Résumé de l'arrêt du 11 juin 1998

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7475
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Number (Press Release, Order, etc)
1998/4
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE DE LAFRONTIÈRE TERRESTRE ET MARITIME
ENTRE LE CAMEROUN ET LE NIGÉRIA(CAMEROUN c. NIGÉRIA)

(EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES)

Arrêt du 11 juin 1998

Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires CONTRE : M. Koroma, juge;

présentées par le Nigéria dans l’affaire de la Frontière c) par quinze voix contre deux,
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria Rejette la troisième exception préliminaire;
(Cameroun c. Nigéria), la Cour s’est déclarée compétente POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,
pour examiner sur le fond l’affaire introduite par le
Cameroun. Elle a également jugé les demandes du Vice-Président; MM O.da, Bedjaoui, Guillaume,
Cameroun recevables. Rameeva, Herczegh, Shi, Fl eischhauer, Vereshchetin,
M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
Dans une requête en date du 29 mars 1994, amendée le juges; M. Mbaye, juge ad hoc;
6juin 1994, le Cameroun avait demandé à la Cour de se CONTRE: M.Koroma, juge; M.Ajibola, juge ad
prononcer sur la question de la souveraineté sur la presqu’île
de Bakassi et sur des îles dans le lac Tchad, et de définir le hoc;
tracé de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun d) par treize voix contre quatre,
et le Nigéria. Pour fonder la compétence de la Cour, le Rejette la quatrième exception préliminaire;

Cameroun s’était référé aux déclarations des deux États POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,
reconnaissant sa compétence comme obligatoire (Art.36, Vice-Président; MMB . edja oui, Guillaume, Ranjeva,
par. 2 du Statut de la Cour). Herczegh, Shi, Fleisc hhauer, Vereshchetin,
Le 13décembre 1995, le Nigéria avait soulevé huit M me Higgins, MM. Kooijmans, Rezek, juges; M. Mbaye,
juge ad hoc;
exceptions préliminaires mettant en cause la compétence de
la Cour et la recevabilité des demandes du Cameroun. CONTRE: MM.Oda, Koroma, Parra-Aranguren,
La Cour était composée comme suit : M. Schwebel, juges; M. Ajibola, juge ad hoc;
Président; M. eeramantry, Vice-Président, MMO. da, e) par treize voix contre quatre,
Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer,
me Rejette la cinquième exception préliminaire;
Koroma, Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra- POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,
Aranguren, Kooijmans, Rezek, juges; MM. Mbaye, Ajibola, Vice-Président; MMB . edja oui, Guillaume, Ranjeva,
juges ad hoc; M. Valencia-Ospina, Greffier. Herczegh, Shi, Fleischhauer, M meHiggins, MM. Parra-
Aranguren, Kooijmans, Rezek , juges; M.Mbaye, juge
*
* * ad hoc;
CONTRE: MM.Oda, Koroma, Vereshchetin, juges,
Le texte du dispositif se lit comme suit : M. Ajibola, juge ad hoc;
« 118. Par ces motifs, f) par quinze voix contre deux,

LA COUR, Rejette la sixième exception préliminaire;
1) a) par quatorze voix contre trois, POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,
Vice-Président; MM O.da, Bedjaoui, Guillaume,
Rejette la première exception préliminaire;
POU:RMSc.hwebel , Président; MO.da, Rameeva, Herczegh, Shi, Fl eischhauer, Vereshchetin,
Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
Fleischhauer, Vereshchetin, M me Higgins, MM. Parra- juges; M. Mbaye, juge ad hoc;
Aranguren, Kooijmans, Rezek , juges; M.Mbaye, juge CONTRE: M.Koroma, juge, M.Ajibola, juge ad
hoc;
ad hoc;
CONTR:EM W.eeram antry, Vice-Président; g) par douze voix contre cinq,
M. Koroma, juge; M. Ajibola, juge ad hoc; Rejette la septième exception préliminaire;
b) par seize voix contre une, POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry,

Rejette la deuxième exception préliminaire; Vice-Président; MMB . edja oui, Guillaume, Ranjeva,
POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry, Herczegh, Shi, Fleischhauer, Vereshchetin, Parra-
Vice-Président; MMO.da, Bedjaoui, Guillaume, Aranguren, Rezek, juges; M. Mbaye, juge ad hoc;
CONTRE : MM. Oda, Koroma, M meHiggins,
Rameeva, Herczegh, Shi, Fl eischhauer, Vereshchetin, M. Kooijmans, juges; M. Ajibola, juge ad hoc;
M Higgins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
juges; MM. Mbaye, Ajibola, juges ad hoc; 2) par douze voix contre cinq,

35 Déclare que la huitième exception préliminaire n’a incidents entre les deux pays, ... de bien vouloir déterminer

pas, dans les circonstances de l’espèce, un caractère le tracé de la frontière maritime entre les deux États au-delà
exclusivement préliminaire; de celui qui avait été fixé en 1975». La requête invoquait,
POUR: M.Schwebel, Président; M.Weeramantry, pour fonder la compétence de la Cour, les déclarations par
Vice-Président; MMB . edja oui, Guillaume, Ranjeva, lesquelles les deux Parties ont accepté la juridiction de la
Herczegh, Shi, Fleischhauer, Vereshchetin, Parra- Cour au titre du paragraphe 2 de l’Article 36 du Statut de la
Cour.
Aranguren, Rezek, juges; M. Mbaye, juge ad hme;
CONTRE : MM. Oda, Koroma, M Higgins, Le 6juin1994, le Cameroun a déposé au Greffe une
M. Kooijmans, juges; M. Ajibola, juge ad hoc; requête additionnelle «aux fins d’élargissement de l’objet
3) par quatorze voix contre trois, du différend » à un autre différend décrit comme « port[ant]
essentiellement sur la question de la souveraineté sur une
Dit qu’elle a compétence, sur la base du partie du territoire camerounais dans la zone du lac Tchad ».
paragraphe 2 de l’Article 36 du Statut, pour statuer sur le
différend; Le Cameroun demandait également à la Cour de «préciser
POU:RM S.hwebel , Président; MMO.da, définitivement» la frontière entre les deuxÉtats du lac
Tchad à la mer, et la priait de joindre les deuxrequêtes et
Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Hmeczegh, Shi, «d’examiner l’ensemble en un e seule et même instance».
Fleischhauer, Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra- La requête additionnelle se référait, pour fonder la
Aranguren, Kooijmans, Rezek , juges; M.Mbaye, juge compétence de la Cour, à la «base de ... compétence...
ad hoc; déjà ... indiquée » dans la requête introductive d’instance du

CONTR:EM W .eeram antry, Vice-Président; 29 mars 1994.
M. Koroma, juge; M. Ajibola, juge ad hoc; Lors d’une réunion que le Président de la Cour a tenue
4) par quatorze voix contre trois, avec les représentants des Parties le 14 juin 1994, l’agent du
Dit que la requête déposée par la République du Nigéria a déclaré ne pas voir d’objection à ce que la requête

Cameroun le 29mars 1994, telle qu’amendée par la additionnelle soit traitée, ainsi que le Cameroun en avait
requête additionnelle du 6 juin 1994, est recevable. exprimé le souhait, comme un amendement à la requête
POU:RM S.hwebel , Président; MMO.da, initiale, de sorte que la Cour puisse examiner l’ensemble en
Bedjaoui, Guillaume, Ranjeva, Herczegh, Shi, une seule et même instance. Par une ordonnance en date du
Fleischhauer, Vereshchetin, M me Higgins, MM. Parra- 16juin1994, la Cour a indiqué qu’elle ne voyait pas elle-
même d’objection à ce qu’il soit ainsi procédé, et a fixé des
Aranguren, Kooijmans, Rezek , juges; M.Mbaye, juge délais pour le dépôt des plaidoiries écrites.
ad hoc;
CONTR:EM W .eeram antry, Vice-Président; Le Cameroun a dûment déposé son mémoire. Dans le
M. Koroma, juge; M. Ajibola, juge ad hoc. » délai fixé pour le dépôt de son contre-mémoire, le Nigéria a
déposé des exceptions prélimin aires à la compétence de la
* Cour et à la recevabilité de la requête. En conséquence, par
une ordonnance en date du 10janvier1996, le Président de
* *
me la Cour, constatant qu’en vertu des dispositions du
MM O.da,Vereshchetin,M Higgins, MM. Parra- paragraphe3 de l’article79 du Règlement, la procédure sur
Aranguren et Kooijmans, juges, ont joint à l’arrêt les le fond était suspendue, a fixé au 15mai1996 la date
exposés de leur opinion individuelle. M.Weeramantry, d’expiration du délai dans lequel le Cameroun pourrait
Vice-Président, M.Koroma, juge , et M.Ajibola, juge ad présenter un exposé écrit c ontenant ses observations et
hoc, ont joint les exposés de leur opinion dissidente. conclusions sur les exceptions préliminaires. Le Cameroun a

