge d’instruction
belge, M. Damien Vandermeersch, au Tribunal de première instance de Bruxelles. Ces
plaintes portent sur certains événements ayant eu lieu en RDC en août 1998. Sur les 12
plaignants, cinq étaient de nationalité belge. Tous les plaignants étaient résidents en
Belgique.
1.4 Après une instruction détaillée de l’affaire, le juge a conclu qu’il y avait des raisons
solides et suffisantes pour engager une procédure devant les tribunaux belges concernant les
faits en cause. En conséquence, le 11 avril 2000, il a émis un mandat d’arrêt par défaut citant
M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, alors ministre des Affaires étrangères de la RDC, pour
certains actes qui auraient été commis en août 1998.21 Au moment où les faits en question

21 Mandat d’Arrêt International par défaut du 11 avril 2000 (ci-après « Mandat d’arrêt »). (Annexe 3)
Partie I: Contexte et questions préliminaires
10
auraient été commis, M. Yerodia Ndombasi était le Directeur du cabinet du Président LaurentDésiré
Kabila.
1.5 Le mandat d’arrêt incrimine M. Yerodia Ndombasi, en tant qu’auteur ou co-auteur, à
deux titres: (a) pour crimes constituant des infractions graves aux Conventions de Genève de
1949 et aux protocoles additionnels à ces conventions, et (b) pour crimes contre l’humanité.22
Ces deux catégories de faits ont été incriminées en droit belge par une loi du 16 juin 1993,
modifiée le 10 février 1999, concernant la répression de violations graves du droit
international humanitaire.23 Il est bon de rappeler, à ce sujet, que l’article 146 de la
Quatrième Convention de Genève prévoit, entre autres:
« Les Hautes Parties contractantes s'engagent à prendre toute mesure
législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer
aux personnes ayant commis, ou donné l'ordre de commettre, l'une ou l'autre
des infractions graves à la présente Convention définies à l'article suivant.
Chaque Partie contractante aura l'obligation de rechercher les personnes
prévenues d'avoir commis, ou d'avoir ordonné de commettre, l'une ou l'autre
de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux,
quelle que soit leur nationalité. [...]
Chaque Partie contractante prendra les mesures nécessaires pour faire cesser
les actes contraires aux dispositions de la présente Convention, autres que
les infractions graves définies à l'article suivant [...] »
24
1.6 L’article 147 de la Quatrième Convention de Genève définit comme «infractions
graves» notamment les faits suivants: l'homicide intentionnel, la torture ou les traitements
inhumains, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des
atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé. 25
1.7 Le mandat d’arrêt a été transmis à la RDC le 7 juin 2000. Comme le mandat d’arrêt
concernait des actes qui auraient été commis en RDC par un ressortissant de ce pays, il y a eu
par la suite, à divers moments, des échanges entre les autorités compétentes des deux Etats
pour déterminer si le dossier pouvait être transmis aux autorités de la RDC aux fins

22 Mandat d’Arrêt, pp. 2–3. (Annexe 3)
23 Annexe 4.
24 Articles 146 et 147, Quatrième Convention de Genève. (Annexe 5)
25 Annexe 5. Les dispositions des articles 146 et 147 de la Quatrième Convention de Genève sont communes
aux 4 Conventions de Genève. Voir articles 49 et 50, Première Convention; articles 50 et 51, Deuxième
Convention; et articles 129 et 130, Troisième Convention.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
11
d’instruction et de poursuites. Rien n’a résulté à ce jour de ces échanges. La Belgique a
exprimé d’emblée sa disposition à transmettre l’affaire aux autorités de la RDC pour y donner
suite.
1.8 Dans le cadre de ces échanges, la Belgique s’est informée à plusieurs reprises auprès
de la RDC de la possibilité d’une extradition. Cependant, étant donné qu’aucun accord
d’extradition n’existe entre la Belgique et la RDC et que la RDC n’extrade pas ses nationaux,
la Belgique n’a, à aucun moment, demandé formellement à la RDC l’extradition de M.
Yerodia Ndombasi.
1.9 Au moment où le mandat d’arrêt a été transmis à la RDC, il a également été transmis
à Interpol. Via Interpol, le mandat d’arrêt a été mis en circulation au plan international. Le
mandat n’était toutefois pas à ce moment-là l’objet d’une notice rouge d’Interpol, c’est-à-dire
d’une demande provisoire aux Etats tiers d’arrêter la personne citée en vue de son
extradition.26
1.10 Les faits sous-jacents aux allégations portées contre M. Yerodia Ndombasi et à la
décision du juge d’émettre un mandat d’arrêt sont expliqués en détail dans le mandat d’arrêt
même.27 Il n’est pas nécessaire d’approfondir ces faits qui seront traités brièvement dans la
Partie III. De même, il n’est pas nécessaire d’aborder le contexte plus large de la situation
politique en RDC au moment des événements en question.28
1.11 Compte tenu de la fonction officielle occupée par M. Yerodia Ndombasi en tant que
ministre des Affaires étrangères de la RDC au moment de l’émission du mandat d’arrêt –
quoiqu’il ne l’était pas au moment où les actes incriminés auraient été commis – , le mandat

26 Etant donné que M. Yerodia Ndombasi n’exerce plus aucune fonction au sein du gouvernement de la RDC, le
Bureau Central National (“BCN”) belge d’Interpol a demandé à Interpol d’émettre une Notice rouge visant M.
Yerodia Ndombasi en date du 12 septembre 2001. Au moment de la rédaction du contre-mémoire, aucune
Notice rouge n’avait été émise. L’importance juridique de la Notice rouge est réglée par le droit interne de
chaque Etat. Alors que dans certains Etats une Notice rouge suffira comme base pour la détention préventive de
la personne visée, ce n’est pas le cas dans d’autres Etats, où la Notice ne fait que signaler aux instances
compétentes de cet Etat que la personne visée est l’objet d’un mandat arrêt. En RDC, une Notice rouge n’est pas
une base suffisante pour la détention préventive d’un suspect. Cette question est traitée au Chapitre 1 de la
Partie III ci-dessous.
27 Annexe 3.
28 Ces questions ont été abordées par la Belgique au cours de la phase sur les mesures conservatoires. (Voir CIJ,
CR 2000/33, pp. 9-17).
Partie I: Contexte et questions préliminaires
12
d’arrêt aborde, de manière assez détaillée, la question de l’immunité d’exécution, entre autres,
en ces termes :
«L’immunité attachée à la qualité officielle
Aux termes de l’article 5, §3 de la loi du 16 juin 1993 telle que modifiée par
la loi du 10 février 1999, l’immunité attachée à la qualité officielle d’une
personne n’empêche pas les poursuites du chef de crime de droit
humanitaire. …
Le texte de cette disposition est emprunté à l’article 27, alinéa 2, du Statut
de la Cour pénale internationale, lequel dispose:
« Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent
s’attacher à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit
interne ou du droit international n’empêchent pas à la Cour
d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne ».
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 10 février 1999, il avait été considéré
que l’immunité reconnue aux chefs d’Etat ne s’applique pas en matière de
crimes de droit international, tels que les crimes de guerre, les crimes contre
la paix, le crime de génocide ou les crimes contre l’humanité…
Bien que ces arguments ont été retenus pour justifier l’absence de la
reconnaissance d’immunité à un ancien chef d’Etat, ils revêtent également
une pertinence pour les responsables en exercice.
Suivant l’avis du ministre de la Justice exprimé lors des travaux
parlementaires, la règle de la non-pertinence des immunités de juridiction et
d’exécution introduite par la loi du 10 février 1999 existait déjà auparavant
en droit international, qui fait partie intégrante de l’ordre juridique belge.…
Dès lors, la qualité de ministre des affaires étrangères que possède à l’heure
actuelle l’inculpé n’entraîne pas d’immunité de juridiction et d’exécution et
le tribunal de céans est, par conséquent, compétent pour prendre la présente
décision.
Cependant, la règle de l’absence d’immunité en droit humanitaire nous
paraît devoir connaître un tempérament sur le plan de l’immunité
d’exécution. Au-delà de la question de l’étendue de la protection dont
bénéficie une personne physique revêtant une qualité officielle, il ne faut
pas perdre de vue que l’immunité reconnue aux représentants d’un Etat
n’entend pas tellement protéger la personne physique mais avant tout l’Etat
dont il est le représentant. Cette immunité, de source coutumière, se fonde
sur le principe selon lequel un Etat est incompétent pour juger un autre Etat
(« par in parem non habet iuridictionem »). En vertu du principe général de
loyauté de l’action de la justice, une immunité d’exécution doit être, à notre
sens, reconnue à tout représentant d’un Etat qui est accueilli sur le territoire
belge en tant que tel (en « visite officielle »). L’accueil d’une telle
Partie I: Contexte et questions préliminaires
13
personnalité étrangère en tant que représentant officiel d’un Etat souverain
met en jeu, non seulement des relations entre individus mais également des
relations entre Etats. Dans cet ordre d’idées, il inclut l’engagement de l’Etat
accueillant et de ses différentes composantes de ne prendre aucune mesure
coercitive à l’égard de son hôte et cette invitation ne pourrait devenir le
prétexte pour faire tomber l’intéressé dans ce qui devrait alors être qualifié
de guet-apens. Dans l’hypothèse contraire, le non-respect de cet engagement
pourrait entraîner la responsabilité de l’Etat-hôte sur le plan international.»29
1.12 Comme le montre cet extrait, dans son mandat d’arrêt, le juge d’instruction distingue
clairement entre l’immunité de juridiction et l’immunité d’exécution des représentants d’Etats
étrangers qui visitent la Belgique suite à une invitation officielle. Dans ces cas, le mandat
d’arrêt précise que la personne visée serait à l’abri d’une exécution du mandat d’arrêt en
Belgique. D’autres Etats suivront vraisemblablement le même principe.
1.13 Le 17 octobre 2000, la RDC a engagé une procédure contre la Belgique devant la
Cour internationale de Justice, soutenant que la Belgique avait enfreint le principe selon
lequel un Etat ne peut pas exercer son autorité sur le territoire d’un autre Etat, le principe de
l’égalité souveraine des Etats, et le principe de l’immunité de son ministre des Affaires
étrangères.
1.14 Le 13 septembre 2000, des avocats intervenant au nom de M. Yerodia Ndombasi ont
demandé à la chambre du conseil de Bruxelles d’avoir accès au dossier des plaintes soumises
au juge Vandermeersch. La demande a été jugée recevable mais a été rejetée quant au fond
par décision de la chambre en date du 12 octobre 2000. La décision de la chambre du conseil
a fait l’objet d’un recours devant la chambre des mises en accusation de Bruxelles le 23
octobre 2000. Après avoir entendu les parties, la chambre des mises en accusation a confirmé
le 12 mars 2001 la décision de la chambre du conseil aux motifs que (a) dans les circonstances
de l’espèce, l’accès au dossier pourrait conduire à des actes de représailles contre les
plaignants, contre d’autres personnes entendues lors de l’instruction ou contre des membres
de leurs familles encore établies en RDC, et (b) le demandeur était parfaitement au courant
des allégations portées contre lui suite à l’émission du mandat d’arrêt et à l’introduction par la
RDC du recours devant la Cour internationale de Justice 30
.

29 Mandat d’Arrêt, pp. 58-63. (Annexe 3)
30 La décision de la chambre des mises en accusation de Bruxelles est ajoutée en tant qu’Annexe 16 au mémoire
de la RDC.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
14
1.15 Contrairement aux thèses avancées lors de la phase relative aux mesures
conservatoires de la procédure,31 la Belgique n’a pas connaissance d’une demande émanant de
M. Yerodia Ndombasi en sa qualité personnelle, demande aux fins d’obtenir une annulation
du mandat d’arrêt. Comme on le verra dans la Partie II du présent contre-mémoire, et
contrairement à ce qui est avancé dans le mémoire de la RDC 32, il est possible à une personne
visée par un mandat d’arrêt émis par un juge d’instruction belge de contester l’émission de ce
mandat d’arrêt, entre autres pour l’absence de compétence du juge en question.
B. L’argumentation de la RDC
1.16 Comme il a déjà été indiqué, depuis le dépôt de la Requête de la RDC en date du 17
octobre 2000, l’affaire s’est métamorphosée, tant au plan factuel qu’au plan juridique. M.
Yerodia Ndombasi n’est plus ministre des Affaires étrangères de la RDC, et n’occupe plus de
poste ministériel au sein du gouvernement de la RDC. La manière dont le recours de la RDC
contre la Belgique a été formulé a aussi changé, comme la RDC le reconnaît expressément
dans son mémoire.33
1.17 Comme on le verra dans la Partie II du présent contre-mémoire, le changement
survenu dans les faits sous-jacents à la Requête de la RDC est de nature telle que l’instance
est devenue aujourd’hui sans objet. A la lumière de ces faits nouveaux, poursuivre la
procédure signifierait que la fonction judiciaire de la Cour reviendrait à régler des questions
abstraites. Le changement intervenu dans les faits a aussi modifié fondamentalement la
nature de l’affaire, celle-ci passant d’une affaire où la Belgique aurait violé directement un
droit de la RDC à une affaire où la RDC prend fait et cause pour un de ses ressortissants. Or,
comme la personne concernée n’a pas exploité toutes les voies de recours disponibles devant
les tribunaux belges, la Belgique soutient que la Cour n’est pas compétente en l’espèce et/ou
que l’affaire n’est pas recevable.
1.18 Indépendamment du changement survenu dans les faits, la RDC a également modifié
sa requête au plan juridique. Telle que formulée dans son mémoire, la demande de la RDC n’a
guère de rapport avec la situation de fait actuelle et est substantiellement différente, sur des

31 CIJ, CR 2000/32, p. 19.
32 Mémoire RDC, § 56.
33 Mémoire RDC, § 8.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
15
points importants, de la demande formulée dans la Requête introductive d’instance. En vertu
des principes établis par la jurisprudence de la Cour, la Belgique soutient que la Cour n’est
pas compétente et/ou que la requête n’est pas recevable.
1.19 Avant d’examiner ces questions de compétence et de recevabilité, il faut identifier la
véritable nature de la demande formulée par la RDC dans sa Requête introductive d’instance,
puis au cours de la phase sur les mesures conservatoires et, tout récemment, dans son
mémoire.
1. La Requête introductive d’instance de la RDC
1.20 La Requête introductive d’instance de la RDC a été déposée le 17 octobre 2000 à la
Cour. Abordant la «Nature de la demande», la RDC formule sa demande dans les termes
suivants :
«Il est demandé à la Cour de dire que le Royaume de Belgique devra
annuler le mandat d’arrêt international qu’un juge d’instruction belge, M.
Vandermeersch, du tribunal de première instance de Bruxelles, a décerné le
11 avril 2000 contre le ministre des affaires étrangères en exercice de la
République démocratique du Congo, M. Abdulaye Yerodia Ndombasi, en
vue de son arrestation provisoire préalablement à une demande
d’extradition vers la Belgique, pour de prétendus crimes constituant des «
violations graves de droit international humanitaire », mandat d’arrêt que
ce juge a diffusé à tous les Etats, y compris la République démocratique du
Congo elle-même, qui l’a reçu le 12 juillet.»34
1.21 Les prétendus «Moyens de droit» cités pour appuyer la demande sont la violation du
principe selon lequel un Etat ne peut pas exercer son autorité sur le territoire d’un autre Etat,
l'atteinte au principe de l’égalité souveraine des Etats Membres de l’Organisation des Nations
Unies, et la méconnaissance de « l’immunité diplomatique du ministre des affaires étrangères
d’un Etat souverain».35
1.22 L’ «Exposé des faits» dans la Requête affirme, entre autres, que

34 Requête, Partie II (souligné dans l’original).
35 Requête, Partie I.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
16
· le mandat d’arrêt omet de faire état de la «qualité actuelle [de M. Yerodia
Ndombasi] de ministre des Affaires étrangères»;36
· le juge d’instruction s’affirme compétent pour connaître d’infractions
prétendument commises sur le territoire de la RDC par un ressortissant de la
RDC «sans qu’il soit allégué que les victimes aient eu la nationalité belge, ni
que ces faits aient constitué des atteintes à la sûreté ou au crédit» de la
Belgique ;37 et
· cette compétence illimitée que s’attribue la Belgique ne peut se baser sur
«aucun chef de compétence territoriale ou personnelle, ni de compétence
fondée sur la protection de la sûreté ou du crédit» de la Belgique .38
1.23 Finalement, l’ «Exposé [détaillé] des moyens sur lesquels repose la demande»
soutient entre autres :
· que «[l]a compétence universelle que l’Etat belge s’attribue … est contraire à la
jurisprudence internationale»;39
· que «[l]’exclusion … de l’immunité du ministre des Affaires étrangères en
exercice est contraire à la jurisprudence internationale…, le droit coutumier et
la courtoisie internationale, [qui] confère au ministre des affaires étrangères,
représentant de l’Etat au nom duquel il s’exprime, les privilèges et immunités
diplomatiques»;40 et
· la loi belge en question «contrevient manifestement au droit international en
tant qu’elle prétend déroger à l’immunité diplomatique, tout comme le mandat
d’arrêt décerné sur son fondement contre le ministre des affaires étrangères
d’un Etat souverain».
41

36 Requête, Partie III(A) (souligné dans l’original).
37 Requête, Partie III(A) (souligné dans l’original).
38 Requête, Partie III(B)(3) (souligné dans l’original).
39 Requête, Partie IV(A)(1) (souligné dans l’original).
40 Requête, Partie IV(B) (souligné dans l’original).
41 Requête, Partie IV(B) (souligné dans l’original).
Partie I: Contexte et questions préliminaires
17
1.24 Comme le décrivent les extraits en italiques de la Requête de la RDC, la demande
formulée dans la Requête se concentre sur deux allégations centrales : d’abord, que l’exercice
de la compétence par le juge belge était excessif et contraire au droit international et, ensuite,
que l’émission d’un mandat d’arrêt «contre le ministre des affaires étrangères en exercice» de
la RDC était en contradiction avec le droit international. Comme en témoignent les références
répétées, faites tout au long de la Requête, à la situation des ministres des Affaires étrangères,
le point central de la demande est la fonction officielle de M. Yerodia Ndombasi en tant que
ministre des Affaires étrangères de la RDC.
2. La phase relative aux mesures conservatoires
1.25 La phase de la procédure relative aux mesures conservatoires peut être rapidement
décrite. La Demande en indication de mesures conservatoires de la RDC était formulée dans
des termes on ne peut plus brefs. Il n’est cependant pas douteux que celle-ci était centrée sur
la qualité de M. Yerodia Ndombasi de ministre des Affaires étrangères en exercice de la RDC.
Le point est clairement illustré par la partie de la Demande de mesures conservatoires se
rapportant au dommage que la RDC dit avoir encouru suite à l’émission du mandat d’arrêt:
«… le mandat d’arrêt litigieux interdit pratiquement au ministre des affaires
étrangères de la République démocratique du Congo de sortir de cet Etat
pour se rendre en tout autre Etat où sa mission l’appelle et, par conséquent,
d’accomplir cette mission. Or les conséquences de cet éloignement du
représentant qualifié de l’Etat congolais démocratique pendant un temps
indéterminé sont, par essence, de celles que l’on ne répare pas.»42
1.26 Comme il a déjà été dit, au moment même de l’ouverture des plaidoiries dans la
phase sur les mesures conservatoires, M. Yerodia Ndombasi a quitté le poste de ministre des
Affaires étrangères pour devenir ministre de l’Education nationale. Dans son Ordonnance sur
la Demande en indication de mesures conservatoires, la Cour a conclu que ce changement de
circonstances n’était pas «à l’heure actuelle» de nature à priver la Requête de la RDC de son
objet ou à nécessiter que l’affaire fût rayée du rôle «à ce stade de la procédure».43 Le
raisonnement de la Cour s’appuyait essentiellement sur la considération que le mandat d’arrêt
n’avait pas été retiré et qu’il visait la même personne, «nonobstant les nouvelles fonctions

42 Demande en indication de mesures conservatoires, § 4.
43 Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 57.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
18
qu’elle exerce».44 Ce faisant, la Cour laissait implicitement entendre que l’affirmation par la
RDC, en cours de la plaidoirie –que «tout ministre envoyé par son Etat pour le représenter à
l’étranger… jouissait, sensu lato, également des privilège et immunités»45 – était une
proposition discutable qui, si la Cour se déclarait compétente, devait être jugée au fond.
1.27 Nonobstant cet aspect, il ressort clairement de la phase sur les mesures
conservatoires, que la demande de la RDC était axée sur la fonction ministérielle de M.
Yerodia Ndombasi. Le conseil de la RDC a explicitement souligné ce point dans son
observation préliminaire:
«… Je voudrais ici faire, Monsieur le président, cette observation
préliminaire. La présente requête tendant à l’indication d’une mesure
conservatoire, comme la requête par laquelle la République démocratique
du Congo a saisi la Cour du fond du différend qui l’oppose au Royaume de
Belgique , n’a nullement pour objet de prendre fait et cause au titre de la
protection diplomatique pour l’un de ses ressortissants.
A titre personnel, S. Exc. M. Yerodia Ndombasi a pu saisir la justice belge
de recours tendant à faire annuler le mandat d’arrêt décerné contre lui par le
juge Vandermeersch. Ces procédures sont étrangères au présent débat et,
quelque bizarrerie juridique qu’elles aient pu présenter, elles doivent le
rester.
L’objet des requêtes de la République démocratique du Congo est tout
autre. Il est de faire sanctionner les violations du droit international dont
souffre l’Etat congolais dans l’exercice de ses prérogatives souveraines en
matière diplomatique. La République met en cause le mandat d’arrêt du
juge belge en tant qu’il vise non pas la personne de M. Yerodia Ndombasi,
mais la fonction de ministre des affaires étrangères de l’Etat souverain
qu’elle est.»
46
1.28 Les conséquences des circonstances nouvelles de la fonction de M. Yerodia
Ndombasi’s sont débattues à la Partie II du présent contre-mémoire. Pour l’instant, la
Belgique se contente d’observer que la fonction ministérielle officielle de M. Yerodia
Ndombasi constituait la base même de la demande de la RDC.

44 Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 56.
45 CIJ, CR 2000/34, p. 8 (souligné par la Belgique). Voir aussi Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 59.
46 CIJ, CR 2000/32, pp. 18–19 (souligné par la Belgique). Comme nous l’avons déjà fait remarquer, la Belgique
n’a connaissance d’aucune demande de la part de M. Yerodia Ndombasi en sa capacité personnelle souhaitant
l’annulation du mandat d’arrêt. Voir § 1.14 et 1.15 ci-dessus.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
19
1.29 Que la fonction officielle de M. Yerodia Ndombasi soit la clef de voûte de la
demande de la RDC a été confirmé à de nombreuses reprises au cours des conclusions de la
RDC lors de la phase sur les mesures conservatoires. Après le remaniement ministériel par
lequel M. Yerodia Ndombasi devint ministre de l’Education nationale, la RDC persista encore
à souligner, comme raison d’être de l’affaire, la fonction officielle qu’il occupait au sein du
gouvernement. Les observations suivantes, faites au nom de la RDC lors de la dernière
intervention sur les mesures conservatoires, l’illustrent bien.
«La condition internationale du ministre des affaires étrangères obéit au
principe d'assimilation à celui du chef d'Etat étranger en ce qui concerne
l'immunité et l'inviolabilité.

Mais, faudrait-il limiter cette immunité aux seuls chefs d'Etat étrangers et
aux ministres des affaires étrangères ou de la coopération internationale ?
En réalité, tout ministre envoyé par son Etat pour le représenter à l'extérieur,
traiter avec des Etats tiers ou des organisations internationales, le cas
échéant l'engager, jouit sensu lato, également des privilèges et immunités.
C'est du reste le lot payé ou à payer à l'élargissement, la technicité et la
complexification croissante des relations internationales. S'agissant de M.
Yerodia, hier ministre d'Etat chargé des affaires étrangères, aujourd'hui
ministre d'Etat chargé de l'éducation nationale dans le nouveau
Gouvernement congolais, il faut se rendre à l'évidence que dans un tel
domaine où se gère le présent et se prépare l'avenir de la République
démocratique du Congo, il sera appelé à se déplacer, à répondre à des
invitations à l'extérieur, à se rendre dans des enceintes internationales, telles
que l'Unesco, la coopération ACP-Union européenne, dont l'épicentre se
trouve à Bruxelles, l'OUA, la francophonie et j'en passe. Il sera appelé à être
envoyé souvent comme représentant personnel et plénipotentiaire du chef de
l'Etat pour le représenter à l'extérieur. Lors de telles activités, où il aura à
représenter l'Etat congolais, il bénéficiera, sans nul doute, du principe
d'assimilation au chef de l'Etat, au chef de gouvernement et au ministre des
affaires étrangères, comme le laisse par ailleurs supposer l'article 7,
paragraphe 2 c) de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités.…»47
1.30 Dans son Ordonnance sur les mesures conservatoires, la Cour semble partager cette
analyse en prenant la qualité officielle de la personne visée par le mandat d’arrêt comme clef
de l’affaire. Ainsi, la Cour note explicitement les remarques de la RDC indiquant qu’elle
mettait en cause le mandat d’arrêt parce «qu'il vis[ait] non pas la personne de

47 CIJ, CR 2000/34, pp. 7–8.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
20
M. Yerodia Ndombasi, mais la fonction de ministre des affaires étrangères».48 Comme on l’a
déjà remarqué, la Cour, en rejetant la demande de la Belgique de rayer l’affaire du rôle, a
insisté plus particulièrement sur « les nouvelles fonctions ministérielles qu’il [M. Yerodia
Ndombasi] exerce ».49
1.31 Si la Belgique attire l’attention sur ces éléments de la phase sur les mesures
conservatoires, ce n’est pas pour suggérer qu’ils lieraient la Cour. Les problèmes abordés au
cours de la phase sur les mesures conservatoires ne font pas l’objet du débat actuel.
Cependant, l’appréciation par les deux parties50 et par la Cour que la fonction officielle de
ministre exercée par M. Yerodia Ndombasi était l’élément clef de la demande de la RDC, est
essentielle pour déterminer la recevabilité de la demande, vu que M. Yerodia Ndombasi
n’occupe plus aujourd’hui de fonction officielle au sein du gouvernement de la RDC. Ce
point est développé dans la Partie II.
3. Le mémoire de la RDC
(a) Considérations préliminaires et la reformulation de la demande de la RDC
1.32 M. Yerodia Ndombasi a cessé d’exercer la fonction de ministre des Affaires
étrangères de la RDC en date du 20 novembre 2000, date à laquelle il a été nommé ministre
de l’Education nationale. Lors de la constitution du nouveau gouvernement congolais du
Président Joseph Kabila en date du 14 avril 2001, M. Yerodia Ndombasi n’a plus fait partie de
ce gouvernement.51 Au moment où la RDC déposait son mémoire auprès de la Cour, M.
Yerodia Ndombasi n’occupait, dès lors, plus aucun poste official au sein du gouvernement de
la RDC.
1.33 La partie introductive du mémoire de la RDC expose les violations du droit
international prétendument commises par la Belgique ainsi que les questions développées
dans le mémoire pour appuyer la demande de la RDC. L’exposé des prétendues violations
commises par la Belgique et les demandes faites à la Cour sont intéressantes par la manière

48 Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 19.
49 Ordonnance sur les mesures conservatoires, § 56.
50 La position belge à ce sujet se trouve dans CR 2000/35, §§ 18–30 des conclusions présentées par M.
Bethlehem.
51 Mémoire RDC, § 11.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
21
dont elles s’écartent de la demande formulée dans la Requête introductive d’instance de la
RDC. Ainsi, dans le mémoire, les violations alléguées sont présentées comme suit:
«L’émission et la diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril
2000 par un organe de l’État belge procèdent, ainsi qu’il sera démontré ciaprès,
d’au moins une violation du droit international dont la R.D.C. est
victime: la violation de la règle de droit international coutumier relative à
l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des ministres des affaires
étrangères en fonction.»52
1.34 On notera dans cette formulation deux particularités. Tout d’abord, en dépit du fait
que M. Yerodia Ndombasi n’exerce plus aucune fonction au sein du gouvernement de la
RDC, la demande de cette dernière est toujours énoncée en termes d’allégations selon
lesquelles la Belgique aurait enfreint l’immunité de ministres des affaires étrangères en
exercice. En d’autres termes, la demande, telle que formulée dans le mémoire de la RDC,
n’est en rien liée à la situation de fait qui prévaut à ce moment-là. Deuxièmement,
contrairement à la Requête introductive d’instance, le mémoire ne fait aucune mention des
allégations d’exercice excessif de juridiction par le juge belge émettant le mandat d’arrêt.
Bien que ce dernier point soit abordé dans le mémoire parmi les arguments de la RDC sur la
question de l’immunité de ministres des Affaires étrangères, celui-ci n’est visiblement pas le
sujet des conclusions ou demandes de la RDC à la Cour, qui se bornent à la prétendue
violation du droit international commise par la Belgique à travers l’émission et la transmission
du mandat d’arrêt contre le ministre des Affaires étrangères en exercice de la RDC.53
1.35 La manière dont la RDC développe son argumentation montre que la compétence du
juge belge à émettre le mandat d’arrêt n’est plus un élément central de la demande : la RDC y
suggère en effet que la Cour, en abordant la question de l’immunité, peut éviter de répondre à
la question de la juridiction et qu’elle pourrait préférer cette solution.54
(b) La compétence de la Cour et l’existence et la nature du différend
1.36 Contrairement à la Requête, où la RDC n’indiquait pas explicitement le titre de
compétence de la Cour sur lequel elle appuyait sa demande, la RDC invoque, dans son

52 Mémoire RDC, § 6.
53 Mémoire RDC, § 97.
54 Mémoire RDC, § 15.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
22
mémoire, les déclarations respectives faites par les parties en vertu de l’article 36(2) du Statut
comme titre de compétence de la Cour. Ces déclarations, toutes deux formulées en termes
généraux, confèrent à la Cour une compétence pour tout «différend juridique». Le passage
pertinent de la déclaration belge, en date du 17 juin 1958, est formulé comme suit:
«Au nom du Gouvernement belge, je déclare reconnaître comme obligatoire
de plein droit et sans convention spéciale, vis-à-vis de tout autre Etat
acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour internationale de
Justice, conformément à l’article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour, sur
tous les différends d’ordre juridique nés après le 13 juillet 1948 au sujet de
situations ou de faits postérieurs à cette date, sauf le cas ou les parties
auraient convenu ou conviendraient d’avoir recours à un autre mode de
règlement pacifique.»
1.37 La partie pertinente de la déclaration facultative d’acceptation de la juridiction de la
Cour faite par la RDC, en date du 8 février 1989, se lit comme suit:
«… conformément à l’Article 36, paragraphe 2, du Statut de la Cour internationale de
Justice:
Le Conseil Exécutif de la [Rèpublique démocratique du Congo] reconnaît comme
obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l’égard de tout autre État
acceptant la même obligation la juridiction de la Cour Internationale de Justice pour
tous les différends d’ordre juridique ayant pour objet :
a) L’interprétation d’un traité;
b) Tout point de droit international;
c) La réalité de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international;
d) La nature ou l’étendue de la réparation due pour la rupture d’un engagement
international.»
1.38 Abordant l’existence et la nature du différend juridique pour lequel la Cour est
supposée être compétente, la RDC caractérise le différend, entre autres, dans les termes
suivants:
«Il existe entre les Parties un différend juridique ayant pour objet la
compétence des autorités judiciaires d’un État pour mettre en accusation un
membre du gouvernement d’un autre État et, notamment, le ministre des
Affaires étrangères de cet État. …
Entre les États comparaissant devant la Cour il existe donc un différend
clairement ciblé qui a pour objet les limites dans lesquelles le droit
Partie I: Contexte et questions préliminaires
23
international enferme l’exercice de la compétence pénale internationale. Sur
cette question chacun des deux États adopte une position qui dépasse
largement la défense ou la promotion d’un intérêt égoïste. D’un côté, tout
en se plaignant à juste titre de l’atteinte infligée à sa souveraineté en la
personne d’un membre de son gouvernement, l’État demandeur entend faire
prévaloir un principe essentiel à l’existence de relations réglées entre
nations civilisées, à savoir le respect de l’immunité des personnes chargées
de conduire ces relations. D’un autre côté, l’État défendeur prétend donner
la préférence à ce qu’il présente comme une règle nouvelle, insuffisamment
attestée, de l’ordonnancement international, à savoir l’obligation de
contribuer à une répression effective des crimes de droit international
humanitaire.»55
1.39 Il ressort de cet extrait que le caractère essentiel du différend juridique identifié par
la RDC concerne l’immunité de personnes chargées de la conduite des relations
internationales d’un Etat.
1.40 Comme on le précisera à la Partie II du présent contre-mémoire, la Belgique soutient
que, suite aux circonstances nouvelles au cœur de cette affaire, il n’y a plus de «différend
juridique», entre la RDC et la Belgique, au sens des déclarations facultatives d’acceptation de
la juridiction de la Cour faites par les parties. S’il subsiste clairement une différence
d’opinion entre les parties quant à la portée et au contenu du droit international relatif à cette
question, cette différence d’opinion revêt aujourd’hui une importance beaucoup plus abstraite
que pratique. Si la RDC poursuit la présente procédure dans les circonstances nouvelles qui
sont au cœur de l’affaire, elle vise en fait à obtenir un avis consultatif de la Cour sur la portée
et le contenu du droit international. Quels que soient les avantages d’une telle démarche,
l’affaire ne concerne plus un différend opposant toujours les parties. Par conséquent, et selon
sa propre jurisprudence, la Cour n’est pas compétente aux termes des déclarations facultatives
d’acceptation de la juridiction de la Cour émises par les parties à l’instance.
(c) Le fond de l’affaire
1.41 Le fond de la demande de la RDC peut être abordé assez brièvement. Les positions
de la RDC quant au fond sont divisées entre deux parties substantielles de son mémoire : la
Deuxième Partie, qui aborde diverses questions sous le titre Droit international et droit
interne, et la Troisième Partie, qui aborde les Règles de droit international applicables au

55 Mémoire RDC, §§ 13 et 16.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
24
différend entre les parties. La Quatrième Partie résume ensuite brièvement l’objet de la
demande de la RDC et indique les mesures que la RDC demande à la Cour d’appliquer. Les
conclusions finales de la RDC sont ensuite rappelées de manière formelle en dernière page.
1.42 La Deuxième Partie du mémoire, traitant des questions de droit international et de
droit interne, détaille divers aspects de la législation interne belge et la place du droit
international dans celle-ci. La RDC aborde ainsi la doctrine du monisme et la priorité que la
Belgique donne au droit international.56 Elle poursuit en détaillant la méthodologie qui
s’applique à la façon d’interpréter la loi belge du 16 juin 1993, telle que modifiée par la loi du
10 février 1999, ainsi que sa signification.57 Enfin, elle aborde le devoir du juge d’instruction
de vérifier pour toute affaire dont il est saisi s’il est compétent.58
1.43 Ces chapitres sont intéressants. Ils ne sont cependant pas pertinents pour l’affaire
dont est saisie la Cour. De fait, la RDC reconnaît cet argument implicitement dans le chapitre
introductif de la deuxième partie où elle écrit «[l]a Partie demanderesse n’a pas l’intention de
solliciter de la Cour une décision sur le problème des rapports de système entre le droit
international et droit interne».59
1.44 Deux observations doivent néanmoins être formulées sur ce point. En premier lieu,
les questions abordées dans la Deuxième Partie du mémoire de la RDC doivent être traitées et
examinées par un tribunal belge. Cette partie s’efforce de montrer de manière correcte ou non
au plan juridique que le juge d’instruction viole le droit matériel et procédural belge en
émettant le mandat d’arrêt. Pour la Belgique ces questions relèvent d’un tribunal belge et
c’est à lui que la RDC aurait dû s’adresser avant d’introduire la présente instance devant la
Cour internationale de justice. Surtout à la lumière du contexte nouveau qui est au cœur de la
présente affaire, la RDC argue elle-même, dans cette Partie de son mémoire, de l’existence de
recours internes.
1.45 En second lieu, les questions de droit interne belge soulevées dans la Deuxième
Partie du mémoire de la RDC suggèrent que la Cour internationale de justice est à même
d’abolir ou d’annuler une législation nationale ou d’autres mesures que la Cour considère

56 Deuxième Partie, Chapitre II.
57 Deuxième Partie, Chapitre III.
58 Deuxième Partie, Chapitre IV.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
25
comme contraires au droit international. De fait, la RDC demande à la Cour d’imposer à la
Belgique le retrait et l’annulation du mandat d’arrêt contesté.
1.46 Pour la Belgique, cette appréciation du rôle de la Cour internationale de Justice est
erronée. La Cour a pour mission de trancher les questions de droit international qui lui sont
soumises et pour lesquelles elle est compétente. Conformément à l’article 94(1) de la Charte
des Nations Unies et à l’article 59 du Statut de la Cour, les parties à l’instance devant la Cour
sont liées par sa décision. De quelle manière un Etat choisit de se conformer à une décision
de la Cour –parmi les options qui pourraient être à sa disposition pour s’y conformer– est
toutefois l’affaire de l’Etat concerné. Ce sujet est abordé plus en détail dans la Partie III du
présent contre-mémoire où il est question des mesures que réclame la RDC.
1.47 La Troisième Partie du mémoire de la RDC contient les principaux éléments des
conclusions de la RDC dans la présente affaire. Elle est sous-titrée «L’atteinte portée à
l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues du ministre des Affaires étrangères et violation
des droits souverains de la R.D.C.»60 Il convient d’aborder plusieurs des points repris dans
cette Partie.
1.48 D’abord, cette Partie est subdivisée en cinq chapitres. Le chapitre I affirme que M.
Yerodia Ndombasi était ministre des Affaires étrangères de la RDC au moment où le mandat
d’arrêt a été émis. Il y est également affirmé qu’il devint ministre de l’Education nationale en
date du 20 novembre 2000. Il y est aussi fait état de ce qu’en date du 15 Avril 2001, il a cessé
d’occuper tout poste ministériel au sein du gouvernement de la RDC. Il n’y est cependant pas
dit qu’il n’occupait aucun poste ministériel au moment où les faits allégués dans le mandat
d’arrêt auraient été commis. Comme signalé précédemment, à ce moment-là, M. Yerodia
Ndombasi était Directeur de cabinet du Président Laurent-Désiré Kabila.
1.49 Ensuite, les chapitres II à IV abordent en détail divers aspects du droit se rapportant à
l’immunité de ministres des Affaires étrangères. Rien de pertinent n’y est dit quant à
l’immunité dont pourraient, ou non, jouir les titulaires d’autres portefeuilles ministériels.
L’argument est avancé que des immunités sont rattachées à l’exercice de la fonction de

59 Mémoire RDC, § 20.
60 Mémoire RDC, Troisième Partie, p. 28.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
26
ministre des Affaires étrangères.61 On montre que les ministres des Affaires étrangères en
exercice jouissent d’une immunité de toute mesure de contrainte.62 Il est encore argué que
l’immunité du ministre des Affaires étrangères est affectée par la seule émission du mandat
d’arrêt.63
1.50 Le préjudice prétendument encouru par la RDC est également abordé, tout comme
l’effet du mandat d’arrêt en droit belge.
64 Toutefois, il n’est suggéré nulle part que la RDC ou
d’autres Etats tiers seraient tenus de mettre en œuvre le mandat d’arrêt belge. Comme on l’a
déjà indiqué, l’émission et la transmission du mandat d’arrêt n’engendrent aucune obligation
dans le chef de la RDC. Et en l’absence d’une demande formelle d’extradition, dans le cadre
d’un convention d’extradition, l’émission et la transmission du mandat n’obligent pas
davantage un autre Etat.
1.51 Troisièmement, la RDC soutient dans son mémoire qu’il n’y a aucune exception à
l’inviolabilité et l’immunité absolues des ministres des Affaires étrangères même dans le cas
d’allégations portant sur la perpétration de crimes internationaux.65 A ce sujet, il est dit que
c’est là «[l]e point de divergence le plus fondamental entre la R.D.C. et la Belgique ».66
1.52 Enfin, le chapitre V de la Troisième Partie aborde la question de la compétence
universelle.67 Il y est soutenu que la Belgique n’est pas obligée de mettre en oeuvre cette
compétence pour les crimes allégués, qu’ «il n’est pas certain» que le droit international
permette à la Belgique de faire ce qu’elle fait et que, de toute façon, les actions de la Belgique
méconnaissent les droits souverains de la RDC.68 Toutefois, de manière significative, la seule
manière dont est traitée la prétention que la Belgique aurait violé la souveraineté de la RDC
consiste à invoquer le soi-disant préjudice encouru par la RDC à la suite de l’émission du
mandat d’arrêt.69 Toutefois, comme on l’a déjà observé, le mémoire de la RDC n’aborde
jamais l’effet contraignant du mandat d’arrêt, ni envers la RDC ni envers un Etat tiers. Ainsi

61 Mémoire RDC, § 47.
62 Mémoire RDC, §§ 49–50.
63 Mémoire RDC, § 51.
64 Mémoire RDC, §§ 52–57.
65 Mémoire RDC, §§ 58–73.
66 Mémoire RDC, § 58.
67 Mémoire RDC, §§ 74–92.
68 Mémoire RDC, § 74.
69 Mémoire RDC, § 92. Voir aussi §§ 52 et seq.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
27
que cela a déjà été noté, l’émission et la transmission du mandat d’arrêt n’ont créé aucune
obligation pour la RDC, ou pour un quelconque autre Etat.
(d) Les mesures demandées et les conclusions finales de la RDC
1.53 Les mesures que la RDC demande à la Cour font l’objet de la Quatrième Partie du
mémoire de la RDC et sont reformulées de manière formelle dans des conclusions finales,
comme le requiert l’article 49(1) du Règlement de la Cour. Les voici:
«1. Qu’en émettant et en diffusant internationalement le mandat d’arrêt du
11 avril 2000 délivré à charge de Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi, la
Belgique a violé, à l’encontre de la R.D.C., la règle de droit international
coutumier relative à l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des
ministres des Affaires étrangères en fonction;
2. Que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite de ce
fait constitue une forme adéquate de satisfaction permettant de réparer le
dommage moral qui en découle dans le chef de la R.D.C.;
3. Que la violation du droit international dont procèdent l’émission et la
diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril 2000 interdit à tout
État, en ce compris la Belgique , d’y donner suite;
4. Que la Belgique est tenue de retirer et mettre à néant le mandat d’arrêt
du 11 avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles
ledit mandat fut diffusé qu’elle renonce à solliciter leur coopération pour
l’exécution de ce mandat illicite suite à l’arrêt de la Cour.»70
1.54 Trois brèves observations s’imposent au sujet des mesures demandées par la RDC à
la Cour et au sujet de leur formulation. Premièrement, les mesures demandées ne portent que
sur l’allégation que la Belgique aurait violé les immunités du ministre des Affaires étrangères
en exercice de la RDC. Il n’est pas demandé à la Cour, indépendamment de la question de
l’immunité, de se prononcer sur la compétence du juge belge d’émettre le mandat arrêt.
Deuxièmement, le préjudice prétendument encouru par la RDC suite à l’émission et à la
transmission du mandat d’arrêt est ici décrit comme un «dommage moral». Ceci contraste
avec les allégations vagues faits dans le mémoire à propos d’un préjudice plus large encouru
par la RDC. Troisièmement, et dans la suite du point précédent, la RDC ne demande aucune
réparation financière pour le dommage qu’elle prétend avoir subi.

70 Mémoire RDC, § 97.
Partie I: Contexte et questions préliminaires
28
1.55 Ces éléments sont doublement significatifs. Ils confirment que la clef de voûte de
l’affaire de la RDC reste la question des immunités des ministres des Affaires étrangères. De
manière plus significative, ils corroborent le fait que, par suite du changement intervenu dans
les circonstances qui sont au cœur de l’affaire, la demande s’est en réalité modifiée en une
demande d’avis consultatif sur un point juridique opposant la Belgique et la RDC. Cette
question est totalement abstraite. Il n’y a aucune suggestion d’un dommage réel subi dans le
passé par la RDC. Il s’agit seulement de résoudre une question de droit. Comme on le verra
dans la Partie II, en l’absence d’un différend réel et pratique à trancher par la Cour entre deux
Etats, il ne reste que des différences de point de vue sur la portée ou le contenu du droit
international. Cela fait partie du processus dynamique de législation au sein de la
communauté internationale et il n'entre pas dans les fonctions judiciaires de la Cour de se
prononcer in abstracto.
4. Conclusions
1.56 Cette instance a été initiée le 17 octobre 2000 par la revendication de la RDC que sa
souveraineté avait été violée et que l’immunité de son ministre des Affaires étrangères avait
été enfreinte à la suite de l’émission et de la transmission d’un mandat d’arrêt par un juge
belge. L’affaire a évolué ensuite de manière significative. Premièrement, la personne visée
par le mandat d’arrêt a été relevée de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères, suite à
quoi la demande a été formulée et axée de manière plus générale sur l’immunité de la fonction
de ministre d’Etat. Aujourd’hui, vu que la personne visée par le mandat d’arrêt n’occupe plus
de poste ministériel au sein du gouvernement de la RDC, la demande a été remodelée en une
demande rétrospective portant sur la violation de l’immunité du ministre des Affaires
étrangères intervenue à un moment situé dans le passé. Le dommage prétendu est décrit
comme un dommage moral. La plainte relative à la compétence du juge belge est devenue un
élément marginal du différend et ne fait l’objet d’aucune demande adressée à la Cour.
1.57 C’est pourquoi, en réalité, l’affaire est devenue une demande d’éclaircissement du
droit dans l’abstrait. Le différend prétendu est devenu une différence abstraite de points de
vue sur certaines questions de droit plutôt qu’une affaire à trancher concrètement par la Cour.
La demande telle qu’elle est formulée actuellement est sans lien avec la situation factuelle
d’aujourd’hui. Comme on le verra dans la Partie II du présent contre-mémoire, la Belgique
Partie I: Contexte et questions préliminaires
29
soutient, dès lors, que, à la lumière de cette évolution, la Cour n’est pas compétente en
l’instance et/ou que la requête est irrecevable.
C. Les fonctions occupées par M. Yerodia Ndombasi aux moments pertinents pour
la présente instance
1.58 Avant de conclure cette Partie, il serait bon d’identifier les fonctions occupées par M.
Yerodia Ndombasi aux dates pertinentes en la présente espèce. Selon l’information dont
dispose la Belgique, ces fonctions ont été les suivantes :
· M. Yerodia Ndombasi a été Directeur de cabinet du Président Laurent-Désiré Kabila
du 20 janvier 1998 au 14 décembre 1999. C’est pendant cette période qu’il aurait
commis les actes qui font l’objet du mandat d’arrêt;
· M. Yerodia Ndombasi devint ministre des Affaires étrangères de la RDC le 15
décembre 1999, poste qu’il a occupé jusqu’au 19 novembre 2000.71 Cette période
coïncide avec le début de la procédure devant la Cour introduite par la RDC contre la
Belgique ;
· du 20 novembre 2000 au 14 avril 2001, M. Yerodia Ndombasi a été ministre de
l’Education nationale de la RDC; et
· depuis le 15 avril 2001 et la constitution du nouveau gouvernement de la RDC du
Président Joseph Kabila, M. Yerodia Ndombasi n’occupe plus aucun poste
ministériel au sein du gouvernement de la RDC. Cette période coïncide avec le
dépôt du mémoire de la RDC.
* * *

71 Au paragraphe 45 de son mémoire, la RDC indique que M. Yerodia Ndombasi a exercé les fonctions de
ministre des Affaires étrangères de la RDC du 15 Mars 2000 au 20 Novembre 2000. Rien d’important ne dépend
de la différence d’opinion à ce sujet entre les Parties.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
32
PARTIE II
EXCEPTIONS QUANT A LA COMPETENCE ET A LA RECEVABILITE
2.1 Comme il a déjà été indiqué, la Belgique soutient que la Cour n’est pas
compétente en l’instance et/ou que la requête n’est pas recevable. Pour appuyer cette
thèse, la Belgique avance quatre conclusions principales et une cinquième conclusion
auxiliaire. Les conclusions principales peuvent être résumées comme suit :
Première conclusion
Que, à la lumière du fait que M. Yerodia Ndombasi n’est plus
ministre des Affaires étrangères de la RDC et n’exerce plus d’autre
fonction ministérielle au sein du gouvernement de la RDC, il
n’existe plus de différend entre les Parties au sens donné à ce terme
dans les Déclarations facultatives d’acceptation de la juridiction de
la Cour des Parties et que la Cour n’est dès lors pas compétente en
cette instance.
Deuxième conclusion
Que, à la lumière du fait que M. Yerodia Ndombasi n’est plus
ministre des Affaires étrangères de la RDC et n’exerce plus d’autre
fonction ministérielle au sein du gouvernement de la RDC, l’affaire
est aujourd’hui sans objet et la Cour devrait en conséquence refuser
de procéder au jugement sur le fond de cette affaire.
Troisième conclusion
Que l’affaire telle qu’elle se présente aujourd’hui est
substantiellement différente de celle décrite dans la Requête
introductive d’instance de la RDC et que la Cour n’est en
conséquence pas compétente en l’instance et / ou que la requête est
irrecevable.
Quatrième conclusion
Que, à la lumière des circonstances nouvelles concernant M.
Yerodia Ndombasi, l’affaire a aujourd’hui le caractère d’une action
de protection diplomatique où la personne protégée n’a pas épuisé
toutes les voies de recours interne et que la Cour n’est, par
conséquent, pas compétente et/ou que la requête est irrecevable.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
33
2.2 Bien qu’elles chevauchent sur certains points (notamment les première et
deuxième conclusions), ces conclusions sont distinctes et sont avancées
subsidiairement les unes par rapport aux autres. Elles seront développées
successivement ci-dessous.
2.3 Au cas où la Cour décidait qu’elle est compétente et que la requête était
recevable, la Belgique soumet, à titre encore plus subsidiaire et secondaire, que la
règle non ultra petita limite la compétence de la Cour aux questions qui font l’objet
des conclusions finales de la RDC.
A. Première conclusion: il n’y a plus de différend entre les Parties
2.4 Les Déclarations facultatives d’acceptation de la juridiction de la Cour des
Parties au titre de l’article 36(2) du Statut de la Cour confèrent compétence à la Cour
dans le cas d’un “différend juridique” qui peut lui être soumis.72 Le terme de
“différend juridique”, qui est la formulation explicite de l’article 36(2), est commun à
bon nombre de ces déclarations et a été commenté, à de nombreuses occasions, tant
par la Cour internationale que par la Cour permanente. Ainsi, dans l’affaire des
Concessions Mavrommatis en Palestine, la Cour permanente a défini un différend
comme “un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une
opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes”.73 Ces termes ont
ensuite été repris par la Cour internationale sous une forme à peine différente. Ainsi,
dans l’affaire du Timor oriental, la Cour a rappelé que “un différend est un désaccord
sur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses juridiques ou
d’intérêts entre des parties”.74
2.5 La Cour a aussi été amenée à donner d’autres indications sur la matière.
Ainsi, la Cour a, par exemple, indiqué que la question de savoir si un différend existe

72 Les deux Déclarations sont assorties de plusieurs conditions qui sont toutefois sans importance ici.
Les Déclarations sont exposées dans les paragraphes 1.36 et 1.37 ci-dessus.
73 CPJI, arrêt du 30 août 1924, Concessions Mavrommatis en Palestine, série A, n° 2, p. 11.
74 CIJ, arrêt du 30 juin 1995, Timor oriental, Rec. 1995, p. 90, § 22.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
34
“demande à être établie objectivement”75 par référence à tous les éléments pertinents
de l’affaire.76 Elle a également observé que :
“il ne suffit pas que l’une des parties à une affaire contentieuse
affirme l’existence d’un différend avec l’autre partie. La simple
affirmation ne suffit pas pour prouver l’existence d’un différend,
tout comme le simple fait que l’existence d’un différend est
contestée ne prouve pas que ce différend n’existe pas. Il n’est pas
suffisant non plus de démontrer que les intérêts des deux parties à
une telle affaire sont en conflit. Il faut démontrer que la réclamation
de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre.”77
2.6 La Belgique ne conteste pas qu’un différend juridique existait entre la RDC
et la Belgique au moment où la RDC a introduit sa Requête introductive d’instance.
Ce différend juridique concernait un désaccord sur un point de droit entre les Parties,
le sujet contentieux étant le droit du juge d’instruction belge, en termes de droit
international, de décerner mandat d’arrêt contre le ministre des Affaires étrangères en
exercice de la RDC pour infractions graves aux Conventions de Genève et crimes
contre l’humanité.
2.7 Pour établir la compétence de la Cour, la question n’est toutefois pas de
savoir si un différend a existé. Il s’agit de déterminer si un différend existe. Ce n’est
pas une question de dates critiques ni de savoir si la Cour a été correctement saisie.
La Belgique reconnaît qu’elle l’a été. La question est de savoir s’il existe toujours un
“cas concret” concernant un “litige réel”78 au moment où la Cour est sollicitée pour
un jugement au fond. Comme l’a observé la Cour dans les affaires des Essais
nucléaires :
“La Cour, comme organe juridictionnel, a pour tâche de résoudre
des différends existant entre Etats. … Le différend dont la Cour a
été saisie doit donc persister au moment où elle statue.”79

75 CIJ, avis consultatif du 26 avril 1988, Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section
21 de l’Accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’O.N.U., Rec. 1988, p. 12, § 35.
76 CIJ, arrêt du 8 décembre 1998, Compétence en matière de pêcheries, Rec. 1998, p. 432, §§ 29-30.
77 CIJ, arrêt du 21 décembre 1962, affaires du Sud-ouest africain [exceptions préliminaires], Rec. 1962,
p. 328; A.C. du 26 avril 1988, Applicabilité de l’obligation d’arbitrage en vertu de la section 21 de
l’Accord du 26 juin 1947 relatif au siège de l’O.N.U., Rec. 1988, p. 12, § 35.
78 CIJ, 2 décembre 1963, Cameroun septentrional, (Exceptions préliminaires) , Rec. 1963, pp. 33–34.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
35
2.8 Il n’est pas dans l’intention de la Belgique de prendre position sur des points
de droit banals ou techniques. Il est clair qu’il y avait un différend entre les Parties
lorsque la RDC a introduit sa Requête introductive d’instance. Hormis certains
manquements relatifs à l’imprécision avec laquelle l’affaire et la compétence de la
Cour ont été formulées dans cette Requête (qui ne sont plus pertinents), la Cour avait
été correctement saisie par cette Requête. La question est toutefois de voir si, à la
lumière des changements fondamentaux intervenus dans les circonstances qui sont au
coeur de l’affaire qui occupe la RDC, il existe encore un “différend concret” au regard
duquel la Cour peut réellement être considérée compétente aux termes des
Déclarations facultatives d’acceptation de la juridiction de la Cour émises par les
Parties.80
2.9 Cette question n’est pas abstraite ni sans ramifications plus larges. Les
questions de droit au coeur de cette affaire soulèvent des problèmes d’une importance
considérable qui influent sur l’évolution de l’ordre juridique international dans le
domaine de la responsabilité pénale individuelle. La Belgique a un point de vue
particulier quant au rôle des tribunaux et procédures nationaux dans ce processus.
Elle considère que ce point de vue est admis par le droit international. D’autres Etats
peuvent défendre un point de vue différent.81 Faut-il toutefois considérer, dès lors,
que tout Etat qui tient une opinion différente de celle de la Belgique en cette matière
est libre d’introduire une instance devant la Cour en arguant d’un différend
indépendamment de l’existence d’un “litige réel” engendrant un “différend concret”,
dans le but d’obtenir de la Cour un avis consultatif en la matière? Ceci ne saurait être
le cas. Comme on le verra plus loin, la fonction juridictionnelle de la Cour exige, de
l’avis de la Belgique, que le différend dont la Cour est saisie est et reste un différend
réel et concret; un litige actuel requérant une solution pratique. Toute autre
interprétation du terme “différend” élargirait le rôle juridictionnel de la Cour au
domaine des avis consultatifs. Tel n’est pas l’objectif du Statut.

