Résumé de l'arrêt du 24 septembre 2015

Document Number
18758
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Number (Press Release, Order, etc)
2015/2
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2015/2
Le 24 septembre 2015

Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili)

Résumé de l’arrêt du 24 septembre 2015

I. CONTEXTE PAR . 15-17)

La Cour commence par rappeler le contexte historique de l’affaire. Elle indique à cet égard
que le Chili et la Bolivie obtinrent leur indépendance de l’Espagne en 1818 et en 1825,
respectivement. A l’époque, la Bolivie possédait un littoral de plusieurs centaines de kilomètres le
long de l’océan Pacifique. Le 10 août 1866, les deux Etats signèrent un traité de limites
territoriales établissant entre eux une «ligne de démarcation de frontières» qui séparait leurs
territoires côtiers voisins. Cette ligne fut confirmée en tant que ligne frontière dans le traité de
limites que la Bolivie et le Chili signèrent le 6 août 1874. En 1879, le Chili déclara la guerre au

Pérou et à la Bolivie, déclenchant ainsi la guerre dite du Pacifique, au cours de laquelle il occupa le
territoire côtier bolivien. Les hostilités entre la Bolivie et le Chili s’achevèrent en 1884 avec la
signature, à Valparaíso, d’une convention d’armistice. Cet instrument prévoyait notamment que le
Chili continuerait d’administrer la région côtière. La Bolivie, en conséquence de ces événements,
perdit le contrôle de son littoral pacifique. En 1895, les deux Etats signèrent un accord de cession
territoriale, qui n’entra cependant jamais en vigueur. Celui-ci comprenait des dispositions devant
permettre à la Bolivie de recouvrer un accès à la mer, sous réserve que le Chili acquît la
souveraineté sur certains territoires. Le 20 octobre 1904, les Parties signèrent un traité de paix et

d’amitié (ci-après le «traité de paix de 1904»), qui mit officiellement fin à la guerre du Pacifique
entre la Bolivie et le Chili. Conformément à cet instrument, entré en vigueur le 10 mars 1905,
l’intégralité du territoire côtier bolivien revint au Chili, et la Bolivie se vit accorder un droit de
transit commercial dans les ports chiliens. La Cour relève que, depuis la conclusion du traité de
paix de 1904, les deux Etats ont fait un certain nombre de déclarations et ont eu plusieurs échanges
diplomatiques au sujet de la situation de la Bolivie par rapport à l’océan Pacifique.

II. APERÇU GÉNÉRAL DES POSITIONS DES PARTIES (PAR. 18-24)

Dans sa requête introductive d’instance et dans son mémoire, la Bolivie prie la Cour de dire
et juger que

«a) le Chili a l’obligation de négocier avec la Bolivie en vue de parvenir à un accord
octroyant à celle-ci un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique ;

b) le Chili a manqué à cette obligation ; - 2 -

c) le Chili doit s’acquitter de ladite obligation de bonne foi, de manière prompte et
formelle, dans un délai raisonnable et de manière effective, afin d’octroyer à la

Bolivie un accès pleinement souverain à l’océan Pacifique».

Afin d’étayer l’existence de l’obligation de négocier qu’elle allègue et le manquement à
celle-ci, la Bolivie s’appuie sur des «accords, [une] pratique diplomatique et [une] série de
déclarations attribuables [aux] plus hauts représentants [du Chili]». Selon elle, la plupart de ces
événements ont eu lieu entre la conclusion du traité de paix de 1904 et 2012.

Dans sa requête, la Bolivie entend fonder la compétence de la Cour sur l’article XXXI du

pacte de Bogotá, qui se lit comme suit :

«Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties Contractantes en ce qui concerne tout
autre Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la
Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour

objet :

a) L’interprétation d’un traité ;

b) Toute question de droit international ;

c) L’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ;

d) La nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la rupture d’un engagement
international.»

La Bolivie et le Chili sont tous deux parties au pacte de Bogotá, qui a été adopté le
30 avril 1948.

Dans son exception préliminaire, le Chili affirme que la Cour n’a pas compétence en vertu
de l’article XXXI de ce même instrument pour se prononcer sur le différend soumis par la Bolivie.

Se référant à l’article VI du pacte de Bogotá, il fait valoir que les questions en litige dans la
présente affaire, à savoir la souveraineté territoriale et la nature de l’accès de la Bolivie à
l’océan Pacifique, ont été réglées au moyen d’une entente, énoncée dans le traité de paix de 1904,
et qu’elles demeurent régies par ce traité, qui était en vigueur à la date de la signature du pacte.
L’article VI prévoit en effet que «[l]es procédures [énoncées dans le pacte] … ne
pourront … s’appliquer ni aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties, ou
d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal international, ni à celles régies par des

accords ou traités en vigueur à la date de la signature du présent Pacte».

