Exposé écrit du Gouvernement italien

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8648
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE

LE GOUVERNEMENT ITALIEN

COMPTE TENU de la décision 1998/297 du Conseil économique et social, adoptée le
5.8.1998 par laquelle on demande à la Cour Internationale de Justice un avis consultatif
concernant :

«l'applicabilité de la section 22 de l'article VI de la Convention sur les privilèges et immunités
des Nations Unies à l'affaire concernant Dato' Param Cumaraswamy, en tant que rapporteur
spécial de la Commission des droits de l'homme chargé de la question de l'indépendance des
juges et des avocats, compte tenu des paragraphes 1 à 15 de la note du Secrétaire général, et
sur les obligations juridiques de la Malaisie en l'espèce».

COMPTE TENU de l'ordonnance de la Cour du 10 août 1998 qui fixe au 7 octobre 1998 la
date d'expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur la question pourront être présentés
à la Cour, conformément au paragraphe 2 de l'article 66 de son Statut,

A L'HONNEUR DE FORMULER LES OBSERVATIONS SUIVANTES :

1. Comme il est indiqué en détail dans la décision 1998/297, adoptée le 5.8.1998 par le

Conseil économique et social et qui introduit la procédure actuelle, cette dernière trouve son
fondement juridique dans la section 30 de la Convention sur les privilèges et les immunités
des Nations Unies (dorénavant simplement dénommée «Convention générale») et elle vise à
obtenir que la Cour émane un avis motivé sur deux questions juridiques. La première de ces
questions est la suivante : la section 22 de l'article VI de la Convention générale, est-elle
applicable au cas de M. Dato' Param Cumaraswamy, rapporteur spécial de la Commission des
droits de l'homme, chargé des problèmes concernant l'indépendance des juges et des avocats ?

La deuxième question consiste à déterminer quelles sont les obligations qui incombent à la
Malaisie dans le cas d'espèce.

La première question peut être spécifiée dans les termes suivants: la relation juridique entre
M. Cumaraswamy et l'Organisation des Nations Unies est-elle apte à engendrer une situation
d'immunité? Et, dans l'affirmative, l'immunité couvre-t-elle, outre aux actes accomplis, aussi

les déclarations émises en fonction du mandat confié

par l'Organisation à la personne qui jouit d'une position d'immunité? Enfin, en cas de réponse
positive soit à la première soit à la deuxième question, quelle est la durée de l'immunité, et en
particulier: survit-elle à l'achèvement de la fonction même lorsque des déclarations rendues
dans l'exercice de la fonction sont utilisées ou prononcées ultérieurement par le bénéficiaire
dans des contextes et avec des finalités autres que celles pour lesquelles le mandat lui avait été

conféré?

2. Concernant la première question, on signale des antécédents ayant un poids spécifique dans
la jurisprudence de la Cour Internationale, notamment l'avis consultatif 15/12/1989 pour
l'affaire Mazilu (CIJ Rec. 1989, pag. 176 et suivantes). Dans cet avis - qui par ailleurs ne se
fondait pas sur la section 30 de la Convention générale et donc ne visait pas à règler un
différend entre les Nations Unies et un Etat membre - demandé par l'ECOSOC simplement envue d'orienter son propre comportement dans la question soulevée, la Cour a déclaré
explicitement que la section 22 de la Convention générale «est applicable aux personnes
(autres que les fonctionnaires de l Organisation des Nations Unies) auxquelles une mission a
été confiée par l'Organisation et qui de ce fait ont droit de bénéficier des privilèges et
immunités prévus par ce texte pour exercer leurs fonctions en toute indépendance» (par. 52).

