Résumé de l'arrêt du 3 février 2012

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16899
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2012/2
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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2012/2 Résumé
Le 3 février 2012

Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant))

Résumé de l’arrêt du 3 février 2012

I. Contexte historique et factuel de l’affaire (par. 20-36)

La Cour rappelle que, le 23 décembre 2008, la République fédérale d’Allemagne (dénommée
ci-après l’«Allemagne») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre

la République italienne (dénommée ci-après l’«Ita lie») au sujet d’un différend ayant son origine
dans des «violations d’obligations juridiques in ternationales» qu’aurait commises l’Italie «en ne
respectant pas» dans sa pratique judiciaire «l’immunité de juridiction reconnue à [l’Allemagne] par
le droit international». La C our rappelle en outre que, par or donnance du 4juillet2011, elle a
autorisé la Grèce à intervenir en tant que non- partie, dans la mesure où son intervention se

limiterait aux décisions grecques déclarées exécu toires en Italie. La Cour expose ensuite
brièvement le contexte historique et factuel de l’affaire, et notamment les procédures engagées
devant les juridictions italiennes par des ressortissants italiens et grecs.

II. Objet du différend et compétence de la Cour (par. 37-51)

L’Allemagne prie la Cour, en substance, de dire que l’Italie n’a pas respecté l’immunité de
juridiction que lui reconnaît le droit internationl en permettant que des actions civiles soient
intentées contre elle devant des tribunaux italiens , tendant à la réparation de dommages causés par

des violations du droit international humanitairecommises par le Reich allemand au cours de la
seconde guerre mondiale; que l’Italie a aussi viol é l’immunité de l’Allemagne en prenant des
mesures d’exécution forcée visant la Villa Vigoni, pr opriété de l’Etat allemand située en territoire
italien; qu’elle a également méconnu l’immunité de juridiction de l’Allemagne en déclarant

exécutoires en Italie des décisions judiciairegrecques condamnant civilement l’Allemagne pour
des faits comparables à ceux ayant donné lieu aux actions intentées devant des tribunaux italiens.

L’Italie, pour sa part, prie la Cour de juger que les demandes de l’Allemagne sont
dépourvues de fondement, et en conséquence de le s rejeter, à l’exception du chef de conclusions

relatif aux mesures d’exécution prises à l’égard de la Villa Vigoni, au sujet duquel la défenderesse
indique à la Cour qu’elle n’aurait pas d’objecti on à ce qu’elle lui ordonne de mettre fin auxdites
mesures. Dans son contre-mémoire, l’Italie avait présenté une demande reconventionnelle «portant
sur la question des réparations dues aux victim es italiennes des graves violations du droit
international humanitaire commises par les forces du Reich allemand» ; cette demande a été rejetée

par l’ordonnance de la Cour en date du 6juille t2010 au motif qu’elle ne relevait pas de sa - 2 -

compétence et que, par suite, elle était irrecevable au titre du paragraphe1 de l’article80 du
Règlement.

La Cour rappelle que la requê te de l’Allemagne a été introduite sur la base de l’article
premier de la convention europ éenne pour le règlement pacifi que des différends, aux termes
duquel :

«Les hautes parties contractantes soumettront pour jugement à la Cour
internationale de Justice tous les différends juridiques relevant du droit international
qui s’élèveraient entre elles et notamment ceux ayant pour objet :

a) l’interprétation d’un traité ;

b) tout point de droit international ;

c) la réalité de tout fait qui, s’il était étab li, constituerait la violation d’une obligation
internationale ;

d) la nature ou l’étendue de la répa ration due pour rupture d’une obligation

internationale.»

La Cour note que l’alinéaa) de l’article27 de la même convention limite le champ
d’application rationetemporis de cet instrument en excluant son applicabilité «aux différends

concernant des faits ou situations antérieurs à l’entrée en vigueur de la…convention entre les
parties au différend». Elle relève à cet égard que la convention est entrée en vigueur entre
l’Allemagne et l’Italie le 18 avril 1961.

Après avoir constaté que les demandes soumises par l’Allemagne étaient relatives à des
«différends juridiques relevant du droit international», au sens de l’article premier précité, opposant
deux Etats qui étaient l’un et l’autre parties à la convention européenne à la date d’introduction de
la requête, la Cour relève que la clause de limitation ratione temporis de l’article27 précité n’est

pas applicable aux demandes de l’Allemagne. En effet, les «faits ou situations» qui ont donné
naissance au présent différend sont constitués par le s décisions judiciaires italiennes ayant dénié à
l’Allemagne l’immunité de juri diction qu’elle revendiquait, et par des mesures de contrainte
exécutées sur des biens appartenant à l’Allemagne. Or, la Cour relève que ces décisions et mesures

ont été adoptées entre2004 et 2011, soit bien après l’entrée en vigueur entre les Parties de la
convention européenne. Elle est dès lors compétente pour connaître du différend.

La Cour note que, si les Parties ne se sont pas opposées sur l’analyse qui précède, elles ont

en revanche débattu de l’étendue de sa compétence dans le cadre de certains des arguments avancés
par l’Italie et relatifs à la prétendue inexécution par l’Allemagne de son ob ligation de réparation à
l’égard des victimes italiennes et grecques des crimes commis par le Reich allemand en 1943-1945.

Elle relève à cet égard que, bien qu’elle ne soit pl us appelée à statuer sur la question de savoir si
l’Allemagne a une obligation de ré paration envers les victimes italiennes de crimes commis par le
Reich allemand depuis qu’elle a décidé, par ordonnance du 6juillet2010, que la demande
reconventionnelle de l’Italie était irrecevable, il lui appartient néanmoins de déterminer si l’absence

d’exécution complète par un Etat d’une obligation de réparation qui lui incomberait est susceptible
d’avoir une incidence, en droit, sur l’existence et la portée de l’immunité de juridiction de cet Etat
devant les tribunaux d’un autre Etat. La Cour observe qu’en cas de réponse affirmative, la seconde
question sera de savoir si, dans les circonstances particulières de l’espèce, notamment compte tenu

du comportement de l’Allemagne sur la question de s réparations, les tribunaux italiens avaient des
motifs suffisants pour écarter l’immunité de cette dernière. - 3 -

III. Les violations de l’immunité de juridiction de l’Allemagne qui auraient été commises
dans le cadre des procédures engagées par les requérants italiens (par. 52-108)

La Cour examine tout d’abord le premier chef de conclusions de l’Allemagne, c’est-à-dire la
question de savoir si, en exerçant leur compétence à l’égard de celle-ci dans le cadre des actions
intentées devant elles par les différents requérants italiens, les juridictions italiennes ont agi en

violation de l’obligation faite à l’Italie d’accorder à l’Allemagne l’immunité de juridiction.

1. Les questions soumises à la Cour (par. 52-61)

La Cour commence par relever que les actions intentées devant les juridictions italiennes ont
pour origine des actes perpétrés par les forces armées et autres organes du Reich allemand. Elle
distingue trois catégories d’affaires: la premiè re se rapporte à des massacres de nombreux civils
perpétrés en territoire occupé en guise de repr ésailles, tels que celui commis le 29juin1944 à

Civitella (ValdiChiana), Cornia et SanPanc razio par des membres de la division «Hermann
Göring» des forces armées allemandes contre 203 civils pris en otages après l’assassinat de quatre
soldats allemands, quelques jours plus tôt, par d es résistants; la deuxième concerne des cas de

civils qui, à l’instar de M.LuigiFerrini, avaien t été déportés d’Italie ve rs l’Allemagne pour s’y
trouver de fait astreints au travail forcé ; la tr oisième a trait au cas de membres des forces armées
italiennes qui s’étaient vu refuser le statut de prisonnier de guerre ⎯ainsi que les protections
associées à ce statut ⎯ auquel ils avaient droit, et avaient, eux aussi, été soumis au travail forcé.

Si la Cour estime que ce comportement ét ait, à n’en pas douter, constitutif d’une grave
violation du droit international applicable aux conflits armés en1943-1945, elle considère que la

question qui lui incombe de trancher n’est pas de savoir si ces actes étaient illicites ⎯ ce point
n’étant pas contesté ⎯ mais si, dans le cadre des actions en réparation engagées sur le fondement
de ces actes, la justice italienne était tenue d’acco rder l’immunité à l’Allemagne. A cet égard, la
Cour constate qu’il existe un très large accord en tre les Parties quant au fait que l’immunité est

régie par le droit international et ne relève pas si mplement de la courtoisie . Elle relève que, dans
les rapports entre les Parties, seul le droit interna tional coutumier fonde le droit à l’immunité. Elle
doit donc, conformément à l’alinéab) du paragraphe1 de l’article 38 de son Statut, déterminer
l’existence d’une «coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme

étant le droit» conférant l’immunité à l’Etat et, le cas échéant, sa portée et son étendue.

La Cour note que, quoique la question des orig ines de l’immunité des Etats et des principes
qui la sous-tendent ait fait l’objet de longs débats, la Commission du droit international (ci-après la

«CDI») a, en1980, constaté que la règle de l’ immunité des Etats avait «été adoptée en tant que
règle générale du droit international coutum ier solidement enracinée dans la pratique
contemporaine des Etats». Elle estime que cet te conclusion, qui reposait sur une analyse
exhaustive de la pratique des Etats, a depuis lors été confirmée par un ensemble de lois nationales,

de décisions judiciaires, ainsi que par les commentaires des Etats sur ce qui allait devenir la
convention des NationsUnies sur l’immunité juridi ctionnelle des Etats et de leurs biens (ci-après
«la convention des Nations Unies»). Elle considère qu’il ressort de cette pratique que les Etats, que

ce soit lorsqu’ils invoquent l’immunité pour leur pr opre compte ou qu’ils l’accordent à d’autres,
partent généralement du principe qu’il existe en dr oit international un droit à l’immunité de l’Etat
étranger, dont découle pour les autres Etats l’obligation de le respecter et de lui donner effet.

La Cour observe que les Parties sont donc largement d’accord quant à l’existence et
l’importance de l’immunité de l’ Etat en tant qu’élément du droit international coutumier. Elle
relève que leurs vues divergent toutefois sur le poi nt de savoir si, comme le soutient l’Allemagne,
le droit qu’il convient d’appliquer est celui qui déte rminait la portée et l’étendue de l’immunité de

l’Etat en 1943-1945 ⎯ autrement dit, à l’époque des faits qui sont à l’origine des actions intentées
devant les juridictions italiennes ⎯ ou, comme l’avance l’Italie, celui qui était en vigueur au
moment où ces actions ont été engagées. La Cour relève que, conformément au principe énoncé à - 4 -

l’article 13 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite,
la conformité d’un acte au droit international ne peut être déterminée qu’au regard du droit en

vigueur au moment où cet acte s’est produit. Dès lors que les actes pertinents de l’Italie, à savoir le
refus de l’immunité par les juridictions italiennes et l’exercice, par celles-ci, de leur compétence, ne
se sont produits que lorsque les procédures italienn es ont eu lieu, la Cour estime qu’il lui faut
examiner et appliquer le droit de l’immunité d es Etats tel qu’il existait à cette époque et non tel

qu’il était en vigueur en1943-1945. A l’appui de cette conclusion, la Cour ajoute que le droit de
l’immunité revêt un car actère essentiellement procédural; il régit l’exercice du pouvoir de
juridiction à l’égard d’un comportement donné, et est ainsi totalement distinct du droit matériel qui
détermine si ce comportement est licite ou non.