La Bolivie considère, pour sa part, que l’exception préliminaire du Chili est «manifestement
dépourvue de fondement» car il y est fait «une interprétation erronée de l’objet du différend» qui
oppose les Parties. Elle affirme que celui-ci a pour objet l’existence d’une obligation incombant au
Chili de négocier de bonne foi un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique et le
manquement à ladite obligation. Selon elle, cette obligation existe indépendamment du traité de

paix de 1904. En conséquence, la Bolivie fait valoir que les questions en litige en la présente
espèce ne constituent pas des questions réglées ou régies par le traité de paix de 1904, au sens de
l’article VI du pacte de Bogotá, et que la Cour a compétence pour en connaître en vertu de
l’article XXXI de ce dernier. - 3 -

III.O BJET DU DIFFÉREND PAR . 25-36)

La Cour observe que, conformément au paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement, la
requête indique les faits et moyens sur lesquels repose la demande. A l’appui de son affirmation
selon laquelle il existe une obligation de négocier un accès souverain à la mer, la Bolivie se réfère,
dans sa requête, à des «accords», à une «pratique diplomatique» et à «une série de déclarations
attribuables [aux] plus hauts représentants [du Chili]». Elle y soutient également que le Chili

 contrairement à la position qu’il avait lui-même adoptée  a par la suite rejeté et nié l’existence
de ladite obligation, en 2011 et 2012, et qu’il a manqué à cette obligation. Telle qu’elle se
présente, la requête porte donc sur un différend relatif à l’existence d’une obligation de négocier un
accès souverain à la mer et au manquement à cette obligation.

Selon le Chili toutefois, le véritable objet de la demande de la Bolivie est la souveraineté
territoriale et la nature de l’accès de la Bolivie à l’océan Pacifique.

La Cour considère que, même si l’on peut supposer que l’accès souverain à l’océan Pacifique
constitue l’objectif ultime de la Bolivie, il convient d’établir une distinction entre cet objectif et le
différend lié, mais distinct, qui lui a été présenté dans la requête ; celui-ci réside dans la question de
savoir si le Chili a l’obligation de négocier un accès souverain de la Bolivie à la mer et, dans

l’hypothèse où cette obligation existerait, si le Chili y a manqué. Dans sa requête, la Bolivie ne
demande pas à la Cour de dire et juger qu’elle a droit à pareil accès.

A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’objet du différend réside dans la
question de savoir si le Chili a l’obligation de négocier de bonne foi un accès souverain de la
Bolivie à l’océan Pacifique et, dans l’affirmative, si le Chili a manqué à cette obligation.

IV. P OINT DE SAVOIR SI LES QUESTIONS EN LITIGE DEVANT LA C OUR ENTRENT
DANS LES PRÉVISIONS DE L ARTICLE VI DU PACTE DE BOGOTÁ (PAR . 37-53)

La Cour rappelle que, en application de l’article VI du pacte de Bogotá, si elle devait
conclure, au vu de l’objet du différend tel qu’elle l’a défini, que les questions en litige entre les

Parties sont des questions «déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties» ou «régies par
des accords ou traités en vigueur» à la date à laquelle le pacte a été signé, soit le 30 avril 1948, elle
n’aurait pas la compétence requise pour se prononcer sur le fond de l’affaire. En conséquence, la
Cour doit rechercher si les questions en litige sont des questions «réglées» ou «régies» par le traité
de paix de 1904.

Ainsi que la Cour l’a établi, l’objet du différend est la question de savoir si le Chili a
l’obligation de négocier de bonne foi un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique et, dans
l’affirmative, si le Chili a manqué à cette obligation. Or, relève la Cour, les dispositions pertinentes
du traité de paix de 1904 ne traitent ni expressément ni implicitement de la question d’une
obligation qui incomberait au Chili de négocier avec la Bolivie un accès souverain à
l’océan Pacifique. En conséquence, elle considère que les questions en litige ne sont ni «réglées au

moyen d’une entente entre les parties, ou d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal
international» ni «régies par des accords ou traités en vigueur à la date de la signature du [pacte de
Bogotá]», au sens de l’article VI du pacte de Bogotá. Cette conclusion s’impose, selon elle,
indépendamment du point de savoir si, comme le soutient le Chili, les deux branches de l’article VI
ont une portée différente. En conséquence, la Cour ne juge pas nécessaire, dans les circonstances

de l’espèce, de déterminer s’il y a lieu de faire une distinction entre les effets juridiques de ces deux
branches. - 4 -

La Cour note que les Parties ont présenté leurs vues respectives sur les «accords, [la]
pratique diplomatique et … [les] déclarations» invoqués par la Bolivie pour étayer sa demande au
fond. Elle considère que, aux fins de se prononcer sur la question de sa compétence, il n’est ni
nécessaire ni approprié d’examiner ces éléments.

*

La Cour rappelle par ailleurs qu’il lui appartient de déterminer si, dans les circonstances de
l’espèce, une exception est dépourvue de caractère exclusivement préliminaire au sens du
paragraphe 9 de l’article 79 de son Règlement. En pareille hypothèse, la Cour doit s’abstenir de

retenir ou de rejeter l’exception au stade préliminaire, et est tenue de réserver sa décision à cet
égard pour la suite de la procédure. En la présente affaire, elle considère cependant qu’elle dispose
de tous les éléments requis pour statuer sur l’exception du Chili et qu’elle est en mesure d’établir si
les questions en litige sont des questions «réglées» ou «régies» par le traité de paix de 1904 sans
trancher le différend, ou certains de ses éléments, au fond. La Cour en conclut qu’elle n’est pas

empêchée de se prononcer sur l’exception du Chili au présent stade de la procédure.