Par la délibération sus-visée, la Cour a confirmé le principe selon lequel les dispositions en
matière d'immunité visent non pas à constituer des positions de privilège personnel pour le
bénéficiaire, mais au contraire à protéger l'Organisation dans la personne et par l'entremise du
bénéficiaire, en sauvegardant son indépendance vis-à-vis des Etats membres. Dans les
paragraphes suivants de l'avis, la Cour s'est penchée tout d'abord sur la notion de «mission»
en tant que présupposé indispensable pour la dévolution, à la personne bénéficiaire, de droits
et de pouvoirs relevant du concept d'immunité. Cette notion de «mission» est expliquée avec

une précision philologique, en signalant que sa portée sémantique va bien au delà de la valeur
que ce terme a dans le langage commun de la langue française et anglaise. Notamment la
Cour a signalé (par. 55) que la notion de mission englobe aussi la «mission d'étude»; par
conséquence, les personnes qui effectuent une étude dont elles ont été chargées par
l'Organisation, pour son compte et en pleine indépendance, «doivent être regardées comme
des experts en mission au sens de la section 22». A la lumière des argumentations
développées et des délibérations contenues dans l'avis sus-visé, il y a lieu de conclure que

sans aucun doute, M. Cumaraswamy est titulaire d'une position d'immunité en raison de sa
qualité de rapporteur près la Commission des droits de l'homme.

3. La réponse à la deuxième question prospectée dérive directement des considérations que
nous venons de dégager, car il est incontestable que les déclarations prononcées à l'occasion
ou par rapport à l'accomplissement d'une mission pour l'Organisation des Nations Unies,

retombent, d'un point de vue objectif, sous la portée de l'immunité établie par la Convention
générale. D'ailleurs, la même section 22 paraît régler à la lettre la question, lorsqu'elle étend
expressément l'immunité aux «actes accomplis par eux au cours de leur mission (y compris
paroles et écrits) et énonce en outre «l'inviolabilité de tous papiers et documents» ce qui inclut
tous les écrits du chargé de mission contenant des données, ses appréciations ou opinions
fonctionnellement liées à la mission que l'Organisation lui a confié.

Toute tentative de préciser la portée de l'immunité relative à des déclarations et des
documents doit, à l'évidence, partir du principe d'ordre général - étant expression directe de la
ratio de l'institution -, qu'il faut mesurer la portée des privilèges et des immunités sur la base
du critère de leur nécessité pour l'exercice «en toute indépendance» des fonctions confiées par
l'organisation. Par conséquent, s'il ne peut y avoir de doute sur le fait que le bénéficiaire est
protégé par l'immunité lorsqu'il cite ou utilise en toute autre façon des déclarations ou des
argumentations élaborées dans l'exercice de ses fonctions, et déjà dûment divulguées dans les

formes prescrites, on estime que même lorsqu'il divulgue des évaluations et des
argumentations destinées à rester confidentielles ou qu'il les utilise pour des buts autres que
ceux propres de la mission qui lui a été confiée, avant même de les avoir exprimées dans les
formes prescrites, ce n'est pas pour autant que l'immunité relative ne sera pas appliquée vis-à-
vis des Etats membres. Dans les hypothèses en dernier indiquées, il pourrait à la limite en
dériver une position de responsabilité du chargé de mission vis-à-vis de l'organisation,
position dont l'existence et l'ampleur doivent être évalués à la lumière du système de cette

dernière.

Dans toutes les hypothèses envisagées, les déclarations et argumentations auxquelles il est fait
référence gardent en tout cas - abstraction faite de toute ultérieure circonstance dont ellespourraient faire l'objet - leur caractéristique d'éléments essentiels et constitutifs de l'action que
le chargé de mission se trouve à devoir effectuer dans l'exercice du mandat qui lui a été
dévolu par l'organisation; de telles déclarations et argumentations bénéficient donc de
l'immunité.

4. En ce qui concerne la réponse à la troisième question, qui fait référence à la durée de
l'immunité - déjà implicite dans les considérations dégagées au paragraphe précédent - il y a
lieu de rappeler la règle de la section 22 de la Convention générale, lettre b), là ou il est
précisé que «cette immunité continuera à leur être accordée même après que ces personnes
auront cessé de remplir des missions pour l'organisation des Nations Unies». Comme la
disposition l'indique, les actes et les paroles, y inclu les déclarations écrites, qui rentrent dans
l'exercice d'une mission pour le compte des Nations Unies, gardent indéfiniment cette qualité,

avec la conséquence que l'acquittement de la mission n'entraîne pas la déchéance des
obligations inhérentes à la position d'immunité.