* dûment déposé un tel exposé.
Le Cameroun a désigné M.Kéba Mbaye, et le Nigéria
* * M.Bola Ajibola pour siéger en l’affaire comme juges
ad hoc.
Rappel de la procédure et demandes des Parties
(par. 1 à 19) Suite à une demande présentée par le Cameroun et après
avoir entendu les Parties, laCour avait indiqué certaines
La Cour commence par rappeler que le 29 mars 1994, le mesures conservatoires par une ordonnance en date
Cameroun a déposé une requête introductive d’instance du 15 mars 1996.
contre le Nigéria au sujet d’un différend présenté comme
Des audiences publiques concernant les objections
« port[ant] essentiellement sur la question de la souverainetépréliminaires ont été tenues entre le 2 et le 11 mars 1998.
sur la presqu’île de Bakassi». Le Cameroun exposait en Les demandes formulées par le Cameroun dans la
outre dans sa requête que la «délimitation [de la frontière requête et dans la requête additionnelle, ainsi que les
maritime entre les deux États] est demeurée partielle et conclusions présentées par le Cameroun dans le mémoire
[que] les deux parties n’ont pas pu, malgré de nombreuses
tentatives, se mettre d’accord pour la compléter». Il priait (voir par.16 à 18 de l’arrêt) n’ont pas été reproduites dans
en conséquence la Cour, «[a]fin d’éviter de nouveaux ce résumé par souci de brièveté.

36 Les huit exceptions soulevées par le Nigéria dans les première impression»; que l’arrêt rendu alors est dépassé;
exceptions préliminaires et à l’ audience publique du 9mars qu’il est resté isolé; que le droit international, spécialement

1998 (voir par.18 et 19 de l’arrêt) n’ont pas été reproduites en ce qui concerne la bonne foi, a évolué depuis lors et que,
non plus. La description par la Cour de l’objet de chacune conformément à l’Article 59 du Statut, ledit arrêt ne jouit de
des exceptions préliminaires a été reproduite dans la partie l’autorité de la chose jugée que pour les parties en litige et
pertinente de ce résumé. Le Cameroun, dans ses dans le cas qui a été décidé. Pour ces motifs, la solution
observations écrites sur les ex ceptions préliminaires du retenue en 1957 ne devrait pas l’être en l’espèce. Le Nigéria
Nigéria et à l’audience publique du 11mars1998, a prié la s’oppose à l’argumentation tirée par le Cameroun de
Cour de rejeter les exceptions, ou, à titre subsidiaire, de les l’Article102 de la Charte. Il prétend aussi qu’en l’espèce il

joindre au fond, et de dire qu ’elle a compétence pour traiter n’a jamais accepté la compétence de la Cour et que de ce
de l’affaire et que la requête est recevable. fait il n’y a pas forum prorogatum.
Le Cameroun conteste chacun de ces arguments.
Première exception préliminaire Citant les dispositions des paragraphes2 et 4 de
(par. 21 à 47)
l’Article 36 du Statut, la Cour rappelle que, dans l’affaire du
Selon la première exception, la Cour n’a pas compétence Droit de passage sur territoire indien, elle a conclu que :
pour connaître de la requête du Cameroun. «par le dépôt de sa déclaration d’acceptation entre les
mains du Secrétaire généra l, l’État acceptant devient
Dans cette perspective, le Nigéria expose qu’il avait Partie au système de la disposition facultative à l’égard
accepté la juridiction obligatoire de la Cour par déclaration
datée du 14août 1965 remise au Secrétaire général des de tous autres États déclaran ts, avec tous les droits et
Nations Unies le 3septembre 1965. Le Cameroun, quant à obligations qui découlent de l’Article36. Le rapport
lui, a accepté cette juridiction par déclaration remise au contractuel entre les Parties et la juridiction obligatoire
Secrétaire général le 3mars 1994. Ce dernier a transmis de la Cour qui en découle so nt établis “de plein droit et
sans convention spéciale” du fait du dépôt de la
copie de la déclaration cameroun aise aux Parties au Statut déclaration... C’est en effet ce jour-là que le lien
onze mois et demi plus tard. Le Nigéria indique qu’il n’avait consensuel qui constitue la base de la disposition
donc aucun moyen de savoir et ne savait pas, à la date
d’introduction de la requête, soit le 29mars 1994, que le facultative prend naissance entre les États intéressés.»
Cameroun avait remis une déclaration. Le Cameroun aurait (Droit de passage sur territoire indien,
par suite « agi prématurément ». En procédant de la sorte, le C.I.J. Recueil 1957, p. 146.)
demandeur «aurait violé son obligation d’agir de bonne Les conclusions auxquelles la Cour était ainsi parvenue
en 1957 traduisent l’essence même de la clause facultative
foi, abusé du système institué par l’Article 36,
paragraphe2, du Statut» et méconnu «la condition de d’acceptation de la juridiction obligatoire. Tout État partie
réciprocité» prévue par cet article ainsi que par la au Statut, en acceptant la juridiction de la Cour
déclaration du Nigéria. La Cour ne serait par suite pas conformément au paragraphe 2 de l’Article 36, accepte cette
compétente pour connaître de la requête. juridiction dans ses relations avec les États ayant
antérieurement souscrit à la mê me clause. En même temps,
Le Cameroun considère au contraire que sa requête il fait une offre permanente aux autres États parties au Statut
remplit toutes les conditions requises par le Statut. Il n’ayant pas encore remis de déclaration d’acceptation. Le
rappelle que, dans l’affaire du Droit de passage sur
territoire indien, la Cour a jugé que jour où l’un de ces États accep te cette offre en déposant à
«le Statut ne prescrit aucun délai entre le dépôt par un son tour sa déclaration d’acceptation, le lien consensuel est
État d’une déclaration d’acceptation et d’une requête, et établi et aucune autre condition n’a besoin d’être remplie.
Ayant rappelé que son arrêt dans l’affaire du Droit de
que le principe de réciprocité n’est pas affecté par un passage sur territoire indien a été réaffirmé dans des
délai dans la réception par les Parties au Statut des affaires postérieures, la Cour note qu’il est vrai comme
copies de la déclaration» ( Droit de passage sur
territoire indien, exceptions préliminaires, arrêt, soutenu par le Nigéria que les arrêts de la Cour,
C.I.J. Recueil 1957, p. 147). conformément à l’Article59, ne sont obligatoires que pour
les parties en litige et dans le cas qui a été décidé. Il ne
Le Cameroun souligne qu’il n’existe aucune raison de saurait être question d’oppose r au Nigéria les décisions
revenir sur ce précédent, au risque d’ébranler le système de prises par la Cour dans des affaires antérieures. La question
la juridiction obligatoire reposant sur la clause facultative. Il est en réalité de savoir si, dans la présente es pèce, il existe
ajoute que la déclaration camer ounaise était en vigueur dès
le 3mars 1994, du fait qu’à cette date elle avait été pour la Cour des raisons de s’écarter des motifs et des
enregistrée conformément à l’Article102 de la Charte des conclusions adoptés dans ces précédents.
Nations Unies. Le Cameroun expose qu’en tout état de Ayant examiné les travaux préparatoires des dispositions
de la Convention de Vienne sur le droit des traités, sur
cause le Nigéria s’est comporté depuis l’ouverture de lesquelles le Nigéria fonde son argumentation selon laquelle
l’instance de manière telle qu’il doit être regardé comme l’interprétation donnée en 1957 du paragraphe 4 de
ayant accepté la compétence de la Cour.
Le Nigéria fait valoir en réponse que « l’affaire du Droit l’Article36 du Statut devrait être revue à la lumière de
de passage sur territoire indien correspondait à une l’évolution du droit des traités intervenue depuis lors, la

37Cour conclut que la règle générale qui a trouvé son La Cour observe que le principe de la bonne foi est un
expression dans les articles 16 et 24 de la Convention de principe bien établi du droit international. Mais elle note par