V. C ONCLUSION DE LA C OUR CONCERNANT
L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE (PAR . 54-55)

Au vu de l’objet du différend tel qu’il a été défini plus haut, la Cour conclut que les

questions en litige ne sont pas des questions «déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties,
ou d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal international» ou «régies par des
accords ou traités en vigueur à la date de la signature du [pacte de Bogotá]». En conséquence,
l’article VI ne fait pas obstacle à la compétence que lui confère l’article XXXI du pacte de Bogotá.
L’exception préliminaire d’incompétence soulevée par le Chili doit donc être écartée.

Conformément au paragraphe 9 de l’article 79 du Règlement de la Cour, celle-ci fixera par
ordonnance les délais pour la suite de la procédure.

VI. DISPOSITIF (PAR. 56)

Par ces motifs,

LA C OUR ,

1) Par quatorze voix contre deux,

Rejette l’exception préliminaire soulevée par la République du Chili ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, Sebutinde, MM. Bhandari,
Robinson, Gevorgian, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Gaja, juge ; Mme Arbour, juge ad hoc ; - 5 -

2) Par quatorze voix contre deux,

Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour connaître
de la requête déposée par l’Etat plurinational de Bolivie le 24 avril 2013.

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, Sebutinde, MM. Bhandari,
Robinson, Gevorgian, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Gaja, juge ; Mme Arbour, juge ad hoc.

M. le juge BENNOUNA joint une déclaration à l’arrêt ; M. le jANÇADO T RINDADE joint
à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juAJAG joint une déclaration à l’arrêt ;
Mme la juge ad hoc ARBOUR joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.

___________ Annexe au résumé 2015/2

Déclaration de M. le juge Bennouna

Dans sa déclaration, le juge Bennouna a estimé nécessaire de clarifier la démarche et le rôle
auxquels la Cour devrait s’en tenir lorsqu’elle examine une exception préliminaire.

Le juge Bennouna relève que l’article 79, paragraphe 9, du Règlement offre trois options :
retenir l’exception, la rejeter ou déclarer qu’elle n’a pas un caractère exclusivement préliminaire ;
cette dernière option revenant à différer la décision au stade du fond.

Le juge Bennouna rappelle que l’actuel article 79, paragraphe 9, du Règlement a été modifié

en 1972 afin de restreindre le recours abusif à la procédure de l’exception préliminaire. Ainsi, ce
n’est donc qu’exceptionnellement que la Cour pourra déclarer qu’une exception n’a pas un
caractère exclusivement préliminaire, lorsqu’elle ne dispose pas de tous les éléments pour statuer
ou que cela reviendrait à préjuger le différend, ou certains de ces aspects, au fond.

Le juge Bennouna note que lorsque la Cour retient ou rejette une exception, elle la considère
implicitement préliminaire. Elle n’est pas tenue, selon l’article 79, paragraphe 9, du Règlement, de

la qualifier d’abord de préliminaire. Le juge Bennouna estime que cette démarche est conforme à
la bonne administration de la justice.

Selon le juge Bennouna, les paragraphes 52 et 53 de l’arrêt sont superflus et malvenus, en ce
que la Cour revient sur un argument subsidiaire de la Bolivie, selon lequel au cas où la Cour
accepterait la définition de l’objet du différend proposée par le Chili, l’exception soulevée par ce
dernier n’aurait pas un caractère exclusivement préliminaire. Or, le juge Bennouna constate que la
Cour avait précédemment écarté ladite définition et rejeté l’exception soulevée par le Chili sur base

de l’article VI du pacte de Bogotá. L’argument de la Bolivie était donc devenu sans objet. Le juge
Bennouna considère donc qu’il était inutile de consacrer des développements à cette question, juste
avant de formuler la conclusion finale de l’arrêt.

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans son opinion individuelle, composée de sept parties, le juge Cançado Trindade expose

les fondements de sa position personnelle sur la question que la Cour a tranchée dans le présent
arrêt sur l’exception préliminaire soulevée en l’affaire relative à l’Obligation de négocier un accès à
l’océan Pacifique — qui oppose la Bolivie au Chili —, arrêt par lequel la Cour a conclu qu’elle
avait compétence pour connaître de la demande qui lui était présentée en vertu de l’article XXXI du
traité américain de règlement pacifique de 1948 (le pacte de Bogotá). Bien qu’il ait lui aussi conclu
que la Cour était compétente, le juge Cançado Trindade considère que certains aspects de cette
question — selon lui, importants — n’ont pas été correctement abordés dans l’arrêt ; aussi

s’estime-t-il tenu de les développer dans son opinion individuelle.