79 CIJ, 20 décembre 1974, Essais nucléaires, Rec. 1974, pp. 253 et 457 respectivement, §§ 55 et 58
respectivement.
80 Il est une autre question étroitement liée : même si la Cour devait être compétente en l’instance,
serait-il approprié pour la Cour de passer jugement quant au fond pour une affaire de cette nature ?
Cette question fait l’objet de la deuxième conclusion de la Belgique, traitée ci-après.
81 Quoi que tout porte à croire que ces états sont clairement minoritaires en nombre. La chose est
abordée dans la Partie III ci-dessous.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
36
2.10 La Cour a exprimé ce point de manière convaincante dans l’affaire des
Essais nucléaires:
“Il n’entre pas dans la fonction juridictionnelle de la Cour de traiter
des questions dans l’abstrait, une fois qu’elle est parvenue à la
conclusion qu’il n’y a plus lieu de statuer au fond. La demande
ayant manifestement perdu son objet, il n’y a rien à juger.” 82
2.11 Le même raisonnement a été tenu dans l’affaire du Cameroun Septentrional,
mais dans un langage qui recouvre à la fois les notions de compétence et de
recevabilité:
“La Cour doit s’acquitter du devoir sur lequel elle a déjà appelé
l’attention et qui consiste à sauvegarder sa fonction judiciaire.
Qu’au moment où la requête a été déposée la Cour ait eu ou non
compétence pour trancher le différend qui lui était soumis, il reste
que les circonstances qui se sont produites depuis lors rendent toute
décision judiciaire sans objet. La Cour estime dans ces conditions
que, si elle examinait l’affaire plus avant, elle ne s’acquitterait pas
des devoirs qui sont les siens.”83
2.12 A la lumière de ces remarques, la question est de savoir si un différend
concret persiste entre les Parties par rapport à laquelle la Cour peut réellement être
considérée compétente. La Belgique soutient qu’il n’y a pas un tel différend. Ce qui
persiste, après le changement de situation de M. Yerodia Ndombasi, est une
différence de point de vue entre la RDC et la Belgique sur le droit se rapportant à
l’immunité de ministres des Affaires étrangères face à des allégations de crimes de
guerre et de crimes contre l’humanité. Sans contenu concret depuis le changement de
contexte, la différence de point de vue n’est aujourd’hui plus qu’une préoccupation
abstraite.
2.13 La place centrale qu’occupe la fonction officielle gouvernementale de M.
Yerodia Ndombasi dans l’argumentation de la RDC a fait l’objet d’un examen
approfondi dans la partie précédente du présent contre-mémoire. Il n’est donc nul
besoin de l’approfondir ici davantage. Il peut être utile cependant de rappeler que la
fonction de ministre des Affaires étrangères de la RDC exercée par M. Yerodia

82 CIJ, Essais nucléaires, supra, §§ 59 et 62 respectivement.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
37
Ndombasi était au centre de la Requête introductive d’instance déposée par la RDC.
La fonction ministérielle de la personne visée par le mandat d’arrêt avait été
expressément soulignée comme la raison d’être de l’affaire, au cours de la phase des
mesures conservatoires. Enfin, l’immunité de ministres des Affaires étrangères est le
pivot central sur lequel s’articule le mémoire de la RDC. C’est également le point
critique sur lequel la RDC a demandé à la Cour de se prononcer.
2.14 Comme on l’a observé plus haut, dans la partie du contre-mémoire traitant
des moyens demandés par la RDC ainsi que de ses conclusions finales, la nature
abstraite de la demande de la RDC est accentuée par le fait que le dommage
prétendument encouru est qualifié de “dommage moral” et par l’absence de toute
demande de dommages et intérêts compensatoires.84 A ce sujet, il est bon de rappeler
que l’absence de demande de dommages et intérêts compensatoires était un élément
ayant amené la Cour à décider dans son arrêt concernant la requête australienne dans
l’affaire des Essais nucléaires que le différend était devenu abstrait et, en
conséquence, étranger aux fonctions juridictionnelles de la Cour.85
2.15 Le point ne doit pas être approfondi davantage. La Belgique soutient que le
changement qui s’est produit dans les circonstances au coeur de cette affaire a privé
l’instance tant de son contenu concret que de son objet. Le différend, réel au moment
où la Cour a été saisie, est dorénavant sans dimension concrète nécessitant une
solution pratique. La Belgique soutient en conséquence qu’il n’y a plus de “différend
juridique” entre les Parties au sens donné à ce terme dans les Déclarations facultatives
d’acceptation de la juridiction de la Cour. En termes de droit, la Cour n’est donc pas
compétente en l’instance.
B. Deuxième conclusion: L’instance est aujourd’hui sans objet
2.16 Indépendamment de la conclusion précédente, dans l’hypothèse où la Cour
devait conclure qu’il persiste un différend juridique entre les Parties pour lequel la
Cour est compétente, la Belgique soutient que ce différend est maintenant sans objet

83 CIJ, Cameroun septentrional, supra, p. 38.
84 Voir §§ 1.53–1.55 ci-dessus.
85 CIJ, Essais nucléaires, supra, p. 253, § 53.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
38
vu le fait que M. Yerodia Ndombasi n’exerce plus aucune fonction ministérielle au
sein du gouvernement de la RDC. Dans le langage de la Cour, ce changement dans
les circonstances rend tout jugement "sans objet".86 La Cour devrait en conséquence
s’abstenir de statuer au fond dans cette affaire. Bien que cette conclusion soulève des
questions similaires à celles considérées dans la section précédente, il appartient à la
Cour d’apprécier de manière spécifique la validité d cette deuxième conclusion.
2.17 La distinction entre la question formelle de la compétence de la Cour en une
affaire et l’exercice par la Cour de sa fonction judiciaire est clairement établie par la
jurisprudence de la Cour. A titre d’exemple, dans l’affaire Nottebohm, la Cour
remarque que “la saisine de la Cour est une chose, l’administration de la justice en est
une autre”.87
Cette distinction a été développée dans l’affaire du Différend frontalier
(Burkina Faso c. Mali), dans les termes suivants:
“ de l’avis de la Chambre, il faut d’abord rappeler la distinction existant entre,
d’une part, la question de la compétence qui lui est conférée par le compromis
conclu entre les Parties et, d’autre part, la question de savoir “ si le jugement
sollicité par le demandeur est ceux que la Cour peut rendre dans le cadre de sa
fonction judiciaire”, question examinée par la Cour, notamment en l’affaire du
Cameroun septentrional (C.I.J. Recueil 1963, p. 31). Comme elle l’a aussi
indiqué dans cette affaire, “ même si, une fois saisie, elle estime avoir
compétence, la Cour n’est pas toujours contrainte d’exercer cette compétence”
(ibid., p. 29).”88
2.18 Cette distinction était au centre des arrêts de la Cour tant dans l’affaire du
Cameroun septentrional que dans les affaires des Essais nucléaires et a par ailleurs
été abordée dan de nombreux autres cas soumis à la Cour internationale et à la Cour
permanente.89
2.19 Les décisions de la Cour dans les affaires du Cameroun septentrional et des
Essais nucléaires sont particulièrement pertinentes dans le contexte de la présente
procédure et demandent à être examinées davantage.

86 CIJ, Cameroun septentrional, supra, p. 38; Essais nucléaires, supra, § 23.
87 CIJ, arrêt du 18 novembre 1953, Nottebohm (Exception préliminaire), Rec. 1953, p. 122.
88 CIJ, arrêt du 22 décembre 1986, Différend frontalier ( Burkina Faso/ République du Mali), Rec.
1986, p. 554, § 45.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
39
2.20 Comme on le sait, dans l’affaire du Cameroun septentrional, après le dépôt
de la Requête introductive d’instance par le Cameroun contre le Royaume-Uni
alléguant que le Royaume-Uni avait failli au respect de certaines obligations
découlant de l’accord de tutelle concernant le Cameroun septentrional, l’Assemblée
générale des N.U. avait décidé de mettre fin à l’accord de tutelle. Développant son
argumentation devant la Cour suite à cette décision, le requérant avait indiqué qu’il ne
demandait pas à la Cour de réviser ou d’infirmer les conclusions de l’Assemblée
générale mais seulement “[d’]apprécier certains faits et d’arriver, à l’égard de ces
faits, à des conclusions”.90
2.21 Vu le changement dans les circonstances au coeur de cette affaire, la Cour
n’avait pas voulu statuer sur le fond. Elle a toutefois précisé une série de principes
d’application générale qui se rapportent à l’exercice de la fonction juridictionnelle et
qui ont une pertinence directe pour la présente procédure. Ainsi, comme on l’a déjà
remarqué dans la section précédente, la Cour a noté qu’ “[e]lle ne peut rendre des
arrêts qu’à l’occasion de cas concrets dans lesquels il existe, au moment du jugement,
un litige réel impliquant un conflit d’intérêts juridiques entre les parties”.91
2.22 La Cour observe ensuite que, dans cette affaire, le requérant demandait un
jugement déclaratoire. Elle poursuit en des termes qui méritent d’être cités en détail.
“Il est incontestable que la Cour peut, dans des cas appropriés,
prononcer un jugement déclaratoire. Mais elle a déjà indiqué que,
même si, une fois saisie d’une requête, elle estime avoir
compétence, elle n’est pas obligée d’exercer cette compétence dans
tous les cas. Si la Cour est convaincue, quelle que soit la nature de la
réparation demandée, qu’il serait incompatible avec sa fonction
judiciaire de statuer sur le fond d’une requête, elle doit refuser de le
faire.

… circonstances qui se sont produites depuis lors [le dépôt de la
Requête] rendent toute décision judiciaire sans objet. La Cour

89 Par exemple: CPJI, Zones franches du pays de Gex et de Savoie, ordonnance du 19 août 1929 Série
A, n° 22 et arrêt du 7 juin 1932, Série A/B, n° 46.
90 Cameroun septentrional, supra, p. 32.
91 Cameroun septentrional, supra, pp. 33–34 (souligné par la Belgique).
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
40
estime dans ces conditions que, si elle examinait l’affaire plus avant,
elle ne s’acquitterait pas des devoirs qui sont les siens.
… Tout arrêt qu’elle pourrait prononcer serait sans objet.”92
2.23 Les circonstances de la présente affaire ne sont évidemment pas identiques à
celles de l’affaire du Cameroun septentrional. Toutefois, dans les éléments essentiels
qui concernent la décision de la Cour, ces deux affaires sont fort proches. Dans
l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour avait été dûment saisie, par le requérant,
d’un différend de nature concrète au moment de la Requête introductive d’instance.
C'est aussi le cas dans la présente affaire. Dans l’affaire du Cameroun septentrional,
la dimension pratique de la procédure avait été modifiée fondamentalement par des
circonstances postérieures à la Requête. Il en va de même ici. Dans l’affaire du
Cameroun septentrional, les circonstances qui s’étaient produites rendaient toute
décision judiciaire sur le fond sans objet pratique. C’est également le cas de la
présente affaire. Ce point sera examiné plus loin. Dans l’affaire du Cameroun
septentrional, une décision de la Cour quant au fond aurait pu servir de ligne
directrice pour des cas futurs concernant l’exécution d’obligations résultant d’une
tutelle. Le Requérant de la présente affaire ne manquera pas d’arguer en ce sens
quant au droit se rapportant à l’immunité de ministres des Affaires étrangères en
exercice. Enfin, dans l’affaire du Cameroun septentrional, malgré les divergences qui
subsistaient entre les parties quant au principe abstrait, la Cour a refusé de se
prononcer au fond pour le motif que cela serait sans objet. La Belgique estime que la
Cour devrait adopter la même approche en l’instance présente.
2.24 Les circonstances des affaires des Essais nucléaires et les arrêts rendus par la
Cour en ces affaires appuient les conclusions que la Belgique tire pour la présente
affaire. Comme on le sait, les Requêtes déposées par l’Australie et par la Nouvelle
Zélande concernaient les essais nucléaires atmosphériques que la France menait dans
le Pacifique Sud. Les Requêtes demandaient à la Cour de déclarer que la poursuite
d’autres essais nucléaires dans le Pacifique Sud serait contraire au droit international.
Après le dépôt des Requêtes, une série de déclarations officielles avaient été faites au
nom du gouvernement français, déclarations dont la Cour a jugé qu’elles exprimaient

92 Cameroun septentrional, supra, pp.37–38.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
41
l’intention de la France de cesser les essais nucléaires atmosphériques à la fin d’une
série d’essais en cours.
2.25 A la lumière de ces déclarations, la Cour avait conclu que l’objet de la
demande avait disparu et qu’il n’entrait pas dans la fonction judiciaire de la Cour de
considérer des affaires in abstracto.
93 La Cour a en conséquence refusé de prononcer
un arrêt dans cette affaire. Le raisonnement qu’elle y a tenu est pertinente pour
l’affaire présente.
2.26 La Cour a d’abord rappelé qu’elle possède un “pouvoir inhérent” qui
l’autorise à prendre toute décision voulue inter alia pour assurer le respect des
“limitations inhérentes à l’exercice de la fonction judiciaire”.94 Elle aborde ensuite sa
fonction d’organe juridictionnel en des termes qui ont déjà été évoqués mais qui sont
particulièrement pertinents pour la présente procédure.
« La Cour, comme organe juridictionnel, a pour tâche de résoudre
des différends existant entre Etats. L’existence d’un différend est
donc la condition première de l’exercice de sa fonction judiciaire ;
on ne peut se contenter à cet égard des affirmations d’une partie car
« l’existence d’un différend international demande à être établie
objectivement » par la Cour (Interprétation des traités de paix
conclu avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première
phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). Le différend dont
la Cour a été saisie doit donc persister au moment où elle statue.
Elle doit tenir compte de toute situation dans laquelle le différend a
disparu parce que l’objet de la demande a été atteint d’une autre
manière. […]
La Cour a indiqué dans le passé des considérations qui pouvaient
l’amener à ne pas statuer. La présente affaire est l’une de celles dans
lesquelles « les circonstances qui se sont produites … rendent toute
décision judiciaire sans objet » (Cameroun septentrional, arrêt, C.I.J.
Recueil 1963, p. 38). La Cour ne voit donc pas de raison de laisser
se poursuivre une procédure qu’elle sait condamnée à rester stérile.
Si le règlement judiciaire peut ouvrir la voie de l’harmonie
internationale lorsqu’il existe n conflit, il n’est pas moins vrai que
la vaine poursuite d’une procès compromet cette harmonie.
La Cour conclut donc qu’aucun autre prononcé n’est nécessaire en
l’espèce. Il n’entre pas dans la fonction juridictionnelle de la Cour

93 Essais nucléaires, supra, §§ 59 et 62 respectivement.
94 Essais nucléaires, supra, § 23 respectivement.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
42
de traiter des questions dans l’abstrait, une fois qu’elle est parvenue
à la conclusion qu’il n’y a plus lieu de statuer au fond. La demande
ayant manifestement perdu son objet, il n’y a rien à juger. »
95
2.27 Comme dans l’affaire du Cameroun septentrional, les circonstances de la
présente affaire ne sont pas identiques à celles des affaires relatives aux Essais
nucléaires. Plus particulièrement, dans les affaires des Essais nucléaires, la Cour a
conclu que suite aux déclarations officielles faites au nom de la défenderesse, les
objectifs des requérants avaient été atteints. Par contre, dans la présente affaire, les
faits survenus ont radicalement modifié la situation de l’intéressé et donc de la partie
requérante. Nonobstant, des éléments importants sont communs aux deux procédures,
suggérant que les principes établis par la Cour dans les affaires des Essais nucléaires
s’appliqueraient à juste titre à l’affaire présente.
2.28 Un de ces éléments était l’affirmation faite dans les affaires des Essais
nucléaires que, bien que les objectifs du requérant eussent été atteints, un arrêt de la
cour garderait son intérêt car, si elle adoptait les thèses du requérant, “il renforcerait la
position de celui-ci en constatant l’obligation du défendeur.”96 En d’autres termes, la
proposition était qu’un arrêt de la Cour pourrait servir à éclaircir le droit, malgré le
fait que les objectifs du requérant avaient été atteints. La Cour n’en a pas moins rejeté
cette affirmation, remarquant que “le différend ayant disparu, la demande présentée
par [le demandeur] ne comporte plus d’objet. Il en résulte qu’aucune autre
constatation n’aurait de raison d’être.”97 La Cour considéra donc qu’une clarification
du droit pour les besoins futurs ne constituait pas un motif suffisant pour passer
jugement dans des circonstances ou cela n’aurait aucun effet pratique.
2.29 Un deuxième élément des affaires relatives aux Essais nucléaires était
l’appréciation faite par la Cour des limitations à l’exercice de la fonction judiciaire
qu’elle considère ne pas devoir appliquer à une décision judiciaire dans des questions
abstraites en dépit du fait qu’elle pourrait être compétente pour ce faire – “[l]e
différend dont la Cour a été saisie doit donc persister au moment où elle statue.”98

95 Essais nucléaires, supra, §§ 55–59 et 58–62 respectivement (souligné par la Belgique).
96 Essais nucléaires, supra, §§ 56 et 59 respectivement.
97 Essais nucléaires, supra, §§ 56 et 59 respectivement.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
43
2.30 Un troisième élément qu’il est utile de noter est l’opinion de la Cour que
poursuivre un procès entamé en l’isolant du contexte plus large des relations entre les
parties ne favorisait pas nécessairement des relations harmonieuses – “[S]i le
règlement judiciaire peut ouvrir la voie de l’harmonie internationale lorsqu’il existe
un conflit, il n’est pas moins vrai que la vaine poursuite d’un procès compromet cette
harmonie.”99
2.31 Enfin, on remarquera que la Cour, dans les affaires des Essais nucléaires,
avait considéré que les questions litigieuses entre les parties en début de procédure
étaient devenues ensuite des questions in abstracto, ne nécessitant plus de jugement
par la Cour. Cette conclusion résultait non de l’existence d’une différence de point de
vue entre les parties mais de l’utilité pratique qu’un arrêt de la Cour pourrait avoir.
Une clarification du droit pour des besoins futurs, ou le renforcement de la position de
l’une ou de l’autre des parties du différend n’étaient pas des objectifs qui obligeaient
la Cour à se prononcer dans des circonstances où l’objet concret fondamental du
différend avait cessé d’exister.100
2.32 Compte tenu de ces considérations, la question est de savoir si les points
litigieux au coeur de la présente affaire restent des points concrets de désaccord entre
les parties ou si elles sont devenues des questions abstraites pour lesquelles une
décision de la Cour n’aurait aucune utilité pratique. La Belgique soutient que la
réponse à cette question est évidente. A la lumière des changements qui se sont
produits dans les circonstances au coeur de cette affaire, les points soulevés par
l’affaire sont devenues des questions abstraites dont la solution est sans objet. La
Belgique ira plus loin. La Belgique soutient que, en l’absence d’un différend concret
persistant entre les Parties sur les points litigieux, une décision de la Cour quant au
fond pourrait avoir un effet contre-productif.
2.33 Comme détaillé dans la Partie I du présent contre-mémoire, l’affaire de la
RDC a tourné dès le début autour de la fonction ministérielle de la personne visée par
le mandat d’arrêt. C’est dans ce cadre que la Requête introductive d’instance a été

98 Essais nucléaires, supra, §§ 55 et 58 respectivement.
99 Essais nucléaires, supra, §§ 58 et 61 respectivement.
100 Essais nucléaires, supra, §§ 56–59 et 59–62 respectivement.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
44
déposée. Au cours de la phase sur les mesures conservatoires, la fonction de ministre
de M. Yerodia Ndombasi a explicitement été mentionnée par la RDC comme la raison
d’être de l’affaire. Cette question a également été au centre des préoccupations du
mémoire de la RDC.
2.34 On ne manquera pas d’arguer que, telle qu’elle est reformulée dans le
mémoire de la RDC, l’affaire porte sur l’allégation que la Belgique était en infraction
du droit international suite à l’émission et à la transmission du mandat d’arrêt et
qu’une déclaration en ce sens est l’objet constant et légitime de la procédure.
Toutefois, la réalité est fort différente. Comme on l’a déjà fait remarquer, la RDC ne
demande pas de dommages et intérêts compensatoires et ne fait état d’aucun préjudice
particulier. La RDC demande le retrait et l’annulation du mandat d’arrêt par une
décision de la Cour au motif que le mandat d’arrêt viole l’immunité du ministre des
Affaires étrangères. L’émission et la transmission du mandat d’arrêt n’étaient
cependant pas fondés sur la fonction de la personne visée par le mandat en sa qualité
de ministre des Affaires étrangères. Et la personne visée n’est pas aujourd’hui
ministre des Affaires étrangères. Il n’y a donc plus aucun fondement aux demandes
formulées par la RDC à la Cour même en supposant, arguendo, que l’affaire
présentée par la RDC puisse être fondée.
2.35 Il est encore demandé à la Cour de déclarer que la Belgique, en émettant et
en transmettant le mandat d’arrêt, a violé l’immunité du ministre des Affaires
étrangères de la RDC. Toutefois, cette conclusion tombe sous le coup des principes
énoncés par la Cour dans les affaires du Cameroun septentrional et des Essais
nucléaires. Or, dans les circonstances présentes, un jugement de la Cour quant au
fond ne pourrait avoir que deux objectifs. Soit, éclaircir le droit pour les besoins du
futur. Soit renforcer la position de l’une ou de l’autre des parties. Dans un cas comme
dans l’autre, si la Cour venait à se prononcer sur le fond, cela reviendrait à
transformer la fonction judiciaire de la Cour en une procédure consultative. Ces deux
objectifs ont été clairement rejetés par la Cour dans les affaires du Cameroun
septentrional et des Essais nucléaires pour le motif qu’ils n’étaient pas une raison
suffisante pour que la Cour se prononce quant au fond. Le principe valant dans ces
affaires s’applique avec une même pertinence à la présente affaire.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
45
2.36 Un autre point doit être mentionné. Comme il est généralement acquis, et
comme on le verra dans la Partie III du présent contre-mémoire, les questions de droit
abstraites soulevées par cette instance sont au centre du débat sur la responsabilité
individuelle des crimes internationaux. Bien que cette question soit profondément
enracinée dans le droit international, comme le montre la partie III, le débat sur la
portée et l’application de principes qui ont émergé d’instruments tels que la Charte de
Nuremberg a connu de nouveaux développements en matière de compétence et
d’immunité à propos d’actes de torture, et à la suite de certains événements tels que la
création par le Conseil de sécurité des Nations Unies de tribunaux pour traiter les
atrocités commises en ex-Yougoslavie, au Rwanda et en Sierra Leone, ainsi que
l’adoption et l’entrée en vigueur prochaine du Statut de la Cour pénale internationale.
2.37 Dans ce contexte, un jugement de la Cour sur le fond de la présente affaire
influencerait inévitablement l’évolution du débat, quelle que soit la direction que
prendrait la décision de la Cour. C’est pourquoi deux questions sont pertinentes.
D’abord, si le différend n’a plus de dimension concrète, conviendrait-il que, dans le
contexte de procédures juridiques bilatérales, la Cour rende ce qui serait, de fait, un
avis consultatif sur des questions qui intéressent la communauté internationale dans
son ensemble ? Ensuite, en l’absence d’un différend concret persistant ou d’une
demande adéquate d’un avis consultatif, conviendrait-il que la Cour se penche sur ces
questions compte tenu du fait que cela conférerait à la Cour un rôle quasi législatif au
lieu d’un rôle juridictionnel ou déclaratoire?
2.38 De l’avis de la Belgique, la Cour joue, dans des circonstances adéquates, un
rôle d’importance centrale dans les décisions judiciaires portant sur des différends
concrets entre des Etats. Toutefois, en l’absence d’un différend concret persistant
entre les Parties et qui nécessite une solution pratique, la Cour dépasserait sa fonction
juridictionnelle en jugeant sur le fond les questions soulevées par la présente affaire.
La Belgique soutient par conséquent que, à la lumière du fait que M. Yerodia
Ndombasi n’est plus ni ministre des Affaires étrangères de la RDC ni ministre ayant
une quelconque autre fonction au sein du gouvernement de la RDC, l’affaire est
maintenant sans objet et la Cour devrait dès lors s’abstenir de passer jugement sur le
fond.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
46
C. Troisième conclusion : l’affaire, telle qu’elle se présente aujourd’hui, est
substantiellement différente que celle décrite dans la Requête introductive
d’instance
2.39 L’article 40(1) du Statut de la Cour exige que le “[o]bjet du différend” soit
indiqué dans la Requête introductive d’instance. L’article 38(2) du Règlement de la
Cour stipule par ailleurs que “la nature précise de la demande” doit être décrite dans
la Requête. L’objet de ces deux dispositions est d’exiger que dès le moment où
l’instance est introduite, l’objet du différend est suffisamment circonscrit pour
permettre au défendeur, à la Cour et aux Etats tiers d’apprécier clairement la nature du
différend.
2.40 La Cour a affirmé, de manière répétée, combien la clarté et la précision lors
de l’introduction d’une instance sont importantes pour une bonne administration de la
justice. Par exemple, en se référant à ces clauses du Statut et du Règlement, la Cour a
remarqué dans l’affaire de la compétence en matière de pêcheries, que :
“La Cour a eu l'occasion, par le passée de se reférer à plusieurs
reprises à ces dispositions. Elle les a qualifiées d'«essentielles au
regard de la sécurité juridique et de la bonne administration de la
justice» et, sur cette base, a conclu à l'irrecevabilité des demandes
nouvelles, formulées en cours d'instance, qui, si elles avaient été
accueillies, auraient transformé l'objet du différend originellement
porté devant elle aux termes de la requête (Certaines terres à
Phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 266-267; voir aussi Administration du
prince von Pless, ordonnance du 4 février 1933, C.P.J.I. série A/B
n
o
52, p. 14 et Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939,
C.P.J.I. série A/B no
78, p. 173)”101
2.41 L’exigence de clarté et de précision lors de l’introduction d’une instance a un
corollaire. Il serait contraire à la sécurité juridique et à la bonne administration de la
justice qu’un demandeur poursuive une procédure judiciaire lorsque les faits sur
lesquels reposait la Requête introductive d’instance subissent un changement
fondamental. En de telles circonstances, le préjudice pour le défendeur serait du
même ordre que dans le cas d’une transformation de l’objet du différend en cours de

101 CIJ, arrêt du 8 décembre 1998, Compétence en matière de pêcheries, Rec. 1998, § 29.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
47
procédure. L’affaire prendrait un tour artificiel. Le défendeur resterait jusqu’au tout
dernier moment dans l’incertitude quant au fond de l’affaire introduite contre lui.
L’affaire n’aurait plus pour raison d’être la solution d’un différend entre les parties et
deviendrait un problème de principes juridiques considérés in abstracto. Il est
significatif que dans une procédure interne, un requérant qui souhaite poursuivre une
affaire dans de telles circonstances doit demander l’autorisation d’amender sa
réclamation afin que celle-ci reste claire pour toutes les parties et instances
impliquées.
2.42 Dans la présente affaire, les faits sous-jacents à la demande soumise
aujourd’hui à la Cour sont substantiellement différents de ceux décrits dans la
Requête introductive d’instance de la RDC. Il ressort pourtant du mémoire que la
RDC se comporte comme si les éléments qui sont au coeur de la plainte introduite
initialement n’avaient jamais changé. Or l’affaire varie quant aux questions de droit
et aux demandes présentées à la Cour. Pourtant, il n’est tenu aucun compte des
modifications fondamentales intervenues dans l’affaire.
2.43 Au cours de la phase sur les mesures conservatoires, la Belgique a soutenu
dans ses conclusions finales devant la Cour que les changements de circonstances
consécutifs au changement de portefeuille de M. Yerodia Ndombasi nominé ministre
de l’Education nationale “entraînent des modifications si fondamentales de l’affaire
qu’a introduite la République démocratique du Congo par sa requête du 17 octobre
2000 qu’elles sapent tout fondement juridique et procédural sur lequel la procédure
pourrait se poursuivre au titre de cette requête”102
La Belgique avait attiré l’attention
sur la jurisprudence de la Cour relative à l’article 40(1) du Statut et à l’article 38(2)
du Règlement (comme noté ci-avant), et elle avait conclu:
“La requête introduisant l'instance dans laquelle s'inscrit la présente
procédure ne saurait éminemment pas, selon le droit établi, servir à
présenter une demande reposant sur le changement de statut de M.
Yerodia Ndombasi, qui n'est plus ministre des affaires étrangères de
la République démocratique du Congo.”103

102 CIJ, CR 2000/35, § 21 des conclusions de M. Bethlehem (traduction).
103 CIJ, CR 2000/35, § 29 des conclusions de M. Bethlehem.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
48
2.44 Dans son Ordonnance sur les mesures conservatoires, la Cour a conclu que
les nouvelles fonctions ministérielles exercées par M. Yerodia Ndombasi en tant que
ministre de l’Education nationale avaient pour effet que la requête n’avait pas, à ce
stade, été privée de son objet.104
2.45 Depuis lors, M. Yerodia Ndombasi a perdu toute fonction au sein du
gouvernement de la RDC. Cette circonstance s’est manifestée bien avant que la RDC
ait déposé son mémoire devant la Cour. Pourtant, l’essence même de la demande de
la RDC reste l’allégation que la Belgique continue à violer le droit international pour
avoir émis et transmis un mandat d’arrêt à charge du ministre des Affaires étrangères
de la RDC.
2.46 Lorsque la RDC a déposé sa Requête introductive d’instance, le 17 octobre
2000, la Belgique faisait l’objet d’une réclamation concernant les immunités du
ministre des Affaires étrangères de la RDC. Le 20 novembre 2000, en plein milieu de
la phase sur les mesures conservatoires, cette réclamation – comme l’affirme
explicitement la RDC – s’est métamorphosée en une réclamation relative aux
immunités d’un ministre de l’Education nationale. Le 15 avril 2001, après la
formation du nouveau gouvernement de la RDC dont M. Yerodia Ndombasi était
absent, cette réclamation a perdu tout objet. Un mois plus tard, lors du dépôt du
mémoire de la RDC, la plainte ressuscite en une allégation que, par l’émission et la
transmission du mandat d’arrêt contre le ministre des Affaires étrangères de la RDC,
la Belgique viole le droit international. Peut-être la Cour excusera-t-elle la Belgique
de se demander quel sera le prochain revirement de procédure.
2.47 A la lumière de ces changements, se pose la question de savoir pourquoi la
RDC a persisté à formuler sa demande par référence aux immunités de son ministre
des Affaires étrangères. La réponse saute aux yeux. Vu les termes de la Requête
introductive d’instance, toute transformation de l’affaire qui l’écarte de l’objet initial
de la cause aurait presque inévitablement conduit en une déclaration d’irrecevabilité.
Au cours de la phase sur les mesures conservatoires, la Belgique a clairement indiqué
qu’elle allait argumenter en ce sens. C’est pourquoi, en se concentrant sur

104 Ordonnance sur les mesures conservatoires, §§ 56–57.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
49
l’immunité de son ministre des Affaires étrangères, la RDC cherche seulement à
esquiver les problèmes de recevabilité qui surgiraient inévitablement si l’affaire était
reformulée de manière à refléter correctement la situation actuelle.
2.48 La question que la Cour doit maintenant trancher est de savoir si par ce biais,
la RDC peut être autorisée à présenter une demande qui, à raison des faits de la cause,
est substantiellement différente de la demande présentée dans sa Requête initiale. La
Belgique soutient que cela ne peut être admis. La sécurité juridique et la bonne
administration de la justice exigent que la clarté et la précision qui s’imposent à un
demandeur dans sa Requête introductive d’instance soient également requises quant à
la manière dont l’affaire est poursuivie. Toute autre approche serait contraire au
principe d’une bonne administration de la justice et ouvrirait la voie à des procédures
menées de façon injustement préjudiciable au défendeur.
2.49 Dans différents domaines, la Cour a entrepris récemment de veiller à ce que
le processus judiciaire soit plus efficace et son effet juridique plus important. Les
délais de procédure ont été raccourcis. Des procédures exceptionnelles ont été
introduites, comme dans la présente affaire. Les Ordonnances sur les mesures
conservatoires ont été déclarées contraignantes 105. La Belgique estime que, par souci
de cohérence avec ces développements, la Cour devrait clairement faire savoir que la
bonne administration de la justice exclut qu’une procédure soit poursuivie lorsque la
dimension factuelle sous-jacente au coeur de l’affaire a été fondamentalement
modifiée après le dépôt de la Requête introductive d’instance. Dans de telles
circonstances, si un demandeur souhaite poursuivre une instance, il faudrait exiger
qu’il introduise une nouvelle requête ou, pour le moins, demande à la Cour la
permission d’amender sa Requête initiale selon une procédure permettant au
défendeur de formuler ses remarques.
2.50 Eu égard à ce qui précède, la Belgique considère que le changement
fondamental des circonstances de fait par rapport à la Requête introductive d’instance
de la RDC a pour résultat que la Cour n’est pas compétente en l’instance et /ou que la
demande est irrecevable.

105 CIJ, arrêt du du 27 juin 2001, Lagrand (L'Allemagne c. Etats-Unis, inédit, § 109.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
50
D. Quatrième conclusion : l’affaire prend aujourd’hui la forme d’un
exercice de la protection diplomatique mais toutes les voies de recours internes
n’ont pas été épuisées
2.51 Au cours de la phase sur les mesures conservatoires de la procédure,106 et à
nouveau dans son mémoire,107 la RDC a affirmé qu’elle n’avait pas entamé une
procédure pour exercer un droit de protection diplomatique. Dans la mesure où la
Requête initiale et les faits sous-jacents à celle-ci concernaient la fonction de ministre
des Affaires étrangères en exercice de la RDC, la Belgique reconnaît que la RDC a
agi par rapport à une cause dans laquelle elle avait un intérêt juridique direct. La
fonction a cependant changé fondamentalement le 15 avril 2001, lorsque M. Yerodia
Ndombasi a cessé de faire partie du gouvernement de la RDC. Dès ce moment-là,
sous divers aspects importants, l’affaire a pris le caractère d’une action visant à
exercer la protection diplomatique.
2.52 Comme on l’a déjà dit, le mémoire de la RDC met l’accent principalement
sur les immunités de ministres des Affaires étrangères. Les demandes de la RDC à la
Cour soulèvent toutefois des questions qui s’inscrivent dans le domaine de la
protection diplomatique. Ainsi, nonobstant le fait que l’émission et la transmission du
mandat d’arrêt n’ont rien à voir avec le statut ministériel de M. Yerodia Ndombasi, et
qu’il n’occupe plus de poste ministériel au sein du gouvernement de la RDC, la RDC
a demandé à la Cour de déclarer entre autres (a) que le mandat d’arrêt ne puisse pas
être exécuté, que ce soit par la Belgique ou par tout autre Etat, et (b) que la Belgique
retire et annule le mandat d’arrêt.108
2.53 Vu le statut de simple citoyen de M. Yerodia Ndombasi aujourd’hui, ces
demandes dépassent le cadre des intérêts directs et indépendants de la RDC.
Qualifiées correctement, ces demandes concernent l’effet juridique d’un mandat
d’arrêt imputant à un ressortissant de la RDC des crimes de guerre et des crimes
contre l’humanité. En d’autres termes, elles portent sur des questions qui, bien que

106 CIJ, CR 2000/32, pp.19–20.
107 Mémoire RDC, § 56.
108 Mémoire RDC, §§ 97(3) et (4).
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
51
concernant indirectement la RDC à travers la personne d’un de ses ressortissants,
n’engagent pas les intérêts de la RDC indépendamment de son statut de ressortissant.
Ce point illustre l’incohérence de l’argumentation de la RDC. D’une part, celle-ci
prétend poursuivre les intérêts de l’Etat. D’autre part, pourtant, ses demandes à la
Cour sont centrées sur les intérêts d’un de ses ressortissants agissant en sa capacité
individuelle.
2.54 Le principe est bien connu en droit international: avant qu’un Etat ne puisse
prendre fait et cause, dans une procédure internationale, pour un de ses ressortissants,
il faut que ce ressortissant ait épuisé, au préalable, toutes les voies de recours internes
qui sont à sa disposition dans l’Etat auquel on reproche certains actes. La Cour, dans
l’affaire de l’Interhandel, a exprimé la question en ces termes :
“La règle selon laquelle les recours internes doivent être épuisés
avant qu’une procédure internationale puisse être engagée est une
règle bien établie du droit international coutumier ; elle a été
généralement observée dans les cas où un Etat prend fait et cause
pour son ressortissant dont les droits auraient été lésés dans un autre
Etat en violation du droit international. Avant de recourir à la
juridication internationale, il a été considéré en pareil cas nécessaire
que l’Etat où la lésion a été commise puisse y remédier par ses
propres moyens, dans le carde de son ordre juridique interne.”109
2.55 Prévoyant sans doute que la Belgique soulèverait la question de l’épuisement
des voies de recours internes, la RDC aborde la question dans son mémoire, en
soutenant, pour l’essentiel, que dans le cas d’un mandat d’arrêt émis par défaut
(comme dans la présente affaire), la personne visée par le mandat d’arrêt ne dispose
d’aucun moyen de contester le mandat avant de se faire arrêter et emprisonner.110
2.56 Le mémoire poursuit :
“Dans le droit de la procedure pénale belge, la seule possibilité de
contester le mandat d’arrêt avant l’arrestation de la personne qui y
est visée est de solliciter du juge d’instruction puis, en case de refus,
d’une juridiction d’instruction supérieure, un nouvel acte
d’instruction après avoir pris connaissance du dossier d’instruction.

109 CIJ, arrêt du 21 novembre 1959, Interhandel, Rec. 1959, p. 27.
110 Mémoire RDC, § 56.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
52
Toutefois, le simple accès à ce dossier fut refusé par le juge
Vandermeersch à Monsieur Yerodia pas ordonnance du 12 octobre
2000. Cette ordonnance fut confirmée par l’arrêt du 12 mars 2001
prononcé par la Chambre des mises en accusation de la Cour
d’appel de Bruxelles, sur conclusions conformes du Premier Avocat
general. Il est donc clair que, du point de vue de toutes les autorités
judiciares belges, le mandat d’arrêt ne pourrait pas être levé et serait
conforme au droit international, ce qu’a d’ailleurs soutenu la Partie
défenderesse lors des plaidoiries relatives à la demande d’indication
de mesures conservatoires.”111
2.57 Plusieurs remarques s’imposent. Premièrement, comme on l’a dit dans la
Partie I du présent contre-mémoire,112 la Cour d’appel de Bruxelles a donné deux
raisons pour refuser à M. Yerodia Ndombasi l’accès à son dossier : (a) il était craint
que l’accès au dossier puisse conduire à des actes de représailles contre les plaignants
ou d’autres personnes; (b) le demandeur était, en fait, pleinement au courant des
allégations portées contre lui à la suite de l’émission du mandat d’arrêt.
2.58 Deuxièmement, une demande d’accès au dossier est entièrement distincte
d’une demande contestant l’émission d’un mandat d’arrêt pour motif d’incompétence
de la part du juge d’instruction. Comme on l’a déjà dit, la Belgique n’a pas
connaissance d’une demande de M. Yerodia Ndombasi visant à obtenir l’annulation
du mandat d’arrêt.
2.59 Troisièmement, la Belgique n’a pas davantage connaissance d’une
quelconque demande faite par, ou au nom de, M. Yerodia Ndombasi à quelque
instance belge que ce soit, tribunaux, parquet, ministère de la Justice ou ministère des
Affaires étrangères, afin de contester le mandat d’arrêt pour motif d’incompétence du
juge concerné ou pour tout autre motif que ce soit.
2.60 Si l’on examine le droit applicable aux voies de recours internes, à la lumière
du jugement rendu par la Cour dans l’affaire Elettronica Sicula (“ELSI”)113, deux
principes d’application générale ressortent de cette décision:

111 Mémoire RDC, § 56.
112 Voir §§ 1.14–1.15 ci-dessus.
113 CIJ, arrêt du 20 juillet 1989, Elettronica Sicula (ELSI), Rec. 1989, p. 15.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
53
(a) la règle des recours internes ne requiert pas qu’une plainte soit introduite
auprès des tribunaux internes dans une forme et avec une argumentation qui
soient celles convenant à un tribunal international, appliquant un droit
différent à des parties distinctes;114 et
(b) c’est à la partie qui déclare que les voies de recours internes n’ont pas été
épuisées qu’il appartient de prouver que ces voies existaient et que le
ressortissant étranger ne les a pas utilisées.115
2.61 Au delà de ces principes, l’application de la règle des recours internes a fait
l’objet d’un examen approfondi par la Commission d’arbitrage de 1956, dans l’affaire
Ambatielos, en des termes qui méritent d’être repris presqu’intégralement :
“The [local remedies] rule thus invoked by the United Kingdom
Government is well established in international law. Nor is its
existence contested by the Greek Government. It means that the
State against which an international action is brought for injuries
suffered by private individuals has the right to resist such an action
if the persons alleged to have been injured have not first exhausted
all the remedies available to them under the municipal law of that
State. The defendant State has the right to demand that full
advantage shall have been taken of all local remedies before the
matters in dispute are taken up on the international level by the State
of which the persons alleged to have been injured are nationals.
In order to contend successfully that international proceedings are
inadmissible, the defendant State must prove the existence, in its
system of internal law, of remedies which have not been used. The
views expressed by writers and in judicial precedents, however,
coincide in that the existence of remedies which are obviously
ineffective is not held to be sufficient to justify the application of the
rule. Remedies which could not rectify the situation cannot be
relied upon by the defendant State as precluding an international
action.

Although this question has hardly been studied by writers and
although it does not seem, hitherto, to have been the subject of
judicial decisions, it is hardly possible to limit the scope of the rule
of prior exhaustion of local remedies to recourse to local courts.

114 ELSI, supra, § 59.
115 ELSI, supra, § 62.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
54
The rule requires that ‘local remedies’ shall have been exhausted
before an international action can be brought. These ‘local
remedies’ include not only reference to the courts and tribunals, but
also the use of the procedural facilities which municipal law makes
available to litigants before such courts and tribunals. It is the
whole system of legal protection, as provided by municipal law,
which must have been put to the test before a State, as the protector
of its nationals, can prosecute the claim on the international plane.

It is clear, however, that it cannot be strained too far. Taken
literally, it would imply that the fact of having neglected to make
use of some means of procedure – even one which is not important
to the defence of the action – would suffice to allow a defendant
State to claim that local remedies have not been exhausted, and that,
therefore, an international action cannot be brought. This would
confer on the rule of the prior exhaustion of local remedies a scope
which is unacceptable.
In the view of the Commission the non-utilisation of certain means
of procedure can be accepted as constituting a gap in the exhaustion
of local remedies only if the use of these means of procedure were
essential to establish the claimant’s case before the municipal
courts.”116

116 "La règle [des voies de recours internes] ainsi invoqué par le gouvernement du Royaume-Uni est
bien ancrée dans le droit international. Et le gouvernement grec ne conteste pas son existence. Cela
signifie que l’Etat contre lequel une action internationale en justice est intentée pour des dommages
encourus par des personnes individuelles, peut refuser cette action si les personnes supposées lésées
n’ont pas d’abord épuisé toutes les voies de recours internes à leur disposition en vertu du droit interne
de cet Etat. L’Etat défendeur a le droit d’exiger qu’il soit fait plein usage de tous les recours internes
avant que les points du différend soient soumis à une instance internationale par l’Etat dont les
personnes supposées lésées sont ressortissants.
Pour contester valablement que la procédure internationale n’est pas recevable, l’Etat défendeur doit
apporter la preuve de l’existence, dans son système de droit interne, de voies de recours qui n’ont pas
été utilisées. Les auteurs et la jurisprudence sont cependant d’accord pour dire que l’existence de voies
de recours qui sont manifestement inefficaces ne suffit pas à justifier l’application de la règle. L’Etat
défendeur ne saurait invoquer des voies de recours qui ne permettent pas de réparer la situation pour
s’opposer à une action internationale.

Bien que cette question n’ait été abordée que vaguement par les auteurs, et bien qu’elle ne semble pas,
à ce jour, avoir été l’objet de décisions judiciaires, il est difficile de limiter la portée de la règle
d’épuisement préalable des voies de recours internes au simple recours devant les tribunaux internes.
La règle veut que « les voies de recours internes » doivent avoir été épuisées avant qu’une action
internationale puisse être intentée. Ces « voies de recours internes » ne font pas seulement référence
aux cours et tribunaux, mais également aux possibilités procédurales que le droit interne met à la
disposition des plaideurs devant ces cours et tribunaux. C’est l’ensemble des moyens de protection
légale tels que fournis par le droit interne qui doit avoir été tenté avant qu’un Etat, en qualité de
protecteur de ses ressortissants, puisse entamer une plainte au niveau international.