La Cour relève que les Parties sont égalemen t en désaccord quant à la portée et à l’étendue
de la règle de l’immunité de l’Etat. Si elles s’accordent à considérer que les Etats jouissent, en règle
générale de l’immunité dans le cas d’actes jure imperii , elles divergent sur la question de savoir si

l’immunité est applicable aux actes commis par les forces armées d’un Etat (et d’autres organes de
celui-ci agissant en coopération avec ces forces) dans le cadre d’un c onflit armé. L’Allemagne
soutient que l’immunité est applicable et qu’aucune des excepti ons dont jouit un Etat à l’égard des
actes jure imperii ne trouve ici à s’appliquer. L’Italie , quant à elle, fait valoir que l’Allemagne

n’est pas fondée à bénéficier de l’immunité dans les procédures qui ont été engagées devant ses
tribunaux au double motif que, premièrement, cette immunité ne s’étend pas, en ce qui concerne les
actes jureimperii , aux actes dommageables ou délictueux ayant entraîné la mort, un préjudice

corporel ou un préjudice matériel, commis sur le territoire de l’Etat du for et, que, deuxièmement,
indépendamment du lieu où se sont produits les act es en question, l’Allemagne ne saurait en
bénéficier parce que ceux-ci étaient constitutifs des violations les plus graves de règles de droit
international à caractère impératif, et qu’il n’existait, pour y remédier, aucune autre voie de recours.

La Cour examine tour à tour chacun des arguments de l’Italie.

2. Le premier argument de l’Italie : les dommages ont été causés sur le territoire de l’Etat
du for (par. 62-79)

La Cour estime qu’elle n’est pas, en l’espèce, appelée à trancher la question de savoir s’il
existe, en droit international coutumier, une «e xception territoriale» à l’immunité de l’Etat
applicable aux actes jure imperii en général. Il lui faut seulement se prononcer sur les actes

commis, sur le territoire de l’Etat du for, par les forces armées d’un Etat étranger et d’autres
organes de celui-ci agissant en coopération avec lesdites forces dans le cadre d’un conflit armé.

La Cour commence par examiner la question de savoir si l’article11 de la convention

européenne et l’article12 de la convention des NationsUnies étayent d’une quelconque manière
l’argument de l’Italie selon lequel les Etats ne pe uvent plus aujourd’hui invoquer l’immunité de
juridiction à l’égard des actes susvisés. Elle précise que, étant donné qu’aucun de ces instruments
n’est en vigueur entre les Parties à la présente affair e, ils ne sont pertinents que dans la mesure où

leurs dispositions, le processus qui a conduit à leur adoption et leur mise en Œuvre apportent un
éclairage sur le contenu du droit international coutumier.

L’article11 de la convention européenne énonce l’exception territo riale en des termes

généraux :

«Un Etat contractant ne peut invoquer l’immunité de juridiction devant un
tribunal d’un autre Etat contractant lorsque la procédure a trait à la réparation d’un

préjudice corporel ou matériel résultant d’un fait survenu sur le territoire de l’Etat du
for et que l’auteur du dommage y était présent au moment où ce fait est survenu.» - 5 -

La Cour note que cette disposition doit cependant être lue à la lumière de l’article 31, qui est

ainsi libellé :

«Aucune disposition de la présente conv ention ne porte atteinte aux immunités
et privilèges dont un Etat contractant jouit en ce qui concerne tout acte ou omission de

ses forces armées ou en relati on avec celles-ci lorsqu’elles se trouvent sur le territoire
d’un autre Etat contractant.»

La Cour relève que l’artic le31 exclut du champ d’appli cation de la convention toute

procédure se rapportant aux actes des forces armées étrangères, que celles-ci soient présentes sur le
territoire de l’Etat du for avec ou sans le consentement de ce dernier, et que leurs actes aient été
accomplis en temps de paix ou en temps de guerre. La Cour estime que l’article 31 a l’effet d’une

«clause de sauvegarde», la question de l’immunité de l’Etat à raison des actes de ses forces armées
sortant, dès lors, entièrement du champ d’application de la conven tion et devant être tranchée au
regard du droit international coutumier. Elle estime qu’il s’ensuit toutefois que l’on ne saurait

considérer que le fait que l’exception territori ale soit prévue à l’article11 de la convention
européenne corrobore l’argument selon lequel un Etat ne peut prétendre à l’immunité en ce qui
concerne les actes dommageables commis par ses forces armées.

La Cour relève que, contrairement à la convention européenne, la convention des
NationsUnies ne contient aucune disposition e xpresse excluant de son champ d’application les
actes des forces armées. Cependant, il est indiqué dans le commentaire de l’article 12 1de la CDI
que celui-ci ne s’applique pas aux «situations liées à des conflits armés». La Cour observe en outre

qu’aucun Etat n’a contesté cette interprétation et que deux des Etats ayant ratifié la convention ont
fait des déclarations identiques indiquant que, sel on elles, la convention ne s’appliquait pas aux
activités militaires, y compris les activités des forces armées pendant un conflit armé, et les

activités entreprises par les forces militaires d’un Etat dans l’exercice de leurs fonctions officielles.
La Cour conclut que l’inclusion de l’article 12 dans la conventio n ne peut être considérée comme
venant au soutien de l’argument selon lequel le droit international coutumier ne reconnaît pas à un

Etat l’immunité dans des procédures ayant trait à des actes dommageables ayant entraîné la mort,
un préjudice corporel ou un préjudice matériel, commi s sur le territoire de l’Etat du for par les
forces armées et organes associés d’un autre Etat dans le cadre d’un conflit armé.

La Cour en vient à la pratique des Etats, telle que reflétée par les législations nationales, et
relève que neuf des dix Etats auxquels les Parties se sont référées, qui ont spécifiquement légiféré
en la matière, ont adopté des dispositions prévoyan t qu’un Etat ne peut invoquer l’immunité en ce

qui concerne des actes dommageables ayant entraîné la mort, un préjudice corporel ou un préjudice
matériel sur le territoire de l’Etat du for. La Cour observe que deux de ces textes contiennent des
dispositions prévoyant qu’ils ne s’appliquent pas aux instances relatives aux actes des forces
armées étrangères. Elle observe en outre que si aucun des sept autres Etats auxquels les Parties se

sont référées ne prévoit dans sa législation d’ exception générale en ce qui concerne les actes des
forces armées, les tribunaux n’ont pas été appelés à appliquer la législation en question dans une
affaire mettant en cause les forces armées et organ es associés d’un Etat étranger ayant agi dans le

cadre d’un conflit armé.

1
L’article 12 de la convention des Nations Unies est rédigé comme suit :
«A moins que les Etats concer nés n’en conviennent autrement, un Etat ne peut invoquer
l’immunité de juridiction devant un tribunal d’un autre Etat, compétent en l’espèce, dans une procédure se
rapportant à une action en réparation pécuniaire en cas de décès ou d’atteinte à l’intégrité physique d’une
personne, ou en cas de dommage ou de perte d’un bi en corporel, dus à un acte ou à une omission
prétendument attribuables à l’Etat, si cet acte ou cette omissi on se sont produits, en totalité ou en partie,
sur le territoire de cet autre Etat et si l’auteur de l’acte ou de l’omission était présent sur ce territoire au

moment de l’acte ou de l’omission.» - 6 -

La Cour examine ensuite la pratique des Etats, telle que reflétée par les décisions des
juridictions nationales, relativement à l’immunité de l’Etat en ce qui concerne les actes de forces

armées. Elle observe que cette pratique atteste qu’un Etat continue de jouir, dans le cadre
d’instances civiles, de l’immunité à raison d’actes jure imperii lorsque sont en cause des actes ayant
entraîné la mort, un préjudice corporel ou un préjudice matériel commis par ses forces armées et
autres organes dans le cadre d’un conflit armé, même lorsque les actes en question ont eu lieu sur le

territoire de l’Etat du for. La Cour relève que cette pratique est assortie de l’opinio juris , ainsi que
l’attestent les positions de divers Etats et la ju risprudence d’un certain nombre de juridictions
nationales, qui ont clairement indiqué qu’elles co nsidéraient que le droit international coutumier
exigeait de reconnaître l’immunité. Elle note que l’absence presque totale de toute jurisprudence

contraire est également significative, tout comme le fait qu’aucun Etat n’a jamais déclaré — que ce
soit dans le cadre des travaux de la Commission du droit international sur l’immunité de l’Etat, de
l’adoption de la convention des NationsUnies ou da ns tout autre contexte dont la Cour pourrait
avoir connaissance— que le droit international co utumier ne prescrirait pas l’immunité dans ce

type d’affaires.

A la lumière de ce qui précède, la Cour est ime que le droit intern ational coutumier impose
toujours de reconnaître l’immunité à l’Etat dont l es forces armées ou d’autres organes sont accusés

d’avoir commis sur le territoire d’un autre Etat des actes dommageables au cours d’un conflit armé.
Elle ajoute que cette conclusion est confirmée par les décisions de la Cour européenne des droits de
l’homme. Elle en conclut que la décision des juri dictions italiennes de ne pas accorder l’immunité

à l’Allemagne ne saurait être justifiée sur la base de l’exception territoriale.

3. Le second argument de l’Italie: l’objet et les circonstances des demandes présentées
aux juridictions italiennes (par. 80-106)

La Cour relève que le second argument de l’Italie, qui, à la différence du premier, s’applique
à toutes les réclamations portées devant la justi ce italienne, consiste à soutenir que le refus de
l’immunité était justifié en rais on de la nature particulière des actes qui faisaient l’objet de ces

réclamations et compte tenu des circonstances dans lesquelles celles-ci s’inscrivaient. Cet
argument comporte trois volets. Tout d’abord, l’ Italie fait valoir que l es actes qui ont donné lieu
auxdites réclamations constituaient des violati ons graves des principes du droit international
applicables à la conduite des conflits armés, à sa voir des crimes de guerre et des crimes contre

l’humanité. Ensuite, elle soutient que les règl es du droit international ainsi violées étaient des
règles impératives (jus cogens) . Enfin, elle allègue que, dès lors que les requérants s’étaient vu
refuser toute autre forme de réparation, l’exerci ce, par les juridictions italiennes, de leur

compétence était nécessaire à titre de dernier recours. La Cour examine tour à tour chacun de ces
volets, tout en observant que l’Italie a, à l’a udience, fait valoir que ses juridictions avaient été
fondées à refuser l’immunité à l’Allemagne en raison de l’effet combiné de ces trois volets.

⎯ La gravité des violations (par. 81-91)

La Cour note que le premier volet est fondé sur l’idée que le droit international n’accorde pas
l’immunité à un Etat ayant commis des violations graves du droit des conflits armés ou, à tout le

moins, restreint son immunité. Elle rappelle qu’el le a déjà clairement indiqué dans la présente
affaire que les actes des forces armées allemandes et d’autres organes du Reich allemand qui sont à
l’origine des instances portées devant les juridic tions italiennes étaient des violations graves du

droit des conflits armés, constitutives de crimes en droit international. Elle observe que la question
est donc de savoir si, de ce fait, l’Allemagne est privée de son droit à l’immunité. - 7 -

La Cour commence par rechercher si le droit international coutumier a évolué au point
d’interdire à un Etat de se prévaloir de son immu nité en cas de violations graves des droits de

l’homme ou du droit des conflits armés. Après avoir examiné la pratique étatique et internationale,
la Cour conclut que, en l’état actuel du droit international coutumier, un Etat n’est pas privé de
l’immunité pour la seule raison qu’il est accusé de violations graves du droit international des
droits de l’homme ou du droit international des conf lits armés. En formulant cette conclusion, la

Cour tient à souligner qu’elle ne se prononce qu e sur l’immunité de juridiction de l’Etat
lui-mêmedevant les tribunaux d’un autre Etat; la question de savoir si et, le cas échéant, dans
quelle mesure l’immunité peut s’appliquer dans le cadre de pro cédures pénales engagées contre un
représentant de l’Etat n’est pas posée en l’espèce.

⎯ La relation entre le jus cogens et la règle de l’immunité de l’Etat (par. 92-97)

La Cour en vient ensuite au deuxième volet de l’argument de l’Italie, selon lequel les règles
violées par l’Allemagne entre 1943 et 1945 relèveraient du jus cogens. Elle observe que cet aspect
de la défense italienne repose sur l’hypothèse qu’ il existerait un conflit entre les règles de
jus cogens qui font partie du droit des conflits arm és et la reconnaissance de l’immunité de

l’Allemagne. Selon l’Italie, les règles de jus cogens prévalent toujours sur toute règle contraire du
droit international ; la règle en vertu de laquelle un Etat jouit de l’immunité devant les juridictions
d’un autre Etat n’ayant pas le statut de jus cogens, elle devrait donc être écartée.