2. Le juge Cançado Trindade commence par préciser (dans la partie I de son opinion) que le
traitement que la Cour a réservé dans le présent arrêt au régime juridictionnel du pacte de
Bogotá — et, en particulier, à sa propre base de compétence (l’article XXXI du pacte) —, ainsi
qu’à la disposition pertinente de son Règlement (le paragraphe 9 de l’article 79) est par trop
succinct. Pour mieux étayer son raisonnement, la Cour aurait dû, selon lui, approfondir son analyse

de ces deux dispositions, étant donné que le demandeur alléguait que la définition de l’objet du
différend faite par le défendeur constituait une réfutation de son argumentation au fond ; la Cour
aurait ainsi dû accorder à l’article XXXI du pacte et au paragraphe 9 de l’article 79 de son
Règlement la même attention que celle qu’elle a accordée à l’article VI du pacte, en ce qui
concerne le contexte factuel de l’espèce. - 2 -

3. Le juge Cançado Trindade commence par se pencher sur la relation entre la base de
compétence et le fond dans la jurisprudence de la Cour de La Haye (la CPJI et la CIJ), s’attachant

tout d’abord à la jonction d’exceptions préliminaires au fond, puis au caractère non exclusivement
«préliminaire» de certaines exceptions d’incompétence (et d’irrecevabilité) (partie II). Il précise
d’emblée que, en réalité,

«le fait d’établir une séparation nette entre la phase procédurale des exceptions
préliminaires et la phase du fond reflète la vieille conception volontariste-positiviste
de la justice internationale, qui repose sur le consentement des Etats. Or, en dépit de

la prédominance de l’approche positiviste à l’époque de la Cour permanente de Justice
internationale (CPJI), celle-ci n’a pas tardé à reconnaître la nécessité de joindre
certaines exceptions préliminaires au fond (cf. ci-après). A cet égard, il est plus
probable qu’une exception d’incompétence ratione materiae puisse être liée au fond
d’une affaire qu’une exception d’incompétence ratione personae ou ratione temporis.»
(Par. 6.)

4. Selon le juge Cançado Trindade, «la quête de justice transcende toute conception par trop
stricte de la procédure juridique internationale» (par. 7). Le juge Cançado Trindade rappelle que,
tout au long de son histoire, la Cour de La Haye (la CPJI puis la CIJ) a été attentive aux intérêts des
parties et à la préservation d’un équilibre entre elles au cours de la procédure ; c’est ce qui explique
qu’elle ait constamment recouru au principe de la bonne administration de la justice (par. 8), ce
qu’illustrent plusieurs exemples tels que le célèbre obiter dictum de la CPJI dans l’affaire du
Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis (ordonnance du 30 juin 1938), par lequel il avait été décidé

de joindre les exceptions préliminaires de la Lituanie au fond.

5. La CIJ a gardé à l’esprit cet obiter dictum, notamment lorsqu’elle s’est longuement
penchée sur l’affaire de la Barcelona Traction (1964-1970). Même si la jonction au fond
apparaissait comme une mesure exceptionnelle, il était, dès cette époque, admis qu’«il existait des
cas dans lesquels le fait d’établir une séparation nette entre une exception préliminaire et le fond de
l’affaire pouvait se révéler fort problématique, la solution étant donc d’opérer pareille jonction. En

cas de lien direct entre l’exception et le fond, cela apparaissait comme une nécessité, dans l’intérêt
de la bonne administration de la justice.» (Par. 10.) Et le juge Cançado Trindade d’ajouter que,

«Tout au long de son histoire, la CPJI — et, par la suite, la CIJ — a clairement
établi, dès le tout début de ses travaux, que la Cour était maîtresse de sa procédure.
Elle n’accepte pas, et ne saurait accepter, des conceptions par trop strictes de sa propre
procédure, son raisonnement étant essentiel à sa mission de réalisation de la justice.
L’évolution en la matière a été fort longue : pendant plusieurs décennies, l’idée d’une

«jonction» de certaines exceptions préliminaires au fond a trouvé son expression dans
le Règlement de la Cour ; à partir du début des années 1970, une nouvelle procédure a
commencé à être introduite dans ce texte, dans le cas où les exceptions à l’examen ne
revêtaient pas un caractère exclusivement «préliminaire».» (Par. 11.)

6. Le juge Cançado Trindade se livre ensuite à un examen de la jurisprudence de la CPJI et
de la CIJ sur ce point (partie III), ainsi que des modifications correspondantes qui ont été apportées

aux dispositions pertinentes du Règlement (à partir de 1936 et de 1946), notamment l’amendement
de 1972. Celui-ci a été conservé en 1978 et 2000, le texte étant demeuré inchangé jusqu’à ce jour.
La solution de la jonction au fond a été écartée, l’accent étant mis sur le «caractère non
exclusivement préliminaire» de certaines exceptions d’incompétence (et d’irrecevabilité). - 3 -

7. La Cour est revenue sur cette revision de 1972 dans les arrêts qu’elle a rendus sur la
compétence et la recevabilité (le 26 novembre 1984), puis le fond (le 27 juin 1986), en

l’affaire Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique, précisant que la nouvelle disposition de son
Règlement — dans laquelle il n’était plus fait expressément référence à la jonction au fond —
visait à apporter davantage de souplesse et à éviter les retards procéduraux, dans l’intérêt de la
bonne administration de la justice. Par la suite, elle a confirmé cette nouvelle conception de la
question à l’examen dans plusieurs affaires (par exemple Lockerbie, en 1998 ; Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria, la même année ; Application de la Convention contre le
génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, en 2008).

