Résumé de l'arrêt du 31 mars 2014

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18160
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Number (Press Release, Order, etc)
2014/3
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2014/3
Le 31 mars 2014

Chasse à la baleine dans l’Antarctique
(Australie c. Japon ; Nouvelle-Zélande (intervenant))

Résumé de l’arrêt du 31 mars 2014

Qualités (par. 1-29)

La Cour rappelle que, le 31 mai 2010, l’Australie a déposé au Greffe de la Cour une requête
introductive d’instance contre le Japon au sujet d’un différend concernant «la poursuite de
l’exécution par le Japon d’un vaste programme de chasse à la baleine dans le cadre de la deuxième
phase du programme japonais de recherche scientifique sur les baleines dans l’Antarctique au titre
d’un permis spécial («JARPA II»), en violation des obligations contractées par cet Etat aux termes
de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine (dénommée ci-après
la «convention» ou la «convention de 1946»). La Cour rappelle également que, le

20 novembre 2012, la Nouvelle-Zélande a, en vertu du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut,
déposé au Greffe une déclaration d’intervention en l’affaire. Dans sa déclaration, la
Nouvelle-Zélande indiquait qu’elle «entend[ait] se prévaloir de son droit d’intervention … en tant
que non-partie à l’affaire portée devant la Cour par l’Australie à l’encontre du Japon». Par
ordonnance du 6 février 2013, la Cour a décidé que la déclaration d’intervention déposée par la
Nouvelle-Zélande était recevable.

I. OMPÉTENCE DE LA C OUR (par.30-41)

La Cour note que, pour fonder sa compétence, l’Australie invoque les déclarations faites par
les deux Parties en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, et que le Japon, pour sa part,
conteste sa compétence pour connaître du présent différend, au motif qu’il relève du champ
d’application de la réserve énoncée à l’alinéa b) de la déclaration australienne, qu’il invoque au
titre de la réciprocité. Cette réserve exclut de la compétence de la Cour «tout différend relatif à la
délimitation de zones maritimes, y compris la mer territoriale, la zone économique exclusive et le
plateau continental, ou en rapport avec cette délimitation ou découlant de l’exploitation de toute

zone objet d’un différend adjacente à une telle zone maritime en attente de délimitation ou en
faisant partie, concernant une telle exploitation ou en rapport avec celle-ci».

La Cour considère que les différends que vise l’alinéa b) de la déclaration australienne
doivent soit concerner une délimitation maritime dans une zone où des revendications se
chevauchent, soit concerner l’exploitation d’une telle zone ou d’une zone adjacente à celle-ci.
L’existence d’un différend relatif à la délimitation maritime entre les Parties est donc requise aux
termes de la première comme de la seconde partie de la réserve. Après avoir noté que les deux
Parties reconnaissent qu’aucune délimitation maritime n’est en jeu dans le présent différend, la - 2 -

Cour se penche sur la question de savoir si JARPA II couvre l’exploitation d’une zone faisant

l’objet d’un différend en matière de délimitation ou d’une zone qui lui serait adjacente. Elle
constate à cet égard qu’une partie des activités de chasse à la baleine envisagées dans le cadre de
JARPA II se déroulent dans la zone maritime revendiquée par l’Australie en relation avec le
Territoire antarctique australien sur lequel celle-ci fait valoir des droits ou dans une zone qui lui est
adjacente, et que la capture de baleines, tout particulièrement en nombre élevé, pourrait être
considérée comme une forme d’exploitation d’une zone maritime, même si elle intervient dans le
cadre d’un programme mené à des fins de recherche scientifique. Toutefois, si le Japon a contesté

les revendications de l’Australie à l’égard des espaces maritimes générés par le Territoire
antarctique australien sur lequel celle-ci fait valoir des droits, il n’a pas prétendu y détenir de droits
souverains. Or, de ce que le Japon conteste ces revendications, il ne s’ensuit pas que la
délimitation des espaces maritimes en question soit l’objet d’un différend entre les Parties.
Celles-ci n’ont pas de revendications concurrentes qui rendraient applicable la réserve énoncée à
l’alinéa b). De surcroît, la Cour considère que la nature et l’étendue des zones maritimes faisant

l’objet d’une revendication ne sont dès lors pas pertinentes aux fins du présent différend, qui porte
sur la question de savoir si les activités du Japon sont ou non compatibles avec les obligations qui
incombent à celui-ci au titre de la convention. La Cour en conclut que l’exception d’incompétence
du Japon ne peut être retenue.

II. VIOLATIONS ALLÉGUÉES D OBLIGATIONS INTERNATIONALES PRÉVUES

PAR LA CONVENTION (PAR . 42-243)

1. Introduction (par. 42-50)

La Cour note que la convention de 1946 avait été précédée par la convention pour la
réglementation de la chasse à la baleine de 1931 (qui interdisait la mise à mort de certaines espèces
de baleines et imposait aux navires des Etats parties l’obligation de se procurer une licence avant de

se livrer à des activités de chasse à la baleine, mais ne réglait pas la question de l’augmentation du
volume total des captures) et par l’accord international pour la réglementation de la chasse à la
baleine de 1937 (qui, entre autres, interdisait la capture de certaines espèces de baleines, définissait
des saisons pour différents types de chasse, fermait certaines zones géographiques à la chasse et
encadrait l’industrie baleinière au moyen de nouvelles réglementations ; il prévoyait également
qu’un Etat contractant pourrait accorder à l’un quelconque de ses ressortissants un permis spécial
autorisant l’intéressé à tuer, capturer et traiter des baleines en vue de recherches scientifiques).

Adoptée le 2 décembre 1946, la convention est entrée en vigueur pour l’Australie
le 10 novembre 1948 et pour le Japon le 21 avril 1951. La Nouvelle-Zélande a déposé son
instrument de ratification le 2 août 1949, mais a notifié son retrait le 3 octobre 1968, avant
d’adhérer de nouveau à la convention ; cette adhésion a pris effet à compter du 15 juin 1976.

La Cour note que, à la différence des traités de 1931 et de 1937, la convention de 1946 ne

contient pas de dispositions de fond régissant la conservation des stocks de baleines ou la gestion
de l’industrie baleinière. C’est dans le règlement qui lui est annexé, et qui en fait partie intégrante,
que l’on trouve de telles dispositions ; le règlement peut faire l’objet de modifications, dont
l’adoption est du ressort de la commission (dénommée ci-après la «CBI» ou la «commission»).
Tout Etat partie est lié par une modification, à moins qu’il n’y fasse objection. En 1950, la
commission a établi un comité scientifique qui, en vertu du paragraphe 30 du règlement, est
notamment chargé d’examiner les permis spéciaux avant que les Etats parties ne les délivrent à

leurs ressortissants à des fins de recherche scientifique en vertu du paragraphe 1 de l’article VIII de
la convention et d’émettre un avis à leur égard. Depuis le milieu des années 1980, le comité
scientifique procède à l’examen des permis spéciaux sur la base des «lignes directrices» établies ou
approuvées par la commission. A l’époque où JARPA II a été proposé en 2005, les lignes
directrices applicables avaient été rassemblées dans un document intitulé «Annexe Y : Lignes
directrices relatives à l’examen des propositions de permis» (ci-après l’«annexe Y»). Les lignes

directrices actuelles sont consignées dans un document intitulé «Annexe P : Procédure d’examen - 3 -

des propositions de permis spéciaux et des résultats des recherches effectuées dans le cadre des
permis en vigueur ou échus» (ci-après l’«annexe P»).

La Cour expose ensuite les griefs de l’Australie et les réponses du Japon. Elle rappelle à cet
égard que, selon l’Australie, de ce que JARPA II n’est pas un programme mené à des fins de
recherche scientifique au sens de l’article VIII de la convention, il découle que le Japon a violé et
continue de violer trois obligations de fond que lui impose le règlement annexé à cet instrument :
l’obligation d’observer le moratoire fixant à zéro le nombre de baleines pouvant être mises à mort,
toutes espèces confondues, à des fins commerciales (par. 10 e)) ; l’obligation de s’abstenir de

chasser le rorqual commun à des fins commerciales dans le sanctuaire de l’océan Austral
(par. 7 b)) ; et l’obligation de respecter le moratoire interdisant aux usines flottantes ou aux navires
baleiniers rattachés à des usines flottantes de capturer, tuer ou traiter des baleines, à l’exception des
petits rorquals (par. 10 d)). L’Australie prétend également que le Japon a manqué aux obligations
de nature procédurale que lui impose le paragraphe 30 du règlement concernant les propositions de
permis scientifiques. Le Japon conteste toutes ces allégations. S’agissant des obligations de fond,
il fait valoir qu’aucune des dispositions invoquées par l’Australie ne s’applique à JARPA II, qui est

mené à des fins de recherche scientifique et, partant, relève de la dérogation prévue au paragraphe 1
de l’article VIII de la convention. Le Japon affirme en outre n’avoir violé aucune des obligations
de nature procédurale prévues au paragraphe 30 du règlement.

2. Interprétation du paragraphe 1 de l’article VIII
de la convention (par. 51-97)

La Cour se penche ensuite sur l’interprétation du paragraphe 1 de l’article VIII de la

convention, qui se lit comme suit :

«Nonobstant toute disposition contraire de la présente convention, chaque
gouvernement contractant pourra accorder à l’un quelconque de ses ressortissants un
permis spécial autorisant l’intéressé à tuer, capturer et traiter des baleines en vue de
recherches scientifiques et subordonnant cette autorisation aux restrictions en ce qui
concerne le nombre et à telles autres conditions que le gouvernement contractant

jugera opportunes ; les baleines pourront être tuées, capturées ou traitées
conformément aux prévisions du présent article sans qu’il y ait lieu de se conformer
aux dispositions de la présente convention. Chaque gouvernement contractant devra
porter immédiatement à la connaissance de la commission toutes les autorisations de
cette nature qu’il aura accordées. Un gouvernement contractant pourra révoquer à tout
moment un permis spécial par lui accordé.»

La Cour examine en premier lieu la fonction de cette disposition. Elle observe que

l’article VIII fait partie intégrante de la convention et qu’il doit donc être interprété à la lumière de
l’objet et du but de cet instrument et eu égard aux autres dispositions de la convention, dont le
règlement. De l’avis de la Cour, toutefois, dès lors que le paragraphe 1 de l’article VIII précise que
«les baleines pourront être tuées, capturées ou traitées conformément aux prévisions du présent
article sans qu’il y ait lieu de se conformer aux dispositions de la présente convention», les activités
de chasse à la baleine menées au titre d’un permis spécial satisfaisant aux conditions prévues à
l’article VIII ne sont pas soumises aux obligations imposées par les paragraphes 10 e), 7 b) et 10 d)

du règlement cités plus haut.

La Cour analyse ensuite la relation entre l’article VIII et l’objet et le but de la convention.
Compte tenu du préambule et des autres dispositions pertinentes de la convention mentionnées
ci-dessus, elle relève qu’il n’est justifié d’interpréter l’article VIII ni dans un sens restrictif, ni dans
un sens extensif. Elle fait observer que les programmes menés à des fins de recherche scientifique
doivent permettre de développer les connaissances scientifiques et qu’ils peuvent poursuivre un but

autre que la conservation ou l’exploitation durable des stocks de baleines. C’est également ce qui - 4 -

ressort des lignes directrices établies par la CBI concernant l’examen des propositions de permis
scientifiques par le comité scientifique. En particulier, les lignes directrices initialement

applicables à JARPA II (l’annexe Y) se référaient non seulement aux programmes «destinés à
fournir des informations essentielles à la gestion rationnelle des stocks» ou susceptibles de
contribuer à «l’évaluation exhaustive» du moratoire sur la chasse commerciale, mais aussi aux
programmes répondant à d’«autres besoins d’une importance capitale en matière de recherche».
Les lignes directrices actuelles (l’annexe P) recensent trois grandes catégories d’objectifs : outre les
programmes destinés à «améliorer la conservation et la gestion des peuplements baleiniers», elles
envisagent ceux visant à «améliorer la conservation et la gestion des autres ressources marines

vivantes ou l’écosystème dont les peuplements baleiniers font partie intégrante» et ceux dont le but
est de «vérifier des hypothèses qui ne sont pas directement liées à la gestion des ressources marines
vivantes».

Puis la Cour examine le pouvoir accordé à l’Etat habilité à délivrer des permis, et conclut
que, si l’article VIII confère à un Etat partie à la convention le pouvoir discrétionnaire de rejeter
une demande de permis spécial ou de préciser les conditions de l’octroi d’un tel permis, la réponse

à la question de savoir si la mise à mort, la capture et le traitement de baleines en vertu du permis
spécial demandé poursuivent des fins de recherche scientifique ne saurait dépendre simplement de
la perception qu’en a cet Etat.