La Cour est d’avis qu’il n’existe pas de conflit entre une règle, ou des règles, de jus cogens et
la règle de droit coutumier qui fait obligation à un Etat d’accorder l’immunité à un autre. Selon
elle, à supposer, aux fins du présent examen, que les règles du droit des conflits armés qui
interdisent de tuer des civils en territoire occupé ou de déporter des civils ou des prisonniers de

guerre pour les astreindre au travail fo rcé soient des normes de jus cogens , ces règles n’entrent pas
en conflit avec celles qui régissent l’immunité de l’Etat. Ces deux catégories de règles se
rapportent en effet à des questions différentes. Ce lles qui régissent l’immunité de l’Etat sont de

nature procédurale et se bornent à déterminer si les tribunaux d’un Etat sont fondés à exercer leur
juridiction à l’égard d’un autre. Elles sont sans incidence sur la question de savoir si le
comportement à l’égard duquel les actions ont été engagées était licite ou illicite. C’est pourquoi le
fait d’appliquer le droit contem porain de l’immunité de l’Etat à une instance relative à des

événements survenus entre 1943 et 1945 ne porte pas atteinte au principe selon lequel les tribunaux
ne doivent pas appliquer le droit de manière rétr oactive aux fins de se prononcer sur des questions
de licéité et de responsabilité.

La Cour relève que, en l’espèce, la violation des règles interdisant le meurtre, la déportation
et le travail forcé a eu lieu entre1943 et 1945. Tous les intéressés s’accordent à reconnaître le
caractère illicite de ces actes. L’application d es règles de l’immunité de l’Etat aux fins de
déterminer si les juridictions italiennes peuvent connaître de réclamations fondées sur pareilles

violations ne saurait créer le moindre conflit avec les règles qui ont été violées. La Cour estime par
ailleurs que l’argument tiré de la primauté juscogens sur le droit de l’immunité des Etats a été
écarté par les juridictions nationales. Elle obser ve que les décisions des tribunaux italiens qui font
l’objet de la présente instance sont les seules déci sions de juridictions nationales dans lesquelles a

été retenu le raisonnement sur leque l est fondé l’argument de l’Italie . La Cour relève en outre
qu’aucune des lois nationales relativ es à l’immunité de l’Etat n’a lim ité l’immunité de l’Etat dans
les cas où sont en cause des violations du jus cogens.

La Cour conclut que, même en admettant que les actions intentées devant les juridictions
italiennes mettaient en cause des vi olations de règles de juscogens , l’application du droit
international coutumier relatif à l’immunité des Etats ne s’en trouvait pas affectée. - 8 -

⎯ L’argument du «dernier recours» (par. 98-104)

La Cour observe que le troi sième et dernier volet du second ar gument de l’Italie consiste à
affirmer que c’est à juste titre que les tribunaux italiens ont refusé de reconnaître à l’Allemagne
l’immunité à laquelle elle aurait pu autrement pr étendre, au motif qu’av aient échoué toutes les
autres tentatives d’obtenir réparation pour les di vers groupes de victimes qui avaient engagé les

actions intentées devant des juridictions italiennes.

La Cour estime qu’elle ne saurait faire dr oit à l’argument de l’Italie selon lequel les
tribunaux italiens étaient fondés à refuser à l’Allema gne l’immunité de juridiction en raison des

insuffisances que présenteraient les dispositions a doptées par celle-ci en vue d’accorder réparation
aux victimes italiennes. Elle ne voit, dans la pratique des Etats ⎯dont découle le droit
international coutumier ⎯, aucun élément permettant d’affirmer que le droit in ternational ferait

dépendre le droit d’un Etat à l’immunité de l’existence d’autres voies effectives permettant
d’obtenir réparation. Ni le droit interne relatif à ces questions ni la jurisprudence des tribunaux
internes qui ont eu à connaître d’exceptions fondées su r l’immunité ne permettent de conclure que
le droit à une telle immunité serait subordonné à pareille condition préalable. Les Etats n’ont pas

davantage énoncé une telle condition dans la convention européenne ou la convention des
NationsUnies. En outre, la Cour ne saurait manquer de relever que l’ application de pareille
condition, si elle existait, serait en pratique ex trêmement difficile, notamment dans un contexte tel
que celui de la présente affaire, c’est-à-dire lorsque les réclamations en cause ont fait l’objet de

discussions approfondies entre gouvernements.

En conséquence, la Cour rejette l’argument de l’Italie selon lequel l’immunité pouvait être
refusée à l’Allemagne pour ce motif.

⎯ L’effet combiné des circonstances invoquées par l’Italie (par. 105-106)

La Cour observe qu’à l’audience, le conseil de l’Italie a affirmé que les trois volets du
second argument de l’Italie devaient être examinés conjointement; autrement dit, que c’était en
raison de l’effet cumulé de la gravité des violations, du statut des règles violées et de l’absence
d’autres voies effectives de réparation que la décision des tribunaux italiens de dénier à

l’Allemagne l’immunité était justifiée.

La Cour indique qu’elle a déjà établi qu’aucun des trois volets du second argument de l’Italie
ne peut justifier à lui seul le comportement des tribunaux italiens. Elle n’est pas convaincue que

ces éléments auraient pareil effet même si on le s considère conjointement. Selon la Cour, pour
autant que l’argument tiré de l’effet combin é des circonstances doive se comprendre comme
signifiant que le tribunal national devrait mettre en balance l’ensemble des facteurs, en évaluant le
poids respectif, d’une part, des circonstances qui justifieraient qu’il exerce sa juridiction, et, d’autre

part, de l’intérêt qui s’attache à la protection de l’immunité, une telle a pproche méconnaîtrait la
nature même de l’immunité.

4.onclusions (par. 107-108)

La Cour considère que le refus des tribuna ux italiens de reconnaître l’immunité à laquelle
elle a conclu que l’Allemagne pouvait prétendre au titre du droit international coutumier constitue

un manquement aux obligations auxquelles l’Etat italien était tenu envers celle-ci. - 9 -

IV. Les mesures de contrainte prises à l’égard des biens appartenant à l’Allemagne en
territoire italien (par. 109-120)

La Cour rappelle que, le 7 ju in 2007, des requérants grecs, se fondant sur une décision de la
Cour d’appel de Florence du 13juin2006 déclarant exécutoire en Italie le jugement rendu par le
tribunal de première instance de Livadia, en Grèce, condamnant l’Allemagne à leur verser des

indemnités, firent enregistrer auprès du cadastre de la province de Côme une hypothèque judiciaire
sur la Villa Vigoni, bien appartenant à l’Etat alle mand situé près du lac de Côme. Elle rappelle en
outre que l’Allemagne soutient que cette mesure de contrainte viole l’immunité d’exécution qui lui
est reconnue par le droit international et que l’Italie n’a, pour sa part, pas cherché à justifier ladite

mesure. Elle relève que l’hypothèque en ques tion a été suspendue pour tenir compte de la
procédure pendante devant la Cour en la présente affaire. La Cour relève en outre qu’il subsiste un
différend entre les Parties, dans la mesure où l’It alie n’a pas admis formellement que l’hypothèque
judiciaire sur la Villa Vigoni constituait une mesure contraire à ses obligations internationales ; elle

n’a pas non plus mis fin aux effets de cette mesure.

La Cour fait observer que l’immunité d’exécution dont jouissent les Etats en ce qui concerne
leurs biens situés en territoire étranger va au-delà de l’immunité de juridiction dont bénéficient ces

mêmes Etats devant les tribunaux étrangers. Même si un jugeme nt a été régulièrement rendu à
l’encontre d’un Etat étranger, dans des circons tances telles que ce dernier ne pouvait pas se
prévaloir d’une immunité de juridic tion, il n’en résulte pas ipsofacto que l’Etat condamné puisse
faire l’objet de mesures de contrainte, sur le territoire de l’Etat du for ou sur celui d’un Etat tiers, en

vue de faire exécuter le jugement en cause. De même, l’éventuelle renonciation par un Etat à son
immunité de juridiction devant un tribunal ét ranger ne vaut pas par e lle-même renonciation à son
immunité d’exécution en ce qui concerne les bien s qui lui appartiennent et qui se trouvent en
territoire étranger. La Cour relève que, dans la présente affaire, la distinction entre les règles du

droit international coutumier relatives à l’im munité d’exécution et celles qui gouvernent
l’immunité de juridiction (entendue stricto sensu comme le droit pour un Etat de ne pas être soumis
à une procédure judiciaire devant les tribunaux d’un autre Etat) signifie que la Cour peut se

prononcer sur la question de savoir si l’hypot hèque inscrite sur la VillaVigoni constitue une
mesure de contrainte violant l’immunité d’exécu tion de l’Allemagne, sans avoir à se demander si
les décisions des tribunaux grecs prononçant des condamnations pécuniaires à l’égard de
l’Allemagne, pour l’exécution desquelles cette mesure a été prise, ont été elles-mêmes rendues en

violation de l’immunité de juridiction de cet Etat.

Se basant sur l’article 19 de la convention des Na tions Unies en tant qu’il refléterait le droit
coutumier en la matière, la Cour constate qu’il existe au minimum une condition qui doit être

remplie pour qu’une mesure de contrainte puisse êt re prise à l’égard d’un bien appartenant à un
Etat étranger : que le bien en cause soit utili sé pour les besoins d’une activité ne poursuivant pas
des fins de service public non commerciales, ou que l’Etat propriétaire ait expressément consenti à
l’application d’une mesure de cont rainte ou encore que cet Etat ait réservé le bien en cause à la

satisfaction d’une demande en justice. Or, la Cour estime qu’il est clair en l’espèce que le bien
ayant fait l’objet de la mesure de contrainte litigieuse est utilisé p our les besoins d’une activité de
service public dépourvue de caractère commercial, donc d’une activité relevant des fonctions de
souveraineté de l’Allemagne. La VillaVigoni est en effet le siège d’un centre culturel destiné à

favoriser les échanges culturels entre l’Allemagne et l’Italie. La Cour relève par ailleurs que
l’Allemagne n’a d’aucune manière expressément co nsenti à l’application d’une mesure telle que
l’hypothèque en cause, ni n’a réservé la Villa Vigoni à la satisfaction des demandes en justice
dirigées contre elle.

Dans ces conditions, la Cour conclut que l’inscription d’une hypothèque judiciaire sur la
VillaVigoni constitue une violation par l’Italie de son l’obligation de respecter l’immunité due à
l’Allemagne. - 10 -

V.Les décisions judiciaires italiennes déclar ant exécutoires en Italie des décisions de
juridictions grecques prononçant des condamnat ions civiles à l’encontre de l’Allemagne

(par. 121-133)

La Cour relève que, dans son troisième chef de conclusions, l’Allemagne se plaint de ce que
son immunité de juridiction a également été viol ée par les décisions judiciaires italiennes déclarant

exécutoires en Italie les condamnations civiles prononcées par des tribunaux grecs à l’encontre de
l’Allemagne dans l’affaire du massacre de Distomo commis par les forces armées du Reich
allemand en 1944.