Il est toutefois clair qu’il ne faut pas aller trop loin. Si l’on interprète la règle littéralement, cela
impliquerait qu’il suffirait d’avoir négligé d’utiliser l’un ou l’autre moyen de procédure – même un
moyen peu important dans la défense – pour permettre à un Etat défendeur de prétendre que les voies
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
55
2.62 En dehors de cet exposé de droit, d’autres principes pertinents en termes de
l’application des voies de recours internes sont clairement résumés par Sir Robert
Jennings et Sir Arthur Watts dans leur Oppenheim’s International Law. On citera
plus particulièrement deux autres principes pertinents pour la présente affaire:
(a) La règle des recours internes requiert qu’on ait utilisé toutes les voies de
recours legales disponibles dans le droit interne et aptes, en principe, à
fournir un moyen efficace et suffisant pour réparer les torts qui sont supposés
avoir été causés, même si ces voies de recours peuvent être considérées
d’une nature extraordinaire;117
(b) lorsque le défendeur a démontré qu’un recours interne existait, c’est au
requérant de démontrer qu’il a été utilisé ou qu’il était inadéquat.118
2.63 En résumé de ce qui précède, l’on peut énumérer les principes de droit
relatifs à la règle des recours internes et pertinents en l’espèce :
(a) C’est à la Belgique de prouver qu’il existe une voie de recours que M.
Yerodia Ndombasi n’a pas utilisée;
(b) Un tel recours n’est pas limité seulement à une procédure devant les
tribunaux belges, mais s’étend à tout le système de protection juridique prévu
par le droit interne, en ce compris les règles de procédure, qui peuvent offrir
un moyen efficace et suffisant pour réparer les dommages allégués;

de recours interne n’ont pas été épuisées et qu’une action internationale ne peut par conséquent pas être
menée. Cela donnerait une portée inacceptable à la règle exigeant l’épuisement préalable des voies de
recours interne.
Selon l’opinion de la Commission, la non-utilisation d’un moyen de procédure particulier ne peut être
considéré comme constituant une lacune dans l’épuisement des recours internes que lorsque
l’utilisation de ce moyen de procédure était essentiel pour établir la demande du demandeur auprès des
tribunaux internes." (Traduction non officielle de la Belgique; souligné par la Belgique)
Sentence arbitrale de la Commission d’arbitrage du 6 mars 1956, Ambatielos Claim (Grèce c.
Royaume-Uni), 23 International Law Reports, pp. 334–336 (souligné par la Belgique).
117 JENNINGS et WATTS, Oppenheim’s International Law (9th ed., 1992), p. 524, note 6. Voir aussi
Nielsen v. Government of Denmark (1959) 28 International Law Reports, p. 210.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
56
(c) Dès lors que la Belgique a fourni une preuve suffisante de l’existence d’une
voie de recours interne répondant aux critères décrits ci-dessus, ce sera à la
RDC de démontrer que ce moyen a été épuisé ou était inadéquat.
2.64 En l’occurence, la Belgique soutient que M. Yerodia Ndombasi n’a, de fait,
pas épuisé au moins une des possibilities de réparation en Belgique qui, si elle avait
triomphé, aurait offert un moyen efficace et suffisant de réparer le préjudice allégué.
2.65 Selon une pratique admise en droit pénal belge, des personnes qui font
l’objet d’une instruction criminelle et/ou d’un mandat d’arrêt émis par un juge
d’instruction peuvent soumettre un memorandum juridique au juge concerné aux fins
de contester sa compétence et la validité de tout mandat apparaissant comme un excès
de pouvoir. Le juge n’est pas tenu de donner suite à ces moyens. Toutefois, s’il
considère que les moyens portent sur des points importants concernant sa compétence
ou la recevabilité de la requête, il doit soumettre la question au tribunal pour décision.
2.66 Comme il est apparu clairement et publiquement, la loi belge de 1993,
amendée en 1999, sur laquelle se base l’émission du mandat d’arrêt, comprend une
anomalie non encore résolue. Elle porte sur l’application possible de l’article 12, § 1,
du titre préliminaire du code d’instruction criminelle belge. Celui-ci prévoit qu’en
règle générale, toute poursuite d’une infraction n’aura lieu que si l’inculpé est trouvé
en Belgique. En voici le texte :
“Sauf dans les cas prévus aux articles 6, nos. 1 et 2, 10, nos. 1 et 2,
ainsi qu’à l’article 10bis, la poursuite des infractions dont il s’agit
dans le présent chapitre n’aura lieu que si l’inculpé est trouvé en
Belgique.” 119
2.67 La question de savoir si l’article 12, § 1, c.i.c., titre préliminaire, s’applique à
la loi belge de 1993, telle qu’amendée, n’est pas encore résolue. Au cours des débats

118 Oppenheim’s International Law, supra, p. 526. Voir aussi l’affaire Velasquez Rodriguez (1989), 28
International Legal Materials, p. 291.
119 C .i.c., titre préliminaire, article 12, § 1. (Annexe 6) (NB : L’intitulé exacte de cette partie du code
d’instruction criminelle est « Loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure
pénale » : par commodité, cette partie sera appelée ci-après : « c.i.c., titre préliminaire ».) Les articles
6, 10 et 10bis auxquels il est ici fait référence concernent des faits commis contre la sureté de l’Etat, la
contrefaçon de monnaie belge et le manquement illégal au devoir du service militaire.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
57
publics sur la question, des arguments solides ont pu être émis de part et d’autre. La
question n’a pas encore été tranchée par les tribunaux belges.
2.68 Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail de ce débat pour la présente
espèce. Il est toutefois clair que, si les tribunaux belges étaient amenés à appliquer
cette disposition à la loi amendée de 1993, cela invaliderait l’émission de mandats
d’arrêt dans les circonstances où la personne visée n’est pas trouvée en Belgique.
C’est le cas du mandat d’arrêt visant M. Yerodia Ndombasi. Quoi qu'il en soit, ce
n'est pas là une question qui préoccupe la Cour.
2.69 Ce qui est essentiel pour la présente procédure, c’est que cette question a été
soulevée – et posée publiquement – devant le juge d’instruction belge dans une autre
affaire instruite récemment dans le cadre de la loi de 1993 relative aux plaintes
dirigées contre l’actuel Premier ministre d’Israël, M. Ariel Sharon. Le conseil
agissant au nom de l’Etat d’Israël argumenta entre autres que l’article 12, § 1, c.i.c.,
titre préliminaire, s’appliquerait à la loi amendée de 1993, et que le juge d’instruction
n’était en conséquence pas compétent puisque la personne visée ne se trouvait pas en
Belgique. Le juge d’instruction concerné par cette affaire examine la question en ce
moment. A l’heure où le présent contre-mémoire est achevé, tout porte à croire que le
juge renverra cette question au tribunal pour décision. Dans l’intérêt de la justice, et
dans la mesure où la décision du tribunal dans l’affaire de la plainte contre M. Sharon
aurait des répercussions sur la validité du mandat d’arrêt émis contre M. Yerodia
Ndombasi , il est probable que le procureur joindra proprio motu l’affaire de M.
Yerodia Ndombasi à celle de M. Sharon devant le tribunal.
2.70 La Belgique soutient que M. Yerodia Ndombasi a eu, dès le départ,
l’occasion de contester, à titre personnel, la compétence du juge d’instruction par
rapport à l’article 12, § 1, c.i.c., titre préliminaire. En présentant des conclusions en
ce sens au juge d’instruction, M. Yerodia Ndombasi aurait eu, par ailleurs, l’occasion
d’argumenter au moyen du droit international que le principe de compétence
territoriale énoncé à l’article 12, § 1, s'applique à la loi amendée de 1993.
2.71 Alors que l’issue probable d’une telle procédure n’est pas claire – et est en
fin de compte une affaire relevant du pouvoir judiciaire belge et non du gouvernement
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
58
– il est clair que depuis le début de l’affaire, M. Yerodia Ndombasi disposait d’une
voie de recours interne, au moins, qu’il n’a pas utilisée. En effet, non seulement il n’a
pas usé de cette procédure, mais rien ne suggère qu’il se soit sérieusement informé sur
l’existence de voies de recours internes.
2.72 Comme la Belgique l’a remarqué plusieurs fois, le fait que M. Yerodia
Ndombasi n’occupe plus de poste officiel au sein du gouvernement de la RDC a
radicalement modifié cette affaire. Telle qu’elle se présente aujourd’hui, l’affaire
peut être vue sous deux angles. Soit elle porte sur des questions abstraites relatives
aux immunités de ministres des Affaires étrangères. Soit il s’agit en pratique d’une
action visant à assurer la protection diplomatique d’un ressortissant de la RDC.
Comme il a été remarqué au début de cette section, deux des demandes faites à la
Cour par la RDC dans les conclusions finales de son mémoire, concernent en pratique
les effets juridiques d’un mandat d’arrêt visant un citoyen de la RDC. La Belgique
soutient qu’en pareille circonstance, une condition préalable à la compétence de la
Cour et/ou à la recevabilité de la requête réside dans l’obligation pour la personne
visée d’épuiser d’abord toutes les voies de recours internes susceptibles de fournir un
moyen efficace et suffisant de réparation des dommages supposés.
2.73 Comme indiqué plus haut, M. Yerodia Ndombasi n’a pas épuisé les moyens
de réparation qui étaient à sa disposition dans le cadre du droit et des procédures
belges. La Belgique soutient, en consequence, que la Cour n’est pas compétente en
l’instance introduite par la RDC et/ou que sa requête est irrecevable.
E. Cinquième conclusion: la règle non ultra petita limite la compétence de
la Cour aux points contentieux qui font l’objet des conclusions finales de la RDC.
2.74 A titre accessoire et au cas où la Cour devait décider qu’elle est compétente
en cette instance et que la requête est recevable, la Belgique soutient que la règle non
ultra petita limite la compétence de la Cour aux seuls points litigieux qui font l’objet
des conclusions finales de la RDC. Ce point peut être traité brièvement.
2.75 La règle non ultra petita – appliquée par la Cour pour la première fois dans
son jugement relatif à l’affaire du Détroit de Corfou (Fixation du montant des
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
59
réparations)120 – a été formulée par la Cour dans l’affaire du Droit d’asile (Demande
d’interprétation) dans les termes suivants :
“que la Cour a le devoir de répondre aux demandes des parties telles qu’elles
s’expriment dans leurs conclusions finales, mais aussi celui de s’abstenir de
statuer sur des points non compromis dans lesdites demandes ainsi
exprimées.”
121
2.76 Le principe a ensuite été réitéré et appliqué par la Cour dans plusieurs autres
affaires. Par exemple, dans l’affaire de la Barcelona Traction, la Cour a considéré
qu’ “[e]lle ne saurait aller au-delà de la demande telle qu’elle a été formulée par le
Gouvernement belge et n’examinera pas la question plus avant”.122
2.77 Shabtai Rosenne, commentant la règle, a remarqué que
“[w]hile not disputing the view that the non ultra petita rule may
properly be regarded as one of procedure, in international litigation
it is also appropriate to regard it as an aspect of jurisdiction. As
such, however, it has a quantitative and not a qualitative effect. It
does not confer jurisdiction on la Cour or detract jurisdiction from
it. It limits the extent to which la Cour may go in its decision.”123
2.78 Comme indiqué à la Partie I du présent contre-mémoire, la demande
formulée dans le mémoire de la RDC s’écarte sur des points importants de la demande
telle qu’elle avait été formulée dans sa Requête introductive d’instance. Mais de
manière plus significative pour l’argumentation présente, les demandes faites à la
Cour dans les conclusions finales du mémoire de la RDC sont confinées à certains
aspects de l’affaire telle qu’elle est argumentée dans le mémoire. Plus
particulièrement, les conclusions finales de la RDC ne formulent aucune demande à la
Cour relative à la portée et au contenu du droit sur la compétence universelle. Comme

120 CIJ, arrêt du 15 décembre 1949, Détroit de Corfou (Fixation du montant des réparations), Rec.
1949, p. 249.
121 CIJ, Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950, Droit d’asile, Rec. 1950, p. 402.
122 CIJ, Barcelona Traction, Light and Power Company, Rec. 1970, p. 3, § 49.
123 "Il ne contredit pas le point de vue que la règle non ultra petita peut être considérée comme une
règle du procédure, mais en litige international il est aussi approprié de la considérer comme un aspect
de compétence. En tant que telle, cependant, elle a un effet quantitatif et non pas qualitatif. Elle ne
donne pas de compétence à la Cour ni ne lui retire la compétence. Elle limite la Cour dans la portée de
sa décision." (Traduction non officielle de la Belgique) Rosenne, The Law and Practice of the
International Court, 1920–1996 (3rd ed., 1997), Volume II, p. 595.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
60
la Belgique l’a déjà fait remarquer 124, la RDC a suggéré explicitement dans son
mémoire que la Cour pouvait s’abstenir de traiter la question de compétence et
prendre une décision en ce sens.
2.79 Dans l’éventualité où – contrairement aux conclusions développées par la
Belgique dans cette Partie – la Cour devait juger qu’elle a compétence et que la
requête est recevable, la Belgique soutient que la règle non ultra petita a pour effet de
limiter la compétence de la Cour aux seuls éléments qui sont spécifiquement repris
dans les conclusions finales de la RDC. Comme l’a observé la Cour dans l’affaire du
Droit d’asile (Demande d’interprétation), la Cour doit s’abstenir de juger de
questions qui ne sont pas reprises dans les conclusions finales des parties.
F. Conclusions concernant la Partie II
2.80 Pour résumer cette partie du contre-mémoire, la Belgique soutient que la
Cour n’est pas comptétente en l’instance et/ou que la requête n’est pas recevable pour
une série de motifs subsidiaires les uns par rapport aux autres:
(a) il n’existe plus de “différend” entre les Parties au sens des déclarations
facultatives d’acceptation de la juridiction de la Cour faites par les Parties;
(b) l’affaire est aujourd’hui sans objet;
(c) la demande telle qu’elle existe aujourd’hui est substantiellement différente de
celle formulée dans la Requête introductive d’instance de la RDC; et
(d) l’affaire a pris le caractère d’une action visant la protection diplomatique
d’un particulier alors que toutes les voies de recours interne n’ont pas été
épuisées.
2.81 Au cas où, contrairement à ces conclusions, la Cour décidait qu’elle est
compétente en l’instance et que la requête est recevable, la Belgique soutient que la

124 Voir §§ 1.34 et 1.35 ci-dessus.
Partie II: Exceptions quant à la
compétence et à la recevabilité
61
règle non ultra petita a pour effet de limiter la compétence de la Cour aux seuls
éléments qui font l’objet des conclusions finales de la RDC.
* * *
Partie III: Le fond de l'affaire
64
PARTIE III
LE FOND DE L'AFFAIRE
3.0.1 Au cas où la Cour déciderait, contrairement a l'argumentation de la Belgique dans la
partie précédente, qu'elle est compétente pour juger de cette affaire et que la requête est
recevable, la Belgique soutient que les arguments de la RDC concernant le fond de l'affaire
sont sans fondement. La Belgique considère que l'émission et la transmission du mandat
d'arrêt du 11 avril 2000 ne contreviennent pas au droit international : ni la souveraineté de la
RDC ni l'immunité de son ministre des Affaires étrangères ne sont violées. La Belgique
considère, en outre, que certaines demandes formulées par la RDC dans ses dernières
conclusions excèdent les pouvoirs judiciaires de la Cour. La Belgique demande donc à la
Cour de rejeter les conclusions de la RDC sur le fond de l'affaire et de rejeter la requête.
3.0.2 Les conclusions de la Belgique sont présentées dans l’ordre suivant :
Chapitre Un: La nature du mandat d'arrêt est telle qu'il ne viole pas la souveraineté de
la RDC et ne crée pas d'obligations pour celle-ci.
Chapitre Deux: La légalité du mandat d’arrêt décerné par le juge d’instruction
Chapitre Trois: Le droit international admet l’exercice de la compétence universelle par
défaut
Chapitre Quatre: Le droit se rapportant à l’immunité des Ministres des Affaires
étrangères
Chapitre Cinq: Le droit international exclut toute immunité en cas de poursuites pour
crimes graves de droit international humanitaire
Chapitre Six: Les demandes de la RDC excèdent les pouvoirs judiciaires de la Cour
* * *
Partie III: Chapitre Un: Le fond de l'affaire
65
CHAPITRE UN:
LA NATURE DU MANDAT D'ARRET EST TELLE QU'IL NE VIOLE PAS LA
SOUVERAINETE DE LA RDC ET NE CREE PAS D'OBLIGATIONS
POUR CELLE-CI
3.1.1 Les fondements juridiques et juridictionnels du mandat d'arrêt, tant en droit belge
qu'en droit international, sont examinés en détail dans ce chapitre. Comme il sera démontré, le
mandat d'arrêt, décerné conformément au droit interne belge, répond aux principes de droit
international concernant le droit des Etats d'exercer leur juridiction pour des crimes de guerre
et des crimes contre l'humanité. On verra ensuite au Chapitre Trois de cette Partie, que le
mandat correspond en tous points au droit international même si on se réfère exclusivement
aux principes coutumiers de compétence universelle. Enfin, comme il sera démontré au
Chapitres Quatre et Cinq, les principes de droit international concernant l'immunité des
ministres des Affaires étrangères n'excluent pas l'émission et la transmission d'un mandat
d'arrêt dans les circonstances où les allégations en question concernent des infractions graves
aux Conventions de Génève de 1949, et à leurs Protocoles additionnels, ou des crimes contre
l'humanité. A la lumière de ces conclusions, les allégations de la RDC selon lesquelles
l'émission et la transmission du mandat d'arrêt seraient en violation du droit international
apparaissent comme dénués de tout fondement.
3.1.2 Indépendamment de ce qui précède, la nature du mandat d’arrêt et les conséquences
juridiques qui en résultent doivent être analysées. On constate que la nature du mandat d'arrêt
est telle qu'il ne viole pas la souveraineté de la RDC et ne crée pas d’obligations pour celle-ci.
La question a été abordée accessoirement dans la Partie I ci-dessus.125 Elle a également
donné lieu à des commentaires du juge ad hoc Van den Wyngaert, dans sa déclaration jointe à
l'ordonnance sur les mesures conservatoires.126

125 Cfr § 1.9 et note 26.
126 Ordonnance sur les mesures conservatoires, Déclaration du Juge ad hoc Van den Wyngaert, § 2.
Partie III: Chapitre Un: Le fond de l'affaire
66
3.1.3 Le mandat d'arrêt du 11 April 2000 est un mandat d'arrêt national. Bien qu'il soit
exécutoire en Belgique sans autre formalité 127 si les conditions qu’il impose, sont réunies, il
n'est pas exécutoire de plein droit dans des Etats tiers. Pour qu'il le soit, le mandat d'arrêt doit
d’abord être validé par les instances appropriées de l'Etat qui effectue l'arrestation. Il s'agit
d’une question de droit interne de l'Etat en question, qui dépend des engagements
internationaux pertinents qui s'y appliquent (tel un accord d'extradition entre les Etats
concernés) et d'une demande d'extradition. En l'absence d'une telle demande d'extradition, ou
de la notification que cette demande est pendante, et d’un engagement international
contraignant de s'y conformer, un Etat tiers n'est nullement obligé d'exécuter un mandat
d'arrêt émis par un autre Etat.
3.1.4 Comme on le sait, la Belgique a transmis le mandat d'arrêt du 11 avril 2000 à la RDC
le 7 juin 2000. Il n'existe cependant pas d'accord d'extradition entre la Belgique et le RDC
ayant trait aux faits allégués et, pour cette raison, la Belgique n'a pas formellement demandé
l'extradition de M. Yerodia Ndombasi vers la Belgique, ni à ce moment-là, ni par la suite.128
3.1.5 Début juin 2000, au moment où le mandat d'arrêt était transmis à la RDC, il était
également transmis à Interpol qui en assurait la circulation internationale. A l'époque,
cependant, il n’était pas l'objet d'une notice rouge Interpol. Ceci mérite qu'on s'y attarde.
3.1.6 Une notice rouge, également appelé une notice de signalement international Interpol,
est un document formel émis par Interpol à la demande du Bureau central national pour
Interpol (BCN) de l'Etat concerné qui identifie une personne dont l'arrestation est demandée
en vue de son extradition. Ce document doit contenir des renseignements détaillés et précis
sur la personne en question et sur les faits qui lui sont imputés y compris un signalement,
l’état civil (nom, lieu et date de naissance, photographies et empreintes digitales si
disponibles, profession, numéros des papiers d'identité, etc.), les faits imputés, les charges, les
détails du mandat d'arrêt ainsi que d'autres informations judiciaires pertinentes. Une note
explicative sur les notices rouges, rédigée par le Secrétariat général d'Interpol en 1998, est
annexée au contre-mémoire (Annexe 7).

127 Sauf l'exception, indiquée au § 1.11 ci-dessus, en cas de visite officielle de M. Yerodia Ndombasi en
Belgique.
128 L'unique engagement ayant trait à l'extradition applicable entre les deux Etats résulte de la Convention sur la
Torture de 1984. Etant donné que les infractions alléguées dans le mandat d'arrêt ne comprennent pas la torture,
la Convention ne s'applique pas dans ce cas.
Partie III: Chapitre Un: Le fond de l'affaire
67
3.1.7 Comme l’indique cette note explicative , des copies papier des notices rouges sont
expédiées par courrier à tous les BCN.
“It is then up to the NCBs to take the appropriate steps – in conformity with
their legislation and regulations – to inform their national police and
immigration authorities (particularly border posts and airports) that an
individual is wanted at international level. Some NCBs are empowered to
record names from red notices in a national file of wanted persons. Red
notices are also recorded in the ASF (Automated Search Facility) so that
NCBs, and any national police forces connected to the database, can access
red notices directly.”129
3.1.8 Le statut juridique des notices rouges dans le droit interne a récemment été analysé
par Interpol. Les résultats de cette étude sont repris dans le Rapport n° 8 préparé par le
Secrétariat Général d'Interpol et ont été adoptés par l'Assemblée Générale d'Interpol lors de sa
66e
session à New Delhi en octobre 1997130. Les bases de cette étude, et un résumé de ses
conclusions, sont inclus dans la note explicative de 1998 dont il est question ci-dessus.131
3.1.9 Comme l'indique le Rapport n° 8, parmi les 178 pays et territoires membres
d'Interpol, 65 ont déclaré que, selon leur lois et règlements internes, il est possible d'effectuer
une arrestation provisoire sur la base d'une notice rouge. Dans de tels cas, une notice rouge,
équivaut, en effet, à une demande d'arrestation provisoire.
3.1.10 Une demande d'arrestation provisoire n'est pas la même chose qu'une demande
d'extradition. Il s'agit d'un document demandant qu'une personne recherchée soit arrêtée en
attendant la transmission d'une requête formelle d'extradition. Cette dernière, par contre, est
un document officiel qu’un Etat envoie à un autre Etat, habituellement par la voie
diplomatique. Le document demande de remettre à l'Etat requérant une personne trouvée sur
le territoire de l'Etat requis afin de la juger pour une infraction qu'elle est présumée avoir

129 "C'est au BCN de prendre les mesures appropriées – conformément à leur législation et à leurs réglements –
pour informer leurs polices nationales et autorités d'immigration (particulièrement les postes de frontière et les
aéroports) qu'un individu est recherché au plan international. Certains BCN sont habilités à enregistrer les noms
des notices rouges dans un fichier national de personnes recherchées. Les notices rouges sont aussi enregistrées
dans le ASF (Automatic Search Facility) afin de donner la possibilité aux BCN, et aux forces de police nationale
connectées à la base de données, d'accéder directement aux notices rouges." (traduction non-officielle de la
Belgique) Interpol Red Notices, ICPO-Interpol General Secretariat, (1998) International Criminal Police Review
No.468, p.2 (Annex 7).
130 Rapport N° 8, OIPC-Interpol Assemblée générale, 66ième Session, New Delhi, 15–21 octobre 1997,
AGN/66/RAP/8, qui résulte de la résolution No.AGN/66/RES/7 (Annex 8).
Partie III: Chapitre Un: Le fond de l'affaire
68
commise ou de lui faire purger une peine déjà prononcée à son encontre. Une demande
d'extradition doit être accompagnée de tous les documents permettant aux autorités habilitées
de l'Etat requis de décider, sur la base de ses lois internes et de ses obligations internationales,
si elles acceptent ou refusent l'extradition.
3.1.11 Selon la position de la RDC telle que la Belgique l'a comprise après examen (auprès
d'Interpol, entre autres), la RDC ne considère pas qu’une notice rouge vaut demande
d'arrestation provisoire. De surcroît, comme il vient d'être précisé, une notice rouge n'est pas
une demande formelle d'extradition. Comme on l’a également indiqué, la Belgique n'a fait
aucune demande formelle d'extradition à la RDC visant M. Yerodia Ndombasi. Pour être
complet, on peut ajouter que la Belgique n'a pas non plus transmis de demande d'extradition
concernant M. Yerodia Ndombasi à un autre Etat.
3.1.12 Au vu de ce qui précède, il apparaît que la nature du mandat d'arrêt du 11 avril 2000
est telle qu'il n'a ni violé la souveraineté de la RDC ni créé aucune obligation pour celle-ci. En
effet, aussi bien au moment de son émission qu'aujourd'hui, le mandat d'arrêt n'a aucun effet
juridique ni pour la RDC ni sur son territoire. Bien que le mandat ait été diffusé
internationalement par Interpol pour information, en juin 2000, à l'époque il n'était pas l'objet
d'une notice rouge. Même si cela avait été le cas, la portée juridique d'une notice rouge est
telle que, pour la RDC, elle n’aurait pas pu équivaloir à une requête d'arrestation provisoire,
ni, a fortiori, à une demande formelle d'extradition.
3.1.13 Comme indiqué à la Partie I,132 à la lumière des changements survenus dans la
situation de M. Yerodia Ndombasi, le 12 septembre 2001, c'est-à-dire quelque cinq mois après
que M. Yerodia Ndombasi avait cessé de faire partie du gouvernement de la RDC, le Bureau
central national belge d’Interpol a demandé à Interpol d’émettre une notice rouge visant M.
Yerodia Ndombasi.133 A l’heure où ce contre-mémoire est écrit, aucune notice rouge n’a
encore été diffusée. De toute façon, vu l'effet des notices rouges en RDC, même si une notice
rouge devait être émise, cela ne violerait pas la souveraineté de la RDC et ne créerait aucune
obligation pour celle-ci.

131 Cfr supra § 3.1.6 et Annexe 7.
132 Cfr supra § 1.9 et note 26.
133 Annex 8.
Partie III: Chapitre Un: Le fond de l'affaire
69
3.1.14 En ce qui concerne les 65 membres d'Interpol qui ont indiqué qu'une notice rouge
permettrait l'arrestation provisoire d'une personne désignée, il faut observer que l'émission
d'une notice rouge dans cette affaire nécessiterait toujours la validation de la notice rouge par
les autorités compétentes de l'Etat en question conformément à ses lois et règlements internes.
Donc, même dans ces cas, l'effet juridique d'une notice rouge n'est nullement automatique.
3.1.15 Au vu de ce qui précède, la Belgique maintient que la nature du mandat d’arrêt du 11
avril 2000 est telle qu'il ne viole pas la souveraineté de la RDC, ni ne crée d’obligations à son
égard.
* * *
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
70
CHAPITRE DEUX
LA LEGALITE DU MANDAT D’ARRET DECERNE PAR LE JUGE
D’INSTRUCTION
3.2.1 La légalité du mandat d’arrêt décerné contre M. Yerodia Ndombasi sera examinée au
regard
- de la loi du 16 juin 1993 134 telle que modifiée le 10 février 1999 135 (A.) ;
- des charges portées contre M. Yerodia Ndombasi (B.) ;
- des règles régissant les compétences exercées par le juge d’instruction belge (C.).
A. La loi du 16 juin 1993 et les amendements apportés par la loi du 10 février 1999
3.2.2 Le 16 juin 1993, le parlement belge adoptait la « loi relative à la répression des
infractions graves aux Conventions internationales de Genève du 12 août 1949 et aux
Protocoles I et II du 8 juin 1977, additionnels à ces Conventions »
136
.
3.2.3 A l’origine, cette loi n’avait d’autre but que d’adapter le droit belge aux exigences des
CG de 1949 et de leur 1er PA de 1977. Pour rappel 137, en effet, les CG, dans un article
commun 49/50/129/146, obligent les Etats parties à

134 Moniteur belge, 5 août 1993.
135 Moniteur belge, 23 mars 1999.
136 Annexe 4
137 Ces points ont déjà été évoqués par la Belgique devant la Cour lors des plaidoiries consacrées à la demande
en indication de mesures conservatoires déposées par la RDC le 17 octobre 2000, CIJ, CR 2000/33, 21
nov. 2000, pp. 19-22, §§ 4-13. Ils ne sont rappelés ici que pour faciliter la compréhension du
raisonnement.
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
71
« prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales
adéquates à appliquer aux personnes ayant commis ou donné l’ordre de
commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention
définies à l’article suivant. »
138
3.2.4 L’obligation pour les Etats parties d’adapter leur législation aux fins de réprimer
pénalement les infractions graves aux CG a été étendue par le 1er PA aux infractions visées par
ce dernier. L’art. 85 § 1 du 1er PA dispose :
« Les dispositions des Conventions [c.-à-d., les CG de 1949] relatives à la
répression des infractions et des infractions graves, complétées par la présente
Section, s’appliquent à la répression des infractions et des infractions graves
au présent Protocole. »
3.2.5 Comme le souligne l’exposé des motifs du projet de loi déposé en 1990 par le
Gouvernement, ce projet visait simplement à permettre à la Belgique d’adapter sa législation
pénale aux dispositions précitées conformément aux engagements résultant de la ratification
des CG et du 1er PA 139
.
3.2.6 Sur certains points, la loi de 1993 allait toutefois plus loin que les exigences stricto
sensu des CG et du 1er PA. C’était notamment le cas de l’extension du champ d’application de
la loi aux crimes commis dans des conflits armés non internationaux. On sait que la notion de
« crime de guerre » est traditionnellement limitée aux violations graves du droit international
humanitaire commises dans un conflit armé international. En étendant le champ d’application
des incriminations prévues par la loi de 1993 aux violations les plus graves du 2e
PA — celles
qui correspondent aux « infractions graves » visées par les CG et le 1er PA —, le législateur
entendait ainsi réprimer au plan pénal des faits commis dans des conflits armés non
internationaux.
3.2.7 Ce qui aurait pu, éventuellement, apparaître comme une forme d’audace trouvait
rapidement confirmation dans la pratique et la jurisprudence, comme en témoignent les
exemples suivants :

138 Annexe 5.
139 Documents parlementaires, Sénat, 1990-1991, n° 1317/1, in Pasinomie, 1993, p. 1836. (Annexe 10)
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
72
· en 1994, le Conseil de sécurité, en créant le TPIR 140, donnait compétence à celui-ci
pour connaître des « violations graves de l’art. 3 commun aux CG du 12 août 1949
pour la protection des victimes de la guerre, et du Protocole additionnel II aux dites
Conventions du 8 juin 1977 »
141 ;
· le 2 octobre 1995, la Chambre d’appel du TPIY considérait que le droit international
coutumier consacrait la responsabilité pénale individuelle pour les violations du droit
humanitaire commises dans des conflits armés internes 142 ; la loi belge était d’ailleurs
citée comme un exemple d’application de cette coutume 143 ;
· en 1996, la CDI inscrivait dans son projet de code des crimes contre la paix et la
sécurité de l’humanité, au nombre des crimes de guerre, un certain nombre de faits
lorsqu’ils étaient « commis en violation du droit international humanitaire applicable
aux conflits armés qui ne revêtent pas un caractère international »
144 ;
· le Statut de la CPI adopté à Rome le 17 juillet 1998 érige, à son tour, en crimes de
guerre un certain nombre de faits commis dans un conflit armé non international145
.
3.2.8 Dans son mémoire, la RDC, tout en affirmant que cette extension de compétence « ne
répond […] à aucune obligation conventionnelle particulière »
146, s’abstient toutefois de
contester la légalité de cette extension de compétence. La Belgique en prend acte.
3.2.9 La loi de 1993 présente deux autres aspects qui intéressent tout spécialement la
présente affaire : d’une part, elle prévoit la compétence universelle du juge belge pour les
crimes visés par la loi (loi, art. 7), d’autre part, l’exposé des motifs du projet de loi montrent
que la justice belge peut être saisie d’un crime prévu par la loi, même si l’auteur présumé du
fait en cause ne se trouve pas sur le territoire belge 147
.

140 S/Rés. 955, 8 nov. 1994.
141 Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, art. 4.
142 TPIY, aff. IT-94-1-AR72, Tadic, 2 octobre 1995, §§ 128-142.
143 Ibid., § 132.
144 Projet, art. 20 f, Rapport CDI, 1996, Doc. ONU A/51/10, p. 140-143.
145 Statut de la Cour pénale internationale, art. 8 § 2, c-f.
146 Mémoire RDC, § 77.
147 Documents parlementaires, Sénat, 1990-1991, n° 1317/1, Pasinomie, 1993, p. 1842. (Annexe 10)
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
73
3.2.10 En ce qui concerne le principe de la compétence universelle, la RDC ne conteste pas le
droit de la Belgique de l’inscrire dans sa législation. Lors de la phase sur les mesures
conservatoires demandées par la RDC, la Belgique avait déjà montré que c’est en parfaite
conformité avec les obligations contractées au plan international qu’elle avait prévu la
compétence universelle dans la loi de 1993 : comme la RDC ne conteste pas ce point dans son
mémoire, Belgique s’abstiendra de répéter ce qu’elle a dit à l’époque 148
.
3.2.11 En revanche, la RDC conteste le droit de la Belgique d’exercer cette compétence à
l’égard d’une personne qui ne se trouve pas sur le territoire belge. Ce point sera examiné plus
loin. Il suffit pour l’instant de constater que le caractère extraterritorial des faits reprochés à M.
Yerodia Ndombasi et la nationalité étrangère de ce dernier ne font pas obstacle à l’application
de la loi de 1993.
3.2.12 La loi du 10 février 1999 a amendé la loi de 1993, d’une part, en étendant la
compétence ratione materiae de la loi au crime de génocide et au crime contre l’humanité149
,
d’autre part, en prévoyant que « l’immunité attachée à la qualité officielle d’une personne
n’empêche pas l’application de la présente loi »
150
.
3.2.13 Ces amendements résultent de la volonté combinée de certains parlementaires et du
Gouvernement.
Les premiers voulaient que l’on introduise en droit belge l’incrimination prévue par la
Convention du 9 décembre 1948 sur la répression du crime de génocide, Convention qui lie la
Belgique depuis le 5 septembre 1951 151. Pour les auteurs de la proposition d’amendement, il
fallait notamment pouvoir poursuivre, sur la base de la Convention, un certain nombre de
« génocidaires rwandais » qui s’étaient réfugiés en Belgique 152. L’introduction de
l’amendement répondait aussi à un souci de symbole et de pédagogie : une chose était de

148 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, pp. 19-20, §§ 7-8.
149 Nouvel article 1, §§ 1et 2.
150 Nouvel article 5, § 3.
151 Loi d’approbation du 26 juin 1951, Moniteur belge, 11 janvier 1952.
152 Documents parlementaires, Sénat, 1997-1998, 16 oct. 1997, n° 1-749/1, p. 2. (Annexe 11)
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
74
poursuivre des gens pour homicide, autre chose était de les poursuivre pour génocide 153. Il
fallait sensibiliser la société à l’horreur du fait et prévenir ainsi sa répétition 154
.
3.2.14 Quant au Gouvernement, il approuvait cette initiative et voulait saisir l’occasion pour
commencer déjà à adapter la loi au Statut de la Cour pénale internationale ; c’est dans cet esprit
qu’il avait ajouté à la proposition d’amendement déposée par les parlementaires l’incrimination
du crime contre l’humanité (prévue à l’art. 7 du Statut de la CPI) et l’exclusion de l’immunité
pour les auteurs de faits visés par la loi (prévue à l’art. 27 du Statut de la CPI) 155
.
3.2.15 Les amendements à la loi de 1993 étaient adoptés le 10 février 1999 et la loi de 1993
changeait d’intitulé pour s’appeler désormais « loi relative à la répression des violations graves
de droit international humanitaire »
156
.
3.2.16 Dans la mesure où les faits reprochés à M. Yerodia Ndombasi étaient visés par la loi de
1993/1999, le juge d’instruction était fondé à ouvrir une instruction à l’égard de ce dernier.
Conformément au droit commun, si l’instruction permettait de conclure qu’il existait des
indices sérieux de culpabilité (cfr. c.i.c., art. 61 bis 157) et si les faits en cause étaient « de
nature à entraîner pour l’inculpé un emprisonnement correctionnel principal d’un an ou une
peine plus grave » (loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, art. 16 § 1 158), le
juge d’instruction était également fondé à décerner un mandat d’arrêt contre M. Yerodia
Ndombasi. On va rappeler à présent les faits imputés à M. Yerodia Ndombasi.
B. Les charges portées contre M. Yerodia Ndombasi

153 Ibid., p. 3.
154 Ibid.
155 Ibid., 1998-1999, 1er déc. 1998, n° 1-749/2, pp. 4-5. (Annexe 12)
156 Annexe 4.
157 Code d’instruction criminelle, art. 61 bis : « Le juge d’instruction procède à l’inculpation de toute
personne contre laquelle existent des indices sérieux de culpabilité. […] »
158 Moniteur belge., 14 août 1990. ( Annexe supplémentaire 97)
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
75
3.2.17 C’est par un mandat d’arrêt émis le 11 avril 2000 que le juge d’instruction belge, M. D.
Vandermeersch, a inculpé M. Yerodia Ndombasi d’infractions prévues par la loi de 1993. La
Belgique se permettra de reprendre les éléments qu’elle avait déjà portés à la connaissance de la
Cour lors des plaidoiries orales sur la demande d’indication de mesures conservatoires déposée
par la RDC 159
.
3.2.18 Il faut observer que ce mandat ne résultait nullement d’une initiative personnelle : la
procédure pénale belge prévoit que le juge d’instruction ne peut statuer valablement que s’il est
préalablement saisi des faits pour lesquels un mandat d’arrêt pourrait être décerné 160. En
l’occurrence, le magistrat instructeur avait été saisi d’un côté par un réquisitoire du Procureur
du Roi de Bruxelles, d’un autre côté par des plaintes de particuliers, certains étant nommément
désignés dans le mandat, les autres ne l’étant pas, pour des raisons de sécurité.
Il ressort d’informations obtenues du parquet que sur les douze plaignants, cinq étaient
de nationalité belge et sept de nationalité congolaise. Tous étaient domiciliés en Belgique. Huit
d’entre eux avaient porté plainte pour des dommages qu’ils estimaient avoir subis
spécifiquement en raison de leur appartenance à l’ethnie tutsi. Il existait donc un lien de
rattachement réel entre la Belgique et les plaignants.
3.2.19 Quels sont les faits qui ont conduit le magistrat à décerner mandat d'arrêt ? Le mandat
note que les 4 et 27 août 1998, M. Yerodia Ndombasi, alors Chef de cabinet de l’ancien
Président Laurent-Désiré Kabila, a tenu différents discours public relayés par les médias et
incitant à la haine raciale, discours qui ont entraîné le massacre de plusieurs centaines de
personnes, principalement d'origine tutsi.
3.2.20 Sans se prononcer sur la culpabilité ou l’innocence de M. Yerodia — ceci n’incombe
évidemment pas au Gouvernement belge —, la Belgique se bornera à constater que les faits en
cause étaient graves : M. Yerodia Ndombasi aurait notamment déclaré lors d'une conférence de
presse le 27 août 1998 à propos de ceux qu'il tenait pour responsables des troubles que
connaissait le Congo :

159 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, pp. 23-27, §§ 14-20.
160 BOSLY, H.-D. et VANDERMEERSCH, D., Droit de la procédure pénale, Brugge, La Charte, 1999, p.
488.
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
76
« Pour nous, ce sont des déchets et c'est même des microbes qu'il faut qu'on
éradique avec méthode. Nous sommes décidés à utiliser la médication la plus
efficace. »
161
3.2.21 Déjà, le 4 août, selon un témoignage rapporté dans le mandat, M. Yerodia Ndombasi
aurait parlé sur les ondes de la RTNC « de vermine qu’il fallait éradiquer avec méthode »
162
.
3.2.22 Le mandat d’arrêt, se référant à de nombreux témoignages, montre ce qui s’est alors
passé. Voici quelques extraits significatifs de témoignages qui occupent 6 pages du mandat 163:
· Selon le témoin B.A., « la réaction ne s’est pas fait attendre. Il y a eu des
emprisonnements, des arrestations et des massacres de personnes d’origine tutsi »
164 ;
· Selon le témoin C.B., « Des barrages ont été placés dans les quartiers populaires, des
chasses à l’homme ont été organisées. De nombreux suspects ont été arrêtés par la
population et mis à mort par le supplice du collier. »
165
· Des journalistes de la télévision belge envoyés sur place déclarent : « C’est une chasse
aux rebelles, aux tutsis, aux Rwandais, c’est une chasse à l’homme. »
166
· Une personne interrogée par ces journalistes leur déclare : « Nous sommes déterminés,
jusqu’au dernier enfant, pour écraser les tutsis, les Rwandais et les Ougandais. »
167
· Selon un rapport d’Amnesty International, « Des mises à mort de tutsi et d’autres
personnes considérées comme des sympathisants du RCD sont signalées depuis le
début du mois d’août 1998. »
168

161 Mandat d'arrêt, p. 7. (Annexe 3)
162 Ibid.
163
Ibid., pp. 6-12
164 Ibid., p. 8.
165 Ibid.
166 Ibid., p. 10.
167 Ibid.
168 Ibid.
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
77
3.2.23 Il est inutile de prolonger cette énumération qui montre qu’indépendamment de la
guerre qui opposait la RDC aux forces rwandaises et ougandaises, des atrocités ont bel et bien
été commises contre des tutsi en raison de leur appartenance à cette ethnie au moment des
discours incriminés.
3.2.24 Toujours sans préjuger de ce qu’un tribunal pourra dire du mandat d’arrêt, la Belgique
se bornera à observer que le mandat n’ignore pas les moyens de défense soulevés par l’inculpé
qui soutient « qu’il n’a pas prononcé le mot tutsi mais qu’il visait les rebelles »
169. De son côté,
le ministre congolais des Droits humains, dans le texte précité, suggère également que les
discours de M. Yerodia Ndombasi n’étaient rien d’autre qu’ « un appel légitime à la résistance
populaire contre les envahisseurs qu’ils soient d’origine tutsi ou pas »
170
.
3.2.25 Le mémoire de la RDC reprend cette tentative de légitimation des discours en cause : il
souligne « le caractère ténu de l’accusation »
171portée contre M. Yerodia, l’absence par les
autorités belges d’une « mise en contexte » « historique » ou « culturelle », une interprétation
abusive des mots prononcés 172
.
3.2.26 Le mandat d’arrêt rencontre ces moyens en décrivant le contexte dans lequel ces
discours ont été prononcés. Les témoignages rapportés à cet effet montrent qu’il s’agissait d’un
contexte général de chasse aux tutsi. Ainsi, selon un rapport de Human Rights Watch cité dans
le mandat :
« Lorsque le gouvernement congolais fut attaqué au mois d’août, certains
officiels de haut rang encouragèrent les comportements de haine raciale et
firent naître parmi la population un sentiment de peur vis-à-vis des Congolais
d’origine tutsi, qu’ils relièrent aux Rwandais, aux Burundais et même aux
Ougandais, membres selon eux de la famille ethnique plus large tutsi-hima.
En appelant à ce qu’ils appelèrent ‘l’auto-défense populaire’, ils
encouragèrent en fait les Congolais à s’attaquer aux tutsi et à ceux qui,
simplement, ‘avaient l’air’ d’être des tutsis. »
173

169 Ibid., p. 12.
170 Mise au point de S.E. M. le ministre des droits humains face au dossier judiciaire ouvert par le juge
d’instruction belge, M. Vandermeersch , p. 3. CR 2000/33, 21 septembre 2000, p. 25, § 18.
171 Mémoire RDC, § 57
172 Ibid..
173 Mandat d'arrêt, p. 5. (Annexe 3)
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
78
3.2.27 Le mandat cite aussi un rapport de l’Association africaine des droits de l’homme où
l’on peut lire :
« A partir du mois d’août, les membres du gouvernement, particulièrement,
le directeur de cabinet du chef de l’Etat, M. Yerodia, ainsi que le ministre de
l’information, Didier Mumengi, ont usé des média nationaux pour appeler au
meurtre des tutsi à Kinshasa. […] A Bunia, la radio nationale a carrément
demandé à la population de prendre les machettes, les houes pour tuer les
tutsi habitant le district d’Ituri »
174
3.2.28 Une dépêche de l’AFP datée du 25 août, citée par le mandat d’arrêt, rapporte les
propos suivants de l’ancien Président Kabila :
« Dans les villages, les gens doivent prendre les armes, les armes
traditionnelles, les flèches et les lances pour écraser l’ennemi sinon on va être
l’esclave des tutsi. »
175
3.2.29 Le mandat cite aussi la Commission des droits de l’homme des N. U. qui affirme dans
un rapport du 8 février 1999 :
« La riposte du gouvernement à la rébellion a été violente. Ce qui est
particulièrement grave, c’est l’incitation à la haine contre les tutsi (considérés
comme ‘des virus, des moustiques, des ordures’ qu’il fallait éliminer) […]. »
176
3.2.30 Au plan juridique, le mandat d'arrêt constate que les discours imputés à l'intéressé
apparaissent comme des provocations à commettre certaines infractions visées par la loi de
1993, à savoir, "le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des
atteintes graves à l'intégrité physique, à la santé" (art. 1er, § 3) et des crimes contre l'humanité
(art. 1er, § 2); or, la loi de 1993 incrimine non seulement la provocation (art. 4, 3e
al.), mais
aussi l'omission d'agir pour prévenir la consommation des faits incriminés par la loi (art. 4, 5e
al.) 177. Ce sont, non seulement ces appels directs à des massacres lancés par M. Yerodia
Ndombasi, mais aussi l'absence d'avertissement concernant l’obligation de protéger les
personnes capturées qui étaient en cause. Ces faits étant incriminés par la loi, le juge

174 Ibid., p. 6.
175 Ibid., p. 9.
176 Ibid., p. 11.
177 Ibid., pp. 17-20.
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
79
d'instruction saisi de plusieurs plaintes, était donc fondé à décerner mandat d'arrêt contre
l'auteur présumé de ces faits.
3.2.31 La RDC observe toutefois que l’on n’a pas démontré un « lien de causalité entre ces
paroles et certains actes inqualifiables de violence dirigés contre la minorité tutsie ».
Indépendamment du fait que la Cour n’est pas une instance d’appel des décisions pénales
prises par les autorités judiciaires nationales 178, il faut néanmoins rappeler, pour une mise en
perspective correcte de la situation, que la loi punit la provocation « même non suivie d’effet »
179
.
3.2.32 Lors de l’émission du mandat d’arrêt, le juge d’instruction a aussi tenu compte des
problèmes d’immunité de juridiction découlant de l’inculpation d’un ministre en écartant toute
idée d’arrestation immédiate de M. Yerodia Ndombasi si celui-ci devait venir en Belgique à la
suite d’une invitation officielle du gouvernement belge : l’invitation impliquerait en effet
renonciation de la Belgique à faire exécuter le mandat pendant la durée du séjour officiel, et
l’autorité judiciaire ne pourrait en faire abstraction sous peine de mettre en cause la
responsabilité internationale de l’Etat belge 180 eu égard au principe de l’indivisibilité des
pouvoirs de l’Etat sur ce plan 181
.
3.2.33 Ces questions ne se posent cependant pas aujourd’hui puisque M. Yerodia Ndombasi
n’exerce plus la fonction de ministre au sein du gouvernement congolais.
3.2.34 En tout état de cause, en avril 2000, le juge d’instruction disposait d’éléments suffisants
pour conclure que M. Yerodia Ndombasi avait commis les faits qui lui étaient imputés, que ces
faits étaient visés par la loi de 1993/1999 et qu’ils étaient d’une gravité justifiant l’émission
d’un mandat d’arrêt contre leur auteur présumé.

178 CIJ, ord. du 9 avril 1998, Convention de Vienne sur les relations consulaires, Rec. 1998, p. 13, § 38, ord.
3 mars 1999, LaGrand, Rec. 1999, p. 15, § 25.
179 Art. 4 de la Loi du 16 juin 1993.
180 Mandat d'arrêt, p. 23 (Annexe 3)
181 Projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité des Etats, art. 6, Ann.C.D.I.,
1973, II, pp. 197-201 ; dans le même sens, projet d’articles provisoirement adoptés par le Comité de
rédaction en seconde lecture, art. 5, doc. ONU A/CN.4/L.600, 21 août 2000.
Partie III: Chapitre Deux: Le fond de l'affaire
80
C. Les règles de compétence appliquées par le juge d’instruction
3.2.35 Bien que tous les plaignants fussent domiciliés en Belgique et que cinq d’entre eux
eussent la nationalité belge, le juge d’instruction a appliqué la compétence universelle prévue à
l’art. 7 de la loi de 1993/1999. Le juge n’aurait pas pu se fonder sur la compétence personnelle
passive prévue par la loi belge 182 car l’exercice de cette dernière est subordonné à la présence
de l’inculpé sur le territoire belge.183 Il en résulte que la compétence exercée par le magistrat
instructeur est une compétence universelle et que celle-ci se fonde sur le texte de la loi.
3.2.36 La RDC conteste l’exercice de cette compétence à l’égard d’une personne qui ne se
trouve pas sur le territoire belge, mais assez curieusement, tout en consacrant près d’un quart
de son mémoire à tenter de démontrer ce point 184, elle ne demande pas formellement à la Cour
de se prononcer sur la validité de l’art. 7 185
.
3.2.37 Tout en prenant acte du fait que la RDC ne demande rien à la Cour sur ces points, la
Belgique n’en rencontrera pas moins succinctement les arguments exposés par la RDC et
démontrera que la compétence universelle prévue par la loi de 1993 ne viole aucune règle de
droit international (ci-dessous).

182 C.i.c., titre préliminaire (N.B. l’intitulé exact de cette partie du code d’instruction criminelle est « Loi du
17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale » ; par commodité, cette partie
sera appelée ci-après : « c.i.c., titre préliminaire »), art. 10 : « Pourra être poursuivi en en Belgique
l’étranger qui aura commis hors du territoire du Royaume […].
5° Un crime contre un ressortissant belge, si le fait est punissable en vertu de la législation du pays où il a
été commis d’une peine dont le maximum dépasse cinq ans de privation de liberté. » (Annexe 6)
183 Ibid., art. 12, 1er al. (Annexe 6)
184 Mémoire RDC, §§ 47-61.
185 Mémoire RDC, §§ 93 et 97.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
81
CHAPITRE TROIS
LE DROIT INTERNATIONAL ADMET L’EXERCICE DE LA COMPETENCE
UNIVERSELLE PAR DEFAUT
3.3.1 Traditionnellement, la compétence universelle est définie comme étant l’aptitude du
juge à connaître d’une infraction quels que soient le lieu de perpétration de l’infraction, la
nationalité de l’auteur ou la nationalité de la victime. Selon H. Donnedieu de Vabres,
« le système de la répression universelle, ou de l’universalité du droit de
punir est celui qui attribue vocation aux tribunaux répressifs de tous les Etats
pour connaître d’un crime commis par un individu quelconque, en quelque
pays que ce soit. »
186
3.3.2 Il n’est pas utile de détailler davantage cette compétence qui n’est pas contestée en soi
dans le mémoire de la RDC. Ce que cette dernière reproche surtout à la Belgique, c’est
d’exercer la compétence universelle à l’égard d’une personne qui ne se trouve pas sur le
territoire belge. On lit dans le mémoire de la RDC :
« La question qui se pose dès lors est de savoir si l’Etat belge est tenu, en
droit international, d’exercer une compétence ‘universelle’ aussi élargie,
c’est-à-dire une compétence prétendant s’exercer même à l’encontre de
personnes qui ne se trouveraient pas sur le territoire national. »
187
3.3.3 Deux questions se posent ici :
(a) le droit international oblige-t-il la Belgique à exercer la compétence universelle à l’égard
de l’auteur présumé d’une infraction visée par la loi de 1993/1999 qui ne se trouve pas sur
le territoire belge ? (A.)

186 DONNEDIEU DE VABRES, H., “Le système de la répression universelle” , Rev.dr.int.pr., 1922-1923, p.
533 ; voy. aussi LA PRADELLE, G. de, “La compétence universelle”, in Droit international pénal, s/ la dir.
de H. Ascensio, E. Decaux et A. Pellet, Paris, Pédone, 2000, p. 905.
187 Mémoire RDC, § 75 in fine.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
82
(b) dans la négative, le droit international admet-il que la Belgique exerce la compétence
universelle à l’égard de l’auteur présumé d’une infraction visée par la loi de 1993/1999 qui
ne se trouve pas sur le territoire belge ? (B.)
A. Le droit international oblige-t-il la Belgique à exercer la compétence universelle à
l’égard de l’auteur présumé d’une infraction visée par la loi de 1993/1999 qui ne se
trouve pas sur le territoire belge ?
3.3.4 Selon la RDC, la Belgique aurait prétendu qu’elle était obligée d’exercer sa
compétence universelle à l’égard de l’auteur présumé d’une infraction visée par la loi de
1993/1999 même quand celui-ci ne se trouverait pas sur le territoire belge. On lit dans le
mémoire de la RDC :
« C’est en vain que la Partie défenderesse tenterait de justifier la violation des
droits souverains de la RDC démontrée ci-dessus en invoquant l’obligation
(voy. le compte rendu de l’audience du 21 novembre 2000, §§ 11 et s., per E.
David) dans laquelle est [sic — il faut sans doute lire « elle »] se trouverait
d’exercer une compétence pénale ‘universelle’ »
188
3.3.5 En réalité, au § 11 de la plaidoirie citée par la RDC, la Belgique s’était purement et
simplement bornée à rappeler qu’en énonçant le principe de la compétence universelle, l’art. 7
de la loi de 1993/1999 ne faisait que répondre à une obligation générale prévue par le droit
international :
« Quant à l'extension au crime contre l'humanité et au crime de génocide de la
compétence universelle qui était déjà prévue par l'art. 7 de la loi de 1993, elle
n'est encore une fois que la traduction en droit interne d'une obligation
reconnue de longue date par le droit international général. Il suffit de penser à
certaines résolutions de l'A.G. des N.U. (rés. 2840 (XXVI), du 18 déc. 1971,
§ 4; rés. 3074 (XXVIII), du 3 déc. 1973, § 1) et du Conseil économique et
social (rés. 1986/65 du 29 mai 1989, principe 18) (annexe n° 30) ; il suffit de
penser aux principes de Nuremberg dégagés par la CDI (les principes I et VI)
(annexe n° 33) ; il suffit de penser au projet de code des crimes contre la paix
et la sécurité de l'humanité de cette même Commission (art. 9) (annexe n° 34)
; il suffit de penser au Statut de la CPI (préambule, considérants 4-6) (annexe
n° 29) et à la jurisprudence de la Cour — de cette Cour — qui affirmait dans
son arrêt du 11 juillet 1996 :

188 Ibid., § 74.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
83
‘les droits et obligations consacrés par la convention [de 1948 sur le
génocide] sont des droits et obligations erga omnes. La Cour
constate ainsi que l'obligation qu'a chaque Etat de prévenir et de
réprimer le crime de génocide n'est pas limitée territorialement par la
convention.’ (CIJ, Recueil 1996, p. 616, par. 31). »
3.3.6 Rien dans cet extrait ne montre que la Belgique soutenait l’idée qu’elle était obligée de
poursuivre une personne ne se trouvant pas sur son territoire. Il s’agissait d’un simple rappel
de textes qui énoncent une obligation de poursuite en général 189. Ces textes n’ont été évoqués
que pour montrer que l’adoption de la loi de 1993/1999 190 répondait à une obligation
internationale. Il n’a pas été prétendu que ces textes obligeaient la Belgique à poursuivre une
personne se trouvant à l’étranger.
3.3.7 La RDC reconnaît d’ailleurs, elle-même, l’existence d’une obligation de poursuivre
pour les crimes de guerre lorsqu’elle écrit :
« S’il n’est pas contestable que ce texte [l’art. 49/50/129/146 commun aux
CG de 1949] emporte une obligation de réprimer pénalement les crimes
énoncés par ces conventions indépendamment de la nationalité de leur auteur,
il est cependant difficile de considérer que cette obligation ne serait pas
limitée au cas où les personnes accusées seraient trouvées sur le territoire de
l’Etat ainsi obligé. »
191 (souligné par la Belgique)
3.3.8 En revanche, la RDC émet des doutes sur l’existence d’une telle obligation à charge
des Etats tiers pour le crime de génocide et pour les crimes contre l’humanité. Bien que la
question ne fasse pas l’objet d’une conclusion formelle de la RDC, la Belgique estime
toutefois devoir la traiter au nom du respect qu’elle doit à la vérité juridique, à son opposant et
à la Cour.
3.3.9 Dans le cas du génocide, la RDC, se fondant sur une interprétation étroite de la
Convention du 9 décembre 1948, estime que l’obligation de poursuite n’appartient qu’à
« l’Etat loci delicti »
192. Elle reconnaît toutefois que, dans son arrêt du 11 juillet 1996, la Cour
a constaté que la Convention de 1948 énonçait des « droits et obligations erga omnes » et que

189 Cfr., van ELST, R., “Implementing Universal Jurisdiction Over Grave Breaches of the Geneva
Conventions”, Leiden J.I.L., vol. 13, 2000, pp. 815-854.
190 Qualifiée par un auteur de “valuable model for countries that so far have failed to meet their obligation” de
se donner les moyens de réprimer des crimes graves de droit international humanitaire, Ibid., p. 825.
191 Mémoire RDC, § 76.
192 Ibid., § 78.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
84
« l’obligation qu’a chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de
génocide n’est pas limitée territorialement par la convention »
193
.
3.3.10 La RDC en déduit pourtant que la Cour aurait simplement voulu dire ceci : quel que
soit le lieu où se trouvent des personnes accusées de génocide, elles peuvent être poursuivies
pénalement, mais à condition que l’Etat où les faits de génocide ont été commis (ou la future
cour pénale internationale) en fasse la demande. La RDC écrit :
« […] les personnes accusées de ce crime [de génocide] ne sont nulle part, en
aucun territoire étatique, à l’abri de poursuites pénales dirigées contre elles à
l’initiative de l’Etat loci delicti, ou de la cour criminelle internationale dont la
convention de 1948 envisageait déjà l’institution. »
194 (souligné par la
Belgique).
3.3.11 On se demande, d’abord, où la RDC trouve dans l’arrêt du 11 juillet 1996 que des
poursuites pour génocide dépendraient exclusivement de « l’initiative » de l’Etat où le
génocide a eu lieu. On se demande, ensuite, comment la RDC peut réconcilier une obligation
de poursuite erga omnes, non limitée territorialement, avec une prétendue subordination de
cette obligation à une initiative de l’Etat du génocide ! On se demande, enfin, quelle serait la
cohérence, aujourd’hui, de pareille limitation de la règle avec l’obligation de poursuite
reconnue, par ailleurs, à propos des crimes de guerre : par exemple, pour le meurtre d’un
prisonnier de guerre — crime de guerre, selon l’art. 130 de la 3e
CG —, la RDC admet que
tout Etat doit réprimer ce fait, mais pour la destruction de tout un peuple, les Etats tiers ne
pourraient pas réprimer ce fait tant que l’Etat où ce massacre a eu lieu n’aurait pas pris
l’initiative de le requérir ! Ceci montre que le raisonnement de la RDC n’est pas fondé.
3.3.12 Pour la répression des crimes contre l’humanité, la RDC commence par observer qu’
« aucune disposition conventionnelle spécifique n’existe à propos du point évoqué »
195. Fautil
rappeler que le droit international ne se limite pas aux normes conventionnelles, et que la
coutume — notamment celle qui résulte des résolutions prises par des organes des N. U. et

193 CIJ, arrêt du 11 juillet 1996, Application de la Convention pour la prévention et répression du crime de
génocide, Rec. 1996, p. 616, § 31.
194 Mémoire RDC, § 78.
195 Ibid., § 79.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
85
citées par la Belgique lors de la procédure sur les mesures conservatoires 196 —, est aussi du
droit international ?
3.3.13 La RDC n’accorde pas de poids non plus au préambule du Statut de la CPI. Citant le 6e
al. de ce préambule qui dispose :
« Rappelant qu’il est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction
criminelle les responsables de crimes internationaux »
197
,
la RDC considère que
« Cette disposition, énoncée sous forme d’un ‘rappel’, ne saurait toutefois
servir de preuve à l’existence d’une obligation qui pèserait indistinctement sur
tout Etat de réprimer ces crimes […]. »
198
3.3.14 Pourquoi cette disposition ne saurait prouver l’existence d’une obligation de réprimer
les crimes contre l’humanité ? C’est d’abord, selon la RDC, parce qu’elle se trouve dans un
traité qui n’est pas encore en vigueur 199
.
3.3.15 L’argument est évidemment vain : comme le rappelle ailleurs la RDC, les Etats parties
au Statut de Rome doivent s’abstenir d’actes qui priverait un traité de son objet de son but
(Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 18) 200. Mais surtout, ce n’est pas parce que
le traité n’est pas en vigueur que ses normes ne peuvent pas produire d’effet au titre de la
coutume (Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, art. 38) 201
. A fortiori
en va-t-il ainsi lorsque les Etats ont pris la peine d’énoncer la règle sous forme de « rappel » :
en général, on ne « rappelle » pas une règle qui n’existe pas encore ….
3.3.16 Dans l’aff. Khadafi, la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris s’est
d’ailleurs fondée sur cet alinéa du préambule du Statut pour conclure « qu’il est du devoir

196 CIJ, CR 2000/33, 21 novembre 2000, p. 21, § 11 ; il s’agissait des résolutions suivantes : A/Rés. 2840
(XXVI), 18 déc. 1971, § 4 ; A/Rés. 3074 (XXVIII), 3 déc. 1973, § 1 ; E/Rés. 1986/65, 29 mai 1989, principe
18. (Annexe supplémentaire 93)
197 Annexe supplémentaire 92.
198 Mémoire RDC, § 79.
199 Ibid.
200 Ibid., § 91.
201 Cfr. CIJ, arrêt du 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Rec.
1986, pp. 95-96, § 178.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
86
pour les Etats l’ayant ratifié[e] de juger les crimes internationaux »
202. S’il est vrai que cet
arrêt a été cassé par la Cour de cassation française, la cassation ne portait pas sur ce point
(infra §§ 3.5.88 ss.).
3.3.17 Le caractère coutumier de la règle — à savoir, le devoir de chaque Etat de poursuivre
les auteurs de crimes de droit international203 — trouve une confirmation supplémentaire dans
les 4e
et 5e
al. du préambule du Statut de la CPI qui disposent :
« Affirmant que les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la
communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression
doit effectivement être assurée par des mesures prises dans le cadre national
et par le renforcement de la coopération internationale,
Déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à
concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes »
204 (souligné par la
Belgique).
3.3.18 Une répression qui « doit être assurée […] dans le cadre national », une volonté
déclarée de « mettre un terme à l’impunité » : ces termes témoignent de l’opinio juris de la
conférence diplomatique de Rome quant à l’existence d’une obligation de poursuite à charge
de tous les Etats.
3.3.19 La RDC invoque toutefois un deuxième argument : l’alinéa cité du préambule, selon
elle, n’impliquerait pas une obligation générale de poursuite à charge des Etats car le Statut
« utilise la notion d’‘Etat ayant compétence en l’espèce’ (art. 17) ». L’argument est aussi vain
que le précédent : le préambule « rappelle » des obligations générales de droit international à
charge de « chaque Etat » alors que l’art. 17 cité par la RDC énonce les modalités particulières
du principe de complémentarité et ne peut, bien sûr, viser que les seuls Etats parties au Statut.
Il est tout à fait artificiel de chercher à rapprocher le 6e
considérant du préambule de l’art. 17
pour conclure ensuite que l’un doit être interprété à la lumière de l’autre.
3.3.20 La RDC affirme encore que les résolutions du Conseil de sécurité et les déclarations de
son président demandant de traduire les responsables de crimes commis en RDC — ces

202 Chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Paris, arrêt du 20 oct. 2000, texte ronéo, p. 8.
(annexe 49)
203 Voy. § 3.3.13
204 Annexe supplémentaire 92.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
87
résolutions et déclarations figurent dans les documents déposés par la Belgique lors de la
phase sur les mesures conservatoires — ne seraient adressées qu’ « aux Etats de la région
impliqués dans le conflit, et uniquement à eux »
205. En réalité, si parmi ces textes, certains
visent spécifiquement les Etats de la région 206, d’autres demandent, de manière tout à fait
générale, la poursuite des auteurs de graves violations du droit international humanitaire et
sans nullement se limiter aux seuls Etats de la région 207. Ce type de demande est d’ailleurs
pleinement conforme à la pratique du Conseil de sécurité. Ainsi, à propos des événements du
Rwanda en 1994, le Conseil de sécurité avait
« Pri[é] instamment les Etats, dans l’attente de poursuites déclenchées par le
Tribunal international pour le Rwanda ou par les autorités nationales
compétentes, d’arrêter et de mettre en détention, conformément à leur
législation nationale et aux normes applicables du droit international, les
personnes trouvées sur leur territoire contre lesquelles il existe des preuves
suffisantes qu’elles se sont rendues coupables d’actes entrant dans la
compétence du Tribunal international pour le Rwanda »
208
.
3.3.21 Contrairement à ce que la RDC prétend, le Conseil de sécurité ne limite donc pas
l’obligation de poursuivre les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de
crimes de génocide aux seuls Etats de la région où ces faits sont commis. Encore récemment,
le Conseil de sécurité faisait observer, de manière tout à fait générale
« qu’il incombe avant tout aux Etats membres de prévenir les génocides, les
crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et de mettre fin à l’impunité
dont jouissent leurs auteurs »
209 (souligné par la Belgique).

