Résumé de l'arrêt du 16 décembre 2015

Document Number
18870
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2015/3
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2015/3
Le 16 décembre 2015

Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière
(Costa Rica c. Nicaragua)

et

Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan
(Nicaragua c. Costa Rica)

Résumé de l’arrêt du 16 décembre 2015

Chronologie de la procédure (par. 1-52)

La Cour rappelle, dans un premier temps, que, le 18 novembre 2010, la République du
Costa Rica (ci-après le «Costa Rica») a introduit une instance contre la République du Nicaragua
(ci-après le «Nicaragua») en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la
région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) (ci-après l’«affaire Costa Rica c. Nicaragua»). Dans
cette requête, le Costa Rica faisait en particulier grief au Nicaragua d’avoir envahi et occupé un
territoire costa-ricien, et d’y avoir construit un chenal ; il lui reprochait en outre d’exécuter un
certain nombre de travaux (de dragage du fleuve San Juan, notamment) en violation de ses
obligations internationales. La Cour indique par ailleurs que, le même jour, le Costa Rica a

présenté une demande en indication de mesures conservatoires, demande à la suite de laquelle elle
a, par ordonnance du 8 mars 2011 (ci-après l’«ordonnance du 8 mars 2011»), indiqué certaines
mesures à l’intention de chacune des Parties.

La Cour rappelle, dans un second temps, que, par requête déposée au Greffe le
22 décembre 2011, le Nicaragua a introduit contre le Costa Rica une instance en l’affaire relative à
la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica)
(ci-après l’«affaire Nicaragua c. Costa Rica»). Dans cette requête, le Nicaragua précisait que
l’affaire avait trait à des «atteintes à [s]a souveraineté … et [à des] dommages importants à

l’environnement sur son territoire», soutenant en particulier que le Costa Rica réalisait dans la zone
de la frontière entre les deux pays, le long du fleuve San Juan, de vastes travaux de construction
routière, en violation de plusieurs obligations internationales et avec de graves conséquences pour
l’environnement.

La Cour précise que, par deux ordonnances distinctes datées du 17 avril 2013, elle a joint les
instances dans les affaires Costa Rica c. Nicaragua et Nicaragua c. Costa Rica. Elle ajoute que, par
ordonnance en date du 22 novembre 2013 en l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, elle a réaffirmé les
mesures conservatoires indiquées le 8 mars 2011 et en a indiqué de nouvelles à l’intention des deux
Parties. - 2 -

Enfin, la Cour rerpelle que des audiences publiques ont été tenues dans les instances jointes
du 14 avril 2015 au 1 mai 2015, audiences au cours desquelles elle a entendu des experts appelés
par les Parties.

I. COMPÉTENCE DE LA C OUR (PAR . 54-55)

La Cour note que le Costa Rica et le Nicaragua ont chacun invoqué comme bases de
compétence l’article XXXI du pacte de Bogotá et les déclarations par lesquelles ils ont reconnu la
compétence obligatoire de la Cour conformément aux paragraphes 2 et 5 de l’article 36 du Statut,
et qu’aucun d’entre eux n’a contesté sa compétence pour connaître des demandes de l’autre. Elle
considère qu’elle a compétence pour connaître des deux affaires.

II. ONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE ET GENÈSE DES DIFFÉRENDS PAR . 56-64)

La Cour rappelle tout d’abord le contexte géographique dans lequel s’inscrivent les deux
affaires. Elle précise à cet égard que le fleuve San Juan coule sur une distance d’environ
205 kilomètres depuis le lac Nicaragua jusqu’à la mer des Caraïbes. En un point appelé

«Delta Colorado» (ou «Delta Costa Rica»), il bifurque pour donner naissance, d’une part, au
San Juan inférieur, le bras septentrional, qui se jette dans la mer des Caraïbes à une trentaine de
kilomètres en aval du point de bifurcation, et, d’autre part, au fleuve Colorado, le bras méridional et
le plus large des deux, qui coule entièrement en territoire costa-ricien avant d’atteindre la mer à
Barra de Colorado, à une vingtaine de kilomètres au sud-est de l’embouchure du San Juan
inférieur. Le territoire situé entre le fleuve Colorado et le cours inférieur du San Juan est
2
communément désigné Isla Calero (environ 150 km ) et englobe une région plus pe2ite, que le
Costa Rica appelle Isla Portillos et le Nicaragua, Harbor Head (environ 17 km ) et qui est située au
nord de ce qui fut autrefois le fleuve dénommé Taura. Dans la partie septentrionale d’Isla Portillos
se trouve la lagune de Los Portillos, ainsi que l’appelle le Costa Rica, ou lagune de Harbor Head,
selon son nom nicaraguayen, laquelle est actuellement séparée de la mer des Caraïbes par une

formation sableuse (voir croquis n° 1 ci-joint). Deux zones humides d’importance internationale se
trouvent dans cette région : la Humedal Caribe Noreste (zone humide du nord-est des Caraïbes) et
la Refugio de Vida Silvestre Río San Juan (réserve naturelle du fleuve San Juan).

La Cour en vient ensuite au contexte historique dans lequel s’inscrivent les différends qui
opposent les Parties. Elle observe à cet égard que, à la suite d’hostilités ayant eu lieu entre les deux

Etats en 1857, les Gouvernements costa-ricien et nicaraguayen conclurent en 1858, un traité de
limites qui fixait le tracé de la frontière entre les deux pays depuis l’océan Pacifique jusqu’à la mer
des Caraïbes (ci-après le «traité de 1858»). Le traité de 1858 établissait aussi le dominium et
l’imperium du Nicaragua sur les eaux du fleuve San Juan, tout en reconnaissant au Costa Rica le
droit d’y naviguer librement à des fins de commerce. Après que le Nicaragua eut, en diverses

occasions, contesté la validité de ce traité, le Costa Rica et le Nicaragua signèrent, le
24 décembre 1886, un autre instrument dans le cadre duquel ils convinrent de soumettre la question
de la validité du traité de 1858 à l’arbitrage du président des Etats-Unis d’Amérique,
Grover Cleveland, ainsi que divers autres points «d’interprétation douteuse».

La Cour relève que, dans la sentence qu’il rendit en 1888, le président Cleveland conclut

notamment à la validité du traité et que, comme suite à cette décision, le Costa Rica et le Nicaragua
convinrent, en 1896, d’établir deux commissions de démarcation nationales, lesquelles devaient
compter un ingénieur qui «disposera[it] de vastes pouvoirs pour trancher tout différend susceptible
de se faire jour dans le cadre de[s] … opérations, et [dont l]a décision sera[it] définitive». C’est
ainsi que fut nommé le général américain Edward Porter Alexander, lequel rendit, pendant le

processus de démarcation (qui commença en 1897 et s’acheva en 1900), cinq sentences, dont les
trois premières présentent un intérêt particulier pour l’affaire Costa Rica c. Nicaragua. - 3 -

La Cour rappelle ensuite que, à partir des années 1980, certaines divergences de vues se

firent jour entre les Parties au sujet de la portée exacte des droits de navigation conférés par le traité
de 1858 au Costa Rica, ce qui amena ce dernier à déposer devant la Cour une requête introductive
d’instance contre le Nicaragua le 29 septembre 2005. La Cour rendit son arrêt le 13 juillet 2009,
lequel précisa notamment la portée des droits de navigation du Costa Rica ainsi que celle du
pouvoir du Nicaragua de réglementer la navigation sur le fleuve San Juan.

La Cour en vient enfin à la genèse des deux différends. Elle indique que, le 18 octobre 2010,
le Nicaragua entreprit le dragage du fleuve San Juan, afin d’en améliorer la navigabilité. Il effectua
également des travaux dans la partie septentrionale d’Isla Portillos. La Cour relève que, si le
Costa Rica soutient que le Nicaragua a artificiellement percé un chenal (les deux Parties appellent
«caño» ce type de chenal) sur le territoire costa-ricien, à Isla Portillos entre le fleuve San Juan et la
lagune de Los Portillos/Harbor Head, le Nicaragua affirme, lui, s’être borné à dégager un caño

existant sur son territoire. Elle note par ailleurs que le Nicaragua déploya certaines formations
militaires et d’autres agents dans cette même zone.

La Cour observe également que, en décembre 2010, le Costa Rica amorça des travaux en vue
de la construction, sur son territoire, de la route 1856 Juan Rafael Mora Porras (ci-après la
«route»), qui longe une partie de sa frontière avec le Nicaragua et a une longueur prévue de

159,7 km, depuis Los Chiles, à l’ouest, jusqu’à un point situé juste au-delà oe «Delta Colorado», à
l’est. La route suit le cours du fleuve San Juan sur 108,2 km (voir croquis n 2 ci-joint). La Cour
note enfin que, le 21 février 2011, le Costa Rica prit un décret par lequel était déclaré l’état
d’urgence dans la région frontalière, ce qui, soutient-il, le dispensait de l’obligation de mener une
évaluation de l’impact sur l’environnement avant de construire la route.

III.Q UESTIONS EN LITIGE EN L ’AFFAIRE COSTA R ICA C . NICARAGUA (PAR . 65-144)

A. Souveraineté sur le territoire litigieux et violations alléguées de celle-ci (par. 65-99)

La Cour indique que, puisqu’il n’est pas contesté que le Nicaragua a mené certaines activités
dans le territoire litigieux, il y a lieu, pour rechercher si la souveraineté territoriale du Costa Rica a

été violée, de déterminer lequel des deux Etats a souveraineté sur ce territoire. Elle rappelle que,
dans son ordonnance du 8 mars 2011 portant indication de mesures conservatoires, elle a défini le
«territoire litigieux» comme «la partie septentrionale [d’]Isla Portillos, soit la zone humide
d’environ trois kilomètres carrés comprise entre la rive droite du caño [dragué en 2010 par le
Nicaragua], la rive droite du fleuve San Juan lui-même jusqu’à son embouchure dans la mer des
Caraïbes et la lagune de Harbor Head». La Cour précise que cette définition ne traite pas

spécifiquement du segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head, dont les
deux Parties admettent qu’elle est nicaraguayenne, et l’embouchure du San Juan. Elle ajoute que
les Parties ne lui ayant ni l’une ni l’autre demandé de préciser le tracé de la frontière par rapport à
cette côte, elle s’abstiendra de le faire.

Afin de trancher la question de savoir lequel des deux Etats jouit de la souveraineté sur le

territoire litigieux, la Cour examine les dispositions et passages pertinents du traité de 1858, de la
sentence Cleveland et des sentences Alexander invoqués par les Parties. Elle estime que le traité de
1858 et les sentences rendues par le président Cleveland et le général Alexander amènent à
conclure que l’article II dudit traité, qui place la frontière sur la «rive droite d[u] … fleuve», doit
s’interpréter à la lumière de l’article VI, aux termes duquel «la République du Costa Rica
aura ... un droit perpétuel de libre navigation sur les … eaux [du fleuve], entre l’embouchure [de

celui-ci] et un point situé à trois milles anglais en aval de Castillo Viejo». Ainsi que le
général Alexander l’a fait observer lorsqu’il a procédé à la démarcation de la frontière, le fleuve
est, dans le traité de 1858, considéré, «dans des conditions d’eau moyennes», comme un «débouché
en mer pour le commerce». De l’avis de la Cour, il découle des articles II et VI, lus conjointement,
que, pour que la rive droite d’un chenal du fleuve constitue la frontière, ce chenal doit être
navigable et offrir un «débouché en mer pour le commerce». Il apparaît ainsi que les droits de - 4 -

navigation du Costa Rica et la souveraineté sur la rive droite, qui a clairement été attribuée à ce
dernier jusqu’à l’embouchure du fleuve, sont liés.

La Cour note que le Nicaragua soutient que, du fait de l’évolution naturelle de la géographie
du territoire litigieux, le «premier chenal» auquel le général Alexander faisait référence dans sa
première sentence correspond de nos jours à un chenal reliant le fleuve, en un point situé au sud de
la lagune de Harbor Head, à l’extrémité méridionale de celle-ci, et qu’il s’agit du caño qu’il a
dragué en 2010, à seule fin d’en améliorer la navigabilité, ce que le Costa Rica conteste, affirmant
qu’il s’agit d’un caño artificiel. La Cour se livre ensuite à l’examen des différents éléments de

preuve soumis par les Parties. Elle estime que les photographies aériennes et images satellite
invoquées par le Nicaragua sont insuffisantes pour établir qu’un chenal naturel reliait le fleuve
San Juan à la lagune de Harbor Head suivant le même cours que celui du caño en question. Elle
considère par ailleurs que les déclarations établies par des agents de l’Etat nicaraguayen après
l’introduction de l’instance par le Costa Rica ne sont que de peu de poids pour étayer la prétention
du Nicaragua. S’agissant des cartes présentées par les Parties, la Cour est d’avis que, si celles-ci
fournissent, dans l’ensemble, des éléments qui confortent la position du Costa Rica, leur valeur est

limitée, étant donné qu’il s’agit dans tous les cas de cartes à petite échelle qui ne sont pas censées
représenter de manière détaillée le territoire litigieux. Enfin, pour ce qui est des effectivités,
constatant que celles-ci sont en tout état de cause d’une portée limitée, la Cour estime qu’elles ne
sauraient affecter le titre de souveraineté découlant du traité de 1858 et des sentences rendues par le
président Cleveland et le général Alexander.

La Cour relève en outre que l’existence de longue date d’un caño navigable à l’emplacement
revendiqué par le Nicaragua est mise en doute par un certain nombre d’éléments, notamment par la

présence dans le lit de ce cours d’eau, d’arbres de grande taille et d’un grand âge qui ont été
enlevés par le Nicaragua en 2010. De plus, étant donné que, dès le milieu de l’été 2011, le caño
dragué en 2010 ne reliait plus le fleuve à la lagune, ce dont conviennent les experts des deux
Parties, il paraît improbable qu’un chenal navigable suivant le même cours ait pu exister pendant
nombre d’années avant que le Nicaragua effectue ses opérations de dragage. Ce caño pourrait
difficilement avoir été le chenal navigable offrant un débouché en mer pour le commerce,
mentionné ci-dessus.