La Cour considère que la question pertinente est de savoir si les tribunaux italiens ont
eux-mêmes respecté l’immunité de juridictio n de l’Allemagne en accueillant la demande
d’exequatur, et non celle de savoir si le tribunal grec ayant rendu le jugement dont l’exequatur était
demandée a respecté l’immunité de juridiction de l’Allemagne. La Cour observe que lorsqu’un

tribunal est saisi, comme en l’espèce, d’une demande tendant à ce qu’il accorde l’exequatur d’un
jugement étranger ayant statué à l’encontre d’un Etat tiers, il est appelé à exercer lui-même sa
juridiction à l’égard de l’Etat tiers en question. Si la procédure d’exequatur n’a pas pour objet de
trancher le fond du litige, mais seulement de donne r force exécutoire à un jugement déjà rendu, sur

le territoire d’un Etat autre que celui du juge qui a statué au fond, il n’en demeure pas moins qu’en
accordant ou en refusant l’exequatur , le juge exerce un pouvoir juri dictionnel qui aboutit à donner
au jugement étranger des effets correspondant à ceux d’un jugement rendu au fond dans l’Etat
requis. La procédure introduite devant ce juge doit donc être regardée comme intentée contre l’Etat

tiers condamné par le jugement étranger. Il en résulte, selon la Cour, que le juge saisi d’une
demande d’exequatur d’un jugement étranger condamnant un Et at tiers est tenu de se demander si
l’Etat défendeur bénéficie d’une immunité de juridiction, compte tenu de la nature de l’affaire qui a
été jugée, devant les tribunaux de l’Et at dans lequel la procédure d’exequatur a été engagée. En

d’autres termes, il doit se demander si, dans le cas où il aurait été lui-même saisi au fond d’un litige
identique à celui qui a été tranché par le jugement étran
ger, il aurait été tenu en vertu du droit
international d’accorder l’immunité à l’Etat défendeur. La Cour estime qu’il découle des motifs

qui précèdent que les juridictions italiennes qui on t déclaré exécutoires en Italie les décisions
judiciaires grecques rendues contre l’Allemagne ont méconnu l’immunité de cette dernière. La
Cour considère que, pour parvenir à une telle conc lusion, point n’est besoin de se prononcer sur la
question de savoir si les tribunaux grecs ont eux-mê mes violé l’immunité de l’Allemagne, question

dont la Cour n’est pas saisie et sur laquelle elle ne saurait d’ailleurs se prononcer.

La Cour conclut donc que les décisions judici aires italiennes déclarant exécutoires en Italie
les condamnations civiles prononcées par des tri bunaux grecs à l’encontre de l’Allemagne dans

l’affaire du massacre de Distomo ont violé l’obliga tion de l’Italie de respecter l’immunité de
juridiction de l’Allemagne.

VI. Les conclusions finales de l’Allemagne et les réparations sollicitées (par. 134-138)

La Cour fait droit aux trois premières demandes de l’Allemagne, tendant à ce qu’elle déclare,
respectivement, que l’Italie a violé l’immunité de juridiction reconnue à l’Allemagne par le droit
international en permettant que soient intentées à son encontre des actions civiles fondées sur des

violations du droit international humanitaire co mmises par le Reich allemand entre 1943 et 1945 ;
que l’Italie a également violé l’immunité due à l’Allemagne en prenant des mesures d’exécution
forcée visant la Villa Vigoni ; que l’Italie a, enfin, violé l’immunité de juridiction de l’Allemagne

en déclarant exécutoires sur le territoire italien des décisions judiciaires grecques fondées sur des
faits comparables à ceux mentionnés ci-dessus.

S’agissant du quatrième chef de conclusions de l’Allemagne, la Cour n’estime pas nécessaire

d’inclure dans le dispositif une déclaration spécifique selon laquelle la responsabilité internationale
de l’Italie est engagée. - 11 -

S’agissant du cinquième chef de conclusions de l’Allemagne, tendant à ce qu’elle ordonne à
l’Italie de prendre, par les moyens de son choi x, toutes les mesures néce ssaires pour faire en sorte

que l’ensemble des décisions de ses tribunaux et au tres autorités judiciaires qui contreviennent à
l’immunité souveraine de l’Allemagne ne puissent être exécutées, la Cour commence par rappeler
que l’Etat responsable d’un fait in ternationalement illicite a l’oblig ation d’y mettre fin si ce fait
présente un caractère continu et que, même si ce fait a pris fin, l’Etat responsable est tenu, à titre de

réparation, de rétablir la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, dès lors qu’un
tel rétablissement n’est pas matériellement impossible et n’impose pas à cet Etat une charge hors de
proportion avec l’avantage qui résulte d’une restituti on plutôt que d’une indemnisation. La Cour
estime que les décisions et mesures contraires aux immunités de juridiction de l’Allemagne qui

sont encore en vigueur doivent cesser de produire effet, et les effets de ces décisions et mesures qui
se sont déjà produits doivent être supprimés, de telle sorte que soit rétablie la situation qui existait
avant que les faits illicites ne soient commis. La Cour ajoute qu’il n’a été ni allégué ni démontré
que la restitution serait en l’espèce matériellement impossible ou qu’elle imposerait à l’Italie une

charge hors de proportion avec les avantages d’une telle restitution. En revanche, elle fait observer
que l’Italie a le droit de choisir les moyens qui lui paraissent les mieux adaptés en vue d’atteindre le
résultat qui doit être obtenu. Aussi, a-t-elle l’obl igation d’atteindre ce résultat par la promulgation

d’une législation appropriée ou par le recours à toute autre méthode de son choix également
capable de produire cet effet.

La Cour ne fait en revanche par droit au sixième chef de conclusions de l’Allemagne,

tendant à ce que la Cour ordonne à l’Italie de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en
sorte que ses tribunaux s’abstiennent à l’avenir de connaître d’actions intentées contre l’Allemagne
à raison des faits mentionnés dans son premier chef de conclusions (c’est-à-dire des violations du
droit international humanitaire commises par le Re ich allemand entre 1943 et 1945). Ainsi qu’elle

l’a déjà indiqué à l’occasion d’autres affaires, la Cour rappelle que, en règle générale il n’y a pas
lieu de supposer que l’Etat dont un acte ou un com portement a été déclaré illicite par la Cour
répétera à l’avenir cet acte ou ce comportement , puisque sa bonne foi doit être présumée. En
conséquence, s’il peut arriver à la Cour d’or donner à l’Etat responsable d’un comportement

internationalement illicite d’offrir à l’Etat lésé de s assurances de non-répétition, ou de prendre des
mesures spécifiques visant à garan tir que le fait illicite ne se répéte ra pas, c’est seulement lorsque
des circonstances spéciales le justifient, ce qu’il luiappartient d’apprécier dans chaque cas. Or,
dans le cas d’espèce, la Cour n’aperçoit aucune raison permettant de considérer que l’on se

trouverait dans de telles circonstances.

VII. Dispositif (par. 139)

Par ces motifs,

CLa OUR ,

1) Par douze voix contre trois,

Dit que la République italienne a manqué à son ob ligation de respecter l’immunité reconnue
à la République fédérale d’Allemagne par le droit international en permettant que soient intentées à

son encontre des actions civiles fondées sur d es violations du droit international humanitaire
commises par le Reich allemand entre 1943 et 1945 ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM. Koroma, Simma, Abraham,

Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotni kov, Greenwood, MmesXue, Donoghue,
juges ;

CONTRE : MM. Cançado Trindade, Yusuf, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ; - 12 -

2) Par quatorze voix contre une,

Dit que la République italienne a manqué à son ob ligation de respecter l’immunité reconnue
à la République fédérale d’Allemagne par le droit international en prenant des mesures d’exécution
forcée visant la Villa Vigoni ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM. Koroma, Simma, Abraham,
Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue,
Donoghue, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Cançado Trindade, juge ;

3) Par quatorze voix contre une,

Dit que la République italienne a manqué à son ob ligation de respecter l’immunité reconnue
à la République fédérale d’Allema gne par le droit international en déclarant exécutoires sur le
territoire italien des décisions judiciaires grecques fondées sur des violations du droit international

humanitaire commises en Grèce par le Reich allemand ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM. Koroma, Simma, Abraham,
Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue,

Donoghue, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Cançado Trindade, juge ;

4) Par quatorze voix contre une,

Dit que la République italienne devra, en pr omulguant une législation appropriée ou en
recourant à toute autre méthode de son choix, faire en sorte que les décisions de ses tribunaux et

celles d’autres autorités judiciaires qui contrevennent à l’immunité reconnue à la République
fédérale d’Allemagne par le droit international soient privées d’effet ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM. Koroma, Simma, Abraham,

Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue,
Donoghue, juges ; M. Gaja, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Cançado Trindade, juge ;

5) A l’unanimité,

Rejette le surplus des conclusions de la République fédérale d’Allemagne.

MM.les jugesKoroma, Keith et Bennouna joigne nt à l’arrêt les exposés de leur opinion
individuelle ; MM. les juges Cançado Trindade et Yusuf joignent à l’arrêtles exposés de leur

opinion dissidente ; M. le juge ad hoc Gaja joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.

___________ Annexe au résumé 2012/2

Opinion individuelle de M. le juge Koroma

Dans son opinion individuelle, le jugeKoroma indique avoir vot é en faveur de l’arrêt de la
Cour car celui-ci reflète selon lui fidèlement l’état actuel du droit international en ce qui concerne
l’immunité de juridiction de l’Etat. Il insiste t outefois sur le fait que cette décision ne doit pas être

interprétée comme laissant aux Etats la licence de commettre des actes de torture ou d’autres actes
similaires constitutifs de crimes contre l’humanité.

Le juge Koroma précise que l’affaire portée deva nt la Cour n’avait trait ni au comportement

des forces armées allemandes pendant la sec onde guerre mondiale, ni à la responsabilité
internationale de l’Allemagne à raison de ce co mportement. Selon lui, la question consistait
simplement à déterminer si l’Allemagne était fond ée, en droit, à jouir de l’immunité devant les
juridictions nationales italiennes en ce qui concerne le comportement de ses forces armées au cours

du conflit susmentionné. LejugeKoroma aj oute que la Cour n’avait compétence que pour
connaître de cette question de l’im munité de juridiction et que, pour la trancher, elle n’avait nul
besoin d’examiner au fond la licéité du comportement de l’Allemagne.

Le jugeKoroma relève que les actes commis par les forces armées allemandes en Italie
pendant la seconde guerre mondiale sont clairement des actes jure imperii . Il estime en effet que
les actes commis par les forces d’un Etat au cours d’un conflit armé international relèvent de
l’exercice du pouvoir souverain, leur exécution étant nécessairement une prérogative de l’Etat. Or,

selon le juge Koroma, il est bien établi que les Etats ont, d’une manière générale, droit à l’immunité
en ce qui concerne les actes jure imperii . La question était donc de savoir s’il existe une exception
à cette règle générale qui priverait les Etats de leur immunité souveraine en ce qui concerne les
actes illicites commis par leurs forces armées sur le territoire d’un autre Etat au cours d’un conflit

armé ou de l’occupation dudit territoire.

Le jugeKoroma observe que le droit de l’ immunité souveraine a é volué et qu’il existe
aujourd’hui une exception limitée à l’immunité pour certains types d’actes dommageables. Il note

que cette exception est codifiée à l’article12 de la convention des NationsUnies sur l’immunité
juridictionnelle des Etats et de leurs biens, qui pe ut être considéré comme reflétant l’état actuel du
droit international coutumier. Il souligne toutefois qu’il ressort clairement du commentaire de la
commission du droit international que les rédacteurs de cette convention estimaient que l’article 12

était principalement destiné à s’appliquer aux situations telles que des accidents de la circulation, et
qu’il ne devait pas s’appliquer à des situations liées à des conflits armés. Le juge Koroma conclut,
en conséquence, que les Etats bénéficient encore aujourd’hui de l’immunité souveraine en ce qui
concerne les actes jure imperii commis par leurs forces armées pendant un conflit armé. Il insiste

toutefois sur le fait que la Cour a pour mission d’ap pliquer le droit existant et que rien, dans son
arrêt, ne s’oppose à la poursuite de l’évolution du droit de l’immunité de l’Etat.