La Cour en vient ensuite au critère qu’elle appliquera pour se prononcer sur la délivrance
d’un permis spécial autorisant la mise à mort, la capture et le traitement des baleines sur le
fondement du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention : elle examinera, en premier lieu, si le
programme dans le cadre duquel se déroulent ces activités comporte des recherches scientifiques et,

en second lieu, si, en ce qui concerne le recours à des méthodes létales, la conception et la mise en
œuvre du programme sont raisonnables au regard de ses objectifs déclarés.

La Cour observe que, en appliquant le critère d’examen susvisé, elle n’est pas appelée à
trancher des questions de politique scientifique ou baleinière. Elle est consciente que les membres
de la communauté internationale ont des vues divergentes quant à la politique à suivre en matière
de chasse à la baleine et de ressources baleinières, mais il ne lui appartient pas de résoudre ces

divergences. Sa tâche consiste uniquement à s’assurer que les permis spéciaux accordés dans le
cadre de JARPA II entrent dans le champ du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention.

En ce qui concerne le sens de l’expression «en vue de recherches scientifiques», la Cour est
d’avis que les deux éléments qui la composent — «recherches scientifiques» et «en vue de» — sont
cumulatifs. Dès lors, même si la recherche scientifique est l’une des composantes d’un programme
de chasse à la baleine, la mise à mort, la capture et le traitement des cétacés auxquels il aura été
procédé dans ce cadre ne relèveront des prévisions de l’article VIII que si ces activités sont menées

«en vue de» recherches scientifiques. La Cour note que la notion de «recherches scientifiques»
n’est pas définie dans la convention et que, s’appuyant principalement sur les vues de l’un des
experts qu’elle a cités, l’Australie soutient que la recherche scientifique (dans le cadre de la
convention) présente quatre caractéristiques fondamentales : des objectifs précis et réalisables (sous
forme de questions ou d’hypothèses) conçus pour apporter des connaissances utiles à la
conservation et à la gestion des ressources baleinières ; le recours à des «méthodes adéquates», et
notamment à des méthodes létales uniquement lorsque les objectifs de recherche ne peuvent être

atteints par un autre moyen ; la conduite d’un examen par les pairs ; et l’absence d’effets
dommageables sur les populations étudiées. La Cour n’est pas persuadée que, pour relever de la
«recherche scientifique» dans le contexte de l’article VIII, les activités d’un programme doivent
satisfaire aux quatre critères avancés par l’Australie. Ces critères lui semblent, pour l’essentiel,
refléter ce que l’un des experts cités par cet Etat a indiqué attendre d’un programme de recherche
scientifique bien conçu, plutôt que constituer un moyen d’interpréter la notion de «recherches
scientifiques» telle qu’utilisée dans la convention. La Cour ne juge toutefois pas nécessaire

d’établir d’autres critères ou de proposer une définition générale de cette notion. - 5 -

Concernant le sens de la locution «en vue de», la Cour fait observer que même si la
formulation d’objectifs de recherche est à la base de la conception d’un programme, elle n’a pas

besoin de se prononcer sur leur bien-fondé ou importance scientifiques pour évaluer dans quel but
les baleines sont mises à mort dans le cadre d’un tel programme, et n’a pas non plus à déterminer si
la manière dont un programme est conçu et mis en œuvre offre le meilleur moyen possible
d’atteindre ses objectifs annoncés. Elle rappelle que, pour déterminer si c’est à des fins de
recherche scientifique qu’un programme recourt à des méthodes létales, elle examinera si les
éléments de sa conception et de sa mise en œuvre sont raisonnables au regard des objectifs
scientifiques annoncés. Peuvent notamment figurer parmi ces éléments : les décisions relatives au

recours à des méthodes létales ; l’ampleur du recours à l’échantillonnage létal dans le cadre de ce
programme ; les méthodes appliquées pour déterminer la taille des échantillons ; la comparaison
entre la taille des échantillons à prélever et celle des prises effectives ; le calendrier associé au
programme ; les résultats scientifiques de celui-ci ; et le degré de coordination entre les activités
qui en relèvent et des projets de recherche connexes.

La Cour note que, comme les Parties et l’Etat intervenant en conviennent, le paragraphe 2 de

l’article VIII autorise le traitement et la vente de la chair provenant de baleines mises à mort au titre
d’un permis spécial délivré en application du paragraphe 1 de ce même article. Elle estime que la
vente de la chair de baleine obtenue dans le cadre d’un programme et l’utilisation du produit de
cette vente pour financer la recherche ne suffisent pas, en elles-mêmes, pour exclure un permis
spécial des prévisions de l’article VIII. D’autres éléments doivent également être pris en compte,
notamment l’ampleur du recours aux prélèvements létaux, qui pourrait indiquer que la chasse est
menée à d’autres fins que la recherche scientifique. En particulier, un Etat partie ne saurait, pour

financer des travaux de recherche aux fins desquels un permis spécial a été délivré, recourir à
l’échantillonnage létal au-delà de ce qui serait raisonnable au regard des objectifs annoncés du
programme.

La Cour observe qu’un Etat poursuit souvent plusieurs buts lorsqu’il met en œuvre une
politique particulière. De plus, pour répondre objectivement à la question de savoir si un
programme est conduit en vue de recherches scientifiques, il y a lieu d’examiner non pas les
intentions de représentants du gouvernement concerné, mais le caractère raisonnable de la

conception et de la mise en œuvre du programme au regard des objectifs de recherche annoncés.
La Cour considère, par conséquent, que le fait qu’il puisse exister chez tel ou tel de ces
représentants des motivations allant au-delà de la recherche scientifique n’interdit pas de conclure à
la finalité scientifique d’un programme au sens de l’article VIII. De telles motivations ne sauraient
pour autant justifier la délivrance d’un permis spécial dans le cadre d’un programme prévoyant de
faire usage de méthodes létales au-delà de ce qui est raisonnable au regard des objectifs de
recherche annoncés. Les objectifs de la recherche doivent être en eux-mêmes suffisants pour

justifier le programme tel qu’il est conçu et mis en œuvre.

3. JARPA II au regard de l’article VIII
de la convention (par. 98-227)

La Cour décrit ensuite JARPA II et le programme qui l’a précédé, JARPA, avant de
rechercher si la conception et la mise en œuvre de JARPA II sont raisonnables au regard des

objectifs de recherche annoncés.

A. Description des deux programmes (par. 100-126)

La Cour rappelle qu’en 1982, la CBI a adopté une modification du règlement pour instituer
un moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales. Le Japon a présenté, dans le délai
requis, une objection à cette modification, qu’il a retirée en 1986. Au cours de la saison suivante, il
a lancé le programme JARPA, pour lequel il délivrait des permis spéciaux en vertu du paragraphe 1 - 6 -

de l’article VIII de la convention. Dans le plan de recherche établi en 1987 aux fins de JARPA,
celui-ci était notamment décrit comme un «programme de recherche sur le petit rorqual de

l’hémisphère sud et [une] étude préliminaire sur l’écosystème marin de l’Antarctique». Il avait
«pour objet d’estimer la taille du stock» de petits rorquals de l’hémisphère sud afin de fournir une
«base scientifique qui permettra[it] de surmonter les difficultés auxquelles la CBI fai[sait]
face … en raison des divergences de vues des Etats membres sur le moratoire». A cette fin, il était
prévu que soient capturés chaque année 825 petits rorquals de l’Antarctique et 50 cachalots dans
deux «zones de gestion» de l’océan Austral. Par la suite, l’objectif de capture des cachalots a été
supprimé du programme et la taille de l’échantillon de petits rorquals de l’Antarctique a été réduite

à 300 pour les sept premières saisons de JARPA. Le Japon précise que cette décision de ramener la
taille de l’échantillon de 825 à 300 a entraîné un allongement de la période de recherche, ce qui
permettait d’obtenir des résultats précis avec des échantillons plus restreints. A partir de la
saison 1995/1996, la taille maximale annuelle de l’échantillon de petits rorquals de l’Antarctique a
été portée à 400, plus ou moins 10 %. Plus de 6700 petits rorquals ont ainsi été mis à mort pendant
les dix-huit années qu’a duré JARPA.

Au mois de mars 2005, le Japon a présenté au comité scientifique le plan de recherche de
JARPA II et a lancé ce nouveau programme en novembre 2005, avant l’évaluation finale de
JARPA par le comité scientifique en décembre 2006. Comme c’était le cas dans le cadre de
JARPA, les permis spéciaux au titre de JARPA II sont accordés par le Japon à l’institut de
recherche sur les cétacés, fondation créée en 1987 en tant qu’«organisme d’utilité publique»,
conformément au code civil japonais. Le programme prévoit des prélèvements létaux pour trois
espèces de baleines (petits rorquals de l’Antarctique, rorquals communs et baleines à bosse), et son

plan de recherche décrit les éléments essentiels de sa conception : i) les quatre objectifs de la
recherche (suivi de l’écosystème de l’Antarctique, modélisation de la concurrence entre espèces de
baleines et élaboration de nouveaux objectifs de gestion, meilleure compréhension de l’évolution
spatio-temporelle de la structure des stocks, et amélioration de la procédure de gestion des
populations de petits rorquals de l’Antarctique) ; ii) la période et la zone de recherche (organisé en
phases de six ans, JARPA II est un programme de recherche à long terme sans date de fin
déterminée, qui est mis en œuvre dans une zone située dans le sanctuaire de l’océan Austral, tel
qu’établi au paragraphe 7 b) du règlement annexé à la convention ; iii) les méthodes de recherche

et la taille des échantillons (une combinaison de méthodes létales prévoyant le prélèvement de
850 petits rorquals de l’Antarctique, 50 rorquals communs et 50 baleines à bosse, et de méthodes
non létales, à savoir le prélèvement biopsique, le suivi par satellite et l’observation visuelle des
baleines) ; et iv) l’effet attendu sur les populations de baleines (le plan précise que, au vu des
estimations d’abondance actuelles, les prises prévues pour chaque espèce sont trop limitées pour
avoir un quelconque effet négatif).

B. La question de savoir si la conception et la mise en œuvre de JARPA II sont raisonnables
au regard des objectifs de recherche annoncés (par. 127-227)

Tenant compte du critère d’examen applicable, la Cour recherche ensuite si la conception et
la mise en œuvre de JARPA II sont raisonnables au regard des objectifs annoncés.

a) Les décisions du Japon relatives au recours à des méthodes létales (par. 128-144)

La Cour considère que, au vu des éléments de preuve dont elle dispose, il n’est pas possible,
au moins pour certaines données que les chercheurs de JARPA II souhaitent obtenir, d’employer
des méthodes non létales. Compte tenu de ces éléments et dès lors que l’utilité et la fiabilité de ces
données sont une question d’appréciation scientifique, elle estime que rien ne permet de conclure
que l’emploi de méthodes létales n’est pas, en soi, raisonnable dans le cadre de JARPA II. En
revanche, elle s’attache à examiner plus en détail les décisions du Japon relatives à l’utilisation de

telles méthodes dans le cadre de JARPA II ainsi que l’ampleur de cet échantillonnage létal. A cet - 7 -

égard, la Cour mentionne trois raisons pour lesquelles les auteurs du plan de recherche de
JARPA II auraient dû, d’une manière ou d’une autre, se poser la question de la faisabilité des

méthodes non létales, afin de réduire les tailles d’échantillon prévues par ce nouveau programme :
i) les résolutions et les lignes directrices adoptées par la CBI invitent les Etats parties à rechercher
si les objectifs de la recherche peuvent être atteints au moyen de méthodes non létales ; ii) le Japon
affirme que, pour des raisons de politique scientifique, «il ne fait pas usage de méthodes létales
au-delà de la limite qu’il estime nécessaire» et que les solutions non létales ne sont pas toujours
réalisables d’un point de vue pratique et scientifique ; et iii) les deux experts cités par l’Australie
ont fait état d’importantes avancées réalisées dans le domaine des techniques non létales au cours

des vingt dernières années, et ont expliqué en quoi consistaient certaines de ces innovations et
comment elles pouvaient s’appliquer à la réalisation des objectifs annoncés de JARPA II.