La Cour conclut dès lors que la rive droite du caño que le Nicaragua a dragué en 2010 ne
correspond pas à la frontière entre les deux Etats et que le territoire relevant de la souveraineté du
Costa Rica s’étend à la rive droite du cours inférieur du San Juan jusqu’à l’embouchure de celui-ci
dans la mer des Caraïbes. La souveraineté sur le territoire litigieux appartient donc au Costa Rica.

La Cour rappelle qu’il n’est pas contesté que, depuis 2010, le Nicaragua a mené un certain
nombre d’activités sur le territoire litigieux, y procédant notamment au creusement de trois caños et

à l’établissement d’une présence militaire par endroits. Ces activités constituaient des violations de
la souveraineté territoriale du Costa Rica. Le Nicaragua est responsable de ces violations et est, en
conséquence, tenu de réparer les dommages causés par ses activités illicites (voir ci-après la
section E).

La Cour relève ensuite que, selon le Costa Rica, «en occupant et en revendiquant une partie
du territoire costa-ricien», le Nicaragua a manqué à d’autres obligations lui incombant. Le

Costa Rica soutient notamment que le Nicaragua a manqué à l’obligation qu’il avait «de ne pas
utiliser le fleuve San Juan pour perpétrer des actes d’hostilité» aux termes de l’article IX du traité
de 1858. La Cour est toutefois d’avis qu’il n’a été produit aucun élément de preuve montrant que
le fleuve San Juan avait été le théâtre d’hostilités et rejette, en conséquence, la prétention y
afférente.

Le Costa Rica invite en outre la Cour à conclure à la violation par le Nicaragua de
«l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force consacrée par la Charte des Nations Unies

au paragraphe 4 de son article 2 et par la Charte de l’Organisation des Etats américains en son - 5 -

article 22». La Cour fait observer que les agissements du Nicaragua pertinents à cet égard ont été
abordés dans le cadre de l’examen de la violation de la souveraineté territoriale du Costa Rica. Elle

note néanmoins que le fait que le Nicaragua ait considéré que les activités auxquelles il se livrait
avaient lieu sur son propre territoire n’empêche pas que celles-ci puissent être considérées comme
relevant de l’emploi illicite de la force, ce qui soulèverait la question de leur conformité à la Charte
des Nations Unies et à la Charte de l’Organisation des Etats américains. Dans les circonstances de
l’espèce, toutefois, puisque le caractère illicite de ces activités a déjà été établi, la Cour est d’avis
qu’elle n’a pas à s’attarder plus longuement sur ce chef de conclusions du Costa Rica.

Enfin, le Costa Rica prie la Cour de déclarer que le Nicaragua a soumis le territoire
costa-ricien, «fût-ce de manière temporaire, à une occupation militaire, en contravention de
l’article 21 de la Charte de l’Organisation des Etats américains». Ayant déjà établi que la présence
de personnel militaire du Nicaragua dans le territoire litigieux constituait un fait illicite en tant que
violation de la souveraineté territoriale du Costa Rica, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire
qu’elle détermine si cette conduite du Nicaragua représente une occupation militaire en
contravention de l’article 21 de la Charte de l’Organisation des Etats américains.

B. Allégations de violation du droit international de l’environnement (par. 100-120)

La Cour en vient ensuite aux allégations du Costa Rica concernant la violation par le
Nicaragua des obligations que lui impose le droit international de l’environnement s’agissant des
activités de dragage entreprises par ce dernier en vue d’améliorer la navigabilité du cours inférieur
du fleuve San Juan.

1. Obligations de nature procédurale (par. 101-112)

La Cour commence par examiner les allégations du Costa Rica relatives à la violation, par le
Nicaragua, d’obligations de nature procédurale.

a) Allégation de violation de l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur
l’environnement (par. 101-105)

La Cour s’intéresse, en premier lieu, à l’allégation du Costa Rica selon laquelle le Nicaragua

ne s’est pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de procéder à une évaluation de l’impact sur
l’environnement.

Après avoir rappelé la conclusion qu’elle a formulée en l’affaire relative à des Usines de pâte
à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), à savoir que «l’on peut désormais
considérer qu’il existe, en droit international général, une obligation de procéder à une évaluation
de l’impact sur l’environnement lorsque l’activité industrielle projetée risque d’avoir un impact

préjudiciable important dans un cadre transfrontière, et en particulier sur une ressource partagée»
(C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83, par. 204), la Cour précise que, même si cette conclusion visait des
activités industrielles, le principe sous-jacent vaut, de manière générale, pour toute activité projetée
susceptible d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière. En
conséquence, afin de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe de faire preuve de la diligence
requise en vue de prévenir les dommages environnementaux transfrontières importants, un Etat
doit, avant d’entreprendre une activité pouvant avoir un impact préjudiciable sur l’environnement
d’un autre Etat, vérifier s’il existe un risque de dommage transfrontière important, ce qui

déclencherait l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact sur l’environnement.

La Cour rappelle que c’est à la lumière des circonstances propres à chaque cas que doit être
déterminée la teneur de l’évaluation de l’impact sur l’environnement. Si l’évaluation de l’impact
sur l’environnement confirme l’existence d’un risque de dommage transfrontière important, l’Etat
d’origine est tenu, conformément à son obligation de diligence due, d’informer et de consulter de - 6 -

bonne foi l’Etat susceptible d’être affecté, lorsque cela est nécessaire aux fins de définir les
mesures propres à prévenir ou réduire ce risque.

La Cour relève que, dans le cas d’espèce, le risque principal évoqué par le Costa Rica tenait
à l’impact préjudiciable éventuel des activités de dragage sur le débit du fleuve Colorado,
lesquelles auraient également pu porter préjudice à sa zone humide.

Après examen des éléments de preuve versés au dossier, y compris les rapports et exposés
des experts que les deux Parties ont fait entendre, la Cour conclut que le programme de dragage
envisagé en 2006 n’était pas de nature à créer un risque de dommage transfrontière important, que

ce soit à l’égard du débit du fleuve Colorado ou de la zone humide du Costa Rica. En l’absence de
risque de dommage transfrontière important, le Nicaragua n’avait pas l’obligation d’effectuer une
évaluation de l’impact sur l’environnement.

b) Allégation de violation d’une obligation de notification et de consultation (par. 106-111)

La Cour se penche, en second lieu, sur l’allégation du Costa Rica selon laquelle le Nicaragua
aurait violé une obligation de notification et de consultation qui lui incombait envers le Costa Rica,

tant au titre du droit international général que de plusieurs instruments, à savoir le traité de 1858, la
convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme
habitats des oiseaux d’eau, signée à Ramsar le 2 février 1971 (ci-après la «convention de Ramsar»)
et la convention concernant la conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires
de faune et de flore sauvages d’Amérique centrale.

La Cour observe que, contrairement à ce que soutient le Nicaragua, le fait que le traité

de 1858 énonce, en matière de notification et de consultation, des obligations limitées visant
certaines situations précises n’a pas pour effet d’écarter d’autres obligations de nature procédurale
relatives aux dommages transfrontières, qui pourraient exister en droit international conventionnel
ou coutumier. En tout état de cause, la Cour estime que, puisque le droit international n’imposait
au Nicaragua aucune obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement en
l’absence de risque de dommage transfrontière important, il n’était pas tenu d’informer ou de
consulter le Costa Rica.

En ce qui concerne la convention de Ramsar, la Cour relève que, bien que le paragraphe 2 de
l’article 3 énonce une obligation de notification, celle-ci se résume à informer le Secrétariat de la
convention au sujet des modifications touchant ou susceptibles de toucher les «caractéristiques
écologiques des zones humides» situées sur le territoire de l’Etat en question. En l’espèce, les
éléments de preuve présentés à la Cour n’indiquent pas que le programme de dragage du Nicaragua
ait entraîné une quelconque modification des caractéristiques écologiques de la zone humide, ni
qu’il ait été susceptible, à moins qu’il ne soit étendu, d’avoir un tel effet. Aussi la Cour en

vient-elle à la conclusion que le Nicaragua n’était tenu à aucune obligation d’informer le
Secrétariat de la convention de Ramsar. Pour ce qui est de l’article 5 de ce même instrument, la
Cour observe que, si cette disposition établit une obligation générale de consultation concernant
«l’exécution des obligations découlant de la Convention», elle n’oblige pas le Nicaragua à
consulter le Costa Rica au sujet d’un projet particulier qu’il entreprend, en l’occurrence le dragage
du cours inférieur du fleuve San Juan. Il découle de ce qui précède que le Nicaragua n’était pas
tenu, au titre de la convention de Ramsar, d’informer ou de consulter le Costa Rica avant

d’entreprendre son projet de dragage.

S’agissant enfin de la convention concernant la conservation de la biodiversité et la
protection des zones prioritaires de faune et de flore sauvages d’Amérique centrale, la Cour estime
qu’elle n’a pas à poursuivre son examen, puisque ni l’une ni l’autre des dispositions invoquées par
le Costa Rica n’impose une obligation de notification ou de consultation. - 7 -

c) Conclusion (par. 112)

La Cour conclut qu’il n’a pas été établi que le Nicaragua a manqué à de quelconques
obligations de nature procédurale lui incombant envers le Costa Rica au titre du droit international
conventionnel ou coutumier de l’environnement. Elle prend acte de l’engagement du Nicaragua,
formulé au cours de la procédure orale, de procéder à une nouvelle étude de l’impact sur
l’environnement avant toute expansion d’ampleur de son programme de dragage actuel. Elle
remarque par ailleurs que le Nicaragua a déclaré qu’il veillerait à ce que pareille étude comporte
une analyse des risques de dommage transfrontière et ferait en sorte d’informer et de consulter le

Costa Rica dans le cadre de ce processus.

2. Obligations de fond en matière de dommages transfrontières (par. 113-120)

La Cour ayant déjà conclu que la responsabilité du Nicaragua était engagée à raison des
dommages causés par les activités auxquelles il s’est livré en violation de la souveraineté
territoriale du Costa Rica, il lui reste à déterminer si le Nicaragua est responsable de dommages
transfrontières qui auraient été causés par les activités de dragage qu’il a entreprises dans des zones

relevant de sa propre souveraineté territoriale, sur le cours inférieur du San Juan et sa rive gauche.

La Cour examine tout d’abord le droit applicable à ce sujet. Elle considère qu’elle n’aurait
besoin d’examiner la question de l’articulation entre le traité de 1858 tel qu’interprété par la
sentence Cleveland et la règle actuelle du droit international coutumier relative aux dommages
transfrontières que s’il était prouvé par le Costa Rica que le programme de dragage mis en œuvre
dans le fleuve San Juan inférieur a causé des dommages sur son territoire.

Or, de l’avis de la Cour, le Costa Rica n’a pas établi de manière convaincante que les
sédiments dragués du fleuve ont été déposés sur la rive droite de celui-ci. Il n’a pas davantage
démontré que le programme de dragage a porté préjudice à sa zone humide ou qu’il ait eu des
répercussions importantes sur le fleuve Colorado.

En conséquence, la Cour conclut que les éléments de preuve disponibles ne montrent pas que
le Nicaragua a manqué à ses obligations en s’engageant dans des activités de dragage sur le cours
inférieur du fleuve San Juan.

C. Respect des mesures conservatoires (par. 121-129)

La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 8 mars 2011, elle a indiqué que chaque Partie
devait «s’abst[enir] d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieux, y compris le caño, des
agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité», et par ailleurs «s’abst[enir] de tout acte qui
risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont [elle] [était] saisie ou d’en rendre la solution

plus difficile». Sur la base des faits qui sont désormais incontestés, la Cour conclut que, en
creusant deux caños et en établissant une présence militaire sur le territoire litigieux, le Nicaragua a
manqué aux obligations qui lui incombaient au titre de l’ordonnance du 8 mars 2011. Elle ne
constate, en revanche, aucune violation de son ordonnance du 22 novembre 2013 portant indication
de mesures conservatoires.

En conséquence, la Cour conclut que, en creusant les deuxième et troisième caños et en
établissant une présence militaire sur le territoire litigieux, le Nicaragua a manqué aux obligations

qui lui incombaient au titre de l’ordonnance de 2011. Elle précise que cette conclusion est
indépendante de celle qui a été formulée précédemment (voir la section A) et selon laquelle ces
mêmes agissements emportent également violation de la souveraineté territoriale du Costa Rica. - 8 -

D. Droits de navigation (par. 130-136)

La Cour rappelle que, dans ses conclusions finales, le Costa Rica avance par ailleurs que le
Nicaragua a violé «les droits perpétuels de libre navigation dont [il] peut se prévaloir sur le
San Juan conformément au traité de limites de 1858, à la sentence Cleveland de 1888 et à l’arrêt de
la Cour du 13 juillet 2009».

Bien que le Nicaragua ait contesté la recevabilité de cette conclusion, au motif que celle-ci
n’entre pas dans le cadre de la requête et que son objet est sans rapport avec celui du «litige
principal», la Cour observe que le point 41 f) de la requête du Costa Rica prie la Cour de dire et

juger que, «par son comportement, le Nicaragua a violé … l’obligation de ne pas interdire la
navigation de ressortissants costa-riciens sur le San Juan». S’il est vrai que cette conclusion du
Costa Rica pourrait être comprise comme se rapportant aux «activités de dragage et de creusement
d’un canal qu[e le Nicaragua] m[enait] … dans le San Juan», dont il était également question au
même paragraphe de la requête, rien dans sa formulation ne permet d’affirmer qu’elle s’y limitait.
La Cour considère donc que la conclusion finale du Costa Rica concernant les droits de navigation
est recevable.