Vienne, et qui ne saurait être appliquée aux déclarations ailleurs que, si ce principe «est l’un des principes de base
d’acceptation de la juridiction obligatoire que par analogie, qui président à la création et à l’exécution d’obligations
est la suivante: le dépôt des instruments de ratification, juridiques ..., il n’est pas en soi une source d’obligation
d’acceptation, d’ap probation ou d’adhésion établit le quand il n’en existerait pas autr ement». Or, il n’existe en
consentement d’un État à être lié par un traité; ce dernier droit international aucune obligation spécifique pour les
entre en vigueur à l’égard de cet État le jour de ce dépôt. États d’informer les autres État s parties au Statut qu’ils ont
Ainsi, les règles adoptées en ce domaine par la Convention l’intention de souscrire à la cl ause facultative ou qu’ils ont

de Vienne correspondent à la solution retenue par la Cour souscrit à ladite clause. En conséquence, le Cameroun
dans l’affaire du Droit de passage sur territoire indien . n’était pas tenu d’informer le Nigéria qu’il avait l’intention
Cette solution doit être maintenue. de souscrire ou qu’il avait souscrit à la clause facultative. Le
Le Nigéria souligne cependant qu’en tout état de cause Cameroun n’était pas davantage tenu d’informer le Nigéria
le Cameroun ne pouvait déposer une requête devant la Cour de son intention de saisir la Cour. En l’absence de telles
obligations et de toute atteinte aux droits correspondants du
sans laisser s’écouler un délai raisonnable «pour permettre
au Secrétaire général de s’acquitter de la tâche qu’il devait Nigéria, ce dernier n’est pas fondé à se prévaloir du principe
remplir pour ce qui est de la déclaration du Cameroun du de la bonne foi à l’appui de ses conclusions.
3mars 1994». Le respect d’un tel délai s’imposerait En ce qui concerne les faits de l’espèce, sur lesquels les
d’autant plus que, selon le Nigéria, la Cour, dans son arrêt Parties ont beaucoup insisté, la Cour, indépendamment de
du 26novembre 1984 rendu en l’affaire des Activités toute considération de droit, ajoute que le Nigéria n’était pas
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci , dans l’ignorance des intentions du Cameroun. À cet égard,

a exigé un délai raisonnable pour le retrait des déclarations la Cour fait référence à une communication du Nigéria au
facultatives d’acceptation de la juridiction obligatoire. Conseil de sécurité, datée du 4mars 1994, ainsi qu’à une
La Cour estime que la solution de l’arrêt de 1984 information parue dans le Journal des Nations Unies ,
relative au retrait des déclarations d’acceptation de la diffusé ce même jour, et à des déclarations faites lors de la
juridiction obligatoire n’est pas transposable au cas de la session extraordinaire de l’organe central du mécanisme de
l’Organisation de l’unité africaine pour la prévention, la
remise de ces déclarations. En effet, le retrait met fin à des gestion et le règlement des conflits en date du 11 mars 1994.
liens consensuels existants alors que la remise établit de tels
liens. Par suite, le retrait a pour conséquence de priver Le Nigéria rappelle en troisième lieu que, par sa
purement et simplement les autres États ayant déclaration remise le 3 septembre 1965, il avait reconnu
antérieurement accepté la comp étence de la Cour du droit «comme obligatoire de plein droit et sans convention
qu’ils avaient de saisir cette dernière d’un différend les spéciale, à l’égard de tout autre État acceptant la même
opposant à l’État ayant retiré sa déclaration. À l’inverse, la
obligation, c’est-à-dire sous la seule condition de
remise d’une déclaration ne prive ces mêmes États d’aucun réciprocité, la juridiction de la Cour internationale de
droit acquis. À la suite d’une telle remise, aucun délai n’est Justice conformément au paragraphe 2 de l’Article 36 du
dès lors requis pour l’établissement d’un lien consensuel. Statut de la Cour ».
Le Nigéria expose en deuxième lieu que le Cameroun a Le Nigéria soutient qu’à la date d’introduction de la
omis de l’informer du fa it qu’il entendait accepter la
juridiction de la Cour, puis du fait qu’il avait accepté cette requête du Cameroun, il ignorait que ce dernier avait
accepté la juridiction obligatoire de la Cour. Il n’aurait donc
juridiction et enfin qu’il avait l’intention de déposer une pu présenter une requête contre le Cameroun. Il y avait dès
requête. Le Nigéria soutient en outre que le Cameroun aurait lors absence de réciprocité à cette date. La condition
même continué, au cours du premier trimestre 1994, à contenue dans la déclaration du Nigéria jouait; en
entretenir avec lui des contacts bilatéraux sur les questions conséquence, la Cour serait in compétente pour connaître de
de frontières alors qu’il s’appr êtait à s’adresser à la Cour. la requête.
Un tel comportement, selon le Nigéria, porterait atteinte au
Le Cameroun conteste cette argumentation tant en fait
principe de la bonne foi qui jouerait aujourd’hui un rôle plus qu’en droit. Il souligne que la condition de réciprocité n’a
grand dans la jurisprudence de la Cour qu’autrefois; il ne jamais eu dans l’esprit des États parties à la clause
saurait être accepté. facultative le sens que lui attribue aujourd’hui le Nigéria.
Le Cameroun, pour sa part, fait valoir qu’il n’avait
aucune obligation d’informer à l’avance le Nigéria de ses La Cour, notant qu’elle a eu à de nombreuses reprises à
intentions ou de ses décisions. Il ajoute qu’en tout état de s’interroger sur le sens qu’ il convient de donner à la
condition de réciprocité pour l’application du paragraphe2
cause «le Nigéria n’a nullement été pris par surprise par le de l’Article 36 du Statut, observe qu’en définitive, la notion
dépôt de la requête camerounaise, et ... connaissait de réciprocité porte sur l’ét endue et la substance des
parfaitement l’intention du Cameroun en ce sens plusieurs engagements, y compris les réserves dont ils
semaines avant le dépôt». Le principe de la bonne foi s’accompagnent, et non sur les conditions formelles
n’aurait en rien été méconnu.

38relatives à leur création, leur durée ou leur dénonciation; et frontière ont été menées dans des cadres variés à des
que par voie de conséquence, le principe de réciprocité n’est niveaux divers: chefs d’État, ministres des affaires

pas affecté par un délai dans la réception par les Parties au étrangères, experts. Elles ont été actives durant la période
Statut des copies de la déclaration. allant de 1970 à 1975, puis elles ont été interrompues
La Cour estime que le Nigéria n’apporte pas de preuve à jusqu’en 1991.
l’appui de sa thèse selon laquelle il aurait entendu insérer Abordant les questions de droit, la Cour traite alors de la
dans sa déclaration du 14août 1965 une condition de première branche de l’exception nigériane. Elle rappellera

réciprocité ayant un sens différent de celui que la Cour avait tout d’abord que « [l]a négociation et le règlement judiciaire
donné à de telles clauses en 1957. Le membre de phrase sont l’une et l’autre cités comme moyens de règlement
additionnel pertinent dans la déclaration nigériane « c’est-à- pacifique des différends à l’Article33 de la Charte des
dire sous la seule condition de réciprocité» doit être Nations Unies». Elle observe qu’il n’existe ni dans la
considéré comme explicatif et ne posant aucune condition Charte, ni ailleurs en droit international, de règle générale
supplémentaire. Une telle interprétation «est en harmonie selon laquelle l’épuisement des négociations diplomatiques
avec la manière naturelle et raisonnable de lire le texte» et serait un préalable à la saisine de la Cour et qu’un tel