205 Mémoire RDC, § 85.
206 Ainsi, Déclaration du Président du Conseil de sécurité, 11 déc. 1998, S/PRST/1998/36, 7e
al. : « Le Conseil
[…] demande instamment à toutes les parties de respecter et protéger les droits de l’homme et le droit
humanitaire […] » (Annexe supplémentaire 83). Voy. aussi, S/Rés. 1291, 24 févr. 2000 : « Le Conseil de
sécurité, […] 15) Demande à toutes les parties au conflit en République démocratique du Congo […] de
traduire les responsables [de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crimes de génocide] en justice
[…] » (Annexe supplémentaire 85)
207 Ainsi, Déclaration du Président du Conseil de sécurité, 31 août 1998, S/PRST/1998/26, 4e
al. : « Le Conseil
[…] réaffirme que tous ceux qui commettent ou font commettre de graves violations des instruments
susmentionnés auront à en répondre individuellement. » (Annexe supplémentaire 82). Voy. aussi, S/Rés.
1234, 9 avr. 1999: « Le Conseil de sécurité, […] 7) Condamne tous les massacres perpétrés sur le territoire
de la République démocratique du Congo, et demande, afin que les responsables soient traduits en justice,
qu’une enquête internationale soit ouverte sur tous ces événements justice […] » (Annexe supplémentaire
84) ; dans le même sens, S/Rés. 1291, 24 févr. 2000, § 14, ibid., (Annexe supplémentaire 85) ; S/Rés.
1304, 16 juin 2000, § 13, (Annexe supplémentaire 86) : ces textes ne limitent nullement leur portée aux
seuls Etats de la région.
208 S/Rés. 978, 27 février 1995, § 1.
209 S/Rés. 1366, 30 août 2001, préambule, 17e
considérant.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
88
3.3.22 En conclusion, et sans évoquer d’autres points de caractère purement académique 210
,
on constate que la RDC n’a nullement défait, ou même affaibli, l’argument présenté par la
Belgique, lors de la phase sur les mesures conservatoires, argument selon lequel tous les Etats
doivent concourir à la répression des violations graves du droit international humanitaire, qu’il
s’agisse de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et, bien entendu, du crime de
génocide.
3.3.23 Cette obligation de répression universelle est un simple fait que la Belgique s’est
bornée à constater. Dès lors que cette obligation figure dans plusieurs règles de droit
international, la Belgique est tout à fait d’accord avec la RDC pour conclure, comme le fait
cette dernière qu’
« une norme de droit international commandant l’exercice de la compétence
dite ‘universelle’ pourrait contrebalancer et même primer la norme
protectrice des immunités »
211 (souligné par la Belgique)
3.3.24 Etant donné qu’une telle norme existe, ainsi qu’on vient de le montrer212 — et la RDC
le reconnaît elle-même dans le cas des crimes de guerre213 —, la Belgique prend d’ores et
déjà acte de ce que la RDC affirme : l’existence d’une norme imposant l’exercice de la
compétence universelle prime la règle de l’immunité.
3.3.25 Reste la question de la poursuite d’une personne accusée de violations graves du droit
international humanitaire et qui ne se trouve pas sur le territoire de l’Etat : contrairement à ce
que la RDC suggère sur plus de 8 pages de son mémoire 214, la Belgique répète qu’elle n’a
jamais prétendu que le droit international l’obligeait à exercer des poursuites dans un cas de
ce genre et elle serait curieuse de voir la RDC citer un seul extrait des plaidoiries des 21 et 23
novembre 2000 qui dise le contraire. Il est donc inutile de débattre de ce point dès lors que la
Belgique reconnaît avec la RDC que le droit international ne contient pas de disposition

210 Voy. par exemple l’interprétation étrange de l’art. 105 de la Convention de Montego Bay sur le droit de la
mer, Mémoire RDC, § 84.
211 Mémoire RDC, § 15.
212 Cfr. supra §§ 3.3.7/16.
213 Cfr. supra § 3.3.7.
214 Mémoire RDC, §§ 47-56.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
89
obligeant explicitement les Etats à poursuivre une personne ne se trouvant pas sur leur
territoire.
B. Le droit international admet-il que la Belgique exerce la compétence universelle à
l’égard de l’auteur présumé d’une infraction visée par la loi de 1993/1999 qui ne
se trouve pas sur le territoire belge ?
3.3.26 Sur ce point qui, lui, est l’objet d’une importante divergence entre la Belgique et la
RDC, le demandeur est nettement moins prolixe : à peine 5 pages (pp. 56 – 61) alors que la
question est essentielle.
3.3.27 Quoi qu’il en soit, on commencera par examiner le fondement juridique de cette
compétence (I.) avant de rencontrer les arguments de la RDC (II.).
I. Le fondement de l’exercice de la compétence universelle in abstentia
3.3.28 On sait que la justice belge a le droit de connaître de violations graves du droit
international humanitaire même si leur auteur présumé n’est pas trouvé sur le territoire
belge215. Cette prérogative qui ne viole aucune règle de droit de droit international (a.),
apparaît comme une des modalités de lutte contre l’impunité admise par la pratique
internationale (b.) et interne des Etats (c.).
(a) Une instruction et/ou des poursuites par défaut ne violent aucune règle de droit
international
3.3.29 Aucune règle de droit international n’interdit aux Etats d’ouvrir une instruction à
charge d’une personne qui n’est pas sur leur territoire. Comme l’a dit la CPJI dans l’aff. du
Lotus,
« Mais il ne s’ensuit pas que le droit international défend à un Etat d’exercer,
dans son propre territoire, sa juridiction dans toute affaire où il s’agit de faits
qui se sont passés à l’étranger et où il ne peut s’appuyer sur une règle
permissive du droit international. Pareille thèse ne saurait être soutenue que si
le droit international défendait, d’une manière générale, aux Etats d’atteindre

215 Cfr. supra § 3.2.9.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
90
par leurs lois et de soumettre à la juridiction de leurs tribunaux des personnes,
des biens et des actes hors du territoire, et si, par dérogation à cette règle
générale prohibitive, il permettait aux Etats de ce faire dans des cas
spécialement déterminés. Or, tel n’est certainement pas l’état actuel du droit
international. Loin de défendre d’une manière générale aux Etats d’étendre
leurs lois et leur juridiction à des personnes, des biens et des actes hors du
territoire, il leur laisse, à cet égard, une large liberté qui n’est limitée que dans
quelques cas par des règles prohibitives ; pour les autres cas, chaque Etat
reste libre d’adopter les principes qu’il juge les meilleurs et les plus
convenables. »
216 (souligné par la Belgique)
3.3.30 Cet extrait décrit parfaitement la situation de la Belgique : les faits se sont déroulés à
l’étranger, leur auteur est à l’étranger et aucune règle spécifique n’interdit à la Belgique
d’étendre sa juridiction à ces faits. Ce droit reconnu par la Cour permanente n’est, par ailleurs,
nullement limité au seul champ d’application ratione loci de la loi elle-même : la Cour vise,
non seulement, la « loi » de l’Etat du for, mais aussi, sa « juridiction ». Or, le mot
« juridiction » recouvre tout exercice de la justice sur le territoire de l’Etat du for, qu’il
s’agisse de l’instruction d’un fait ou de poursuites par défaut ou par contumace.
3.3.31 Au regard de l’aff. du Lotus, la Belgique était donc parfaitement fondée à instruire les
faits à charge de M. Yerodia Ndombasi et à décerner mandat d’arrêt contre lui.
3.3.32 La Belgique ne prétend pas que les Etats sont fondés à édicter n’importe quelle
législation. Toute loi doit être conforme aux règles de droit international qui lient l’Etat qui
l’adopte, et dans le cas plus particulier d’une loi à caractère extraterritorial, cette dernière doit
être raisonnable 217, notamment en ne portant pas atteinte au principe de non-intervention 218
.
3.3.33 La loi de 1993/1999 est d’autant moins attentatoire à la non-intervention qu’elle
s’inscrit au contraire dans un courant international de lutte contre l’impunité dont témoignent
les textes précités.219
3.3.34 Déjà en 1950, le représentant de la Belgique à la 6e
Commission de l’AG de NU, lors
des débats sur la formulation des « Principes de Nuremberg », affirmait, sans être contredit,

216 CPJI, Arrêt du 7 sept. 1927, Lotus, Série A n° 9, p. 19.
217 HIGGINS, R., « The Legal Bases of Jurisdiction », in Extra-territorial Application of Laws and Responses
thereto, ed. by C.J. Olmstead, ILA and ESC, 1984, p. 12.
218 Cfr. les réactions des CE à certaines lois américaines, ILM, 1982, p. 895; 1996, pp. 397-400.
219 Cfr. supra §§ 3.3.7/21.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
91
que le jugement de Nuremberg avait établi le principe selon lequel un criminel de guerre
pouvait être condamné par contumace :
“The Nürnberg trial has established the principle that a war criminal can be
tried in abstentia.” 220
3.3.35 La Belgique visait, sans doute, le fait que le TMI de Nuremberg avait condamné
Martin Bormann par contumace 221
.
(b) Une instruction et/ou des poursuites par défaut contre l’auteur présumé de graves
violations du droit international humanitaire n’est qu’une modalité de la lutte contre
l’impunité, modalité admise par la pratique internationale des Etats
3.3.36 Contrairement à certaines conventions modernes de droit pénal international, le droit
international ne réglemente que très sommairement les modalités judiciaires de répression de
graves violations du droit international humanitaire : la Convention de 1948 sur le crime de
génocide, les CG de 1949 et les résolutions adoptées au sein des N. U. laissent aux Etats le
soin d’agir comme ils l’entendent contre les auteurs des crimes visés par ces textes. Cette
liberté d’action des Etats s’inscrit parfaitement dans le cadre du dictum précité de l’affaire du
Lotus 222
.
3.3.37 Si les conventions modernes de droit pénal international précisent davantage les
modalités de répression, elles n’empêchent nullement les poursuites par défaut. Depuis
l’adoption de la Convention de La Haye du 16 décembre 1970 pour la répression de la capture
illicite d’aéronefs, la plupart des conventions, sinon toutes celles adoptées par la suite,
prévoient de manière à peu près similaire :
· d’abord, un principe de compétence universelle généralement fondée sur l’alternative
aut dedere aut judicare : l’Etat partie à la convention ne doit poursuivre l’auteur

220 235th Meeting of the Sixth Committee of the UN General Assembly, 8 November 1950, p. 162, § 38.
(Annexe n° 37)
221 TMI de Nuremberg, Jugement, 30 sept. – 1 oct. 1946, Procès, documents officiels., I, p. 367.
222 Cfr. supra § 3.3.29.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
92
présumé de l’infraction que s’il ne l’extrade pas vers un autre Etat partie qui le
requiert 223;
· ensuite, une clause conservatoire disposant que la convention n’écarte aucune
compétence pénale exercée conformément aux lois nationales 224 : autrement dit, la
compétence extraterritoriale que se réserve la Belgique est pleinement conforme à la
pratique de la plupart des conventions de droit pénal international adoptées depuis
1970.
3.3.38 La RDC concède que ce type de clause suggère « que le droit international général ne
paraît pas formellement interdire une telle affirmation de compétence ‘universelle’ aussi
élargie »
225. La RDC, comme on le verra, n’en conclut pas moins à l’illicéité de cette
compétence, sans craindre d’être incohérente, avec ce qu’implique la lettre même d’une telle
clause.
3.3.39 Il faut se rappeler que cette disposition reprend le texte de l’art. 3 § 3 de la Convention
de Tokyo du 14 septembre 1963 relative aux infractions et à certains autres actes survenant à
bord d’aéronefs. Or, l’histoire de cette disposition montre qu’on a voulu lui donner un champ
d’application qui fût le plus large possible. Lors des premiers travaux à Genève en 1956 sur
les compétences des Etats pour des infractions commises à bord d’aéronefs, le sous-comité
juridique du statut de l’aéronef avait voulu établir un ordre de priorité dans l’exercice des
compétences 226 : Etat d’immatriculation de l’appareil, Etat d’atterrissage, Etat de la

223 E.g. : Convention de La Haye du 16 déc. 1970 pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, art. 4 § 2 ;
Convention de Montréal du 23 sept. 1971 pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de
l’aviation civile, art. 5 § 2 ; Convention des N. U. du 14 déc. 1973 sur la prévention et la répression des
infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents
diplomatiques, art. 3 § 3 ; Convention internationale du 17 déc. 1979 contre la prise d’otages, art. 5 § 2 ;
Convention des N. U. du 10 déc. 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, art. 5 § 2 ; etc ; cfr. GUILLAUME, G., « La compétence universelle – Formes anciennes et
nouvelles », in Mélanges Levasseur, Paris, Litec, 1992, pp. 33-34 ; BUERGENTHAL, Th. and MAIER, H.
G., Public International Law in a Nutshell, St. Paul, Minn., West Publ., 1990, pp. 172-173 ; VAN DEN
WYNGAERT, C., Strafrecht en strafprocesrecht in hoofdlijnen, Antwerpen, Maklu, 1999, pp. 127-128.
224 E.g. : Convention de La Haye du 16 déc. 1970 pour la répression de la capture illicite d’aéronefs, art. 4 § 3 ;
Convention de Montréal du 23 sept. 1971 pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de
l’aviation civile, art. 5 § 3 ; Convention des N. U. du 14 déc. 1973 sur la prévention et la répression des
infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents
diplomatiques, art. 3 § 3 ; Convention internationale du 17 déc. 1979 contre la prise d’otages, art. 5 § 3 ;
Convention des N. U. du 10 déc. 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, art. 5 § 2 ; etc.
225 Mémoire RDC, § 86.
226 OACI, Conférence internationale de droit aérien, Tokyo, août-septembre 1963, vol. II, documents, doc.
OACI 8565-LC/152-2, p. 31. (Annexe 14)
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
93
nationalité de l’auteur ou de la victime, Etat survolé au moment de l’infraction, etc … Il
semble que, très rapidement, cet objectif a été abandonné car, dès 1958, à Montréal, le souscomité
admettait qu’il ne fallait écarter aucune revendication de compétence d’un Etat fondée
sur son droit national 227 : dans le projet de convention proposé par le sous-comité, on
reconnaissait le droit concurrent de l’Etat d’immatriculation et de tout autre Etat à exercer sa
juridiction.
3.3.40 Le souci d’assurer à cette disposition le champ d’application le plus large possible a été
confirmé lors de la Conférence de Tokyo ; le texte initialement proposé à la Conférence
disait :
« Le présent article n’écarte aucun chef de compétence pénale qu’un Etat
peut avoir incorporé dans ses lois nationales. »
228
L’Italie critiqua ce texte en observant que l’expression « incorporé dans ses lois nationales »
était trop restrictif et qu’il fallait remplacer l’expression « le présent article » par « la présente
convention » afin de montrer que c’était, non cette disposition, mais l’ensemble de la
convention qui ne devait écarter aucune compétence pénale interne 229. La Yougoslavie
appuya la proposition italienne en observant qu’il fallait éviter que la convention écartât une
compétence pénale existant dans les lois d’un Etat partie 230 Le Canada estimait aussi qu’on ne
devait pas exclure des compétences qu’un Etat se donnerait postérieurement à la ratification
231. C’est à la suite de ces remarques que l’art. 3 § 3 fut réécrit dans sa version actuelle :
« La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée
conformément aux lois nationales. »
232
3.3.41 L’histoire de l’adoption de ce texte et sa reproduction dans d’autres instruments,
consacrent donc la validité de toute compétence pénale interne dans les domaines couverts par
ces instruments.

227 Ibid., pp. 46-47, 60-61. (Annexe 14)
228 Ibid., p. 2. (Annexe 14)
229 Ibid., Procès-verbaux , I, pp. 116 et 288 (Annexe 13)
230 Ibid., p. 116.
231 Ibid..
232 Ibid.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
94
(c) Une instruction et/ou des poursuites par défaut sont largement admises par la pratique
nationale des Etats
3.3.42 La pratique des Etats confirme la possibilité de déclencher des poursuites ou de faire
un procès par défaut. On ne s’étendra pas sur les possibilités de procès (et de condamnation)
par défaut ou par contumace car la requête de la RDC porte, non sur le procès lui-même, mais
sur l’ouverture d’une instruction ou le déclenchement de poursuites par défaut. On peut
néanmoins observer que le principe du procès par défaut est reconnu dans bon nombre d’Etats
du système romano-civiliste (y compris la Belgique et la France)233 et que si un tel procès
peut avoir lieu en l’absence de l’accusé, a fortiori, des poursuites peuvent être engagées en son
absence.
3.3.43 En ce qui concerne le déclenchement de poursuites par défaut et/ou l’ouverture d’une
instruction en l’absence de l’accusé, il s’agit d’une pratique exercée par toutes les justices du
monde 234 : si l’on ne pouvait jamais ouvrir une information, une instruction ou déclencher
l’action publique à l’égard d’un suspect, d’un inculpé ou d’un accusé fugitif ou latitant qu’à la
condition qu’il soit trouvé sur le territoire de l’Etat poursuivant, il suffirait à cet accusé de
quitter le territoire où il est recherché et il ne serait jamais inquiété puisque l’action publique
ne pourrait être mise en mouvement en son absence … C’est évidemment absurde. En outre, la
répression se trouverait singulièrement hypothéquée si la justice devait attendre la présence de
l’accusé sur le territoire du for pour commencer à travailler sur son dossier.
3.3.44 On répondra qu’il faut distinguer entre une infraction commise sur le territoire de l’Etat
poursuivant et une infraction commise à l’étranger ; seule la seconde exigerait la présence de
l’accusé sur le territoire de l’Etat poursuivant pour l’ouverture de l’instruction ou le
déclenchement de poursuites. Par contre, pour la première, la justice serait évidemment fondée
à agir même en l’absence de l’accusé.
3.3.45 La pratique va généralement dans ce sens. C’est le cas de la Belgique pour beaucoup
d’infractions : aux termes de l’art. 12 du titre préliminaire du c.i.c., des infractions commises à

233 Cfr. infra §§ 3.3.46/47.
234 En droit belge, loi sur la détention préventive du 20 juillet 1990, art. 34 § 1 : « Lorsque l’inculpé est fugitif
ou latitant ou lorsqu’il y a lieu de demander son extradition, le juge d’instruction peut décerner un mandat
d’arrêt par défaut. » Voy. VAN DEN WYNGAERT, C., Strafrecht en strafprocesrecht, Antwerpen, Maklu,
1998, p. 862.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
95
l’étranger ne peuvent donner lieu à instruction ou à poursuites que si l’auteur présumé est
trouvé en Belgique 235
.
3.3.46 Il existe cependant des exceptions qui sont loin d’être récentes : ainsi, pour les crimes
et délits commis à l’étranger par un Belge ou un étranger et dirigés contre la sûreté de l’Etat
ou contre la « foi publique » (fausse monnaie, contrefaçon des papiers, sceaux, timbres ou
poinçons de l’Etat, etc), la poursuite peut avoir lieu même si l’inculpé n’est pas trouvé sur le
territoire belge 236. Il existe d’autres exceptions plus marginales 237. Toutes ces exceptions sont
classiques ; on les retrouve dans bon nombre d’autres législations étrangères.
3.3.47 A titre purement exemplatif, on citera le code pénal italien 238, le code pénal allemand
239 qui ne pose aucune condition territoriale à l’exercice de la compétence réelle 240, le code
pénal français (infractions commises hors du territoire de la république) combinés aux articles
du code de procédure pénale français 241, la loi espagnole relative à l’organisation du pouvoir
judiciaire 242, le code pénal néerlandais 243
.
3.3.48 Or, ces exceptions ou leur application n’ont jamais donné lieu à la moindre difficulté
dans les relations internationales. Ceci prouve qu’en soi rien n’interdit à l’Etat de poursuivre
des étrangers pour des infractions commises à l’étranger alors que ces étrangers ne sont pas
sur le territoire de l’Etat poursuivant. C’est une simple question de choix national qui ne
relève que de la souveraineté de l’Etat. A fortiori doit-il en aller ainsi lorsque les infractions en
cause ne sont pas seulement des infractions de droit interne, mais également des infractions de
droit international.

235 C.i.c, Titre préliminaire, art. 12 : « Sauf dans les cas prévus aux articles 6, n°s
1 et 2, 10 n°s
1 et 2, ainsi qu’à
l’article 10 bis, la poursuite des infractions dont il s’agit dans le présent chapitre n’aura lieu que si l’inculpé
est trouvé en Belgique. » (Annexe 6)
236 Ibid., art. 6, 10 et 12. (Annexe 6)
237 Ibid., art. 10 bis et 12.
238 Codice penale, art. 7, 8 et 10. (Annexe 15)
239 Strafgezetzbuch, art. 5. (Annexe 16)
240 VANDER BEKEN, T., Forumkeuze in het internationale strafrecht, Antwerpen, Maklu, 1999, p. 139, §
405.
241 Code pénal français, art. 113-6 à 113-12 (Annexe 17) et Code de procédure pénale, art. 689 et 689-1.
(Annexe 18)
242 Ley Organica 6/1985 de 1 de Julio del poder judicial, art. 23, § 3. (Annexe 19)
243 Wetboek van Strafrecht, art. 4 §§ 1-4. (Annexe 20)
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
96
3.3.49 La ratio legis de la règle selon laquelle l’inculpé doit, dans certains cas, être présent sur
le territoire de l’Etat pour que ce dernier puisse le poursuivre à raison de faits commis à
l’étranger confirme que ce n’est pas dans une hypothétique opinio juris internationale qu’il
faut rechercher la source de cette limitation que l’Etat s’impose. La règle ne répond en effet
qu’à des considérations de convenance pratique ou d’opportunité, nullement au « sentiment de
se conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique » internationale 244. On considère en
effet qu’une infraction pénale commise à l’étranger contre un particulier ne trouble pas l’ordre
social de l’Etat du for de la même manière que si elle était commise sur son territoire. Cette
infraction ne justifie donc pas, a priori, l’ouverture d’une instruction ou de poursuites ; il en
va, toutefois, autrement si l’auteur de l’infraction est trouvé sur le territoire de l’Etat du for car
sa présence et son impunité deviennent alors « une cause de danger, de désordre et de
scandale »
245. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une infraction dirigée contre l’Etat lui-même, ou
contre certains signes de son autorité (monnaie, sceaux, poinçons, etc), la gravité du fait exige
une action répressive immédiate et indépendante de la présence de son auteur sur le territoire
de son Etat lésé.
3.3.50 Les travaux préparatoires de l’art. 12 du titre préliminaire du c.i.c. belge sont à cet
égard éclairants. On lit dans l’exposé des motifs de ce texte qui remonte à 1877 :
« Quand le délit commis hors du territoire d’un Etat est dirigé contre cet Etat
lui-même, contre sa sûreté intérieure ou extérieure, contre sa fortune
publique, cet Etat a un intérêt évident à la répression, car il est directement et
personnellement attaqué. Dans ce cas aussi, il importe peu que le coupable
soit un national ou un étranger ; qu’il soit saisi sur le territoire ou qu’il se
tienne au dehors. L’absence du coupable peut rendre plus difficile l’action de
la justice, mais cette circonstance n’influe en rien sur le droit de l’Etat.
Au contraire, quand il s’agit de délits commis à l’étranger contre des
particuliers, l’Etat, hors du territoire duquel ces délits ont été commis, n’a
plus un intérêt immédiat à la répression ; cet intérêt ne naît que de la présence
du coupable.
C’est le retour du coupable dans sa patrie qui constitue l’outrage à la loi
nationale. Ce retour justifie l’action de la justice, car l’impunité du coupable
au milieu de ses concitoyens serait une cause de trouble, de mauvais exemple
et de scandale pour l’autorité du droit [réf. om.]. »
246

244 CJI, arrêt du 20 février 1969, Plateau continental de la mer du Nord, Rec. 1969, p. 44.
245 FRANCHIMONT, M., JACOBS, A. et MASSET, A., Manuel de procédure pénale, Ed. coll. Sc. de la
Faculté de droit de Liège, 1989, p. 1064.
246 Documents parlementaires, Chambre, n° 70, 23 janv. 1877, p. 19 (Annexe 21) ; dans le même sens, Rapport
Thonissen, Ibid., n° 143, 11 mai 1877, pp. 19-20. (Annexe 22)
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
97
3.3.51 Si une infraction pénale ordinaire commise dans un Etat étranger ne mobilise donc la
justice d’un autre Etat que dans la mesure où l’infraction devient source de trouble pour le
second, on peut comprendre pourquoi le législateur belge, à l’instar de bien d’autres Etats, a
prévu des exceptions à la nécessité de la présence de l’auteur présumé, notamment, pour des
infractions telles que des atteintes à la sûreté de l’Etat ou à la foi publique.
3.3.52 Ce qui est vrai pour des atteintes aux intérêts fondamentaux de l’Etat doit l’être a
fortiori pour des atteintes aux intérêts fondamentaux de la communauté internationale, et en
particulier, celles qui ont trait aux violations des droits les plus élémentaires de la personne.
3.3.53 Ainsi, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime de génocide
interpellent toute la communauté internationale et ne sont pas exclusivement liés à un
territoire. Comme le disait la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Lyon dans l’aff.
Barbie, ces crimes appartiennent à « un ordre répressif auquel la notion de frontière […] (est)
fondamentalement étrangère »
247. Leur localisation importe donc peu. Par leur gravité et
l’atteinte qu’ils portent à l’ordre international, ces crimes sont réputés commis sur le territoire
de tout Etat. Cette conclusion est d’ailleurs cohérente avec le caractère erga omnes des règles
qui régissent leur répression.248 Le trouble social n’est plus seulement interne : il est
universel ! En pareil cas, il est vain d’essayer de trouver en droit international une quelconque
limite ratione loci à la répression de crimes faisant partie de ceux qui offensent « la
conscience du monde »
249
.
3.3.54 La pratique le confirme. Ainsi, la loi luxembourgeoise du 9 janvier 1985 relative à la
répression des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 dispose en son
art. 10 :
« Tout individu, qui a commis, hors du territoire du Grand-Duché, une
infraction prévue par la présente loi peut être poursuivi au Grand-Duché
encore qu’il n’y soit pas trouvé. »
250

247 8 juillet 1983, JDI, 1983, pp. 779 et ss. , note Edelman.
248 Cfr supra § 3.3.5.
249 TMI de Nuremberg, jugement des 30 sept.–1er oct. 1946, Doc. off., T. 1, p. 231.
250 Amnesty International, Study on Universal jurisdiction, September 2001, vol. 1, chap. IV, part B, p. 26, n.
117.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
98
3.3.55 L’art. 7 du code pénal italien admet des poursuites contre des étrangers ayant commis à
l’étranger des infractions visées par des conventions internationales liant l’Italie, même si
l’étranger n’est pas trouvé sur le territoire italien 251
.
3.3.56 En Nouvelle-Zélande, la sect. 8 (1) du International Crimes and International
Criminal Court Act 2000 dispose que
“Proceedings may be brought for an offence
[…]
(c) against section 9 [genocide] or section 10 [crimes against humanity]
or section 11 [war crimes] regardless of
(i) the nationality or citizenship of the person accused; or
(ii) whether or not any act forming part of the offence occurred in New
Zealand; or
(iii) whether or not the person accused was in New Zealand at the time
that the act constituting the offence occurred or at the time a decision
was made to charge the person with an offence.” 252
3.3.57 Dans une très substantielle étude de droit comparé consacrée à la compétence
universelle, Amnesty International a étudié la législation de quelque 125 Etats qui connaissent
cette compétence en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Si dans un
certain nombre de cas, l’étude observe que l’exercice de la compétence universelle requiert la
présence de l’accusé sur le territoire de l’Etat poursuivant, dans d’autres cas, elle ne précise
pas si cette présence est nécessaire ou non, et dans une troisième catégorie de cas, elle
remarque, expressément, que cette présence n’est pas requise pour le déclenchement des
poursuites. Ainsi :
· Bolivie : à propos de l’art. 1 (7) du code pénal conférant aux tribunaux internes une
compétence universelle pour les crimes que l’Etat bolivien s’est conventionnellement
engagé à réprimer, l’étude observe que “There is no requirement in Art. 1 (7) that a
suspect be in Bolivia before a prosecutor can initiate an investigation […]” 253;
· Burundi, à propos de l’art. 4 du décret-loi 1/6 du 4 avril 1981 sur les crimes commis à
l’étranger, l’étude observe que “Thus, it may be possible to charge a person suspected

251 ANTOLISEI, F., Manuale di diritto penale, Milano, Giuffrè, 1997, pp. 122-123. (Annexe 23)
252 Amnesty International, Study on Universal jurisdiction, September 2001, vol. 1, chap. IV, part B, p. 40, n.
181.
253 Amnesty International, Ibid., part A, p. 28.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
99
of a crime abroad who is outside the country, but no further proceedings to prosecute
the person may occur until the person is found in Burundi” 254
.
· El Salvador : sur l’art. 10 du code pénal de 1998 relatif à la répression de crimes qui
affectent notamment les droits de l’homme, l’étude observe que l’article “does not
require that the suspect be in El Salvador” 255
.
· Perou : à propos de l’art. 2 (5) du code pénal péruvien qui prévoit la compétence
universelle des tribunaux péruviens pour des faits érigés en crimes par des traités
internationaux, l’étude observe que “there is no express requirement in this article that
the suspect be in the territory in order to open an investigation” 256
.
· Suisse : à propos des dispositions pénales suisses qui répriment les crimes de guerre,
l’étude observe que “there is no requirement that the suspect be in Switzerland to open
a criminal investigation, although the normal practice is that prosecutors will not open
a criminal investigation unless the suspect is believed to be in Switzerland.” 257
.
3.3.58 Cette étude n’est probablement pas exhaustive, et il conviendrait sans doute
d’examiner plus attentivement le code ou les lois de procédure pénale de chacun des Etats
pour savoir ce qu’il en est avec plus de précision. Elle n’en offre pas moins un échantillonnage
intéressant de législations qui ne correspondent pas à l’image simpliste que la RDC prétend
donner de la réalité juridique internationale.
3.3.59 La RDC conteste pourtant le droit de la Belgique d’ouvrir une instruction ou de
déclencher des poursuites par défaut au nom de l’opinio juris qui, selon la RDC, se dégagerait
de certaines législations nationales. Elle invoque, à cet effet deux lois — celles du Canada et
de la France — qui limitent l’exercice des compétences répressives de ces Etats à l’égard de
certaines violations graves du droit international humanitaire au cas où l’auteur de ces
violations se trouverait sur leur territoire 258
.

254 Ibid., p. 35.
255 Ibid., p. 68.
256 Ibid., Part B, p. 49.
257 Ibid., p. 77.
258 Mémoire RDC, §§ 88-89.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
100
3.3.60 On commencera par observer que la RDC ne démontre aucune opinio juris : elle
constate simplement que deux Etats ont choisi de ne poursuivre l’auteur des faits en cause que
lorsqu’il se trouve sur leur territoire ! La RDC ne cite aucun extrait des travaux préparatoires
de ces deux lois montrant que ces Etats ne veulent pas ouvrir d’instruction ou entamer des
poursuites in abstentia au nom d’une quelconque interdiction du droit international.
3.3.61 Pourtant, la RDC se réfère au rejet, par l’Assemblée nationale française, d’un
amendement permettant la poursuite en France des crimes visés par le Statut du TPIY, au cas
où leur auteur ne se trouverait pas sur le territoire français alors que les victimes y seraient
domiciliées. La RDC voit, dans le rejet de cet amendement,
« l’opinio juris du législateur français qui tient l’exercice d’une compétence
‘universelle’ en l’absence de la présence [sic] de l’accusé sur le territoire
national pour abusive »
259
.
3.3.62 Il est particulièrement intéressant de vérifier si, comme l’affirme la RDC, cet
amendement a été repoussé en raison d’une opinio juris du législateur français qui tiendrait
l’exercice de la « compétence universelle en l’absence de l’accusé sur le territoire national
pour abusive »
260
.
3.3.63 La réalité est beaucoup plus prosaïque : c’est uniquement pour des raisons pratiques
tenant au risque d’encombrement du rôle du tribunal de grande instance de Paris que
l’amendement a été rejeté. Le ministre français délégué aux relations avec l’Assemblée
nationale explique comme suit son opposition à l’amendement proposé par M. Picotin,
rapporteur du projet de loi :
« En effet, si l’on retenait sa proposition [d’amendement], nombre des 4000
victimes vivant en France déposeraient plainte pour la plupart devant le
tribunal de grande instance de Paris. Cela provoquerait un embouteillage
considérable qui aboutirait à l’effet inverse de celui recherché, car certaines
exactions qui pourraient être sanctionnées ne le seraient jamais à cause de cet
encombrement artificiel.
[…]

259 Ibid., § 88 in fine.
260 Ibid.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
101
Nous sommes donc là face à un problème pratique. »
261
3.3.64 Quant au Canada, la situation est beaucoup plus nuancée que ce qu’en dit la RDC : s’il
est vrai que l’art. 8 de la loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre du 29 juin
2000 limite les poursuites contre un étranger, auteur présumé d’un crime prévu par la loi, au
cas où cette personne se trouve au Canada postérieurement à l’infraction, l’art. 9 § 1 admet
que des poursuites soient engagées « que l’accusé se trouve ou non au Canada »
262 (souligné
par la Belgique). La loi canadienne autorise donc bel et bien le déclenchement de l’action
publique in abstentia.
3.3.65 Outre l’aff. Pinochet, plusieurs précédents importants tirés de la pratique nationale
confirment le droit de l’Etat du for d’exercer la compétence universelle pour des faits commis
à l’étranger par un étranger qui se trouve à l’étranger au moment où les poursuites sont
intentées.
3.3.66 Ainsi, lorsqu’Israël demande aux E.-U. l’extradition de John Demjanjuk, pour des
crimes de guerre qu’il aurait commis en Pologne pendant la 2e
guerre mondiale, Israël ne fait
rien d’autre que donner suite à une instruction judiciaire menée in abstentia contre un étranger
pour des faits commis à l’étranger contre des étrangers. Cette action n’a soulevé aucune
difficulté juridique, ni pour Israël, ni pour les E.-U. qui ont accepté d’extrader l’intéressé vers
l’Etat hébreu. Dans sa décision du 31 octobre 1985 rejetant l’appel interjeté par Demjanjuk
contre le jugement du tribunal de district concluant qu’il pouvait être extradé vers Israël, la
Cour d’appel du 6e
Circuit affirme notamment :
“Israel is seeking to enforce its criminal law for the punishment of Nazis and
Nazi collaborators for crimes universally recognized and condemned by the
community of nations. The fact that Demjanjuk is charged with committing
these acts in Poland does not deprive Israel of authority to bring him on trial.
Further, the fact that the State of Israel was not in existence when Demjanjuk
allegedly committed the offenses is no bar to Israel’s exercising jurisdiction
under the universality principle. When proceeding on that jurisdictional
premise, neither the nationality of the accused or the victim(s), nor the
location of the crime is significant. The underlying assumption is that the
crimes are offenses against the law of nations or against humanity and that
the prosecuting nation is acting for all nations. This being so, Israel or any
other nation, regardless of its status in 1942 or 1943, may undertake to

261 Journal Officiel de l’Assemblée nationale, 20 déc. 1994, 2e
séance, p. 9446. (Annexe 24)
262 Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, 2000, ch. 24. (Annexe 25)
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
102
vindicate the interest of all nations by seeking to punish the perpetrators of
such crimes.” 263 (souligné par la Belgique)
3.3.67 Dans le cas de l’aff. Bouterse (déjà citée par la Belgique lors de la phase sur la requête
de la RDC en mesures conservatoires) 264, deux ressortissants néerlandais avaient introduit un
recours aux Pays-Bas contre une décision du ministère public néerlandais de ne pas poursuivre
un haut officier du Surinam, le lieutenant-colonel Bouterse. Celui-ci commandait des
militaires qui avaient arrêté, torturé et exécuté, en décembre 1982, à Panamaribo, 15 personnes
(des juristes, professeurs, hommes d’affaires, syndicalistes, journalistes et officiers)
considérées comme menaçant l’autorité militaire de Bouterse. 14 victimes étaient des
ressortissants du Surinam et la 15e
était de nationalité néerlandaise 265. Les plaignants
néerlandais étaient, l’un, le frère et, l’autre, le neveu de deux des victimes 266
.
3.3.68 Dans une première décision datée du 3 mars 2000, la Cour d’appel d’Amsterdam
justifie la recevabilité des recours, malgré leur caractère extra-territorial, par les éléments
suivants :
“The Netherlands has close historic ties with Surinam. A large number of
people of Surinamese origin [are] living in the Netherlands. The events in
December 1982 shocked not only this group but also society at large in the
Netherlands. There are indications that at least one of the victims and
possibly more had Dutch nationality. Finally, the complainants, who are
relatives of two of the victims, live in the Netherlands. As a prosecution
elsewhere in the world cannot be expected in the foreseeable future, as
explained above, they have now applied to the most appropriate authorities.
Prosecution in the Netherlands would be appropriate on all these grounds.”
267
3.3.69 Il est frappant de constater à quel point la plupart des critères retenus par la Cour
d’appel d’Amsterdam pour justifier le forum conveniens se retrouvent dans la décision du juge
d’instruction belge d’instruire les plaintes dirigées contre M. Yerodia Ndombasi : nationalité
belge de certains des plaignants qui se considèrent également comme victimes, résidence de
ces personnes en Belgique, présence d’une importante communauté congolaise en Belgique,

263 US Crt. of App., 6th Cir., 31 Oct. 1985, Demjanjuk v. Petrovsky, ILR, 79, pp. 545-546. (Annexe 26)
264 CIJ, CR 2000/35, 23 nov. 2000, per E. David, § 2.
265 Expert’s opinion, C.J. Dugard, In re Bouterse, 7 juillet 2000, §§ 1.1 – 1.3 (Annexe n° 29); sur cette affaire
voy. aussi KOOIJMANS, P. H., Internationaal publiek recht in vogelvlucht, Tjeenk Willink, 2000, p. 56.
266 Beslissing van het Gerechtshof van Amsterdam, (Décision de la Cour d’appel d’Amsterdam), 3 mars 2000,
Bouterse, § 3.1. (Annexe 30)
267 Ibid., § 4.2. (Annexe 30)
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
103
émotion provoquée en Belgique par le discours de M. Yerodia Ndombasi, absence prévisible
de for plus adéquat pour réprimer l’infraction.
3.3.70 En ce qui concerne plus spécifiquement l’exercice de la compétence universelle in
abstentia, la Cour d’appel d’Amsterdam observe simplement que le droit international
coutumier admet cette compétence pour des crimes contre l’humanité, que l’exercice de cette
compétence ne requiert pas que les victimes soient des nationaux de l’Etat poursuivant et que
rien dans le rapport de l’expert commis par la Cour d’appel (M. J. Dugard) n’exclut l’exercice
de cette compétence in abstentia :
“5.2 The Court of Appeal also shares the view of the expert :
[…] that as customary international law stood in 1982, a State had
competence to exercise extraterritorial (universal) criminal jurisdiction over a
person accused of a crime against humanity when that person was not a
national of the State concerned.
5.3 The Court of Appeals also understands from the report of the expert
that it is not necessary for the exercise of jurisdiction that the victim should
be a national of the prosecuting State or that the victims are nationals of the
prosecuting State, although such a connecting factor — as in the present case
where the complainants are relatives of the victims — would strengthen the
basis for the exercise of jurisdiction.
5.4 The Court of Appeal has found insufficient grounds in the report of
the expert to conclude that prosecution of Bouterse in the Netherlands would
not be possible and admissible in accordance with the criteria of customary
international law as long as he is not in the Netherlands.” 268 (souligné par la
Belgique)
3.3.71 On ne saurait être plus clair. J. Dugard observait, à propos de la présence de l’accusé
sur le territoire de l’Etat poursuivant, comme critère de mise en œuvre des poursuites :
“It is not clear whether this requirement [presence of the accused in the forum
State] prevents a State in whose territory the offender is not present from
requesting extradition of the offender from a State in whose territory the
offender is present, but which elects not to try him itself, when the sole basis
for the exercise of jurisdiction is the principle of universality. Some have
argued that it is objectionable to allow extradition requests of this kind as it
would permit a particular state to act as ‘policeman’ of the world by
requesting extradition of torturers from any country. This objection was not
raised in the Pinochet proceedings and a number of English courts were
prepared to entertain a request from Spain to exercise jurisdiction on grounds
of universality (in Spain v Pinochet (Bow street Magistrate’s court, 8 October

268 Ibid., 20 novembre 2000, §§ 5.2-5.4. (Annexe 30)
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
104
1999) the extraditing magistrate was satisfied that the principle of
universality gave Spain jurisdiction in this case. Article 7 of the European
Convention on Extradition, under which, Pinochet’s extradition was ordered,
permits extradition where both the requesting and requested State recognize
the principle of universal jurisdiction in the case in question).
A State that requests extradition of a torturer would probably be wise to stress
the presence of some connecting factors between it and the crime the crime to
ensure that this objection would not be raised against it.” 269 (souligné par la
Belgique)
3.3.71a Dans sa décision du 18 septembre 2001, le Hoge Raad des Pays-Bas n’a cependant
pas été aussi loin : il réforme la décision de la Cour d’appel après avoir constaté, d’abord, que
la Convention contre la torture n’obligeait pas les Pays-bas à exercer une compétence autre
que celle prévue par la Convention (compétence territoriale, compétences personnelles,
compétence universelle si l’accusé est présent sur le territoire) ensuite, que l’intention du
législateur néerlandais était de limiter la compétence du juge néerlandais aux seuls cas de
compétence prévus par la Convention. Le Hoge Raad n’a cependant pas remis en cause les
éléments précités de la motivation de la Cour d’appel270 : notamment, il ne dit pas que le droit
international interdit aux Etats d’exercer une compétence plus large.271
3.3.72 Dans le cas de l’Espagne, outre l’aff. Pinochet, on peut se référer à l’instruction
ouverte dans les années 90 par le juge B. Garzon à propos de 98 dossiers de ressortissants
argentins pour leur participation à des crimes commis durant la dictature argentine entre 1976
et 1983. C’est dans ce cadre que se situe l’aff. Cavallo. En l’espèce, Ricardo Miguel Cavallo
était inculpé par B. Garzon de faits de génocide, torture et terrorisme. Cavallo est arrêté le 24
août 2000 à Cancun au Mexique. Le 12 septembre 2000, l’Espagne, après une décision
favorable de l’Audiencia Nacional272, demande son extradition au Mexique. Le 12 janvier
2001, un juge mexicain décide d’autoriser l’extradition vers l’Espagne.273 Le 2 février 2001, le
gouvernement mexicain accepte d’extrader Cavallo vers l’Espagne. Cette décision fait
actuellement l’objet d’un recours devant la Cour suprême du Mexique. Quelle que soit la
décision finale, cette affaire illustre la reconnaissance par l’Espagne et le Mexique du droit
d’ouvrir une instruction in abstentia.

269 Expert’s opinion, C.J. Dugard, op. cit., § 5.6.5. (Annexe 29)
270 Cfr. supra § 3.3.70
271 Beslissing van de Hoge Raad (Décision de la Haute Cour), 18 septembre 2001, Bouterse, § 8, spécialement
§ 8.2, 8.4 et 8.5 (Annexe 31)
272 Cavallo, Audiencia nacional, Auto solicitando la extradición de Ricardo Miguel Cavallo (Ordre de
l’extradition de l’Audience nationale), 12 sept. 2000.(Annexe 27)
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
105
3.3.73 En Allemagne, une instruction avait été ouverte à l’égard d’un ressortissant
néerlandais, Dost, pour des faits de trafic de stupéfiants commis à Arnhem aux Pays-Bas.
C’est sur la base de l’art. 6 § 5 du Strafgesetzbuch qui prévoit la compétence universelle du
juge allemand sans condition de présence de l’auteur sur le territoire de l’Etat poursuivant que
l’affaire avait été mise à l’instruction ; en l’occurrence, l’intéressé ne se trouvait pas en
Allemagne et les faits qui lui étaient reprochés avaient été commis à l’étranger 274
.
3.3.74 En conclusion, ce ne sont pas les sources qui manquent pour confirmer le droit de
l’Etat d’ouvrir une instruction in abstentia. La RDC est dans l’incapacité d’invoquer une
source précise affirmant que le droit international n’autoriserait l’ouverture d’une instruction
ou de poursuites par défaut que quand le crime a été commis sur le territoire de l’Etat
poursuivant et qu’il les interdit quand le crime a été commis à l’étranger. En réalité, le droit
international, qui reconnaît le principe de la compétence universelle pour les crimes graves de
droit international humanitaire, n’interdit en aucune manière l’exercice de cette compétence in
abstentia. Ceci résulte de la variété des systèmes pénaux : certains appliquent une stricte
territorialité alors que d’autres connaissent divers types de compétences extraterritoriales. Cela
explique la tolérance des conventions modernes de droit pénal international à l’égard de
compétences non prévues par ces instruments.275 Il est donc vain de chercher dans le droit
international des règles qui limiteraient la compétence extraterritoriale des Etats aux cas où
l’auteur présumé d’une infraction extraterritoriale se trouverait sur le territoire de l’Etat du for.
De telles règles n’existent pas à ce jour.
II. Les autres arguments de la RDC hostiles à l’exercice de la compétence universelle in
abstentia
3.3.75 La RDC conteste encore l’exercice de la compétence universelle in abstentia en raison
des risques de multiplication des poursuites (a.) et en raison des principes de fonctionnement
de la CPI (b.).