Au nombre des atteintes qui auraient été portées à ses droits de navigation, le Costa Rica
reproche au Nicaragua d’avoir pris un décret en octobre 2009 concernant la navigation sur le
San Juan. La Cour observe que, s’il va de soi que ce décret devrait être conforme à l’article VI du
traité de 1858, tel qu’elle l’a interprété, aucun des incidents spécifiquement invoqués par le
Costa Rica au titre de l’entrave à ses droits de navigation n’a trait à l’application de ce texte. Elle
considère donc qu’il n’y a pas lieu pour elle d’examiner ce décret.

La Cour note ensuite que le Costa Rica soutient qu’il a été porté atteinte à ses droits de
navigation dans le cadre de cinq incidents. Estimant que le Nicaragua n’a pas apporté de
justification convaincante, au regard de l’article VI du traité de 1858, de la conduite de ses agents
lors de deux de ces incidents, qui concernent la navigation sur le fleuve San Juan par des personnes
habitant la rive costa-ricienne de celui-ci, la Cour conclut que, en raison desdits incidents, le
Nicaragua a violé les droits de navigation sur le fleuve San Juan que le Costa Rica tient du traité
de 1858. Elle ajoute que, compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire pour elle

d’examiner les autres incidents allégués par le Costa Rica.

E. Réparations (par. 137-144)

La Cour en vient enfin à la question des réparations. Elle note à cet égard que, étant donné
les conclusions auxquelles elle est parvenue aux sections B et D, elle ne peut faire droit aux
demandes présentées par le Costa Rica en ce qui concerne l’abrogation du décret de 2009 relatif à
la navigation et la cessation des activités de dragage. La Cour estime que la constatation par elle de

ce que le Nicaragua a violé la souveraineté territoriale du Costa Rica en creusant trois caños et en
établissant une présence militaire sur le territoire litigieux constitue une satisfaction appropriée au
préjudice immatériel subi à ce titre. Il en va de même de la constatation de la violation des
obligations découlant de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour
le 8 mars 2011. Enfin, la constatation de la violation, dans les conditions rappelées à la section D
ci-dessus, des droits de navigation conférés au Costa Rica constitue également une satisfaction
appropriée à cet égard.

S’agissant de la demande tendant à la fourniture d’«assurances et garanties appropriées de
non-répétition», la Cour considère que, bien que le Nicaragua ait manqué aux obligations découlant
de l’ordonnance de 2011, il convient de prendre également en considération le fait qu’il s’est par la
suite conformé à celles énoncées dans l’ordonnance du 22 novembre 2013. Elle est donc d’avis
qu’il y a tout lieu de penser que le Nicaragua adoptera la même attitude à l’égard de la situation de
droit résultant du présent arrêt, compte tenu notamment du fait que la question de la souveraineté

territoriale sur le territoire litigieux est désormais réglée. - 9 -

La Cour considère que le Costa Rica est fondé à recevoir indemnisation pour les dommages

matériels découlant des violations dont la Cour a constaté la commission par le Nicaragua. Elle
indique qu’elle ne pourrait procéder à l’évaluation de ces dommages et du montant de l’indemnité
que dans le cadre d’une procédure distincte. La Cour estime que les Parties devraient mener des
négociations afin de s’entendre sur ces questions. Toutefois, si elles ne parviennent pas à un accord
dans un délai de 12 mois à partir de la date du présent arrêt, la Cour déterminera, à la demande de
l’une d’entre elles, le montant de l’indemnité sur la base de pièces écrites additionnelles limitées à
cet objet.

Enfin, bien que notant que, en ne respectant pas les prescriptions de l’ordonnance de 2011, le
Nicaragua ait conduit le Costa Rica à engager une nouvelle procédure en indication de mesures
conservatoires, la Cour considère que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la
condamnation du Nicaragua à supporter certains frais de procédure du Costa Rica, comme celui-ci
l’a demandé, ne serait pas appropriée.

IV. QUESTIONS EN LITIGE EN L ’AFFAIRE N ICARAGUA C . COSTA RICA (PAR . 145-228)

La Cour rappelle, à titre liminaire, que, dans la requête qu’il a déposée le 22 décembre 2011,
le Nicaragua allègue que, à l’occasion de la construction de la route le long du fleuve San Juan, le
Costa Rica a manqué à des obligations de nature tant procédurale que substantielle.

A. Allégations de violation d’obligations de nature procédurale (par. 146-173)

La Cour commence par examiner les allégations de violation d’obligations d’ordre
procédural.

1. Allégation de violation de l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur
l’environnement (par. 146-162)

La Cour se penche tout d’abord sur l’allégation du Nicaragua selon laquelle le Costa Rica a
manqué à l’obligation qui lui incombait au titre du droit international général d’évaluer, avant le
début des travaux, l’impact environnemental de la construction de la route, compte tenu en
particulier de la longueur et de l’emplacement de celle-ci.

La Cour rappelle que, au titre de l’obligation qui lui incombe de faire preuve de la diligence
requise en vue de prévenir les dommages transfrontières importants, un Etat doit vérifier s’il existe

un risque de dommage transfrontière important avant d’entreprendre une activité pouvant avoir un
impact préjudiciable sur l’environnement d’un autre Etat. Si tel est le cas, il lui faut effectuer une
évaluation de l’impact sur l’environnement. L’obligation en question incombe à l’Etat qui
s’engage dans l’activité visée. En l’espèce, c’était donc au Costa Rica, et non au Nicaragua, qu’il
revenait d’apprécier, avant le début des travaux de construction routière et sur la base d’une
évaluation objective de l’ensemble des circonstances, l’existence d’un risque de dommage

transfrontière important.

La Cour note que le conseil du Costa Rica a déclaré à l’audience qu’une évaluation
préliminaire du risque afférent au projet avait été effectuée au moment où avait été prise la décision
de construire la route. La Cour relève que la réalisation d’une évaluation préliminaire du risque
créé par une activité est l’un des moyens par lesquels un Etat peut vérifier si ladite activité
comporte un risque de dommage transfrontière important. Elle considère toutefois que le

Costa Rica n’a présenté aucune preuve qu’il avait effectivement procédé à une telle évaluation
préliminaire.

La Cour indique que, pour rechercher si, à la fin de l’année 2010, la construction de la route
comportait un risque de dommage transfrontière important, il lui faut prendre en considération la
nature et l’envergure du projet, ainsi que le contexte dans lequel il devait être réalisé. En raison du - 10 -

fait que le projet ne manquait pas d’ampleur, de l’emplacement projeté de la route le long du San
Juan, et des caractéristiques géographiques du bassin hydrographique où la route devait être

construite (et notamment du fait que celle-ci devait traverser une zone humide d’importance
internationale en territoire costa-ricien et passer à proximité immédiate d’une autre zone humide
protégée située en territoire nicaraguayen), la Cour conclut que le projet de construction routière
entrepris par le Costa Rica comportait un risque de dommage transfrontière important et que, en
conséquence, le seuil d’application de l’obligation d’évaluer l’impact de ce projet sur
l’environnement était atteint.

La Cour en vient ensuite à la question de savoir si le Costa Rica était dispensé de son
obligation d’évaluer l’impact du projet routier sur l’environnement en raison d’une situation
d’urgence. En premier lieu, elle rappelle qu’elle a déjà dit qu’«il revient à chaque Etat de
déterminer, dans le cadre de sa législation nationale ou du processus d’autorisation du projet, la
teneur exacte de l’évaluation de l’impact sur l’environnement requise dans chaque cas» compte
tenu de différents facteurs (Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay),
arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83, par. 205). Elle observe que le renvoi au droit interne ainsi

opéré ne concerne pas la question de savoir s’il y a lieu ou non de procéder à une évaluation de
l’impact sur l’environnement. Il s’ensuit que l’existence, en droit costa-ricien, d’une dérogation
fondée sur l’urgence n’aurait aucune incidence sur l’obligation d’effectuer une évaluation de
l’impact sur l’environnement incombant au Costa Rica au titre du droit international.

En second lieu, indépendamment de la question de savoir si une situation d’urgence est
susceptible d’exonérer un Etat de son obligation, en droit international, d’effectuer une évaluation
de l’impact sur l’environnement ou de lui permettre d’en différer l’exécution jusqu’à la cessation

de l’urgence en question, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le Costa Rica n’a
pas démontré l’existence d’une urgence justifiant de construire la route sans entreprendre
d’évaluation de l’impact sur l’environnement.

Compte tenu de cette conclusion, la Cour n’a pas à se prononcer sur la question de
l’existence d’une dérogation, en cas d’urgence, à l’obligation d’effectuer une évaluation de
l’impact sur l’environnement dans les cas où il existe un risque de dommage transfrontière

important.

Il s’ensuit que le Costa Rica était tenu de procéder à une telle évaluation avant d’amorcer les
travaux de construction.

Abordant ensuite la question de savoir si le Costa Rica s’est conformé à son obligation
d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement, la Cour constate qu’il a réalisé
plusieurs études, notamment un plan de gestion environnementale relatif au projet routier en

avril 2012, un «diagnostic de l’impact sur l’environnement» en novembre 2013 et une étude de
suivi dudit diagnostic en janvier 2015. Ces différentes études comportaient une évaluation des
effets préjudiciables déjà causés par la construction de la route sur l’environnement ainsi que des
recommandations pour la prise de mesures destinées à prévenir ou atténuer ces effets.

La Cour rappelle qu’elle a dit, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à des Usines
de pâte à papier, que l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact sur l’environnement est une
obligation continue et qu’il y a lieu d’assurer la surveillance des effets du projet sur

l’environnement, au besoin pendant toute la durée de vie de celui-ci (C.I.J. Recueil 2010 (I),
p. 83-84, par. 205). Cette obligation requiert toutefois que le risque de dommage transfrontière
important soit évalué ex ante ; c’est pourquoi «une évaluation de l’impact sur l’environnement doit
être réalisée avant la mise en œuvre du projet» (ibid., p. 83, par. 205). En l’espèce, le Costa Rica
avait l’obligation de procéder à une telle évaluation avant d’entreprendre la construction de la
route, afin de s’assurer que le projet serait conçu et réalisé de manière à réduire dans toute la
mesure du possible le risque de dommage transfrontière important. Or le «diagnostic de l’impact

sur l’environnement» et les autres études effectuées par le Costa Rica ont consisté dans une - 11 -

évaluation post hoc de l’impact environnemental des tronçons de route déjà construits, et ne
comportaient pas d’évaluation des risques de dommage à venir. La Cour relève en outre que ce

diagnostic a été établi environ trois ans après la mise en chantier du projet.

Pour les raisons qui précèdent, la Cour conclut que le Costa Rica ne s’est pas acquitté de
l’obligation qu’il avait, en vertu du droit international général, d’effectuer une évaluation de
l’impact environnemental de la construction de la route.

2. Allégation de violation de l’article 14 de la convention sur la diversité biologique
(par. 163-164)

S’intéressant à l’allégation du Nicaragua selon laquelle le Costa Rica était tenu d’effectuer
une évaluation de l’impact sur l’environnement au titre de l’article 14 de la convention sur la
diversité biologique, la Cour considère que la disposition en question ne crée pas d’obligation
d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement avant d’entreprendre une activité
susceptible de nuire sensiblement à la diversité biologique. Il n’a donc pas été établi que, en
omettant d’évaluer l’impact sur l’environnement de son projet routier, le Costa Rica a enfreint

l’article 14 de la convention sur la diversité biologique.

3. Allégation de violation d’une obligation de notification et de consultation (par. 165-172)

La Cour en vient ensuite à l’allégation du Nicaragua selon laquelle le Costa Rica aurait
manqué à l’obligation de notification et de consultation qu’il avait envers lui au sujet des travaux
de construction, obligation qui aurait selon lui trois sources, à savoir le droit international
coutumier, le traité de 1858 et la convention de Ramsar.

La Cour réitère tout d’abord sa conclusion selon laquelle, si l’évaluation de l’impact sur
l’environnement confirme l’existence d’un risque de dommage transfrontière important, l’Etat
d’origine est tenu, en vue de satisfaire à son obligation de faire preuve de la diligence requise pour
prévenir les dommages transfrontières importants, d’informer et de consulter de bonne foi l’Etat
susceptible d’être affecté, lorsque cela est nécessaire aux fins de définir les mesures propres à
prévenir ou réduire ce risque. Elle fait toutefois observer que la question de l’obligation de
notification et de consultation n’appelle pas un examen par elle en l’espèce, puisqu’elle a conclu

que le Costa Rica ne s’est pas acquitté de l’obligation qu’il avait, en droit international général,
d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement avant d’entreprendre la construction de
la route.

En ce qui concerne le traité de 1858, la Cour rappelle que, dans son arrêt de 2009, elle a dit
que l’obligation de notification dont le Nicaragua était, au titre du traité de 1858, redevable au
Costa Rica découlait, entre autres, des droits de navigation que ce dernier détient sur le fleuve

San Juan, situé en territoire nicaraguayen. Le Nicaragua ne tenant quant à lui du traité de 1858
aucun droit sur le territoire costa-ricien, où la route est construite, il n’en résulte aucune obligation
pour le Costa Rica de notifier au Nicaragua les mesures prises sur son territoire. La Cour conclut
que le traité de 1858 ne faisait peser sur le Costa Rica aucune obligation de notification envers le
Nicaragua en ce qui concerne la construction de la route.

Pour ce qui est de la convention de Ramsar, la Cour est d’avis que le Nicaragua n’a pas
démontré que le projet de construction routière a modifié ou risquait de modifier les

caractéristiques écologiques de la zone humide située sur son territoire. Qui plus est et
contrairement aux affirmations du Nicaragua, le Costa Rica a, le 28 février 2012, informé le
Secrétariat de la convention de Ramsar qu’une section de la route traversait la zone humide
Humedal Caribe Noreste. La Cour conclut en conséquence que le Nicaragua n’a pas prouvé que le
Costa Rica a enfreint les dispositions du paragraphe 2 de l’article 3 de la convention de Ramsar.
S’agissant de l’article 5 de celle-ci, la Cour est d’avis que cette disposition n’impose au Costa Rica - 12 -

aucune obligation de consultation envers le Nicaragua au sujet d’un projet particulier qu’il
entreprend, comme, en l’occurrence, la construction de la route.