La Cour ne trouve donc aucune trace d’études menées par le Japon sur le caractère
scientifiquement ou pratiquement réalisable des méthodes non létales, que ce soit avant de fixer la
taille des échantillons de JARPA II ou dans les années qui ont suivi, au cours desquelles les
objectifs de capture sont demeurés inchangés. Elle ne trouve pas davantage d’éléments indiquant

que le Japon aurait recherché s’il était possible de combiner une réduction des prises létales et une
augmentation des échantillons non létaux en vue d’atteindre les objectifs de recherche
de JARPA II.

b) L’ampleur du recours aux méthodes létales dans le cadre de JARPA II (par. 145-212)

La Cour examine ensuite l’ampleur du recours aux méthodes létales dans le cadre de
JARPA II. Comparant les tailles d’échantillon de JARPA II et de JARPA, elle rappelle que

l’objectif de capture pour les petits rorquals fixé dans le cadre de JARPA II (850, avec une marge
de 10 %) représente à peu près le double de la taille de l’échantillon retenue dans les dernières
années de JARPA, et que JARPA II fixait également des objectifs de capture pour deux autres
espèces les rorquals communs et les baleines à bosse dont l’échantillonnage létal n’était pas
prévu dans le cadre de JARPA. Elle observe cependant qu’une comparaison entre les deux plans
de recherche révèle davantage de ressemblances que de différences entre les sujets d’étude, les

objectifs et les méthodes de JARPA et de JARPA II. Elle considère que ces similitudes jettent un
doute sur l’argument invoqué par le Japon, selon lequel les objectifs de JARPA II relatifs au suivi
de l’écosystème et à la concurrence entre espèces constituent des objectifs propres à ce programme
requérant d’augmenter sensiblement la taille de l’échantillon de petits rorquals et d’étendre les
prélèvements à deux autres espèces. La Cour examine également l’importance accordée par le
Japon à la nécessité d’assurer la continuité entre les deux programmes pour justifier que JARPA II
ait été lancé sans attendre les résultats de l’évaluation finale de JARPA réalisée par le comité

scientifique. Elle note que ces faiblesses de l’explication avancée par le Japon pour justifier sa
décision de lancer JARPA II en y intégrant de nouveaux objectifs de capture avant que les résultats
de JARPA n’aient fait l’objet d’une évaluation finale tendent à conforter l’idée que le choix des
tailles d’échantillon et de la date de lancement de JARPA II n’obéissait pas à des considérations
purement scientifiques.

Quant à la détermination des tailles d’échantillon propres à chaque espèce, la Cour examine
les cinq étapes du processus, en notant celles donnant lieu à des divergences entre les Parties. A cet

égard, elle rappelle qu’elle n’entend pas se prononcer sur le bien-fondé scientifique des objectifs
de JARPA II, et que les activités menées dans le cadre de ce programme peuvent être globalement
qualifiées de «recherches scientifiques». S’agissant de la détermination de la taille des
échantillons, elle n’est pas davantage en mesure de statuer sur l’intérêt scientifique que pourrait
avoir le choix, pour une variable donnée, de telle valeur plutôt que de telle autre ; elle se borne à
apprécier si, au vu des éléments de preuve dont elle dispose, il lui est possible de conclure que les
tailles d’échantillon sont raisonnables au regard des objectifs annoncés de JARPA II. La Cour

conclut que, pris dans leur ensemble, les éléments de preuve concernant la détermination de la - 8 -

taille des échantillons propres à chaque espèce n’offrent guère d’explications ni de justifications
quant aux décisions ayant présidé au choix de l’objectif de capture global.

Lorsqu’elle compare les tailles d’échantillon et les prises effectives, la Cour constate une
différence importante entre les objectifs de capture de JARPA II et le nombre de baleines
effectivement capturées dans le cadre de la mise en œuvre du programme : un total de 18 rorquals
communs ont été tués au cours des sept premières saisons de JARPA II, dont dix au cours de la
première année, lorsque la possibilité de capturer des baleines de grande taille était à l’étude. Au
cours des années suivantes, le nombre de rorquals communs capturés chaque année a oscillé entre

zéro et trois. Aucune baleine à bosse n’a été mise à mort dans le cadre de JARPA II. Le Japon
explique avoir décidé, dans un premier temps, de ne procéder à aucun prélèvement de baleines à
bosse au cours des deux premières années du programme, puis, à compter de 2007, de «suspendre»
ces prélèvements. La Cour constate néanmoins que les permis délivrés au titre de JARPA II depuis
2007 continuent d’autoriser la capture des baleines à bosse. Pour ce qui est des petits rorquals, bien
que la taille de l’échantillon ait été fixée à 850, le nombre de prises effectives dans le cadre de
JARPA II a varié d’une année sur l’autre : 853 petits rorquals ont été capturés au cours de la saison

2005/2006, environ 450 au cours des saisons suivantes, et respectivement 170 et 103 au cours des
saisons 2010/2011 et 2012/2013.

Quant à l’affirmation de l’Australie selon laquelle la différence entre les tailles d’échantillon
et les volumes réels de capture affaiblit la thèse défendue par le Japon, pour qui JARPA II est un
programme en vue de recherches scientifiques, la Cour observe que, bien que la mise en œuvre de
JARPA II se soit pendant nombre d’années considérablement écartée de la conception initiale du
programme, le Japon n’a en rien modifié les objectifs et les tailles d’échantillon indiqués dans les

permis spéciaux délivrés chaque année dans le cadre de ce programme. De l’avis de la Cour, le fait
que le Japon continue, en dépit des différences entre les tailles d’échantillon prévues et les prises
effectives, de s’appuyer sur les deux premiers objectifs de JARPA II pour justifier les tailles
d’échantillon retenues pour l’ensemble du programme, et qu’il déclare en outre que ces volumes de
capture très réduits peuvent néanmoins générer des résultats significatifs sur le plan scientifique,
jette un doute supplémentaire sur le fait que JARPA II soit un programme en vue de recherches
scientifiques. Il ressort de ces éléments de preuve que les tailles d’échantillon sont supérieures à ce

qui serait raisonnable au regard des objectifs annoncés de JARPA II. Le fait que le volume réel de
capture des rorquals communs et des baleines à bosse s’explique largement, sinon exclusivement,
par des considérations politiques et logistiques, affaiblit davantage encore la prétendue relation
entre les objectifs de recherche de JARPA II et la taille d’échantillon définie pour chacune des trois
espèces — en particulier la décision de procéder à l’échantillonnage de petits rorquals à une échelle
relativement grande.

c) Autres aspects de la conception et de la mise en œuvre de JARPA II (par. 213-222)

La Cour examine ensuite plusieurs autres aspects de JARPA II mis en avant par les Parties.
Concernant l’absence de limite dans le temps du programme, elle observe que, dans le cas d’un
programme poursuivant un objectif de recherche scientifique, un «calendrier comprenant des
objectifs intermédiaires», tel que prévu à l’annexe P, aurait été plus approprié. Concernant les
apports scientifiques limités de JARPA II à ce jour, la Cour relève que, bien que la première phase
de recherche de JARPA II (qui couvrait les saisons 2005/2006 à 2010/2011) soit déjà achevée, le

Japon ne fait état que de deux articles validés par des pairs concernant ce programme. Elle relève
en outre que ces articles ne portent pas sur les objectifs de JARPA II mais se fondent sur des
données recueillies sur des petits rorquals capturés lors de l’étude de faisabilité de JARPA II.
Compte tenu du fait que JARPA II se poursuit depuis 2005 et a entraîné la mort de quelque
3600 petits rorquals, la Cour considère que l’apport scientifique du programme à ce jour est pour le
moins modeste. Concernant la coopération avec d’autres organismes de recherche, elle observe
que, JARPA II étant axé sur l’écosystème de l’Antarctique et les modifications de l’environnement

dans la région, il était permis d’escompter que le Japon fournirait davantage d’exemples de
coopération entre ce programme et d’autres organismes de recherche nationaux et internationaux. - 9 -

d) Conclusion concernant l’application du paragraphe 1 de l’article VIII à JARPA II
(par. 223-227)

La Cour estime que, compte tenu des objectifs de recherche de JARPA II, l’utilisation de
méthodes létales en tant que telle n’est pas déraisonnable. Toutefois, une comparaison avec
JARPA révèle que la taille des échantillons retenue dans le cadre de JARPA II a été
considérablement accrue pour ce qui est des petits rorquals de l’Antarctique, le programme
prévoyant en outre des prélèvements létaux pour deux nouvelles espèces. La Cour estime par
conséquent que les tailles d’échantillon prévues dans le cadre de JARPA II ne sont pas raisonnables

au regard des objectifs du programme. Premièrement, les objectifs généraux des deux programmes
se recoupent largement. Pour ce qui est de leurs différences, les éléments de preuve ne permettent
pas de voir en quoi celles-ci ont pu se traduire par une hausse considérable des prélèvements létaux
prévus dans le plan de recherche de JARPA II. Deuxièmement, les tailles d’échantillon de rorquals
communs et de baleines à bosse sont, selon les propres calculs du Japon, trop faibles pour fournir
les informations nécessaires à la réalisation des objectifs, le programme tel qu’il est conçu
paraissant, de surcroît, interdire tout échantillonnage aléatoire de rorquals communs.

Troisièmement, le processus de détermination de la taille de l’échantillon de petits rorquals manque
de transparence, ainsi que l’ont confirmé les experts cités par les deux Parties. Quatrièmement,
certains éléments laissent penser que le programme aurait pu être revu et corrigé de manière à
réduire la taille des échantillons, mais le Japon n’explique pas pourquoi cela n’a pas été fait. Il
ressort également des éléments de preuve versés au dossier que la possibilité de recourir plus
largement aux méthodes non létales pour réaliser les objectifs de JARPA II n’a pas été vraiment
prise en considération, et que des considérations financières, plutôt que des critères purement

scientifiques, sont intervenues dans la conception du programme.

De l’avis de la Cour, ces défauts de conception doivent également être examinés à la lumière
de la mise en œuvre du programme. Tout d’abord, aucune baleine à bosse n’a été capturée, ce à
quoi le Japon fournit des explications qui ne sont pas d’ordre scientifique. Ensuite, les prises
effectives de rorquals communs ne représentent qu’une petite proportion du nombre prévu dans le
plan de recherche de JARPA II. Enfin, hormis pendant une saison, les prises effectives de petits
rorquals ont de surcroît été très inférieures aux objectifs de capture annuels. Malgré ces différences

entre le plan de recherche et la mise en œuvre du programme, le Japon continue de s’appuyer sur
les objectifs de recherche de JARPA II tout particulièrement l’étude de l’écosystème et
l’élaboration d’un modèle de concurrence entre espèces pour justifier tant l’utilisation que
l’ampleur des prélèvements létaux de ces trois espèces prévus dans le plan de recherche. Ni les
objectifs ni les méthodes de JARPA II n’ont fait l’objet d’une quelconque révision ou adaptation
destinées à prendre en compte le nombre de baleines effectivement prélevées. Le Japon n’a pas

davantage expliqué en quoi ces objectifs de recherche demeuraient viables, face à la décision
d’utiliser des périodes de recherche de six et douze ans en fonction des espèces, et d’abandonner
totalement, semble-t-il, l’échantillonnage létal des baleines à bosse tout en réduisant
considérablement le volume de capture des rorquals communs. D’autres aspects de JARPA II, tels
que son caractère illimité dans le temps, sa faible contribution scientifique à ce jour et l’absence de
coopération notable avec les chercheurs d’autres projets de recherche connexes, incitent également
à douter que celui-ci réponde aux critères d’un programme conduit en vue de recherches

scientifiques.

La Cour estime que si JARPA II, pris dans son ensemble, comporte des activités susceptibles
d’être globalement qualifiées de recherches scientifiques, les éléments de preuve dont elle dispose
ne permettent pas d’établir que la conception et la mise en œuvre de ce programme sont
raisonnables au regard de ses objectifs annoncés. La Cour conclut que les permis spéciaux au titre
desquels le Japon autorise la mise à mort, la capture et le traitement de baleines dans le cadre de

JARPA II ne sont pas délivrés «en vue de recherches scientifiques» au sens du paragraphe 1 de
l’article VIII de la convention - 10 -

4. Conclusions concernant les allégations de violation
des dispositions du règlement (par. 228-233)

La Cour se penche ensuite sur les conséquences de la conclusion énoncée ci-dessus, à la
lumière de l’affirmation de l’Australie selon laquelle le Japon a violé trois dispositions du
règlement qui imposent des restrictions à la mise à mort, à la capture et au traitement des baleines :
l’obligation de respecter la limite fixée à zéro concernant le nombre de baleines pouvant être mises
à mort, toutes espèces confondues, à des fins commerciales (par. 10 e)) ; le moratoire sur les usines
flottantes (par. 10 d)) ; et l’interdiction de la chasse commerciale dans le sanctuaire de l’océan

Austral (par. 7 b)).