8. Le juge Cançado Trindade fait l’analyse suivante : «[n]ous sommes ici dans un domaine
où les principes généraux du droit jouent un rôle important, qu’il s’agisse de principes de fond (tels
que pacta sunt servanda ou bona fides) ou de principes procéduraux» (par. 22). Il se penche ensuite
sur la question de la pertinence des principes généraux du droit international procédural et de leur
lien avec les fondements de l’ordre juridique international, ainsi que sur leur incidence, dans les
affaires contentieuses, sur les procédures incidentes (exceptions préliminaires, mesures

conservatoires, demandes reconventionnelles et interventions) et la jonction d’instances, mais aussi
sur les procédures consultatives (partie IV). Selon lui,

«de fait, le recours aux principes généraux du droit international procédural est
inéluctable aux fins de la réalisation de la justice. Les principes généraux sont
toujours présents et pertinents, tant sur le fond que sur le plan procédural. Ces
principes guident l’interprétation et l’application des normes juridiques. Ils reposent

sur les fondements tous systèmes juridiques, lesquels sont conçus pour fonctionner sur
la base de pareils principes. En dernière analyse, sans principes, il n’existe pas de
véritable système juridique. Les principes fondamentaux forment le substratum de
l’ordre juridique lui-même.» (Par. 23.)

9. Le juge Cançado Trindade rappelle que, dans une autre affaire qui, comme la présente
espèce, opposait deux Etats d’Amérique latine (l’Argentine et l’Uruguay)  l’affaire des Usines de

pâte à papier sur le fleuve Uruguay (arrêt du 20 avril 2010) —, il avait jugé utile d’appeler
l’attention de la Cour, dans son opinion individuelle, sur le fait que les deux parties avaient
expressément invoqué des principes généraux du droit au cours de la procédure. Ce faisant,
ajoute-t-il, l’Argentine et l’Uruguay s’étaient montrés «fidèles à la tradition de longue date de la
pensée juridique internationale latino-américaine, qui a toujours été particulièrement attentive et
attachée aux principes généraux du droit» (par. 24).

10. Le juge Cançado Trindade observe ensuite que la Cour est restée attentive aux principes
généraux dans l’exercice de sa fonction judiciaire internationale, ajoutant ce qui suit :

«La Cour, étant maîtresse de sa procédure, ainsi que de sa compétence, est
pleinement fondée à déterminer librement l’ordre dans lequel elle se prononcera sur
les questions qui ont été soulevées par les Parties en litige. Et, ce faisant, elle n’est pas
limitée par les arguments que celles-ci ont avancés, comme cela ressort du

principe jura novit curia. La Cour connaît le droit et, en réglant les différends tout en
veillant à l’égalité des parties, elle dit ce qu’est le droit (juri dictio,
jus dicere)» (par. 25).

11. Le juge Cançado Trindade passe ensuite en revue la jurisprudence de la Cour concernant
les principes généraux dans les procédures incidentes (par. 26 à 31)  en gardant à l’esprit le - 4 -

principe de la bonne administration de la justice , les cas de jonction d’instances (par. 32 à 35) et

en matière consultative (par. 36 à 38). En résumé, il précise que

«le principe de la bonne administration de la justice se retrouve dans toutes les
procédures incidentes susmentionnées devant la Cour, à savoir les exceptions
préliminaires, les mesures conservatoires, les demandes reconventionnelles et
l’intervention. Comme on pouvait s’y attendre, les principes généraux imprègnent et
guident l’ensemble des procédures devant la Cour. Le contexte factuel des affaires
varie, mais l’incidence de ces principes se fait toujours sentir» (par. 30).

12. Le juge Cançado Trindade rappelle que, dans les opinions individuelles dont il a joint
l’exposé aux ordonnances rendues par la Cour (le 17 avril 2013) sur la jonction des instances dans
deux autres affaires latino-américaines  Certaines activités menées par le Nicaragua dans la
région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du
fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica) , il a jugé utile de préciser ce qui suit :

«A mon sens, une bonne administration de la justice ne peut que se fonder sur la
présence, immanente, de l’idée de justice. Il n’est pas rare que le texte de l’instrument
constitutif d’une juridiction ne suffise pas à guider son action ; pour rendre la justice
en pareilles circonstances, une juridiction internationale telle que la Cour doit se
référer aux prima principia. Tenter d’offrir une définition de la bonne administration
de la justice qui envisage toutes les situations possibles serait à la fois vain et

présomptueux.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les principes généraux du droit manifestent invariablement leur présence dans
la réalisation de la justice. De mon point de vue, ils comprennent non seulement les
principes reconnus dans les systèmes juridiques internes (par. 20), mais aussi les
principes généraux du droit international. Ils ont été réaffirmés maintes et maintes fois

et, même s’ils sont malheureusement négligés dans certains pans de la doctrine
juridique contemporaine, ils demeurent pleinement d’actualité. La Cour elle-même
n’a pas laissé de s’y référer dans une jurisprudence constante à cet égard. Les
partisans du positivisme juridique ont beau, fidèles à eux-mêmes, s’efforcer d’en
amoindrir le rôle, le fait est que nul système juridique ne peut exister sans principes,
que ce soit au niveau national ou à l’échelle internationale.

Les principes généraux du droit inspirent et façonnent les normes et les règles
des systèmes juridiques. Ces principes, qui se sont établis au fil des ans, forment selon
moi le substrat de tout ordre juridique, national ou international ; indispensables (en
tant que jus necessarium, allant bien au-delà du simple jus voluntarium), ils expriment
l’idée d’une justice objective (propre à la pensée jus naturaliste), de caractère
universel» (cité au paragraphe 40).