Le jugeKoroma est également d’avis qu’il est important de tenir compte des arguments

présentés par la Grèce — Etat intervenant dans l’instance en tant que non-partie — et d’y répondre.
Dans sa déclaration écrite, la Grèce mettait notamment l’accent sur le «droit individuel
à…réparation en cas de violations graves du droit humanitaire». Le jugeKoroma estime que la
Grèce est fondée à soutenir que le droit international considère aujourd’hui les individus comme les

bénéficiaires ultimes des réparations dues à raison de violations des droits de l’homme. Selon lui,
il ne s’ensuit cependant pas que le droit international leur confère le droit d’introduire une action en
réparation directement contre un Etat. Le jugeKoroma observe que rien dans la quatrième

convention de LaHaye de1907 ou dans l’ar ticle91 du protocole additionnel de1977 aux
conventions de Genève du12 août1949 n’étaye cette proposition. Aux termes des articles
pertinents de ces deux instruments, les Etats sont tenus «à indemnité» en cas de violation desdites
conventions; ces dispositions ne visent toutefois pas, selon le jugeKoroma, à imposer aux Etats

d’indemniser directement les personnes victimes de ces violations . A cet égard, le jugeKoroma - 2 -

fait observer qu’une disposition imposant à un Etat d’indemniser directement les individus n’aurait
pas été concevable en 1907, date de la conclusion de la quatrième convention de La Haye.

Le juge Koroma conclut que c’est à juste titre que la Cour a jugé que l’Allemagne avait droit
à l’immunité souveraine en ce qui concerne l es actes commis par ses forces armées en Italie
pendant la seconde guerre mondiale. Il précise t outefois que cette conclusion n’empêche pas les

Parties d’entamer des négociations afin de régl er les questions encore pendantes qui ont été
soulevées en la présente affaire ; pareil règlement ne nécessite néanmoins pas de faire fi du droit de
l’immunité de juridiction existant, lequel protège et préserve, à raison, la souveraineté des Etats et
leur égalité souveraine.

Opinion individuelle de M. le juge Keith

Le juge Keith souscrit aux conclusions de la Cour et, dans une large mesure, aux motifs de

l’arrêt. Par l’exposé de son opinion, il entend insister sur le fait que les règles internationales
relatives à l’immunité de l’Etat sont solidement fondées sur des principes de droit international et
des politiques de l’ordre juridique international.

L’un des principes fondamentaux à cet égard est celui de l’égalité souveraine des Etats,
suivant lequel tous les Etats ont des droits et des de voirs égaux, et sont juridiquement égaux. Dans
les affaires dans lesquelles sont en cause des que stions ayant trait à l’im munité de l’Etat, ce

principe s’applique à deux Etats: celui devant la juridiction duquel la procédure est engagée et
l’Etat étranger, censé être le défendeur. D’un cô té, la compétence du tribunal en question découle
de la souveraineté de l’Etat du for; de l’autre, les principes de l’égalité et de l’indépendance
souveraines de l’Etat étranger militent en faveur de l’immunité de juridiction.

Depuis 200ans, les juridictions et législatures nationales, en cherchant à concilier ces deux
aspects, se sont particulièrement attachées à la nature de l’acte en cause: celui-ci doit-il être
considéré comme relevant de l’exercice de l’auto rité souveraine, ou ne se distingue-t-il pas de

l’acte de toute autre personne soumise au droit local ? Cette même approche a été suivie dans des
traités plus récents ainsi que dans les processus ⎯diplomatiques ou autres ⎯qui ont conduit à
leur conclusion. Par ailleurs, une pratique bien établie souligne la distinction, essentielle aux fins
de l’espèce, entre les obligations matérielles incombant à un Etat étranger et les moyens

procéduraux ou institutionnels par lesquels ces obligations doivent être exécutées.

En ce qui concerne les réclamations portées deva nt la justice italienne, le juge Keith rappelle
que l’Allemagne a reconnu sa responsabilité pour l es souffrances indicibles qui ont résulté des

actes illicites qu’elle a commis entre 1943 et 1945. Ce n’est cependant pas cette illicéité qui faisait
l’objet de la présente affaire, mais la question de savoir si les tribunaux italiens étaient fondés à
exercer leur compétence à l’égard d’actions trouvant leur origine dans lesdits actes et engagées
contre l’Allemagne.

Selon l’Italie, l’un des fondements de l’ex ercice de cette compétence était la règle de
l’exception territoriale. Quoique cette règle soit reconnue de longue date, le jugeKeith conclut
qu’elle ne s’applique pas au comportement en cause en l’espèce. Premièrement, elle s’appliquerait

à des demandes d’indemnités en vertu du droit lo cal se rapportant essentiellement à des préjudices
corporels et des préjudices matériels qui, en règle générale, seraient assurables. En revanche, elle
ne s’appliquerait pas à des actes commis au cours d’un conflit armé entre Etats, puisqu’il s’agit là
d’actes de dimension internationale, à caractère souverain et qui doivent être appréciés au regard du

droit international, et non du droit local. Deuxi èmement, le jugeKeith relève l’analogie entre
l’immunité de l’Etat étranger et les règles relatives à l’immunité de l’Etat du for devant ses propres
tribunaux ; il rappelle que, même si les législations nationales ont restreint cette immunité, celle-ci

continue généralement de s’appliquer à l’égard d’actions fondées sur des actes des forces armées de
l’Etat. Troisièmement, sur le plan internati onal, les réclamations relatives à des dommages de - 3 -

guerre et à des pertes formulées contre d’anciens belligérants font, en pratique, l’objet de
négociations et d’accords interétatiques. Telle est la pratique des après-guerres, et cela étaye

fermement la conclusion selon laquelle un ancien Etat belligérant ne saurait, sans son
consentement, être soumis à la juridiction d’un tr ibunal étranger dans des affaires telles que celles
qui faisaient l’objet de la présente instance.

Opinion individuelle de M. le juge Bennouna

Le juge Bennouna considère qu’il ne peut fair e sienne l’approche adoptée par la Cour ni

accepter la logique de son raisonnement, même s’il a voté en faveur de la partie du dispositif qui a
conclu à la violation par l’Italie de l’immun ité de juridiction de l’Allemagne. Pour le
jugeBennouna, le caractère indissociable de la responsabilité et de l’exercice de la souveraineté
fait que c’est en assumant, s’il y a lieu, la première que l’Etat peut justifier sa revendication de

l’immunité devant les tribunaux étrangers au titre de l’égalité souveraine. Selon le juge Bennouna,
ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’Etat présumé auteur des faits illicites
rejette toute mise en cause de sa responsabilité , sous quelque forme que ce soit, qu’il pourrait
perdre le bénéfice de l’immunité devant les tribunaux de l’Etat du for. Il appartient à la Cour, en se

prononçant sur l’immunité, de veiller à l’unité du droit international en prenant en compte
l’ensemble de ses composantes.

Opinion dissidente de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans son opinion dissidente, qui comprend 27 parties, le juge Cançado Trindade expose
les raisons fondamentales pour lesquelles il est gl obalement en désaccord avec la décision rendue

par la Cour, raisons qui ont trait à la méthode que celle-ci a adoptée, à la démarche qu’elle a suivie,
à tout le raisonnement dont procède son traitement des questions de fond, ainsi qu’aux conclusions
sur lesquelles se fonde son arrêt. Il introduit s on opinion dissidente en définissant ce qui constitue
pour lui (partieI) le contexte dans lequel devait s’ inscrire le règlement du différend en cause, où

entre inévitablement en jeu le principe de la mise en Œuvre de la justice , particulièrement important
lorsque la Cour, comme dans le cas d’espèce, est appelée à régler en s’appuyant sur des
considérations fondamentales d’humanité une affaire qui tient ses origines de faits constituant des
violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire.

2. Envisageant, en guise de préliminaire, l’im munité de l’Etat sous l’angle intertemporel
(partieII), il fait valoir qu’on ne saurait tenir compte sélectivement du droit intertemporel pour

autant qu’il sert la cause qu’on défend, c’est-à -dire n’admettre l’incidence de l’écoulement du
temps et de l’évolution du droit que sur certain s seulement des aspects factuels d’une situation
existant de longue date. Il importe selon lui de garder à l’esprit l’évolution du droit pour apprécier
convenablement les rapports entre immunités de l’Et at et droit à des réparations de guerre. Il

considère qu’en l’espèce, ce rapport est incontournable.

3. Ainsi, et bien que par son ordonnance du j6 uille t 2010 (à laquelle
lejugeCançadoTrindade a joint une opinion dissidente), la Cour ait rejeté la demande

reconventionnelle présentée par l’Italie, il se trouve que tout au long de la procédure (écrite et
orale), les Parties (l’Allemagne et l’Italie) ont constamment fait référence aux faits qui sont à
l’origine de leur différend et en constituent le c ontexte historique. LejugeCançadoTrindade y

voit la confirmation de ce qu’ il a soutenu dans son opinion dissi dente sur l’ordonnance rendue par
la Cour le 6 juillet 2010, à savoir que les immunit és de l’Etat sont une notion qui, loin de pouvoir
être considérée isolément, est indissociable des fa its dans lesquels une a ffaire contentieuse trouve
son origine (partie III). - 4 -

4. Le juge Cançado Trindade insiste ensuite sur l’importance du geste louable qu’a fait
l’Allemagne en admettant à maintes reprises, au cours de la procédure écrite et orale, sa

responsabilité en tant qu’Etat à l’égard des actes illicites constituant l’origine factuelle du cas
d’espèce, à savoir les crimes commis par le III eReich durant la seconde guerre mondiale
(partie IV). Ce geste est révélateur du caractère unique que revêt la présente affaire du point de vue

des immunités juridictionnelles de l’Etat ; l’affaire est sans précédent dans les annales de la Cour
en ce que l’Etat demandeur admet sa responsabilité à l’égard des actes illicites qui en constituent le
contexte factuel.

5. Le juge Cançado Trindade passe ensuite en revue (partieV) différentes orientations
doctrinales suivies par une génération de juristes qui, ayant été témoins au XX siècle des horreurs
de deux guerres mondiales, ne s’en sont pas tenus aux conceptions strictement axées sur l’Etat et

ont mis en avant les valeurs humaines fondamental es et les droits de la personne humaine, se
montrant ainsi fidèles aux origines historiques du droit des gens, comme devraient l’être les juristes
d’aujourd’hui. Pour lui, les immunités de l’Etat sont une prérogative ou un privilège et ne sauraient
continuer de faire obstacle à l’évolution du droit international qui se manifeste actuellement à la

lumière des valeurs humaines fondamentales . Il observe que les travaux d’éminentes institutions
telles que l’Institut de droit international et l’International Law Association vont dans ce sens.

6. Ainsi, lorsque l’immunité de l’Etat est en balance avec le droit à l’accès à la justice, c’est
en faveur de ce dernier qu’il faut trancher, en particulier dans les affaires ayant trait à des crimes au
regard du droit international (partieVI). Le juge Cançado Trindade souligne qu’il importe de

respecter l’impératif de justice et d’exclure l’impun ité des crimes au regard du droit international
afin d’empêcher que d’autres ne soient commis à l’ avenir. Selon lui, les violations des droits de
l’homme et du droit international huma nitaire atteignent un degré de gravité qui exclut tout
obstacle juridictionnel à la recevabilité des dema ndes de réparation des préjudices subis par les

victimes (partie VII). Toutes les atrocités commises à grande échelle sont de nos jours considérées,
selon lui, à raison de leur degré de gr avité, quels qu’en soient les auteurs ; l’immunité de l’Etat ne
saurait exonérer les Etats qui suivent une politique criminelle et s’en autorisent pour commettre des

atrocités.

7. Dans la partieVIII de s on opinion dissidente, lejugeCa nçadoTrindade soutient que les
Etats ne peuvent suspendre inter se des droits qui, étant des droits naturels de la personne humaine,

ne leur appartiennent pas. Il est pour lui in admissible que des Etats prétendent s’accorder pour
suspendre des droits naturels de la personne huma ine, pratique qui est contraire à «l’ordre public»
international et doit être privée de tout effet ju ridique. C’est là une vérité profondément ancrée

dans la conscience collective de l’humanité, la conscience juridique universelle, source première de
tout le droit.

8. Dans la partieIX de s on opinion dissidente, lejugeCan çadoTrindade montre que bien
avant la seconde guerre mondiale, le droit internatio nal interdisait la déportation aux fins du travail
forcé (considéré comme une forme de travail en e sclavage). L’illicéité de cette pratique était
largement reconnue sur le plan normatif, étant inscr ite dans la convention IV de La Haye de 1907

et la convention de l’Organisation internationale du travail de 1930 sur le travail forcé. Les travaux
de codification de l’époque prenaient acte de cette interdiction, consacrée en outre par la
jurisprudence. Le droit à des réparations de guerre était également reconnu bien avant la fin de la

seconde guerre mondiale (il était inscrit dans la convention IV de La Haye de 1907) (partie XII).