273 Cavallo, Texto de las conclusiones del juez natural sobre la posible extradición de Miguel Angel Cavallo a
España, (Conclusions du juge concernant l’extradition), 12 janvier 2001. (Annexe 27)
274 Cité in VANDER BEKEN, T., Formukeuze in het internationaal strafrecht, Antwerpen, Maklu, 1999, p.
165. (annexe 28)
275 Supra § 3.3.37.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
106
3.3.76 Indépendamment des arguments qui viennent d’être exposés et qui justifient
l’instruction ouverte en Belgique à l’égard de M. Yerodia Ndombasi, on va voir qu’aucun des
arguments présentés par la RDC ne résiste à l’analyse.
(a) Le prétendu risque de multiplication des poursuites
3.3.77 Les auteurs du mémoire de la RDC craignent que l’exercice d’une compétence
universelle par défaut ne débouche sur une « monstrueuse cacophonie ». Le refrain est connu
276, mais le droit international n’est pas l’art de la fugue ou du contrepoint. Comme on l’a vu,
il accepte les conflits positifs de compétences ; ceux-ci sont inhérents à une société d’Etats
souverains, juridiquement égaux et juxtaposés les uns par rapport aux autres.
3.3.78 D’ailleurs, le risque de tels conflits ne résulte pas seulement de la compétence
universelle: toutes les compétences extraterritoriales (personnelle active, personnelle passive,
réelle, pluri-territoriale) sont susceptibles d’y conduire. Aujourd’hui, avec le développement
de la criminalité transfrontière, une même infraction peut donner lieu simultanément à
poursuites dans un, deux, trois ou n Etats ! Le droit international actuel n’y fait pas obstacle.
3.3.79 Les travaux préparatoires de la Convention de Tokyo du 14 septembre 1963 sur les
infractions commises à bord des aéronefs sont à cet égard significatifs277. On a vu que le
souhait initial d’établir une priorité dans l’exercice des compétences des différents Etats
concernés par une infraction commise à bord d’un aéronef avait, rapidement, été
abandonnée278 ; l’Italie le rappellera lors de la Conférence de Tokyo et le principe est resté
dans le texte final. 279
.
3.3.80 Le risque de conflit positif de compétences reste, de toute façon, très théorique.
D’abord, les justices nationales dont les rôles sont déjà suffisamment encombrés, ne sont
guère enclines à poursuivre les auteurs d’infractions d’autant plus difficiles à instruire qu’elles
ont été commises à l’étranger. Ensuite, le droit national comme le droit international prévoient

276 Voy. encore l’interview accordée par M. J. Verhoeven au Vif – L’Express, 18 mai 2001.
277 OACI, Conférence internationale de droit aérien, Tokyo, août-septembre 1963, vol. II, documents, doc.
OACI 8565-LC/152-2, p. 31 et seq (Annexe 14)
278 Ibid., Article 3 (1), p. 46 ; Supra §§ 3.3.39/40
279 Ibid., LC/152-1, Procès-verbaux, p. 115. (Annexe 13) ; supra § 3.3.40
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
107
des remèdes en cas de chevauchements de compétences, notamment avec l’application de la
règle non bis in idem.280 Les possibilités de fausses notes restent donc minimes.
(b) La prétendue incompatibilité de la loi de 1993/1999 avec le Statut de la CPI
3.3.81 Selon la RDC, la mise en œuvre de la compétence universelle prévue par la loi de
1993/1999 entraverait l’exercice, par la future CPI, de sa compétence puisque celle-ci est
complémentaire à celle des Etats (Statut, art. 1er et 17) et que la Belgique aurait toujours
compétence pour les infractions visées au Statut 281
.
3.3.82 L’argument ne tient pas. Indépendamment du principe de l’opportunité des poursuites
qui n’oblige pas la justice belge à se saisir de toutes les violations du droit international
humanitaire commises dans le monde, le texte même du Statut répond à l’objection : la CPI
peut se saisir de toute infraction prévue à son Statut dés lors que l’Etat normalement
compétent est incapable d’exercer réellement sa compétence. L’art. 17 dispose :
« 1. Eu égard au 10e
alinéa du préambule et à l’art. 1er du présent Statut,
une affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque :
a) L’affaire fait l’objet d’une enquête ou de poursuites de la part d’un
Etat ayant compétence en l’espèce, à moins que cet Etat n’ait pas la volonté
ou soit dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les
poursuites ;
[…]
3. Pour déterminer s’il y a incapacité de l’Etat dans un cas d’espèce, la
Cour considère si l’Etat n’est pas en mesure, en raison de l’effondrement de
la totalité ou d’une partie substantielle de son propre appareil judiciaire ou de
l’indisponibilité de celui-ci, de se saisir de l’accusé, de réunir les éléments de
preuve et les témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la
procédure. »
282 (souligné par la Belgique)
3.3.83 Les termes de l’art. 17 sont limpides : ce n’est pas parce que la loi belge permet
l’ouverture d’une instruction ou des poursuites in abstentia que la Belgique sera capable « de

280 C.i.c, Titre préliminaire, art. 13 (Annexe 6) ; Convention de Schengen du 19 juin 1990 relatif à la
suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, art. 54 : « Une personne qui a été
définitivement jugée par une Partie contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre
Partie contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en
cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie contractante de
condamnation. » ; voy. aussi Charte des droits fondamentaux de l’UE, 9 déc. 2000, art. 50, in DAI, 2001, p.
49.
281 Mémoire RDC, § 91.
282 Statut de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, art. 17.
Partie III, Chapitre Trois: Le fond de l'affaire
108
mener véritablement à bien la procédure », « de réunir les éléments de preuve et les
témoignages nécessaires ou de mener autrement à bien la procédure ». Si la Belgique se révèle
incapable d’instruire sérieusement l’affaire, la lettre même des §§ 1 (a) et 3 de l’art. 17
montrent que la CPI sera parfaitement apte à en connaître.
3.3.84 En conclusion, la compétence universelle prévue par la loi belge de 1993/1999 ne viole
aucune norme de droit international : elle rentre dans le cadre de la souveraineté des Etats telle
qu’évoquée par l’aff. du Lotus ; elle trouve confirmation dans une pratique internationale qui
tient compte de la grande diversité des législations pénales et des compétences que les Etats se
donnent ; elle n’est pas unique au monde et n’a pas suscité de protestations internationales au
moment de son édiction ; elle n’est pas plus singulière que toute autre forme de compétence
répressive exercée in abstentia pour des faits commis hors du territoire du for, compétence
largement acceptée par la pratique internationale.
* * *
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
109
CHAPITRE QUATRE
LE DROIT SE RAPPORTANT A L'IMMUNITE DES MINISTRES DES
AFFAIRES ETRANGERES
3.4.1 La prétention centrale de la RDC consiste à dire que la Belgique viole le
droit international en ne respectant pas les immunités dont jouissent les ministres des
Affaires étrangères en exercice en vertu du droit coutumier international. Selon la
Belgique, cet argument néglige certains développements récents du droit international
ainsi que d'autres éléments clef du droit applicable. Si, en règle générale, les ministres
des Affaires étrangères bénéficient de l’immunité de juridiction devant les tribunaux
étrangers, et si leur personne est inviolable, c’est sous réserve d’une importante
condition. Comme le remarque Sir Arthur Watts dans son étude récente sur The Legal
Position in International Law of Heads of States, Heads of Governments and Foreign
Ministers:
“As with Heads of State, so too it is now accepted that heads of
governments and foreign ministers bear a personal responsibility in
international law for those international acts which are so serious as
to constitute international crimes. This acceptance has sprung
primarily from the judgment of the International Military Tribunal
at Nuremberg, and the principle of the international responsibility of
individuals has now been incorporated into numerous international
instruments.”283
3.4.2 Tout comme la question de la responsabilité personnelle pour des crimes de
droit international, il faut également mentionner pour la présente affaire l’opinion qui
considère que les privilèges et immunités des agents de l’Etat leur sont accordés “to
enable them to carry out their functions”.284 Ceci implique que la portée de ces

283. « Comme pour les chefs d'Etat, il est aujourd'hui accepté que les chefs de gouvernement et les
ministres des affaires étrangères portent une responsabilité personnelle en droit international pour les
faits qui sont à ce point graves qu'ils constituent des crimes de droit international. La règle résulte
principalement du jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg, et le principe de la
responsabilité internationale des individus fait aujourd’hui partie de bon nombre d'instruments
internationaux » (traduction non officielle de la Belgique). Watts, A., The Legal Position in
International Law of Heads of States, Heads of Governments and Foreign Ministers, RCADI 1994-III,
Vol. 247, p. 111.
284 “pour leur permettre d’exercer leurs fonctions” (traduction non officielle de la Belgique). Watts,
supra, p. 103.
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
110
privilèges et immunités est limitée aux circonstances où la personne agit dans le cadre
de ses fonctions officielles. Autrement dit, les privilèges et immunités reconnus aux
ministres des Affaires étrangères doivent leur permettre de remplir leurs fonctions
officielles et ne les protègent pas quand ils agissent à titre privé ou en dehors de leurs
fonctions officielles.
3.4.3 Il est à cet égard incontestable que:
“[u]pon loss of office a former head of government or foreign
minister resumes again the position of a private person, and is as
such entitled to no special protection under international law. In
particular, their immunity from jurisdiction ceases, even in respect
of their private acts committed while they held office (or earlier) and
in respect of which they might while in office have benefited from
immunity.”285
3.4.4 A partir de là, on peut formuler un certain nombre de propositions relatives à
l'immunité des ministres des Affaires étrangères et pertinentes en la présente cause:
(a) les ministres des Affaires étrangères en exercice bénéficient d'une immunité
générale de juridiction devant les tribunaux d'un Etat étranger;
(b) par exception à la règle générale, des ministres des Affaires étrangères en
exercice sont personnellement responsables des faits dont ils sont accusés
lorsqu'ils constituent des crimes de droit international. De tels faits
comprennent entre autres les infractions graves aux Conventions de Genève
de 1949 et à leurs Protocoles additionnels de 1977, ainsi que les crimes
contre l’humanité;

285 Watts, supra, p. 112. "Lorsqu’un chef du gouvernement ou un ministre étranger perdent leur statut
officiel et se retrouvent dans la situation d'un particulier privé, ils ne bénéficient plus d'une protection
particulière en droit international. Notamment, leur immunité cesse, même pour ce qui est des acts
privés qu'ils ont effectués pendant leur mandat (ou avant) et pour lesquels ils ont pu bénéficier d'une
immunité pendant qu'ils étaient au pouvoir." (traduction non-officielle de la Belgique). Pour être
complet, ce passage continue: “But even after a head of government or foreign minister ceases to hold
office, immunity continues to subsist in respect of official acts performed in the exercise of their
functions.” (Même après la fin du mandat d'un chef de gouvernement ou d’un ministre étranger,
l'immunité perdure quant aux actes officiels effectués dans le cadre de leurs fonctions." Cet aspect ne
joue pas dans le cas présent puisqu'il n'est pas prétendu que les faits reprochés à M. Yerodia Ndombasi
étaient des actes officiels.
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
111
(c) autre exception à la règle générale, l’immunité dont bénéficient les ministres
des Affaires étrangères en exercice ne s’applique que pour leur permettre
d’exécuter leurs tâches officielles. Elle ne protège pas ces personnes
lorsqu’elles agissent à titre privé ou en dehors de leurs fonctions officielles;
(d) lorsque ses fonctions officielles se terminent, un ex-ministre des Affaires
étrangères ne peut plus prétendre à l’immunité que pour les actes officiels
accomplis dans l’exercice de la fonction au moment où il était ministre des
Affaires étrangères.
3.4.5 Le droit et la pratique concernant l'immunité de juridiction des ministres des
Affaires étrangères en exercice en cas d'infractions graves au droit international
humanitaire sont abordés en détails dans le chapitre suivant. L'objet de ce chapitre-ci
est de décrire, simplement et brièvement, les grandes lignes du droit applicable à la
question.
3.4.6 Le droit dont relèvent les immunités des ministres des Affaires étrangères
trouve son origine principalement dans la coutume, bien que, selon les circonstances,
et les parties en cause, il peut avoir également une base conventionnelle. La source
conventionnelle principale dans ce domaine est la Convention sur les missions
spéciales de 1969 286 qui est entrée en vigueur en 1985. Même si ni la Belgique ni la
RDC ne sont parties à cette Convention, elle constitue une référence utile pour
certaines questions de principe dont les bases se trouvent dans le droit international
coutumier. Certains instruments qui prévoient les immunités d’autres agents d'Etat
peuvent également s'avérer pertinents. Un commentaire général particulièrement utile
sur le droit applicable ressort de l’étude récente précitée de Sir Arthur Watts : The
Legal Position in International Law of Heads of States, Heads of Governments and
Foreign Ministers.
3.4.7 En règle générale, la discussion des immunités dont bénéficient les ministres
des Affaires étrangères s’inscrit dans l’examen plus large des immunités qui
s’attachent aux fonctions de chef d'Etat, de chef de gouvernement et de ministre des
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
112
Affaires étrangères. Comme l'étude de Sir Arthur Watts l’établit clairement, il est
généralement admis que ces agents de l’Etat bénéficient d'une position particulière en
termes de privilèges et d’immunités, puisque c'est grâce à l’exercice de leurs fonctions
que l'Etat poursuit habituellement ses relations internationales. Quoique ceci n'exclut
pas que des privilèges et immunités soient accordés à d'autres agents de l’Etat, la
détermination et la portée de ces privilèges et immunités doit s’apprécier au cas par
cas. Par ailleurs, on sait qu'il existe une présomption selon laquelle les chefs d'Etat,
les chefs de gouvernement, et les ministres des Affaires étrangères ont les pleins
pouvoirs pour agir au nom de l’Etat qu’ils représentent, simplement en raison des
fonctions qu'ils exercent.287
3.4.8 Alors que les statuts de chef d'Etat, de chef de gouvernement et de ministre
des Affaires étrangères sont souvent considérés ensemble pour la question des
privilèges et immunités – ainsi qu’on le fera au chapitre 5, ci-dessous – il faut faire
une différence importante entre les chefs d'Etat d'une part et les chefs de
gouvernement et ministres des Affaires étrangères d'autre part. On considère souvent
que le chef d'Etat occupe une position privilégiée en raison de son identification
personnelle avec l'Etat, c'est-à-dire simplement en raison du poste qu’il occupe, alors
que la position des chefs de gouvernement et des ministres des Affaires étrangères
résulte des fonctions qu'ils exercent. Cette distinction remonte à la vieille idée que le
Souverain équivaut à l'Etat ("L'Etat c'est moi", comme l'aurait dit Louis XIV).
Aujourd’hui, il existe une tendance à s'éloigner des immunités absolues au profit
d’immunités liées à des considérations fonctionnelles. Alors que les privilèges et
immunités des chefs d'Etats s’appuient sur des questions de forme (le statut de leur
poste) et de substance (les fonctions exercées), les privilèges et immunités dont
bénéficient des chefs de gouvernement et des ministres des Affaires étrangères ne se
fondent que sur des considérations de substance. C’est pourquoi, si l’étendue des
immunités des ministres des Affaires étrangères est généralement déterminée par
référence au droit applicable aux chefs d'Etat, l'application de ce droit aux ministres

286 Convention sur les Missions spéciales, Nations Unies, Annexe à la Résolution 2530 (XXIV), de
l’Assemblée générale, 8 décembre 1969. (Annexe 32)
287 Voir, par exemple, l’article 7(2)(a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969.
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
113
des Affaires étrangères est néanmoins limitée à ce qui est nécessaire pour permettre à
ces personnes d'exercer leurs fonctions.288
3.4.9 Sir Arthur Watts parle de cette question en ces mots:
“As representatives of their States, of high seniority and rank, heads
of government and foreign ministers are, in their official capacities,
in principle entitled in international law to special respect and
protection from other States. However, several considerations need
to be borne in mind when translating the principle into practice.
The first is that heads of governments and foreign ministers,
although senior and important figures, do not symbolise or personify
their States in the way that Heads of State do. Accordingly, they do
not enjoy in international law any entitlement to special treatment
by virtue of qualities of sovereignty or majesty attaching to them
personally.
Second, in contemporary international law specially favourable
treatment is in general (and notwithstanding the exception which
appears to be accepted in view of the very special position of Heads
of State) accorded to State representatives where that is necessary to
enable them to carry out their functions. ...
Functional considerations, which are now accepted as the true basis
for privileges and immunities accorded in respect of resident
diplomatic missions, are in principle as applicable to temporary
visits by heads of governments and foreign ministers for the conduct
of official business as they are to resident diplomatic missions.”289

288 La distinction entre un chef d'Etat d'une part, un chef de gouvernement et un ministre des affaires
étrangères d'autre part, est largement acceptée. Ainsi, les deux catégories sont considérées séparément
par Sir Arthur Watts dans le commentaire cité ci-dessus. La Convention sur les missions spéciales
considère également les deux catégories de manière distincte, respectivement aux §§ 1 et 2 de l’article
21.
289 « En tant que représentants de leurs Etats ayant une grande ancienneté et position, les chefs de
gouvernement et les ministres des affaires étrangères, au titre de leur qualités officielles, bénéficient en
droit international en principe d'un respect particulier et d’une protection des autres Etats. Cependant, il
faut garder à l'esprit plusieurs éléments lorsqu’on met ce principe en pratique.
D'abord, les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères, bien qu'ils soient des
personnalités haut placées et importantes, ne symbolisent ni ne personnifient l'Etat de la même façon
qu'un chef d'Etat. Pour cette raison, ils ne bénéficient pas d'un traitement particulier en droit
international en raison d'une souveraineté ou d’une majesté rattachées à leur personne.
Deuxièmement, le droit international contemporain accorde un traitement particulièrement favorable en
général aux représentants de l’Etat pour leur permettre d’exércer leurs fonctions (malgré l'exception qui
semble être acceptée pour la position très spéciale des chefs d'Etat).
Des considérations de fonction, qui sont aujourd’hui la véritable base acceptée pour les privilèges et
immunités accordés aux missions diplomatiques permanentes, s’appliquent en principe aussi bien aux
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
114
3.4.10 Que les privilèges et immunités dont bénéficient un ministre des Affaires
étrangères soient limités par des considérations fonctionnelles se constate également
dans l'approche adoptée par la Convention sur les missions spéciales. Alors que les
personnes des représentants de l'Etat d’envoi dans la mission spéciale sont déclarées
inviolables,290 et que de tels représentants "jouissent de l'immunité de la juridiction
pénale de l'Etat de réception",291 l'accent de la Convention toute entière se focalise sur
les privilèges et immunités qui sont limités par référence à la fonction. Ainsi, le
concept même de « mission spéciale » – qui comprend une mission dirigée par, ou
comprenant, le ministre des Affaires étrangères – est défini en termes de fonction:
“l'expression 'mission spéciale' s'entend d'une mission temporaire, ayant
un caractère représentatif de l'Etat, envoyée par un Etat auprès d'un autre
Etat avec le consentement de ce dernier pour traiter avec lui de questions
déterminées ou pour accomplir auprès de lui une tâche déterminée”.292
3.4.11 L’article 11 de la Convention prévoit que le ministère des Affaires étrangères
de l’Etat de réception doit être averti de la cessation des fonctions de la mission
spéciale. Le moment où les fonctions d’une mission spéciale prennent fin est détaillé
à l’article 20 de la Convention. Quant au commencement des fonctions, l’article
13(1) prévoit que “[l]es fonctions d’une mission spéciale commencent dès l’entrée en
contact officiel de la mission” avec l’organe approprié de l’Etat de réception.
3.4.12 Comme on l’a déjà noté, la Convention prévoit explicitement que les
personnes qui représentent l’Etat d’envoi au sein d’une mission spéciale sont
inviolables et qu’elles bénéficient d’une immunité de juridiction pénale dans l’Etat de
réception. Le statut du chef de l’Etat et des personnalités de rang élevé à la tête d’une
mission spéciale ou y prenant part est traité ensuite à l’article 21, dans les termes
suivants:

visites temporaires des chefs de gouvernement et des ministres des Affaires étrangères pour la
poursuite de leurs affaires officielles qu'aux missions diplomatiques permanentes. » Watts, supra,
pp.102–103.
290 Cfr. article 29. (Annexe 32)
291 Cfr. article 31. (Annexe 32)
292 Article 1(a). (Annexe 32)
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
115
“1. Le chef de l’Etat d’envoi, quand il se trouve à la tête d’une
mission spéciale, jouit, dans l’Etat de réception ou dans un Etat
tiers, des facilités, privilèges et immunités reconnus par le droit
international aux chefs d’Etat en visite officielle.
2. Le chef du gouvernement, le ministre des affaires étrangères et les
autres personnalités de rang élevé, quand ils prennent part à une
mission spéciale de l’Etat d’envoi, jouissent, dans l’Etat de
réception ou dans un Etat tiers, en plus de ce qui est accordé par la
présente Convention, des facilités, privilèges et immunités reconnus
par le droit international.”
3.4.13 Ce texte présente une certaine circularité, puisqu’il renvoie au droit
international général. Ce qui est toutefois important n’est pas tant l’absence de détail
sur les privilèges et immunités qui pourraient subsister en vertu du droit international
que la manière dont la Convention traite de la durée de ces privilèges et immunités.
C’est l’objet de l’article 43 de la Convention, qui stipule entre autres :
“1. Tout membre de la mission spéciale bénéficie des privilèges et
immunités auxquels il a droit dès qu’il entre sur le territoire de
réception pour exercer ses fonctions dans la mission spéciale ou,
s’il se trouve déjà sur ce territoire, dès que sa nomination a été
notifiée au ministère des affaires étrangères ou à tel autre organe de
l’Etat de réception dont il aura été convenu.
2. Lorsque les fonctions d’un membre de la mission spéciale
prennent fin, ses privilèges et immunités cessent normalement au
moment où il quitte le territoire de l’Etat de réception, ou à
l’expiration d’un délai raisonnable qui lui aura été accordé à cette
fin, mais ils subsistent jusqu’à ce moment, même en cas de conflit
armé. Toutefois, l’immunité subsiste en ce qui concerne les actes
accomplis par ce membre dans l’exercice de ses fonctions.”293
3.4.14 Comme le montrent ces dispositions, les privilèges et immunités ne sont
reconnus aux membres d’une mission spéciale que pour la durée de la mission, qui est
elle-même définie en termes de fonction exercée.
3.4.15 La nature fonctionnelle des immunités qui s’attachent aux ministres des
Affaires étrangères en exercice est importante dans le cadre de la présente procédure
indépendamment de la question des limitations de l’immunité en cas d’infractions
graves au droit international humanitaire ou de crimes contre l’humanité. La raison
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
116
en est que la RDC part du principe que, pour les besoins de l’affaire, il suffit d’établir
que les ministres des Affaires étrangères en exercice bénéficient de l’immunité de
juridiction devant les cours et tribunaux d’autres Etats. Si c’est le cas, cela
supposerait qu’ils bénéficient de l’immunité de juridiction à tous égards. La situation
est toutefois plus complexe. Même dans l’éventualité où la Cour devrait,
contrairement aux conclusions de la Belgique, confirmer l’immunité de M. Yerodia
Ndombasi en sa qualité de ministre des Affaires étrangères de la RDC dans les
circonstances considérées, il n’en découlerait pas qu’il demeurerait au bénéfice de
l’immunité, même en occupant le poste de ministre pour ses activités de caractère
privé ou pour celles déployées en dehors de ses fonctions officielles. L’exemple du
“courses de Noël à Bruxelles” cité par la Belgique lors de la phase sur les mesures
conservatoires reste parfaitement valable.
3.4.16 Il va sans dire que, n’étant plus aujourd’hui ministre des Affaires étrangères
de la RDC, M. Yerodia Ndombasi ne bénéficie plus des privilèges ou immunités qui
sont attachées à cette fonction.
3.4.17 La responsabilité personnelle des ministres des Affaires étrangères pour les
infractions graves de droit humanitaire international dont ils sont accusés et les
conséquences qui en découlent quant à l’immunité font l’objet d’un examen détaillé
au chapitre suivant. La remarque suivante de Sir Arthur Watts, sur la situation des
chefs d’Etat, illustre la question. Elle est de caractère suffisamment général pour
s’appliquer aussi à la situation du ministre des Affaires étrangères.
“A Head of State’s position in international law is not solely a
matter of his powers and the privileges and immunities to which he
is entitled. A Head of State can also engage the responsibility of
both his State and himself under international law.
...
The idea that individuals who commit international crimes are
internationally accountable for them has now become an accepted
part of international law. Problems in this area – such as the nonexistence
of any standing international tribunal to have jurisdiction
over such crimes, and the lack of agreement as to what acts are

293 Annexe 32. (souligné par la Belgique).
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
117
internationally criminal for this purpose – have not affected the
general acceptance of the principle of individual responsibility for
international criminal conduct.
...
Provisions like those adopted in the Nuremberg Charter have been
repeated in subsequent general international instruments, and, most
recently, are included in Article 11, as provisionally adopted in
1988, of the International Law Commission’s draft Code of Crimes
against the Peace and Security of Mankind.
...
It can no longer be doubted that as a matter of general customary
international law a Head of State will personally be liable to be
called to account if there is sufficient evidence that he authorised or
perpetrated such serious international crimes.”294
3.4.18 En ce qui concerne les actes de chefs de gouvernement et de ministres des
Affaires étrangères, Sir Arthur poursuit en ces termes:
“The official acts of a head of government or of a foreign minister
are attributable to the State so as, if the circumstances warrant, to
make the State responsible for them.
The position is different as regards acts which they may perform in
their private capacities (which may include acts performed in a
political capacity – eg, as leader of a political party – so long as that
capacity can be differentiated from their official capacities as senior
members of the government). For their private acts the State bears

294 “En droit international, la situation d’un chef d’Etat n’est pas seulement dictée par les pouvoirs et
les privilèges et immunités qu’il peut invoquer. Un chef d’Etat peut également engager tant la
responsabilité de son Etat que sa responsabilité propre en droit international.
...
L’idée que des individus qui commettent des crimes internationaux sont responsables
internationalement pour leurs actes est aujourd’hui acceptée comme faisant partie du droit
international. Des difficultés à ce sujet (comme l’inexistence d’un tribunal international permanent
ayant compétence pour de tels crimes, ou l’absence d’accord sur les faits qualifiés de crimes
internationaux) n’ont pas affecté l’acceptation générale de ce principe de responsabilité individuelle
dans les cas de comportement criminel international.
...
Des dispositions telles que celles adoptées dans la Charte de Nuremberg ont été reprises dans les
instruments internationaux généraux qui ont suivi et ont été incluses, tout récemment, dans l’article 11,
adopté provisoirement en 1988, du projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité
de la Commission de droit international.
...
Il ne fait plus de doute que, dans le cadre du droit coutumier international en général, un chef d’Etat est
personnellement susceptible d’être amené à répondre de ses actes s’il existe des preuves suffisantes
qu’il a autorisé ou commis de graves infractions internationales. » Watts, supra, pp. 81–84.
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
118
no greater legal responsibility than it bears in respect of acts of
private persons which may happen to cause internationally injurious
consequences.
As with Heads of State, so too it is now accepted that heads of
governments and foreign ministers bear a personal responsibility in
international law for those international acts which are so serious as
to constitute international crimes. This acceptance has sprung
primarily from the judgment of the International Military Tribunal
at Nuremberg, and the principle of the international responsibility of
individuals has now been incorporated into numerous international
instruments.
The various instruments include in some cases express provision to
the effect that that individual responsibility exists even though the
person concerned holds a senior office of State. The language used
varies slightly, but in the context in which they were adopted there
is no room for doubting that such provisions clearly embrace
holders of such offices as heads of governments and foreign
ministers. The Nuremberg Tribunal, it may be recalled, included
amongst those tried and convicted the former foreign minister of
Germany (von Ribbentrop).”295
3.4.19 Une dernière remarque en guise de conclusion : de manière générale, tant le
droit international que le droit interne concernant l’immunité des représentants de
l’Etat traitent séparément de l’immunité de juridiction et de l’immunité d’exécution.
L’article 31 de la Convention sur les missions spéciales, par exemple, traite au
paragraphe (1) de l’immunité de juridiction pénale, au paragraphe (2) de l’immunité

295 “Les actes officiels d’un chef de gouvernement ou d’un ministre des Affaires étrangères doivent être
attribués à l’Etat de manière à ce que, lorsque les circonstances le justifient, l’Etat en porte la
responsabilité.
La situation est différente pour les actes qu’ils pourraient commettre à titre personnel (ce qui peut
inclure des actes commis dans le cadre de leurs fonctions politiques, par exemple comme chef d’un
parti politique, pour autant que cette qualité puisse se distinguer de leur qualité officielle de membre de
haut rang au sein du gouvernement). Pour leurs actes privés, l’Etat ne porte pas une responsabilité plus
grande que celle qu’il porte pour les actes commis par des personnes privées qui causeraient un
préjudice international.
Quant aux chefs d’Etat, il est aujourd’hui également accepté que les chefs de gouvernement et les
ministres des Affaires étrangères portent une responsabilité personnelles en termes de droit
international pour les faits internationaux qui sont d’une gravité telle qu’ils constituent des crimes
internationaux. Le principe se dégage principalement du jugement du Tribunal militaire international
de Nuremberg, et le principe de la responsabilité internationale des individus a été intégré dans de
nombreux instruments internationaux.
Dans certains cas, les différents instruments contiennent des dispositions particulières concernant la
responsabilité individuelle même si la personne concernée occupe une fonction haut placée dans l’Etat.
Le langage utilisé peut varier, mais il n’y a, dans le contexte dans lequel elles ont été adoptées, aucun
doute que ces dispositions incluent clairement les personnes revêtues de fonctions telles que chefs de
gouvernement et ministres des Affaires étrangères. Il est bon de rappeler que le Tribunal de Nuremberg
incluait parmi les personnes jugées et condamneées l’ancien ministre des Affaires étrangères (von
Ribbentrop). » Watts, supra, pp. 111–112.
Partie III, Chapitre Quatre: Le fond de l'affaire
119
de juridiction civile, et séparément, au paragraphe (4), de l’immunité d’exécution.
L’article 31 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 va
dans le même sens.296
3.4.20 La Belgique soutient qu’il peut y avoir des circonstances exceptionnelles où
les considérations fonctionnelles qui sous-tendent les immunités dont bénéficient les
ministres des Affaires étrangères en exercice nécessitent la reconnaissance d’une large
immunité d’exécution dans des Etats étrangers. La tendance générale à limiter
l’immunité et les règles de poursuite des personnes accusées d’infractions graves au
droit international humanitaire, exigent cependant qu’une prétention à l’immunité de
juridiction soit fermement rejetée en de pareilles circonstances.
* * *

296 NURT, vol. 500, p. 95.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
121
CHAPITRE CINQ
LE DROIT INTERNATIONAL EXCLUT TOUTE IMMUNITE EN CAS DE
POURSUITES POUR CRIMES GRAVES DE DROIT INTERNATIONAL
HUMANITAIRE
3.5.1 Comme on vient de le voir, la Belgique ne conteste évidemment pas le fait que les
membres d’un gouvernement étranger en exercice bénéficient de l’immunité. Mais là où la
RDC affirme que cette immunité est absolue 297, la Belgique répond qu’il existe des exceptions
en cas de crimes de droit international humanitaire.
3.5.2 Dans la présente affaire, la Belgique estime toutefois que, même sur ce point
particulier, la demande de la RDC est sans objet, non seulement parce qu’aujourd’hui cette
demande est purement théorique puisque M. Yerodia Ndombasi n’est plus ministre, mais aussi,
parce que l’argumentation même de la RDC conduit à cette conclusion. La Belgique
commencera par démontrer ce point (A) qui, on le sait, est déjà subsidiaire par rapport à
l’incompétence de la Cour et/ou l’irrecevabilité générale de la requête congolaise. C’est donc à
titre encore plus subsidiaire qu’elle abordera ensuite, quant au fond, la question des immunités
des gouvernants étrangers (B).
A. La requête de la RDC sur l’immunité de M. Yerodia Ndombasi Ndombasi est
sans objet
3.5.3 Lors de la phase sur les mesures conservatoires, la Belgique avait montré qu’en cas
d’exécution du mandat d’arrêt par un Etat tiers, l’atteinte à l’immunité pénale — à supposer
qu’elle existât en l’espèce, quod non — aurait été le fait de cet Etat et non celui de la Belgique
298. La RDC reconnaît que l’exécution du mandat d’arrêt par un Etat tiers aurait entraîné une
responsabilité propre de ce dernier, mais que cela n’exonère pas la Belgique de sa
responsabilité pour l’illicéité commise par la diffusion de ce mandat :

297 Mémoire RDC, §§ 49-51, 54, 61.
298 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, pp. 33-34, §§ 36-40.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
122
« Le comportement de ces autorités tierces ne serait en effet jamais que la
suite logique de la délivrance du mandat d’arrêt, que la Belgique sollicite par
la diffusion internationale qui en est faite. En d’autres termes, le mandat
d’arrêt du 11 avril 2000 demeure en toute hypothèse la cause du fait illicite
complémentaire et distinct que réaliserait un Etat tiers par la collaboration que
pourrait [sic] apporter certains de ses organes et agents à l’exécution de ce
mandat d’arrêt […]. »
299
3.5.4 Cet extrait montre que la RDC reconnaît que toute collaboration d’un Etat tiers à
l’exécution du mandat d’arrêt impliquerait une violation propre du droit international par cet
Etat. Cela confirme ce que la Belgique avait dit lors de la phase sur les mesures conservatoires
concernant l’imputabilité à un Etat tiers de sa participation à l’exécution du mandat d’arrêt : en
exécutant le mandat d’arrêt, l’Etat tiers engagerait sa propre responsabilité si, comme le
prétend la RDC, l’exécution du mandat violait le droit international.
3.5.5 La RDC ajoute qu’aucun Etat tiers n’a donné suite au mandat d’arrêt et que cela
démontre l’existence d’une coutume consacrant l’immunité pénale absolue du gouvernant
étranger :
« Aucun Etat n’ayant à ce jour donné suite à ce mandat d’arrêt, il ne faut pas
s’interroger plus avant sur la responsabilité spécifique qui pourrait en résulter
dans le chef de l’Etat qui l’exécute, ni sur la manière dont elle devrait
s’articuler par rapport à celle, en quelque sorte originaire, de l’Etat belge. Le
fait qu’aucun Etat n’a à ce jour donné suite au mandat d’arrêt du 11 avril 2000
est toutefois le signe de l’opinio juris dominante suivant laquelle tout ministre
des Affaires étrangères en exercice bénéficie d’une inviolabilité et d’une
immunité pénale absolues, ainsi qu’il fut rappelé ci-avant »
300
3.5.6 La Belgique s’abstiendra de discuter ici l’argument de l’opinio juris qui fait partie du
fond, et sur lequel la Belgique reviendra plus tard. Il suffit pour l’instant de constater ceci : si
aucun Etat tiers n’a donné suite au mandat d’arrêt et si ce refus d’y donner suite était
l’expression de l’opinio juris dominante, comme l’affirme la RDC, on ne voit alors pas de quoi
celle-ci se plaint puisque, d’après elle, l’immunité pénale de M. Yerodia Ndombasi serait
reconnue dans tous les Etats tiers ! L’argument de la RDC contredit ce qu’elle affirme par
ailleurs, à savoir :

299 Mémoire RDC, p. 36, § 55.
300 Ibid.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
123
« […] la diffusion internationale du mandat d’arrêt fait automatiquement
échapper au contrôle des autorités belges l’exécution de celui-ci. […]
l’entrave au libre exercice des fonctions internationales que constitue la crainte
d’une arrestation demeure entière hors de la Belgique […]. »
301
3.5.7 Mais apparemment, les craintes de la RDC sont vaines puisque les Etats tiers n’auraient
pas donné effet au mandat d’arrêt, et dès lors, la demande de la RDC tendant à faire
condamner la Belgique pour les effets extraterritoriaux du mandat d’arrêt et la prétendue
atteinte à l’immunité pénale de M. Yerodia Ndombasi, non seulement, n’a plus d’objet, mais
même, n’en a jamais eu ! Il suffit, en effet, que M. Yerodia Ndombasi s’abstienne de venir en
Belgique ; dès lors que, comme l’affirme la RDC, « aucun Etat n’a à ce jour donné suite au
mandat d’arrêt du 11 avril 2000 », la requête de la RDC n’a aucune portée pratique et la
démonstration relative à une prétendue violation de l’immunité de M. Yerodia Ndombasi
devient sans objet.
3.5.8 Sur ce point la RDC rejoint donc la Belgique : si un Etat avait exécuté le mandat
d’arrêt, il aurait, peut-être, porté atteinte à l’immunité pénale de M. Yerodia Ndombasi —
quod non comme on le verra à titre subsidiaire —, mais de toute façon, l’auteur direct de
l’atteinte aurait été cet Etat, non la Belgique. Etant donné que M. Yerodia Ndombasi n’a été
arrêté nulle part et que, selon la RDC, aucun Etat n’est prêt à donner suite à ce mandat, on
cherche vainement quelle est la portée de la présente requête. C’est une raison supplémentaire
pour la déclarer irrecevable.
B. A titre subsidiaire, la requête de la RDC sur l’immunité de M. Yerodia Ndombasi
est sans fondement
3.5.9 Si la Cour estimait tutefois la requête de la RDC recevable en son argumentation, la
Belgique démontrera alors, dans les pages qui suivent, ce qui justifie, en droit, le refus de
l’immunité à des personnes soupçonnées d’avoir commis de graves violations du droit
international humanitaire et répondra aux arguments de la RDC qui s’y rapportent directement
(I.) avant d’aborder les autres arguments présentés par la RDC en faveur d’une immunité
absolue des membres de gouvernements étrangers en exercice (II.).
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
124
I. Le fondement du refus de l’immunité à des personnes soupçonnées d’avoir commis
de graves violations du droit international humanitaire
3.5.10 L’art. 5 § 3 de la loi de 1993/1999 dispose :
« L’immunité attachée à la qualité officielle d’une personne n’empêche pas
l’application de la présente loi. »
302
3.5.11 On lit, dans l’exposé des motifs, que cet amendement à la loi de 1993
« introduit explicitement une règle établie de droit international humanitaire,
rappelée récemment de façon absolue à l’art. 27 du Statut de Rome. »
303
3.5.12 Plus loin, le gouvernement indique que cet amendement
« vise à confirmer explicitement la règle de la non-pertinence des immunités de
juridiction et d’exécution dans le cadre de l’application de la loi, mais cette
règle existe déjà en droit international, qui fait partie intégrante de l’ordre
juridique belge. »
304
3.5.13 Autrement dit, lorsque le gouvernement belge a introduit cet amendement, c’était avec
la conviction d’agir en parfaite conformité avec le droit international. De fait, ce ne sont pas les
sources internationales qui manquent pour démontrer qu’un chef d’Etat ou un membre de son
gouvernement ne bénéficient pas de l’immunité lorsqu’ils sont accusés d’avoir commis des
crimes de droit international humanitaire.
3.5.14 Ces sources, conventionnelles (a), nationales (b), jurisprudentielles (c) et doctrinales
(d), sont nombreuses, et la Belgique prie la Cour de lui pardonner la longue énumération de
textes qui va suivre, mais l’affirmation que l’immunité de gouvernants étrangers est absolue et
ne souffre aucune exception oblige la Belgique à dire pourquoi elle soutient un point de vue
contraire.

301 Ibid., p. 34, § 54.
302 Annexe 4.
303 Documents parlementaires, Sénat, 1998-1999, n° 1 – 749/3, p. 14. (Annexe 12)
304 Ibid., p. 21.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
125
(a) Sources conventionnelles excluant l’immunité de l’auteur présumé d’un crime grave
de droit international humanitaire
3.5.15 La Belgique présentera ici non seulement des textes conventionnels stricto sensu, mais
aussi des textes de droit dérivé (résolutions d’organes des Nations Unies) ainsi que des accords
internationaux qui peuvent s’apparenter à des traités au sens de la définition large de l’art. 2 (a)
de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
(i) Le Traité de Versailles de 1919
3.5.16 Implicitement, le Traité de Versailles du 28 juin 1919 excluait l’immunité de
l’Empereur d’Allemagne en prévoyant sa mise en accusation devant un tribunal international
spécial « pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités »
(art. 227).
3.5.17 Les travaux préparatoires de cette disposition montrent que les Etats étaient
parfaitement conscients du fait qu’ils excluaient ainsi l’immunité normalement reconnue aux
souverains étrangers. Or, les E.-U. étaient fortement opposés à cette idée ; selon eux, on ne
pouvait juger Guillaume II « en raison de l’immunité de mise en accusation et de poursuites
dont jouit un monarque chef d’Etat, selon le droit public de tous les pays civilisés et selon le
droit commun des nations »
305. A cette position que les E.-U. conserveront tout au long des
travaux relatifs aux responsabilités pénales, la Grande-Bretagne avait répondu, avec vigueur,
qu’il ne fallait pas considérer « l’immunité comme un fait acquis », que les chefs d’Etat ne sont
pas « au-dessus de la loi quand ils commettent un acte criminel » et qu’on peut « les traduire en
jugement »
306
.
3.5.18 La France avait renchéri en constatant que les faits reprochés à l’Empereur d’Allemagne
« sont de nature telle qu’ils mettent celui qui les a déchaînés sous la règle
directe du droit international. Lorsque le droit international proclame que tel

305 La paix de Versailles : Responsabilités des auteurs de la Guerre et Sanctions, in La documentation
internationale, Paris, 1930, Editions internationales, vol. III, p. 332. (Annexe 33)
306 Ibid. ; voy. aussi p. 440. (Annexe 33)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
126
ou tel acte est répréhensible, il s’adresse à tout le monde et non pas seulement
à de malheureux petits soldats, à des chefs plus ou moins élevés dans la
hiérarchie, mais à tous ceux qui prennent part aux hostilités, et il n’y a
personne qui soit en dehors de ces règles : l’Empereur lui-même, le chef le
plus élevé de l’Empire ne peut pas éviter la responsabilité qui pèse sur lui. »
307
3.5.19 Il est intéressant de constater que, dans ces déclarations, le refus de l’immunité reposait
non sur le caractère international du tribunal chargé de juger Guillaume II — solution
finalement adoptée — mais sur le caractère internationalement criminel des faits qui lui étaient
reprochés. La position américaine est restée isolée ; aucun des autres Etats participant à cette
partie des travaux du Traité de Versailles (Belgique, Grèce, Japon, Pologne, Roumanie,
Serbie) ne l’appuya.
3.5.20 Le procès de Guillaume II n’eut jamais lieu : les Pays-Bas, qui n’étaient pas parties au
Traité de Versailles, refusèrent de livrer Guillaume II aux Puissances alliées et associées en
arguant du caractère politique des faits qui lui étaient reprochés 308. Si le Traité de Versailles
excluait implicitement l’immunité du chef de l’Etat allemand et le caractère d’acte d’Etat des
faits qui lui étaient reprochés 309, il est significatif que les Pays-Bas, bien qu’Etat tiers à ce
traité, n’ont pas contesté ce point puisqu’ils n’invoquèrent nullement l’immunité de l’ancien
chef d’Etat pour rejeter la demande d’extradition 310
.
(ii) Les statuts des juridictions pénales internationales
3.5.21 Les statuts des juridictions pénales internationales excluent, tous, l’immunité des
membres de gouvernements accusés de crimes contre la paix, de crimes de guerre, de crimes
contre l’humanité ou du crime de génocide. Ainsi, le Statut du TMI de Nuremberg annexé à
l’Accord de Londres du 8 août 1945 disposait en son art. 7 :

307 Ibid., p. 336.
308 Cfr. KISS, A.-C., Répertoire de la pratique française du droit international public, Paris, CNRS, 1966, II,
n° 1126. La RDC affirme que l’extradition de Guillaume II « ne fut jamais formellement requise par les
puissances alliées », Mémoire RDC, p. 25, n. 2. On lit pourtant dans KISS : « Conformément aux
dispositions du traité, les puissances alliées et associées ont adressé ‘au Gouvernement des Pays-Bas une
requête le priant de livrer l’ancien empereur entre leurs mains pour qu’il soit jugé’ »
309 LOMBOIS, C., Droit pénal international, Paris, Thémis, 1979, p. 110, § 105.
310 KISS, op. cit., n° 1126, n. 2.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
127
« La situation officielle des accusés, soit comme chefs d’Etat, soit comme
hauts fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse absolutoire, ni
comme un motif à diminution de la peine. »
311
3.5.22 Dans son rapport au Président des E.-U., Justice Jackson s’était référé à « the obsolete
doctrine that a head of state is immune from legal liability », et il ajoutait :
“There is more than a suspicion that this idea is a relic of the doctrine of the
divine right of kings. It is, in any event, inconsistent with the position we take
toward our own officials, who are frequently brought to court at the suit of
citizens who allege their rights to have been invaded. We do not accept the
paradox that legal responsibility should be the least where power is the
greatest. We stand on the principle of responsible government declared some
three centuries ago to King James by Lord Chief Justice Coke, who
proclaimed that even a King is still ‘under God and the law’.
With the doctrine of immunity of a head of state usually is couple another,
that orders from an official superior protect one who obeys them. It will be
noticed that the combination of these two doctrines means that nobody is
responsible. Society as modernly organized cannot tolerate so broad an area
of official irresponsibility.” 312
3.5.23 La Charte du TMI pour l’Extrême-Orient, approuvée le 19 janvier 1946 par le
Commandant suprême des Forces alliées en Extrême-Orient, prévoyait à l’art. 6 :
« Ni la position officielle d’un accusé, à aucun moment, […] ne suffira, en soi,
à dégager la responsabilité de cet accusé dans tout crime dont il est inculpé,
mais ces circonstances peuvent être considérées comme atténuantes dans le
verdict, si le Tribunal décide que la justice l’exige. »
313
3.5.24 D’autres instruments plus récents vont dans le même sens :
· Statut du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie, S/Rés. 827, 25 mai 1993, art. 7
§ 2 :
« La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’Etat ou de
gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa
responsabilité pénale et n’est pas un motif à diminution de la peine. »
314

311 Annexe supplémentaire 88.
312 Report to the President by Mr. Justice Jackson, 6 June 1945, in JACKSON, J. R., International Conference
on Military Trials, London 1945, Washington, 1949, pp. 46-47.
313 Annexe supplémentaire 89.
314 Annexe supplémentaire 90.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
128
· Statut du Tribunal international pour le Rwanda, S/Rés. 955, 8 novembre 1994, art. 6 §
2 :
« La qualité officielle d’un accusé, soit comme chef d’Etat ou de
gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l’exonère pas de sa
responsabilité pénale et n’est pas un motif à diminution de la peine. »
315
· Statut de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998 316, art. 27 :
« 1. Le présent Statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune
distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de
chef d’Etat ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un
parlement, de représentant élu ou d’agent d’un Etat, n’exonère en aucun cas
de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu’elle ne
constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine.
2. Les immunités ou règles de procédure spéciales qui peuvent s’attacher
à la qualité officielle d’une personne, en vertu du droit interne ou du droit
international, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de
cette personne. »
317
3.5.25 La RDC estime que les statuts précités ne sont pas significatifs :
· les juridictions pénales internationales jouissent de compétences qui ne sont pas
transposables aux tribunaux internes – « … les personnes jugées par ces tribunaux
avaient cessé, à ce moment, d’exercer leurs fonctions officielles »
318 ;
· le Statut de la CPI ne concernerait que les Etats qui y sont parties et le texte de
certaines de ses dispositions confirmerait qu’il n’autorise pas une atteinte par un Etat
au principe de l’immunité des chefs d’Etat et membres de gouvernements étrangers 319
.
On va examiner chacun de ces arguments.

315 Annexe supplémentaire 91.
316 Ratifié par la Belgique le 23 juin 2000 ; signé par la RDC le 8 septembre 2000.
317 Annexe supplémentaire 92.
318 Mémoire RDC, §§ 42 et 67.
319 Ibid., § 42.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
129
3.5.26 Prétendre que les tribunaux internes d’un Etat ne peuvent se prévaloir des règles
internationales prévues pour un tribunal pénal international relève du postulat. Ces règles sont
un élément de la pratique ; à partir du moment où cette pratique apparaît comme l’expression
de la coutume, rien n’empêche les tribunaux internes de s’en prévaloir ainsi que la RDC le
remarque elle-même, sur un plan général, lorsqu’elle traite de la place de la coutume
internationale en droit belge 320. Or, ainsi qu’on le verra plus loin, l’exclusion de l’immunité de
personnes accusées des violations les plus graves du droit international humanitaire, fait partie
des « principes de Nuremberg » dégagés par la CDI et approuvés par l’AG des NU. Elle
correspond donc bien à l’opinio juris des Etats.
3.5.27 En outre, si l’on devait tenir pour acquis qu’aucune immunité ne peut être invoquée
devant une juridiction pénale internationale, il serait inutile de le préciser. Le fait de l’avoir
quand même dit a donc une signification qui dépasse le cadre étroit de la juridiction pénale
internationale pour couvrir celui de toute juridiction pénale, qu’elle soit internationale ou
interne. C’est une manière d’affirmer que pour certaines abominations, aucune immunité ne
peut jouer.
3.5.28 Le moyen fondé sur le fait que les accusés attraits devant les juridictions pénales
internationales n’exerçaient, de toute façon, plus de fonction officielle au moment du procès
n’est pas significatif.
3.5.29 Si les accusés avaient perdu toute qualité officielle au moment de leur comparution
devant les TMI, il était à nouveau inutile de prévoir dans les statuts que l’immunité ne pourrait
constituer un moyen de défense. En le précisant, les Etats ont indiqué que l’immunité qui,
normalement, perdure pour les actes liés à la fonction — in casu, les crimes en cause avaient
bel et bien été commis à l’occasion des fonctions des accusés —, n’était pas admissible pour de
tels crimes. Le fait qu’il s’agissait de tribunaux internationaux et non de tribunaux internes ne
diminue pas l’intérêt du précédent car ce n’est nullement au nom du caractère international de
ces tribunaux que l’on a écarté le moyen tiré de l’immunité : c’est tout simplement au nom de
l’horreur des crimes en cause. Si l’horreur du crime justifie l’exclusion de l’immunité, il

320 Ibid., §§ 25-26, 70.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
130
importe peu que la question se pose devant une juridiction internationale ou interne : devant
l’une et l’autre, la même cause doit produire les mêmes effets.
3.5.30 Le moyen exposé par la RDC confirme, en outre, la position actuelle de la Belgique : si
c’est la cessation des fonctions officielles qui justifie que leur titulaire puisse être attrait en
justice, la RDC reconnaît alors que plus rien ne s’oppose, aujourd’hui, aux poursuites intentées
contre M. Yerodia Ndombasi.
3.5.31 En ce qui concerne le Statut de la CPI, il est exact que celui-ci concerne les personnes
qui sont des nationaux des Etats parties ou qui ont commis leurs crimes sur le territoire de ces
Etats et que l’exclusion de l’immunité joue dans les relations mutuelles des Etats parties au
Statut. Même limitée aux seuls Etats parties au Statut (ainsi qu’à ceux qui ont reconnu la
compétence de la CPI sans avoir ratifié son statut , conformément à l’art. 12 § 2, et sans
préjudice de l’hypothèse où tous les Etats membres des N. U. sont liés par la règle lorsque la
CPI est directement saisie par le Conseil de sécurité, conformément à l’art. 13 du Statut), la
règle prouve néanmoins que la gravité de certains faits exclut l’application d’une quelconque
immunité à leur auteur.
3.5.32 Le fait que la règle est énoncée dans le Statut d’une juridiction internationale ne signifie
pas qu’elle ne concerne pas les tribunaux internes, et ce, pour plusieurs raisons.
(1) S’il est vrai que les termes de l’art. 27 § 2 semblent se limiter à la seule CPI 321, en
revanche, l’art. 27 § 1 a un champ d’application tout à fait général.
(2) En outre, l’art. 27 doit être lu en tenant compte de l’ensemble du Statut, et notamment
des al. 4 à 6 du Préambule qui obligent tous les Etats à réprimer les crimes prévus au
Statut. Or, comme l’a dit, elle-même, la RDC, l’existence d’une norme imposant
l’exercice de la compétence universelle prime la règle de l’immunité;322
(3) Si l’immunité des membres de gouvernements étrangers ne devait pas s’effacer pour la
répression des crimes prévus par le Statut, le principe de complémentarité serait inutile

321 Ibid., § 70.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
131
dans la plupart des cas : dès lors que la compétence de la CPI est limitée aux « crimes
les plus graves » (art. 1er) et qui présentent une certaine ampleur (cfr. texte des art. 6, 7
§ 1 et 8 § 1), il en résulte que ces crimes sont le plus souvent imputables aux autorités
étatiques les plus hautes ; si ces autorités pouvaient se prévaloir de l’immunité
traditionnellement reconnue aux membres de gouvernements étrangers, elles ne seraient
passibles de poursuites que dans leur Etat d’origine et le rôle subsidiaire de la Cour ne
jouerait que dans cette seule hypothèse ; en revanche, les autres Etats ne pourraient
jamais connaître de ces crimes et le rôle de la Cour, loin d’être complémentaire,
deviendrait principal — ce qui ne correspond pas à l’intention des auteurs du Statut.
(4) La Commission de Venise — organe consultatif du Conseil de l’Europe créé le 10 mai
1990 par le Comité des ministres 323 et constitué d’autant d’experts indépendants qu’il y
a d’Etats membres ainsi que d’experts d’Etats tiers autorisés à siéger par le Comité des
ministres — a considéré lors de sa 45e
session plénière (Venise, 15-16 décembre
2000) :
« En l’espèce, un État peut prévoir dans ses dispositions internes, que ses
tribunaux ont la compétence pour juger des dirigeants qui ont commis un
crime relevant de la Cour pénale internationale. Cela est possible en raison du
principe de complémentarité sur lequel se fonde le Statut, mais quelle que soit
la solution, les auteurs des crimes ne pourront invoquer leur immunité. »
324
3.5.33 Pour ces raisons, l’art. 27 du Statut de la CPI montre que l’immunité des membres de
gouvernements étrangers ne peut faire obstacle à des poursuites pénales lorsqu’il s’agit des
crimes visés par le Statut, quelle que soit la juridiction saisie.
3.5.34 La RDC soutient encore que l’art. 98 § 1 du Statut justifierait pourtant la
reconnaissance de l’immunité de l’auteur présumé de crimes prévus au Statut 325, malgré les
termes très clairs de l’art. 27. L’argument est faible : l’art. 98 § 1 intitulé « coopération en
relation avec la renonciation à l’immunité et le consentement à la remise » se trouve au chapitre
IX du Statut qui concerne la coopération internationale et l’assistance judiciaire. Il ne peut

322 Supra § 3.5.23.
323 Rés. 909 (6); voy. www.venice.coe.int/site/interface/francais.htm; statut de la Commission, art. 3
324 Rapport sur les questions constitutionnelles soulevées par la ratification du Statut de Rome instituant la
CPI, note 13. (Annexe 34).
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
132
viser que des personnes non accusées des crimes prévus au Statut. Si la personne en question
était accusée d’un de ces crimes, alors c’est très normalement l’art. 27 qui devrait s’appliquer.
D’ailleurs, en précisant que l’Etat requis ne peut agir « de façon incompatible avec les
obligations internationales qui lui incombent en matière d’immunité », l’art. 98 § 1 laisse
clairement entendre que l’Etat requis ne viole pas lesdites obligations s’il remet à la Cour une
personne accusée de crimes prévus au Statut puisque le droit international, en général, et l’art.
27, en particulier, excluent l’immunité en pareil cas. C’est la seule manière de réconcilier le
sens des deux dispositions et de leur conserver un effet utile 326
.
3.5.35 La doctrine confirme que l’art. 98 n’est nullement destiné à réduire la portée de l’art.
27. Pour K. Prost et A. Schlunck, l’art. 98
“does not accord an immunity from prosecution to individuals, which the
Court may seek to prosecute. Article 27 makes it clear that no such immunity
is available. This particular article does not reduce the effect of Article 27 in
any way. A person sought for arrest for prosecution by the Court cannot claim
an immunity based on official capacity nor does such capacity effect the
jurisdiction of the Court over the person.” 327
.
3.5.36 Dans l’hypothèse où l’art. 98 § 1 concerne un Etat non partie au Statut de la CPI, le
même raisonnement s’applique : dès lors que le droit coutumier international tel qu’il se
dégage des nombreuses sources recensées au présent chapitre — e.a., les al. 4 à 6 du
préambule du Statut de la CPI328 — exclut l’immunité des personnes accusées de crimes visés
par le Statut, l’Etat requis de coopérer avec la CPI ou avec un Etat partie au Statut qui ne tient
pas compte de l’immunité de l’auteur présumé d’un tel crime n’agit pas de manière
incompatible avec ses obligations internationales. C’est même le contraire ; cet Etat ne fait que
remplir ses obligations internationales de coopération à la répression des faits dont la personne
en cause est accusée.