la condition de réciprocité du Nigéria ne saurait être préalable n’avait pas été incorporé dans le Statut de la Cour
regardée comme une réserve ratione temporis. permanente de Justice intern ationale, contrairement à ce
La première exception prél iminaire du Nigéria doit en qu’avait proposé le Comité consultatif de juristes en 1920. Il
conséquence être rejetée. La Cour n’aura par suite pas à ne figure pas davantage à l’Article36 du Statut de la
examiner l’argumentation tirée par le Cameroun de présente Cour. Aucune réserve contenant un tel préalable
l’Article 102 de la Charte, ni les conclusions subsidiaires du n’avait en plus été insérée dans les déclarations du Nigéria
ou du Cameroun à la date d’introduction de la requête.
Cameroun fondées sur le forum prorogatum. La Cour est en
tout état de cause compétente pour connaître de la requête Par ailleurs, le fait que les deux États aient tenté, lors de
du Cameroun. contacts bilatéraux, de résoudre certaines des questions
frontalières les opposant n’impliquait pas que l’un ou l’autre
Deuxième exception préliminaire ait exclu la possibilité de porter tout différend frontalier le
concernant dans d’autres enceintes et notamment devant la
(par. 48 à 60)
Le Nigéria soulève une deuxième exception préliminaire Cour internationale de Justice. Dans sa première branche,
l’exception du Nigéria ne saurait en conséquence être
en exposant que pendant accueillie.
« au moins vingt-quatre ans avant le dépôt de la requête, Passant à la seconde branch e de l’exception, la Cour
les Parties ont, au cours des contacts et des entretiens examine alors si les conditions fixées par la jurisprudence
qu’elles ont eus régulièrement, accepté l’obligation de pour qu’existe une situation d’ estoppel sont réunies en
régler toutes les questions frontalières au moyen des
mécanismes bilatéraux existants ». l’espèce.
L’existence d’une telle situation supposerait que le
Selon le Nigéria, un accord implicite serait ainsi Cameroun ait adopté un comportement ou fait des
intervenu en vue de recourir exclusivement à ces déclarations qui auraient atte sté d’une manière claire et
mécanismes et de ne pas invoquer la compétence de la Cour constante qu’il avait accepté de régler le différend de
internationale de Justice. À titre subsidiaire, le Nigéria
soutient que la conduite du Cameroun a créé une situation frontières soumis aujourd’hui à la Cour par des voies
exclusivement bilatérales. Elle impliquerait en outre que le
d’estoppel qui lui interdirait de s’adresser à la Cour. Le Nigéria, se fondant sur cette attitude, ait modifié sa position
Nigéria invoque enfin le principe de la bonne foi et la règle à son détriment ou ait subi un préjudice quelconque. Ces
pacta sunt servanda à l’appui de son argumentation. conditions ne sont pas remplies en l’espèce. En effet, le
Le Cameroun expose que les organes bilatéraux qui ont Cameroun n’a pas reconnu un caractère exclusif aux
traité de diverses difficultés frontalières apparues entre les négociations menées avec le Nigéria, pas plus que le Nigéria
deux pays n’ont eu qu’une existence intermittente et
ne semble l’avoir fait; en outre ce dernier n’établit pas avoir
qu’aucun mécanisme institutionnel permanent n’a été mis modifié sa position à son détriment ou avoir subi un
sur pied. Il souligne en outre qu’aucun accord explicite ou préjudice. Le Cameroun, en saisissant la Cour, n’a pas
implicite n’est intervenu entre les Parties pour conférer une méconnu les règles de droit invoquées par le Nigéria à
compétence exclusive à de tels organes. Enfin, selon le l’appui de sa deuxième exception. Le Nigéria n’est par suite
Cameroun, les conditions fixées par la jurisprudence de la pas fondé à se prévaloir du principe de la bonne foi et de la
Cour pour qu’existe une situation d’estoppel ne seraient pas règle pacta sunt servanda , principe et règle qui ne

réunies en l’espèce. Dès lors, il n’y aurait pas lieu à concernent que l’exécution d’obligations existantes. Dans sa
application du principe de la bonne foi et de la règle pacta seconde branche, l’exception du Nigéria ne saurait être
sunt servanda. accueillie.
Ayant rappelé les faits pertinen ts en la matière, la Cour La deuxième exception prél iminaire doit ainsi être
constate que les négociations entre les deux États rejetée dans sa totalité.
concernant la délimitation ou la démarcation de leur

39Troisième exception préliminaire prévisions de l’Article95 de la Charte des Nations Unies
(par. 61 à 73) doit être également écartée.

Dans sa troisième exception préliminaire, le Nigéria La Cour conclut par ailleurs que la Commission n’a
soutient que « le règlement des différends frontaliers dans la jamais reçu compétence, et a fortiori compétence exclusive,
région du lac Tchad relève de la compétence exclusive de la pour se prononcer sur le différend territorial qui oppose
actuellement le Cameroun et le Nigéria devant la Cour,
Commission du bassin du lac Tchad ». différend qui au surplus n’était pas encore né en 1983. Elle
À l’appui de cette argumentation, le Nigéria invoque à la
fois les textes conventionnels régissant le statut de la observe en outre que les conditions fixées par sa
Commission et la pratique des États membres. Il expose que jurisprudence pour qu’existe une situation d’ estoppel, telles
«les procédures de règlement par la Commission sont que rappelées ci-dessus, ne sont pas remplies en l’espèce.
En effet, le Cameroun n’a pas accepté la compétence de la
obligatoires pour les Parties» et que le Cameroun ne Commission pour régler le différend de frontières soumis
pouvait par suite saisir la Cour sur la base du paragraphe2 actuellement à la Cour.
de l’Article 36 du Statut.
Le Cameroun, quant à lui, expose à la Cour qu’« aucune À titre subsidiaire, le Nigéria expose enfin que, compte
disposition du statut de la Commission du bassin du lac tenu de la démarcation en cours au sein de la Commission
du bassin du lac Tchad, la Cour «devrait, pour des raisons
Tchad n’établit au bénéfice de cette organisation d’opportunité judiciaire, imposer des limites à l’exercice de
internationale une quelcon que compétence exclusive en sa fonction judiciaire dans la présente affaire» et se refuser
matière de délimitation de frontières ». à statuer au fond sur la requête du Cameroun.
Il ajoute que l’on ne saurait déduire une telle exclusivité
du comportement des États membres. Par voie de La Cour n’a pas à ce stade à prendre parti sur les thèses
conséquence, il demande à la Cour de rejeter la troisième adverses avancées à ce propos par les Parties. Il lui suffira
de constater que le Nigéria ne saurait soutenir à la fois que
exception préliminaire. la procédure de démarcation engagée au sein de la
C’est à la lumière des textes conventionnels et de la Commission du lac Tchad n’est pas parvenue à son terme et
pratique des États membres que la Cour examine les que cette procédure a en même temps rendu sans objet les
positions des Parties sur cette question. Le Nigéria, pour sa
part, soutient en premier lieu que «le rôle et le statut de la conclusions du Cameroun. Il n’y a dès lors aucune raison
d’opportunité judiciaire qui puisse amener la Cour à se
Commission» doivent être compris «dans le cadre du refuser à statuer au fond sur ces conclusions.
système des organisations régionales» auquel se réfère Il résulte de ce qui précède que la troisième exception
l’article 52 de la Charte des Nations Unies. Il en conclut que préliminaire du Nigéria doit être rejetée.
«la Commission exerce un pouvoir exclusif pour les
questions de sécurité et d’ordre public dans la région du lac
Tchad et que ces questions incluent à juste titre les affaires Quatrième exception préliminaire
de délimitation frontalière ». (par. 74 à 83)

Le Cameroun fait valoir, quant à lui, que la Commission La Cour aborde alors la quatrième exception
ne constitue pas un accord ou organisme régional au sens de préliminaire soulevée par le Nigéria. Selon cette exception :
l’article52 de la Charte, en soulignant en particulier le fait «La Cour ne devrait pas déterminer en l’espèce
qu’« il n’a jamais été question d’étendre cette catégorie aux l’emplacement de la frontière dans le lac Tchad dans la
organisations internationales régionales techniques qui, mesure où cette frontière constitue le tripoint dans le lac ou
comme la [Commission], peuvent comprendre un
est constituée par celui-ci.» Le Nigéria soutient que la
mécanisme de règlement pacifique des différends ou de localisation du tripoint dans le lac Tchad affecte directement
promotion de ce règlement ». un État tiers, la République du Tchad, et que la Cour ne
La Cour fait remarquer qu’il ressort d’une analyse des saurait dès lors déterminer l’emplacement de ce tripoint.
textes conventionnels et de la pratique que la Commission La Cour rappelle qu’elle a toujours reconnu comme un
du bassin du lac Tchad constitue une organisation des principes fondamentaux de son Statut qu’aucun

internationale exerçant ses compétences dans une zone différend entre États ne peut être tranché sans le
géographique déterminée; qu’elle n’a toutefois pas pour fin consentement de ces derniers à sa compétence. Néanmoins,
de régler au niveau régional des affaires qui touchent au la Cour a également souligné qu’elle n’est pas
maintien de la paix et de la sécurité internationales. Elle nécessairement empêchée de st atuer lorsque la décision
n’entre donc pas dans les prév isions du ChapitreVIII de la qu’il lui est demandé de rendre est susceptible d’avoir des
Charte. incidences sur les intérêts juridiques d’un État qui n’est pas