9. De l’avis du juge Cançado Trindade, ce sont les crimes au regard du droit international qui
compromettent et déstabilisent l’ ordre juridique international, et non les tentatives faites par des - 5 -

particuliers pour obtenir réparation des préjudices qu i en sont la conséquence. Ce qui trouble cet
ordre juridique, ce sont les actes visant à couvrir ces crimes et l’impunité qui en résulte pour leurs

auteurs, et non pas les démarches faites par les victimes pour obtenir que justice leur soit faite
(parties X et XIII). Lorsqu’un Etat s’autorise d’une politique criminelle pour anéantir une partie de
sa population et de celle d’autres Etats, il ne saura it, plus tard, s’abriter derrière les immunités
souveraines, qui n’ont certainement pas été conçues à une telle fin.

10. Le juge Cançado Trindade passe ensuite en revue les réponses des Parties (l’Allemagne
et l’Italie) et de l’Etat intervenant (la Gr èce) aux questions qu’il leur avait posées le

16septembre2011 à l’issue des audiences tenues par la Cour (partieXI). Il soutient que les
violations graves des droits de l’homme et du dr oit international humanitaire, qui constituent des
crimes au regard du droit international, sont d es actes anti-juridiques, contraires au jus cogens , qui
ne sauraient être effacés ou voués à l’oubli par la simple invocation de l’immunité de l’Etat

(parties XII et XIII).

11. Le juge Cançado Trindade poursuit en examinant les conflits entre l’immunité de l’Etat

et le droit des victimes à l’accès à la justice que révèlent la jurisprudence internationale et la
jurisprudence des tribunaux internes (partie XIV) ; il estime qu’en pareil cas, c’est le droit à l’accès
à la justice qui doit l’emporter, eu égard à l’ importance accordée aujourd’hui (y compris par
l’Assemblée générale des Nations Unies) à l’Etat de droit, aussi bien à l’intérieur des Etats que sur

le plan international. Il rejette la distinction classique, qu’il estime d’ailleurs s’être estompée, entre
acta jure gestionis et acta jure imperii comme étant sans pertinence dans la présente affaire ; selon
lui, les crimes au regard du droit international qui sont le fait d’Etats (tels que ceux commis par le
III Reich durant la seconde guerre mondiale) ne sont ni des actes jure gestionis ni des actes

jure imperii, mais des crimes, delicta imperii , qui ne sauraient être c ouverts par aucune immunité
(partie XV).

12. Le juge Cançado Trindade envisage ensuite les immunités de l’Etat au regard des
préoccupations ayant trait à la personne humaine. Cette juxtaposition permet selon lui au droit
international (le droit des gens ) de se dégager d’une appréhensi on à courte vue des événements
passés, centrée sur les relations entre Etats (partieXVI). Il rappelle que le terme «immunité»

(immunitas en latin, dérivé de immunis ) est entré dans le vocabulaire du droit international par
référence aux «prérogatives» de l’Etat souverain, avec une connotation d’impunité. Ce terme était
censé désigner quelque chose de tout à fait exceptionnel, un privilège de juridiction ou d’exécution.
Il n’a jamais été question d’ériger l’immunité en principe ou d’en faire une norme d’application

générale. Le terme n’était certainement pas censé désigner un privilège de juridiction exonérant les
responsables de crimes au regard du droit intern ational ou de violations graves des droits de
l’homme et du droit international humanitaire, ou un moyen de couvrir de pareils actes.

13. Le juge Cançado Trindade soutient ainsi que lorsque des crimes ou des violations graves
de cet ordre ont été commis, il est parfaitement légitime que les individus concernés aient accès
directement à la juridiction internationale afin de fair e valoir leurs droits en tant que victimes, y

compris à l’encontre de l’Etat dont ils sont ressor tissants (partie XVII). Selon lui, si l’on accepte
de se départir de l’étroitesse de vue qu’implique la prise en considération des seules relations entre
Etats, l’individu apparaît bel et bien comme un su jet de droit internationa l (et non simplement un
«acteur»); chaque fois qu’une doctrine juridique s’écarte de cette vérité, il en résulte des

conséquences catastrophiques. Les individus so nt «titulaires» de droits et assujettis à des
obligations qui émanent directement du droit international (jus gentium) . En témoignent sans
équivoque les lignes de convergence qui se dégage nt du développement, ces dernières décennies,
du droit international des droits de l’homme, du droit international humanitaire et du droit

international des réfugiés, ainsi que du développement plus récent du droit pénal international. - 6 -

14. Pour lejugeCançadoTrindade, s’il y a impossibilité, elle ne concerne pas la levée de
l’immunité de l’Etat, puisque l’immunité n’ existe pas pour les crimes contre l’humanité

(parties XVIII et XIX). Ce qui doit être frappé d’impossibilité, c’est le déni du droit à l’accès à la
justice d’un individu victime de crimes au regard du droit international, de delicta imperii ; ce droit
comprend celui d’obtenir réparation des violations gr aves des droits naturels qui sont les siens de
par sa qualité d’être humain. Si ce droit n’est pas reconnu, il ne saurait y avoir de système

juridique interne ou international crédible. Il s’agit là d’un droit qui procède du jus cogens.

15. Ainsi, les immunités de l’Etat ne s’étendent pas au delicta imperii tels que les massacres

de civils sans défense (par exemple les massacr es commis à Distomo, en Grèce, en1944 et le
massacre de Civitella, perpétré en Italie en 194 4 également) ou la déportation aux fins du travail
forcé dans les industries de guerre (par exempl e les déportations qui ont eu lieu en1943-1945)
(partie XVIII). De l’avis du juge Cançado Trindade , la constatation de viol ations particulièrement

graves des droits de l’homme ou du droit interna tional humanitaire justifie la levée de toute
restriction juridictionnelle pouvant faire obstacle à l’indispensable mise en Œuvre de la justice. Peu
importe que l’acte illicite constituant une violation gr ave des droits de l’ho mme soit le fait d’un
Etat ou d’un individu agissant sous couvert d’un Etat, ou qu’il ait ou non été commis entièrement

sur le territoire de l’Etat du for (la déportation a ux fins du travail forcé est un crime qui ne connaît
pas les frontières). Il n’est pas d’immunité de l’Etat qui tienne lorsqu’il s’agit de réparer des
violations graves des droits fondamentaux de la personne humaine.

16. Le juge Cançado Trindade affirme ensuite que le droit à l’accès à la justice, entendu au
sens large, comprend non seulement le droit à l’a ccès formel à la justice (celui d’intenter une
action), le droit à un recours effectif, mais englobe aussi la garantie d’une procédure régulière (dans

laquelle les Parties sont à armes égales, c’est-à-dire la garantie d’un procès équitable), et s’étend
jusqu’au jugement (prestation juridictionnelle) et à l’exécution rigoureuse de celui-ci, y compris
pour ce qui concerne les réparations (partieXIX). La jurisprudence contemporaine va à certains
égards en ce sens, s’orientant vers le jus cogens (partiesXX etXXI). La mise en Œuvre de la

justice est en elle-même une forme de réparation, une «satisfaction» accordée à la victime. Ceux
qui ont souffert de l’oppression sont ainsi dûment rétablis dans leur «droit au droit» (partie XXII).

17. Le juge Cançado Trindade explique ensuite que même dans le domaine proprement dit
des immunités de l’Etat, on observe la prise de conscience d’une évolution qui tend à limiter ou à
écarter purement et simplement ces immunités lorsqu’un Etat a commis des violations graves des
droits de l’homme ou du droit international human itaire; cette évolution tient à l’avènement du

droit international des droits de l’homme, qui accorde une grande importance au droit à l’accès à la
justice et à la responsabilité internationale. Il ajoute que le devoir qui incombe à l’Etat d’accorder
réparation aux victimes de violations graves d es droits de l’homme ou du droit international
humanitaire est un devoir consacré par le droit inte rnational coutumier qui procède d’un principe

général fondamental du droit (partie XXII).

18. LejugeCançadoTrindade observe ensu ite qu’un courant d’opinion de plus en plus

puissant se manifeste aujourd’hui en faveur de la levée de l’immunité de l’Etat lorsque les victimes
de crimes au regard du droit international cherchen t à en obtenir réparation. Il ajoute qu’admettre
d’un côté que l’immunité de l’Etat puisse être levée dans des affaires concernant les relations
commerciales internationales ou la responsabilité ci vile de personnel expatrié (à la suite par

exemple d’accidents de la circulation) tout en pers istant de l’autre à vouloir couvrir, en préservant
leur immunité, des Etats qui ont, suivant une politiq ue criminelle, commis des crimes au regard du
droit international, sous la forme de viola tions graves des droits de l’homme et du droit
international humanitaire, relève d’une absurdité juridique. - 7 -

19. Le juge Cançado Trindade affirme que dans les affaires où sont en cause des faits d’une
gravité comparable à ceux qui sont à l’origine de la présente affaire, qui oppose l’Allemagne à

l’Italie (et dans laquelle la Grèce est Etat intervenant), le droit à l’accès à la justice, entendu au sens
large, doit être considéré en prêtant atten tion à son essence en tant que droit fondamental (comme
le fait la Cour interaméricaine des droits de l’hom me), plutôt qu’à ses restrictions admissibles ou
implicites (comme le fait la Cour européenne des droits de l’homme). Pour lui, les violations

graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ne sont autres que des violations
du juscogens , qui engagent la responsabilité de l’Etat et emportent pour les victimes le droit à
réparation (PartiesXXI et XXIII). Cette concepti on rejoint l’idée de «rectitude» (conformité à la
recta ratio du droit naturel) qui constitue l’assise de tout le droit

(Recht/Diritto/Droit/Direito/Derecho/Right), sans distinction de système juridique (partie XXIII).

20. Le jugeCançadoTrindade axe ensuite sa ré flexion sur le droit individuel à réparation,

indispensable pendant aux violations graves du dro it international à l’origine du préjudice subi par
les victimes. Le tout que forment les notions indissociables de violation/réparation a du reste,
ajoute-t-il, été reconnu par la Cour de La Haye (CPJ I et CIJ) dans une jurisprudence constante, et
l’effet prêté à tort à l’immunité de l’Etat en la matière ne saurait venir fissurer cet ensemble. Pour

le jugeCançadoTrindade, il n’est nullement jus tifié d’affirmer que, lorsque sont en cause de
violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, le régime des
réparations s’épuise au niveau interétatique, au détriment des individus vi ctimes de crimes de
guerre et de crimes contre l’humanité.

21. Le juge Cançado Trindade ajoute qu’il ressort clairement du dossier de la présente affaire
que des «internés militaires italiens» (d’anciens soldats faits prisonniers, auxquels fut dénié le statut

de prisonnier de guerre) victimes de violations graves des droits de l’homme et du droit
international humanitaire commises par l’Allemagn e nazie (ils avaient été déportés, en même
temps que des civils, en Allemagne pour y être ast reints au travail forcé dans l’industrie de

l’armement pendant la seconde guerre mondiale ⎯ en 1943-1945) attendent toujours d’être
indemnisés (partie XXIV). En application des deux accords qu’elle a conclus en 1961 avec l’Italie,
l’Allemagne a certes effectué d es versements au titre des réparations, mais le fait est que des
victimes sont restées exclues du champ d’application de ces instruments. L’Allemagne elle-même

reconnaît en outre que certains internés militaires italiens n’ont pas obtenu réparation en raison de
l’interprétation dont a fait l’objet sa loi de20 00 portant création de la fondation «Mémoire,
responsabilité et avenir».