La Cour observe que les formulations précises de chacune des trois dispositions du
règlement invoquées par l’Australie diffèrent les unes des autres. La disposition qui établit le
«moratoire sur les usines flottantes» ne fait pas explicitement référence à la chasse «commerciale»,
à la différence de celles imposant de respecter la limite de capture fixée à zéro et créant le
sanctuaire de l’océan Austral, qui interdisent expressément cette forme de chasse. De l’avis de la
Cour, malgré ces différences de formulation, les trois dispositions du règlement sont néanmoins

clairement censées couvrir la mise à mort, la capture et le traitement des baleines dans tous les cas
où de telles activités ne seraient pas menées «en vue de recherches scientifiques» au titre du
paragraphe 1 de l’article VIII de la convention ou au titre de la chasse aborigène de subsistance
prévue au paragraphe 13 du règlement, laquelle est sans rapport avec la présente affaire. La
mention de la chasse «commerciale» aux paragraphes 7 b) et 10 e) du règlement peut s’expliquer
par le fait que, dans presque tous les cas, telle serait la qualification la plus appropriée de l’activité
de chasse pratiquée. Le libellé de ces deux dispositions ne saurait être interprété comme donnant à

penser qu’il existerait certaines catégories de chasse à la baleine qui n’entreraient pas dans les
prévisions du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention ou du paragraphe 13 du règlement,
mais qui ne tomberaient pas pour autant sous le coup des interdictions énoncées aux
paragraphes 7 b) et 10 e) du règlement. Toute interprétation de ce genre laisserait hors du champ
d’application de la convention certaines catégories non définies de chasse à la baleine, ce qui ferait
échec à son objet et à son but. Il convient également d’observer que, à aucun moment de la
présente procédure, les Parties et l’Etat intervenant n’ont laissé entendre que de telles autres

catégories existeraient.

Partant donc du principe que, dès lors qu’elle n’entre pas dans les prévisions du paragraphe 1
de l’article VIII, la chasse à la baleine— hormis la chasse aborigène de subsistance — tombe sous
le coup des trois dispositions du règlement invoquées par l’Australie, la Cour parvient aux
conclusions suivantes :

i) Pour ce qui est du moratoire sur la chasse commerciale institué par le paragraphe 10 e) du

règlement, la Cour observe que, de 2005 à nos jours, dans le cadre des permis qu’il a
délivrés au titre de JARPA II, le Japon a fixé des limites de capture supérieures à zéro pour
trois espèces 850 pour les petits rorquals, 50 pour les rorquals communs et 50 pour les
baleines à bosse. Elle en conclut que le Japon ne s’est pas conformé à ses obligations en
vertu dudit paragraphe, et ce, pour chacune des années au cours desquelles il a accordé des
permis au titre de JARPA II (soit de 2005 à nos jours), étant donné que ces permis fixaient

des limites de capture supérieures à zéro.

ii) Pour ce qui est du moratoire sur les usines flottantes institué par le paragraphe 10 d) du
règlement, la Cour estime que, en utilisant l’usine flottante Nisshin Maru et d’autres
navires ayant servi de navires baleiniers pour chasser, capturer, remorquer, poursuivre ou
repérer des baleines, le Japon ne s’est pas conformé à ses obligations en vertu dudit
paragraphe, et ce, pour chacune des saisons au cours desquelles ont été capturés, mis à
mort et traités des rorquals communs dans le cadre de JARPA II. - 11 -

iii) Pour ce qui est du sanctuaire de l’océan Austral créé par le paragraphe 7 b) du règlement,

la Cour fait observer que cette disposition ne s’applique pas à l’égard du Japon pour ce qui
est des petits rorquals (compte tenu de l’objection qu’il a présentée à cet effet). Elle fait en
outre observer que JARPA II se déroule dans le sanctuaire de l’océan Austral et conclut
que le Japon ne s’est pas conformé à ses obligations en vertu dudit paragraphe, et ce, pour
chacune des saisons au cours desquelles ont été capturés des rorquals communs dans le
cadre de JARPA II.

5. Manquement allégué aux obligations incombant au Japon
au titre du paragraphe 30 du règlement (par. 234-242)

La Cour rappelle que l’Australie lui demande en outre de dire et juger que le Japon a violé
son obligation de se conformer aux dispositions du paragraphe 30 du règlement. Celles-ci stipulent
que tout Etat contractant est tenu de soumettre au secrétaire de la CBI les permis en instance de

délivrance, dans un délai suffisant pour permettre au comité scientifique de les examiner et de les
commenter, et énumèrent les éléments devant figurer dans ces permis.

Pour ce qui est du calendrier, la Cour constate que le Japon a soumis le plan de recherche de
JARPA II à l’examen du comité scientifique avant de délivrer le premier permis au titre de ce
programme, et que les permis suivants qui ont été délivrés sur la base de cette proposition relèvent
du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention, aux termes duquel ils doivent être portés à la

connaissance de la commission. Elle note que l’Australie ne conteste pas que le Japon a procédé
ainsi pour chaque permis qu’il a délivré dans le cadre de JARPA II. Pour ce qui est des obligations
de fond imposées par le paragraphe 30, elle considère que le plan de recherche de JARPA II, sur la
base duquel sont délivrés les permis spéciaux, fournit les informations requises par cette
disposition, comme l’a reconnu le comité scientifique lorsqu’il a examiné ce plan de recherche en
2005. De l’avis de la Cour, l’absence d’informations détaillées dans les permis eux-mêmes peut

s’expliquer par le caractère pluriannuel du programme, tel que décrit dans le plan de recherche de
JARPA II. La manière dont a procédé le Japon est conforme à la pratique du comité scientifique et,
en conséquence, la Cour estime qu’il a satisfait aux exigences du paragraphe 30 en ce qui concerne
JARPA II.

III. REMÈDES (PAR . 244-246)

Outre qu’elle demande à la Cour de conclure que les baleines mises à mort, capturées et
traitées au titre de permis spéciaux délivrés dans le cadre de JARPA II ne le sont pas à des fins de
recherche scientifique au sens de l’article VIII et que le Japon a donc agi en violation des
dispositions de trois paragraphes du règlement, l’Australie prie la Cour de dire et juger que le Japon
doit : «a) s’abstenir d’autoriser ou d’exécuter toute activité de chasse à la baleine au titre d’un
permis spécial qui ne serait pas menée en vue de recherches scientifiques au sens de l’article VIII ;

b) mettre fin, avec effet immédiat, à l’exécution du programme JARPA II ; et c) révoquer tout
permis, autorisation ou licence permettant la mise en œuvre du programme JARPA II.» La Cour
constate que, JARPA II étant toujours en cours, des mesures allant au-delà d’un jugement
déclaratoire s’imposent. Elle ordonne donc au Japon de révoquer tout permis, autorisation ou
licence déjà délivré pour mettre à mort, capturer ou traiter des baleines dans le cadre de JARPA II,
et de s’abstenir d’accorder tout nouveau permis en vertu du paragraphe 1 de l’article VIII de la

convention au titre de ce programme.

La Cour ne juge pas nécessaire d’ordonner l’autre remède sollicité par l’Australie, qui
exigerait du Japon qu’il s’abstienne d’autoriser ou de pratiquer la moindre activité de chasse à la
baleine au titre d’un permis spécial qui ne serait pas menée en vue de recherches scientifiques au
sens de l’article VIII. De l’avis de la Cour, tous les Etats parties étant déjà soumis à cette
obligation, il y a tout lieu de penser que, lorsqu’il examinera la possibilité de délivrer de futurs - 12 -

permis en vertu du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention, le Japon tiendra compte du
raisonnement suivi par la Cour dans le présent arrêt, ainsi que des conclusions y énoncées.

IV. DISPOSITIF (PAR . 247)

LA C OUR ,

1) A l’unanimité,

Dit qu’elle a compétence pour connaître de la requête déposée par l’Australie le
31 mai 2010 ;

2) Par douze voix contre quatre,

Dit que les permis spéciaux délivrés par le Japon dans le cadre de JARPA II n’entrent pas
dans les prévisions du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention internationale pour la
réglementation de la chasse à la baleine ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Keith, Skotnikov,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
M. Bhandari, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Owada, Abraham, Bennouna, Yusuf, juges ;

3) Par douze voix contre quatre,

Dit que, en délivrant des permis spéciaux autorisant la mise à mort, la capture et le traitement
de rorquals communs, de baleines à bosse et de petits rorquals de l’Antarctique dans le cadre de
JARPA II, le Japon n’a pas agi en conformité avec ses obligations au titre du paragraphe 10 e) du

règlement annexé à la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Keith, Skotnikov,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
M. Bhandari, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Owada, Abraham, Bennouna, Yusuf, juges ;

4) Par douze voix contre quatre,

Dit que le Japon n’a pas agi en conformité avec ses obligations au titre du paragraphe 10 d)
du règlement annexé à la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine

pour ce qui est de la mise à mort, de la capture et du traitement de rorquals communs dans le cadre
de JARPA II ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Keith, Skotnikov,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
M. Bhandari, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Owada, Abraham, Bennouna, Yusuf, juges ;

5) Par douze voix contre quatre,

Dit que le Japon n’a pas agi en conformité avec ses obligations au titre du paragraphe 7 b) du

règlement annexé à la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine - 13 -

pour ce qui est de la mise à mort, de la capture et du traitement de rorquals communs dans le
«sanctuaire de l’océan Austral» dans le cadre de JARPA II ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Keith, Skotnikov,
Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,

M. Bhandari, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Owada, Abraham, Bennouna, Yusuf, juges ;

6) Par treize voix contre trois,

Dit que le Japon a respecté ses obligations au titre du paragraphe 30 du règlement annexé à
la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine dans le cadre de
JARPA II ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham,

Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue,
Donoghue, M. Gaja, juges ;

CONTRE : Mme Sebutinde,M. Bhandari, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ;

7) Par douze voix contre quatre,

Décide que le Japon doit révoquer tout permis, autorisation ou licence déjà délivré dans le
cadre de JARPA II et s’abstenir d’accorder tout nouveau permis au titre de ce programme.

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Keith, Skotnikov,

Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde,
M. Bhandari, juges ; Mme Charlesworth, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Owada, Abraham, Bennouna, Yusuf, juges.

MM. les juges O WADA et A BRAHAM joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion
dissidente ; M. le jugeEITHjoint une déclaration à l’arrêt ; M. le jENNOUNA joint à l’arrêt
l’exposé de son opinion dissidente ; M. le jANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son
opinion individuelle ; M. le jugUSUF joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le

juge GREENWOOD , Mmes les juges UE et SEBUTINDE ainsi que M. le jugeHANDARI joignent à
l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; Mme la juge HARLESWORTH joint à l’arrêt
l’exposé de son opinion individuelle.

___________ Annexe au Résumé 2014/3

Opinion dissidente de M. le juge Owada

Dans son opinion dissidente, le juge Owada déclare qu’il ne peut, à son plus grand regret,
s’associer à l’arrêt de la Cour en ce qui concerne les conclusions énoncées aux points 2, 3, 5 et 7 du
dispositif, et le raisonnement correspondant. Son désaccord, explique-t-il, porte sur la manière
dont la Cour interprète la nature fondamentale de la convention internationale pour la
réglementation de la chasse à la baleine (ci-après la «convention»), la méthode qu’elle utilise pour
interpréter et appliquer les dispositions de cette convention et, par voie de conséquence, plusieurs

des conclusions auxquelles elle parvient.

I. Compétence

Le juge Owada commence son opinion dissidente en faisant observer que, s’il fait sienne la
conclusion de la Cour selon laquelle elle est compétente, il a quelques réserves concernant certains
aspects de son raisonnement. Il déplore également que, en raison de circonstances procédurales
quelque peu regrettables, les Parties à la présente instance n’aient pas eu tout le loisir de développer

leurs thèses respectives sur la question de la compétence.

II. L’objet et le but de la convention

Le juge Owada se penche ensuite sur l’objet et le but de la convention. Il relève que deux
thèses s’opposent concernant cet instrument. La première consiste à soutenir que la perception
socioéconomique de la question des baleines et de la chasse à la baleine a évolué au fil des années
depuis 1946 et qu’il convient de tenir compte de cette évolution dans l’interprétation et

l’application de la convention. La seconde est que le cadre juridico-institutionnel fixé par la
convention n’a pas changé depuis cette date, cet instrument s’appuyant sur des principes bien
établis de droit international relatifs à la conservation et à la gestion des ressources halieutiques, y
compris des baleines, et que cette nature fondamentale de la convention devrait pour l’essentiel être
préservée. Tel est, selon le juge Owada, le clivage fondamental qui sépare les positions juridiques
de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande de celle du Japon.