En conclusion, la Cour constate que le Costa Rica a manqué à son obligation d’évaluer
l’impact environnemental de la construction de la route. Il demeure tenu de procéder à une
évaluation appropriée relativement à tous nouveaux travaux qu’il envisagerait d’exécuter sur la
route ou dans la zone adjacente au fleuve San Juan et qui présenteraient un risque de dommage
transfrontière important. Le Costa Rica admet lui-même être tenu à pareille obligation. Il n’y a pas
lieu de supposer que, lorsqu’il entreprendra de nouveaux travaux dans ce secteur, notamment dans

le cadre de la construction de la route, il ne tiendra pas compte des motifs et des conclusions
énoncés dans le présent arrêt. La Cour relève par ailleurs que le Nicaragua s’est, à l’audience,
engagé à coopérer avec le Costa Rica pour l’évaluation de l’impact de tels travaux sur le fleuve.
Elle considère à cet égard que, si les circonstances l’exigent, le Costa Rica devra consulter de
bonne foi le Nicaragua, qui a souveraineté sur le fleuve San Juan, en vue de définir les mesures
propres à prévenir la survenance de dommages transfrontières importants ou à en réduire le risque.

B. Allégations de violation d’obligations de fond (par. 174-223)

La Cour examine ensuite les allégations concernant la violation, par le Costa Rica, des
obligations de fond lui incombant au titre du droit international coutumier et des conventions
internationales applicables.

1. Allégation de violation de l’obligation de ne pas causer de dommage transfrontière
important au Nicaragua (par. 177-217)

a) Apport sédimentaire au fleuve attribuable à la route (par. 181-186)

En ce qui concerne l’apport sédimentaire au fleuve attribuable à la route, la Cour observe
que le déversement dans le fleuve de sédiments produits par l’érosion de la route n’est pas contesté.
S’agissant du volume total de ces sédiments, elle fait remarquer que les éléments de preuve dont
elle dispose sont fondés sur la modélisation et les estimations réalisées par les experts des deux
Parties. La Cour relève par ailleurs qu’il existe entre les experts d’importantes divergences de vues
sur certaines données fondamentales telles que la superficie des zones touchées par l’érosion et les

taux d’érosion qu’il convient d’appliquer à chacune d’elles, divergences qui les ont conduits à des
conclusions différentes quant au volume total des sédiments produits par la route. N’estimant pas
nécessaire de procéder à un examen approfondi de la valeur scientifique et technique des
différentes estimations avancées par les experts des Parties, la Cour constate simplement que la
quantité de sédiments dans le fleuve provenant de la construction de la route représente tout au plus
2 % de la charge sédimentaire totale du fleuve, selon les évaluations du Costa Rica fondées sur les
conclusions des experts du Nicaragua, et non contestées par ce dernier.

b) Question de savoir si les sédiments produits par la route ont causé des dommages
importants au Nicaragua (par. 187-216)

La Cour fait observer que la question centrale qu’elle doit trancher est celle de savoir si la
construction de la route par le Costa Rica a causé des dommages importants au Nicaragua. Pour y
répondre, la Cour commence par rechercher si le seul fait que la quantité totale de sédiments dans
le fleuve a augmenté par suite de la construction de la route a causé des dommages importants au

Nicaragua.

i) Les dommages qui auraient résulté de la hausse des concentrations sédimentaires
dans le fleuve (par. 188-196)

La Cour estime qu’il est inexact d’avancer, comme le fait le Nicaragua, que tout effet
préjudiciable sur le San Juan qui serait mesurable constituerait un dommage important. Le fleuve - 13 -

présente une charge sédimentaire naturellement élevée et le Nicaragua n’a pas montré que les
niveaux de sédiments présents sont tels que tout apport supplémentaire issu de l’érosion de la route

entraînerait le franchissement de quelque «point critique» s’agissant des effets préjudiciables. De
plus, la Cour considère que, contrairement aux allégations du Nicaragua, il ne s’agit pas en l’espèce
de décider si l’apport sédimentaire de la route dépasse un certain seuil de tolérance, qui n’a pas été
identifié en ce qui concerne le fleuve San Juan. Elle n’est donc pas convaincue par l’argument du
Nicaragua voulant que la quantité totale de sédiments dans le fleuve provenant de la construction
de la route cause par elle-même un dommage important.

La Cour examine donc l’impact relatif des sédiments issus de la route sur la charge
sédimentaire globale actuelle du San Juan. Elle relève que, d’après les éléments de preuve dont
elle dispose et compte tenu des estimations fournies par les experts en ce qui concerne la quantité
de sédiments dans le fleuve provenant de la construction de la route et la charge sédimentaire totale
du fleuve San Juan, l’apport sédimentaire attribuable à la route représente tout au plus 2 % de la
charge totale du fleuve. La Cour considère qu’une telle proportion ne permet pas de conclure à un
dommage important, surtout s’il est tenu compte de la forte variabilité naturelle des charges

sédimentaires du fleuve. En tout état de cause, de l’avis de la Cour, les seules mesures qui ont été
produites devant elle n’étayent pas l’affirmation du Nicaragua selon laquelle les sédiments résultant
de l’érosion de la route auraient eu un impact important sur les concentrations sédimentaires du
fleuve.

La Cour conclut que le Nicaragua n’a pas établi que le seul fait que les concentrations
sédimentaires ont augmenté dans le fleuve à la suite de la construction de la route a causé des
dommages transfrontières importants.

ii) L’atteinte qui aurait été portée à la morphologie du fleuve, à la navigation et au
programme de dragage du Nicaragua (par. 197-207)

La Cour recherche ensuite si l’apport sédimentaire attribuable à la route a causé, à un autre
titre, des dommages importants. Elle commence par examiner si l’augmentation en cause a porté
atteinte à la morphologie du fleuve, à la navigation et au programme de dragage du Nicaragua.

La Cour relève que le Nicaragua n’a produit aucune preuve directe des changements
morphologiques que le San Juan inférieur aurait subis ou de la dégradation de sa navigabilité
depuis le commencement de la construction de la route. Elle estime par ailleurs établi, au vu des
rapports et exposés d’expert qui lui ont été soumis, que l’accumulation des sédiments est un
phénomène naturel et ancien dans le San Juan inférieur et que ceux-ci se déposent le long du fleuve
selon un processus non linéaire. Les sédiments produits par la route sont un facteur parmi d’autres
pouvant avoir un impact sur l’alluvionnement du San Juan inférieur. La Cour considère en

conséquence que les éléments produits par le Nicaragua ne prouvent pas que les changements
morphologiques qu’aurait subis ce cours d’eau puissent être spécifiquement attribués à la
construction de la route.

S’agissant de l’allégation du Nicaragua selon laquelle la construction de la route a causé un
accroissement considérable de la quantité de sédiments qu’il lui faut draguer, la Cour relève qu’il
n’a fourni aucune preuve de ce que ses opérations de dragage se seraient intensifiées en raison de la
construction de la route. La Cour observe que rien n’indique que les sédiments résultant de la

construction de la route soient davantage susceptibles de se déposer au fond du fleuve que ceux
provenant d’autres sources. Ainsi, les sédiments issus de la route représenteraient au maximum
2 % des volumes dragués par le Nicaragua dans le cours inférieur du San Juan. Elle n’est donc pas
convaincue que les sédiments issus de la route aient contribué de manière importante à
l’exhaussement du lit du San Juan inférieur ou à l’alourdissement de la tâche du Nicaragua en
matière de dragage. - 14 -

Enfin, la Cour en vient à l’argument du Nicaragua selon lequel la formation de deltas
sédimentaires le long de la rive costa-ricienne du fleuve a causé un préjudice important à la

morphologie de celui-ci et à sa navigabilité. De l’avis de la Cour, les éléments de preuve
photographiques produits par le Nicaragua indiquent l’existence, sur la rive costa-ricienne du
fleuve, de deltas où s’accumulent des sédiments provenant de la construction de la route. Elle
considère toutefois que le Nicaragua n’a pas présenté suffisamment d’éléments pour établir que ces
deltas, qui n’occupent que la bordure du chenal sur la rive costa-ricienne, aient eu un impact
préjudiciable important sur la morphologie du fleuve ou sur la navigation.

Pour les raisons qui précèdent, la Cour conclut que le Nicaragua n’a pas démontré que
l’apport sédimentaire attribuable à la route a porté une atteinte grave à la morphologie et à la
navigabilité du fleuve San Juan et de son cours inférieur, ou a alourdi de manière importante la
tâche du Nicaragua en matière de dragage.

iii) L’atteinte qui aurait été portée à la qualité de l’eau et à l’écosystème aquatique
(par. 208-213)

La Cour examine par la suite la prétention du Nicaragua concernant l’atteinte qui aurait été
portée à la qualité de l’eau et à l’écosystème aquatique. Elle estime toutefois que le «diagnostic de
l’impact sur l’environnement» et le rapport d’expert sur lesquels s’appuie le Nicaragua ne
permettent pas d’étayer l’allégation selon laquelle la construction de la route a porté une atteinte
importante à l’écosystème du fleuve et à la qualité de ses eaux.

iv) Les autres dommages allégués (par. 214-216)

La Cour se penche enfin sur l’argument du Nicaragua selon lequel la construction de la route
a eu un impact préjudiciable sur la santé des communautés riveraines, laquelle est tributaire de la
salubrité du fleuve lui-même.

Elle conclut toutefois que le Nicaragua n’a pas étayé ses prétentions concernant le préjudice
qui aurait été causé au tourisme et à la santé. La Cour estime par ailleurs que ses moyens liés au
risque de déversement de substances toxiques dans le fleuve et à l’aménagement de la rive
costa-ricienne du fleuve sont de nature conjecturale et n’établissent l’existence d’aucun dommage.

Ces moyens ne peuvent donc être retenus.

c) Conclusion (par. 217)

A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le Nicaragua n’a pas prouvé que la
construction de la route lui ait causé des dommages transfrontières importants. La prétention du
Nicaragua selon laquelle le Costa Rica aurait manqué à ses obligations de fond en droit

international coutumier relatives aux dommages transfrontières doit être rejetée.

2. Allégations de violation d’obligations d’origine conventionnelle (par. 218-220)

La Cour note que le Nicaragua soutient par ailleurs que le Costa Rica a contrevenu à des
obligations de fond énoncées par divers textes universels et régionaux, à savoir la convention de
Ramsar, l’accord de 1990 sur les zones frontalières protégées entre le Costa Rica et le Nicaragua, la
convention sur la diversité biologique, la convention concernant la conservation de la biodiversité

et la protection des zones prioritaires de faune et de flore sauvages d’Amérique centrale, la
convention centraméricaine pour la protection de l’environnement, le protocole de Tegucigalpa
portant modification de la Charte de l’Organisation des Etats d’Amérique centrale et l’accord
régional concernant les mouvements transfrontières de déchets dangereux. - 15 -

La Cour observe que le Nicaragua et le Costa Rica sont tous deux parties aux textes invoqués

par le premier. Indépendamment de la question du caractère contraignant ou non de certaines des
dispositions en cause, la Cour fait remarquer que le Nicaragua se contente d’alléguer la violation
par le Costa Rica des instruments concernés, sans expliquer en quoi celui-ci aurait transgressé leurs
«objectifs» ou les dispositions citées, surtout en l’absence de preuve de dommage important à
l’environnement. La Cour estime en conséquence que le Nicaragua n’a pas réussi à montrer que le
Costa Rica aurait méconnu les textes précités.

3. L’obligation de respecter l’intégrité territoriale du Nicaragua et sa souveraineté sur le
fleuve San Juan (par. 221-223)

S’agissant de l’allégation du Nicaragua selon laquelle les deltas formés par les sédiments
provenant de l’érosion de la route constituent autant «d’avancées matérielles, d’incursions du
Costa Rica sur le territoire relevant de [sa] souveraineté … par l’action des sédiments» et que leur
présence constitue un «empiètement» sur le territoire nicaraguayen, la Cour estime que,

indépendamment de la question de savoir si la formation de deltas sédimentaires peut être regardée
comme une conséquence de la construction de la route, la thèse avancée par le Nicaragua pour
établir la violation de son intégrité territoriale par l’action des sédiments n’est pas convaincante. Il
n’y a aucune preuve que le Costa Rica ait exercé une quelconque autorité sur le territoire
nicaraguayen ou y ait mené une quelconque activité. Par ailleurs, comme il a déjà été exposé
précédemment, le Nicaragua n’a pas démontré que la construction de la route a fait obstacle à son

droit de navigation sur le fleuve San Juan. En conséquence, la demande du Nicaragua concernant
la violation de son intégrité territoriale et de sa souveraineté doit être rejetée.

C. Réparations (par. 224-228)

S’agissant des réparations, la Cour estime que la constatation par elle de ce que le Costa Rica
a violé son obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement est pour le

Nicaragua une mesure de satisfaction appropriée.

La Cour rejette tous les autres chefs de conclusion du Nicaragua. Elle constate en
conclusion que le Costa Rica a entrepris la réalisation de travaux d’atténuation en vue de diminuer
les effets préjudiciables que la construction de la route a pu avoir sur l’environnement. Elle
s’attend à ce que le Costa Rica poursuive ces efforts en conformité avec l’obligation qui est la
sienne de faire preuve de la diligence requise et d’assurer une surveillance continue des effets du

projet sur l’environnement. La Cour tient par ailleurs à rappeler l’importance d’une coopération
continue entre les Parties dans l’exécution des obligations qui leur incombent respectivement en ce
qui concerne le fleuve San Juan.