Mais en serait-il autrement que l’argumentation du partie à l’instance; et la Co ur n’a refusé d’exercer sa
Nigéria n’en devrait pas moins être écartée. L’existence de compétence que lorsque les in térêts d’un État tiers
procédures régionales de négociation ne saurait, quelle constituent l’objet même de la décision à rendre sur le fond.
qu’en soit la nature, empêcher la Cour d’exercer les La Cour observe que les co nclusions que le Cameroun
fonctions qui lui sont conférées par la Charte et le Statut. lui a soumises visent sa fr ontière avec le Nigéria et
L’argumentation du Nigéria selon laquelle la Commission uniquement cette frontière. Ces conclusions, que l’on se

devrait être regardée comme un tribunal entrant dans les
40réfère à celles qui figurent dans la requête additionnelle du Tous ces différends concernent la frontière entre le
Cameroun ou à celles qui sont formulées dans son mémoire, Cameroun et le Nigéria. Étant donné toutefois la longueur

ne visent nullement la frontière entre le Cameroun et la totale de cette frontière qui s’étend sur plus de 1600
République du Tchad. Certes, l’invitation faite à la Cour de kilomètres, du lac Tchad jusqu’à la mer, on ne saurait
préciser définitivement la frontière entre elle [la affirmer que ces différends par eux-mêmes concernent une
République du Cameroun] et la République fédérale du portion si importante de la frontière qu’il existerait de ce fait
Nigéria du lac Tchad à la mer» (par.17 f de la requête et nécessairement un différend portant sur l’ensemble de
additionnelle) est susceptible d’af fecter le tripoint, c’est-à- celle-ci. Même considérés conjointement avec les différends
dire le point où les frontières du Cameroun, du Nigéria et du frontaliers existants, les incidents et incursions dont fait état

Tchad se rejoignent. Toutefois, la demande tendant à ce que le Cameroun n’établissent pas par eux-mêmes l’existence
soit précisée la frontière entre le Cameroun et le Nigéria du d’un différend concernant l’ensemble de la frontière entre le
lac Tchad à la mer n’implique pas que le tripoint pourrait Cameroun et le Nigéria.
s’écarter de la ligne constitu ant la frontière entre le La Cour relève cependant que le Nigéria s’est
CamerounetleTchad.NileCameroun,nileNigériane constamment montré réservé dans la manière de présenter sa
contestent le tracé actuel de cette frontière au centre du lac,
propre position sur ce point. Bien qu’il ait été au courant des
tel que décrit dans le «document technique de la préoccupations et des inquiétudes du Cameroun, il a répété,
démarcation des frontières ». Les incidents survenus entre le sans en dire davantage, qu’il n’existe pas de différend
Nigéria et le Tchad dans le l ac, dont fait état le Nigéria, concernant «la délimitation de la frontière en tant que
concernent celui-ci et le Tchad et non le Cameroun ou sa telle ». La même prudence caractérise la réponse donnée par
frontière avec le Tchad. Procéder à une nouvelle le Nigéria à la question qu’un membre de la Cour a posée à
détermination du point où la frontière entre le Cameroun et l’audience, de savoir si le fait que le Nigéria soutient devant
le Nigéria rejoint celle entre le Tchad et le Cameroun ne
la Cour qu’il n’existe pas de différend en ce qui concerne la
pourrait conduire en l’espèce qu’au déplacement du tripoint frontière terrestre entre les deux États (sous réserve des
le long de la ligne de la frontière, dans le lac, entre le Tchad problèmes existants dans la presqu’île de Bakassi et la
et le Cameroun. Ainsi, les intérêts juridiques du Tchad, en région de Darak) signifie
tant qu’État tiers non partie à l’instance, ne constituent pas «qu’en dehors de ces deux secteurs, il y a accord du
l’objet de la décision à rendre su r le fond de la requête du
Cameroun; dès lors, l’absence du Tchad n’empêche Nigéria avec le Cameroun sur les coordonnées
nullement la Cour de se prononcer sur le tracé de la frontière géographiques de cette frontière, telles qu’elles
résulteraient des textes invoqués par le Cameroun dans
entre le Cameroun et le Nigéria dans le lac. sa requête et son mémoire ».
La quatrième exception prél iminaire doit donc être La Cour note que, dans cette réponse, le Nigéria
rejetée. n’indique pas s’il est ou non d’accord avec le Cameroun sur

le tracé de la frontière ou sur sa base juridique, encore qu’il
Cinquième exception préliminaire soit clairement en désaccord av ec le Cameroun en ce qui
(par. 84 à 94) concerne Darak et des îles avoisinantes, Tipsan et Bakassi.
Dans sa cinquième exceptio n préliminaire, le Nigéria Le Nigéria déclare que la frontière terrestre existante est
décrite par référence, non à des coordonnées géographiques,
fait valoir qu’il n’existe pas de différend concernant «la mais à des caractéristiques physiques. S’agissant de la base
délimitation de la frontière en tant que telle» sur toute sa
longueur entre le tripoint du lac Tchad et la mer sous juridique de la frontière, le Nigéria se réfère à des
réserve, dans le lac Tchad, de la question du titre sur Darak « instruments pertinents » sans préciser de quels instruments
et sur des îles avoisinantes et sous réserve de la question du il s’agit; il déclare cependant qu’ils étaient antérieurs à
titre sur la presqu’île de Bakassi. l’indépendance et que depuis lors aucun accord bilatéral
«qui confirme expressément ou définisse de toute autre
La Cour rappelle qu’au sens admis dans sa jurisprudence manière, par référence à des coordonnées géographiques, la
et celle de sa devancière, un différend est un désaccord sur frontière préexistant à l’indépendance » n’a été conclu entre
un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de
thèses juridiques ou d’intérêts entre des parties et que pour les Parties. Une telle formulation semble suggérer que les
établir l’existence d’un différend, il faut démontrer que la instruments existants appellent une confirmation. En outre,
réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition le Nigéria évoque la «pratique bien établie tant avant
qu’après l’indépendance» comme une des bases juridiques
manifeste de l’autre; et que, par ailleurs, l’existence d’un de la frontière dont le tracé, déclare-t-il, a «continué d’être
différend international demande à être établie accepté en pratique»; il n’indi que pas cependant de quelle
objectivement. pratique il s’agit.
Sur la base de ces critères, il existe bel et bien des
différends en ce qui concerne Darak et des îles avoisinantes, La Cour indique que le Nigéria est en droit de ne pas
avancer, au présent stade de la procédure, des arguments
Tipsan ainsi que la presqu’île de Bakassi. Ce dernier qu’il considère comme relevant du fond, mais en pareille
différend pourrait, comme il a été indiqué par le Cameroun, circonstance, la Cour se trouve dans une situation telle
avoir une influence sur la frontière maritime entre les deux qu’elle ne saurait se refuser à examiner les conclusions du
Parties. Cameroun tendant à ce que sa frontière avec le Nigéria soit

41précisée définitivement du lac Tchad à la mer par le motif est employé au paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement de
qu’il n’existerait pas de différe nd entre les deux États. Du la Cour, ni l’objet et le but de cette disposition ne