13. Le juge Cançado Trindade examine ensuite les principes généraux du droit international,
la doctrine latino-américaine et l’importance du pacte de Bogotá (partie V), dont l’article XXXI
constitue la base de compétence de la Cour aux fins du présent arrêt. Puis il rappelle que, au moment
de l’adoption du pacte de Bogotá, en 1948, il était entendu que celui-ci devait notamment mettre
l’accent sur le règlement judiciaire. L’article XXXI du pacte, en ce qu’il prévoit la juridiction
obligatoire de la CIJ pour régler «tous les différends d’ordre juridique», était considéré comme
étant conforme à la doctrine latino-américaine selon laquelle le droit et la justice devaient prévaloir

sur l’emploi de la force. - 5 -

14. Dès 1948, le pacte de Bogotá a été regardé comme un effort de codification du règlement
pacifique des différends allant au-delà de la solution arbitrale (profondément enracinée en
Amérique latine), puisqu’il prévoyait un règlement proprement judiciaire «sans qu’il soit besoin
d’un compromis à cet effet. Sans pour autant imposer un moyen particulier de règlement pacifique,

le pacte de Bogotá a constitué une avancée en ce qu’il a rendu obligatoire le règlement pacifique
des différends, et accru le recours à la Cour» (par. 41-42).

15. Ce progrès qu’a représenté l’adoption du pacte de Bogotá a été le point culminant d’une
e
évolution, qui avait débuté au XIX siècle — celle de l’engagement des pays latino-américains en
faveur du règlement pacifique des différends internationaux —, vers la juridiction obligatoire de la
Cour de La Haye. Cette caractéristique de la pensée juridique internationale latino-américaine est
le fruit de la concertation qu’ont menée les pays de la région dans deux séries de conférences :
a) les conférences latino-américaines (1826-1889) ; et b) les conférences panaméricaines
2
(1889-1948) , lesquelles ont conduit à l’adoption, en 1948 de la charte de l’OEA et du pacte de
Bogotá. Les avancées progressives réalisées dans le cadre de ce processus de concertation ont fait
écho à la deuxième conférence de la Paix de La Haye (1907), et à l’élaboration du statut de la CPJI,
en 1920, puis de la Cour, en 1945 (par. 43).

16. L’adoption du pacte de Bogotá, en 1948, a été le point culminant des efforts soutenus et
constants des Etats latino-américains en faveur du règlement pacifique des différends et de la
juridiction obligatoire de la Cour de La Haye à l’égard des différends «d’ordre juridique». Trois

ans après l’adoption de la Charte des Nations Unies, en 1945, ces Etats ont ainsi réalisé, à Bogotá,
l’objectif qu’ils avaient annoncé à la conférence de San Francisco : le recours obligatoire à la Cour,
en application de l’article XXXI du pacte, pour le règlement des différends «d’ordre juridique», et
ce, quelle que soit la position adoptée par les parties au pacte à l’égard de la clause facultative
(paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour) (par. 44). Selon le juge Cançado Trindade, le

pacte de Bogotá contenait

«une combinaison entre, d’une part, l’obligation de soumettre les différends d’ordre
juridique (c’est-à-dire ceux qui sont fondés sur des revendications de droits) au
règlement judiciaire ou arbitral et, d’autre part, le libre choix des moyens de règlement

pacifique en ce qui concerne les autres types de controverses ; le pacte de 1948
constituait une innovation en ce qu’il prévoyait le règlement pacifique de tous les
différends. En adoptant cet instrument, les Etats d’Amérique latine ont tenu à
manifester leur «esprit de confiance» ainsi que leur «intérêt commun» dans le
règlement judiciaire (plus abouti que le règlement arbitral) et, en particulier, la

juridiction obligatoire de la Cour. D’où la pertinence de l’article XXXI du pacte, y
compris en relation avec l’article VI» (par. 46).

17. Cela peut expliquer les initiatives ultérieures en vue de reviser le pacte (au milieu des

années 1950, au début des années 1970 et au milieu des années 1980), lesquelles n’ont cependant
pas abouti, cet instrument étant demeuré inchangé (par. 47 à 53). Le point suivant que le
juge Cançado Trindade examine dans son opinion individuelle est le recours au règlement
judiciaire par la Cour en application du pacte de Bogotá (partie VI), recours qui s’est accru à partir

de la fin des années 1980 (ce dont témoignent notamment les affaires suivantes : Activités armées

1 Qui ont débuté par la conférence (Congreso Anfictiónico) de Panama en 1826, suivie des conférences
(réunissant un petit groupe d’Etats) de Lima (1847-1848), Santiago de Chili (1856), Lima (1864-1865 et 1877-1880)
et Montevideo (1888-1889).