D ISPOSITIF PAR . 229)
La C OUR ,

1) Par quatorze voix contre deux,

Dit que le Costa Rica a souveraineté sur le «territoire litigieux», tel que défini par la Cour
aux paragraphes 69-70 du présent arrêt ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna,
CançadoTrindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,

MM. Bhandari, Robinson, juges ; M. Dugard,juge ad hoc ;

CONTRE : M. Gevorgian, juge ; M. Guillaume, juge ad hoc ; - 16 -

2) A l’unanimité,

Dit que, en creusant trois caños et en établissant une présence militaire sur le territoire
costa-ricien, le Nicaragua a violé la souveraineté territoriale du Costa Rica ;

3) A l’unanimité,

Dit que, en creusant deux caños en 2013 et en établissant une présence militaire sur le
territoire litigieux, le Nicaragua a violé les obligations auxquelles il était tenu en vertu de

l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 8 mars 2011 ;

4) A l’unanimité,

Dit que, pour les motifs exposés aux paragraphes 135-136 du présent arrêt, le Nicaragua a
violé les droits de navigation sur le fleuve San Juan qui ont été conférés au Costa Rica par le traité
de limites de 1858 ;

5)

a) A l’unanimité,

Dit que le Nicaragua a l’obligation d’indemniser le Costa Rica à raison des dommages
matériels qu’il lui a causés par les activités illicites auxquelles il s’est livré sur le territoire

costa-ricien ;

b) A l’unanimité,

Décide que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet dans un délai de
12 mois à compter de la date du présent arrêt, elle procédera, à la demande de l’une des Parties, au
règlement de la question de l’indemnisation due au Costa Rica, et réserve à cet effet la suite de la

procédure en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région
frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ;

c) Par douze voix contre quatre,

Rejette la demande du Costa Rica tendant à ce que le Nicaragua soit condamné à payer certains
frais de procédure ;

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Bennouna,
CançadoTrindade, Mmes Xue, Donoghue, MM. Gaja, Bhandari, Robinson, Gevorgian,
juges ; M. Guillaume,juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Tomka, Greenwood, Mme Sebutinde, juges ; M. Dugard, juge ad hoc ;

6) A l’unanimité,

Dit que le Costa Rica, en omettant d’effectuer une évaluation de l’impact sur
l’environnement en ce qui concerne la construction de la route 1856, a violé l’obligation qui lui
incombait au titre du droit international général ;

7) Par treize voix contre trois,

Rejette le surplus des conclusions soumises par les Parties. - 17 -

POUR : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna,
CançadoTrindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
M. Gevorgian, juges ; M. Guillaume,juge ad hoc

CONTRE : MM. Bhandari, Robinson, juges ; M. Dugard, juge ad hoc.

M. le juge USUF, vice-président, joint une déclaration à l’arrêt ; M.WADAjujoint à

l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les OMKAs et GREENWOOD , Mme la juge
SEBUTINDE et M. le juge ad hocUGARD joignent à l’arrêt une déclaration commune ; M. le juge
CANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; Mme ONOGHUE D
joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MHANDARIgejoint à l’arrêt l’exposé de

son opinion individuelle ; M. le jOBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ;
M. le juge EVORGIAN joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad UILLAUME joint une
déclaration à l’arrêt ; M. le juge aUGARD Djoint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.

___________ Annexe 1 au résumé 2015/3

Déclaration de M. le juge Yusuf, vice-président

Bien qu’il souscrive au dispositif de l’arrêt, le juge Yusuf relève que chacune des deux
Parties a soutenu que son intégrité territoriale avait été violée par les agissements de l’autre. Il
estime que la Cour n’a pas suffisamment répondu à ces prétentions dans son raisonnement.

L’inviolabilité des frontières constitue un élément fondamental de l’intégrité territoriale.
L’incursion sur le territoire d’un Etat, si limitée soit-elle, contrevient à ce principe, qui est consacré
par la Charte de l’Organisation des Etats américains, la Charte des Nations Unies et le droit

international coutumier. La violation de ce principe n’est pas nécessairement liée à celle de
l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force par l’intrus, ainsi qu’il ressort de la
déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la
coopération entre les Etats.

Par ailleurs, la Cour a, dans sa jurisprudence, mis l’accent sur le rôle central que joue le
respect de l’intégrité territoriale au sein de la communauté internationale. En laissant passer
l’occasion de réaffirmer ce principe et d’en souligner l’importance, elle s’écarte dans cet arrêt de sa

jurisprudence.

Opinion individuelle de M. le juge Owada

Même si le juge Owada a voté en faveur des conclusions auxquelles la Cour est parvenue
dans le dispositif de l’arrêt, il souhaite, dans l’exposé de son opinion individuelle, préciser ses vues
sur les points du raisonnement de la Cour, qui, selon lui, n’ont pas été développés avec
suffisamment de clarté.

I. La question de la souveraineté sur le territoire litigieux

Le juge Owada fait observer que la Cour a conclu à juste titre que les textes présentant un
intérêt pour déterminer la souveraineté sur le «territoire litigieux» devaient être le traité de 1858, la
sentence Cleveland de 1888 et la sentence Alexander de 1897 (arrêt, par. 76). Il considère
cependant que, dans son arrêt, la Cour n’a pas suffisamment articulé les rapports logiques existant

entre ces textes successifs. Selon le juge Owada, l’élément décisif pour déterminer la souveraineté
sur le territoire litigieux est, d’abord et avant tout, l’interprétation en contexte des textes pertinents
à la lumière de leurs fonctions et objets respectifs.

Le juge Owada poursuit en soulignant que, dans ces circonstances, la tâche de la Cour ne
saurait consister à déterminer l’emplacement géographique du «premier chenal rencontré» ou de
suivre la ligne délimitée en 1897 dans la première sentence Alexander. Il considère que, pour
régler la question de la souveraineté territoriale sur le territoire litigieux, la Cour doit remonter aux

mêmes sources de droit et suivre la même démarche que le général Alexander lorsqu’il a mis en
œuvre la sentence Cleveland de 1888, laquelle faisait autorité en ce qui concerne l’interprétation du
traité de 1858 et le tracé de la frontière prescrite par celui-ci.

Le juge Owada rappelle que, dans sa première sentence, le général Alexander tentait de
suivre fidèlement les dispositions de l’article II du traité de 1858. Il fait par ailleurs observer, à la
faveur d’une analyse détaillée, que l’application du raisonnement sous-tendant la première et la

troisième sentences Alexander à la situation géographique actuelle de la zone litigieuse confirme le
résultat clair auquel est parvenue la Cour dans le présent arrêt quant à la question de la souveraineté
sur le territoire litigieux.

Le juge Owada rappelle que les Parties en l’espèce ont présenté plusieurs arguments à la
Cour et produit à l’appui de ceux-ci divers éléments de preuve se rapportant tous à la question de
savoir si un quelconque chenal navigable avait pu traverser ou traversait actuellement le territoire - 2 -

litigieux. Il souscrit à l’évaluation faite par la Cour de ces éléments de preuve tout en mettant en
évidence sa propre conclusion selon laquelle, en réalité, ces éléments ne contiennent dans leur

ensemble quasiment rien de concret ou de concluant qui permette de trancher la question de la
souveraineté sur le territoire litigieux.

II. Conséquences en droit de la décision de la Cour concernant la souveraineté
sur le territoire litigieux

Dans cette partie de son exposé, le juge Owada commence par faire la distinction entre la
situation en cause et les différends territoriaux normalement portés devant la Cour internationale de

Justice après que les parties se sont efforcées de parvenir à un règlement pacifique. Il fait
remarquer que, en l’espèce, comme le laissent entendre les termes de l’arrêt lui-même, le différend
territorial est essentiellement dû à un acte unilatéral ayant pris la forme d’une incursion physique
de la part d’un Etat sur le territoire qu’un autre Etat possède depuis de nombreuses années.

Selon le juge Owada, compte tenu de ce fait incontestable, la Cour aurait été fondée à
considérer les agissements du Nicaragua comme un fait internationalement illicite pur et simple,

susceptible de constituer un emploi illicite de la force au sens du paragraphe 4 de l’article 2 de la
Charte des Nations Unies. Le juge Owada fait remarquer que, même s’il souscrit aux conclusions
de la Cour sur ce point, il aurait été préférable que celle-ci aille plus loin et procède à une telle
qualification.

Le juge Owada fait par ailleurs observer que, dans ce contexte, la référence faite dans l’arrêt
à l’affaire Cameroun c. Nigéria semble inopportune et pourrait prêter à confusion. Selon lui, il
conviendrait de faire clairement la distinction entre cette affaire et l’espèce, dans la mesure où le

différend entre le Cameroun et le Nigéria n’était pas dû au fait d’une partie visant à modifier la
situation existante par des moyens unilatéraux.

III. La nature de l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact
sur l’environnement

Le juge Owada commence par faire observer, dans cette partie de l’exposé de son opinion
individuelle, que, dans le cadre de l’exécution de l’obligation de faire preuve de la diligence

requise qu’impose le droit international de l’environnement, la réalisation d’une évaluation de
l’impact sur l’environnement devient un élément essentiel pour déterminer si certaines activités
sont susceptibles de causer des dommages transfrontières importants. Il rappelle que, dans ce
contexte, les deux Parties se sont toutes deux réclamées du dictum énoncé par la Cour dans l’arrêt
rendu en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine
c. Uruguay), où elle disait considérer que l’évaluation de l’impact sur l’environnement était une
«pratique acceptée si largement par les Etats ces dernières années que l’on p[ouvai]t désormais

considérer qu’[elle constituait], en droit international général, une obligation»
(C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83, par. 204).

Le juge Owada relève qu’il convient de lire ce dictum de la Cour en regard de la conclusion
formulée par le Tribunal international du droit de la mer dans l’avis consultatif qu’il a rendu en
2011 en l’affaire des Responsabilités et obligations des Etats qui patronnent des personnes et des
entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, selon laquelle l’évaluation de l’impact sur

l’environnement constitue en soi «une obligation générale en vertu du droit international
coutumier» (TIDM Recueil 2011, par. 145). Il estime que, par comparaison, le raisonnement suivi
par la Cour dans son arrêt en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier procède d’une
démarche plus nuancée relativement à cette obligation. Selon lui, c’est dans la perspective globale
de l’exécution de l’obligation de faire preuve de la diligence requise que la Cour avait, dans ledit
arrêt, souligné l’importance de l’évaluation de l’impact sur l’environnement. Il fait observer que la
réalisation de pareille évaluation est un élément constitutif essentiel du processus qui traduit

l’obligation internationale qu’ont les Etats d’agir avec la diligence requise pour prévenir ou - 3 -

atténuer les dommages transfrontières importants, et non une obligation distincte ayant une
existence autonome en droit international général.

De l’avis du juge Owada, cette position équilibrée a été conservée dans le présent arrêt et est
mise en évidence dans le passage qui traite de «l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact
sur l’environnement» (arrêt, par. 104). Il rappelle que la conclusion énoncée par la Cour dans le
dispositif (point 6 du paragraphe 229) repose sur ce raisonnement. Enfin, il souligne que
l’évaluation de l’impact sur l’environnement, qui revêt avant tout un caractère technique, est un
moyen parmi d’autres d’atteindre l’objectif juridique ultime qui s’impose aux Etats dans le

domaine environnemental, à savoir l’obligation d’agir avec la diligence requise afin de prévenir
tout dommage transfrontière important à la lumière de l’analyse des risques en jeu.

Déclaration commune de MM. les juges Tomka et Greenwood, Mme la juge Sebutinde et
M. le juge ad hoc Dugard

Les juges Tomka, Greenwood et Sebutinde et le juge ad hoc Dugard estiment que la Cour
aurait dû condamner le Nicaragua à supporter les frais encourus par le Costa Rica en vue d’obtenir

le prononcé de la seconde ordonnance en indication de mesures conservatoires en 2013. Ils
rappellent que l’article 64 du Statut de la Cour, lu conjointement avec l’article 97 du Règlement,
confère à celle-ci un pouvoir discrétionnaire en matière de condamnation au remboursement des
frais de procédure et relèvent que les frais faits par le Costa Rica sont la conséquence de graves
manquements de la part du Nicaragua aux obligations qui lui incombaient au titre de l’ordonnance
en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour en 2011. Ils font observer que le
Nicaragua aurait pu prendre des mesures qui auraient rendu inutile la tenue des audiences

d’octobre 2013, mais ne l’a pas fait, ce qui a contraint le Costa Rica à engager des frais pour
demander à la Cour de rendre une nouvelle ordonnance en indication de mesures conservatoires.
Même s’il est fondé à être indemnisé des dommages résultant de la violation, par le Nicaragua, de
l’ordonnance de 2011, le Costa Rica ne pourra recouvrer les frais correspondant à près d’une
semaine d’audience. Les juges Tomka, Greenwood et Sebutinde et le juge ad hoc Dugard
considèrent qu’il est absurde que l’Etat victime de la violation de mesures conservatoires fasse
l’objet d’un traitement moins favorable s’il cherche à obtenir réparation auprès de la Cour que s’il

met unilatéralement en œuvre des mesures correctives. Ils estiment que, si le pouvoir d’ordonner le
remboursement des frais que confère l’article 64 n’a encore jamais été utilisé, les circonstances
exceptionnelles de l’espèce permettent à la Cour de s’en prévaloir pour condamner le Nicaragua à
supporter les frais de procédure du Costa Rica.

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans l’exposé de son opinion individuelle, qui compte douze parties, le juge

Cançado Trindade fait tout d’abord observer que, s’il s’est rallié à la majorité de la Cour dans
l’arrêt en date du 16 décembre 2015 concernant les deux affaires jointes en l’espèce et relatives à
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), il
existe à son sens un certain nombre de points qui, bien que la Cour ne les ait pas examinés de
manière approfondie dans son raisonnement, revêtent une certaine importance en ce qu’ils ont trait
au bon exercice de la fonction judiciaire internationale. Il croit donc devoir s’y intéresser dans

l’exposé de son opinion individuelle, dans l’espoir que cela puisse être utile à la Cour lorsqu’elle se
penchera sur la question dans le cadre de futures affaires.