325 Mémoire RDC, § 70.
326 CIJ, Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, Rec. 1995, p. 19.
327 In TRIFFTERER, O., (éd.), Commentary on the Rome Statute of the International Criminal Court, Baden
Baden, Nomos, 1999, p. 1132. (Annexe 35)
328 Supra § 3.5.33
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
133
3.5.37 De manière générale, la distinction entre Etats parties au Statut, Etats ayant reconnu la
compétence de la CPI et Etats non parties au Statut n’a qu’une portée limitée puisque le
Conseil de sécurité, agissant en vertu du chapitre VII de la Charte, peut déférer au Procureur
« une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces crimes paraissent avoir été commis »
(Statut, art. 13, b) 329. Dans ce cas, tout Etat membre des N. U. serait concerné, peu importe
qu’il soit, ou non, partie au Statut. Pour rencontrer cette situation, il est logique d’exclure, en
termes généraux, l’immunité pénale des gouvernants étrangers pour des crimes visés au Statut
de la Cour.
3.5.38 Certes, la loi belge va un peu plus loin dans la mesure où elle s’applique aussi en dehors
de l’hypothèse précitée, mais ceci est conforme à l’ensemble du droit international tel qu’il se
dégage des sources citées dans le présent contre-mémoire.
(iii) La loi n° 10 du Conseil de Contrôle allié
3.5.39 Le 20 décembre 1945, le Conseil de Contrôle allié qui administrait l’Allemagne adopte
la loi n° 10 sur le châtiment des personnes coupables de crimes de guerre, de crimes contre la
paix et de crimes contre l’humanité. Bien qu’en l’espèce, le texte s’appelât « loi », il pouvait
s’apparenter à un accord international puisque ladite « loi » avait été adoptée par accord des
quatre Puissances qui administraient l’Allemagne au lendemain de la 2e
guerre mondiale. L’art.
2 § 4 (a) disposait à peu près dans les mêmes termes que les statuts des juridictions pénales
internationales précitées :
« The official position of any person, whether as Head of State or as a
responsible official in a Government Department, does not free him from
responsibility for a crime or entitle him to mitigation of punishment. »
330
3.5.40 On observera que ce texte s’appliquait à des poursuites devant des juridictions
nationales, à savoir des juridictions allemandes 331 ou des juridictions étrangère établies en
Allemagne. Selon le préambule de ce texte, il s’agissait d’établir une base juridique uniforme
pour la poursuite des criminels de guerre en Allemagne :

329 Annexe supplémentaire 92.
330 Texte in BASSIOUNI, C., International Criminal Law, N. Y., Dobbs Ferry, 1987, III, p. 130. ( Annexe
36)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
134
« In order to give effect to the terms of the Moscow Declaration of 30
October 1943 and the London Agreement of 8 August 1945, and the Charter
issued pursuant thereto and in order to establish a uniform legal basis in
Germany for the prosecution of war criminals and other similar offenders,
other than those dealt with by the International Military Tribunal, the Control
Council enacts as follows […] »
332
3.5.41 Le fait que la règle prévue pour les tribunaux pénaux internationaux a été reprise pour
son application dans l’ordre juridique interne d’un Etat par les Puissances occupantes prouve
que, contrairement à ce qu’affirme la RDC, la règle est indifférente au caractère international
ou interne des tribunaux qui l’applique ; seule importe la gravité du fait qui justifie son
application. Le mémoire de la RDC n’a pas discuté de ce texte.
(iv) La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
3.5.42 La Convention sur le génocide du 9 décembre 1948 333 dispose en son art. IV :
« Les personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres
actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants,
des fonctionnaires ou des particuliers. »
334
3.5.43 Cette disposition conduit clairement à exclure l’immunité des personnes qui sont
normalement fondées à en bénéficier qualitate sua. Comme la loi n° 10, cette disposition est
destinée à s’appliquer dans l’ordre juridique interne des Etats parties. Elle confirme encore que
la règle excluant l’immunité pour les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité
et du crime de génocide s’applique indépendamment du point de savoir si c’est une juridiction
nationale ou internationale qui l’applique.
3.5.44 Un seul Etat — les Philippines — a émis une réserve à cette disposition 335, mais trois
Etats (Australie, Brésil et Norvège) ont fait objection à cette réserve 336
.

331 LOMBOIS, C., Droit internaitonal pénal., Paris, Thémis, p. 145, § 137.
332 BASSIOUNI, op.cit., III, p. 130. (Annexe 36)
333 Ratifiée par la Belgique et la RDC, respectivement, le 5 déc. 1950 et le 31 mai 1962 (succession).
334 Annexe supplémentaire 87
335 « En ce qui concerne l’art. IV de la Convention, le Gouvernement des Philippines ne peut sanctionner un
régime selon lequel son chef d’Etat, qui n’est pas un gouvernant, se trouverait soumis à un traitement
moins favorable que celui qui est accordé à d’autres chefs d’Etat, qu’ils soient ou non des gouvernants
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
135
3.5.45 Le mémoire de la RDC n’a pas discuté de l’art. IV de la Convention de 1948 bien qu’il
fît partie de ceux cités par la Belgique lors de la phase sur les mesures conservatoires 337
.
(v) Les résolutions des organes des N. U.
3.5.46 Dès le 11 décembre 1946, l'Assemblée générale des N. U. adopte la rés. 95 (I) dans
laquelle elle entérine les principes issus du Statut et du jugement du TMI de Nuremberg.
L’Assemblée, par cette résolution,
« Confirme les principes de droit international reconnus par le statut de la
Cour de Nuremberg et par l'arrêt de cette Cour »
338
.
3.5.47 Or, au nombre de ces principes figure l’exclusion de l’immunité des agents de l’Etat,
quel que soit leur rang dans la hiérarchie de l’Etat, pour des crimes contre la paix, des crimes
de guerre ou des crimes contre l’humanité, ainsi que cela ressort à la fois du Statut du TMI de
Nuremberg339 et surtout de son jugement340. Comme on le sait, ces principes seront codifiés,
en 1950, par la CDI341 qui affirme dans le principe III :
« Le fait que l'auteur d'un acte qui constitue un crime de droit international a
agi en qualité de chef d'Etat ou de gouvernant ne dégage pas sa responsabilité
en droit international »
342
.
3.5.48 Ces principes furent à nouveau discutés à la 6e
Commission de l’A. G. qui vota à
l'unanimité certains alinéas du préambule 343 de ce qui allait devenir la rés. 488 (V) du 12
décembre 1950 (« Formulation des principes de Nuremberg »), et notamment le 2e
al. qui
rappelle que :

constitutionnellement responsables. En conséquence, le Gouvernement des Philippines ne considère pas
que ledit article abolisse les immunités en matière de poursuites judiciaires que la Constitution des
Philippines reconnaît actuellement au bénéfice de certains fonctionnaires. », in Traités multilatéraux
déposés auprès du Secrétaire général, Etat au 31 déc. 1999, I, doc. ONU ST/LEG/SER.E/18, p. 98.
336 Ibid., pp. 99-100.
337 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, p. 22.
338 Annexe supplémentaire 93
339 Supra § 3.5.21.
340 Infra § 3.5.61.
341 Infra § 3.5.105.
342 Annexe supplémentaire 95
343 A.G., doc. off., 5e
session, 6e
Commission, 239e
séance, § 43.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
136
« l'A. G., par sa rés. 95 (I) du 11 décembre 1946, a unanimement confirmé
les principes de droit international reconnus par le statut du tribunal de
Nuremberg et par le jugement de ce tribunal ».
344
3.5.49 En ce qui concerne plus spécialement le principe III (ci-dessus), le représentant de la
Belgique avait observé, à l’époque, que ce principe
“was based on a supremely just idea that the person who was the head of state
should be the first to bear the responsibility and to suffer the penalty to which
he was liable under international law in order to ensure that war criminals
would receive their just punishment.” 345
3.5.50 Le mémoire de la RDC n’a pas discuté des travaux de l’A. G. de l’ONU.
3.5.51 Le Conseil économique et social des N. U. a adopté le 24 mai 1989 des « Principes
relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux
moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions » ; le principe 19 prévoit notamment :
« In no circumstances, including a state of war, siege or other public
emergency, shall blanket immunity from prosecution be granted to any person
allegedly involved in extra-legal, arbitrary or summary executions. »
346
3.5.52 Dans sa résolution 44/159 du 15 décembre 1989, l’Assemblée générale des N.U. a
« accueill[i] avec satisfaction » ces « Principes »
347
.
3.5.53 Le mémoire de la RDC ne discute pas de ces textes bien qu’ils aient déjà été produits
par la Belgique lors de l’instance sur les mesures conservatoires.
3.5.54 Le 14 octobre 1994, le Président du Conseil de sécurité déclare, au nom de ce dernier :
« Le Conseil réaffirme que tous les responsables d’infractions graves au droit
international humanitaire et d’actes de génocide doivent être traduits en
justice. Il souligne que les personnes qui ont participé à de tels actes ne

344 Supra, § 3.5.47.
345 Ibid., 235e
séance, 8 nov. 1950, § 44. (Annexe 37)
346 Annexe supplémentaire 93
347 Ibid.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
137
doivent pas pouvoir échapper à la justice en fuyant le pays […]. Dans ce
contexte, le Conseil examine actuellement les recommandations de la
Commission d’experts sur la création d’un tribunal international et il entend
faire diligence en la matière. »
348
3.5.55 Pour V. Morris et M. Scharf, cette déclaration est une illustration de la règle selon
laquelle l’immunité pénale est incompatible avec l’obligation de poursuivre les auteurs de
crimes graves de droit international humanitaire 349
(b) Sources nationales excluant l’immunité de l’auteur présumé d’une violation grave
du droit international humanitaire
3.5.56 Les lois nationales qui excluent l’immunité des dirigeants qui ont commis des crimes de
droit international humanitaire sont peu nombreuses, mais elles existent et n’ont pas donné lieu
à contestation. C’est ainsi qu’au lendemain de la 2e
guerre mondiale, la loi chinoise du 24
octobre 1946 (art. VIII) prévoyait que les circonstances suivantes :
« […] do not in themselves relieve the perpetrator from penal liability for war
crimes :
[…]
(2) That crimes were committed as a result of official duty ;
(3) That crimes were committed in pursuance of the policy of the
offender’s government ;
[…] »
350
3.5.57 De même, la loi luxembourgeoise du 2 août 1947 (art. II, 4, a) prévoyait :
« In no instances can the application of the laws mentioned in Art. 1 be set
aside under the pretext that the authors or co-authors of, or the accomplices
in, the offences acted in the capacity of an official, a soldier or an agent in the
service of the enemy. »
351
.
3.5.58 Le Comité directeur pour les droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait interrogé
ses membres sur certains paragraphes de la Recommandation 1327 (1997) adoptée par

348 S/PRST/1994/59, 14 octobre 1994. (Annexe 38)
349 The International Criminal Tribunal for Rwanda, Irvington-on-Hudson, N . Y., Transnational Publ., 1998,
p. 289, (infra § 3.5.131). (Annexe 39)
350 Texte in Law Reports of Trials of War Criminals, London, 1949, XIV, p. 157 et 1950, XV, p. 161.
(Annexe 40)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
138
l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Pour la Direction du droit international
public du Département fédéral suisse des affaires étrangères, la répression des "violations
graves des droits de l'homme" "étant d'une nature impérative", elle doit l'emporter sur
l'immunité de l'art. 31 de la Convention de Vienne" de 1961 352. La Suisse observe que la Cour
européenne des droit de l’homme a dit, dans l’aff. Golder, que l’art. 6 de la Convention
n’affectait pas le régime des immunités diplomatiques, mais elle ajoute
« Ce respect du principe de l’immunité diplomatique ne doit cependant pas
conduire à vider l’art. 6 CEDH de son contenu [réf. omise]. Ainsi, l’on
pourrait admettre qu’un agent diplomatique soit actionné pénalement devant
un tribunal suisse malgré son immunité de juridiction pénale, à la condition que
la victime ne soit pas en mesure d’obtenir la levée de l’immunité de cet agent
et que l’accusation porte sur une violation grave des droits de l’homme. »
353
3.5.59 A la suite d’une enquête du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre en droit interne
du Statut de la CPI, certains Etats ont, incidemment, affirmé que la règle de l’immunité des
chefs d’Etat ne s’appliquait pas en cas de crimes graves tels ceux relevant de la compétence de
la CPI. Ainsi, on lit dans une déclaration du gouvernement norvégien au Storting (Parlement) à
propos de la ratification du Statut de Rome :
« L’évolution du droit tend elle aussi à faire que les chefs d’Etat ne peuvent
plus bénéficier de l’immunité pour les crimes les plus graves. »
354
3.5.60 Pour la Pologne, répondant à la même enquête du Conseil de l’Europe,
“la responsabilité des hautes personnalités de l’Etat dans le cadre du droit
international, sans distinction et leur charge et de leur fonction (y compris les
crimes couverts par la juridiction de la Cour) constitue une norme clairement
contraignante du droit international coutumier comme instituée sur la base des
Règles de Nuremberg et la pratique internationale subséquente (l’affaire
Pinochet)” 355

351 Ibid. (Annexe 40)
352 CAFLISCH, L., « La pratique suisse en matière de droit international public 1998 », RSDIE, 1999, p. 689.
(Annexe 41)
353 Ibid., pp. 689-690.
354 Proposition n° 24 (1999-2000) au Storting. (Annexe 42)
355 Bilan de l’Etat d’avancement de la ratification et la mise en œuvre par la Pologne, Strasbourg, 4 septembre
2001, Consult/ICC (2001) 22, p. 5. (Annexe 43)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
139
(c) Sources jurisprudentielles excluant l’immunité de l’auteur présumé d’une violation grave
du droit international humanitaire
3.5.61 La jurisprudence internationale a clairement affirmé le principe de l’exclusion de
l’immunité de l’agent d’un Etat étranger pour des crimes de droit international humanitaire.
Ainsi, le TMI de Nuremberg a dit :
« Le principe de Droit international, qui dans certaines circonstances protège
les représentants d’un Etat, ne peut pas s’appliquer aux actes condamnés
comme criminels par le Droit international. Les auteurs de ces actes ne
peuvent invoquer leur qualité officielle pour se soustraire à la procédure
normale ou se mettre à l’abri du châtiment. »
356
3.5.62 Ce passage est important à un double point de vue :
· Il est tout à fait général et ne tient aucun compte du point de savoir si les actes en cause
sont jugés par une juridiction internationale ou interne.
· Alors que l’art. 7 du Statut du TMI de Nuremberg (comme les dispositions
correspondantes d’autres tribunaux pénaux internationaux — supra §§ 3.5.23 ss.), pris
au pied de la lettre, semble n’écarter la qualité officielle de l’accusé que comme motif
d’excuse ou cause de justification quant au fond, et non comme exception de
procédure, l’extrait précité du jugement du TMI de Nuremberg montre clairement que
l’immunité est écartée tant comme exception de procédure (« Les auteurs de ces actes
ne peuvent invoquer leur qualité officielle pour se soustraire à la procédure normale »
— souligné par la Belgique) que comme éventuelle cause d’excuse ou de justification
(« Les auteurs de ces actes ne peuvent invoquer leur qualité officielle pour […] se
mettre à l’abri du châtiment » — souligné par la Belgique).
3.5.63 La RDC reconnaît que la qualité officielle de l’accusé n’est pas un motif d’exonération
pénale ou de réduction de peine 357, mais elle conteste que la violation criminelle du droit
international humanitaire imputée à l’accusé puisse justifier une exception à son immunité

356 Jugement des 30 sept.-1er oct. 1946, doc. off., I, p. 235. (Annexe supplémentaire 94).
357 Mémoire RDC, §§ 59-60.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
140
pénale. L’extrait précité du jugement du TMI de Nuremberg répond très clairement à cette
objection. La RDC s’est abstenue d’en discuter bien que cet extrait figurât aussi parmi ceux
cités par la Belgique lors de la phase sur les mesures conservatoires 358
.
3.5.64 Le TMI de Tokyo a confirmé les principes arrêtés par le TMI de Nuremberg. Parmi les
exceptions soulevées par les accusés japonais, l’une d’elles disait :
« War is the act of a nation for which there is no individual responsibility
under international law.” 359
3.5.65 Le Tribunal la repousse en rappelant et approuvant diverses parties du jugement de
Nuremberg, et notamment, l’extrait précité360 ; le Tribunal déclare :
« With the foregoing opinions of the Nuremberg Tribunal and the reasoning
by which they are reached this Tribunal is in complete accord. They embody
complete answers to the first four of the grounds urged by the defence as set
forth above. In view of the fact that in all material respects the Charters of this
Tribunal and the Nuremberg Tribunal are identical, this Tribunal prefers to
express its unqualified adherence to the relevant opinions of the Nuremberg
Tribunal rather than by reasoning the matters anew in somewhat different
language to open the door to controversy by way of conflicting interpretations
of the two statements of opinions. »
361
3.5.66 C’est ainsi que le Tribunal rejette l’exception fondée sur la qualité de diplomate du
général Oshima, ambassadeur du Japon à Berlin de 1939 à 1945, et qui faisait partie des
accusés :
« Oshima’s special defence is that in connection with his activities in Germany
he is protected by diplomatic immunity and is exempt from prosecution.
Diplomatic privilege does not import immunity from legal liability, but only
exemption from trial by the Courts of the State to which an Ambassador is
accredited. In any event, this immunity has no relation to crimes against
international law charged before a tribunal having jurisdiction. The Tribunal
rejects this special defence. »
362
.

358 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, p. 22.
359 Texte in ROLING et RUTER (éd.), The Tokyo Judgement, Amsterdam University Press., 1977, vol. I, p.
27, (p. 24 du texte original). (Annexe 44)
360 Supra § 3.5.61
361 Ibid., p. 28, (p. 26 du texte original). ( Annexe 44)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
141
3.5.67 La jurisprudence du TPIY va dans le même sens. Ainsi, dans l’aff. Furundzia, une
chambre du TPIY conclut :
"Les individus sont personnellement responsables, quelles que soient leurs
fonctions officielles, fussent-ils chefs d'Etat ou ministres." 363
3.5.68 Elle ajoute que les dispositions des statuts des TPI qui excluent l’immunité des agents
de l’Etat « sont indiscutablement déclaratoires du droit international coutumier »
364
.
3.5.69 Dans l’aff. Kunarac et al., une autre chambre du TPIY affirme à son tour :
“Likewise, the doctrine of ‘act of State’, by which an individual would be
shielded from criminal responsibility for an act he or she committed in the
name of or as an agent of a state, is no defence under international criminal
law. This has been the case since the Second World War, if not before [ref.
omitted]. Articles 1 and 7 of the Statute make it clear that the identity and
official status of the perpetrator is irrelevant insofar as it relates to
accountability.” 365
3.5.70 Même si la chambre se réfère aux art. 1 et 7 de son Statut, il reste que sa déclaration est
énoncée en termes généraux et qu’elle n’est nullement limitée au cas de personnes poursuivies
devant une juridiction pénale internationale.
3.5.71 Au plan interne, l’aff. Eichmann est une autre illustration du principe. L’accusé ayant
plaidé l’acte d’Etat, la Cour suprême d’Israël rejeta l’exception en se fondant sur l’art. IV de la
Convention sur le génocide ainsi que sur les principes de Nuremberg qui étaient devenus « part
of the law of nations and must be regarded as having been rooted in it also in the past »
366
.
Pour le tribunal de district de Jérusalem, cette disposition “affirms a principle recognized by all
civilized nations” 367 ; avec ce dernier, la Cour suprême déclare :

362 Ibid., p. 456, (p. 1189 du texte original). (Annexe 44)
363 TPIY, Aff. IT-95-17/1-T, Furundzija, 10 décembre 1998, § 140. (Annexe 45) ; voy. aussi DUPUY, P.-M.,
"Crimes et immunités ou dans quelle mesure la nature des premiers empêche l'exercice des secondes ?"
RGDIP, 1999, p. 292.
364 Ibid., Furundzija (Annexe 45) ; Voir aussi Statut TPIY, art. 7 § 2 et Statut TPIR, art. 6 § 2.
365 TPIY, Aff. IT-96-23 et 23/1-T, 22 février 2001, Kunarac, Kovac et Vukovic § 494. (Annexe 46)
366 29 May 1962, ILR, v. 36, p. 311.
367 12 Dec. 1961, ILR, v. 36, p. 48.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
142
« The very contention that the systematic extermination of masses of helpless
human beings by a Government or regime could constitute ‘an act of State’
appears to be an insult to reason and a mockery of law and justice. »
368
3.5.72 D’autres décisions judiciaires internes vont dans le même sens. Bien que plusieurs
d’entre elles concernent des procédures civiles, elles n’en sont pas moins significatives. Ainsi
en a-t-il été de l’application par la jurisprudence américaine de l'Alien Tort Claims Act de 1789
à des personnages qui, ayant occupé des postes étatiques importants, prétendaient à ce titre,
bénéficier de l'act of state doctrine. Pour rappel, l'Alien Tort Claims Act permet à tout étranger
qui s'estime victime d'une violation du droit international d'en demander réparation devant les
tribunaux américains :
"The district courts shall have original jurisdiction of any civil action by an
alien for a tort only, committed in violation of the law of nations or a treaty of
the United States." 369
3.5.73 Bien qu'il s'agisse en l'occurrence de procédures civiles et que la personne mise en
cause se prévale de la doctrine de l'act of state plutôt que d'une quelconque immunité, le
raisonnement du juge consistant à écarter cette doctrine en raison de l'illégalité internationale
des faits en cause (on ne parle pas ici d’infractions ordinaires de droit interne) est parfaitement
transposable au cas de l'immunité de juridiction pénale. Les faits auxquels la règle a été
appliquée — tortures, massacres, etc (ci-dessous) — confirment la validité in casu du
raisonnement par analogie.
3.5.74 Dans l'aff. Suarez-Mason, le défendeur, ancien commandant du 1er corps de l'armée qui
avait le contrôle de la province de Buenos Aires au moment de l'état de siège en Argentine de
1976-1979, prétendait opposer l'act of State doctrine à une action civile introduite contre lui
aux Etats-Unis, sur la base de l'Alien Tort Claims Act, par des ressortissants argentins qui
demandaient réparation pour des faits de torture, de détention arbitraire et d'exécutions
sommaires commis contre eux et des membres de leur famille à l'époque considérée. Pour le
tribunal de district américain, les faits visés par l'Alien Tort Claims Act étaient peut-être
"official",

368 Ibid., p. 312.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
143
"[b]ut this is not necessarily the governmental and public action
contemplated by the act of State doctrine"
370
.
3.5.75 Le tribunal ajoutait que s'il fallait appliquer cette doctrine à tous les actes d'Etats, l'Alien
Tort Claims Act ne pourrait jamais s'appliquer:
"These allegations of officials for purpose of § 1350 [l'Alien Tort Claims Act
dans le U.S. code] do not necessarily require application of the act of state
doctrine. Indeed, since violations of the law of nations virtually all involve
acts practiced, encouraged or condemned by states, defendant's arguments
would in effect preclude litigation under § 1350 for torts (...) committed in
violation of the law of nations" 371
.
3.5.76 Dans les affaires Karadzic et Barayagwiza, les juridictions américaines estimaient que
l'Alien Tort Claims Act leur permettait de connaître de faits de génocide, qu'ils fussent, ou non,
commis par un Etat ou au nom d'un Etat 372. Ainsi, à propos des faits de génocide imputés au
premier, une Cour d'appel déclare :
"[…] we doubt that the acts of even a state official, taken in violation of a
fundamental law and wholly unratified by that nation's government, could
properly be characterized as an act of state." 373
3.5.77 Dans l'aff. Noriega — où il s'agissait d'une procédure pénale dirigée contre le général
Noriega du Panama —, ce dernier avait également soutenu que les faits qui lui étaient
reprochés échappaient à la juridiction américaine en vertu de l'act of State doctrine qui interdit
au juge de se prononcer sur la légalité d'actes d'un gouvernement étranger. Le tribunal
repoussa l'exception après avoir observé qu'il ne voyait pas comment :
"Noriega's alleged drug trafficking and protection of money launderers could
conceivably constitute public action taken on behalf of the Panamanian
State" 374
.

369 28 U.S. Code § 1350 (1988).
370 U.S. Distr. Crt., N.D. Col., 6 oct. 1987, Forti v. Suarez-Mason, ILR, v. 95, p .638.
371 Ibid.
372 U.S. Crt. of App., 2nd Cir., 13 oct. 1995, ILM, 1995, p. 1602 et ILR, v. 104, p. 135, U.S. Dist. Crt.,
N.Y.E.D., 9 Apr. 1996, ILR, v. 107, p. 459.
373 U.S. Crt. of App., 2nd Cir., 13 oct. 1995, ILR, v. 104, p. 163.
374 U.S. Distr. Crt., S. D. Fla., 8 June 1990, ILR, v. 99, p. 164.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
144
3.5.78 Dans l'affaire Marcos, une cour d'appel américaine a estimé que des tortures, des
disparitions forcées et des exécutions extra-judiciaires imputées à l'ex-dictateur philippin
violaient le jus cogens 375, "were clearly outside his authority as President" 376, et par
conséquent, n'étaient pas "the acts of an agency or instrumentality of a foreign state within the
meaning of FSIA" 377
.
3.5.79 Même raisonnement à l'égard d'un ancien ministre de la Défense du Guatemala,
Gramajo, qui se prévalait du F.S.I.A. pour faire échec à une action en réparation introduite
devant un tribunal américain par une personne qui avait été torturée par les services de ce
ministre : pour le juge, ces faits "exceed anything that might be considered to have been
lawfully within the scope of Gramajo's official authority" et que par conséquent, même si le
F.S.I.A. s'appliquait à des fonctionnaires, le ministre n'était pas fondé à en bénéficier 378
.
3.5.80 Ces diverses décisions montrent à nouveau que c’est l’horreur de certains faits et leur
illégalité internationale qui aboutissent à exclure l’immunité de l’agent étatique qui en est
responsable.
3.5.81 Dans le cas de l’aff. Pinochet, on se souviendra que la Chambre des Lords, avait
réformé la décision de la Divisional Court qui, le 28 octobre 1998, avait admis l'immunité de
juridiction revendiquée par l’ex-dictateur chilien 379. Dans son arrêt du 25 novembre 1998, la
Chambre des Lords avait écarté cette immunité en se fondant sur le fait que Pinochet n'était
plus en fonction, et que, s'il conservait cette immunité uniquement pour les actes accomplis
dans l'exercice de ses fonctions, les faits qui lui étaient reprochés ne pouvaient être assimilés à
des actes de la fonction. Dans sa deuxième (et définitive) décision du 24 mars 1999, la
Chambre des Lords décidait par 6 voix contre 1 que le Général Pinochet ne pouvait bénéficier
de l'immunité pour les faits de torture commis après le 8 décembre 1988, c.-à-d., après l'entrée
en vigueur de la Convention des N. U. du 10 décembre 1984 contre la torture pour le R.-U. 380

375 U.S. Crt. of App., 9th Cir., 16 June 1994, Hilao v. Marcos, ILR, v. 104, p. 126.
376 Ibid., p. 125.
377 Ibid.
378 U.S. Dict. Crt., Dist. of Mass., 12 Apr. 1995, Xuncax v. Gramajo, ILR, v. 104, p. 176.
379 ILM, 1999, pp. 70-90, 3 nov. 1998.
380 Pour une critique justifiée de cette limitation ratione temporis, COSNARD, M., "Quelques observations
sur les décisions de la Chambre des Lords du 25 novembre 1998 et du 24 mars 1999 dans l'aff. Pinochet",
RGDIP, 1999, pp. 325-328.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
145
3.5.82 Parmi les justifications avancées par les Lords pour rejeter l'immunité de juridiction de
Pinochet, certaines rappellent celles déjà évoquées dans des affaires jugées aux E.-U.381 On
peut les résumer comme suit :
· un certain nombre de sources refusaient l'immunité de juridiction pour des crimes
contre la paix, des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité (projets de code
des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité établis par la CDI en 1954 et 1996,
statuts des TPI et de la CPI) 382;
· si un ex-chef d'Etat continue à bénéficier d'une immunité ratione personae pour les
actes de la fonction, des faits de torture ne peuvent en aucune manière être assimilés à
de tels actes dès lors qu'il s'agit de faits non seulement interdits, mais aussi incriminés
par le droit international :
"The alleged acts of torture by Senator Pinochet were carried out
under colour of his position as head of state, but they cannot be
regarded as functions of head of state under international law when
international law expressly prohibits torture as a measure which a state
can employ in any circumstances whatsoever and has made it an
international crime" 383;
"International Law cannot be supposed to have established a crime
having the character of a jus cogens and at the same time to have
provided an immunity which is co-extensive with the obligation it
seeks to impose" 384;
"Had the Genocide Convention not contained this provision [Art. IV],
an issue could have been raised as to whether the jurisdiction conferred
by the Convention was subject to state immunity ratione materiae.
Would international law have required a court to grant immunity to a
defendant upon his demonstrating that he was acting in an official
capacity ? In my view it plainly could not. I do not reach that
conclusion on the ground that assisting in genocide can never be a
function of a state official. I reach that conclusion on the simple basis
that no established rule of international law requires state immunity
ratione materiae to be accorded in respect of prosecution for an

381 Supra §§ 3.5.74 et seq.
382 House of Lords, 24 mars 1999, ILM, 1999, Lord Hutton, pp. 634 et seq.; Lord Millett, p. 647.
383 Id., Lord Hutton, p. 638; voy. aussi pp. 639, 642.
384 Id., Lord Millett p. 651.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
146
international crime. International crimes and extra-territorial
jurisdiction in relation to them are both new arrivals in the field of
public international law. I do not believe that state immunity ratione
materiae can co-exist with them. The exercise of extra-territorial
jurisdiction overrides the principle that one state will not intervene in
the internal affairs of another. It does so because, where international
crime is concerned, that principle cannot prevail. An international
crime is as offensive, if not more offensive, to the international
community when committed under colour of office. Once extraterritorial
jurisdiction is established, it makes no sense to exclude from
it acts done in an official capacity.” 385
· les exigences de la protection de la fonction
"can hardly be prayed in aid to support the availability of the immunity
in respect of criminal activities prohibited by international law" 386;
"I do not believe that those functions [the official functions of a former
head of state], as a matter of statutory interpretation, extend to actions
that are prohibited as criminal under international law." 387
· l'interdiction de la torture est une règle de jus cogens ; l'immunité ratione materiae des
ex-chefs d'Etat est donc incompatible avec la Convention contre la torture : par
définition, le tortionnaire est un agent de l'Etat et il serait absurde qu'il soit poursuivi
sans que le chef de l'Etat pour le compte duquel il agit ne puisse l'être :
"[…] if the former head of state has immunity, the man most
responsible will escape liability while his inferiors (the chiefs of police,
junior army officers) who carried out his orders will be liable. I find it
impossible to accept that this was the intention." 388
Lord Browne-Wilkinson ajoute que la Convention contre la torture ne vise que des
agents étatiques ; elle ne pourrait donc jamais s’appliquer s’il fallait reconnaître
l’immunité de ces agents ; or tel n’était certainement pas l’objet de la Convention :
“Under the Convention the international crime of torture can only be
committed by an official or someone in an official capacity. They

385 Id., Lord Phillips of Worth Matravers, p. 661.
386 Id., Lord Millett, p. 645; voy. aussi p. 646.
387 Id., Lord Phillips of Worth Matravers, p. 663.
388 Id., Lord Browne-Wilkinson, p. 594.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
147
would all be entitled to immunity. It would follow that there can be no
case outside Chile in which a successful prosecution for torture can be
brought unless the State of Chile is prepared to waive its right to its
official immunity. Therefore the whole elaborate structure of universal
jurisdiction over torture committed by officials is rendered abortive
and one of the main objectives of the Torture Convention — to
provide a system under which there is no safe haven for torturers —
will have been frustrated. In my judgment all these factors together
demonstrate that the notion of continued immunity for ex-heads of
state is inconsistent with the provisions of the Torture Convention.” 389
Même si le raisonnement du juge se confine au cas des anciens chefs d’Etat, il est
parfaitement applicable, comme tel, au cas de gouvernants étrangers en exercice.
D’autres lords ont tenu le même type de raisonnement 390
.
3.5.83 Si la RDC se réfère aussi à l’aff. Pinochet, elle s’est évidemment bien gardée de citer les
extraits qui viennent d’être rappelés. Elle se réfère à un passage de « Lord Browe [sic]-
Wilkinson dont l’opinion forma la majorité de la Cour », et qui déclare que le chef d’Etat
bénéficie d’une « complete immunity »
391. En réalité, le juge britannique s’est simplement
référé à la règle générale, et cette référence est d’autant moins significative pour la thèse de
« l’immunité pénale absolue » défendue par la RDC 392 que, comme on vient de le voir393, le
juge faisait partie de la majorité qui reconnaissait qu’il fallait rejeter la prétention à l’immunité
de Pinochet 394
.
La RDC insiste aussi sur le fait que, dans l’arrêt de la Chambre des Lords du
25 novembre 1998, Lord Nicholls avait reconnu l’immunité d’un chef d’Etat
en exercice. La RDC oublie, toutefois, que Lord Nicholls avait néanmoins
conclu que Pinochet n’était pas fondé à se prévaloir de cette immunité :
"From this time on [the judgement of Nurnberg], no head of State could
have been in any doubt about his potential personal liability if he participated
in acts regarded by international law as crimes against humanity. […]
Even such a broad principle [the act of State doctrine], however would not
assist Senator Pinochet. In the same way as acts of torture and hostage-

389 Ibid., pp. 594-595.
390 Ibid., Lord Saville of Newdigate, p. 643, Lord Phillips of Worth Matravers, p. 661 ; plus indirectement,
Lord Hutton, p. 639.
391 Mémoire RDC, pp. 40-41, § 63.
392 Mémoire RDC, §§ 50-51, 62.
393 Supra § 3.5.82.
394 Op. cit., ILM, 1999, p. 595.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
148
taking stand outside the limited immunity afforded to a former head of state
by section 20 [of the State Immunity Act 1978], because those acts cannot
be regarded by international law as a function of a head of state, so for a
similar reason Senator Pinochet cannot bring himself within any such broad
principle applicable to state officials. Acts of torture and hostage-taking,
outlawed as they are by international law, cannot be attributed to the state to
the exclusion of personal liability." 395
De même, Lord Steyn affirmait dans cette décision :
"[…] the development of international law since the Second World War
justifies the conclusion that by the time of the 1973 coup d'Etat, and
certainly ever since, international law condemned genocide, torture, hostage
taking and crimes against humanity (during an armed conflict or in peace
time) as international crimes deserving of punishment. Given this state of
international law, it seems to me difficult to maintain that the commission of
such high crimes may amount to acts performed in the exercise of functions
of a Head of State." 396
3.5.84 La RDC aurait pu invoquer les opinions d’autres juges qui, dans l’arrêt du 24 mars
1999, tout en considérant que Pinochet ne bénéficiait pas de l’immunité ratione materiae,
réservaient toutefois le cas de l’immunité ratione personae, c.-à-d., l’immunité du chef d’Etat
en exercice397 ; pour la Belgique, cette réserve n’est pas fondée eu égard aux règles
internationales rappelées plus haut sur le rejet de l’immunité pour crimes de droit international
humanitaire, règles qui ne font aucune distinction entre immunité ratione materiae et immunité
ratione personae.
3.5.85 Il faut toutefois préciser un point important. La Belgique admet que le fait pour un chef
d’Etat d’être en exercice pourrait lui valoir une certaine immunité, mais il ne s’agirait pas
d’une immunité objective opposable erga omnes : cette immunité ne serait rien d’autre que
l’expression de l’acceptation par l’Etat du for de recevoir, pour l’une ou l’autre raison, le chef
d’Etat responsable des crimes en cause. Cette acceptation emporterait renonciation par l’Etat
du for à poursuivre pénalement ce chef d’Etat pendant le temps de son invitation sur le
territoire de l’Etat du for. Il s’agit d’une situation différente qui sera abordée plus loin.

395 Regina v. Bartle, ex parte Pinochet, ILM, 1998, pp. 1333-1334.
396 Ibid., p. 1337.
397 Ibid., Lord Hope of Craighead, p. 626; Lord Millett, p. 644; Lord Philips of Worth Matravers, p. 653.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
149
3.5.86 En Belgique, lors des plaintes déposées contre Pinochet, le juge d’instruction saisi avait
justifié sa compétence et écarté l'exception tirée de l'immunité de juridiction pour les actes de la
fonction eu égard à la gravité des faits reprochés à Pinochet et sans tenir compte du fait que
l'accusé n'était plus en fonction :
« En ce qui concerne la personne ayant le statut d'ancien chef d'Etat, elle cesse
de jouir des immunités conférées à l'exercice de sa fonction lorsque celle-ci
prend fin. Elle continue cependant à jouir des immunités pour tous les actes
accomplis dans l'exercice de ses fonctions de chef d'Etat pour autant que cette
immunité ne soit pas levée par l'Etat d'envoi
Si les crimes reprochés actuellement à Monsieur Pinochet devaient être
considérés comme établis, on ne saurait cependant considérer qu'ils aient été
accomplis dans le cadre de ses fonctions : de tels actes criminels ne peuvent
être censés rentrer dans l'exercice normal des fonctions d'un chef d'Etat, dont
l'une des missions consiste précisément à assurer la protection de ses
concitoyens.
[…]
'La protection que le droit international assure aux représentants de l'Etat ne
saurait s'appliquer à des actes criminels. Les auteurs de ces actes ne peuvent
invoquer leur qualité officielle pour se soustraire à la procédure normale et se
mettre à l'abri du châtiment' (TMI de Nuremberg, 1er oct. 1946, cité par J.
Salmon, Manuel de droit diplomatique, Bruylant 1994, p. 603). »
398
3.5.87 La RDC fait grand cas de l’arrêt rendu par la Cour de cassation française en l’aff.
Khadafi le 13 mars 2001 399. En l’occurrence, la Cour avait cassé une décision de la chambre
d’accusation de la Cour d’appel de Paris disant qu’il y avait lieu d’instruire des plaintes
déposées contre le colonel Khadafi pour son implication présumée dans l’attentat qui avait
entraîné la destruction d’un avion de l’UTA au-dessus du Niger en septembre 1989.
3.5.88 Avant d’examiner l’arrêt de la Cour de cassation, on rappellera ce que la chambre
d’accusation de la Cour d’appel de Paris avait dit. Celle-ci, se fondant notamment sur les
statuts des juridictions pénales internationales, avait conclu que ces sources traduisaient

398 Ordonnance du 4 nov. 1998, RDPC, 1999, p. 278, note BOSLY et LABRIN, J.T., 1999, note critique par
VERHOEVEN, p. 308.
399 Mémoire RDC, § 64.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
150
« la volonté de la communauté internationale de poursuivre les faits les plus
graves, y compris lorsqu’ils sont commis par un chef d’Etat dans l’exercice de
ses fonctions, dès lors que ceux-ci constituent des crimes internationaux,
contraires aux exigences de la conscience universelle »
400
3.5.89 Pour la chambre d’accusation, le statut de la CPI mais aussi les affaires Pinochet au R.-
U. et Noriega aux E.-U. étaient
« la preuve d’une pratique générale acceptée par tous, y compris la France,
comme étant le droit, selon laquelle l’immunité ne couvre que les actes de
puissance publique ou d’administration publique accomplis par le chef de
l’Etat, à condition qu’ils ne soient pas considérés comme des crimes
internationaux »
401
3.5.90 Même si cette décision a été cassée, elle n’en montre pas moins que, dans l’opinion des
juges, il existe en droit international des exceptions à la règle de l’immunité d’un chef d’Etat en
fonction.
3.5.91 On va voir qu’il en va de même pour la Cour de cassation française et que le seul point
de désaccord réside dans l’identification des crimes qui peuvent fonder des exceptions à
l’immunité.
3.5.92 Dans l’arrêt de la Cour de cassation, deux attendus sont importants :
« Attendu que la coutume internationale s’oppose à ce que les chefs d’Etat en
exercice puissent, en l’absence de dispositions internationales contraires
s’imposant aux parties concernées, faire l’objet de poursuites devant les
juridictions pénales d’un Etat étranger ;
[…]
Mais attendu qu’en prononçant ainsi [rejet de l’immunité par la chambre
d’accusation pour des faits de complicité de terrorisme], alors qu’en l’état du
droit international, le crime dénoncé, quelle qu’en soit la gravité, ne relève pes
des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des chefs d’Etat
étrangers en exercice, la chambre d’accusation a méconnu le principe susvisé ;
[…] »
402

400 Arrêt du 20 octobre 2000. (Annexe 49)
401 Ibid.
402 Ibid.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
151
3.5.93 Indépendamment du fait que cet arrêt a été critiqué en doctrine 403, la simple lecture des
attendus, reproduits ci-dessus, montre que, contrairement à ce que soutient la RDC, cet arrêt
ne confirme pas « qu’un chef d’Etat en exercice bénéficie d’une inviolabilité et d’une immunité
pénale absolues, même en cas d’accusation de crime de droit international »
404 : c’est
exactement le contraire puisque la Cour de cassation reconnaît explicitement dans le 2e
attendu
reproduit ci-dessus qu’il existe « des exceptions au principe de l’immunité de juridiction des
chefs d’Etat étrangers en exercice »
405, mais que ces exceptions ne comprennent pas les faits
de terrorisme. Formellement parlant, ce raisonnement traduit la réalité puisque la plupart des
textes qui excluent l’immunité de juridiction d’un chef d’Etat en exercice concernent
uniquement — il faut le reconnaître — les crimes contre la paix et les violations les plus graves
du droit international humanitaire : crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime de
génocide406 ; ils ne s’appliquent pas expressément aux faits de terrorisme.
3.5.94 Le mémoire déposé à l’appui du pourvoi en cassation introduit le 14 novembre 2000
par le Procureur général près la Cour d’appel de Paris, en l’affaire précitée, confirme ce qui
précède : il reconnaît que le droit international conventionnel exclut l’immunité des chefs
d’Etat pour les crimes visés par les statuts des juridictions criminelles internationales, mais il
constate que ce droit n’a pas étendu l’exclusion de l’immunité au terrorisme et que,
conformément au principe d’interprétation restrictive du droit pénal, on ne peut soutenir que
l’immunité cesse de s’appliquer dans les cas autres que ceux visés par le droit international
conventionnel. Il écrit notamment que des poursuites devant les juridictions criminelles
internationales n’ont été possibles « que parce que des dispositions expresses avaient été prises
en ce sens par les conventions ou résolutions ayant créé ces tribunaux »
407
.
3.5.95 Le Procureur général constate toutefois :
« Sans doute l’évolution du droit pénal international tend-elle, conformément
à la position adoptée par une partie des Etats, à restreindre la portée des

403 CASSESE, A., International Law, Oxford Univ. Press, 2001, p. 260. (Annexe 47); ZAPPALA, S., « Do
Heads of State in Office Enjoy Immunity from Jurisdiction for International Crimes ? », EJIL, 2001, pp.
595-612. (Annexe 48)
404 Mémoire RDC, § 62.
405 ZAPPALA, loc. cit., pp. 601 et 604. (Annexe 48)
406 Supra §§ 3.5.14 ss.
407 Inédit. (Annexe 50)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
152
immunités traditionnellement admises. Mais ces restrictions sont, comme
toujours en matière pénale, d’interprétation stricte. »
408
3.5.96 On observera qu’à aucun moment, le Procureur général ne prétend limiter l’exclusion
de l’immunité au seul cas de tribunaux pénaux internationaux : il fonde l’exclusion de
l’immunité sur l’existence de sources conventionnelles, non sur le caractère international des
tribunaux considérés.
3.5.97 Dans ses conclusions déposées à l’audience du 27 février 2001, l’Avocat général
reprend ces arguments 409 tout en en développant d’autres. Il semble notamment admettre que
certaines règles de jus cogens comme l’interdiction de la torture ou du génocide pourraient
l’emporter sur la norme coutumière de l’immunité du chef de l’Etat et il ne rejette le moyen
que parce que la source du jus cogens est dans la Convention de Vienne sur le droit des traités
et que la France n’est pas partie à cette convention. A contrario, l’Avocat général aurait donc
admis le moyen si la France avait été partie à la Convention de Vienne de 1969 410
.
3.5.98 La RDC développe toutefois l’argument suivant : elle considère que le 2e
attendu de
l’arrêt Khadafi doit être lu en fonction du 1er qui affirme que la coutume internationale exclut
toute poursuite pénale contre un chef d’Etat en exercice « en l’absence de dispositions
internationales contraires s’imposant aux parties concernées » ; pour la RDC, ces termes visent
des dispositions conventionnelles et non des règles coutumières, car en parlant des dispositions
« s’imposant aux parties concernées », la Cour de cassation « fait immanquablement allusion à
l’effet relatif des conventions internationales »
411. Apparemment, la RDC semble considérer
que la relativité du droit international se limite au seul droit conventionnel et elle paraît ignorer
les multiples exemples d’application de la relativité à la coutume internationale 412. L’argument
est donc vain, et l’arrêt de la Cour de cassation française, lorsqu’on le lit, d’une part, en
donnant aux termes leur sens usuel et ordinaire, d’autre part, en tenant compte du pourvoi du
Procureur général, confirme bel et bien l’existence d’exceptions au principe de l’immunité des
chefs d’Etat en exercice.