fait de la position prise par le Nigéria, l’étendue exacte de ce conduisent à une telle interprétation. Le paragraphe2 de
différend ne saurait être déterminée à l’heure actuelle; un l’article38 n’exclut donc pas que l’exposé des faits et des
différend n’en existe pas moins entre les deux Parties, à tout motifs sur lesquels repose une demande soit complété
le moins en ce qui concerne les bases juridiques de la ultérieurement. Il ne découle pas davantage de ce
frontière et il appartient à la Cour d’en connaître. paragraphe que la latitude dont dispose l’État demandeur
pour développer ce qu’il a exposé dans sa requête soit
La cinquième exception pr éliminaire soulevée par le strictement limitée, comme le suggère le Nigéria.
Nigéria doit donc être rejetée.
En ce qui concerne le sens à donner au terme
Sixième exception préliminaire «succinct», la Cour se borne à noter que dans la présente
(par. 95 à 102) affaire la requête du Cameroun contient un exposé
suffisamment précis des faits et moyens sur lesquels
La Cour examine alors la sixième exception préliminaire s’appuie le demandeur. Cet exposé remplit les conditions
soulevée par le Nigéria, selon laquelle aucun élément ne
permet au juge de décider que la responsabilité fixées par le paragraphe2 de l’article38 du Statut et la
requête est par suite recevable.
internationale du Nigéria est engagée à raison de prétendues La Cour ne saurait enfin accepter l’idée selon laquelle le
incursions frontalières. Nigéria se trouverait dans l’impossibilité de répondre
Selon le Nigéria, les conclusions du Cameroun ne utilement aux allégations présentées ou qu’elle-même se
satisfont pas aux exigences de l’article38 du Règlement de
la Cour et des principes généraux du droit qui prescrivent trouverait en définitive dans l’impossibilité de se prononcer
que soient clairement présentés les faits sur lesquels repose équitablement et utilement à la lumière des preuves et
moyens dont elle dispose du fait que, selon le Nigéria, la
la requête du Cameroun, y compris les dates, les requête du Cameroun ne serait pas suffisamment claire et
circonstances et les lieux précis des incursions et incidents complète et serait inadéquate. C’est au demandeur de subir
allégués sur le territoire camerounais. Le Nigéria soutient les conséquences d’une requête qui ne contiendrait pas un
que les éléments que le Cameroun a soumis à la Cour ne lui exposé satisfaisant des faits et motifs sur lesquels repose sa
fournissent pas les informations dont il a besoin et
auxquelles il a droit aux fins de préparer sa réponse. De demande.
En conséquence, la Cour rejette la sixième exception
même, selon le Nigéria, les éléments fournis sont si préliminaire soulevée par le Nigéria.
fragmentaires qu’ils ne permettent pas à la Cour de trancher
équitablement et utilement, sur le plan judiciaire, les
questions de responsabilité d’État et de réparation soulevées Septième exception préliminaire
par le Cameroun. Tout en reconnaissant qu’un État dispose (par. 103 à 111)
d’une certaine latitude pour développer ultérieurement le Dans sa septième exception préliminaire, le Nigéria a
contenu de sa requête et de son mémoire, le Nigéria affirme
soutenu qu’il n’existe pas de différend juridique concernant
que le Cameroun doit pour l’essentiel s’en tenir, dans ses la délimitation de la frontière maritime entre les deux
développements, à l’affaire telle qu’elle a été présentée dans Parties, qui se prêterait actue llement à une décision de la
la requête. Cour.
Le Cameroun souligne qu’il a clairement indiqué dans Le Nigéria déclare qu’il en est ainsi pour deux motifs:
ses écritures et plaidoiries que c’est seulement à titre
indicatif qu’il s’est référé à cer tains faits pour établir la en premier lieu, il n’est pas possible de déterminer la
frontière maritime avant de se prononcer sur le titre
responsabilité du Nigéria et qu’il pourrait, le cas échéant, concernant la presqu’île de Bakassi. En second lieu, dans
développer ces faits lors de la phase de l’examen au fond. l’éventualité où une décision serait prise sur la question du
Le Cameroun renvoie aux prescriptions du paragraphe2 de titre concernant la presqu’île de Bakassi, les demandes
l’article38 du Règlement, qui fait mention d’un exposé concernant les questions de délimitation maritime n’en
« succinct » des faits. Il prétend qu’il est loisible aux parties seraient pas moins irrecevable s faute d’action antérieure
de développer ou de préciser au cours de la procédure les
suffisante des Parties pour eff ectuer, sur un pied d’égalité,
faits de l’affaire tels que présentés dans la requête. une délimitation « par voie d’ accord conformément au droit
La Cour fait remarquer que la décision sur la sixième international ».
exception préliminaire du Nigéria dépend de la question de La Cour examine tout d’abord le premier moyen
savoir si sont réunies en l’espèce les conditions que doit présenté par le Nigéria. La Cour reconnaît qu’il serait
remplir une requête, telles qu’énoncées au paragraphe2 de
l’article38 du Règlement de la Cour. Aux termes de ce difficile, sinon impossible, de déterminer quelle est la
délimitation de la frontière maritime entre les Parties aussi
paragraphe, la requête «indique... la nature précise de la longtemps que la question du titre concernant la presqu’île
demande et contient un exposé succinct des faits et moyens de Bakassi n’aura pas été réglée.
sur lesquels cette demande repose». La Cour relève que le Les deux questions étant soumises à la Cour, c’est à elle
mot «succinct», au sens ordinaire de ce terme, ne signifie qu’il appartient de régler l’ordre dans lequel elle examinera
pas «complet» et que, ni le contexte dans lequel ce terme

42ces questions, de telle sorte qu’elle puisse traiter au fond autres États riverains du golfe de Guinée, et en particulier de
chacune d’entre elles. C’est là une question qui relève du la Guinée équatoriale et de Sao Tomé-et-Principe, démontre

pouvoir discrétionnaire de la Cour et qui ne saurait fonder qu’en toute probabilité les droits et intérêts d’États tiers
une exception préliminaire. Par voie de conséquence, le seront touchés si la Cour fait droit à la demande du
moyen doit être écarté. Cameroun. La Cour rappelle qu’elle a affirmé que l’un des
Quant au second moyen du Nigéria, la Cour rappelle que principes fondamentaux de son Statut est qu’elle ne peut
lorsqu’elle traite des affaires qui sont portées devant elle, trancher un différend entre des États sans que ceux-ci aient
consenti à sa juridiction. Tout efois, elle a précisé qu’elle
elle doit s’en tenir aux demandes précises qui lui sont n’est pas nécessairement empêchée de statuer lorsque l’arrêt
soumises. Ce qui est en litige entre les Parties et ce que la
Cour doit trancher dès maintenant est la question de savoir qu’il lui est demandé de rendre est susceptible d’avoir des
si l’absence alléguée d’effort s suffisants pour négocier incidences sur les intérêts juridiques d’un État qui n’est pas
empêche la Cour de déclarer ou non recevable la demande partie à l’instance.
du Cameroun. Une telle question revêt un caractère La Cour ne saurait donc, en la présente espèce, prendre
véritablement préliminaire et doit être tranchée sa décision sur la huitième exception préliminaire en la

conformément aux dispositions de l’article 79 du Règlement considérant simplement comme une question préliminaire.
de la Cour. Pour pouvoir déterminer quel serait le tracé d’une frontière
La Cour observe cependant qu’en l’espèce, elle n’a pas maritime prolongée au-delà du pointG, en quel lieu et dans
été saisie sur la base du paragraphe1 de l’Article36 du quelle mesure elle se heurterait aux revendications
Statut et, par application de cet article, conformément à la éventuelles d’autres États, et comment l’arrêt de la Cour
partie XV de la Convention des Nations Unies sur le droit affecterait les droits et intérêts de ces États, il serait
nécessaire que la Cour exam ine la demande du Cameroun
de la mer, relative au règlement des différends surgissant
entre les parties à la Convention à propos de l’interprétation au fond. En même temps, la Cour ne saurait exclure que
ou de l’application de cette dernière. Elle a été saisie sur la l’arrêt demandé par le Cameroun puisse avoir sur les droits
base de déclarations faites en vertu du paragraphe2 de et intérêts des États tiers une incidence telle que la Cour
l’Article36 du Statut, déclarations qui ne contiennent serait empêchée de rendre sa décision en l’absence de ces
aucune condition relative à des négociations préalables à États, auquel cas la huitième exception préliminaire du
Nigéria devrait être retenue, tout au moins en partie. La
mener dans un délai raisonnable. Le second moyen du question de savoir si ces États tiers décideront d’exercer
Nigéria ne peut donc être retenu.
La Cour trouve en sus qu’au-delà du pointG (voir leurs droits à intervention dans l’instance conformément au
point3) des conclusions dans le mémoire du Cameroun), le Statut reste entière.
différend entre les Parties a été défini de manière La Cour conclut que, par voie de conséquence, la
suffisamment précise pour que la Cour puisse en être huitième exception préliminaire du Nigéria n’a pas, dans les
circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement
valablement saisie.
La Cour, par voie de conséquence, rejette la septième préliminaire.
exception préliminaire. *