Concernant l’objet et le but de la convention, le juge Owada fait valoir que cet instrument a
été adopté à une époque où les baleiniers se livraient à une chasse effrénée, peu réglementée, qui en
était venue à compromettre la capacité de renouvellement des stocks de baleines et, partant, la
pérennité de l’industrie baleinière, et qu’il convient d’interpréter la convention à la lumière de ces
circonstances. Il fait également observer que l’objet et le but de la convention sont très clairement
énoncés dans son préambule. Selon lui, il ne fait aucun doute que, de par son objet et son but, la
convention poursuit une double finalité, celle d’assurer à long terme un rendement maximum de

renouvellement des stocks en question et celle de garantir la pérennité de l’industrie baleinière.
Nulle part dans la convention n’est-il fait allusion à une interdiction totale et définitive de la chasse
à la baleine. Cela est confirmé, indique le juge Owada, par le procès-verbal de la réunion de la
commission baleinière internationale à l’issue de laquelle fut adopté le moratoire sur la chasse à la
baleine à des fins commerciales.

Selon le juge Owada, il était essentiel que la Cour interprète l’objet et le but de la convention
en les replaçant dans leur juste perspective, c’est-à-dire en tenant compte des caractéristiques

essentielles du régime mis en place par la convention. Le juge Owada relève que, dans son arrêt, la
Cour s’abstient d’analyser ces caractéristiques essentielles. Elle se borne à déclarer que, «[d]u fait
des fonctions conférées à [la commission baleinière internationale], la convention est un instrument
en constante évolution», sans préciser les conséquences de cette déclaration laconique. Le
juge Owada estime que la convention n’est pas, par nature, un instrument juridique malléable,
censé évoluer au gré des mutations socioéconomiques. - 2 -

III. Les caractéristiques essentielles du régime de réglementation
mis en place par la convention

Pour bien comprendre les caractéristiques essentielles du régime établi par la convention,
précise le juge Owada, il convient d’analyser en détail l’économie générale de cet instrument.
A cet égard, le juge Owada observe que 1) les Etats contractants ont créé une commission
baleinière internationale (ci-après la «commission» ou la «CBI») en tant qu’organe exécutif, qui
peut prendre des décisions à la majorité des trois-quarts, si de telles décisions sont nécessaires en
vertu de l’article V ; 2) aux termes de l’article V, la commission peut modifier les dispositions du

règlement qui est annexé à la convention et en fait partie intégrante, en adoptant des dispositions au
sujet de la conservation et de l’utilisation des ressources baleinières, sous certaines conditions ;
3) la commission peut également formuler, à l’intention de l’un quelconque ou de tous les Etats
contractants, des recommandations à propos de questions ayant trait, soit aux baleines et à la chasse
à la baleine, soit aux objectifs et aux buts de la convention ; et 4) nonobstant toute disposition
contraire de la convention, chaque Etat contractant peut accorder à l’un quelconque de ses
ressortissants un permis spécial autorisant l’intéressé à tuer, capturer et traiter des baleines en vue

de recherches scientifiques et subordonnant cette autorisation aux restrictions en ce qui concerne le
nombre et à telles autres conditions qu’il jugera opportunes, les baleines pouvant être tuées,
capturées ou traitées conformément aux prévisions de l’article VIII sans qu’il y ait lieu de se
conformer aux dispositions de la convention.

De l’avis du juge Owada, il semble légitime de conclure des arguments résumés ci-dessus
que, concernant la réglementation de la question des baleines et de la chasse à la baleine, la
convention a établi un régime se suffisant à lui-même, même si un tel système prévoyant

l’autonomie des Etats parties ne peut, faut-il le préciser, échapper au contrôle judiciaire de la Cour.
Dans le cadre de ce régime de réglementation autonome, ajoute le juge Owada, la commission n’a
pas le pouvoir de prendre à la majorité des décisions qui puissent s’imposer aux parties
contractantes, et aucune modification du règlement ne peut entrer en vigueur à l’égard d’une partie
contractante si celle-ci y a formulé une objection. Il rappelle que, à la suite de la modification du
règlement en vue d’interdire la chasse à la baleine, toutes espèces confondues, à des fins
commerciales à compter de la saison 1985/1986, le Japon a finalement exercé son droit d’objecter

prévu à l’article V, objection qu’il a ultérieurement retirée sous la pression des Etats-Unis.

Selon le juge Owada, accepter l’argument avancé par le demandeur eu égard à cette situation
et développé plus avant par l’Etat intervenant, selon lequel la convention a évolué au cours de ces
60 dernières années à mesure que se modifiait la perception de la question des baleines et de la
chasse à la baleine, reviendrait à changer la règle du jeu fixée par la convention et acceptée par les
Etats parties en 1946. Le juge Owada fait observer que, selon le défendeur, face à la nouvelle

situation créée par l’adoption d’un moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales, ce
dernier s’est vu dans l’obligation de présenter un programme d’activités menées aux fins de la
recherche scientifique de manière à pouvoir recueillir des éléments scientifiques soumis à l’examen
de la commission (ou de son comité scientifique), en vue de permettre à cette dernière de lever ou
de reconsidérer le moratoire qui, théoriquement, était une mesure temporaire et sujette à réexamen.
De l’avis du juge Owada, il semble difficile de trouver à redire à la démarche adoptée par le
défendeur.

Le juge Owada fait observer que, compte tenu du libellé du paragraphe 2 de l’article V et du
paragraphe 1 de l’article VIII de la convention, les activités entreprises par le défendeur dans le
cadre de JARPA et de JARPA II doivent à première vue être considérées comme conformes à la
convention et à son règlement révisé. A son avis, toute la question de la licéité des activités de
chasse à la baleine menées par le Japon au titre de JARPA, puis de JARPA II, se résume à celle de
savoir si les activités entreprises par le défendeur entrent ou non dans la catégorie des activités
menées «en vue de recherches scientifiques» au sens de l’article VIII de la convention. - 3 -

IV. L’interprétation de l’article VIII

Selon le juge Owada, la convention a ceci de fondamental, ainsi qu’il l’a déjà indiqué, que
les parties contractantes ont créé un régime qui se suffit à lui-même pour réglementer la question
des baleines et de la chasse à la baleine. La clause figurant à l’article VIII de la convention est, à
son avis, un élément important de ce régime de réglementation. Le juge Owada estime qu’il serait
en ce sens erroné de qualifier de simple exception à ce régime le pouvoir conféré à un Etat
contractant d’accorder des permis spéciaux à ses ressortissants pour «tuer, capturer et traiter des
baleines en vue de recherches scientifiques» (convention, art. VIII, par. 1). Selon lui, l’Etat

contractant à qui est accordée une telle prérogative aux termes de l’article VIII a en fait un rôle
important à jouer dans ce cadre, en recueillant des éléments et des données scientifiques
susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs et des buts de la convention. En outre,
ajoute le juge Owada, la décision relative aux composantes de la recherche scientifique ou à la
manière dont cette recherche devrait être conçue et mise en œuvre dans une situation donnée
relève, au premier chef, du pouvoir discrétionnaire du gouvernement qui délivre le permis. Selon
le juge Owada, l’Etat contractant a l’obligation d’exercer cette discrétion de bonne foi, uniquement

aux fins de la recherche scientifique, et de rendre compte de ses activités de recherche scientifique
devant les organes exécutifs de la convention, à savoir la commission et le comité scientifique.

Cela ne signifie pas, souligne le juge Owada, que la Cour, en sa qualité d’institution
judiciaire chargée d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la convention, n’a aucun rôle à
jouer dans ce processus. Cependant, compte tenu de la nature et des caractéristiques propres au
cadre réglementaire créé par la convention, elle doit exercer ce pouvoir avec circonspection, dans la
mesure où sont en jeu : a) l’application du cadre réglementaire établi par la convention ; et b) la

tâche de nature technico-scientifique assignée par la convention au comité scientifique, consistant à
évaluer le bien-fondé de la recherche scientifique.

S’agissant du problème relatif à l’application du cadre réglementaire de la convention
(le point a) ci-dessus), le juge Owada considère que la bonne foi de l’Etat contractant doit
nécessairement être présumée. Selon lui, la fonction de la Cour consiste à s’assurer que l’Etat en
question poursuit ses activités en toute bonne foi et respecte les exigences du régime de

réglementation en matière de recherche scientifique, de sorte qu’il soit possible d’obtenir des
résultats scientifiques susceptibles de contribuer à la réalisation de l’objet et du but de la
convention. Le juge Owada estime, cependant, que la conception et la mise en œuvre du
programme constituent par nature des questions qu’il n’appartient pas à la Cour d’examiner, les
termes de l’article VIII accordant au premier chef à l’Etat contractant le pouvoir de décider de ces
questions.

Le juge Owada ajoute que les allégations du demandeur selon lesquelles ces activités de

chasse ont été conçues et mises en œuvre sous couvert de recherche scientifique, mais à des fins
autres que la recherche scientifique, ne peuvent donc pas se fonder sur de simples présomptions,
mais demandent à être établies par de solides éléments de preuve ne laissant aucun doute sur le fait
que l’Etat en question a agi de mauvaise foi.

S’agissant du second problème relatif à la question de savoir ce que recouvrent des activités
menées «en vue de recherches scientifiques» (point b) ci-dessus), le juge Owada ne souscrit pas à

la logique suivie par la Cour dans son arrêt, qui distingue la «recherche scientifique» en tant que
telle des «[activités menées] en vue de la recherche scientifique». Selon lui, cette distinction est si
artificielle qu’elle ne peut s’appliquer, de manière réaliste, à une situation concrète. Le juge Owada
estime au contraire que la Cour aurait dû s’en tenir purement et simplement à la question de savoir
ce que recouvrent des activités «en vue de recherches scientifiques», selon le sens naturel et
ordinaire de cette expression.

Le juge Owada fait en outre observer que la Cour, en tant que cour de justice, n’est pas

professionnellement qualifiée pour apporter une réponse qui soit scientifiquement valable à la - 4 -

question de savoir ce que recouvrent des activités «en vue de recherches scientifiques» et ne devrait
pas prétendre qu’elle le peut. Il fait valoir que la notion de «recherches scientifiques» est une

question sur laquelle les scientifiques eux-mêmes sont divisés et ne parviennent pas à un
consensus. Or, note le juge Owada, la Cour se livre de fait à une «évaluation scientifique» de
plusieurs aspects fondamentaux de JARPA/JARPA II, pour conclure que ces activités ne répondent
pas aux critères requis pour être qualifiées d’activités «en vue de recherches scientifiques» car,
selon sa propre analyse scientifique, elles ne peuvent être considérées comme objectivement
raisonnables. Pour le juge Owada, se pose immédiatement la question de savoir «à quelle aune ce
caractère raisonnable est-il apprécié ?». Si la Cour aborde la question sous l’angle juridique, le

juge Owada fait valoir que la réponse est évidente, puisqu’il incombe au premier chef à l’Etat
partie qui entreprend la recherche d’apprécier de bonne foi cette question. Si la Cour l’aborde sous
l’angle scientifique, elle n’est absolument pas en mesure d’établir que certaines activités sont
objectivement raisonnables, sauf à se livrer à un examen et à une analyse technico-scientifiques de
la conception et de la mise en œuvre de JARPA/JARPA II, ce qui n’est pas de son ressort et dont
elle aurait dû se garder.

V. La portée de l’examen de la Cour

Le juge Owada fait observer que les parties contractantes reconnaissent expressément la
nécessité et l’importance de la recherche scientifique pour le fonctionnement d’un «système de
réglementation internationale de la chasse à la baleine qui soit de nature à assurer d’une manière
appropriée et efficace la conservation et l’accroissement des peuplements baleiniers» (préambule,
alinéa 7). Lors de la conférence qui a donné naissance à la convention en 1946, rappelle-t-il, des

organisations scientifiques qui étudiaient les baleines ont souligné l’importance cruciale de la
recherche scientifique. De l’avis du juge Owada, lorsqu’ils se sont accordés sur le libellé de
l’article VIII, les Etats contractants entendaient se réserver le droit de délivrer à leurs ressortissants
des permis spéciaux autorisant la chasse à la baleine en vue de recherches scientifiques, et ce, sans
devoir au préalable consulter la CBI ou son comité scientifique, ni recueillir leur approbation.

L’Etat contractant ne jouit pas pour autant d’une entière discrétion en accordant un permis
spécial, relève le juge Owada, qui estime que le rôle de la Cour consiste à déterminer d’un point de

vue juridique si les procédures expressément établies dans le cadre du régime institué par la
convention, notamment en son article VIII, sont scrupuleusement observées. Le juge Owada note
qu’il est également loisible à la Cour de vérifier si les activités en question peuvent être considérées
comme répondant à la notion de «recherches scientifiques» généralement admise (en référence à
l’obligation de fond conférée à l’Etat contractant par l’article VIII). Pour ce faire, la Cour doit
déterminer le critère d’examen à appliquer.