2. Le juge Cançado Trindade commence par énumérer (partie I) les différents points qu’il

entend aborder, à savoir : a) les manifestations de la dimension préventive dans le droit
international contemporain ; b) l’évolution et l’édification du régime juridique autonome des
mesures conservatoires ; c) les mesures conservatoires et l’expansion du champ de la protection ;
d) l’inexécution des mesures conservatoires en tant que violation autonome engageant en soi la
responsabilité de l’Etat et e) les décisions de la Cour concernant les manquements aux obligations - 4 -

découlant de mesures conservatoires. Il expose ensuite ses réflexions quant à la nécessité que la
Cour se prononce promptement sur ce type de manquement.

3. Le juge Cançado Trindade s’intéresse ensuite aux questions suivantes : a) le contrôle de la
mise en œuvre des mesures conservatoires ; b) l’inexécution de celles-ci et la réparation des
dommages ; c) la diligence requise et la corrélation entre le principe de prévention et le principe de

précaution ; d) le processus de développement progressif des mesures conservatoires. Ces éléments
posés, il expose, pour finir, ses conclusions sur les points susmentionnés.

4. S’agissant du premier point évoqué, les manifestations de la dimension préventive dans le
droit international contemporain (partie II), le Juge Cançado Trindade relève que les affaires
relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c.
Nicaragua) et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c.
Costa Rica) mettent en exergue la pertinence de la dimension préventive, comme en témoigne
l’arrêt, lorsqu’il s’agit de constater l’inexécution des mesures conservatoires et ses conséquences
juridiques (en l’affaire relative à Certaines activités), et de confirmer l’existence de l’obligation de

procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement (en l’affaire relative à la Construction
d’une route également). Cette dimension préventive gagne de l’importance dans le cadre des
régimes de protection (notamment ceux relatifs à la personne humaine et à l’environnement) et
nous amène par ailleurs à nous intéresser tout particulièrement aux principes généraux du droit
(par. 4).

5. Ressortant clairement des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues
successivement par la Cour les 8 mars 2011, 16 juillet 2013 et 22 novembre 2013, la dimension
préventive a été abordée par chacune des deux Parties au fil de la procédure (tant écrite qu’orale),
notamment au stade du fond. Après avoir dûment examiné leurs moyens, la Cour a jugé que, en
creusant deux caños en 2013 et en établissant une présence militaire sur le territoire litigieux, le

défendeur (en l’affaire relative à Certaines activités) a manqué aux obligations lui incombant au
titre de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011 (par. 127 et 129, et
point 3 du dispositif).

6. Le juge Cançado Trindade rappelle qu’il a, depuis un certain temps déjà, dans le cadre
d’opinions dissidentes et individuelles, appelé l’attention de ses collègues sur l’importance du
régime juridique autonome des mesures conservatoires tel qu’il le conçoit et s’est, au fil du temps,
efforcé d’en définir les éléments (partie III). L’arrêt rendu ce jour par la Cour dans les affaires
relatives à Certaines activités et à la Construction d’une route offre une nouvelle occasion bien
choisie d’y revenir. Tout d’abord, ce régime juridique s’apprécie davantage à la lumière de
l’évolution historique des mesures conservatoires. Le juge Cançado Trindade rappelle que, selon la

doctrine du droit processuel interne datant de plus d’un siècle, les mesures conservatoires étaient à
l’origine considérées comme le moyen de préserver l’efficacité de la fonction juridictionnelle
elle-même, et ont évolué dans cette optique (par. 7).

7. Elles ont ainsi fait leur apparition dans les systèmes juridiques internes, poursuit le juge
Cançado Trindade, sous la forme d’un mécanisme de précaution (provisional measure/acción
cautelar/ação cautelar) visant à garantir, non pas directement les droits subjectifs, mais le processus
juridictionnel dans son ensemble. Elles «étaient alors toujours empreintes d’un certain formalisme,
donnant l’impression que le processus judiciaire était considéré comme une fin en soi, plutôt que le
moyen de veiller à ce que justice soit faite» (par. 8). C’est lorsqu’elles ont été transposées dans la

procédure judiciaire internationale et se sont développées dans le cadre de certains domaines
spécifiques de protection (notamment ceux de la personne humaine et de l’environnement) que le
recours aux mesures conservatoires s’est répandu dans les circonstances les plus diverses,
marquées par la probabilité ou l’imminence de dommages irréparables. Cela a eu pour effet, selon - 5 -

lui, d’étendre la portée de la juridiction internationale et d’affiner la définition conceptuelle de ces
mesures (par. 9).

8. Avec l’essor considérable qu’elles ont connu au cours des trente dernières années, les
Etats ont pris conscience qu’ils devaient s’abstenir de toute action susceptible d’aggraver leur
différend pendente lite ou de compromettre la mise en œuvre de la décision attendue sur le fond.

La raison d’être des mesures conservatoires s’est donc précisée, visant désormais la protection des
droits et l’égalité des armes, et non plus seulement le processus judiciaire proprement dit. Elles se
sont

«affranchies du formalisme juridique de la doctrine processuelle remontant à plus d’un
siècle et, à [s]on sens, rapprochées de leur plénitude. Elles ont pris un caractère non
pas simplement préventif, mais proprement tutélaire. Indiquées, au vu des besoins de

protection, lorsqu’en sont réunies les conditions fondamentales  soit la gravité et
l’urgence, ainsi que la nécessité de prévenir un dommage irréparable , les mesures
conservatoires ont ainsi institué une réelle garantie juridictionnelle de nature
préventive.» (Par. 10.)

9. En tant que juridiction internationale, la Cour a la faculté ou le pouvoir inhérent de
déterminer la portée des mesures conservatoires qu’elle choisit d’indiquer, ce qui vient renforcer la
dimension préventive qui leur est propre (par. 11, 36 et 62). Ce pouvoir inhérent s’exerce en vue
de garantir la bonne administration de la justice (par. 12 et 63). Selon la conception du juge
Cançado Trindade (également exposée dans les opinions dissidentes et individuelles qu’il a

annexées à des décisions précédentes de la Cour  par. 14-16 et 21-23), le régime autonome des
mesures conservatoires recouvre leur nature juridique, les droits et obligations en jeu, leurs effets
juridiques et l’obligation de les mettre à exécution (par. 13).

10. En se développant, les mesures conservatoires ont, en pratique, étendu le champ de la
protection (partie IV, par. 17-18). Selon le juge Cançado Trindade, il n’y a «rien de fortuit» à ce
qu’elles en soient venues à être considérées comme des mesures de précaution (precautionary
measures/medidas cautelares), reposant systématiquement sur les principes de prévention et de
précaution. Il ajoute :

«En réalité, étant donné le caractère incertain des risques, la précaution va plus
loin que la prévention, afin d’éviter les dommages irréparables. Là encore, dans le
domaine des mesures conservatoires, le rapport du droit international au temps devient
manifeste. La dimension intertemporelle est ici inéluctable et l’emporte sur les
contraintes du positivisme juridique. Le droit international s’efforce de régir les faits
sociaux de manière préventive afin d’éviter les dommages irréparables ; les mesures
conservatoires étendent la protection qu’elles visent à assurer, agissant comme une

véritable garantie juridictionnelle internationale de nature préventive.» (Par. 19.)

11. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite à l’inexécution des mesures conservatoires,
qui constitue, selon lui, un manquement autonome engageant en soi la responsabilité de l’Etat

(partie V) et s’ajoutant au manquement qui est ou pourra être établi ultérieurement sur le fond
(par. 24). La Cour peut donc, estime-t-il, se prononcer promptement sur l’inexécution d’une
mesure conservatoire et ses conséquences en droit, sans avoir à attendre la conclusion de la
procédure au fond (par. 25).

12. Le juge Cançado Trindade procède à un survol de la jurisprudence de la Cour concernant
l’inexécution des obligations découlant de mesures conservatoires (partie VI), s’attardant aux trois
affaires, hormis l’espèce, où elle a attendu la fin de la procédure au fond pour en faire le constat,
soit l’affaire LaGrand (2001), l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (2005) et - 6 -

l’affaire du Génocide en Bosnie-Herzégovine (2007). Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 24 mai 1980

en l’affaire antérieure relative au Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran
(Etats-Unis d'Amérique c. Iran), elle n’a pas expressément constaté l’inexécution des mesures
conservatoires qu’elle avait indiquées dans son ordonnance du 15 décembre 1979.

13. La Cour a conclu à pareille inobservation (en l’occurrence, de son ordonnance du
3 mars 1999) dans l’arrêt qu’elle a rendu le 27 juin 2001 en l’affaire LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d’Amérique), mais sans tirer quelque conséquence des agissements contraires aux
mesures conservatoires indiquées. Quatre ans plus tard, dans l’arrêt qu’elle a rendu
le 19 décembre 2005 en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République
démocratique du Congo c. Ouganda), se référant à l’ordonnance en indication de mesures
er
conservatoires qu’elle avait prononcée le 1 juillet 2000, soit cinq ans auparavant, et qui portait sur
des violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international
humanitaire, elle a dit que l’Etat défendeur ne s’était pas conformé à ces mesures et confirmé cette
conclusion au point n 7 du dispositif.

14. La Cour a également constaté le non-respect de ses ordonnances en indication de
mesures conservatoires dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro). Telle est en
effet la conclusion énoncée dans son arrêt du 26 février 2007, alors même qu’elle avait rendu

quatorze ans auparavant, respectivement le 8 avril et le 13 septembre 1993, les ordonnances en
question, en vue de mettre fin aux atrocités en cours. Deux ans après le prononcé de la première
ordonnance (celle du 8 avril 1993) s’effondrait l’enclave de Srebrenica, qui avait été déclarée zone
de sécurité par l’Organisation des Nations Unies, et en juillet 1995 étaient commis les massacres de
Srebrenica, en violation flagrante des mesures conservatoires indiquées par la Cour (par. 30-31).

15. Dans l’intervalle, l’instance portée devant la Cour traînait en longueur, l’examen des
exceptions préliminaires s’étant prolongé jusqu’en 1996, celui des demandes reconventionnelles,
jusqu’en 1997, puis en 2001, et celui au fond, jusqu’en 2007. Pendant bien longtemps,
l’inobservation manifeste des ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la

Cour en 1993 n’a fait l’objet d’aucun constat et n’a pas eu la moindre conséquence juridique. Il a
ainsi fallu quatorze ans à la Cour pour confirmer, dans son arrêt au fond de 2007, que les mesures
conservatoires qu’elle avait indiquées n’avaient pas été respectées. Selon le juge
Cançado Trindade,

«point n’était besoin d’attendre aussi longtemps pour confirmer l’inexécution de ces
mesures ; bien au contraire, la Cour aurait dû constater promptement leur non-respect,

avec toutes les conséquences juridiques que cela aurait impliqué. Cet exemple
tragique montre que le régime juridique des mesures conservatoires en droit
international contemporain n’en est qu’à ses balbutiements. Une bonne
compréhension du régime juridique autonome encadrant ces mesures pourrait
toutefois promouvoir leur développement sur le plan conceptuel.» (Par. 33.)

16. Le juge Cançado Trindade plaide ensuite pour que soit promptement constatée
l’inexécution des mesures conservatoires (partie VII). Il fait tout d’abord observer que, dans le cas
d’espèce (c’est-à-dire en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la

région frontalière), c’est dans un laps de temps raisonnablement bref que la Cour a constaté que les
mesures indiquées par elle n’avaient pas été respectées, contrairement à ce qui s’est produit en
l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (cinq ans plus tard) et en l’affaire du
Génocide en Bosnie-Herzégovine (près de quinze ans plus tard). En l’espèce, les dommages causés
par l’inobservation des mesures conservatoires ne sont toutefois pas irréparables, à la différence de
ceux survenus en l’affaire LaGrand, et, «en constatant cette inobservation dans le présent arrêt, la
Cour pourra en faire cesser les effets» (par. 34). - 7 -

17. De fait, le juge Cançado Trindade estime que «la constatation de l’inexécution d’une

mesure conservatoire n’est pas ou ne devrait pas être subordonnée à l’achèvement de la procédure
au fond» (par. 35). A son sens, les effets en droit de l’inobservation d’une mesure conservatoire
devraient «être déterminés promptement, avec toutes les conséquences juridiques que cela
implique, ce qui servirait mieux l’objectif préventif de ces mesures». Selon le
juge Cançado Trindade, «on ne saurait invoquer, dans ce contexte, des difficultés de preuve»,
puisqu’«il suffit», pour indiquer des mesures conservatoires et constater leur inexécution,
«d’apporter un commencement de preuve (prima facie evidence)» (par. 35).

18. Qui plus est, les droits que l’on cherche à protéger par des mesures conservatoires «ne
sont pas nécessairement les mêmes que ceux que met en cause l’affaire au fond», comme l’illustre

l’affaire du Temple de Préah Vihéar. De même, «les obligations (conservatoires) sont des
obligations nouvelles ou complémentaires par rapport à celles qui découlent de l’arrêt au fond»
(par. 36). Selon le juge Cançado Trindade, le fait que la Cour ait, dans sa pratique, uniquement
indiqué des mesures conservatoires à la demande d’un Etat partie «ne signifie pas qu’elle ne peut
en indiquer sponte sua et ex officio» (par. 37). Le Statut lui confère en effet le pouvoir de le faire,
si elle considère que les circonstances l’exigent (art. 41, par. 1).

19. En outre, le Règlement de la Cour autorise celle-ci à indiquer, indépendamment de toute
demande présentée par une partie, des mesures conservatoires qu’elle juge «totalement ou

partiellement différentes de celles qui sont sollicitées» (art. 75, par. 2). C’est ce qu’elle a fait dans
les ordonnances qu’elle a rendues respectivement le 15 mars 19er en l’affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria et le 1 juillet 2000 en l’affaire des Activités
armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda). Et le juge
Cançado Trindade d’ajouter :

«La Cour n’est donc pas liée par ce que sollicitent les parties ou l’une d’elles, ni

même, selon moi, par l’existence de la demande proprement dite. J’estime en effet
que, là encore, le régime des mesures conservatoires s’affranchit des contraintes d’un
positivisme juridique fondé sur le volontarisme. La Cour ne doit pas s’en tenir à ce
que souhaitent les parties en litige (c’est-à-dire aux termes dans lesquels elles
expriment leur demande), ni à ce qu’elles sollicitent. La Cour n’est pas un tribunal
arbitral et n’est pas assujettie à la volonté des parties en litige. Il s’agit là d’un point
important, sur lequel j’ai appelé à plusieurs reprises l’attention de mes collègues dans

le cadre de l’exercice de la fonction juridictionnelle internationale de la Cour.»
(Par. 39.)