2 Qui ont débuté par la conférence de Washington (1889), suivie par les conférences internationales des
Etats américains de Mexico (1901-1902), Rio de Janeiro (1906), Buenos Aires (1910), Santiago de Chili (1923),
La Havane (1928), Montevideo (1933), Lima (1938) et Bogotá (1948, où la charte de l’OEA et le pacte de Bogotá ont été
adoptés, inaugurant l’ère de l’OEA). - 6 -

frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras, 1988), Différend territorial et maritime
entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (2007), Différend relatif à des droits de
navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua, 2009), Usines de pâte à papier sur le
fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay, 2010), Différend territorial et maritime (Nicaragua
c. Colombia, 2013), Différend maritime (Pérou c. Chili, 2014), auxquelles s’ajoutent cinq autres
3
affaires actuellement pendantes devant la Cour . Ce nonobstant, le juge Cançado Trindade ajoute
que, «en dépit de ce récent renouveau du pacte de Bogotá, personne ne se hasarderait à prévoir les
développements futurs que pourrait connaître son application ou à avancer des hypothèses à cet
égard. En dépit des progrès qui ont été réalisés, l’expérience acquise dans un contexte plus général
montre que le parcours qui mène à la juridiction obligatoire est particulièrement long et qu’il reste
encore bien du chemin à faire.» (Par. 55.)

18. En somme, poursuit le juge Cançado Trindade, l’article XXXI du pacte de Bogotá avait
pour objet de renforcer la compétence ratione materiae et ratione temporis de la Cour (en excluant
toute restriction tant que le pacte demeurerait en vigueur), mais aussi sa compétence
ratione personae (à l’égard de tous les Etats parties au pacte). Selon le juge Cançado Trindade, «la

conception volontariste traditionnelle (un avatar de la doctrine anachronique du positivisme
juridique) a ainsi débouché sur la conception rassurante du jus necessarium, pour le bénéfice de la
réalisation de la justice internationale» (par. 57). Il est désormais généralement admis que, par son
article XXXI, qui constitue une clause compromissoire énonçant l’engagement des Etats parties en
faveur de la compétence de la Cour à l’égard de tous les «différends d’ordre juridique», le pacte de

Bogotá a renforcé (indépendamment de la clause facultative du paragraphe 2 de l’article 36 du
Statut de la Cour) la procédure de règlement judiciaire par la Cour (par. 58).

19. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite au dernier volet de son opinion individuelle, à
savoir la troisième voie (third way/tercera via) prévue au paragraphe 9 de l’article 79 du Règlement

de la Cour, celle des exceptions n’ayant pas un caractère exclusivement préliminaire (partie VII).
Bien qu’elle ne se soit, dans le présent arrêt, que très brièvement référée à l’article XXXI du pacte
de Bogotá et à ladite disposition de son Règlement (par opposition à l’attention qu’elle a portée à
l’article VI du pacte), la Cour a, en d’autres occasions, examiné cette dernière plus avant
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique (fond, 1986), Lockerbie (exceptions préliminaires, 1998) et

Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et la Colombie (exceptions préliminaires, 2007)
(par. 59-60).

20. Le juge Cançado Trindade rappelle que, aux termes du paragraphe 9 de l’article 79 de
son Règlement, la Cour n’est pas tenue de se prononcer dans un sens ou dans l’autre sur l’exception

qui lui est présentée (c’est-à-dire en y faisant droit ou en la rejetant). Cette disposition prévoit en
effet une troisième voie (par. 61), à savoir que la Cour peut

«déclare[r] que cette exception n’a pas dans les circonstances de l’espèce un caractère
exclusivement préliminaire. Si la Cour rejette l’exception ou déclare qu’elle n’a pas
un caractère exclusivement préliminaire, elle fixe les délais pour la suite de la

procédure».

3Certaines Activités menées par le Nicaragua dans la zone frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction
d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica),  affaires dont les instances ont été
jointes , Délimitation maritime dans la mer des Caraïbes et l’océan Pacifique (Costa Rica c. Nicaragua), Violations
alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), Question de la
délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie). - 7 -

21. Dans cette hypothèse, la Cour, en décidant d’examiner l’affaire au fond, se déclare
compétente ; si tel est le cas, c’est parce que l’exception en cause contient, intrinsèquement,

certains aspects ayant trait au fond et, partant, nécessite un examen au fond. Il en va ainsi en la
présente espèce entre la Bolivie et le Chili en ce qui concerne le point de savoir si leur pratique
postérieure au traité de paix de 1904 étaye l’existence d’une obligation de négocier incombant à
l’Etat défendeur. Le juge Cançado Trindade ajoute que l’exception du Chili «n’a pas un caractère
exclusivement préliminaire, puisqu’elle apparaît plutôt comme un moyen de défense au fond contre
la demande de la Bolivie» (par. 62).

22. Le juge Cançado Trindade rappelle que des négociations ont eu lieu, qui se sont
prolongées bien après l’adoption du pacte de Bogotá et dans lesquelles les deux Parties en litige se
sont engagées activement ; bien qu’il n’y soit pas fait expressément référence dans le présent arrêt,
la Cour relève (au paragraphe 19) qu’il a été indiqué au cours de la procédure que des négociations
avaient eu lieu postérieurement au traité de paix de 1904 au sujet de questions qui demeuraient
pendantes, bien après la date d’adoption du pacte de Bogotá (c’est-à-dire le 30 avril 1948), et
jusqu’en 2012 (par. 63). Et le juge Cançado Trindade d’ajouter :

«Affirmer qu’il existe une obligation de négocier n’est pas la même chose que
d’affirmer qu’il existe une obligation de négocier en vue d’un accord ou d’un résultat
déterminé. La première affirmation n’implique pas la seconde. Il s’agit là d’une
question qui doit être examinée lors de la phase du fond. A ce stade, la Cour n’avait à
s’intéresser qu’à la première de ces deux assertions, celle de l’existence d’une
obligation de négocier. L’exception soulevée par l’Etat défendeur n’apparaît pas

comme ayant un caractère exclusivement préliminaire. Elle ne peut être dûment
traitée au fond que dans le cadre de l’examen de l’affaire au fond, et non en tant
qu’«exception préliminaire».» (Par. 64.)