4. Les conséquences qu'on peut dégager des observations précitées, concernent d'une part le
rôle du Secrétaire général dans la matière qui fait l'objet du différend et d'autre part la position
des Pays membres qui sont parties contractantes de la Convention générale.

Quant au premier aspect, il est incontestable que le Secrétaire général est qualifié à exprimer,
au nom de l'Organisation des Nations Unies des évaluations et des interprétations de la
Convention générale. Le Secrétaire général est en effet titulaire soit d'un pouvoir décisionnel
contraignant dans le cadre du système de l'Organisation, soit du pouvoir de manifester à
l'extérieur les positions que l'Organisation entend assumer par rapport au problème de la
portée et de la durée des immunités. Toutefois, malgré les affirmations contenues aux

paragraphes 16 et 17 de la Note E/1998/94 du Secrétaire Général, on ne peut pas retenir que
les déclarations de ce dernier soient de par elles-mêmes contraignantes pour les Etats parties
contractantes de la Convention générale, ou pour leurs tribunaux. A ce sujet, l'observation que
le Secrétaire général a le pouvoir de renoncer à l'immunité d'un fonctionnaire ou d'un expert
est sans importance, car le fait de renoncer à un droit n'implique pas la capacité d'interpréter
de façon contraignante à l'égard de tiers, les dispositions créées par ce droit: l'interprétation de
dispositions relevant de n'importe quelle Convention internationale est en effet une

prérogative de chacune des parties contractantes, et l'éventuelle divergence de vues entre deux
ou plusieurs sujets concernant la portée ou le contenu d'une disposition, peut donner lieu à un
différend international qui doit être réglé par les moyens prévus par ce système juridique,
parmi lesquels il y a lieu d'inclure la compétence consultative dévolue à la Cour internationale
de justice par la section 30 de ladite Convention, qui se conclut par la phrase «l'avis de la
Cour sera accepté par les parties comme décisif» caractérisant cette procédure comme
procédure d'arbitrage impropre.

6. En deuxième lieu, il y a lieu de relèver que les obligations en matière d'immunité
incombent à tous les Etats membres de l'organisation qui ont adhéré à la Convention générale,
même s'il s'agit d'un Etat avec lequel le sujet chargé de mission est lié par un rapport
spécifique, comme la nationalité, la résidence ou le domicile. Il y a même lieu de retenir que
c'est surtout vis-à-vis de ces Etats que les obligations en question sont destinées à fonctionner,
pour protéger spécifiquement l'organisation contre d'éventuelles interférences dans son

activité, interférences que l'Etat - du fait de sa liaison avec le chargé de mission envoyé par
l'organisation - pourrait plus facilement exercer par rapport à ladite activité.7. Les considérations que nous venons de formuler aident à comprendre quels seront les effets
de l'avis qui sera prononcé par la Cour. Cette dernière précisera de façon influente (voir
section 30 de la Convention générale) la portée de l'immunité dont M. Cumaraswamy est
bénéficiaire et il en découlera, de ce prononcé, l'obligation pour l'Etat concerné de retenir M.
Cumaraswamy indemne de toute conséquence d'ordre patrimonial et personnel dérivant de

faits ou de déclarations couvertes par l'immunité. Nous ne nous cachons pas, naturellement, la
difficulté de donner pleine et complète exécution à l'avis de la Cour, au cas où des décisions
ayant acquis force de chose jugée auraient déjà été émanées par des tribunaux nationaux.
Toutefois, dans ce cas aussi, l'Etat concerné devra identifier les moyens appropriés aptes à
obtenir le résultat concret de l'intangibilité patrimoniale et personnelle de M. Cunaraswamy.

Pour le Gouvernement Italien

Professeur U. Leanza

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