22. L’Allemagne, en effet, n’a pas indemni sé ces internés militaires ita liens par l’entremise
de la fondation, mais s’est autorisée d’un avis d’expert pour commettre ce qui, de l’avis du
juge Cançado Trindade, constitue à leur égard une double injustice puisque, après leur avoir dénié

le statut de prisonnier de guerre, et donc les dro its associés à ce statut, elle a, à l’heure où ils
demandaient réparation des violations du droit international humanitaire dont ils avaient été
victimes (dont celle constituée par le refus de leur reconnaître ce statut), estimé qu’ils devaient être
traités comme des prisonniers de guerre (partieXXV) . Il est malheureusement trop tard pour les

considérer comme des prisonniers de guerre (et plus regr ettable encore de leur refuser à ce titre
réparation): ils auraient dû être considérés comme tels pendant, et immédiatement après, la
seconde guerre mondiale (aux fins de la protection associée à ce statut), mais ne l’ont pas été.

23. En somme, des victimes de violations graves des droits de l’homme et du droit
international humanitaire commises par l’Allemagne nazie ont de fait été privées de réparation. Or,
de l’avis du juge Cançado Trindade, on ne saurait laisser sans aucune forme de recours les victimes

d’atrocités perpétrées par un Etat. L’immunité de l’Etat n’est pas censée empêcher la saisine du
juge dans des circonstances de la nature de cell es qui sont en jeu en l’espèce. Elle ne doit pas - 8 -

empêcher la mise en Œuvre de la justice . La quête de la justice doit être préservée, en tant
qu’objectif suprême ; et, entre autres, pour que ju stice puisse leur être rendue, les victimes doivent

être mises en mesure de demander, et d’obtenir, réparation des crimes qu’elles ont subis.

24. Or, la mise en Œuvre de la justice est en soi une forme de réparation (satisfaction)

accordée aux victimes. C’est la réponse apportée pa r le Droit à ces graves violations, ce qui nous
amène dans le domaine du jus cogens . D’après le jugeCançadoTrindade, par la reparatio (du
verbe latin reparare, «rétablir»), le Droit intervient pour faire cesser les effets des atteintes portées à
son encontre, et pour garantir la non-répé tition des actes préjudiciables. La reparatio n’efface pas

les violations des droits de l’homme déjà commises mais, en en faisant cesser les effets, elle permet
tout au moins d’éviter l’aggrav ation (qu’entraine l’indifféren ce du milieu social, l’impunité ou
l’oubli) du préjudice déjà causé.

25. La reparatio , selon le juge Cançado Trindade, est investie d’une double signification : il
s’agit de donner aux victimes satisfaction (en tant que forme de réparation), tout en rétablissant
l’ordre juridique, qui repose sur le plein respect des droits naturels de la personne humaine,

lorsqu’il a été compromis par les violations commis es. L’ordre juridique, ainsi rétabli, exige des
assurances de non-répétition.

26. Poursuivant sa réflexion, le juge Cançado Trindade défend, dans la suite de son opinion

dissidente, la primauté du jus cogens et s’inscrit en faux contre sa déconstruction (partieXXVI).
On ne saurait, d’après lui, faire fond sur le postulat erroné ⎯ et formaliste ⎯ d’une absence de
conflit entre règles de nature «procédurale» et règl es de nature «matérielle» (voir ci-dessous), en

privant à tort le jus cogens des effets et conséquences juridiques qui lui sont attachés. Si conflit il y
a, et c’est le juscogens qui l’emporte, résistant ⎯ et survivant ⎯ aux tentatives faites, sans
justification aucune, pour le déconstruire. Auc un Etat ne saurait se prévaloir de la prérogative ou
du privilège que représente l’imm unité lorsqu’ont été commis des crimes au regard du droit

international, tels que le massacre de civils ou la déportation de civils et de prisonniers de guerre en
vue de leur astreinte au travail forcé : il s’agit là de violations graves d’interdits absolus relevant du
jus cogens, qui excluent toute immunité.

27. Le juge Cançado Trindade souligne que l’on ne peut aborde r des affaires de cette nature
⎯se rapportant à de graves violations des dr oits de l’homme et du droit international

humanitaire ⎯ sans prêter une grande importance aux valeurs humaines fondamentales . N’en
déplaise aux tenants du positivisme juridique, le droit et l’éthique vont forcément de pair, ce qu’il
convient de ne pas perdre de vue si l’on veut voir justice dûment rendue, aux niveaux national et
international. D’après le jugeCançadoTrinda de, les grands principes ici en jeu sont ceux

d’humanité et de dignité humaine. L’immunité d’ un Etat responsable de crimes internationaux ne
saurait, estime-t-il, se voir accorder priorité sur la responsabilité qui est celle de cet Etat et son
corollaire obligé, l’obligation de réparation lui incombant à l’égard des victimes.

28. L’opinion contraire (celle de la major ité) procède d’une démarche empirico-factuelle
consistant à dresser l’inventaire d’une jurispruden ce interne inadaptée, d’une part, et d’autre part,
de la pratique hétérogène reflétée par quelques lo is sur la question en cause. La méthodologie est

typique du positivisme juridique, qui accorde trop d’importance aux faits et ne fait aucun cas des
valeurs. Quoi qu’il en soit, même dans cette logique, l’examen des décisions rendues par des
juridictions nationales ne vient, selon le j ugCançado Trindade, nullement justifier la
reconnaissance de l’immunité de l’Etat lorsque l es actes incriminés sont des crimes au regard du

droit international. - 9 -

29. Il s’agit là, d’après le juge Cançado Trindade, d’exercices de positivisme conduisant à la
fossilisation du droit international, et révélateur s du sous-développement dans lequel celui-ci se

maintient, au lieu de connaître le développement progressif que l’on serait en droit d’attendre. A
cette méthodologie inappropriée sont associées d es notions inadéquates et douteuses, telles que
l’opposition entre règles de nature «procédur ale» et «matérielle». Il est, estime le
juge Cançado Trindade, faux de supposer qu’il n’existe, ni ne saurait exister, aucun conflit entre les

règles, de nature matérielle, «ayant valeur de juscogens » (qui interdisent «de tuer des civils en
territoire occupé ou de déporter des civils ou des prisonniers de guerre pour les astreindre au travail
forcé») et les règles de nature procédurale régissan t l’immunité de l’Etat. C’est là un postulat
tautologique qui conduit à reconnaître l’immunité de l’Etat même dans les graves circonstances qui

sont celles de la présente espèce.

30. Il existe donc bel et bien un conflit su r le fond, même si, d’un point de vue

formel, ce conflit peut ne pas être immédiatemen t discernable. Mais conflit il y a, répète le
jugeCançadoTrindade, et il est regrettable de se livrer à une déconstruction si parfaitement
injustifiée du juscogens , privant celui-ci des effets et consé quences juridiques qui sont les siens.
Le jugeCançadoTrindade note du reste que ce n’est pas la première fois que la Cour adopte une

telle démarche, citant, en ce qui concerne les dix dernières années, les arrêts qu’elle a rendus dans
les affaires du Mandat d’arrêt (2002) et des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Rwanda) (2006) ⎯ arrêts que la Cour rappelle, sans s’en dissocier, dans

la présente décision. Or il est, selon lui, grand temps de donner au jus cogens toute l’attention qu’il
requiert, et qu’il mérite.

31. La déconstruction du juscogens , à laquelle il est notamment procédé en l’espèce,

intervient, aux yeux du jugeCançadoTrindade , au détriment non seulement des victimes de
violations graves des droits de l’homme et du dr oit international humanitaire, mais également du
droit international contemporain lui-même. En résumé, la prérogative ou le privilège que

représente l’immunité de l’Etat n’a pas lieu d’être lorsque sont en cause des crimes au regard du
droit international, tels que le massacre de civils, ou le fait de déporter des civils et des prisonniers
de guerre pour les astreindre au travail forcé: il s’agit là de violations graves d’interdits absolus
relevant du jus cogens, à l’égard desquelles il ne saurait y avoir d’immunité.

32. Les immunités de l’Etat doivent cesser d’être abordées isolément, ou dans une
perspective atomisée (hors de tout contexte); e lles doivent maintenant être intégrées dans une
vision systémique du droit international contemporain, et du rôle que joue cet ordre juridique dans

la communauté internationale. Le juge Cançado Trindade ajoute qu’on ne saurait «geler» le droit
international en continuant, et persistant, à fair e fond sur certaines omissions du passé, intervenues
dans le cadre normatif (voir, par exemple, la génèse de la convention des NationsUnies sur

l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs bi ens de 2004) ou judiciaire (voir, par exemple, la
décision adoptée par la majorité des juges de la Gr ande chambre de la Cour européenne des droits
de l’homme dans l’affaire Al-Adsani (2001), invoquée par la Cour en la présente espèce).

33. En résumé, conclut le juge Cançado Trindade, le jus cogens prend rang avant la
prérogative ou le privilège que représente l’immun ité de l’Etat, avec toutes les conséquences que
cela implique, ce qui permet d’éviter tout déni de justice ou impunité. A la lumière de l’ensemble
de ses réflexions, le juge Cançado Trindade est in timement convaincu que l’immunité de l’Etat n’a

pas lieu d’être lorsque sont en cause des crimes au regard du droit international, de violations
graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, et telle est, selon lui, la
conclusion à laquelle aurait dû aboutir la Cour internationale de Justice dans le présent arrêt. - 10 -

Opinion dissidente de M. le juge Yusuf

Dans son opinion dissidente, le juge Yusuf se déclare dans l’impossibilité de s’associer aux
conclusions de la majorité parce qu’il estime que l’arrêt ne traite qu’incidemment de la question qui
était au cŒur du différend entre les Parties. Cette question centrale était celle du lien entre le défaut
de réparation à raison de crimes au regard du droit international et le refus d’accorder à

l’Allemagne l’immunité de juridic tion. En serait-on venu à considérer que protéger d’un déni de
justice les victimes de crimes au regard du droi t international est contraire à ce même droit?
LejugeYusuf considère que la Cour a manqué une occasion unique de préciser le droit et de se
prononcer sur l’effet que l’absence d’autres voies de recours peut avoir sur l’immunité de

juridiction devant les tribunaux internes. C’ est là un aspect du droit international qui est
manifestement en évolution, et la Cour, orga ne judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies, aurait dû guider cette évolution.

Le désaccord du jugeYusuf avec la major ité concerne de plus les principaux points
suivants : l’absence d’analyse adéquate de l’obligation de réparation en cas de violations graves du
droit international humanitaire (question intimement liée à celle du refus de reconnaître l’immunité
de l’Etat) ; le raisonnement et les conclusions concernant la portée et l’étendue de l’immunité et les

cas où il peut y être dérogé; enfin, la conception retenue par la majorité du rôle que jouent les
juridictions nationales dans la définition et l’évolution des normes du droit international coutumier,
en particulier dans le domaine de l’immunité de l’Etat.

Notant que la question de l’immunité de juri diction des Etats étrangers devant les tribunaux
nationaux dans les affaires où sont en cause des violations graves du droit international humanitaire
a été abondamment débattue par la doctrine et a récemment fait l’objet de décisions judiciaires
contradictoires, lejugeYusuf observe que le point sur lequel la Cour devait se prononcer n’était

qu’un aspect, étroitement circonscrit, de cette questi on, puisqu’il s’agissait pour elle de dire si le
refus des tribunaux italiens d’accorder à l’Allema gne l’immunité de juridiction à l’égard des
demandes en réparation présentées par les victimes des crimes nazis en l’absence de toute autre
voie de recours constituait ou non un fait internati onalement illicite. Or, la Cour a fait porter son

analyse sur la question plus générale de savoi r si l’immunité est applicable aux actes illicites
commis par les forces armées d’un Etat pendant un conflit armé. Pour le juge Yusuf, cette manière
d’aborder les questions centrales est «trop abstraite et formaliste» au regard de la situation vécue

par certaines catégories de victimes italiennes des crimes nazis qui, ayant cherché en vain à obtenir
réparation pendant plus de cinquante ans, en sont venues à soumettre leurs demandes aux tribunaux
italiens, dans lesquels elles voyaient une autre voie de recours. Alors que cet argument du «dernier
recours» était au cŒur du différend opposant l’Alle magne à l’Italie, la Cour ne s’est pas penchée

sur les incidences juridiques que le refus de l’Allemagne d’accorder réparation à certaines
catégories de victimes pouvait avoir sur la reconnais sance ou le refus à l’Allemagne de l’immunité
devant les tribunaux de l’Etat du for que prévoit le droit international, et s’est bornée à qualifier de
«regrettable» ce refus de réparation.