Pour les raisons susmentionnées, la Cour, dans le
Huitième exception préliminaire
(par. 112 à 117) dispositif de son arrêt, rejette la première exception par
quatorze voix contre trois, la deuxième par seize voix contre
La Cour examine alors la huitième et dernière exception une, la troisième par quinze voix contre deux, la quatrième
préliminaire présentée par le Nigéria. Selon cette exception, et cinquième par treize voix contre quatre, la sixième par
le Nigéria soutient, dans le contexte de la septième quinze voix contre deux, la septième par douze voix contre
exception préliminaire et aux fins de compléter celle-ci, que cinq; déclare, par douze voix contre cinq, que la huitième
la question de la délimitation maritime met nécessairement exception préliminaire n’a pas, dans les circonstances de
en cause les droits et intérêts d’États tiers et que la demande
correspondante est pour ce motif irrecevable. l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire; et dit, par
quatorze voix contre trois qu’e lle a compétence, sur la base
La Cour estime, comme les Parties, que le problème des du paragraphe 2 de l’Article 36 du Statut, pour statuer sur le
droits et des intérêts des États tiers ne se pose en l’espèce différend; et, par quatorze voix contre trois, que la requête
qu’en ce qui concerne le prolongement, au-delà du pointG déposée par la République du Cameroun le 29mars 1994,
de la frontière maritime vers le large, telle que le Cameroun telle qu’amendée par la requête additionnelle du 6juin
le demande.
1994, est recevable.
Ce que la Cour doit examiner au titre de la huitième
exception préliminaire est donc de savoir si le fait de Opinion individuelle de M. Oda
prolonger ainsi la frontière maritime mettrait en cause les
droits et intérêts d’États tiers, et si cela aurait pour effet M.Oda partage l’avis de la Cour selon lequel elle est
d’empêcher la Cour de procéder à un tel prolongement. La compétente pour statuer sur certaines des demandes
Cour note que la situation géographique des territoires des présentées unilatéralement par le Cameroun. Il considère
toutefois comme inappropriées la présentation d’une requête

43du Cameroun en mars 1994 et d’une autre en juin 1994, Pour que la Cour puisse statuer sur l’existence d’un

ainsi que les «conclusions» énoncées dans le mémoire de différend entre les deux Parties à propos des fondements
1995 (qui ne correspondent pas nécessairement aux juridiques de la totalité de la frontière, il faut d’abord que
requêtes). Cela rend la pr ésente affaire extrêmement l’on ait établi que la République du Nigéria conteste la
compliquée et difficile à suivre. M. Oda estime toutefois que validité du titre juridique sur la totalité de la frontière sur
les prétentions du Cameroun sont, pour l’essentiel, au lequel s’appuie la République du Cameroun, ou qu’elle
nombre de deux: il demande d’une part une détermination invoque un titre juridique différent, ou interprète de façon

de la frontière terrestre et maritime, de l’autre le règlement différente un certain instrument juridique relatif à
judiciaire de la question des incursions commises dans les l’ensemble de la frontière. Il n’est possible de tirer
régions frontalières, c’est-à-dire la presqu’île de Bakassi, le «positivement» aucune de ces conclusions des documents
lac Tchad et certaines frontières terrestres. ou exposés présentés à la Cour.
En ce qui concerne l’indication d’une frontière, M.Oda Les déclarations réitérées du Nigéria selon lesquelles il

fait observer qu’en dehors de la question de la délimitation n’existe aucun différend relatif à la « délimitation frontalière
des zones situées au large à l’embouchure de la Cross River, comme telle », ainsi que les formules réservées et prudentes
ainsi que du prolongement de la délimitation de la zone qui figurent dans ses réponses à la question de la Cour,
économique exclusive et du plateau continental dans la zone peuvent signifier qu’il ne tient pas à déployer ses arguments
océanique du Golfe de Guin ée –problèmes qui dépendent de droit sur le fond. Certes, l’on peut y voir aussi la preuve
totalement du statut territorial de la presqu’île de Bakassi– de la survenance probable d’un différend plus vaste.
la délimitation de la frontière maritime ne saurait faire Toutefois, la portée réelle d’un tel différend, s’il en existe

l’objet d’une décision de la Cour à moins d’être demandée un, ses paramètres et ses effets concrets ne pourront être
de façon conjointe par les Parties, car le simple échec de clarifiés que lors de la procédure sur le fond, une fois que la
négociations entre des États ne signifie pas qu’un Cour aura comparé les cartes présentées par les deux
«différend d’ordre juridique» ait surgi au sens du Parties, ainsi que, d’une manière plus complète, pris
paragraphe2 de l’Article36 du Statut. On ne saurait connaissance et jugé de la substance de leurs interprétations
davantage estimer que la simple détermination de la des instruments juridiques re spectifs. MV. ereshchetin

frontière terrestre constitue un d«ifférend d’ordre estime que ces raisons incitent à conclure que la cinquième
juridique» dont la Cour puisse connaître, à moins que les exception du Nigéria n’a pa s un caractère exclusivement
parties ne lui demandent conjointement de le faire en vertu préliminaire au sens du paragraphe7 de l’article79 du
du paragraphe 1 de l’Article 36 du Statut. Règlement de la Cour et ne pe ut donc pas être rejetée à ce
M.Oda estime qu’en l’espèce le véritable «différend stade de la procédure.

d’ordre juridique porte sur la revendication de me
souveraineté du Cameroun sur la presqu’île de Bakassi, une Opinion individuelle de M Higgins
partie du lac Tchad et certaines zones frontalières – selon le me
Cameroun cette souveraineté a été violée par les incursions M Higgins a voté avec la majorité en faveur de tous
de civils et de membres des fo rces armées du Nigéria– et les éléments de l’arrêt de la Cour, sauf le paragraphe 1 g du
sur la contestation de cette revendication par le Nigéria. En dispositif.
Dans sa septième exception préliminaire, le Nigéria
admettant que la Cour soit en mesure de connaître de la allègue « qu’il n’y a pas de différend juridique concernant la
requête du Cameroun, elle doit nécessairement décider si les
revendications de souveraineté du Cameroun sur les zones délimitation de la frontière maritime entre les deux Parties,
litigieuses sont ou non justifiées. Or, ce n’est pas la même qui se prêterait actuellement à une décision de la Cour»
chose qu’une simple demande de détermination de la ligne parce que, premièrement, il faudrait d’abord se prononcer
frontière, dont la Cour n’a pas compétence pour connaître. sur le titre relatif à la presqu’île de Bakassi et,
deuxièmement, parce qu’il n’y a pas « de mesures
M.Oda déclare en outre qu’à son avis les points litigieux suffisantes des Parties pour eff ectuer, sur un pied d’égalité,
soulevés par le Nigéria au sujet du «différend d’ordre
juridique » relatif à la souveraineté sur les zones frontalières une délimitation par voie d’acco rd conformément au droit
constituent, pour la plupart, des questions qu’il conviendrait international ».
d’examiner lors de la procédure sur le fond. M meHiggins pense, comme la Cour, qu’il fallait rejeter
chacune de ces exceptions d’ irrecevabilité. Elle soutient
toutefois, dans son opinion individuelle, qu’il y avait une
Opinion individuelle de M. Vereshchetin
autre question que la Cour aurait dû examiner d’office, à
Dans son opinion individuelle, M.Vereshchetin déclare savoir qu’il ne semble existe r aucun différend relatif à la
qu’il ne peut voter en faveur du point 1 e de l’arrêt, relatif à frontière maritime, du moins au-delà du point G indiqué par
la cinquième exception préliminaire du Nigéria, car il estime le Cameroun. Cela ressort à la fois de la manière dont le
que la conclusion sur laquelle se fonde cette partie de l’arrêt Cameroun lui-même formule sa requête, quand il y demande
n’est pas dûment étayée par les éléments de preuve une délimitation de la frontière maritime « afin d’éviter la
présentés par le demandeur et ne satisfait pas au critère
survenance de tout différend » ... (souligné par l’auteur), et
d’une détermination objective. du fait qu’il n’est proposé, dans les exposés écrits ou oraux

44aucun élément de preuve sus ceptible d’établir l’existence septième exception préliminaire aurait dû être retenue en
d’un tel différend. Au-delà du point G, aucune demande n’a partie au motif qu’il n’existe pas de différend juridique

été présentée par l’une des Parties et rejetée par l’autre. Le opposant les deux Parties quant au prolongement de la
fait que le Nigéria et le Cameroun n’aient pas réussi à mener frontière maritime au-delà du pointG. Il reconnaît que le
des négociations portant précisément sur la ligne au-delà du Nigéria n’a pas soulevé expressément cette question, mais il
pointG ne signifie pas qu’il existe, au-delà de ce point, un est d’avis que la Cour aurait dû se prononcer d’office sur
différend sur la ligne proposée par le Cameroun, que celui- l’existence d’un différend au sens du Statut. Dans la
ci a indiquée pour la première fois lors de la présente présente affaire, le Cameroun a demandé à la Cour de
instance devant la Cour. déterminer l’ensemble de la frontière maritime sans avoir