VI. La question du critère d’examen

Le juge Owada note que, en définissant le critère d’examen, la Cour a formulé la conclusion
suivante :

«Lorsqu’elle se penchera sur la question de la délivrance d’un permis spécial
autorisant la mise à mort, la capture et le traitement de baleines, la Cour examinera, en
premier lieu, si le programme dans le cadre duquel se déroulent ces activités comporte

des recherches scientifiques. Elle établira, en second lieu, si les baleines mises à mort,
capturées et traitées le sont «en vue de» recherches scientifiques, en examinant si, en
ce qui concerne le recours à des méthodes létales, la conception et la mise en œuvre du
programme sont raisonnables au regard de ses objectifs déclarés. Ce critère d’examen
revêt un caractère objectif.» (Arrêt, paragraphe 67.) - 5 -

De l’avis du juge Owada, la Cour, en définissant ainsi le critère d’examen dans son arrêt, ne fait
aucun cas du clivage existant entre les Parties sur cette question et semble adopter sans autre

explication la position de l’une d’entre elles, à savoir le demandeur. Selon lui, une telle
formulation laisse entendre que l’application de ce critère du caractère objectivement raisonnable
pour définir la portée générale de l’examen de la Cour fait l’unanimité entre les Parties alors que,
en réalité, l’une de leurs divergences profondes tenait à ce point particulier. En outre, ajoute le
juge Owada, il n’est nullement précisé dans l’arrêt en quoi il est légitime ou approprié pour la Cour
d’étendre la portée de son examen à la «conception et [à] la mise en œuvre» du programme
JARPA II.

Le juge Owada fait observer qu’une analyse attentive des arguments des Parties révèle que
ce critère d’examen semble trouver son origine dans la jurisprudence de l’organe d’appel de
l’Organisation mondiale du commerce («l’OMC») en l’affaire Etats-Unis — Maintien de la
suspension d’obligations dans le différend CE-hormones (ci-après «l’affaire CE-Hormones»). Il
estime que, dans son arrêt, la Cour reprend cette formule magique du caractère objectivement
raisonnable en la coupant de son contexte, pour en faire une application quelque peu mécanique

aux fins de l’espèce.

Le juge Owada note que le défendeur a déclaré ce qui suit au sujet du critère d’examen :

«le Japon est d’accord avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande pour estimer que la
question à se poser est celle de savoir si la décision prise par un Etat est objectivement
raisonnable ou «étayée par un raisonnement cohérent et des preuves scientifiques
respectables et est, en ce sens, objectivement justifiable»» (c’est moi qui souligne).

Le défendeur se fonde ici sur un extrait figurant mot pour mot dans la décision de l’organe d’appel
en l’affaire CE-hormones, relève le juge Owada, d’où l’importance d’examiner l’extrait cité dans
son contexte précis, qui est le suivant :

«[E]n ce qui concerne l’établissement des faits par les groupes spéciaux [de
l’OMC], le critère applicable n’était «ni l’examen de novo proprement dit, ni la
«déférence totale», mais «l’évaluation objective des faits».

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’est la tâche du Membre de l’OMC d’effectuer l’évaluation des risques. La
tâche du groupe spécial est d’examiner cette évaluation des risques. Dans les cas où
un groupe spécial va au-delà de ce mandat limité et agit en tant que responsable de
l’évaluation des risques, il substituerait son propre jugement scientifique à celui du
responsable de l’évaluation des risques et ferait un examen de novo et, par conséquent,

outrepasserait ses fonctions au titre de l’article 11 du Mémorandum d’accord [de
l’OMC sur le règlement des différends]. En conséquence, le pouvoir en matière
d’examen d’un groupe spécial n’est pas de déterminer si l’évaluation des risques
effectuée par un membre de l’OMC est correcte mais de déterminer si cette évaluation
des risques est étayée par un raisonnement cohérent et des preuves scientifiques
respectables et est, en ce sens, objectivement justifiable.» (C’est moi qui souligne.)

Le juge Owada souligne que, dans sa décision, l’organe d’appel de l’OMC indique que le groupe

concerné outrepasserait ses fonctions s’il devait agir en tant que responsable de l’évaluation des
risques et faire un examen de novo. La Cour s’est donc, de l’avis du juge Owada, fourvoyée en
sortant ce critère du caractère objectivement raisonnable de son contexte pour l’appliquer à rebours
de façon mécanique, c’est-à-dire pour se livrer à un examen de novo des activités du défendeur
alors que, selon la convention, c’est à ce dernier qu’appartient au premier chef le pouvoir de
délivrer des permis spéciaux en vue de recherches scientifiques. - 6 -

Le juge Owada fait par ailleurs valoir que, dans l’affaire du Différend relatif à des droits de
navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), la Cour, se référant à l’argument du

demandeur (le Costa Rica) faisant grief au défendeur (le Nicaragua) d’avoir soumis ses droits de
navigation sur le fleuve San Juan à des restrictions «déraisonnables», avait indiqué ce qui suit :

«c’est à l’autorité de réglementation, en l’occurrence à l’Etat qui jouit de la
souveraineté sur le fleuve, que revient la responsabilité principale d’apprécier la
nécessité de réglementer et, en se fondant sur sa connaissance de la situation, de
retenir à cette fin la mesure qu’il estime la plus appropriée. Il ne suffit pas, pour

contester une réglementation, d’affirmer en termes généraux qu’elle est
déraisonnable.»

Le défendeur dans la présente instance se trouve, du point de vue juridique, dans une situation
similaire à celle du défendeur en l’affaire précitée, estime le juge Owada, qui considère que le
dictum ci-dessus aurait dû être appliqué au cas d’espèce.

VII. Application du critère d’examen au cas d’espèce

Le juge Owada indique qu’il n’entreprendra pas de réfuter les conclusions que la Cour a
formulées dans l’arrêt sur la base de son analyse de fond de chacun des aspects concrets de la
conception et de la mise en œuvre du programme JARPA II car, s’il se livrait à un tel exercice, il
ferait exactement ce dont la Cour aurait dû s’abstenir au regard de la convention. Il a cependant
certaines critiques à formuler quant à la manière dont la Cour a appliqué dans l’arrêt le critère du
caractère objectivement raisonnable aux fins d’apprécier les activités concrètes menées dans le

cadre de JARPA II. Selon lui, il doit être présumé que, sauf preuve du contraire, le gouvernement
ayant accordé des permis au titre de l’article VIII a pris cette décision non seulement de bonne foi,
mais également après s’être assuré avec soin que les activités envisagées seraient bien menées en
vue de recherches scientifiques. Le juge Owada indique que la Cour a pour fonction de déterminer
si la décision ainsi prise par l’Etat contractant revêt un caractère objectivement raisonnable,
c’est-à-dire si le programme de recherche est basé sur un raisonnement cohérent et sur des avis
respectables d’experts scientifiques, même s’il n’emporte pas nécessairement l’adhésion de la

majorité au sein de la communauté scientifique.

De l’avis du juge Owada, la Cour semble appliquer le critère du caractère objectivement
raisonnable de telle façon qu’il revient à la partie délivrant le permis de démontrer que l’ampleur
du recours à des prélèvements létaux envisagée dans le cadre du programme est raisonnable et que
celui-ci peut donc être considéré comme un véritable programme mené «en vue de recherches
scientifiques». Or, c’est au demandeur et non au défendeur qu’il devrait incomber de prouver sur
la base d’éléments crédibles que les activités menées par ce dernier dans le cadre de JARPA II ne

constituent pas des activités de recherche scientifique «raisonnables» aux fins de l’article VIII de la
convention, indique le juge Owada, avant d’ajouter que le demandeur n’en a pas apporté la preuve
en l’espèce.

Le juge Owada estime que les activités menées dans le cadre de JARPA II peuvent être
considérées comme «raisonnables» aux fins de la recherche scientifique. Il ressort selon lui
clairement des éléments de preuve, et notamment d’une déclaration du président du comité

scientifique, que JARPA II permet d’obtenir sur les petits rorquals certaines informations
scientifiques utiles qui se sont révélées précieuses pour les travaux du comité. Le juge Owada
rappelle en outre que, selon le rapport de l’atelier intersession de la CBI, le programme JARPA, qui
est en substance largement similaire à JARPA II, pouvait permettre d’obtenir des données
statistiques précieuses qui étaient susceptibles d’entraîner un réexamen du quota de capture des
petits rorquals fixé dans le cadre de la procédure de gestion révisée. Ces données, relève le
juge Owada, sont précisément de l’ordre de celles qui étaient considérées comme utiles dans la

convention, ainsi qu’il ressort du passage de l’article VIII indiquant qu’il «est indispensable, pour - 7 -

assurer une gestion saine et profitable de l’industrie baleinière, de rassembler et d’analyser
constamment les renseignements biologiques recueillis à l’occasion des opérations des usines

flottantes et des stations terrestres». A la lumière de ces éléments, conclut le juge Owada, il est
difficile de saisir en quoi les activités menées dans le cadre de JARPA puis de JARPA II peuvent
être considérées comme «déraisonnables».

VIII. Conclusion

En conclusion, le juge Owada souligne que la question cruciale en l’espèce consiste

uniquement à savoir si le programme JARPA II est bien mené «en vue de recherches
scientifiques», et non s’il constitue un programme de recherche scientifique idéal pour réaliser
l’objet et le but de la convention. Il se peut que JARPA II soit loin d’être parfait pour atteindre un
tel objectif, admet le juge Owada, mais pour imparfait qu’il soit, ce fait ne suffit pas à en faire un
programme de chasse commerciale à la baleine. Ainsi, conclut le juge Owada, la Cour n’était
assurément pas fondée à conclure pour ce motif «que le Japon doit révoquer tout permis,
autorisation ou licence déjà délivré dans le cadre de JARPA II» (dispositif de l’arrêt,

paragraphe 247, point 7).

Opinion dissidente de M. le juge Abraham

Dans son opinion dissidente, le juge Abraham indique que, s’il a voté en faveur du point du
dispositif de l’arrêt par lequel la Cour rejette l’exception d’incompétence soulevée par le Japon, il
est néanmoins en désaccord avec le raisonnement suivi par la Cour pour aboutir à cette conclusion.
En effet, si la Cour a eu raison d’écarter l’interprétation littérale de la seconde branche de la réserve

australienne invoquée par le Japon, qui exclut de la Cour tout différend «arising out of, concerning,
or relating to the exploitation of any disputed area of or adjacent to any such maritime zone
pending its delimitation», celle-ci a fait de ladite branche une interprétation très discutable, et
inutilement restrictive.

Pour le juge Abraham, cette seconde branche doit être comprise comme ayant pour objet
d’exclure de la compétence de la Cour les différends qui, sans être directement relatifs à la

délimitation maritime, appelleraient de la part de la Cour une prise de position de manière
incidente sur la consistance et l’étendue des zones maritimes relevant de l’Australie, parce qu’ils
auraient pour objet l’exploitation d’un espace maritime dont l’appartenance à une telle zone
donnerait lieu à une contestation toujours pendante. Lorsque ces conditions sont réunies, elle
devrait donc trouver à s’appliquer, même lorsque les parties ne revendiquent pas concurremment
les espaces maritimes concernés.

*

Sur le fond, le juge Abraham est en désaccord fondamental avec la démarche adoptée par la
Cour.

Son désaccord porte, d’une part, sur l’interprétation de la notion de programme «en vue de

recherches scientifiques» au sens du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention internationale
pour la réglementation de la chasse à la baleine. A ce sujet, le juge Abraham accepte la proposition
selon laquelle l’article VIII de la convention ne doit donner lieu ni à interprétation restrictive ni à
interprétation extensive, et il souscrit à la façon dont la Cour a abordé la notion de «recherches
scientifiques», en particulier en rejetant la définition qu’en avait proposé un expert cité par
l’Australie. En revanche, il critique le choix par la Cour d’un critère d’examen «objectif» - 8 -

lorsqu’elle entend qualifier un programme comme étant «en vue de» recherches scientifiques. En
effet, la locution «en vue de» renvoie nécessairement à l’examen des fins recherchées par l’Etat à

l’origine du programme examiné. En prétendant rechercher si la conception et la mise en œuvre
d’un programme de recherche scientifique sont raisonnablement adaptées aux objectifs annoncés,
la Cour s’érige en comité scientifique bien plus qu’elle ne remplit son rôle consistant à déterminer
la nature des activités concernées. Le juge Abraham estime en outre que, dans une situation où un
Etat se prévaut de l’article VIII pour justifier l’autorisation d’un programme de chasse à la baleine
qui comporte des activités de recherche scientifique, conclure à l’inapplicabilité de cet article
implique nécessairement de mettre en doute la bonne foi de l’Etat en cause ; or, la bonne foi doit

être présumée.