20. Il observe ensuite que la Cour a, de fait, été récemment saisie d’affaires dans lesquelles
elle était appelée à «pousser son raisonnement au-delà de la dimension interétatique, sans se
cantonner à l’argumentation ou aux intérêts des parties en litige», ainsi qu’il l’a relevé dans
l’exposé d’opinion individuelle qu’il a joint à l’arrêt au fond rendu le 30 novembre 2010 en
l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
(par. 227-228), ainsi que dans les exposés d’opinion dissidente qu’il a joints respectivement à

l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue le 28 mai 2009 en l’affaire relative à
des Questions concernant l’obligation de pourerivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) et à l’arrêt
sur les exceptions préliminaires rendu le 1 avril 2011 en l’affaire relative à l’Application de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie
c. Fédération de Russie) (par. 40-41). Le juge Cançado Trindade prévient ensuite que la Cour

«n’est pas un tribunal arbitral et n’est pas assujettie à la volonté des parties en litige.

Elle n’est liée ni par les demandes de celles-ci ni par les intentions qu’elles affichent.
Elle dispose en effet de la faculté ou du pouvoir inhérent de constater promptement
que des mesures conservatoires n’ont pas été respectées, dans l’intérêt de la bonne
administration de la justice. C’est la recta ratio qui guide la bonne administration de la - 8 -

justice. Elle domine sur la volonté et oriente l’exercice de la fonction juridictionnelle
internationale, contribuant ainsi à promouvoir la prééminence du droit à l’échelle

mondiale.

La Cour est entièrement libre d’indiquer les mesures conservatoires qu’elle juge
nécessaires afin d’empêcher qu’un différend ne s’aggrave ou qu’un dommage
irréparable ne soit causé, quand bien même ces mesures seraient sensiblement
différentes de celles sollicitées par les parties en litige.» (Par. 42-43.)

21. Le juge Cançado Trindade clôt ensuite cette question en précisant que la Cour peut, après
avoir examiné les circonstances du cas d’espèce, indiquer sponte sua des mesures conservatoires.
Elle peut également le faire de sa propre initiative pour prévenir l’aggravation de la situation. La
constatation ex officio de l’inexécution d’une ordonnance en indication de mesures conservatoires

s’inscrit dans la dimension préventive du droit international contemporain, en évitant tout nouveau
dommage irréparable. D’après lui, la Cour «n’a pas à attendre la fin de la procédure au fond,
surtout si celle-ci se prolonge indûment, comme cela a par exemple été le cas en l’affaire du
Génocide en Bosnie-Herzégovine» (par. 44).

22. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite à la question du contrôle de la mise en œuvre
des mesures conservatoires (partie VIII). De son point de vue, le fait que la Cour n’ait jusqu’à
présent que très rarement constaté, lors de la phase ultérieure de l’examen au fond, qu’une partie a
manqué à des mesures conservatoires ne signifie pas qu’elle ne peut le faire promptement, en
rendant une nouvelle ordonnance en indication de pareilles mesures. Il ajoute qu’elle possède des
pouvoirs de surveillance qui lui permettent de veiller au respect des mesures conservatoires. En cas

d’imprévu, la Cour est en effet «dotée de la faculté ou du pouvoir inhérent de prendre la décision
qui s’impose pour garantir le respect des mesures conservatoires qu’elle a indiquées et préserver
ainsi les droits en jeu» (par. 45). La dimension préventive des mesures conservatoires s’en trouve
renforcée, de même que la prééminence du droit à l’échelle internationale (par. 46).

23. Le juge Cançado Trindade se penche ensuite sur la question du non-respect des mesures
conservatoires et de la réparation des dommages (sous ses différentes formes) (partie IX), point qui
n’est pas passé inaperçu dans le présent arrêt rendu dans les affaires relatives à Certaines activités
et à la Construction d’une route : la Cour a en effet abordé la question des réparations dans les deux
affaires jointes, notamment en déclarant que la constatation par elle (dans l’affaire relative à

Certaines activités) du non-respect des mesures conservatoires constituait une «satisfaction
appropriée» pour le demandeur, sans qu’il soit besoin d’accorder à celui-ci le remboursement des
frais de procédure. (Dans l’affaire relative à la Construction d’une route, la constatation du
manquement à l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement est
également considérée comme une satisfaction appropriée pour le demandeur.)

24. L’octroi de cette forme de réparation (la satisfaction) dans les deux instances jointes est à
la fois nécessaire et rassurant. Le juge Cançado Trindade ajoute que le fait que la Cour n’ait pas,
dès le prononcé de son ordonnance du 16 juillet 2013, constaté l’inexécution des mesures
conservatoires ni indiqué de nouvelles mesures (comme elle aurait dû le faire, pour les raisons qu’il
a énoncées dans l’exposé de son opinion dissidente joint à ladite ordonnance) et ne l’ait fait que

dans son ordonnance ultérieure du 22 novembre 2013 conforte la décision de ne pas accorder au
demandeur le remboursement de ses frais de procédure. Après tout, explique-t-il, «la prolongation
de la procédure (en ce qui concerne les mesures conservatoires) était due à l’hésitation de la Cour
elle-même. Dès lors, la question qui importe ici est celle de la réparation (plutôt que celle du coût
des audiences) au titre du non-respect des mesures conservatoires» (par. 50). - 9 -

25. De fait, «manquement et obligation de réparation vont de pair». Ainsi que le juge
Cançado Trindade l’a précisé dans l’exposé de son opinion individuelle joint à l’arrêt rendu le
19 juin 2012 en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République
démocratique du Congo), «l’obligation de réparation est profondément ancrée dans l’histoire, elle
remonte aux origines du droit des gens et constitue un élément caractéristique de l’héritage que

nous ont légué les «pères fondateurs» de notre discipline» (par. 51). Cette obligation, ajoute le juge
Cançado Trindade, est «généralement reconnue comme relevant du droit international général ou
coutumier» et comme le «[p]endant automatique et indispensable de tout acte illicite
international … vis[ant] à mettre fin à l’ensemble des conséquences d’un tel acte et à assurer le
respect de l’ordre juridique international». Manquement et obligation de réparation «constituent un
tout indissoluble» (par. 51). Sur ce point, le juge Cançado Trindade en vient à la conclusion
suivante :

«La corrélation entre manquement et devoir de réparation existe également dans
le régime juridique autonome des mesures conservatoires. Le non-respect d’une telle
mesure entraîne automatiquement une obligation de réparation à ce titre. Pour que les
mesures conservatoires atteignent leur plénitude (au sein du régime dans lequel elles
s’inscrivent), il importe de demeurer attentif aux réparations  sous leurs différentes
formes  qui sanctionnent leur inexécution. Les réparations (plus encore que la

condamnation au paiement des frais de procédure) dues au titre de l’inobservation des
mesures conservatoires elles-mêmes constituent la clef de voûte du régime juridique
autonome desdites mesures.» (Par. 52.)

26. Le juge Cançado Trindade appelle ensuite l’attention sur le devoir de diligence et la
corrélation entre les principes de prévention et de précaution (partie X). Ces éléments sont présents
dans l’arrêt que vient de rendre la Cour dans les affaires relatives à Certaines activités menées par
le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Construction d’une route
au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), tout comme ils l’étaient dans
une affaire plus ancienne concernant l’Amérique latine, celle relative à des Usines de pâte à papier

sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay) (2010), opposant l’Argentine à l’Uruguay
(par. 53-54) :

«si le principe de prévention suppose que les risques peuvent être évalués
objectivement afin d’éviter que des dommages soient causés, le principe de précaution
consiste à évaluer les risques en fonction de l’incertitude, compte tenu de la
vulnérabilité de l’être humain et de l’environnement, ainsi que de la possibilité de
dommages irréversibles» (par. 55).

27. Il fait ensuite valoir que, «[c]ontrairement à la croyance positiviste en la certitude de la
connaissance scientifique», le principe de précaution «est axé sur l’obligation de faire preuve de

diligence, en face des incertitudes de la science ; de nos jours, la précaution s’impose donc plus que
jamais». Il n’est «pas surprenant que certaines conventions concernant le droit de l’environnement
soient empreintes à la fois du principe de prévention et du principe de précaution, reconnaissant le
lien qui les unit et servant de fondement à l’obligation de réaliser une évaluation de l’impact sur
l’environnement», ainsi que l’a dit la Cour en l’affaire relative à la Construction d’une
route (par. 56). Dans le présent arrêt, poursuit-il, la Cour, abordant la nécessité d’agir avec la
diligence requise afin de prévenir les dommages transfrontières importants à l’environnement, s’est

penchée sur la question de l’évaluation de l’impact environnemental «dans le cadre plus vaste du
droit international général» (par. 57).

28. Le juge Cançado Trindade s’efforce ensuite de trouver la voie vers le développement

progressif des mesures conservatoires (partie XI), qu’il estime être la principale leçon à tirer de
l’arrêt rendu en l’espèce. Il convient d’élaborer plus avant les contours du régime juridique - 10 -

autonome des mesures conservatoires, avec tous ses éléments et ses conséquences. Ainsi qu’il
l’avait déjà fait valoir dans l’exposé de son opinion dissidente joint à l’ordonnance rendue par la

Cour le 16 juillet 2013 dans les affaires relatives à Certaines activités et à la Construction d’une
route, ordonnance dans laquelle la Cour avait décidé de ne pas indiquer de nouvelles mesures
conservatoires ni modifier celles qu’elle avait indiquées dans son ordonnance précédente du
8 mars 2011, et qu’il estime opportun de rappeler :

«En somme, je suis d’avis que les mesures conservatoires, dotées d’une base
conventionnelle — comme celles indiquées par la Cour (en application de l’article 41

de son Statut) —, jouissent également d’une autonomie propre en ce qu’elles relèvent
d’un régime juridique spécifique, et que tout défaut de mise en œuvre engage la
responsabilité de l’Etat concerné et entraîne des conséquences juridiques, sans
préjudice de l’examen au fond de l’affaire en question et de la décision rendue à cet
égard.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les mesures conservatoires génèrent, pour les Etats concernés, des obligations
(de prévention) distinctes de celles qui découlent des décisions rendues par la Cour sur
le fond (et les réparations) des affaires en question. C’est là une conséquence de ce
que je considère comme étant le régime juridique autonome de telles mesures. Il est
aujourd’hui impératif, me semble-t-il, d’affiner et de développer conceptuellement ce
régime juridique autonome.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[L]a question que la Cour a été priée de trancher exige d’elle une position plus
proactive, afin non seulement de régler le différend qui lui est soumis, mais également
d’énoncer le droit (juris dictio) pour ainsi contribuer efficacement à éviter ou prévenir
les dommages irréparables dans des situations d’urgence, ce qui profitera, en fin de
compte, à tous les sujets du droit international — qu’il s’agisse des Etats, de groupes
d’individus ou de simples particuliers. Après tout, la personne humaine (vivant en

harmonie dans son habitat naturel) occupe une place centrale dans le jus gentium
renouvelé de notre temps.» (Cit. in par. 59).

29. Le juge Cançado Trindade ajoute que les droits protégés par les mesures conservatoires

ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui font l’objet de l’affaire au fond et que les
obligations qui découlent des mesures conservatoires sont distinctes de celles qui peuvent découler
de l’arrêt à rendre ultérieurement par la Cour sur le fond, auxquelles elles viennent s’ajouter
(par. 61). En cas de non-respect d’une mesure conservatoire, «la notion de victime d’un dommage
intervient également : du fait de ce non-respect, des dommages irréparables peuvent survenir dans
le présent contexte de prévention» (par. 61). Puisqu’il en est ainsi, «il n’est pas nécessaire
d’attendre la conclusion de la procédure au fond» pour constater l’inexécution des mesures

conservatoires, «en particulier lorsque cette procédure se prolonge indument» (par. 63).

30. De surcroît, «point n’est besoin d’une demande à cet effet de la part de l’Etat concerné
pour que la Cour puisse se prononcer sur le non-respect des mesures conservatoires». Celle-ci,

conclut-il sur ce point, «est pleinement habilitée à statuer promptement sur cette question sponte
sua et ex officio, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice (the sound administration of
justice)» (par. 64). Affiner le régime juridique autonome des mesures conservatoires (notamment
en ce qui concerne la réparation sous ses diverses formes et, éventuellement, la condamnation du
contrevenant aux frais de procédure) «peut clarifier encore ce domaine du droit international
marqué par la prévention et le devoir de diligence, et contribuer ainsi au développement progressif
de ces mesures dans le droit des gens contemporain, conformément à leur dimension préventive et - 11 -

au profit de tous les justiciables» (par. 66). Ce faisant, la jurisprudence internationale semble
devancer la doctrine (par. 66).

31. Dans la dernière partie (XII) de son opinion individuelle, le juge Cançado Trindade,
récapitulant ses arguments, fait valoir que les mesures conservatoires offrent, comme il vient de le
démontrer, «un terreau fertile de réflexion au niveau juridico-épistémologique. Temps et droit sont

ici inéluctablement liés, comme dans d’autres domaines du droit international» (par. 67). Les
mesures conservatoires mettent en exergue la dimension préventive, «qui se dessine de plus en plus
clairement en droit international contemporain». Elles «ont profondément évolué, mais un long
chemin reste à parcourir avant qu’elles atteignent leur plénitude» (par. 67).