Il n’est pas davantage possible que l’existence d’un jamais formulé auparavant une demande spécifique
différend territorial habilite automatiquement l’État relativement à la section de cette frontière située le plus au
demandeur à solliciter la délimitation de la frontière large. Ce n’est que dans so n mémoire que le Cameroun a
maritime sans être tenu de rien établir de plus au sujet de développé sa prétention. On ne saurait dès lors affirmer,
ladite frontière maritime. ainsi que l’exige la jurisprudence de la Cour, que le
Cameroun fait valoir une réclamation qui, à la date du dépôt
Bien que la Cour n’ait pas normalement pour tâche
d’indiquer des motifs d’irrecevabilité en plus de ceux que de la requête, «se heurtait à l’opposition manifeste» du
l’État défendeur invoque, l’existence d’un différend est une Nigéria.
condition de la compétence de la Cour en vertu de Comme il estime que la septième exception aurait dû
l’Article38 du Statut et la Cour aurait dû examiner cette être retenue en ce qui concerne la frontière maritime située
question d’office. au-delà du pointG et comme la question des droits et
intérêts de tierces parties (traitée dans la huitième exception

Opinion individuelle de M. Parra-Aranguren préliminaire) ne se pose qu’à l’égard de cette partie de la
frontière, cette exception est elle aussi dénuée d’objet. C’est
MP. arra-Aranguren a voté contre l’alinéa1 d du la raison pour laquelle M.Kooijmans a voté contre le
dispositif de l’arrêt, qui rejette la quatrième exception paragraphe2. Mais d’autres raisons font également qu’il ne
préliminaire soulevée par le Nigéria, priant la Cour de ne saurait se rallier à ce que la Cour a dit au sujet de la
pas déterminer, dans la présente instance, l’emplacement de huitième exception. Même si une exception concernant les
la frontière dans le lac Tchad dans la mesure où cette droits et intérêts d’États tiers n’a pas en général un caractère

frontière constitue le tripoint Nigéria-Cameroun-Tchad dans exclusivement préliminaire, M.Kooijmans estime qu’il
le lac ou est déterminé par celui-ci, parce que son aurait été préférable en l’esp èce que la Cour la retienne au
emplacement affecte directement un État tiers, la stade préliminaire de la procédure pour des raisons
République du Tchad. Sur ce point, la Cour n’a pas suivi la d’opportunité judiciaire. L’État tiers intéressé au premier
décision qu’elle avait rendue dans l’affaire des Activités chef en l’espèce est la Guinée équatoriale. Le Cameroun et
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci le Nigéria ont tous les deux reconnu en 1993 l’importance
(Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), compétence et
de la participation de cet État à la délimitation de la frontière
recevabilité, où elle avait déclaré que la détermination des ainsi que la nécessité d’entamer des négociations. Le
États tiers qui seraient « affectés » par la décision n’était pas Cameroun ayant ainsi reconnu la nécessité d’engager des
en soi une question juridictionnelle mais relevait du fond négociations, il ne semble ni approprié ni raisonnable de
(C.I.J. Recueil 1984, p.425, par.76). Tel est le principe pousser la Guinéeéquatoriale à faire connaître sa position
applicable, selon M.Parra-Aranguren, et la Cour n’a pas à juridique par une intervention en vertu de l’article62 du
décider, à ce stade de la procéd ure, comme elle l’a fait, que Statut avant que ces négociations n’aient commencé.
la décision future au fond qui déterminera l’emplacement du

tripoint Nigéria-Cameroun-Tchad sera sans conséquence Opinion dissidente de M. Weeramantry,
pour la République du Tchad. Cette décision de la Cour Vice-Président de la Cour
exclut, de façon déraisonnable, toute intervention ultérieure
de la République du Tchad au titre de l’article62 du Statut Dans son opinion dissidente, M.Weeramantry, Vice-
de la Cour. Par conséquent, la quatrième exception Président de la Cour, exprime son désaccord avec les
préliminaire soulevée par le Nigéria n’aurait pas dû être conclusions de la Cour sur la première exception du Nigéria.
rejetée et la Cour aurait dû déclarer que, dans les Pour le Vice-Président, la d écision rendue en 1957 dans
l’affaire du Droit de passage sur territoire indien donne à
circonstances de l’espèce, l’exception n’avait pas un
caractère exclusivement préliminaire. penser qu’un État que l’on entend lier par la déclaration
d’un autre État peut être lié sans qu’il ait connaissance de
Opinion individuelle de M. Pieter H. Kooijmans cette déclaration, et donc méconnaît le fondement
consensuel de la juridictio n de la Cour en vertu de
Dans son opinion individuelle, M. Kooijmans expose les l’Article36, paragraphe2, du Statut. Elle ne donne pas non
raisons qui l’ont amené à voter contre l’alinéa g du plus effet aux termes impératifs du paragraphe4 de
paragraphe1 et le paragraphe2 du dispositif. Il a voté l’Article36, qui exige que copie de telles déclarations soit
contre l’alinéa g du paragraphe1 car il estime que la
transmise par le secrétariat. Dans son opinion,

45M. Weeramantry expose huit raisons pour lesquelles la Opinion dissidente de M. Ajibola
décision rendue dans l’affaire du Droit de passage doit être
M. Ajibola a voté contre la décision de la majorité des
revue. membres de la Cour sur la première, la troisième, la
L’opinion invoque aussi des considérations de droit quatrième, la cinquième, la sixième, la seconde partie de la
comparé concernant la notion de consensus et la nécessité septième et la huitième exception préliminaire soulevées par
de communiquer l’acceptation pour qu’une relation
consensuelle se forme. Ces considérations peuvent être le Nigéria. Il a, en revanche, voté dans le même sens que la
majoritédes membres de la Cour sur la deuxième exception
invoquées en vertu de l’article 38, paragraphe 1 c, du Statut. préliminaire et la première partie de la septième, pour les
Indiquant notamment que Grotius considérait qu’il fallait raisons indiquées dans son opinion dissidente.
que l’acceptation soit communiquée pour qu’un État soit lié L’aspect le plus important de cette opinion dissidente a
par une obligation consensuelle, l’opinion souligne
également la nécessité de veiller à ne pas prendre la partie trait au désaccord de M. Ajibola sur la décision de la Cour
que l’on entend lier par surprise. de suivre la décision qu’elle avait rendue dans l’affaire du
Droit de passage sur territoire indien, qu’il considère à
présent comme un précédent regrettable. La raison
Opinion dissidente de M. Abdul G. Koroma principale en est que, selon lui, l’Article 36, paragraphe 4,
du Statut a été interprété en 1957 de façon erronée ou peu
Dans son opinion dissidente, M. Koroma regrette de ne satisfaisante et que le moment est venu, au bout de quarante
pouvoir considérer, comme la majorité des membres de la
Cour, que celle-ci a compétence pour statuer sur la requête et un ans, de corriger cette jurisprudence. Le paragraphe 4
du Cameroun. Il faut, selon lui, que les conditions énoncées de l’Article 36 dispose que les déclarations faites en
aux paragraphes 2 et 4 de l’Article 36 du Statut de la Cour application de la clause facultative « seront remises » au
soient remplies pour qu’un État soit fondé à invoquer la Secrétaire général des Nations Unies et que celui-ci les
juridiction obligatoire de la Cour. Dans le cas où ces « transmettra » à tous les États Membres ainsi qu’au
Greffier de la Cour. Selon M. Ajibola, la Cour a interprété
conditions ne sont pas réunies, comme en l’espèce, on ne correctement et de façon appropriée, dans l’affaire de 1957,
saurait dire que compétence a été conférée à la Cour, et
celle-cine saurait non plus imposer une telle compétence à la première de ces exigences, mais non la seconde,
un État contre son gré. essentiellement parce qu’une telle situation introduirait un
M. Koroma ajoute que cette phase de l’affaire aurait dû élément d’« incertitude » dans l’application de la déclaration
à l’égard de l’« État acceptant ». Cet argument n’est
être régie par les dispositions du Statut et que la Cour absolument pas convaincant et ne correspond certainement
n’aurait pas dû se prononcer en s’appuyant essentiellement pas à une interprétation exacte de l’ensemble du
sur sa décision dans l’affaire du Droit de passage.
paragraphe 4 de l’Article 36.

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Résumé de l'arrêt du 11 juin 1998

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