Son désaccord porte également sur l’appréciation des faits de l’espèce par la Cour, et sur la
présomption défavorable que celle-ci, selon lui, a fait peser sur le Japon. La Cour ne cesse d’exiger
du Japon des explications, démonstrations, justifications, à propos des divers aspects de la
conception et de la mise en œuvre du programme JARPA II. Elle conclut, à tort, de l’examen
combiné de certains de ces aspects, que la conception et la mise en œuvre du programme JARPA II

ne sont pas raisonnables au regard de ses objectifs déclarés. Or, l’examen de la Cour n’a fait que
nourrir ce qu’elle reconnaît être des doutes, qui ne peuvent suffire à dénier à JARPA II le caractère
de programme mené en vue de recherches scientifiques. La Cour aurait dû conclure à l’absence
d’inadéquation manifeste entre les objectifs annoncés dans le cadre de JARPA II et les moyens mis
en œuvre pour les réaliser, ainsi qu’à l’absence d’excès manifeste dans la fixation de la taille des
échantillons, et admettre en conséquence que JARPA II a la qualité de programme mené en vue de
recherches scientifiques.

Le juge Abraham a donc voté contre le point 2 du dispositif, qui conclut que les permis
spéciaux délivrés par le Japon dans le cadre de JARPA II n’entrent pas dans les prévisions du
paragraphe 1 de l’article VIII de la convention, et, en conséquence, contre les points 3, 4, 5 et 7.

Déclaration de M. le juge Keith

1. Dans sa déclaration, le juge Keith aborde trois questions à l’appui de la conclusion à

laquelle la Cour est parvenue ainsi que des motifs invoqués par celle-ci. La première question est
le contexte plus large dans lequel il convient de replacer l’affaire. Au cours des 65 ans écoulés
depuis que la convention est entrée en vigueur, l’industrie baleinière, les attitudes en matière de
chasse à la baleine et les politiques dans ce domaine ont connu une évolution considérable. Au
début, le règlement annexé à la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la
baleine permettait de capturer l’équivalent de 16 000 baleines bleues dans les eaux de
l’océan Austral. La capture de spécimens de cette espèce a été interdite en 1965 et, en 1972, année

où la conférence de Stockholm sur l’environnement a appelé à l’établissement d’un moratoire de
10 ans sur la chasse commerciale, la limite de capture des petits rorquals de l’Antarctique a été
fixée à 5000 spécimens. Aujourd’hui, le règlement annexé à la convention comporte de
nombreuses limites de capture fixées à zéro. Un système établi pour réguler une industrie a-t-il été
utilisé pour pratiquement interdire celle-ci ? Le juge Keith souligne que les gouvernements
contractants avaient à leur disposition plusieurs possibilités s’ils souhaitaient éviter ces contraintes
ou ce résultat. Il conclut en rappelant la tentative faite entre 2007 et 2010 en vue de résoudre par la

négociation un ensemble de problèmes, dont le différend porté devant la Cour ; cette tentative, qui
s’inscrivait dans le cadre du processus sur l’Avenir de la CBI, avait échoué.

2. La deuxième question que le juge Keith examine est le lien intrinsèque qui existe entre le
pouvoir de délivrer un permis spécial en vertu du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention et
l’étendue du pouvoir de la Cour d’examiner les permis ainsi délivrés. Il identifie
trois caractéristiques du pouvoir de délivrer des permis spéciaux qui témoignent de réelles limites

affectant le pouvoir d’un gouvernement contractant. L’ensemble abondant d’éléments qui, versés - 9 -

au dossier de l’affaire, renseignent sur le processus qui a conduit aux décisions relatives à
l’établissement du programme JARPA II et à la mise en œuvre de celui-ci lui paraît

particulièrement significatif. Le critère d’examen des permis par la Cour peut selon lui s’énoncer
ainsi : la décision du gouvernement contractant de délivrer un permis spécial peut-elle se justifier
objectivement en ce sens qu’elle est étayée par un raisonnement scientifique cohérent ? Ce critère
ne nécessite pas que le programme soit «justifié», mais qu’il puisse se justifier au vu des éléments
versés au dossier. La Cour n’a pas non plus à statuer sur le bien-fondé scientifique des objectifs du
programme ni sur la question de savoir si la conception et la mise en œuvre de celui-ci constituent
le meilleur moyen possible d’atteindre ces objectifs. En revanche, son rôle est de déterminer si, à

la lumière des caractéristiques du pouvoir de délivrance identifiées précédemment, les éléments de
preuve dont elle dispose démontrent que les caractéristiques essentielles du programme sont
étayées par un raisonnement scientifique cohérent.

3. Dans la troisième partie de sa déclaration, le juge Keith fait valoir, en se référant à ces
éléments de preuve, que les autorités japonaises n’ont, ni au stade de la planification ni à celui de la
mise en œuvre du programme, véritablement accordé d’attention aux éléments essentiels de celui-ci

tels qu’ils sont examinés dans cette déclaration et de façon plus approfondie dans l’arrêt, voire
qu’elles ne leur en ont accordé aucune, ces éléments essentiels étant, d’une part, les décisions
concernant le recours à des méthodes létales plutôt qu’à des méthodes non létales et la
détermination des tailles d’échantillons et, d’autre part, la comparaison entre les tailles
d’échantillon retenues avec les prises effectivement réalisées. Comme le juge Keith le précise dans
sa déclaration, ces décisions, notamment celles ayant trait à la mise en œuvre du programme, n’ont
été étayées ni par des éléments prouvant que des études pertinentes auraient été réalisées, ni par un

raisonnement scientifique cohérent ou par des rapports et explications pertinents qui auraient été
communiqués à la Commission baleinière internationale ou à son comité scientifique.

4. Pour ces raisons et celles exposées par la Cour, le juge Keith conclut que le programme ne
relève pas du champ d’application du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention et que, par
conséquent, les mesures prises en application de celui-ci en vue de tuer, capturer et traiter des
baleines constituent une violation de dispositions particulières de la convention.

Opinion dissidente de M. le juge Bennouna

Le juge Bennouna a voté contre les points 2, 3, 4, 5 et 7 du dispositif.

Le juge Bennouna est en désaccord avec l’interprétation des dispositions pertinentes de la
convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine (ci-après la

«convention») faite par la majorité.

Le juge Bennouna note que la question de la chasse à la baleine est empreinte d’une grande
charge émotionnelle et culturelle. Il rappelle toutefois qu’elle ne doit pas interférer dans la tâche de
la Cour qui est de rendre la justice en appliquant le droit international, ainsi que le prévoit son
statut.

Le juge Bennouna estime que rien ne laisse supposer que le prédécesseur de JARPA II,

JARPA, qui a été lancé parallèlement à l’acceptation par le Japon du moratoire sur la chasse
commerciale, constituait un moyen de poursuivre la chasse commerciale sous une autre couverture
juridique. Au contraire, le juge Bennouna souligne que le lancement de JARPA permettait de
pallier l’absence d’informations scientifiques, notamment sur le régime alimentaire des baleines,
obtenues dans le cadre de la chasse commerciale. - 10 -

Le juge Bennouna déplore que la Cour se soit lancée dans une analyse détaillée de la
détermination des tailles d’échantillons, agrémentée de tableaux et de schémas, pour finalement

constater l’existence d’un simple doute sur le caractère raisonnable de la conception de JARPA II
au regard de ses objectifs annoncés. Le juge Bennouna estime que la comparaison entre les tailles
d’échantillon et les prises effectives n’est pas non plus pertinente.

Le juge Bennouna se demande ainsi si une série de doutes et d’interrogations sont suffisants
pour conclure que JARPA II n’a pas été conçu et mis en œuvre «en vue de recherches
scientifiques».

Le juge Bennouna constate que la Cour a refusé d’examiner les éléments de preuve relatifs
au caractère commercial de JARPA II. Or, selon le juge Bennouna, la Cour ne pouvait faire
l’économie de la démonstration du caractère commercial de JARPA II puisque les dispositions du
règlement dont la violation était alléguée par l’Australie ne s’appliquent qu’à la chasse
commerciale. Le juge Bennouna estime que JARPA II ne pouvait être qualifié de programme de
chasse commerciale, car il n’est pas mené en vue de réaliser un profit.

Le juge Bennouna considère que la démarche adoptée par la majorité de la Cour n’a pas pris
en compte l’esprit de la convention, qui repose sur la coopération entre les Etats parties, dans le
cadre du système institutionnel établi par la convention. Il estime que la Cour, en se livrant à
l’évaluation de JARPA II, s’est, à certains égards, substituée aux organes créés par la convention, à
savoir la commission baleinière internationale et le comité scientifique. Selon le juge Bennouna, il
est préférable d’avoir recours au système institutionnel mis en place par la convention, car il s’agit
du meilleur moyen de renforcer la coopération multilatérale entre les Etats parties et de parvenir à

une interprétation authentique de la convention.

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Le juge Cançado Trindade commence son opinion individuelle, composée de onze parties,
en observant que, bien qu’ayant voté en faveur de l’adoption du présent arrêt en l’affaire relative à
la Chasse à la baleine dans l’Antarctique, il aurait souhaité voir certains points davantage
approfondis par la Cour. Il estime donc devoir faire état, dans la présente opinion, des fondements

de sa position personnelle à cet égard. Le premier point sur lequel le juge Cançado Trindade a
souhaité revenir concerne l’objet et le but de la convention internationale pour la réglementation de
la chasse à la baleine (la convention de 1946, première partie). L’adoption d’un instrument tel que
la convention de 1946, dotée d’un organe de contrôle et dont certains des Etats membres ne
pratiquent pas la chasse à la baleine, incite à considérer que son objet et son but ne sauraient être
limités au développement de l’industrie baleinière.

2. La conservation fait également partie de l’objet et du but de la convention, qui ne se
réduisent certainement pas au développement du secteur baleinier. Si elle avait eu pour principal et
unique but d’assurer la protection et le développement de ce secteur, la convention de 1946 aurait,
dans son ensemble, été structurée différemment. Par ailleurs, l’adoption, dans le cadre de la
convention, d’un moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales semble également
indiquer que la conservation des populations baleinières est une composante importante de son
objet et de son but (par. 2-3), ce que confirme son préambule.

3. D’un point de vue téléologique, la pratique de la commission baleinière internationale
(CBI), qui a pris la forme des résolutions successives qu’elle a adoptées, semble indiquer que la
conservation des stocks de baleines est un objectif central de la convention de 1946 (par. 5). Le
règlement qui lui est annexé en fait partie intégrante, et a la même valeur juridique ; il a été
régulièrement modifié pour suivre les évolutions internationales en matière d’environnement. La - 11 -

convention est ainsi devenue un dispositif multilatéral dont la vocation est d’empêcher les Etats
d’agir unilatéralement, et ce, afin de favoriser la conservation (par. 6).

4. Le juge Cançado Trindade observe que, en réponse à une question qu’il a cru utile de lui
poser, la Nouvelle-Zélande, Etat intervenant en l’affaire, a rappelé que, à la différence de l’accord
international pour la réglementation de la chasse à la baleine de 1937, la convention de 1946
s’appuyait sur une commission permanente (la CBI) investie d’un rôle de contrôle, signe qu’il
s’agit bien d’une «entreprise collective» et qu’il est désormais reconnu que la conservation des
baleines «doit s’inscrire dans le cadre d’un effort international». En résumé, la Nouvelle-Zélande

considère qu’il convient d’examiner l’objet et le but de la convention de 1946 sous l’angle de
l’intérêt collectif de ses Etats parties en matière de conservation et de gestion des peuplements
baleiniers. Ce rôle de réglementation collective dont a été investie la CBI s’inscrit dans le droit fil
de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui impose aux Etats (en son article 65)
l’obligation de coopérer en vue d’assurer la protection des mammifères marins et ce, par
l’intermédiaire des organisations internationales appropriées. Pareils efforts en faveur de la
conservation relèvent aujourd’hui de la «responsabilité collective» (par. 9).

5. Selon le juge Cançado Trindade, le mécanisme collectif établi par la convention de 1946
(partie II) vise à remplacer un modèle unilatéral et non réglementé de chasse à la baleine par un
système de réglementation et de garanties collectives destiné à protéger les intérêts des Etats parties
en instaurant des conditions favorables de conservation et de gestion des stocks. Cette
réglementation collective passe par un processus collectif de prise de décisions mis en œuvre au
sein de la CBI, ces décisions se traduisant ensuite par les règlements et les résolutions adoptés par

la commission (par. 10-11). Ainsi, la nature et la structure de la convention de 1946, et le fait qu’il
s’agisse d’un instrument multilatéral (dont les Etats membres pratiquent, ou pas, la chasse à la
baleine), doté d’un organe de contrôle qui émet des résolutions et des recommandations,
témoignent de ce processus décisionnel collaboratif et des garanties collectives qu’elle propose (en
vertu de la réglementation collective) (par. 12).