23. Selon le juge Cançado Trindade, c’est donc sur la base de la troisième voie énoncée au
paragraphe 9 de l’article 79 (voir ci-dessus) que la Cour aurait dû décider d’examiner l’affaire au
fond ; cela aurait été «pour la Cour le moyen approprié et le plus prudent» de traiter l’exception

préliminaire en cause (par. 66). Le juge Cançado Trindade conclut que «l’objection soulevée par le
Chili apparaît comme un moyen de défense contre la demande de la Bolivie au fond, et [qu’]elle est
indissociablement liée à celle-ci». Et le juge Cançado Trindade d’ajouter que, en tout état de cause,
la Cour ne disposait pas de toutes les informations nécessaires pour se prononcer sur cette
exception en tant que question «préliminaire». Selon lui, il aurait été davantage conforme à la
bonne administration de la justice qu’elle reportât l’examen de cette question à la phase du fond,
les parties en litige ayant alors eu l’occasion de présenter intégralement leur argumentation. Cela

n’aurait engendré aucun retard dans la procédure au fond. Enfin, et ce n’est pas le moins
important, l’article VI du pacte de Bogotá n’exclut pas, selon le juge Cançado Trindade, la
compétence de la Cour à l’égard de différends nés après 1948 :

«prétendre le contraire priverait le pacte de son effet utile. Conformément au courant
majoritaire de la doctrine juridique internationale d’Amérique latine, le
pacte de Bogotá confère une importance cruciale au règlement judiciaire des

différends  sa réalisation principale  sur la base de l’article XXXI, lequel
constitue un tournant dans le développement conceptuel de ce domaine du droit
international» (par. 67). - 8 -

Déclaration de M. le juge Gaja

Même si la Bolivie a axé sa demande sur les négociations, celles-ci ne constituent qu’un
moyen devant lui permettre d’obtenir un accès souverain à la mer. La Cour aurait dû insister
davantage sur ce point lorsqu’elle a défini le différend.

Cet accès «souverain» passerait nécessairement par un territoire dont il a été convenu, dans
le traité de paix de 1904, qu’il ne relevait pas de la souveraineté bolivienne. La question de l’accès
de la Bolivie à la mer a donc été réglée cette année-là, ce qui a une incidence sur la compétence de
la Cour en vertu du pacte de Bogotá. Toute question ayant déjà été réglée peut cependant être

rouverte d’un commun accord entre les parties.

Compte tenu du lien entre le rôle que les négociations ont pu jouer pour rouvrir une question
déjà réglée, d’une part, et la possibilité d’inférer de celles-ci une obligation de négocier, d’autre
part, la Cour aurait dû juger que, dans ces conditions, l’exception d’incompétence soulevée par le
Chili n’avait pas un caractère exclusivement préliminaire.

Opinion dissidente de Mme la juge ad hoc Arbour

La juge ad hoc Arbour ne souscrit pas à la décision de la Cour selon laquelle l’exception
préliminaire du Chili a un caractère exclusivement préliminaire au sens du paragraphe 9 de
l’article 79 du Règlement de la Cour, celle-ci pouvant de ce fait se prononcer à son égard au stade
préliminaire. Elle précise que la Cour n’aurait dû le faire qu’après avoir pleinement pris
connaissance de l’argumentation des Parties au fond.

La juge ad hoc Arbour fait observer que la Bolivie a exposé l’objet de sa demande d’une
manière différente dans sa requête, son mémoire et aux premier et second tours de plaidoiries.
Selon elle, il était donc difficile de déterminer la portée et le contenu de l’obligation alléguée du
Chili de négocier un accès souverain de la Bolivie à l’océan Pacifique et, plus particulièrement, de
rechercher s’il s’agirait là d’une obligation de résultat.

La juge ad hoc Arbour relève que, si la Bolivie alléguait que le Chili était tenu de lui

céder — selon des modalités devant faire l’objet de négociations — une partie de son territoire
souverain pour lui octroyer un accès au Pacifique, la Cour n’aurait pas compétence par l’effet de
l’article VI du pacte de Bogotá, la question de l’accès souverain à l’océan Pacifique étant une
question réglée ou régie par le traité de paix de 1904. Compte tenu des incertitudes entourant la
nature, le contenu et la portée de la prétendue obligation de négocier, il était prématuré que la Cour
se prononce sur l’objet du différend. La juge ad hoc Arbour en conclut que la Cour n’aurait pas dû
statuer sur l’exception à ce stade de la procédure, mais seulement après avoir pleinement pris

connaissance de l’argumentation des Parties au fond.

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Résumé de l'arrêt du 24 septembre 2015

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