408 Inédit. (Annexe 50)
409 RGDIP, 2001, pp. 511 et 515. (Annexe 50)
410 Ibid., p. 514.
411 Mémoire RDC, § 64.
412 E.g. Lotus, CPJI, Série A, n° 10, p. 28 ; CIJ, Droit d’asile, Rec. 1950, p. 276 ; CIJ, Pêcheries anglonorvégiennes,
Rec. 1951, p. 116 ; CIJ, Droit de passage sur le territoire indien, , Rec. 1959, p. 39
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
153
3.5.99 Outre les aff. Pinochet et Khadafi qui, on vient de le voir, confirment le point de vue de
la Belgique, la RDC cite encore quatre affaires qui, selon elle, constitueraient « des précédents
bien établis » de reconnaissance qu’un chef d’Etat « qu’un chef d’Etat bénéficie d’une
inviolabilité et d’une immunité pénale absolues, même en cas d’accusation de crime de droit
international »
413. S’il est exact que les quatre affaires citées par la RDC — affaires qui sont
simplement indiquées par une note de bas de page (aff. Baccheli, Honecker, Arafat et Marcos
414) — affirment de manière tout à fait générale, en une phrase, que le chef de l’Etat bénéficie
de l’immunité de juridiction pénale, aucune n’est significative car aucune d’elles ne concerne,
même implicitement, le cas de crimes de droit international humanitaire et aucune ne se réfère
aux instruments et précédents cités plus haut.415
3.5.100 La jurisprudence relative aux immunités diplomatiques tend à confirmer que
l’immunité diplomatique ne protège pas son titulaire en cas de crime contre la paix, de crime de
guerre ou de crime contre l'humanité. Ainsi, pour Otto Abetz, qui se prétendait représentant du
Reich auprès du gouvernement de Vichy, la Cour de cassation de France constate que ce point
n’est pas démontré, et
« que, d’ailleurs, l’ordonnance du 28 août 1944, relative à la répression des
crimes de guerre, exclut par son objet même, l’application de toute disposition
du droit interne ou du droit international dont l’effet serait de subordonner la
poursuite à l’autorisation du gouvernement du pays auquel appartient le
coupable. »
416
3.5.101 De manière analogue pour Best, représentant du Reich en Danemark occupé,
poursuivi pour crimes de guerre, et qui prétendait exciper de son immunité diplomatique, la
Cour suprême du Danemark déclare que la loi n° 395 du 12 juillet 1946 relative à la répression
des crimes de guerre s’appliquait aux auteurs de ces crimes, peu importe qu’ils bénéficiassent,
ou non, de l’immunité diplomatique au moment où les crimes étaient commis :

413 Mémoire RDC, § 62.
414 Ibid., Aff. citées : Cass.it, 20 fév. 1978, Bacchelli c. Commune di Bologna, IYIL, 1978-1979, p. 137 note
L.C., BGH, 14 déc. 1984, Honecker, ILR, v. 80, p. 366 ; Cass. it, 28 juin 1985, Ric. Arafat e altro, Foro
it., 1986, v. II, p. 279 ; Trib. Féd. suisse, 1 déc. 1989, Marcos, ILR, v. 102, p. 201..
415 Supra, § 3.5.15 et seq.
416 Cass. fr., crim., 28 juillet 1950, RCDIP, 1951, p. 478 ; aussi, In re Abetz, ILR, 17, p. 279. (Annexe 51)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
154
« Statute n° 395 of July 12, 1946, must, according to its wording, as well as
its purpose, be considered as including all foreigners in German service,
irrespective of whether or not they enjoyed diplomatic immunity at the time
when they committed the offences referred to in the statute. Hence it follows
that the rules of international law governing immunity cannot be relied upon
for the benefit of any of the accused. »
417
.
(d) Sources doctrinales excluant l’immunité de l’auteur présumé d’un crime grave de
droit international humanitaire
3.5.102 La reconnaissance, par la doctrine, de l’exclusion de l’immunité pénale de
l’agent d’un Etat étranger, en fût-il le souverain, en cas de crimes de droit international
humanitaire, est loin d’être une nouveauté. Vattel le disait déjà au 18e
siècle. Il commence par
rappeler le principe général selon lequel, « aucune Puissance étrangère ne peut s'ériger en juge
de la conduite » d'un Etat et, sur cette base, il constate que « [l]es Espagnols violèrent toutes
les règles quand ils s'érigèrent en juge de l'Inca Athualpa », mais il ajoute immédiatement,
« Si ce prince eût violé le droit des gens à leur égard, ils [les Espagnols]
auraient été en droit de le punir. Mais ils l'accusèrent d'avoir fait mourir
quelques uns de ses sujets, d'avoir eu plusieurs femmes, etc, choses dont il
n'avait aucun compte à leur rendre; et ce qui met le comble à leur
extravagante injustice, ils le condamnèrent par les lois d'Espagne. »
418
(souligné par la Belgique)
3.5.103 Ce passage illustre dans une large mesure ce qui vient d'être dit : la règle, c’est
l’application de par in parem ; l’exception, c’est le cas d’une violation grave du droit
international.
3.5.104 Aujourd’hui, la doctrine la plus éminente confirme le principe du rejet de
l’immunité pénale pour des crimes de droit international humanitaire. On distinguera la
doctrine institutionnelle (Commission du droit international et Institut de droit international) (i)
des auteurs pris individuellement (ii).
(i) Les travaux de la Commission du droit international et de l’Institut de droit
international

417 In re Best and Others, Denmark, Supr. Crt., 17 mars 1950, ILR., v. 17, p. 437. ( Annexe 52)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
155
3.5.105 Dès 1950, la CDI a reconnu le principe selon lequel la qualité officielle en
laquelle agissait l’agent d’un Etat étranger (chef d’Etat ou ministre) ne constituait pas un motif
de justification à un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité :
elle l’a dit, à la fois dans le cadre de l’élaboration des principes de Nuremberg, mais aussi dans
le cadre de ses différents projets de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.
Ces textes sont importants et suffisamment brefs pour être rappelés ici, in extenso :
· Principes de Nuremberg adoptés en 1950, Principe III :
“Le fait que l'auteur d'un acte qui constitue un crime de droit
international a agi en qualité de chef d'Etat ou de gouvernant ne
dégage pas sa responsabilité en droit international.” 419
· Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, version de 1951,
art. 3 :
“The fact that a person acted as a Head of State or responsible
government official does not relieve him from responsibility for
committing any of the offences defined in this Code.” 420
· Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, version de 1954,
art. 3 :
« Le fait que l’auteur a agi en qualité de chef d’Etat ou de
gouvernement ne l’exonère pas de la responsabilité encourue pour
avoir commis l’un des crimes définis dans le présent code. » 421
· Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, version de 1991,
art. 13 :
« La qualité officielle de l’auteur d’un crime contre la paix et la
sécurité de l’humanité, et notamment le fait qu’il a agi en qualité de

418 VATTEL, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle, 1758, L. II, chap. IV, § 55. (Annexe 53)
419 Annexe supplémentaire 95
420 Ybk. ILC 1951, II, p. 137.
421 Rapport CDI 1954, doc. ONU A/2693, p. 12.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
156
chef d’Etat ou de gouvernement ne l’exonère pas de sa responsabilité
pénale. » 422
· Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, version de 1996,
art. 7 :
« La qualité officielle de l’auteur d’un crime contre la paix et la
sécurité de l’humanité, même s’il a agi en qualité de chef d’Etat ou de
gouvernement, ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale et n’est pas
un motif de diminution de la peine. »
423
3.5.106 On constate qu’à quelques détails de formulation près, le texte n’a quasiment
jamais varié depuis 1950.
3.5.107 La RDC, ainsi qu’on l’a dit, ne conteste pas la règle selon laquelle la qualité
officielle de l’accusé au moment des faits n’est pas un motif d’exonération de responsabilité.
Elle tend cependant à n’y voir que le rejet de l’exception de fond que pourrait soulever un
accusé lors de son procès 424 ; elle persiste, en revanche, à penser que cette exception ne porte
nullement atteinte à l’exception de procédure que constitue l’immunité pénale des agents
étatiques étrangers425. Les travaux de la CDI ne laissent pourtant planer aucun doute sur le fait
que l’exception couvre à la fois le fond et la procédure, à savoir, que l’exclusion de la qualité
officielle comme cause d’excuse ou de justification concerne aussi l’immunité pénale de
l’agent.
3.5.108 Ainsi, dès 1949, lors de la discussion sur les principes de Nuremberg, G. Scelle
avait proposé un amendement au projet de texte relatif à l’exception tirée de la qualité officielle
de l’accusé. Le projet de texte dont débattait la Commission disait :
“The official position of an individual as Head of State or responsible official
does not free him from responsibility or mitigate punishment.” 426
3.5.109 Le texte amendé proposé par G. Scelle était le suivant :

422 Rapport CDI 1991, doc. ONU A/46/10, p. 264. (Annexe 54)
423 Rapport CDI 1996, doc. ONU A/51/10, p. 56. (Annexe 55)
424 Mémoire RDC, §§ 59-60.
425 Supra §§ 3.5.61 et seq
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
157
“The office of head of state, ruler or civil servant, does not confer any immunity in
penal matters nor mitigate responsibility.” 427
3.5.110 Le texte de G. Scelle avait le mérite de couvrir plus clairement les deux aspects
de l’exception fondée sur la qualité officielle de l’accusé : la question de l’« immunité » stricto
sensu de l’agent et celle de sa responsabilité quant au fond. L’amendement fut pourtant
repoussé au nom du fait que le texte de G. Scelle correspondait à celui sur lequel travaillait la
Commission :
“The Chairman said that that paragraph corresponded to paragraph 3
provisionally adopted by the Commission, according to which the official
position of a Head of State or responsible civil servant did not confer any
immunity in penal matters nor mitigate responsibility.” 428
3.5.111 Autrement dit, la Commission a d’emblée considéré que la formulation de la
règle rejetant toute exception fondée sur la qualité officielle de l’accusé couvrait tant les
questions de responsabilité au fond que tout argument tiré de l’immunité de l’agent étatique.
3.5.112 La position de la Commission n’a pas varié. Elle écrivait en 1996, notamment à
propos du fait que des hauts fonctionnaires ayant commis des crimes contre la paix et la
sécurité de l’humanité ne pouvaient échapper à leur responsabilité en raison de leur qualité
officielle :
« Il serait paradoxal que les individus qui sont, à certains égards, les plus
responsables des crimes visés par le Code puissent invoquer la souveraineté de
l’Etat et se retrancher derrière l’immunité que leur confèrent leurs fonctions,
d’autant plus qu’il s’agit de crimes odieux qui bouleversent la conscience de
l’humanité, violent certaines des règles les plus fondamentales du droit
international et menacent la paix et la sécurité internationales. »
429. (souligné
par la Belgique)
3.5.113 Plus loin, la CDI déclarait :

426 YILC 1949, p. 183, n. 9.
427 Ibid., p. 206.
428 Ibid., p. 212.
429 Rapport CDI 1996, doc. ONU A/51/10, p. 57. (Annexe 55)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
158
« L’art. 7 [du projet de code] a pour objet d’empêcher qu’un individu qui a
commis un crime contre la paix et la sécurité de l’humanité puisse invoquer sa
qualité officielle comme circonstance l’exonérant de toute responsabilité ou
lui conférant une quelconque immunité, même lorsqu’il prétend que les faits
constitutifs du crime entraient dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.
[…] Le Tribunal de Nuremberg a en outre reconnu dans son jugement que
l’auteur d’un crime de droit international ne peut invoquer sa qualité officielle
pour se soustraire à la procédure normale ou se mettre à l’abri du châtiment.
L’absence de toute immunité procédurale permettant de se soustraire aux
poursuites ou au châtiment dans le cadre d’une procédure judiciaire
appropriée constitue un corollaire essentiel de l’absence de toute immunité
substantielle ou de tout fait justificatif […]. »
430 (souligné par la Belgique)
3.5.114 Et la CDI conclut par une phrase qui répond très exactement à la distinction
artificielle que la RDC prétend trouver en droit international entre l’exception tirée de la
qualité officielle de l’auteur du crime comme fait justificatif de ce crime de droit international
— immunité ratione materiae dont la RDC admet le rejet — et l’exception de procédure
fondée sur l’immunité ratione personae de son auteur :
« Il serait paradoxal que l’intéressé ne puisse pas invoquer sa qualité
officielle pour s’exonérer de sa responsabilité pénale mais puisse l’invoquer
pour se soustraire aux conséquences de cette responsabilité. »
431
3.5.115 La RDC s’est abstenue de discuter des travaux de la CDI dans ce domaine bien
que la Belgique s’y fût référée lors de la phase de la procédure sur les mesures conservatoires
432
.
3.5.116 L’Institut de droit international vient, à son tour, de se prononcer sur la question
de l’immunité des chefs d’Etat. Lors de sa session de Vancouver, elle a adopté le 26 août
2001, par 31 voix pour, zéro non et 6 abstentions une résolution sur « Les immunités de
juridiction et d’exécution du chef d’Etat ou de gouvernement en droit international ». Si l’art. 2
de la résolution consacre le principe de l’immunité de juridiction pénale du chef d’Etat
étranger, quelle que soit la gravité de l’infraction qui lui est reprochée, l’art. 11 réserve non
seulement le cas des obligations qui résultent de la Charte des N. U. et des statuts des

430 Ibid., p. 59.
431 Ibid.
432 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, p. 22.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
159
juridictions pénales internationales, mais aussi celui des règles relatives aux crimes de droit
international. Ces deux dispositions se lisent comme suit :
Art. 2 : « En matière pénale, le chef d’Etat bénéficie de l’immunité de
juridiction devant le tribunal d’un Etat étranger pour toute infraction qu’il
aurait pu commettre quelle qu’en soit la gravité. »
Art. 11 : « (1) Les dispositions de la présente résolution ne font pas obstacle
(a) aux obligations qui découlent de la Charte des Nations Unies ;
(b) à celles qui résultent des statuts des tribunaux pénaux
internationaux ainsi que de celui, pour les Etats qui y sont
parties, de la Cour pénale internationale.
(2) Les dispositions de la présente résolution ne préjugent pas :
(a) des règles déterminant la compétence du tribunal devant lequel
l’immunité est soulevée ;
(b) des règles relatives à la détermination des crimes de droit
international ;
(c) des obligations de coopération qui pèsent en ces matières sur
les Etats.
(3) Rien dans la présente résolution n’implique ni ne laisse entendre qu’un
chef d’Etat jouisse d’une immunité devant un tribunal international à
compétence universelle ou régionale. »
433
3.5.117 L’Institut de droit international n’affirme pas, comme la CDI, que l’immunité du
chef d’Etat étranger est exclue en cas de crimes de droit international humanitaire ;
implicitement, il n’en constate pas moins que l’immunité du chef d’Etat ou de gouvernement
étranger pourrait ne pas jouer en cas de crime de droit international. On observera toutefois
que la résolution concerne essentiellement le chef d’Etat et le chef de gouvernement étranger;
elle ne concerne pas les immunités qui peuvent être reconnues aux « autres membres du
gouvernement en raison de leurs fonctions officielles ». La résolution ne pourrait donc
certainement pas être invoquée au bénéfice de M. Yerodia, ni à l’époque de l’émission du
mandat d’arrêt du 11 avril 2000, ni a fortiori aujourd’hui puisqu’il n’occupe plus aucune
fonction officielle.
(ii) Les autres sources de doctrine

433 Résolution de l’IDI, 26 août 2001, RES 13f. (Annexe 56)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
160
3.5.118 Malgré ce qui précède, la RDC n’hésite pas à affirmer que « la doctrine la plus
autorisée approuve en tous points cette jurisprudence et cette pratique », à savoir, le principe
de l’immunité pénale absolue d’un agent étatique étranger.
3.5.119 Cette affirmation, qui apparaît dans le mémoire de la RDC à la suite de l’analyse
des arrêts rendus par la Chambre des Lords en l’aff. Pinochet et par la Cour de Cassation de
France en l’aff. Khadafi, appelle quatre remarques :
(1) Contrairement à ce qu’affirme la RDC, ces deux affaires ne démontrent nullement qu’un
gouvernant étranger bénéficie de l’immunité pénale en cas de violation grave du droit
international humanitaire : c’est exactement l’inverse.434
(2) La doctrine citée par la RDC ne peut approuver les décisions Pinochet (1998-1999) et
Khadafi (2001) puisqu’elle est antérieure à cette jurisprudence.435
(3) Cette doctrine n’est de toute façon pas significative : exactement, comme on l’a vu
pour la jurisprudence, les études citées par la RDC se bornent simplement à affirmer, de
manière tout à fait générale, le principe de l’immunité pénale des gouvernants étrangers sans
toujours citer, ou évoquer, la question du maintien de cette immunité en cas de crime grave de
droit international humanitaire ;
(4) Quand les sources citées par la RDC se réfèrent aux crimes de droit international
humanitaire, elles vont, au contraire, dans le sens de l’exclusion de l’immunité. Ainsi, la RDC
cite un extrait du Manuel de droit diplomatique du Prof. J. Salmon rappelant l’immunité
pénale de souverains et ministres étrangers, mais elle omet de citer un autre passage où le
même auteur observe « qu’il convient de réserver la question des grands criminels de guerre »
et où il se réfère à un certain nombre de textes et de précédents cités plus haut. 436 De même,
Sir. A. Watts cité par la RDC affirme que le chef d’Etat jouit d’une immunité pénale absolue,
mais il s’empresse de réserver le cas de certains crimes internationaux :

434 Supra §§ 3.5.81 et seq et 3.5.87 et seq
435 1958 (le Völkerrecht de G. Dahm), 1964 (Le droit diplomatique de Ph. Cahier), 1984 (l’Universelles
Völkerrecht de Verdross et Simma), 1985 (le Staaatenimmunität [sic] und Gerichtszwang de Damian et le
Satow’s Guide to Diplomatic Practice), 1994 (le cours de Sir A. Watts à l’Académie de droit international
de La Haye et le Manuel de droit diplomatique de J. Salmon)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
161
“However, this immunity, while absolute at least as regards the ordinary
domestic criminal law of other States, has to be qualified in respect of certain
international crimes, such as war crimes.” 437
Même chose pour D. Alland qui, après avoir cité l’aff. Pinochet, conclut :
« En effet, il convient d’ajouter que dans tous les cas, quelle que soit la
fonction exercée, il ne saurait y avoir d’immunité pour les crimes
internationaux. Cela a été clairement affirmé en 1946 par le Tribunal militaire
international de Nuremberg (Jug. Nur., p. 235). Le statut des deux tribunaux
pénaux internationaux actuels et celui de la future cour pénale internationale
ont confirmé le rejet de toute immunité pour les quatre grands crimes contre la
paix et la sécurité internationale : le crime d’agression, les crimes de guerre, le
crime contre l’humanité, le génocide. » 438
Un autre auteur cité par la RDC, Ruth Wedgwood, discute certes de l’aff. Pinochet, mais elle
n’aborde pas de front la question de l’immunité d’un chef d’Etat accusé de crimes graves de
droit international humanitaire au regard des instruments et précédents évoqués plus haut.439
La référence n’est donc pas significative.
3.5.120 Beaucoup d’autres auteurs excluent le principe de l’immunité de l’agent
étatique étranger présumé responsable de graves violations du droit international humanitaire.
Non seulement, les deux guerres mondiales, mais aussi l’actualité récente ont été l’occasion
d’affirmations de ce genre.
3.5.121 Ainsi, en 1917, A. Mérignhac écrit à propos des crimes commis pendant la
guerre :
« Quant aux auteurs des faits dits collectifs, on les retrouvera, aussi bien que
ceux des faits individuels, à la condition de vouloir nettement atteindre les
coupables, si haut placés soient-ils : chefs d’Etat, chanceliers, ministres,
généraux, commandants d’armée ou de troupe, qui ont donné les ordres de
commettre les faits collectifs incriminés. […] Il suffira donc de rechercher
ceux qui ont donné les ordres et les ont exécutés, sans souci d’une prétendue

436 SALMON, J., Manuel de droit diplomatique, Bruxelles, Bruylant, 1994, pp. 603-604. (Annexe 57)
437 WATTS, Sir A., « The Legal Position in Inteernational Law of Heads of States, Heads of Governments
and Foreign Ministers », RCADI, 1994-III, v. 247, p. 54.
438 Droit international public, s/ la dir. de D. Alland, Paris, PUF, 2000, p. 159. (Annexe 58)
439 Supra § 3.5.15 et seq.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
162
inviolabilité diplomatique que personne ne comprendrait. »
440 (souligné par
la Belgique)
3.5.122 Tout en ayant des doutes sur la pertinence d’une mise en accusation de
Guillaume II pour une infraction qualifiée d’« offense contre la morale internationale » (Traité
de Versailles, art. 227), J. Garner observe toutefois que
“it may be argued with reason that the exemption accorded to reigning
sovereigns was never intended to shield and protect from punishment heads of
States responsible for such crimes and offences against the the rights of
nations as those with which the German Emperor was charged.” 441
3.5.123 Après la 2e
guerre mondiale, H. Donnedieu de Vabres, commentant l’aff. Otto
Abetz, constate que l’ordre juridique international issu de la SdN ainsi que des accords de
Yalta, Moscou et Londres
« concerne un domaine où l’universalité de la répression, l’interdépendance
des souverainetés, qui en résulte, ont dépouillé l’impunité des actes d’Etat et
l’immunité des agents diplomatiques de leur raison d’être. »
442
3.5.124 Il est également intéressant de relire ce qu’écrivait, à la même époque, un auteur
que la RDC cite en sa faveur et qu’elle qualifie d’ « éminent internationaliste »
443 ; il s’agit de
H. Rolin, alors sénateur au parlement belge. Dans son rapport des travaux de la Commission
des Affaires étrangères du Sénat de Belgique sur l’approbation de la Convention de 1948
réprimant le crime de génocide, il écrit (en 1951) à propos de la poursuite du chef d’Etat
étranger et à propos de l’immunité qui lui est reconnue par le droit des gens :
« Mais il est admis qu’elle [l’immunité] ne peut être invoquée par les chefs
d’Etat violant le droit des gens. »
444
3.5.125 Dans la 8e
édition de l’Oppenheim’s International Law, H. Lauterpacht observe
que les individus sont titulaires d’obligations internationales et que, par conséquent, ils doivent

440 MERIGNHAC, A., « De la sanction des infractions au droit des gens commises au cours de la guerre
européenne par les Empires du centre », RGDIP, 1917, p. 49. ( Annexe 59)
441 GARNER, J. W., International Law and the World War, London, 1920, p. 495. (Annexe 60)
442 Obs. s/ Cass. fr., 28 juillet 1950, RCDIP, 1951, p. 484. (Annexe 61)
443 Mémoire RDC, § 78.
444 Documents parlementaires, Sénat, 1950-1951, 24 mai 1951, n° 286, p. 2.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
163
répondre des crimes de droit international qu’ils commettent. Il est exclu dans ce cas qu’ils
puissent bénéficier d’une quelconque immunité pour des crimes de guerre ou des crimes contre
l’humanité :
“In particular, the entire law of war is based on the assumption that its
commands are binding not only upon States but also upon their nationals […]
[ref. omitted]. To that extent no innovation was implied in the Charter
annexed to the Agreement of August 8, 1945 […] as it decreed individual
responsibility for war crimes proper and for what is described as crimes
against humanity.” 445
“The State and those acting on its behalf, bear criminal responsibility for such
violations of international law as by reason of their gravity, their ruthlessness,
and their contempt for human life place them within the category of criminal
acts as generally understood in the law of civilised countries. Thus if the
Government of a State were to order the wholesale massacre of aliens resident
within its territory the responsibility of the State and of the individuals
responsible for the ordering and the execution of the outrage would be of a
criminal character. […] Yet it is impossible to admit that individuals by
grouping themselves into States and thus increasing immeasurably their
potentialities for evil, can confer upon themselves a degree of immunity from
criminal liability and its consequences which they do not enjoy when acting in
isolation.” 446
3.5.126 En 1980, Ch. Rousseau, se fondant sur l’art . 227 du Traité de Versailles et sur
le jugement du TMI de Nuremberg, écrit :
« Le principe [de l’immunité absolue du chef de l’Etat] doit être considéré aujourd’hui
comme abandonné dans le cas où une violation du droit international est imputable à un
chef de l’Etat. » 447
3.5.127 En 1982, E. Van Bogaert affirme de manière similaire :
“De immuniteit [van een staatshoofd][…] kan ook niet meer worden ingeroepen bij een
vervolging wegens schuld aan oorlogsmisdaden. Dit spruit voort uit artikel 7 van het
‘Nürnberg Charter’ van 8 augustus 1945 en artikel 6 van het ‘Tokyo Charter’” 448

445 LAUTERPACHT, H., International Law A Treatise by L. Oppenheim, London, 1955, v. I, p. 341, § 153a.
446 Ibid., pp. 355-357, § 156b ; ces extraits sont également cités par le tribunal de district de Jérusalem dans
l’aff. Eichmann, 12 déc. 1961, ILR, v. 36, p. 47. Les deux premières phrases du deuxième paragraph ont
été reproduits dans la 9e édition de JENNINGS et WATTS, Oppenheim’s International Law, 1992, au §
157, et l'esprit du texte entier peut se trouver au §148.
447 ROUSSEAU, C., Droit international public, Paris, Sirey, 1980, IV, p. 125. (Annexe 63)
448 Traduction : L’immunité [d’un chef d’Etat] […] ne peut pas davantage être invoquée dans le cas de
poursuites pour crimes de guerre. Ceci ressort de l’art. 7 du Statut de Nuremberg du 8 août 1945 et de
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
164
3.5.128 Plus récemment, dans l’aff. Al-Adsani, le requérant avait vainement introduit
une action civile contre le Koweï t devant les tribunaux britanniques pour des faits de torture
qui lui avaient été infligés par des agents du Koweï t. En l’occurrence, la Cour d’appel
britannique avait affirmé :
"[…] no State or sovereign immunity should be accorded even under the State
Immunity Act in respect of acts which it is alleged are properly to be
described as torture in contravention of public international law." 449
.
3.5.129 L’immunité du Koweï t avait toutefois été admise car les faits en cause avaient
été commis en dehors du R.-U. et que le State Immunity Act ne prévoyait d’exception que pour
certaines catégories de faits commis au R.-U. Le Dr. M. Byers critique l’acceptation de
l’immunité dans cette affaire en raison du caractère de jus cogens de l’interdiction de la
torture :
“It has been established that customary international law is part of English law
and that English courts are not bound by the doctrine of stare decisis when
applying rules of customary international law. It is also widely accepted that
jus cogens rules are rules of customary international law which have effects
additional to those identified in the 1969 Vienna Convention on the Law of
Treaties. English courts, when dealing with questions in respect of which the
legislator has not spoken, should therefore take into account the development
of the concept of jus cogens and the fact that certain rules of customary
international law now possess a jus cogens character. In cases involving
torture outside the United Kingdom, the jus cogens character of the
prohibition against torture may have rendered void any rule of customary
international law which might otherwise have required English courts, when
applying the common law of State immunity, to grant immunity to foreign
States” 450
3.5.130 L’auteur se réfère à une décision prononcée par la Cour d’appel de NouvelleZélande
en 1996, et notamment au passage suivant du Président de cette cour :

l’art. 6 du Statut de Tokyo. VAN BOGAERT, E., Volkenrecht, Antwerpen, Kluwer, 1982, pp. 348-349.
(Annexe 64)
449 England, Crt of App., 21 jan., 1994, Al-Adsani, ILR, v. 100, p. 471. (Annexe 65)
450 BYERS, M., « Decisions of British Courts during 1996 Involving Questions of Public or Private
International Law », BYIL, 1996, pp. 539-540. (Annexe 66)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
165
“One can speculate that the law may gradually but steadily developed, perhaps
first excepting from sovereign immunity atrocities or the use of weapons of
mass destruction, perhaps ultimately going on to except acts of war not
authorised by United Nations.” 451
3.5.131 Mme V. Morris, membre du Bureau des affaires juridiques des N. U. depuis
1989, et le Professeur M. Scharf, conseiller juridique au Département d’Etat américain de 1989
à 1993 ont été, étroitement et officiellement, associés à la préparation des statuts des TPI et de
la CPI 452 Ils excluent l’immunité du gouvernant étranger pour des crimes graves de droit
international humanitaire, et ce, sans tenir compte, du point de savoir si les poursuites ont lieu
devant une juridiction pénale internationale ou nationale :
« The notion of conferring immunity for crimes under international law would
be inconsistent with the very nature of these crimes for four reasons. First,
these crimes violate peremptory norms of general international law (jus
cogens) which have been ‘accepted and recognized by the international
community as a whole as norm from which no derogation is permitted’
(Vienna Convention on the Law of Treaties, 23 May 1969, art. 53 […]).
These norms are intended to protect the fundamental interests of the
international community as a whole. Therefore the standard of conduct is
absolute. […]
Second, the notion of immunity is inconsistent with the direct applicability of
the principle of individual criminal responsibility and punishment for crimes
under international [sic] by virtue of international law notwithstanding the
absence of any corresponding national law or the presence of any conflicting
national law. […] The notion of conferring immunity for war crimes or crimes
against humanity would be inconsistent with the principle of individual
criminal responsibility recognized in the Nuremberg Charter and Judgment
which represent the very core of the Nuremberg precedent. The fundamental
purpose of these principles is to remove any possibility of immunity for
persons responsible for such crimes, from the most junior officer acting under
the orders of a superior to the most senior government officials acting in their
official capacity, including the head of State.
Third, no single State or group of States is competent to negate a peremptory
norm of general international law (jus cogens) which ‘can be modified only by
a subsequent norm of general international law having the same character’.
[…] The erga omnes character of the prohibition of crimes under international
law is reflected in the jurisdictional competence of all States to prosecute and

451 Ibid.
452 Voy. la préface de l’ancien Procureur des TPI, R. Goldstone, à l’ouvrage des deux auteurs précités : The
International Criminal Tribunal for Rwanda, Irvington-on-Hudson, N. Y., Transnational Publ., 1998, pp.
xi-xii. (Annexe 39)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
166
punish any individual who violates such a norm without consideration of the
usual requirements for the exercise of the national criminal jurisdiction of a
State […]
Fourth and finally, the conferral of immunity would be inconsistent with the
absolute character of the procedural obligation of States to prosecute and
punish persons responsible for war crimes or genocide recognized in the
Geneva Conventions and the Genocide Convention, respectively. […] The
fact that these obligations have often been honored in the breach does not
erode the legal force of the norms. […]
No State has the authority to unilaterally preclude by a grant of immunity
another State from exercising its criminal jurisdiction with respect to a crime
under its national law or a crime under international law. »
453 (souligné par la
Belgique)
3.5.132 A la suite de l’aff. Pinochet, plusieurs auteurs ont clairement affirmé
l’incompatibilité de l’immunité absolue des gouvernants étrangers impliqués dans des violations
des droits élémentaires de la personne avec la règle du respect absolu de ces droits. Ainsi, pour
le Prof. A. Bianchi,
“Ultimately, any argument based on state sovereignty is inherently flawed.
First, external scrutiny of state action as regards human rights is permitted
under contemporary standards of international law and sovereignty can no
longer be invoked to justify human rights abuses. Secondly, and perhaps most
importantly, human rights atrocities cannot be qualified as sovereign acts :
international law cannot regard as sovereign those acts which are not merely a
violation of it, but constitute an attack against its very foundation and
predominant values (see also Higgins […] : ‘Acts in the exercise of sovereign
authority (acta jure imperii) are those which can only be performed by states,
but not by private persons. Property deprivation might fall in this category;
torture would not.’ [‘The Role of Domestic Courts in the Enforcement of
international Human Rights : The United Kingdom’, in B. Conforti and F.
Francioni (eds), Enforcing International Human Rights Before Domestic
Courts, 1997, p. 53]). Finally, the characterization of the prohibition of torture
and other egregious violations of human rights as jus cogens norms should
have the consequence of trumping a plea of state immunity by states and
states officials in civil proceedings as well. As a matter of international law,
there is no doubt that jus cogens norms, because of their higher status, must
prevail over other international rules, including jurisdictional immunities.” 454

453 Ibid., pp. 285-290, (Annexe 39) ; les deux auteurs ont, en fait, repris et développé un point qu’ils avaient
déjà exposés dans An Insider’s Guide to The International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia,
Irvington-on-Hudson, N . Y., Transnational Publ., 1995, pp. 112-115.
454 BIANCHI, A., « Immunity versus Human Rights : the Pinochet Case », EJIL, 1999, p. 265. (Annexe 67)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
167
Pour J. M. Sears,
“Most convincingly, the Law Lords indicated that it would be wholly
inconsistent with international law (and common sense) to allow heads of
state to go unpunished for state acts of torture when junior officials would be
liable […]
[G]iven the inconsistency which necessarily results from the exemption of
heads of state from responsibility for torture, which by definition requires
action in an official capacity, this author believes the view of the majority of
Lords to be correct. In this vein, the overwhelming adoption of the Rome
Statute is a very positive sign that, Cold War politics now aside, states can get
down to serious business in enforcing the Nuremberg principles. The efforts
one ad hoc tribunal are contributing in large part to this development.” 455
Pour S. Villalpando,
« […] la condamnation suprême des crimes contre l’humanité et le principe
d’universalité pour sa répression paraissent incompatibles avec la défense
fondée sur l’immunité. » 456
Pour C. M. Chinkin , qui limite toutefois son analyse au cas de l’ancien chef d’Etat,
l’arrêt Pinochet de mars 1999
“represents the globalization of human rights law through the affirmation that
the consequences of, and jurisdiction over, gross violations are not limited to
the state in which they (mostly) occur, or of that of nationality of the majority
of the victims. It validates the assertion that torture is always unacceptable
and unjustifiable on any grounds and provides a memorial to the thousands
who do not survive. Further, obligations incurred by human rights treaties,
such as the Torture Convention, can be enforced extraterritorially, a blow to
those regimes (such as that of Pinochet himself) that cynically become bound
by these treaties with contemptuous disregard for their requirements.” 457
3.5.133 Le Professeur E. Decaux écrit que l’incrimination de la torture dans la
Convention des N. U. de 1984 (art. 2, 4-7) et l’obligation de poursuivre l’auteur d’une
disparition forcée, obligation énoncée dans la Déclaration de l’Assemblée générale des N. U.

455 SEARS, J. M., « Confronting the ‘Culture of Impunity’ : Immunity of Heads of State from Nuremberg to
ex parte Pinochet », GYIL, 1999, p. 144. (Annexe 68)
456 VILLALPANDO, S., loc. cit., p. 424. (Annexe 69)
457 CHINKIN, C. M., « International Decisions », AJIL, 1999, p. 711.(Annexe 70)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
168
du 18 décembre 1992,458 impliquent l’exclusion de toute forme d’immunité pour l’auteur de
tels actes :
« Mais l’esprit de ces textes est clair, ils visent à écarter toute forme
d’impunité et donc d’immunité pour le chef de l’Etat. »
459
3.5.134 Il ajoute, en concluant son analyse sur l’aff. Pinochet :
« C’est cette nature du crime qui empêche toute immunité, et non le fait que le
chef de l’Etat aurait quitté le pouvoir ou que son crime serait privatisé, voire
banalisé. »
460
3.5.135 P. Burns et S. McBurney, après avoir analysé les dispositions pertinentes des
statuts juridiques des juridictions pénales internationales, concluent :
« State courts which function as the domestic agents of these regimes, notably
within the pending ICC regime, can also exercise such a jurisdiction without
the constraint of pleas of immunity. »
461
3.5.136 Le Professeur A. Cassese, ancien Président du TPIY, écrit que les chefs d’Etat
bénéficient de l’immunité de juridiction dans les Etats étrangers pour les actes accomplis en
leur capacité officielle, mais que “this privilege does not apply when they are accused of
international crimes, and they may be brought to justice for such crimes” 462
. Constatant que la
règle se retrouve dans les statuts des TPI et de la CPI, il conclut :
“As these treaty rules or provisions of ‘legislative acts’ adopted by the SC
have been borne out by state practice, it is safe to contend that they have
turned into customary law.” 463
3.5.137 Se fondant sur les diverses sources qui excluent l’immunité des chefs d’Etat
étrangers pour des crimes graves de droit international humanitaire, 464ainsi que sur les

458 A/Rés. 47/133, 18 déc 1992, art. 14
459 DECAUX, E., « Les gouvernants » in Droit international pénal, s/ la dir. de H. Ascensio, E. Decaux et A.
Pellet, Paris, Pédone, 2000, p. 192, § 28.
460 Ibid., p. 199, § 48.
461 BURNS, P. and McBURNEY, S., « Impunity and the United Nations Convention against Torture : A
Shadow Play without an Ending », in Torture as Tort, ed. by C. Scott, Oxford – Portland, Hart Publ.,
2001, p. 280. (Annexe 71)
462 CASSESE, A., International Law, Oxford Univ. Press, 2001, p. 260. (Annexe 47)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
169
« Principes » de prévention des exécutions extra-judiciaires adoptés par le Conseil économique
et social de l’ONU en 1989,465 H. Duffy écrit :
“These Principles may provide further indication of opinio juris concerning
the non-applicability of immunity to the gravest international crimes. In
summary, were constitutional immunity provisions interpreted to guarantee
absolute immunity from domestic prosecutions and surrender to the ICC, they
would contradict already established international obligations. […]
To the extent that immunities were intended to enable the beneficiary to carry
out his or her functions unhindered, they should not protect those who
perpetrate criminal acts. Crimes do not constitute the official functions of any
parliamentarian, government official or head of state and therefore fall outside
of the scope of immunity.” 466
3.5.138 Dans une analyse approfondie de l’immunité des chefs d’Etat étrangers en cas
de crimes de droit international, le Professeur S. Zappalà développe une théorie très proche de
la thèse belge. Il distingue l’immunité « fonctionnelle » des chefs d’Etat de leur immunité
« personnelle ». Il est clair que la première ne joue pas en cas de crime de droit international eu
égard à l’existence d’une règle coutumière qui l’exclut, règle coutumière qui se dégage
notamment des statuts des juridictions pénales internationales. Il affirme, e.a., ceci :
“[…] there is a compelling argument supporting the conclusion that
international crimes are an exception to functional immunity from jurisdiction
under customary international law. The inclusion of this principle in the
statutes of the UN ad hoc Tribunals (ICTY and ICTR; and also in the Statute
of the Special Court for Sierra Leone) cannot be considered simply as a treaty
stipulation. Were one to accept this is only a treaty-based principle, one would
have to perforce conclude that the Tribunals are enjoined or allowed to apply
retroactive law. In other words, if — before the adoption of the Statutes —
the irrelevance of official capacity had not already been a rule of customary
law, Heads of State and other senior state officials accused of crimes under
the Statutes might not be considered responsible for acts committed at any
time prior to the adoption of the Statutes themselves. Otherwise, the nullum
crimen sine lege principle would be breached.” 467

463 Ibid.
464 Supra §§ 3.5.15 et seq.
465 Supra § 3.5.51.
466 DUFFY, H., “National Constitutional Compatibility and the International Criminal Court”, Duke
Jl.Comp.Int.L., 2001, pp. 30-31. (Annexe 72)
467 ZAPPALA, loc. cit., pp. 602-603 . (Annexe 48)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
170
3.5.139 L’absence d’immunité fonctionnelle, selon l’auteur, n’exclut cependant pas
l’existence d’une immunité personnelle, même pour des crimes de droit international.
Toutefois, cela n’empêcherait pas nécessairement le déclenchement de poursuites contre
l’intéressé, voire des mesures d’exécution pourvu que l’intéressé soit au courant du risque qu’il
court en venant sur le territoire de l’Etat étranger :
“[…] personal (diplomatic) immunity should certainly be recognized for
official visits, including the case of international crimes [ref. omitted]. […] for
private visits, a more elaborate solution is needed. […] foreign Heads of State
— because they generally represent their nations in external relations —
should not be arrested even if they are on a private visit unless it can be
proved that the competent authorities of the state exercising jurisdiction (or a
competent international body [ref. omitted]) do not (or no longer) consider
that Head of State an appropriate counterpart in international relations. […]
In other words, a Head of State should not be taken by surprise, and a sort of
warning that he or she may be not welcome in a foreign country should be
required.” 468
3.5.140 Cela semble avoir été le cas lorsque M. Yerodia a été averti par certains Etats,
alors qu’il leur avait demandé un visa, qu’il risquait d’y être arrêté s’il se rendait sur le
territoire de ces Etats 469. C’était une manière de dire à M. Yérodia que sa qualité de ministre
ne serait pas reconnue. L’auteur conclut :
“At this stage of development of international criminal law one must conclude
that functional immunity cannot be granted to state officials that have
committed crimes under customary international law. This exception to the
principle of functional immunity must equally apply to Heads of State. On the
other hand, the personal immunity of Heads of State from jurisdiction always
covers official visits abroad. Additionally, private visits are also protected,
although to a more limited extent. As to the latter, one might go so far as to
suggest that restrictions to personal immunity may be imposed by a state, if it
were proven that the state whose jurisdiction is triggered has refused to
accept the Head of State concerned as a counterpart in foreign relations.” 470
3.5.141 Fondamentalement, même si cette étude distingue entre immunité fonctionnelle
et personnelle du gouvernant étranger — une distinction qui ne ressort pas clairement du droit
international positif —, elle conduit à des conclusions proches de celles défendues par la

468 Ibid., p. 606.
469 Mémoire RDC, § 52.
470 ZAPPALA, loc. cit., p. 611
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
171
Belgique : reconnaissance de l’immunité du gouvernant étranger pourtant responsable de
crimes de droit international humanitaire en cas d’invitation de ce dernier par l’Etat où des
poursuites sont entreprises (immunité dite « personnelle »), pas d’immunité en cas de visite
privée moyennant connaissance par l’intéressé de l’existence de poursuites à son encontre.
3.5.142 Dans un domaine proche — celui de l’act of State doctrine —, l’American Law
Institute affirme dans le Third Restatement of the Foreign Relations Law of the United States :
« A claim arising out of an alleged violation of fundamental human rights —
for instance, a claim on behalf of a victim of torture or genocide — would (if
otherwise sustainable) probably not be defeated by the act of state doctrine
since the accepted international law of human rights is well established and
contemplates external scrutiny of such acts. » 471
3.5.143 La doctrine belge s’est partagée sur ces questions, notamment à l’occasion de
l’ordonnance rendue le 6 novembre 1998 par le juge d’instruction D. Vandermeersch en l’aff.
Pinochet 472. Si deux auteurs, J. Verhoeven473 et P. d’Argent474, critiquent cette ordonnance et
se déclarent favorables au maintien de l’immunité de juridiction d’un chef d’Etat étranger,
même en cas de crimes graves de droit international humanitaire, près d’une dizaine d’autres
approuvent entièrement l’ordonnance.
3.5.144 Les critiques négatives de l’ordonnance se fondent essentiellement sur le fait
que l’immunité des chefs d’Etat est une règle coutumière, qu’il n’y a pas de pratique en sens
contraire 475, que les statuts des juridictions pénales internationales ne concernent que ces
dernières et ne sont pas transposables aux tribunaux internes 476
.

471 The AMERICAN LAW INSTITUTE, Restatement of the Law (Third) : the Foreign Relations Law of the
United States, St. Paul, American Law Institute Publ., 1987, § 443, comment « c ». (Annexe 73); pour une
application de la règle, U.S. Dist. Crt., S.D.N.Y., 12 Nov. 1984, F. Supp., vol. 599, p. 552. (Annexe 74) ;
voy. BÜHLER, M., « The Emperor’s New Clothes : Defabricating the Myth of ‘Act of State’ in AngloCanadian
Law », in Torture as Tort, op. cit., p. 363. (Annexe 75)
472 Civ. Bruxelles, ord. du 6 nov. 1998, Pinochet, J. T., 1999, pp. 308-311, obs. J. VERHOEVEN ; RDPC,
1999, pp. 278-290, note Labrin, J.B. et Bosly, H. D.; Supra § 3.5.86.
473 Ibid., VERHOEVEN, J. (obs. s/ Civ. Bruxelles, ord. du 6 nov. 1998, Pinochet, J. T., 1999), p. 312 ;
Mémoire RDC, Annexe 15.
474 D’ARGENT, P., « La loi du 10 février 1999 relative à la répression des violations graves du droit
international humanitaire », J.T., 1999, p. 552, Mémoire RDC, Annexe 14.
475 Op. cit., VERHOEVEN, J., p. 312 ; Mémoire RDC, Annexe 15.
476 Op.cit., p. 552 ; Mémoire RDC, Annexe 14.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
172
3.5.145 En sens inverse, L. Weerts et A. Weyembergh, se référant aux sources
classiques sur l’exclusion de l’immunité477 estiment que le refus de l’immunité à Pinochet était
juridiquement fondé :
“International customary law indisputably establishes this exception to the
principle of sovereign immunity for war crimes, crimes against peace or
against humanity.” 478
3.5.146 A. Weyembergh, a développé la conclusion qui précède et montré que l’absence
de pratique ne remettait pas en cause la règle coutumière excluant l’immunité du chef d’Etat
accusé de crimes de droit international humanitaire : l’élément matériel de la coutume ne se
limitait pas à l’absence de pratique ; il résidait également dans les affirmations répétées de la
règle :
« Il est erroné d’affirmer que l’exception à l’immunité des chefs d’Etat n’est
pas coutumière parce que, n’ayant jamais débouché sur une condamnation
pénale d’un chef d’Etat, l’élément matériel fait défaut. En effet, l’élément
matériel ne consiste pas uniquement dans la condamnation pénale d’un chef
d’Etat. La règle est de plus en plus souvent rappelée par les Etats [réf. omise].
De simples mises en accusation, comme celle de Guillaume II par le Traité de
Versailles ou des demandes d’extradition comme celles adressées par plusieurs
juges de pays différents à l’égard de Pinochet sont aussi des éléments matériels
à prendre en compte, de même que les décisions précitées rendues par
certaines juridictions internationales, l’arrêt de la Chambre des Lords du 25
novembre 1998 et les statuts des Tribunaux ad hoc et de la Cour pénale
internationale où l’exception à l’immunité des chefs d’Etat est répétée. »
479
3.5.147 J. B. Labrin et H.-D. Bosly, sans analyser le cas particulier de l’immunité,
approuvent néanmoins l’ordonnance dans son ensemble :
« L’ordonnance publiée ci-dessus, dont la motivation constitue un modèle de
précision et de pertinence s’inscrit dans cette évolution positive du droit
international. Elle mérite d’être approuvée sans réserve. »
480

477 Supra §§ 3.5.15 et seq.
478 WEERTS, L. et WEYEMBERGH, A, YIHL, 1999, p. 337.
479 WEYEMBERGH, A., « Sur l’ordonnance du juge d’instruction Vandermeersch rendue dans l’affaire
Pinochet le 6 novembre 1998 », RBDI, 1999, pp. 190-191. (Annexe 77)
480 Obs. s/ Civ. Bruxelles, ord. du 6 nov. 1998, Pinochet, RDPC, 1999, p. 290. (Annexe 76)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
173
3.5.148 Pour F. Naert, à défaut de traité excluant expressément l’immunité d’un chef
d’Etat, les Etats ont désormais le choix de la lui accorder ou de la lui refuser en cas de crimes
contre l’humanité :
“Internationale instrumenten inzake misdaden tegen de menselijkheid sluiten
meestal immuniteit van staatshoofden uit. Op nationaal vlak kan men m. i.
stellen dat, wanneer er geen verdrag van toepassing is, staten nu de keuze
hebben.” 481
3.5.149 Dans une longue étude collective, J. Goffin, C. Denis, B. Chapaux, J. Magasich
et A. Goldman constatent que les sources classiques d’exclusion de l’immunité du chef d’Etat
en cas de crime grave de droit international humanitaire justifient le raisonnement qui sous-tend
l’ordonnance. Ils écrivent notamment :
« L’ensemble de ces précédents [statuts des juridictions pénales
internationales, textes CDI, etc] ainsi que leur caractère obligatoire établissent
à suffisance l’existence d’une coutume. Contrairement à ce que d’aucuns ont
soutenu, le fait qu’ils se rapportent essentiellement à des juridictions
internationales est sans incidence. La règle coutumière est en effet claire : la
qualité officielle de l’auteur ne l’exonère pas de sa responsabilité pénale qu’il
soit traduit ou non devant une juridiction pénale internationale. Par application
de la règle international law is part of the law of the land, cette règle
coutumière fait partie du droit interne belge sans qu’il soit nécessaire de l’y
recevoir par un procédé formel quelconque. » 482
3.5.150 Ces exemples montrent que quand la doctrine étudie l’immunité pénale des
gouvernants étrangers, non en général, mais dans le cas particulier des crimes de droit
international humanitaire, elle tend, à reconnaître que cette immunité ne protège pas l’auteur de
ces violations. Il y a, certes, des voix discordantes, mais il est frappant de constater à quel point
les tenants d’une immunité absolue n’examinent jamais sérieusement les sources qui excluent
cette immunité en cas de crimes graves de droit international humanitaire.

481 Traduction : « Les instruments internationaux sur les crimes contre l’humanité excluent généralement
l’immunité des chefs d’Etat. Au plan interne, on peut considérer qu’à défaut de traité applicable, les Etats
ont désormais le choix. » NAERT, F., “Zijn (ex-)staatshoofden immuun inzake misdaden tegen de
menselijkheid ? Kanttekeningen bij de zaak Pinochet” (Les ex-chefs d’Etat bénéficient-ils de l’immunité
en ce qui concerne des crimes contre l’humanité ? Remarques sur l’aff. Pinochet), R.W., 1998-1999, p.
1505. (Annexe 78)
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
174
3.5.151 En conclusion, la RDC a beau prétendre que l’exception « au régime des
immunités pénales des chefs d’Etat étrangers et des personnes assimilées » est « en réalité
inexistante »
483, l’ensemble des textes, positions et décisions relevés ci-dessus montrent, au
contraire, que c’est le principe d’une immunité pénale « absolue » de ces personnes qui est
inexistante : lorsque dans les cas — heureusement, assez rares en pratique — où des
gouvernants portent la responsabilité de crimes de droit international humanitaire, pratique,
jurisprudence et doctrine s’accordent à reconnaître que l’immunité qui leur est normalement
reconnue cesse de produire ses effets et s’efface devant les valeurs supérieures de la lutte
contre l’impunité de certains crimes et du respect des règles les plus élémentaires du droit.
II. Les autres arguments de la RDC en faveur d’une immunité absolue des membres de
gouvernements étrangers en exercice
3.5.152 La RDC a développé dans son mémoire un certain nombre d’autres arguments.
Tous n’étant pas pertinents pour le présent litige, il serait lassant et fastidieux pour la Cour que
la Belgique réponde, ligne par ligne, à chacun d’eux ; la Belgique va donc se limiter à examiner,
parmi les uns et les autres, ceux sur lesquels la RDC a mis le plus d’insistance.
3.5.153 Ces arguments, qui ne sont pas toujours exposés avec beaucoup de clarté ou de
logique, peuvent être regroupés autour des idées-force suivantes :
· l’immunité des gouvernants étrangers serait une règle objective qui s’impose à la
Belgique (a) ;
· l’ordre juridique interne belge ferait obstacle à une quelconque reconnaissance de
l’immunité dès lors que le juge d’instruction a décerné mandat d’arrêt (b) ;

482 GOFFIN, J., DENIS, C., CHAPAUX, B., MAGASICH, J. et GOLDMAN, A., « La mise en œuvre du droit
pénal international dans l’ordre juridique belge : perspectives au regard de l’ordonnance du 6 novembre
1998 », Rev. dr. étr., 1999, p. 427. (Annexe 79)
483 Mémoire RDC, § 60.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
175
· reconnaître une immunité au gouvernant étranger pourtant inculpé de crimes de droit
international humanitaire serait contradictoire avec le caractère de jus cogens de la
répression de ces crimes (c) ;
· l’absence d’exécution du mandat d’arrêt par les Etats tiers démontre que l’opinio juris
consacre l’immunité pénale absolue du gouvernant étrange (d).
(a) L’immunité des gouvernants étrangers serait une règle objective qui s’impose à la
Belgique
3.5.154 Lors de la phase sur les mesures conservatoires, la Belgique avait dit, à la suite
de ce que le juge d’instruction avait écrit dans son mandat d’arrêt du 11 avril 2000 484, que ce
mandat tenait compte de l’immunité du gouvernant étranger car il ne pouvait pas être exécuté
au cas où M. Yerodia Ndombasi serait invité officiellement à venir en Belgique par le
Gouvernement belge ou par une organisation internationale dont la Belgique serait membre :
en pareille hypothèse, en effet, la loyauté la plus élémentaire exigeait que le juge s’abstînt de
faire arrêter la personne ainsi invitée 485
.
3.5.155 Cette prise en compte de l’immunité du gouvernant étranger pourtant inculpé
est critiquée par la RDC, entre autres raisons, parce que la Belgique semble subordonner à sa
seule appréciation la reconnaissance de l’immunité pénale d’un gouvernant étranger alors que
cette immunité s’imposerait à tout Etat qui accueille ce gouvernant ; il s’agirait d’une règle de
droit international coutumier qui ne dépendrait nullement du consentement d’un Etat
d’accepter ce gouvernant sur son territoire. La RDC écrit notamment :
« Ensuite, et plus fondamentalement, l’argument [de la Belgique] témoigne de
la mauvaise compréhension qu’ont les autorités belges de ce qu’est
l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des hauts représentants des Etats
étrangers. L’argument donne en effet à penser que ce serait la Belgique qui, en
quelque sorte, ‘distribuerait’, accorderait ces privilèges d’inviolabilité et
d’immunité aux hauts dignitaires étrangers invités. Rien ne saurait être plus
erroné […]. L’existence de ces privilèges ne dépend nullement du
consentement qui serait donné par une autorité étrangère à leur déplacement

484 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, p. 27.
485 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, p. 27, § 21.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
176
dans cet Etat […]. La vérité est que tout Etat invitant un chef d’Etat, un
Premier ministre, un ministre des Affaires étrangères […] est tenu de respecter
l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues qui est la leur en droit
international coutumier. » 486
3.5.156 L’argument de la RDC revient à dire que la Belgique ne peut pas subordonner
l’immunité pénale d’un gouvernant étranger à son appréciation ; cette immunité serait une règle
objective s’imposant à la Belgique. Cette prétention appelle les réponses suivantes.
(1) L’argument de la RDC est fondé sur le présupposé que l’immunité pénale d’un
gouvernant étranger est absolue et ne souffre aucune exception. On vient de voir que ce
n’est pas le cas : le droit international coutumier et conventionnel, tel qu’il découle des
sources précitées487, prévoit une exception à cette immunité dans le cas d’une personne
accusée de crimes de droit international humanitaire.
(2) Si l’immunité du gouvernant étranger ne fait donc pas obstacle à l’arrestation d’un
gouvernant étranger accusé de crimes de droit international humanitaire, il reste que le
juge d’instruction est toujours libre de ne pas faire exécuter un mandat d’arrêt.
conformément au large pouvoir d’appréciation dont il dispose en la matière ; l’art. 16
de la loi du 20 juillet 1990 488 sur la détention préventive est très clair : c’est seulement
« en cas d’absolue nécessité pour la sécurité», et pour des infractions d’une certaine
gravité que « le juge d’instruction peut décerner mandat d’arrêt » (souligné par la
Belgique) : c’est une décision qu’il prend sur la base de tous les éléments de
l’instruction 489; par ailleurs, l’art. 25 de la loi précitée de 1990 autorise le juge
d’instruction « à donner mainlevée du mandat d’arrêt »
490, et « ce pouvoir peut
s’exercer à tout moment de l’instruction sans restriction aucune »
491 ; une invitation
faite officiellement à M. Yerodia Ndombasi de venir en Belgique serait un élément
incitant le magistrat instructeur à suspendre les effets du mandat d’arrêt ; in casu, le
juge d’instruction estime qu’il engagerait la responsabilité de la Belgique s’il arrêtait M.

486 Mémoire RDC, § 54.
487 Voy. §§ 3.5.15 et seq.
488 Annexe supplémentaire 97.
489 Voy. art. 16 § 2 de la loi du 20 juillet 1990. ( Annexe supplémentaire 97)
490 Ibid.
491 BOSLY, H.-D. et VANDERMEERSCH, D., Droit de la procédure pénale, Bruges, La Charte, 1999, p.
532.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
177
Yerodia Ndombasi alors que celui-ci aurait été invité officiellement en Belgique ; de
fait, si cette dernière avait invité M. Yerodia Ndombasi à venir en Belgique pour y
discuter, par exemple, des relations de coopération entre les deux pays, M. Yerodia
Ndombasi aurait, bien sûr, été fondé à penser qu’il n’aurait pas été arrêté en vertu de
principes de loyauté, de bonne foi et de respect de la parole donnée ; en faisant arrêter
M. Yerodia Ndombasi, le juge d’instruction aurait trah l’engagement implicite pris par
la Belgique à l’égard de ce dernier qu’il ne serait pas arrêté ; le juge d’instruction aurait
engagé la responsabilité de l’Etat belge eu égard à l’unité de l’Etat en droit international
492 ainsi que la Belgique l’avait montré lors de la phase sur les mesures conservatoires ;
il existe des précédents ; lors de l’aff. Schnoebelé, ce commissaire de police français
invité en 1887, par son homologue allemand, à venir conférer avec lui et arrêté sitôt la
frontière franco-allemande franchie, Bismarck avait ordonné la libération immédiate de
l’intéressé
« en se basant sur le principe du droit des gens, d’après lequel il faut
toujours considérer comme un véritable sauf-conduit l’invitation qui
entraîne une traversée de la frontière dans le but de régler des
questions administratives entre deux Etats voisins. Il n’est pas croyable
que le fonctionnaire allemand ait donné rendez-vous à M. Schnoebelé
pour rendre possible l’arrestation de celui-ci » 493 ;
la situation est similaire à celle de la personne qui, pendant un conflit armé, vient sous le
couvert du drapeau blanc, parlementer avec son adversaire (Règlement annexe à la 4e
Convention de La Haye du 18 octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre, art.
32) : en acceptant cette négociation, ce dernier reconnaît l’inviolabilité du
parlementaire, même si celui-ci s’est rendu coupable des pires crimes ; cette immunité
est d’autant plus justifiée que sa durée est limitée à la durée de la négociation ; une fois
que celle-ci est terminée et que le parlementaire a regagné ses lignes, l’immunité dont il
jouissait cesse de produire ses effets ; c’est la même chose ici.