Opinion individuelle de Mme la juge Donoghue

La juge Donoghue considère que les Etats sont tenus, au titre du droit international
coutumier, de faire preuve de la diligence requise en vue de prévenir les dommages transfrontières
importants. Cette obligation découle de la synthèse de principes fondamentaux de l’ordre juridique
international, en particulier ceux de l’égalité souveraine et de la souveraineté territoriale. Les
mesures que doit prendre l’Etat d’origine pour s’acquitter de cette obligation de diligence
dépendent des circonstances, mais il peut s’agir notamment de procéder à une évaluation de
l’impact sur l’environnement, ainsi que d’informer et de consulter les Etats susceptibles d’être

touchés. La juge Donoghue ne considère cependant pas qu’il revienne à la Cour de prescrire des
règles spécifiques de droit international coutumier en ce qui concerne ces trois points. Quant à
l’obligation de notification et de consultation, elle exprime certaines réserves sur la formulation
précise adoptée par la Cour.

Opinion individuelle de M. le juge Bhandari

Dans l’exposé de son opinion individuelle, le juge Bhandari rappelle qu’il a voté, avec la

majorité de la Cour, en faveur de la conclusion selon laquelle, en omettant d’effectuer une
évaluation de l’impact sur l’environnement en ce qui concerne son vaste projet de construction
routière le long du fleuve San Juan, le Costa Rica a contrevenu au droit international. Il déplore
toutefois l’absence de lignes directrices claires quant aux conditions dans lesquelles une évaluation
de l’impact sur l’environnement est requise en droit international et préconise certains critères
minimaux auxquels il convient, à son sens, de satisfaire dans le cadre d’une évaluation de ce type.
Il commence son analyse en passant en revue les tendances actuelles ainsi que différents principes

fondamentaux du droit international contemporain de l’environnement, concernant notamment le
développement durable, l’action préventive et l’indivis mondial, ainsi que le principe de précaution
et les notions de pollueur payeur et de dommage transfrontière, examinant ensuite en quoi ces
principes président à l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement. Il
souligne par ailleurs que, à l’heure actuelle, les règles du droit international de l’environnement
régissant l’évaluation de l’impact environnemental sont dispersées dans une mosaïque de textes
internationaux à partir desquels il est en dernière analyse impossible d’articuler des exigences

minimales précises pour ce qui est tant de la procédure que du fond. Se référant à la convention
d’Espoo et à d’autres sources, le juge Bhandari s’efforce de dégager, s’agissant du processus
d’évaluation de l’impact sur l’environnement, certaines obligations fondamentales qu’il
conviendrait, à son sens, d’incorporer aux règles du droit international de l’environnement. Il
invite enfin les Etats à se rapprocher pour conclure un traité international arrêtant les exigences
minimales de l’évaluation de l’impact sur l’environnement. A défaut d’établir pareil régime,
indique-t-il, les Etats pourraient, lorsqu’il s’agit de satisfaire à l’obligation de procéder à une

évaluation de l’impact transfrontière sur l’environnement, choisir de suivre ce qu’il présente dans
son opinion comme les «pratiques optimales» à appliquer. - 12 -

Opinion individuelle de M. le juge Robinson

Dans l’exposé de son opinion individuelle, le juge Robinson présente les raisons pour
lesquelles il a voté contre la décision de la Cour, énoncée au point 7) du paragraphe 229 de l’arrêt,
de rejeter le surplus des conclusions soumises par les Parties. Il est d’avis que la Cour aurait dû se
prononcer expressément sur l’allégation du Costa Rica selon laquelle le Nicaragua a violé le
paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, au lieu de décider, ainsi qu’elle
l’indique dans l’arrêt, de ne pas «s’attarder plus longuement» sur ce chef de conclusion «puisque le
caractère illicite [des activités en cause] a déjà été établi».

Cette disposition, qui interdit «de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre
l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière
incompatible avec les buts des Nations Unies», est, selon les propres termes de la Cour, «une pierre
angulaire de la Charte des Nations Unies». Au vu du caractère fondamental de cette interdiction
dans l’ordre juridique international et compte tenu de la fonction de garante des buts de la Charte
des Nations Unies conférée à la Cour, celle-ci se doit de contribuer à renforcer le respect de
l’interdiction de l’emploi de la force. De l’avis du juge Robinson, elle devrait prendre l’habitude

de se prononcer expressément et spécifiquement sur toute allégation de violation de cette
interdiction, sauf lorsqu’elle l’estime infondée ou abusive.

Le juge Robinson estime que le «préjudice subi par le Costa Rica», dont il est question au
paragraphe 97, englobe tout préjudice susceptible d’être causé à cet Etat du fait du manquement à
l’interdiction de l’emploi de la force. Il n’est pas convaincu qu’il soit possible de garantir la
réparation de ce préjudice sans examiner le fait même du manquement éventuel et les circonstances

l’entourant. Il doute également que, dans le contexte de l’espèce, la réparation associée à la
violation de souveraineté territoriale commise par le Nicaragua puisse remédier à quelque préjudice
causé par le manquement à l’interdiction de l’emploi de la force. La Cour n’a pas recherché s’il
existait une équivalence éventuelle entre ces deux normes, qui, de l’avis du juge Robinson,
remplissent des fonctions différentes et traduisent des préoccupations distinctes, quoique se
recoupant.

Selon la jurisprudence de la Cour, les actes d’un Etat doivent atteindre un certain seuil pour

être considérés comme relevant de l’emploi illicite de la force. Pour déterminer si ce seuil a été
franchi, il convient d’analyser la gravité et la finalité des faits incriminés. Le juge Robinson est
d’avis que les éléments de preuve soumis à la Cour en l’espèce montrent que le Nicaragua a bel et
bien violé l’interdiction de l’emploi de la force.

Déclaration de M. le juge Gevorgian

Dans sa déclaration, le juge Gevorgian expose les raisons pour lesquelles il a voté contre le

premier point du dispositif, selon lequel «le Costa Rica a souveraineté sur le «territoire litigieux»».
Selon lui, cette conclusion de la Cour, qui fait suite à une demande que le Costa Rica n’a formulée
que lorsqu’il a présenté ses conclusions finales en l’affaire relative à Certaines activités, n’était pas
nécessaire dans les circonstances de l’espèce.

Le juge Gevorgian estime que la Cour a eu raison de refuser d’établir le tracé de la frontière
dans le «territoire litigieux», tel qu’elle l’avait défini dans ses ordonnances en indication de

mesures conservatoires rendues le 8 mars 2011 et le 22 novembre 2013. Il lui paraît néanmoins
peu judicieux qu’elle déclare que le Costa Rica a souveraineté sur une zone dont les limites sont
loin d’être clairement définies. A son avis, elle aurait dû s’abstenir de formuler pareille conclusion
pour deux raisons principales.

En premier lieu, les Parties n’ont pas abordé la question de l’emplacement précis de
l’embouchure du fleuve ou de la frontière sur la côte, comme il est indiqué, à juste titre, au - 13 -

paragraphe 70 de l’arrêt. En conséquence, le juge Gevorgian considère que la Cour n’était pas en
mesure d’examiner pleinement cette conclusion finale du Costa Rica.

En second lieu, la géographie du territoire litigieux, qui a subi d’importantes transformations
géomorphologiques au cours des cent dernières années, est très instable. Par conséquent, selon le
juge Gevorgian, la conclusion de la Cour concernant la souveraineté sur le territoire litigieux
pourrait devenir source de désaccords entre les Parties.

Déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume

Le juge ad hoc Guillaume a souscrit à nombre des conclusions auxquelles est parvenue la
Cour. Il s’en est cependant écarté sur un point dans l’affaire relative à Certaines activités menées
par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua). Il a noté que cette affaire ne
concernait initialement que ces activités et que le Costa Rica concluait exclusivement à la
condamnation du Nicaragua pour avoir notamment méconnu sa souveraineté sur la partie nord
d’Isla Portillos. C’est seulement à l’issue des audiences que le Costa Rica a pour la première fois
demandé à la Cour de juger qu’il avait souveraineté sur le territoire litigieux. La Cour en a ainsi

décidé, tout en ne fixant pas entièrement les limites de ce territoire.

Le juge ad hoc Guillaume a rappelé que, selon la jurisprudence de la Cour, l’objet d’un
différend est délimité par les demandes présentées dans la requête comme prévu à l’article 40 du
Statut. Les demandes additionnelles ne sont recevables que si elles rentrent dans cet objet. Cette
règle ne supporte exception que si les demandes nouvelles étaient implicitement contenues dans la
requête ou découlaient directement de la question qui fait l’objet de la requête (Ahmadou Sadio
Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt,

C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 656, citant Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 267).

Le juge ad hoc Guillaume a souligné que les nouvelles conclusions du Costa Rica
transformaient une affaire qui relevait du droit de la responsabilité en un contentieux territorial. Il
a estimé une telle transformation impossible et en a déduit que ces nouvelles conclusions étaient
tardives et de ce fait irrecevables. Il a pour ce motif voté contre le point 1 du dispositif.

Il a par ailleurs précisé sa pensée sur divers autres points. En ce qui concerne la liberté de
navigation sur le rio San Juan, il a observé que le Costa Rica avait évoqué cinq incidents qui, selon
lui, auraient porté atteinte à cette liberté. Il a noté que la Cour en avait retenu deux seulement. Il a
ajouté que deux cas en plusieurs années, aussi regrettables soient-ils, ne pouvaient caractériser une
conduite d’ensemble du Nicaragua.

Dans la seconde affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve

San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), le juge ad hoc Guillaume a relevé que cette route avait non
seulement été construite sans évaluation préalable de l’impact sur l’environnement, mais avait
encore causé des dommages réels au Nicaragua. Il a cependant noté que la preuve du caractère
«important» de ces dommages n’avait pas été apportée. Le seuil ainsi fixé par la jurisprudence
n’ayant pas été atteint, le juge ad hoc Guillaume a constaté que la responsabilité du Costa Rica
n’était pas engagée.

Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Dugard

L’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement en ce qui concerne
les activités présentant un risque de dommage transfrontière important occupe une place
prépondérante tant dans l’affaire relative à Certaines activités que dans celle relative à la
Construction d’une route. La Cour a choisi de considérer que cette obligation relevait du «droit
international général», mais il ressort d’un examen minutieux de cette expression qu’elle est
presque synonyme de «droit international coutumier». L’obligation de réaliser une évaluation de - 14 -

l’impact sur l’environnement est indépendante du devoir de faire preuve de la diligence requise, qui
constitue la norme de conduite exigée de la part de l’Etat qui procède à pareille évaluation. Bien

qu’on ait laissé entendre que l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur
l’environnement était vide de contenu, l’analyse de la décision de la Cour permet d’établir
l’existence de certaines règles inhérentes à ladite obligation.

C’est à bon droit que la Cour, se fondant sur les principes qu’elle a énoncés relativement au
contenu de l’obligation d’évaluer l’impact sur l’environnement, a conclu que le Costa Rica avait
manqué à l’obligation qui lui incombait à ce titre en s’abstenant de réaliser pareille évaluation

lorsqu’il a entrepris de construire une route le long du fleuve San Juan, alors que les circonstances
montraient clairement que son projet posait un risque de dommage important pour l’environnement
du Nicaragua.

On ne saurait toutefois en dire autant de la manière dont la Cour a traité le grief que le
Costa Rica fait au Nicaragua de ne pas avoir réalisé d’évaluation adéquate de l’impact sur
l’environnement lorsqu’il a conçu son programme de dragage visant à améliorer la navigabilité du
fleuve San Juan. Je suis donc en désaccord sur ce point.

Sans examiner la situation factuelle qui existait au moment où le Nicaragua a conçu son
programme de dragage en 2006 ni le risque que celui-ci comportait pour la zone humide du
Costa Rica, la Cour se borne à déclarer que les rapports qui lui ont été fournis et les exposés des
experts des deux Parties l’amènent à conclure que ledit programme n’était pas de nature à créer un
risque de dommage transfrontière important. Or un examen attentif des principaux rapports et
exposés m’incite à penser que ceux-ci n’étayent pas la constatation de la Cour. Selon moi, les

preuves montrent que le dragage du San Juan comportait un risque pour la zone humide
costa-ricienne protégée sous le régime de la convention de Ramsar. La Cour semble n’avoir tenu
aucun compte d’un élément pourtant particulièrement convaincant, à savoir la déclaration de l’un
des experts du Nicaragua lui-même, selon laquelle le fait qu’une activité soit entreprise à proximité
d’une zone humide protégée justifiait en soi de procéder à une évaluation de l’impact sur
l’environnement. La démarche de la Cour sur ce point prête en outre à la critique en ce qu’elle n’a
pas appliqué les principes qu’elle a suivis pour l’examen de la demande formulée par le Nicaragua

concernant la construction de la route par le Costa Rica. Il y a une contradiction manifeste entre les
raisonnements qu’elle a tenus dans l’une et l’autre affaires. Enfin, l’analyse des dispositions de la
convention de Ramsar donne à penser que le Nicaragua était, en l’occurrence, tenu d’effectuer une
évaluation de l’impact sur l’environnement.

Il ne fait aucun doute que la construction par le Costa Rica de la route le long du
fleuve San Juan exposait celui-ci à un risque plus important de dommage environnemental que le
programme de dragage du Nicaragua n’en faisait peser sur la zone humide du Costa Rica. Cela ne

justifie pas pour autant la constatation erronée ni le raisonnement contradictoire de la Cour.

___________ Croquis n° 1:

Contexte géographique

84°45’W 84°30′W 84°15′W 84°0′W 83°45′W 83°30′W

11° 15’N MER DES

CARAÏBES

NICARAGUA Lagunede
Harbor
lac Head

Nicara- NICARAGUA
gua Castillo Viejo Cañodragué
en 2010 San Juan Punta de Castilla
borne nº II de Nicaragua IslaPortillos
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11° 0’N n
Agrandissement de la partie septentrionale ai
d’Isla Portillos et de la région environnante Ju
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Route 1856 Juan Rafael Mora Porras

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Résumé de l'arrêt du 16 décembre 2015

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