Le juge Yusuf trouve pour sa part regrettable que la Cour n’ait pas examiné la place, dans le
droit international, de l’obligation d’accorder réparation à raison de violations du droit international
humanitaire, alors même qu’en l’espèce, la question de savoir si cette obligation avait été remplie

ou non avait une incidence directe sur celle de la reconnaissance ou du refus de l’immunité de
juridiction. Il ajoute que cette obligation est énon cée à l’article 3 de la convention IV de La Haye
(1907) et à l’article91 du protocole additionnel I de 1977 aux conventions de Genève (1949), et
que si les questions touchant la réparation de telles violations so nt depuis longtemps réglées entre

Etats, on ne saurait en conclure que les particulie rs ne sont pas ou n’étaient pas censés être les
ultimes bénéficiaires des régimes de réparation ou n’ont pas le droit d’ introduire des demandes
d’indemnisation. Au cours des deux dernières décennies, il est devenu de plus en plus fréquent que
des particuliers cherchent à obtenir réparati on de violations graves du droit international

humanitaire ; on peut citer à cet égard les demand es portées devant les tribunaux japonais dans les
années 1990 par des personnes qui avaient été réduites en esclavage ou soumises à la torture et des - 11 -

«femmes de réconfort» qui avaient été astreint es au servage sexuel durant la seconde guerre
mondiale, les demandes introduites devant des tribunaux des Etats-Unis par l’Holocaust Restitution

Movement au nom de personnes astreintes au tr avail en esclavage pendant la guerre, l’affaire
Distomo en Grèce et l’affaire Ferrini en Italie. Le droit de la responsabilité de l’Etat n’exclut pas la
possibilité que des droits soient reconnus aux pa rticuliers victimes d’actes illicites commis par un
Etat, et le Comité international de la Croix Rouge, dans son commentaire de l’article91 du

protocole additionnelI, constate que depuis 1945, un courant de pensée s’est manifesté en faveur
de la reconnaissance de l’exercice individuel de tels droits. La question sur laquelle devait statuer
la Cour était donc de savoir ce qui devait se pa sser lorsque, l’Etat étranger ayant reconnu sa
responsabilité à raison de violations graves du dr oit international humanitaire, certaines des

victimes de ces violations n’étaient néanmoins pa s couvertes par les régimes de réparation et se
voyaient donc refuser toute indemnisation. En pareil cas, l’Etat devait-il être autorisé à se prévaloir
de son immunité devant les tribunaux internes pour se soustraire à son obligation de réparation ?

Le juge Yusuf s’intéresse ensuite à la portée de l’immunité de juridiction. A cet égard, il
précise que si l’immunité de l’Etat est une règle de droit coutumier et ne relève pas simplement de
la courtoisie, sa portée s’est réduite au cours du siècle passé, au fur et à mesure que le droit
international s’éloignait d’un système juridique centré sur l’Etat pour se transformer en un système

protégeant également les droits des êtres humains vis-à-vis de l’Etat. Les juridictions nationales
ont été le fer de lance de ce rétrécissement de la portée de l’immunité, et quoique le droit de
l’immunité joue un rôle important dans le maintien de relations ha rmonieuses entre les Etats, il ne

s’agit pas d’une règle dont la portée serait clairement définie en toutes circonstances ou dont la
stabilité serait absolue. L’immunité de l’Etat resse mble à un gruyère. Il n’y a, dès lors, pas grand
sens à considérer que certaines exceptions à l’immunité font partie du droit international coutumier,
nonobstant l’existence, aujourd’hui encore, de d écisions judiciaires nationales divergentes, et à

considérer que d’autres, fondées sur des décisions t out aussi contradictoires, étayent l’inexistence
de normes coutumières. Il serait, selon le juge Yusuf, plus juste de reconnaître que le droit
coutumier demeure, dans ce domaine, fragmentaire et incertain. Le jugeYusuf soutient que ces
incertitudes du droit international ne peuvent être levées en s’en tenant à l’examen des décisions

judiciaires contradictoires rendues par les juri dictions nationales — qui sont d’ailleurs peu
nombreuses en ce qui concerne les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire — pour
se livrer ensuite à un calcul mathématique. Selon lu i, le droit international coutumier ne se réduit
pas à des chiffres. Il estime en outre que l’immu nité de juridiction de l’Etat ne saurait être

interprétée hors de tout contexte. Les caractéristiques de chaque affaire, ainsi que les circonstances
dans lesquelles celles-ci s’inscrivent, la natu re des questions posées et l’évolution du droit
international doivent toutes être dûment prises en compte. Aussi, lorsque les immunités de
juridiction entrent en conflit avec certains droits fondamentaux relevant des droits de l’homme ou

du droit humanitaire, un équilibre devrait être rech erché entre les fonctions et l’objet intrinsèques
de l’immunité, d’une part, la protection et la réalisation des droits fondamentaux de l’homme et des
principes du droit humanitaire, d’autre part. En la présente affaire, il s’agit du droit à un recours
effectif, du droit à réparation à raison des do mmages subis du fait de violations du droit

humanitaire et du droit à la protection contre les dé nis de justice. Il conviendrait de prendre en
considération ces principes et d’apprécier la proporti onnalité ainsi que la légitimité de l’octroi de
l’immunité chaque fois que les règles du droit cout umier de l’immunité de l’Etat ou les exceptions

à celui-ci se révèlent soit fragmentaires, soit encore incertaines, comme en l’espèce. Enfin, selon le
juge Yusuf, le caractère préliminaire de la ques tion de l’immunité de juridiction n’empêche pas les
juridictions nationales ⎯ en l’espèce, italiennes ⎯ d’apprécier le contexte dans lequel la demande
a été formulée afin de donner une qualification ju ridique appropriée aux ac tes à l’égard desquels

l’immunité est revendiquée, et, lorsque cela est nécessaire, de mettre en balance les différents
facteurs sous-tendant l’affaire afin de déterminer si elles peuvent ou non exercer leur compétence.

Le juge Yusuf fait ensuite observer que le droit relatif à l’immunité de l’Etat a évolué au fil
des années du fait des décisions rendues par les ju ridictions nationales et que de nombreuses
exceptions aujourd’hui reconnues comme telles ⎯par exemple l’exception territoriale ou - 12 -

l’exception en matière d’emploi ⎯ont à l’origine été énoncées par un ou deux tribunaux.
D’importantes exceptions à l’immunité, telles que celles susmentionnées, auraient pu connaître un

sort fort différent si la décision rendue en Autr iche dans l’affaire Hol ubek c. Gouvernement des
Etats-Unis d’Amérique (ILR, vol.40, 1962, p.73), par exemple, avait été jugée contraire au droit
international de l’immunité. Un e norme naissante, qui reflète aujourd’hui une opiniojuris et une
pratique étatique largement répandues, aurait alors été tuée dans l’Œuf. De la même manière, les

décisions italiennes, ainsi que l’arrêt Distomo , pourraient être considérés comme s’inscrivant dans
un processus d’évolution plus général, où les décisions des juridictions nationales donnent
naissance à un certain nombre d’exceptions à l’immunité de juridiction. De toute évidence, les

règles de l’immunité de l’Etat et le droit des individus à réparation à raison de crimes
internationaux commis par les agents de l’Etat s ubissent une transformation. Dans la mesure où il
existe un conflit entre l’immunité de juridiction de l’Etat et les demandes découlant de crimes
internationaux, la première ne devrait pas être utilisée pour fair e écran aux réparations auxquelles

ont droit les victimes de tels crimes. Dans d es circonstances exceptionnelles, telles que celles dont
la Cour a eu à connaître, lorsqu’aucun autre rec ours n’est disponible, pareil conflit devrait être
tranché en faveur des victimes de violations grav es du droit international humanitaire. Cela ne
porterait pas atteinte à l’indépendance ou à la souveraineté des Etats, mais contribuerait simplement

à la cristallisation d’une exception en devenir à l’immunité de l’Etat, exception fondée sur
l’opinio juris largement répandue, selon laquelle il convient de garantir la réalisation de certains
droits fondamentaux de l’homme, tels que le dr oit à un recours effectif, lorsque, à défaut, les
victimes seraient privées de voie de recours.

Pour finir, le juge Yusuf précise que ses observations ne doivent pas être interprétées comme
signifiant que l’immunité doit être écartée chaque fois que des demandes de réparation à raison de
crimes au regard du droit international commis par un Etat étranger sont soumises à des juridictions

nationales. Il s’agit plutôt de souligner la nécessité d’interpréter le droit dans le sens dans lequel il
évolue d’ores et déjà, celui d’une exception limitée et réaliste à l’immunité de l’Etat lorsque les
victimes de crimes internationaux ne disposent d’au cune autre voie de recours. Le fait que les
tribunaux nationaux se déclarent compétents dans ces circonstances exceptionnelles, à savoir

lorsqu’il n’y a pas eu réparation par d’autres moye ns, ne risque ni de perturber les relations
harmonieuses entre Etats, ni de porter atteinte à la souveraineté des Etats. La protection des
victimes de crimes au regard du droit international contre les dé nis de justice par les tribunaux
nationaux ne peut constituer une violation du droit internationa l. Pareille exception à l’immunité

de juridiction fait, selon le juge Yusuf, concorder le droit de l’immunité de l’Etat avec l’importance
normative croissante que la communauté internati onale attache à la protection des droits de
l’homme et du droit humanitaire ainsi qu’avec la r éalisation du droit à un recours effectif pour les

victimes de crimes internationaux.

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Gaja

1. La Cour a conclu que «le droit interna tional coutumier impos[ait] toujours de reconnaître
l’immunité à l’Etat dont les forces armées ou d’au tres organes sont accusés d’avoir commis sur le
territoire d’un autre Etat des act es dommageables au cours d’un c onflit armé». L’examen de la
pratique étatique pertinente relative à l’«exception territoriale» à l’immunité de l’Etat ne semble

cependant pas justifier une conclusion aussi catégorique.

2. La convention des Nations Unies sur l’immunité juridictionnelle des Etats et de leurs biens

prévoit une «exception territoriale». Elle ne reconnaît pas aux Etats étrangers l’immunité en ce qui
concerne leurs activités militaires, et ce, bien que ses travaux préparatoires contiennent des
éléments indiquant qu’elle ne s’applique pas aux «situations liées à des conflits armés». - 13 -

3. Neuf des dix Etats ayant légiféré sur la question de l’immunité des Etats étrangers ont
prévu une «exception territoriale». Certaines des lois en question disposent qu’il y a néanmoins

immunité à l’égard de la conduite des forces militaires étrangères, mais seules sont visées les forces
qu’un Etat accueille sur son territoire, et non ce lles d’un Etat étranger o ccupant. La pratique,
incontestée, de ces neuf Etats est significative. Si les exceptions à l’immunité ainsi énoncées
étaient infondées au regard du droit international général, la responsabilité internationale de ces

Etats serait engagée.

4. La diversité des décisions judiciaires nationales révèle que cette question se situe dans une

«zone grise», les Etats pouvant adopter des pos itions différentes sans nécessairement s’écarter des
prescriptions du droit international général.

5. Un facteur qui pourrait contribuer à justifie r une approche restrictive de l’immunité de

l’Etat dans le cadre de l’applica tion de l’«exception territoriale» est la nature de l’obligation (par
exemple, une obligation découlant d’une norme impérative) dont l’inobservation a donné lieu à
l’action en réparation engagée contre l’Etat étranger.

6. La Cour aurait dû juger que, au moins en ce qui concerne certaines décisions des
tribunaux italiens, l’exercice par ceux-ci de leur juridiction ne pouvait être considéré comme
contrevenant au droit international général.

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Résumé de l'arrêt du 3 février 2012

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