492 Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité des Etats, art. 6, Ann.CDI, 1973, II, pp. 197-201 ; dans le
même sens, projet d’articles provisoirement adoptés le Comité de rédaction en 2e
lecture, art. 5, Rapport
CDI, 2000 ; voir aussi CR 2000/33, 21 nov. 2000, p. 27, § 21.
493 Cité par TRAVERS, M., « Arrestations en cas de venue involontaire sur le territoire », RDI privé et dr.
pénal internat., 1917, p. 639.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
178
(3) Il est de toute façon inexact de penser que l’immunité d’un gouvernant étranger est un
droit objectif valable erga omnes : des exemples (dont l’un est cité par la RDC ellemême
494) montrent qu’il n’en est rien. Si l’immunité n’a pas été reconnue à des
personnes comme Y. Arafat ou Noriega, c’est parce que les gouvernement,
respectivement, italien 495 et américain 496, n’avaient jamais reconnu leur qualité de chef
d’Etat.
Un autre exemple également cité par la RDC 497 va dans le même sens : il s’agissait
d’un officier péruvien accusé en 1997 par une fonctionnaire péruvienne de l’avoir
torturée. Condamné pour ce fait, avec trois collègues, à 8 ans de prison par un tribunal
péruvien, il avait été libéré un an plus tard. En mars 2000, il avait été invité par la
Commission interaméricaine des droits de l’homme à participer à une audience, à
Washington, sur des faits de surveillance téléphonique. Il avait alors été arrêté par le
FBI à l’aéroport de Houston en vue de poursuites éventuelles pour faits de torture. Le
Département de la Justice ayant consulté le Département d’Etat, le Sous-Secrétaire
d’Etat Thomas Pickering avait alors décidé que l’officier
“was entitled to immunity from prosecution as a diplomatic
representative of his government present in the United States for an
official appearance before an international organization” 498
(souligné par la Belgique).
Autrement dit, exactement comme la Belgique l’avait observé à propos de l’immunité
qu’elle reconnaîtrait à M. Yerodia Ndombasi s’il était invité officiellement par le
Gouvernement belge ou par une organisation internationale dont la Belgique est
membre, les E.-U. se sont abstenus de poursuivre l’intéressé dès lors qu’il était l’invité
officiel de la Commission interaméricaine des droits de l’homme à Washington.
S’il est donc vain de dire que l’immunité pénale du gouvernant étranger est absolue, il
est également vain de soutenir que dans les hypothèses où elle ne joue pas, il est interdit
à l’Etat du for de lui donner effet.

494 Mémoire RDC, § 40, n. 1.
495 Cass. it., 28 juin 1985, R.G.D.I.P., 1988, pp. 534-537 et IYIL, 1986-1987, pp. 295-298.
496 U.S. Distr. Crt., S. D. Fla., 8 June 1990, ILR, v. 99, pp. 161-162.
497 Mémoire RDC, p. 43, § 68.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
179
(b) L’ordre juridique interne belge ferait obstacle à une quelconque reconnaissance de
l’immunité dès lors que le juge d’instruction a décerné mandat d’arrêt
3.5.157 La RDC entend répondre ainsi à l’affirmation de la Belgique, lors de la phase
sur les mesures conservatoires (à la suite de ce que le juge d’instruction avait écrit dans le
mandat d’arrêt), que M. Yerodia Ndombasi ne serait pas poursuivi s’il était invité
officiellement en Belgique par le Gouvernement belge ou par une organisation internationale
dont la Belgique est membre 499
.
3.5.158 Pour la RDC, l’hypothèse est inimaginable car le principe de la séparation des
pouvoirs s’opposerait à ce que le juge d’instruction belge puisse suspendre les effets du mandat
d’arrêt à la suite de l’invitation adressée par le gouvernement belge à M. Yerodia Ndombasi. La
RDC écrit que « l’argument » belge
« ne laisse pas de surprendre. D’une part, intrinsèquement contradictoire, il
fait fi, ce qui est tout de même étonnant, du principe de la séparation des
pouvoirs, pourtant consacré par la Constitution belge. Il ne faut sans doute
pas s’y attarder davantage, sauf pour souligner que la Belgique avance ainsi
une prétendue échappatoire que son ordre juridique interne ne lui permet pas
de pratiquer. » 500
3.5.159 Deux remarques sur le raisonnement de la RDC :
(1) S’agit-il d’un argument et à quoi répond-il ? La Belgique s’est bornée à dire qu’elle
pouvait reconnaître une immunité pénale à M. Yerodia Ndombasi dans l’hypothèse
limitée d’une invitation officielle à se rendre en Belgique ; cette reconnaissance devrait
satisfaire, au moins partiellement, la RDC puisque celle-ci veut que l’immunité de M.
Yerodia Ndombasi soit reconnue. Le différend entre la RDC et la Belgique se réduit
donc aux cas où la Belgique ne reconnaît pas cette immunité. Là où la Belgique
reconnaît l’immunité de l’intéressé, il n’y a plus de différend et le raisonnement de la
RDC n’a plus d’objet

498 « Contemporary Practice of the United States », AJIL, 2000, pp. 535-536.
499 CIJ, CR 2000/33, 21 nov. 2000, p. 27, § 21.
500 Mémoire RDC, § 54 ; voir aussi § 63.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
180
Ce n’est que dans l’hypothèse où l’on considérerait que le raisonnement de la RDC
conserve un objet pratique — quod non — qu’il importe d’en examiner le contenu.
(2) Ce que la RDC appelle « l’argument » belge n’était qu’une simple précision. La
Belgique tient néanmoins à dissiper tout malentendu sur ce qu’elle a voulu dire : il
n’était pas question d’atteinte à la séparation des pouvoirs ; la Belgique n’a jamais
prétendu que son Gouvernement pourrait interdire au juge d’instruction de faire
exécuter le mandat d’arrêt ou, réciproquement, que le juge d’instruction pourrait
enjoindre au Gouvernement d’accorder une immunité à M. Yerodia Ndombasi. Le juge
d’instruction a simplement dit que, lui, juge d’instruction, n’exécuterait pas le mandat
d’arrêt au cas où M. Yerodia Ndombasi serait officiellement invité à venir en Belgique,
et ce, pour les raisons précitées501
.
Le principe de la séparation des pouvoirs est donc intact, bien plus intact que quand,
par exemple, l’exécutif d’un Etat, en vue d’obtenir l’extradition d’une personne
recherchée par sa justice, s’engage à ce que la peine de mort ne lui soit pas appliquée.
Cette pratique, pourtant admise par de nombreux Etats démocratiques, en ce compris la
Belgique 502, n’a jamais suscité beaucoup de difficultés quant au respect du principe de
la séparation des pouvoirs. L’argument de la RDC demeure donc sans portée.
(c) Reconnaître une immunité au gouvernant étranger pourtant inculpé de crimes de droit
international humanitaire serait contradictoire avec le caractère de jus cogens de la
répression de ces crimes
3.5.160 La RDC estime que la Belgique se contredirait en affirmant, d’un côté, que la
répression des crimes de droit international humanitaire est une règle de jus cogens, d’un autre
côté, qu’elle pourrait reconnaître l’immunité de M. Yerodia Ndombasi en cas d’invitation
officielle de ce dernier à venir en Belgique :

501 Supra § 3.5.157, notamment 2°.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
181
« On comprend mal que la Belgique puisse unilatéralement accorder ce que le
jus cogens, selon elle, prohiberait. » 503
3.5.161 A nouveau, deux remarques :
(1) Comme dans le cas précédent, on peut douter de l’utilité pratique du raisonnement de
la RDC : si celle-ci estime que la Belgique ne peut pas mettre en cause l’immunité
pénale de M. Yerodia Ndombasi, et si la Belgique admet cette immunité dans le cas
particulier d’une invitation officielle, il n’y a plus de différend à trancher, au moins dans
ce cas, et le reproche adressé par la RDC à la Belgique devient purement académique.
Par identité de motifs avec le cas précédent, ce n’est donc que dans l’hypothèse où le
raisonnement de la RDC conserverait un objet pratique — quod non — qu’il importe
d’en examiner le contenu (ci-dessous).
(2) La Belgique n’a jamais affirmé que la répression des crimes de droit international
humanitaire était une obligation de jus cogens dès lors que ceux-ci avaient été commis
en dehors de son territoire et par une personne qui ne se trouve pas sur ledit territoire ;
en revanche, elle considère que si ces crimes ont été commis sur son territoire ou que si
leur auteur se retrouve sur le territoire belge, la Belgique est, comme tout autre Etat
confronté à cette situation, obligée de réprimer de tels crimes.
Cette obligation de poursuite peut s’apparenter à une obligation de jus cogens eu égard
à la gravité des crimes, à l’universalité des règles qui prévoient leur répression, à la
vigueur avec laquelle l’obligation est affirmée et à leur lien avec l’obligation de garantir
les règles les plus élémentaires des droits de l’homme504
Sur ce point, toutefois, La Belgique est d’accord avec la RDC pour dire qu’immunité
ne veut pas dire impunité 505. Si les Etats doivent réprimer les crimes de droit

502 Voy. loi belge sur les extraditions du 15 mars 1874, amendée le 31 juillet 1985, art. 1 § 2, 3e
al.; dans le
même sens, Convention européenne d’extradition du 12 décembre 1957, art. 11; Traité Benelux
d’extradition et d’entraide judiciaire du 27 juin 1962, art. 10; etc.
503 Mémoire RDC, § 54.
504 Supra chapitre 3
505 Mémoire RDC, § 73.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
182
international humanitaire, il n’est dit nulle part qu’ils doivent le faire hic et nunc ! Il
n’est donc pas contradictoire avec le droit international positif que le juge d’instruction
s’abstienne de faire exécuter le mandat d’arrêt décerné contre M. Yerodia Ndombasi en
cas d’invitation officielle faite à ce dernier de venir en Belgique. In casu, les poursuites
seraient, non pas supprimées ou annulées, mais simplement suspendues. La Belgique ne
violerait donc pas son obligation impérative de répression.
(d) L’absence d’exécution du mandat d’arrêt par les Etats tiers démontre que l’opinio
juris consacre l’immunité pénale absolue du gouvernant étranger
3.5.162 Ainsi que la Belgique l’avait observé au début du présent chapitre, la RDC
affirme qu’aucun Etat tiers n’a donné suite au mandat d’arrêt et que cela démontrerait
l’existence d’une coutume consacrant l’immunité pénale absolue du gouvernant étranger.
Rappelons ce que la RDC a dit dans son mémoire :
« Aucun Etat n’ayant à ce jour donné suite à ce mandat d’arrêt, il ne faut pas
s’interroger plus avant sur la responsabilité spécifique qui pourrait en résulter
dans le chef de l’Etat qui l’exécute, ni sur la manière dont elle devrait
s’articuler par rapport à celle, en quelque sorte originaire, de l’Etat belge. Le
fait qu’aucun Etat n’a à ce jour donné suite au mandat d’arrêt du 11 avril 2000
est toutefois le signe de l’opinio juris dominante suivant laquelle tout ministre
des Affaires étrangères en exercice bénéficie d’une inviolabilité et d’une
immunité pénale absolues, ainsi qu’il fut rappelé ci-avant » 506
3.5.163 On ne reviendra pas sur le fait que cet argument conduit, en bonne logique, à
l’irrecevabilité de la requête de la RDC507 : si aucun Etat tiers n’a donné suite au mandat
d’arrêt et si ce refus d’y donner suite est l’expression de l’opinio juris dominante, on ne voit
alors pas de quoi la RDC se plaint puisque, d’après elle, l’immunité pénale de M. Yerodia
Ndombasi serait reconnue dans tous les Etats tiers !
3.5.164 Si, au contraire, certains Etats tiers avaient été prêts à exécuter le mandat
d’arrêt : l’opinio juris de ces Etats ne serait alors pas celle que la RDC imagine. De fait, à la
connaissance de la Belgique, il semble que M. Yerodia Ndombasi aurait appris, lors d’une

506 Ibid., § 55.
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
183
demande de visa pour se rendre dans deux pays, qu’il risquait d’y être arrêté en raison du
mandat d’arrêt lancé contre lui par la Belgique. C’est d’ailleurs ce que la RDC, elle-même,
laisse entendre lorsqu’elle écrit que le mandat d’arrêt a obligé « le ministre Yerodia Ndombasi à
emprunter des voies parfois moins directes pour voyager »
508. Par conséquent, la prétention
qu’il existerait une opinio juris prouvée par l’absence de suite donnée au mandat d’arrêt du 11
avril 2000 par les autres Etats est sans fondement.
3.5.165 En conclusion, la Belgique constate que
· l’affirmation par la RDC que l’immunité pénale d’un gouvernant serait absolue et
s’imposerait comme telle à tous les Etats, d’une part, ne tient pas compte des
exceptions (à cette immunité) prévues pour les crimes de droit international
humanitaire, d’autre part, est infirmée par la pratique qui montre que les Etats se
réservent le droit d’apprécier la situation juridique de la personne qui invoque
l’immunité509;
· l’affirmation qu’aucune immunité ne pourrait être reconnue à M. Yerodia Ndombasi par
le juge d’instruction belge en dépit de ce que déclare le mandat d’arrêt, et ce, en raison
de la séparation des pouvoirs est un argument sans objet pratique pour le litige puisque
la RDC entend contredire une déclaration de la Belgique qui va dans le sens de ce que
la RDC réclame ; même si l’argument de la RDC était recevable — quod non —, il
serait sans portée puisque le pouvoir du juge d’instruction belge n’empiète en rien sur
celui du Gouvernement belge et réciproquement ; il n’y a donc aucune atteinte au
principe de la séparation des pouvoirs ;510
· l’affirmation qu’aucune immunité ne pourrait être reconnue à M. Yerodia Ndombasi par
le juge d’instruction en raison du caractère de jus cogens de l’obligation de poursuite
des crimes de droit international humanitaire est aussi un argument sans objet pratique
pour le litige puisque la RDC entend contredire une hypothèse qui irait dans le sens de
ce qu’elle réclame ; même si l’argument de la RDC était recevable — quod non —, il

507 Supra § 3.5.8.
508 Mémoire RDC, § 52.
509 Supra § 3.5/154-156
Partie III, Chapitre Cinq: Le fond de l'affaire
184
reste en tout cas, sans portée eu égard au fait que rien n’interdit au juge d’instruction
d’assortir les actes qu’il adopte de modalités quant à leur exécution;511
· en affirmant qu’aucun Etat n’aurait accepté de donner suite au mandat d’arrêt car telle
serait la coutume internationale, la RDC démontre que la présente instance reste à
nouveau sans objet pratique puisqu’il suffit à M. Yerodia Ndombasi d’éviter la
Belgique512 ; toutefois, le fait que certains Etats aient semblé prêts à exécuter le mandat
d’arrêt infirme la thèse de la RDC sur l’existence d’une opinio juris favorable à
l’immunité pénale absolue du gouvernant étranger;513 par conséquent, en admettant que
la requête de la RDC conserve un objet pratique — quod non —, elle est sans
fondement.
* * *

510 Supra § 3.5.157/159
511 Supra § 3.5.157/159
512 Supra §§ 3.5.7 et 3.5.163
513 Supra § 3.5.164.
Partie III, Chapitre Six: Le fond de l'affaire
187
CHAPITRE SIX:
LES DEMANDES DE LA RDC EXCEDENT LES
POUVOIRS JUDICIAIRES DE LA COUR
3.6.1 Les requêtes que la RDC soumet à la Cour sont formulées comme suit, au § 97 des
conclusions de son Mémoire:
“1. Qu’en émettant et en diffusant internationalement le mandat d’arrêt du
11 avril 2000 délivré à charge de Monsieur Abdulaye Yerodia Ndombasi, la
Belgique a violé, à l’encontre de la R.D.C., la règle de droit international
coutumier relative à l’inviolabilité et l’immunité pénale absolues des
ministres des Affaires étrangères en fonction;
2. Que la constatation solennelle par la Cour du caractère illicite de ce
fait constitue une forme adéquate de satisfaction permettant de réparer le
dommage moral qui en découle dans le chef de la R.D.C.;
3. Que la violation du droit international dont procèdent l’émission et la
diffusion internationale du mandat d’arrêt du 11 avril 2000 interdit à tout
État, en ce compris la Belgique, d’y donner suite;
4. Que la Belgique est tenue de retirer et mettre à néant le mandat d’arrêt
du 11 avril 2000 et de faire savoir auprès des autorités étrangères auxquelles
ledit mandat fut diffusé qu’elle renonce à solliciter leur coopération pour
l’exécution de ce mandat illicite suite à l’arrêt de la Cour.” 514
3.6.2 Comme indiqué précédemment,515 les réparations demandées se rapportent
exclusivement d'une façon ou d’une autre à l'allégation selon laquelle la Belgique
aurait enfreint les immunités du ministre des Affaires étrangères de la RDC. Comme
indiqué précédemment dans le cadre de l'argumentation sur la recevabilité516, étant
donné que M. Yerodia Ndombasi n'est plus ni ministre des Affaires étrangères de la
RDC ni membre du gouvernement de la RDC, les troisième et quatrième demandes
de la RDC concernent en pratique l'effet juridique du mandat d'arrêt du 11 avril 2000
à l'égard d’une personne privée en RDC.

514 Mémoire RDC, § 97.
515 Voir §§ 1.54–1.55.
Partie III, Chapitre Six: Le fond de l'affaire
188
3.6.3 Le sujet abordé dans ce chapitre est différent et nécessite peu de développements. Il
s'agit de savoir si la Cour peut imposer à la Belgique et à d’autres Etats le retrait et
l’annulation d'une mesure de droit interne, et si une telle décision ressort de la
fonction judiciaire de la Cour. Cette question est donc de nature subsidiaire et ne se
pose que si la Cour décidait, contrairement aux conclusions de la Belgique, que celleci
aurait enfreint le droit international en émettant et en transmettant le mandat
d'arrêt.
3.6.4 La Belgique maintient que les troisième et quatrième requêtes de la RDC à la Cour
dépassent la fonction judiciaire reconnue à la Cour et ne devrait pas donner lieu à un
jugement.
3.6.5 Le règlement des différends par les cours et tribunaux internationaux repose sur une
division de compétence acceptée, quoique rarement explicitée, entre la cour ou le
tribunal en question et les Etats dont les intérêts sont en cause. La fonction de la cour
ou du tribunal est de se prononcer sur le droit. Il appartient à l'Etat en question de
mettre en oeuvre le droit ainsi défini517. Une partie intégrale du processus
juridictionnel est l'obligation qu'ont les Etats impliqués dans ce processus de mettre
en oeuvre la décision qui en résulte. Dans le cas de la Cour, cette obligation est
énoncée dans l’article 94(1) de la Charte des Nations Unies et est reflétée dans
l’article 59 du Statut de la Cour. L’article 94(2) de la Charte établit ensuite un
mécanisme pour l'exécution des décisions de la Cour par le Conseil de sécurité.518

516 Voir §§ 3.52-3.53.
517 Bien que, sous réserve de la discussion qui suit sur la fonction de la Cour, l'idée générale peut être exprimée
simplement par une suggestion, il peut être utile de noter que la question se pose assez fréquemment dans le
cadre de la pratique d'autres cours ou tribunaux supranationaux ou internationaux. Par exemple, la Cour de
Justice des Communautés Européennes se réfère souvent aux rôles distincts des cours et tribunaux (et des
gouvernements) des Etats membres de l’Union Européenne dans la mise en oeuvre du droit communautaire
européen et son propre rôle qui est d'interpréter ce droit. En guise d’exemple supplémentaire, les membres de
l'Organisation Mondiale de Commerce sont obligés, par le memorandum d'accord sur le règlements des
différends qui fait partie intégrante de cet accord, de se conformer aux recommendations et décisions des
groupes spéciaux et de l'Organe d'Appel telles qu'elles sont adoptées par l'Organe de Règlement des Différends.
Alors que l'effet de cette conformité peut faire l’objet d’examen selon les procédures prévues à cet effet après un
délai raisonnable pour s'y conformer, la décision sur la manière de s'y conformer appartient à l'Etat concerné.
518 L’article 94 de la Charte des Nations Unies prévoit: “ 1. Chaque Membre des Nations Unies s'engage à se
conformer à la décision de la Cour internationale de Justice dans tout litige auquel il est partie. 2. Si une partie à
un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d'un arrêt rendu par la Cour, l'autre partie
peut recourir au Conseil de sécurité et celui-ci, s'il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider
des mesures à prendre pour faire exécuter l'arrêt.”
Partie III, Chapitre Six: Le fond de l'affaire
189
3.6.6 Il existe des raisons évidentes pour cette répartition de compétence. Premièrement, il
n'appartient pas à une cour ou à un tribunal de supposer que ses décisions ne seront
pas suivies d'effets. En effet, si une telle supposition devait être faite, la raison d'être
de la décision serait elle-même mise en cause. Deuxièmement, il peut y avoir pour
un Etat plusieurs manières de se conformer à une décision d'une cour ou d'un tribunal
qui lui est adressée. Le choix entre ses différentes façons de s'y conformer appartient
à l'Etat. Troisièmement, la division de compétence reflète un équilibre entre le rôle
des cours et tribunaux de se prononcer sur le droit, la responsabilité des Etats de se
conformer aux décisions qui leur sont adressées, et la souveraineté des Etats à
organiser leurs affaires comme bon leur semble, en les soumettant uniquement au
respect du droit.
3.6.7 Bien que la question n’ait pas été posée fréquemment à la Cour, elle a pourtant donné
lieu à des commentaires. Dans l'affaire Haya de la Torre, par exemple, la demande
principale faite à la Cour était d’indiquer comment le Pérou devait mettre en oeuvre
le jugement de la Cour du 20 novembre 1950. En refusant la demande, la Cour a
constaté inter alia ce qui suit:
“La Cour rappelle que ledit arrêt s’est borné à définir, dans cet ordre
d’idées, les rapports de droit que la Convention de La Havane avait établis
entre Parties. Il ne comporte aucune injonction aux Parties et n’entraîne
pour celles-ci que l’obligation de s’y conformer. La forme interrogative
qu’elles ont donnée à leurs conclusions montre qu’elles entendent que la
Cour opère un choix entre les diverses voies par lesquelles l’asile peut
prendre fin. Mais ces voies sont conditionnées par des éléments de fait et
par des possibilités que, dans une très large mesure, les Parties sont seules
en situation d’apprécier. Un choix entre elles ne pourrait être fondé sur des
considérations juridiques, mais seulement sur des considérations de nature
pratique ou d’opportunité politique ; il ne rentre pas dans la fonction
judiciaire de la Cour d’effectuer ce choix.

Ayant ainsi défini, conformément à la Convention de La Havane les
rapports de droit entre Parties relativement au questions qui lui ont été
soumises, la Cour a rempli sa mission. Elle ne saurait donner aucun conseil
pratique quant aux voies qu’il conviendrait de suivre pour mettre fin à
l’asile, car, ce faisant, elle sortirait de cadre de sa fonction judiciaire.”519
3.6.8 Comme il ressort clairement de cet extrait, la Cour considérait que la question de
savoir comment exécuter un jugement de la Cour était une question qui ne concernait

519 CIJ, arrêt du 13 juin 1951, Haya de la Torre, Rec. 1951, pp.79–83.
Partie III, Chapitre Six: Le fond de l'affaire
190
que la partie intéressée et qui excédait la fonction judiciaire de la Cour. Le fait qu'il
était possible d’envisager une série d'options pour exécuter l’arrêt de la Cour
renforçait cette idée.
3.6.9 Dans l’affaire du Cameroun septentrional, la Cour règle la question de manière
similaire, même si elle a finalement refusé de trancher l'affaire eu égard à l’absence
d’objet de la demande. En ce qui concerne le problème des modalités d’exécution
d’un arrêt, la Cour avait dit:
“ Comme elle l’a dit dans l’affaire Haya de la Torre, la Cour ne saurait
s’occuper de choisir entre les mesures pratique qu’un Etat peut prendre pour
se conformer à un arrêt. On peut admettre aussi, comme le conseil du
demandeur l’a dit, qu’une fois l’arrêt rendu l’usage que la partie gagnante en
fait est une question qui se pose sur le plan politique et non sur le plan
judiciaire.”520
3.6.10 Pour la Belgique, la portée de ces décisions est claire. Si, contrairement aux
conclusions belges, la Cour décidait que la Belgique aurait enfreint le droit
international par l'émission et la transmission du mandat d'arrêt, ce serait à la
Belgique de prendre une décision quant à la façon de se conformer au jugement de la
Cour. Plusieurs possibilités pourraient exister. Le devoir de s’y conformer peut
soulever des questions importantes de droit constitutionnel et de droit pénal national.
Comme la Cour l’a reconnu dans la jurisprudence précitée, il n’entre pas dans sa
fonction de conseiller les parties sur la mise en œuvre de son arrêt.
3.6.11 La Belgique considère donc que les troisième et quatrième conclusions finales du
mémoire de la RDC soulèvent des questions concernant l’exécution d’un arrêt
éventuel de la Cour sur le fond de l'affaire. Elles ne devraient donc pas être
considérées par la Cour.
* * *

520 CIJ, Cameroun septentrional, supra, p.37.
Conclusions
191
CONCLUSIONS
10.1 Pour les motifs développés dans la Partie II du présent contre-mémoire, la
Belgique soutient, à titre préliminaire, que la Cour n’est pas compétente en l’instance
et/ou que la requête de la RDC n’est pas recevable. Les conclusions principales de la
Belgique en matière de compétence et de recevabilité se résument comme suit:
Première conclusion (Partie II: paragraphes 2.4 – 2.15)
Etant donné que M. Yerodia Ndombasi n’est plus ni ministère des
Affaires étrangères de la RDC ni ministre chargé d’une quelconque
autre fonction au sein du gouvernement de la RDC, il n’y a plus de
“différend juridique” entre les Parties au sens des déclarations
facultatives d’acceptation de la juridiction de la Cour déposées par
les Parties et la Cour n’est, en conséquence, pas compétente en
l’instance.
Deuxième conclusion (Partie II: paragraphes 2.16 – 2.38)
Etant donné que M. Yerodia Ndombasi n’est plus ni ministre des
Affaires étrangères de la RDC ni ministre chargé d’une quelconque
autre fonction au sein du gouvernement de la RDC, la demande de
la RDC n’a plus d’objet et la Cour devrait, en conséquence, refuser
de juger au fond.
Troisième conclusion (Partie II: paragraphes 2.39 – 2.50)
Etant donné que l’affaire soumise aujourd’hui à la Cour est
substantiellement différente de celle formulée dans la Requête
introductive d’instance de la RDC, la Cour n’est, en conséquence,
pas compétente et/ou la requête de la RDC n’est pas recevable.
Quatrième conclusion (Partie II: paragraphes 2.51 – 2.73)
Etant donné la situation nouvelle dans laquelle se trouve la personne
de M. Yerodia Ndombasi, la demande a pris la forme d’une action
visant à recréer la protection diplomatique en faveur de M. Yerodia
Ndombasi alors que ce dernier n’a pas épuisé toutes les voies de
recours internes ; la Cour n’est, en conséquence, pas compétente
et/ou la requête de la RDC n’est pas recevable.
10.2 Dans l’éventualité où la Cour déciderait qu’elle est compétente et que la
requête est recevable, la Belgique soutient, à titre de cinquième conclusion, que la
Conclusions
192
règle non ultra petita limite la compétence de la Cour aux seules questions qui font
l’objet des conclusions finales de la RDC (Partie II: paragraphes 2.74 – 2.79).
10.3 Si, contrairement aux exceptions préliminaires de la Belgique quant à la
compétence de la Cour et à la recevabilité de la requête, la Cour conclut qu’elle est
compétente en l’instance et que la requête est recevable, la Belgique soutient que la
demande de la RDC est dénuée de fondement quant au fond. Les conclusions
principales de la Belgique quant au fond de l’affaire se résument comme suit:
Première conclusion (Partie III, chapitre 1)
Le mandat d’arrêt du 11 avril 2000 est de nature telle qu’il ne viole
pas la souveraineté de la RDC et ne lui impose aucune obligation.
Deuxième conclusion (Partie III, chapitre 2 et 3)
L’affirmation de compétence par le juge belge en vertu de la
législation belge est conforme au droit international eu égard au fait
que :
· elle est basée sur le lien des parties civiles plaignantes avec
la Belgique pour des raisons de nationalité ou de résidence;
· elle est conforme aux obligations des Hautes Parties
Contractantes prévues par la Quatrième Convention de
Genève;
· elle est cohérente avec les principes du droit coutumier
international permettant aux Etats d’exercer une juridiction
universelle pour des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité.
Troisième conclusion (Partie III, chapitre 4)
L’immunité qui s’attache aux ministres des Affaires étrangères en
exercice n’est prévue que pour leur permettre d’exécuter leurs
fonctions officielles et ne s’applique pas à leur comportement en
qualité de personne privée ou en dehors de l’exercice de leurs
fonctions officielles.
Quatrième conclusion (Partie III, chapitre 5)
L’immunité ne protège pas des personnes agissant en leur qualité
officielle lorsque des crimes de guerre ou des crimes contre
l’humanité leur sont imputés.
Conclusions
193
Cinquième conclusion (Partie III, chapitre six)
Quelles que soient les conclusions de la Cour quant au fond, des
éléments essentiels des réparations demandées par la RDC dans ses
conclusions finales sortent du cadre de la fonction judiciaire de la
Cour et ne devraient par conséquent pas donner lieu à un arrêt de la
Cour.
10.4 Sur la base de ce qui précède, la Belgique demande à la Cour de rejeter les
demandes de la RDC sur le fond.
* * *
Conclusions finales
194
CONCLUSIONS FINALES
11.1 Pour les motifs développés dans la Partie II du présent contre-mémoire, la
Belgique demande à la Cour, à titre préliminaire, de dire et de juger que la Cour n’est
pas compétente et/ou que la requête de la République démocratique du Congo contre
la Belgique n’est pas recevable.
11.2 Si, contrairement aux conclusions ci-dessus, la Cour devait conclure qu’elle
était compétente et que la requête de la République démocratique du Congo était
recevable, la Belgique demande à la Cour de rejeter les conclusions finales de la
République démocratique du Congo sur le fond de la demande et de rejeter la requête.
Jan Devadder
Agent pour le Royaume de Belgique
28 septembre 2001
Annexes
195
ANNEXES
Les annexes du contre-mémoire belge sont présentées en trois volumes. Le Volume I
contient les documents 1 - 28. Le Volume II contient les documents 29 - 80. Un
troisième volume contient des annexes supplémentaires, toutes tirées (à l'exception du
document final) du Recueil déposé devant la Cour lors de la phase sur les mesures
conservatoires de l'affaire. Lorsque les documents sont accessibles aussi bien en
français qu'en anglais, le texte français du document est suivi du texte anglais.
Lorsque cela n'a pas été possible, les documents sont reproduits soit en français soit
en anglais, selon le cas. Lorsque l'original d'un document est rédigé dans une langue
autre que le français ou l'anglais, le texte original est joint en annexe en même temps
qu'une traduction en français, certifiée par la Belgique conforme à l'article 51 (3) du
Règlement de la Cour.
Annexe Document
Volumes I and II
1. Déclaration belge faite en application de l'Article 36(2) du Statut, le 17
juin 1958
Belgian Declaration under Article 36(2) of the Statute, 17 June 1958
2. Déclaration de la RDC faite en application de l'Article 36(2) du Statut,
le 8 février 1989
DRC Declaration under Article 36(2) of the Statute, 8 February 1989
3. Mandat d'arrêt international par défaut, du 11 avril 2000
International Arrest Warrant by default (unofficial English translation
by Belgium)
4. BELGIQUE, Loi du 16 juin 1993 relative à la répression des
infractions graves aux Conventions internationales de Genève du 12
août 1949 et aux Protocolles I et II du 8 juin 1977, additionnels à ces
conventions, modifiée par la loi du 19 février 1999, relative à la
répression des violations graves de droit international humanitaire
Annexes
196
Belgian Act of 16 June 1993 Concerning the Punishment of Grave
Breaches of the Geneva Conventions of 12 August 1949 and their
Additional Protocols I and II of 18 June 1977, as modified by the Act of
10 February 1999 Concerning the Punishment of Grave Breaches of
International Humanitarian law (Unofficial consolidated English text,
and commentary, published in 38 I.L.M. 918 (1999))
5. Articles 146 à 147 de la Convention de Genève relative à la protection
des personnes civiles en temps de guerre, 1949
Articles 146 – 147, Fourth Geneva Convention
6. BELGIQUE, le titre préliminaire de la Loi du 17 avril 1878 du Code
de procédure pénale (contenant Articles 6, 10, 10 bis 12, et 13 )
Belgian Code of Criminal Procedure (unofficial English translation of
Article 12 by Belgium)
7. Interpol Red Notices, International Criminal Police Review – No.468
(1998)
8. Rapport d'Interpol sur la valeur des notices rouges, AGN/66/Rap.N°8,
qui résulte de la résolution No. AGN/66RES/7
9. Interpol Formulaire Rouge, Recherches internationale d'une personne
en vue de son arrestation et de son extradition, SIG/AEL/JB/72932/01,
12 septembre 2001
10. BELGIQUE, Sénat, Travaux préparatoires, projet du loi, D.P., 1990-
1991, n° 137/1, Pasin., 1993, pp. 1836-1859
11. BELGIQUE, Sénat, D.P., 1997-1998, 16 octobre 1997, Proposition de
loi relative à la répression du crime de génocide, en application de la
Convention pour la prévention et la répression de génocide, n° 1-
749/1, pp. 2-8
12. BELGIQUE, Sénat, D.P., 1998-1999, 1er déc. 1998, Proposition de loi
relative à la répression du crime de génocide, en application de la
Convention pour la prévention et la répression de génocide,
Amendements n° 1-749/2, pp. 1-5; n° 1 – 749/3, pp. 14-21
Annexes
197
13. ORGANISATION DE L’AVIATION CIVILE, Conférence
Internationale de droit aérien, 1963, Examen du projet – Première
lecture, art. 2 § 4, MONACO, M., représentant de l’Italie, Procèsverbaux
I, pp. 115-116 et Examen du projet de convention –
Deuxième lecture, art. 3 § 3, SIDENBLADH, M., président du Comité
de rédaction, pp. 288-289
14. ORGANISATION DE L’AVIATION CIVILE, Conférence
Internationale de droit aérien, 1963, Projet de convention concernant
les infractions et certains autres actes survenant à bord des aéronefs,
Doc. 8565-LC/152-2, Documents, II, pp. 2, 31-35, 46-47, et 60-61
15. ITALIE, Codice penale, art. 7, 8 et 10
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
16. ALLEMAGNE, Strafgesetzbuch, art. 5
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
17. FRANCE, Code pénal, art. 113-6 à 113-12
18. FRANCE, Code de procédure pénale, art. 487-488 et 627-641 art. 689
et 689-1
19. ESPAGNE, Ley Organica 6/1985 de 1 de julio del poder judicial, art.
23 § 3
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
20. PAYS-BAS, Wetboek van strafrecht, art. 4 §§ 1-4
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
21. BELGIQUE, D.P., Chambre, n° 70, 23 janvier 1877, p. 8, 18-28
22. BELGIQUE, D.P., Chambre, n° 143, 11 mai 1877, pp. 19-20, Rapport
Thonissen
23. ANTOLISEI, F., Manuale di diritto penale, Milano, Giuffrè, 1997, pp.
122-123
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
Annexes
198
24. FRANCE, Ministre français délégué aux relations avec l’Assemblée
nationale, Journal officiel de l’Assemblée nationale, 20 décembre
1994, 2e
séance, p. 9445-9446
25. CANADA, La loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de
guerre, 2000 ch.24, Art. 9
Crimes Against Humanity and War Crimes Act, 2000, c.24, Art. 9
26. Demjanjuk v. Petrovsky, 79 ILR 535 (US CA, 6th Cir., 31 Oct. 1985)
pp. 545-546
27. Affaire Cavallo, Ordre de l'extradition de l'Audience nationale
espagnole, 12 septembre 2000, et Décision du juge mexicain
concernant l'extradition, 12 janvier 2001
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
28. VANDER BEKEN, T., Forumkeuze in het internationaal strafrecht,
Antwerpen, Maklu, 1999, p. 165
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
29. In re Bouterse, Expert Opinion of Professor C.J. Dugard, 7 July 2000
30. In re Bouterse, Beslissingen van Het Gerechtshof van Amsterdam, 3
March 2000 and 20 November 2000
(English translation and annotation by the T.M.C. Asser Instituut,
certified by Belgium)
31. In re Bouterse, Samenvatting van de beslissing van de Hoge Raad,
(Résumé par le greffier de la décision de la Haute Cour) 18 septembre
2001
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
32. Convention on Special Missions, 1969, A/RES/2530 (XXIV)
33. Travaux préparatoires du Traité de Versailles, in La paix de Versailles:
Responsabilités des auteurs de la Guerre et Sanctions, Paris, 1930,
Editions Internationales, v. III, pp. 332- 447
Annexes
199
34. Conseil de l'Europe, Commission de Venise, Rapport sur les questions
constitutionnelles soulevées par la ratification du Statut de Rome
instituant la CPI, 15 janvier 2001, CDL-INF (2001) Or. Fr.
Council of Europe, Venice Commission, Report on Constitutional
issues raised by the ratification of the Rome Statute of the ICC, 15
January 2001, CDL-INF (2001) Or. Fr.
35. TRIFFTERER, O. (ed.), Commentary on the Rome Statute of the
International Criminal Court, Baden Baden, Nomos
Verslagsgesellschaft, 1999, p. 1132
36. Allied Control Council, cited in BASSIOUNI, C., International
Criminal Law, N.Y., Dobbs Ferry, 1987, v. III, p. 130
37. 235th Meeting of the Sixth Committee of the UN General Assembly, 8
November 1950, § 44
38. S/PRST/1994/59, 14 octobre 1994, Déclaration du Président du
Conseil de sécurité
S/PRST/1994/59, 14 October 1994, Statement by the President of the
Security Council
39. MORRIS, V. et SCHARF, M.P., The International Criminal Tribunal
for Rwanda, Irvington-on-Hudson, N.Y., Transnational Publ., 1998,
pp. 285-290
40. Article VIII of the Chinese Law of 24 October 1946 cited in Law
Reports of Trials of War Criminals, London, 1949, XIV, p. 157 and
Article 4 of the law of 2 August 1947, of the Grand Duchy of
Luxembourg on the Supression of War Crimes, 1950°, XV, p. 161
41. CAFLISCH, L., « La pratique suisse en matière de droit international
public 1998 », Revue suisse de droit international et de droit européen,
1999, pp. 689-690
42. NORVEGE, Extraits de la Proposition n° 24 (1999-2000) au Storting
(Parlement), www.igc.org.icc/html/norwayrecommendationfrench.html
Annexes
200
43. POLOGNE, Bilan de l'Etat d'avancement de la ratification [du Statut
de Rome] et la mise en oeuvre par la Pologne, Strasbourg, 4 septembre
2001, Consult/ICC (2001) 22
Progress Report by Poland [regarding the Rome Statute], 7 August
2001, Consult/ICC (2001) 22
44. Judgment of the International Military Tribunal for the Far East, 12
November 1948, in RÖLING and RUTER (eds.), The Tokyo
Judgement, Amsterdam UP, 1977, v. I, pp. 27-28 and 456-457
45. Furundzija, Aff. IT-95-17/1-T, TPIY, 10 décembre 1998, § 140
46. Kunarac, Kovac and Vukovic, Case Nos. IT-96-23 and IT-96-23/1-T,
ICTY, 22 February 2001, § 494
47. CASSESE, A., International Law, Oxford Univ Press, 2001, pp. 259-
260
48. ZAPPALA, S., « Do Heads of State in Office Enjoy Immunity from
Jurisdiction for International Crimes ? », 2001 EJIL 595, pp. 601-605
49. Affaire Kadhafi, Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Paris,
arrêt du 20 octobre 2000
50. Affaire Kadhafi, Procureur général près de la Cour d’appel de Paris,
pourvoi en cassation introduit le 14 novembre 2000; Conclusions
déposées à l’audience du 27 février 2001 par l’Avocat général, RGDIP,
2001, pp. 507-515
51. In Re Abetz, RGDIP, 1951, pp. 478-479 ; aussi 17 ILR p. 279 (Cour de
Cassation de France, Chambre criminelle, arrêt du 28 juillet 1950)
52. In re Best and Others, 17 ILR 434, (Denmark SC 17 March 1950)
p.437-439
53. VATTEL, E., Le Droit des gens ou principes de la loi naturelle, 1758,
Paris, L. II, chap. IV, § 55
Vattel, E., The Law of Nations or the Principles of Natural Law,
Washington, 1916, § 55
Annexes
201
54. CDI, Article 13 du Projet d'articles sur le projet de code des crimes
contre la paix et la sécurité de l’humanité, Ann. CDI, 1991, II, (2e
partie), pp. 98-99
55. CDI, Commentaires sur l'article 7 du Projet de code des crimes contre
la paix et la sécurité de l’humanité, Ann. CDI, 1996, II, (2e partie), pp.
27-28
56. Resolution de l'Institut de droit international, 26 août 2001, RES 13f
57. SALMON, J., Manuel de droit diplomatique, Bruxelles, Bruylant,
1994, pp. 602-604
58. ALLAND, D., (éd.), Droit international public, Paris, PUF, 2000, p.
159
59. MERIGNHAC, A., « De la sanction des infractions au droit des gens
au cours de la guerre européenne par les Empires du centre », RGDIP,
1917, p. 49
60. GARNER, J.W., International Law and the World War, London, 1920,
pp. 495-497
61. DONNEDIEU DE VARBES, H., Observations sous l’arrêt de la Cour
de Cassation de France du 28 juillet 1950, RCDIP, 1951, pp. 480-484
62. JENNINGS, R. and A. WATTS, Oppenheim's International Law,
9
th ed., London, Longman, 1992, v.I, p. 505 at § 148 and pp. 533-534
at § 157
63. ROUSSEAU, C., Droit international public, Paris, Sirey, 1980, IV, pp.
124-125
64. VAN BOGAERT, E., Volkenrecht, Antwerpen, Kluwer, 1982, pp. 348-
349
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
65. Al-Adsani v. Government of Kuwait and Others, 100 ILR 465 (England
Court of Appeal, 1994) p. 471
Annexes
202
66. BYERS, M., « Decisions of British Courts during 1996 Involving
Questions of Public or Private International Law », BYIL, 1996, pp.
539-540
67. BIANCHI, A., « Immunity versus Human Rights : the Pinochet case »,
EJIL, 1999, p. 265
68. SEARS, J.M., « Confronting the ‘Culture of Impunity’ : Immunity of
Heads of State from Nuremberg to ex parte Pinochet », GYIL, 1999, p.
144
69. VILLALPANDO, S., « L’affaire Pinochet : beaucoup de bruit pour
rien ? L’apport au droit international de la décision de la Chambre des
Lords du 24 mars 1999 », RGDIP, 2000, v. 104, p. 421-425
70. CHINKIN, C.M., « International Decisions », AJIL 1999, v.93, pp.
709-711
71. BURNS, P. et McBURNEY, S., « Impunity and the United Nations
Convention against Torture : A Shadow Play without an Ending », in
Torture as Tort, C. SCOTT (ed.), Oxford- Portland, Hart Publ., 2001,
pp. 278-280
72. DUFFY, H., “National Constitutional Compatibility and the
International Criminal Court”, Duke JCIL, 2001, v.11, pp. 29-31
73. Restatement of the Law Third : Foreign Relations Law of the United
States, AMERICAN LAW INSTITUTE, , St. Paul, American Law
Institute Publ., 1987, § 443, comment « c »
74. Sharon v. Time, Inc., 599 F. Supp. 538 (1984), p. 552
75. BÜHLER, M., « The Emperor’s New Clothes : Defabricating the
Myth of ‘Act of State’ in Anglo-Canadian Law », in Torture as Tort,
C. SCOTT (ed.), Oxford- Portland, Hart, 2001, p. 363
76. LABRIN, J. B. et BOSLY, H.-D., note s/ Civ. Bruxelles, ord. du 6 nov.
1998, Pinochet, RDPC, 1999, pp. 290-300
Annexes
203
77. WEYEMBERGH, A., “ Sur l’ordonnance du juge d’instruction
Vandermeersch rendue dans l’affaire Pinochet le 6 novembre 1998 ”,
RBDI, 1999, pp. 190-191
78. NAERT, F., “Zijn (ex-)staatshoofden immuun inzake misdaden tegen
de menselijkheid ? Kanttekeningen bij de zaak Pinochet” (Les ex-chefs
d’Etat bénéficient-ils de l’immunité en ce qui concerne des crimes
contre l’humanité ? Remarques sur l’aff. Pinochet), R.W., 1998-1999,
p. 1504-1505
(Traduction en français, certifiée par la Belgique)
79. GOFFIN, J., DENIS, C., CHAPAUX, B., MAGASICH, J. et
GOLDMAN, A., “ La mise en œuvre du droit pénal international dans
l’ordre juridique belge : perspectives au regard de l’ordonnance du 6
novembre 1998 ”, Revue du droit des étrangers, 1999, n° 104, p. 426-
428
80. BELGIQUE, Art. 56 § 1, 1er al. du Code d'instruction criminelle
Annexes supplémentaires
81. Résolution 978 (1995) du Conseil de sécurité, 27 février 1995
Security Council Resolution 978 (1995), 27 February 1995
82. Déclaration du Président du Conseil de sécurité, 31 août 1998
Security Council Presidential Statement, 13 August 1998
83. Déclaration du Président du Conseil de sécurité, 11 décembre 1998
Security Council Presidential Statement, 11 December 1998
84. Résolution 1234 (1999) du Conseil de sécurité, 9 avril 1999
Security Council Resolution 1234 (1999), 9 April 1999
85. Résolution 1291 (2000) du Conseil de sécurité, 24 février 2000
Security Council Resolution 1291 (2000), 24 February 2000
86. Résolution 1304 (2000) du Conseil de sécurité, 16 juin 2000
Security Council Resolution 1304 (2000), 16 June 2000
Annexes
204
87. Convention sur le crime de génocide, 9 décembre 1948
88. Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, 8 août 1945
(extraits)
89. Statut du Tribunal militaire international de Tokyo, 19 janvier 1946
(extraits)
90. Statut du tribunal Pénal international pour l'ex-Yougoslavie, 25 mai
1993 (extraits)
91. Statut du tribunal Pénal International pour le Rwanda, 8 novembre
1994 (extraits)
92. Statut de la Cour Pénale internationale, 17 juillet 1998 (extraits)
93. Résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies
· Résolutions 95 (I) du 11 décembre 1946
· Résolution 2840 (XXVI) du 28 décembre 1971
· Résolution 3074 (XXVIII) du 18 décembre 1989
Résolution de l'ECOSOC 1989/65 du 29 mai 1989
94. Jurisprudence internationale: Jugement du TPI de Nuremberg
(extraits), 30 septembre – 1 octobre 1946
95. Principes de droit international reconnus dans le Statut et le Jugement
du Tribunal de Nuremberg (Comm. Du Droit International, 1950)
96. Projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité de
la Commission du Droit International 1996
97. Législation interne: Loi belge du 20 juillet 1990 sur la détention
préventive
98. In re Bouterse, Arrêt van de Hoge Raad, 18 september 2001 (voir
annex 31)
(Taduction des extraits pertinents en français, certifiée par la
Belgique)
Annexes
205
* * *
Table des matières
i
TABLE DES MATIERES
Page
INTRODUCTION .................................................................……………… 1
PARTIE I: CONTEXTE ET QUESTIONS PRELIMINAIRES ............ 9
A. Les faits et le contexte juridique ...........................................………. 9
B. L’argumentation de la RDC .......................................….......……… 14
1. La Requête introductive d’instance de la RDC ..........…..…. 15
2. La phase relative aux mesures conservatoires ..........…........ 17
3. Le mémoire de la RDC .............................................……… 21
(a) Considérations préliminaires et la reformulation de la
demande de la RDC .......................................…….. 21
(b) La compétence de la Cour et l’existence et la nature
du différend ...................................…………...…… 22
(c) Le fond de l’affaire …......................................……. 24
(d) Les mesures demandées et les conclusions finales
de la RDC ……...............................................……… 28
4. Conclusions ....................................................…......……… 29
C. Les fonctions occupées par M. Yerodia Ndombasi aux moments
pertinents pour la présente instance ………………………….…………. 30
PARTIE II: EXCEPTIONS QUANT A LA COMPETENCE ET A LA
RECEVABILITE ……………………………………………………. 32
A. Première conclusion: il n’y a plus de différend entre les Parties .....… 33
B. Deuxième conclusion: L’instance est aujourd’hui sans objet ............. 38
C. Troisième conclusion : l’affaire , telle qu’elle se présente aujourd’hui,
est substantiellement différente que celle décrite introductive dans la
Requête d’instance …………………………………………………….. 47
D. Quatrième conclusion : l’affaire prend aujourd’hui la forme d’un
exercice de la protection diplomatique mais toutes les voies de
recours internes n’ont pas été épuisées ....................................……….. 51
E. Cinquième conclusion: la règle non ultra petita limite la compétence
de la Cour aux points contentieux qui font l’objet des conclusions
finales de la RDC ..............................................................…… 60
F. Conclusions concernant la Partie II .........…….......................... 62
Table des matières
ii
PARTIE III: LE FOND DE L'AFFAIRE ............….......…..............…… 64
Chapitre Un: La Nature du mandat d'arrêt est telle qu'il ne viole pas la
souveraineté de la RDC et ne crée pas d'obligations pour celle-ci .… 65
Chapitre Deux: La légalité du mandat d’arrêt décerné par le juge
d’instruction …………………………………………………………… 70
A. La loi du 16 juin 1993 et les amendements apportés par la loi
du 10 février 1999 ............................................................……………… 70
B. Les charges portées contre M. Yerodia Ndombasi .............................…. 74
C. Les règles de compétence appliquées par le juge d’instruction .............. 80
Chapitre Trois: Le droit international admet l’exercice de la compétence
universelle par défaut ………………….................….............……… 81
A. Le droit international oblige-t-il la Belgique à exercer la compétence
universelle à l’égard de l’auteur présumé d’une infraction visée par
la loi de 1993/1999 qui ne se trouve pas sur le territoire belge ? ……… 82
B. Le droit international admet-il que la Belgique exerce la compétence
universelle à l’égard de l’auteur présumé d’une infraction visée par la
loi de 1993/1999 qui ne se trouve pas sur le territoire belge ? ………… 89
I. Le fondement de l’exercice de la compétence universelle in
abstentia ………………………..................…...................…….. 89
(a) Une instruction et/ou des poursuites par défaut ne violent
aucune règle de droit international …........................….….. 89
(b) Une instruction et/ou des poursuites par défaut contre
l’auteur présumé de graves violations du droit international
humanitaire n’est qu’une modalité de la lutte contre
l’impunité, modalité admise par la pratique internationale
des Etats …………………................................................…. 91
(c) Une instruction et/ou des poursuites par défaut sont
largement admises par la pratique nationale des Etats ....….. 94
II. Les autres arguments de la RDC hostiles à l’exercice de la
compétence universelle in abstentia …………............................. 105
(a) Le prétendu risque de multiplication des poursuites.........…. 106
(b) La prétendue incompatibilité de la loi de 1993/1999
avec le Statut de la CPI ..............................................…………. 107
Table des matières
iii
Chapitre Quatre: Le droit se rapportant à l'immunité des ministres des
Affaires étrangères .........................................................……………. 109
Chapitre Cinq: Le droit international exclut toute immunité en cas de
poursuites pour crimes graves de droit international humanitaire... 121
A. La requête de la RDC sur l’immunité de M. Yerodia Ndombasi est
sans objet …………..........................……............................………………. 121
B. A titre subsidiaire, la requête de la RDC sur l’immunité de M. Yerodia
Ndombasi est sans fondement .............................................……………… 123
I. Le fondement du refus de l’immunité à des personnes
soupçonnées d’avoir commis de graves violations du droit
international humanitaire …………………………………….. 124
(a) Sources conventionnelles excluant l’immunité de
l’auteur présumé d’un crime grave de droit international
humanitaire ………………………………………………. 125
(i) Le Traité de Versailles de 1919………………. 125
(ii) Les statuts des juridictions pénales
internationales ……………………………….… 127
(iii) Law No. 10 of the Allied Control Authority …… 133
(iii) Convention on the Prevention and the
Punishment of Genocide ………………………. 134
(iv) Resolutions of the UN organs ………………… 135
(b) Sources nationales excluant l’immunité de l’auteur présumé
d’une violation grave du droit international humanitaire ..… 138
(c) Sources jurisprudentielles excluant l’immunité de l’auteur
présumé d’une violation grave du droit international
humanitaire ………………………………………………… 139
(d) Sources doctrinales excluant l’immunité de l’auteur présumé
d’un crime grave de droit international humanitaire ………. 155
(i) Les travaux de la CDI et de l’IDI …………… 156
(ii) Les autres sources de doctrine ……………….. 161
II. Les autres arguments de la RDC en faveur d’une immunité
absolue des membres de gouvernements étrangers en exercice … 176
(a) L’immunité des gouvernants étrangers serait une règle
objective qui s’impose à la Belgique …………………..… 177
(b) L’ordre juridique interne belge ferait obstacle à une
quelconque reconnaissance de l’immunité dès lors que
le juge d’instruction a décerné mandat d’arrêt ..………… 181
(c) Reconnaître une immunité au gouvernant étranger
pourtant inculpé de crimes de droit international
Table des matières
iv
humanitaire serait contradictoire avec le caractère
de jus cogens de la répression de ces crimes ………….. 182
(d) L’absence d’exécution du mandat d’arrêt par les
Etats tiers démontre que l’opinio juris consacre l’immunité
pénale absolue du gouvernant étranger …………………… 184
Chapitre Six: Les demandes de la RDC excèdent les pouvoirs judiciaires
de la Cour...................................……………………………………… 186
CONCLUSIONS ............................................................................………… 191
SUBMISSIONS ...........................................................................………….. 194
ANNEXES .....................................................................…………………… 195

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Contre-mémoire du Royaume de Belgique

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