6. De fait, la CBI a, dans maintes résolutions, fourni au comité scientifique des lignes

directrices en vue de l’examen des permis spéciaux auxquels il doit procéder en vertu du
paragraphe 30 du règlement annexé à la convention. Cet examen est destiné à modifier les projets
qui ne satisfont pas aux conditions requises. L’on est donc en droit d’espérer, notamment, que des
méthodes non létales seront utilisées chaque fois que possible, sur la base des résolutions
successives par lesquelles la CBI a formulé le souhait que les informations scientifiques soient
recueillies sans qu’il soit besoin de mettre à mort des baleines en vue de «recherches scientifiques».
Conformément aux résolutions de la CBI, le comité scientifique a, pour sa part, élaboré un

ensemble de lignes directrices qu’il applique dans le cadre de sa mission d’évaluation des permis
spéciaux (par. 13).

7. Par plusieurs résolutions successives, la CBI a invité les Etats parties concernés à cesser
toutes celles de leurs activités qui ne répondent pas aux critères fixés par le comité scientifique
(par. 14). Fondées sur les résolutions de la CBI, les lignes directrices visent à aider le comité
scientifique à s’acquitter correctement de sa mission de contrôle des propositions de permis

spéciaux et des résultats scientifiques obtenus dans le cadre des programmes en cours ou terminés.
Au cours des dernières années, elles ont accordé une attention particulière au recours à des
méthodes de recherche non létales. Les Etats disposent donc, à l’évidence, d’une très faible marge
de manœuvre pour prendre des mesures unilatérales et exercer librement leur volonté (par. 15). - 12 -

8. Il ressort clairement du paragraphe 30 du règlement qu’un Etat partie envisageant
d’octroyer un permis spécial a l’obligation de présenter ledit permis au secrétariat de la CBI avant

sa délivrance, et suffisamment à l’avance pour permettre au comité scientifique de l’examiner et de
formuler ses observations. Les Etats accordant des permis spéciaux ne jouissent pas, dans ce
domaine, d’une liberté illimitée (par. 16-17). Ainsi l’Etat souhaitant octroyer un permis spécial est-
il soumis à une obligation (procédurale) positive de coopérer avec la CBI et le comité scientifique
(par. 18-19). Dans le contexte du système de réglementation et de garanties collectives instauré par
la convention de 1946, la Cour a jugé, à propos d’autres questions, que l’Etat défendeur n’avait pas
agi en conformité avec les paragraphes 10 d) et e) et 7 b) du règlement annexé à la convention

(points 3-5 du dispositif).

9. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite à la portée, à ses yeux limitée, du paragraphe 1
de l’article VIII de la convention (Partie III). Ce paragraphe semble constituer une exception au
cadre normatif établi par la convention et devrait donc être interprété de manière restrictive. Un
Etat habilité à délivrer un permis ne se voit pas donner carte blanche pour décider que tel ou tel
programme de chasse à la baleine est mené «en vue de recherches scientifiques». Il ne suffit pas à

un Etat partie de présenter son programme comme «mené en vue de recherches scientifiques»
encore lui faut-il le démontrer (par. 21-22). La Cour a conclu que les permis spéciaux délivrés
par le Japon dans le cadre de JARPA II «n’entr[ai]ent pas dans les prévisions du paragraphe 1 de
l’article VIII » de la convention (point 2 du dispositif). Selon le juge Cançado,

«[u]n pouvoir discrétionnaire qui ne serait soumis à aucune restriction serait contraire
à l’objet et au but de la convention, ainsi qu’à l’idée d’une réglementation

multilatérale. L’Etat qui délivre un permis spécial devrait prendre en considération les
résolutions de la CBI dans lesquelles sont exprimées les vues d’autres Etats parties sur
ce que recouvre la «recherche scientifique». Il est inutile de chercher à donner une
définition universelle de la «recherche scientifique». Un Etat partie qui cherche à
déterminer si un programme est mené «en vue de recherches scientifiques» afin de
délivrer un permis spécial au titre du paragraphe 1 de l’article VIII a, à mon sens, le
devoir de respecter les principes de prévention et de précaution.» (par. 23)

10. Le juge Cançado Trindade ajoute que l’article VIII, qui fait partie intégrante de la
convention dans son ensemble, doit être interprété à la lumière de son objet et de son but, qui
«mettent en échec toute prétention selon laquelle cet article constituerait un régime ou un système
«se suffisant à lui-même»» (paragraphe 24). Sur ce point particulier, il conclut qu’

«[u]n Etat partie ne dispose pas d’un pouvoir discrétionnaire libre de toute entrave, qui

lui permettrait de choisir le sens à donner à la «recherche scientifique» ou de décider
que tel ou tel programme de chasse à la baleine est mené «en vue de recherches
scientifiques». L’interprétation et l’application de la convention au cours de ces
dernières années témoignent de l’abandon progressif de l’unilatéralisme au profit de la
conservation multilatérale des ressources marines vivantes, dissipant ainsi tout doute
quant à la portée limitée du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention (par. 24).

11. Le juge Cançado Trindade examine ensuite les interactions entre les différents systèmes
dans le cadre du droit relatif à la conservation, en constante évolution (partie IV). Il relève que de
nombreux instruments internationaux relatifs à la conservation ont été adoptés au cours des
dernières décennies et qu’aucun n’est envisagé séparément des autres : en toute logique, la
coexistence de traités internationaux d’un genre similaire a appelé une vision systémique, qui s’est
imposée au cours de ces dernières années. Qu’il suffise à cet égard de citer la convention de 1973
sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction

(CITES), la convention de 1979 sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune - 13 -

sauvage, la convention de 1980 sur la conservation de la faune et la flore marines de l'Antarctique,

la convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer, ou encore la convention sur la
diversité biologique (par. 25-26).

12. Le juge Cançado Trindade ajoute que, à la lumière de cette vision systémique,
l’interprétation et l’application des traités susvisés ont contribué à donner progressivement
naissance à une opinio juris communis dans ce domaine du droit international contemporain

(Partie V). Comme le dit la Cour elle-même (par. 45), du fait des fonctions conférées à la
commission baleinière internationale, la convention est un «instrument en constante évolution». Ce
n’est pas la première fois que la Cour reconnaît que des traités et conventions internationaux sont
des «instruments vivants». On en trouve des exemples dans son célèbre avis consultatif (en date du
21 juin 1971) sur la Namibie ou, plus récemment, dans son arrêt (en date du 25 septembre 1997) en
l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie) (par. 27 et 29-30).

13. Le juge Cançado Trindade rappelle également que d’autres juridictions internationales
contemporaines ont suivi ce même courant interprétatif. Il cite pour exemple la Cour européenne
des droits de l’homme, dans les arrêts qu’elle a rendus en l’affaire Tyrer contre Royaume-Uni (en
date du 25 avril 1978) et en l’affaire Loizidou contre Turquie (arrêt sur les exceptions
préliminaires, en date du 23 mars 1995), et la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dans
son arrêt (en date du 31 août 2001) en l’affaire de la Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community
er
versus Nicaragua ou encore dans son célèbre avis consultatif (en date du 1 octobre 1999) en
l’affaire intitulée The Right to Information on Consular Assistance in the Framework of the
Guarantees of the Due Process of Law, avis qui a fait jurisprudence (par. 31-32). Il poursuit en ces
termes :

«La pratique des organes de contrôle de divers traités et conventions
internationaux va dans le même sens. Il n’est pas rare que ces organes soient

confrontés à de nouveaux défis, appelant de leur part des réponses d’un genre
nouveau, que les rédacteurs de ces traités et conventions n’avaient nullement prévues
ni même imaginées. En résumé, les traités et conventions internationaux sont les
produits de leur temps, puisqu’ils sont aussi des instruments vivants. Ils évoluent avec
le temps ou bien tombent en désuétude. La convention de 1946 ne fait pas exception.
Ces instruments sont dotés d’organes de contrôle qui leur sont propres (comme la

convention de 1946) et qui font preuve d’une plus grande capacité d’adaptation au
changement. En outre, dans différents domaines du droit international, ces traités
dotés d’un mécanisme de contrôle se prêtent à une herméneutique sui generis, qui leur
reconnaît le caractère d’instruments vivants. Les traités et conventions internationaux
sont des produits de leur temps, et leur interprétation et leur application dans le temps
témoignent de leur nature vivante. Cela est vrai non seulement dans le domaine de la

conservation et de la gestion des ressources marines vivantes qui nous occupe ici, mais
aussi dans d’autres domaines du droit international.» (Par. 33-34.)

14. A l’époque où a été adoptée la convention de 1946, au milieu du siècle dernier, le monde
n’avait pas encore pris conscience du fait que les ressources marines vivantes n’étaient pas
inépuisables. Trois décennies et demie plus tard, en 1982, l’adoption de la convention des Nations

Unies sur le droit de la mer (CNUDM) — un événement à marquer d’une pierre blanche dans
l’histoire du droit international —a contribué à une gestion ordonnée des océans et à une prise de
conscience toujours plus grande de la vulnérabilité des ressources marines vivantes.
L’unilatéralisme a progressivement cédé la place à un régime collectif de réglementation soucieux
de la conservation, comme l’illustre le moratoire général de 1982 sur la chasse à la baleine à des
fins commerciales aux termes de la convention de 1946 (par. 35). - 14 -

15. Les sanctuaires baleiniers établis par la CBI (au titre de l’article V 1) de la convention)
en constituent une autre illustration. Le juge Cançado Trindade rappelle que la CBI en a institué

trois à ce jour : le sanctuaire de l’océan Austral (1948-1955), puis le sanctuaire de l’océan Indien
(créé en 1979 et maintenu en 1989, pour une durée d’abord déterminée puis indéterminée à partir
de 1992) et, enfin, le nouveau sanctuaire de l’océan Austral (à partir de 1994). En outre, lors de ses
sessions de 2001 à 2004, la CBI a examiné un projet (revisé en 2005) tendant à créer un nouveau
sanctuaire, cette fois dans l’Atlantique Sud, afin de réaffirmer la nécessité d’assurer la conservation
des baleines (par. 36).

16. En parallèle, certaines conventions multilatérales (telles que la CNUDM et la convention
sur la diversité biologique) ont été adoptées pour encadrer la conservation et la gestion des
ressources marines vivantes. La CNUDM contient une série de dispositions à cet effet ; s’agissant
de la convention sur la diversité biologique, la conférence des parties tenue à Jakarta en 1995 a
notamment adopté le mandat de Jakarta sur la biodiversité côtière et marine, dans lequel elle a
réaffirmé l’importance d’assurer la conservation et une utilisation durable de la diversité biologique
marine et côtière et, en particulier, établi un lien entre ces deux notions et les activités halieutiques.

Par ailleurs, lors de leur conférence de 2002, les Etats parties à la convention sur la conservation
des espèces migratrices ont mis l’accent sur la nécessité d’accorder une protection plus grande à six
espèces de baleines (au nombre desquelles figuraient les petits rorquals de l’Antarctique) ainsi qu’à
leurs habitat, aires de reproduction et routes migratoires (par. 38-39).

17. Tous ces exemples — poursuit le juge Cançado Trindade — témoignent clairement de
l’évolution qu’a connue l’opinio juris communis en la matière. Lorsqu’il s’est réuni à Agadir

(Maroc) en 2010, le «groupe de Buenos Aires» a réaffirmé son soutien au projet tendant à créer un
nouveau sanctuaire baleinier dans l’Atlantique Sud, et s’est prononcé en faveur de la conservation
et d’une utilisation non létale des baleines, et contre la prétendue «chasse scientifique» (en
particulier dans le cas des espèces en danger ou connaissant un grave déclin). Le «groupe de
Buenos Aires» a exprimé son «refus catégorique» des activités de chasse à la baleine (notamment
d’espèces reconnues comme étant en danger) qui se poursuivaient dans le sanctuaire de l’océan
Austral, demandé le recours à des méthodes non létales et le maintien du moratoire sur la chasse

commerciale institué en 1986, et déclaré que les activités en question non seulement étaient
contraires «à l’esprit et à la lettre» de la convention de 1946, mais encore portaient atteinte à
«l’intégrité des sanctuaires baleiniers» reconnus par la CBI (par. 39-40).

18. Passant à la question de l’équité intergénérationnelle (partie VI), le juge
Cançado Trindade fait tout d’abord observer que la convention de 1946 «a réellement fait date» en
reconnaissant, dans son préambule, «que les nations du monde [avaient] intérêt à sauvegarder, au

profit des générations futures, les grandes ressources naturelles représentées par l’espèce
baleinière». A l’époque, au sortir de la seconde guerre mondiale, les rédacteurs de la convention
pouvaient difficilement prévoir que, au cours des décennies suivantes, cette préoccupation
prendrait une telle importance dans l’agenda de la communauté internationale et dans l’élaboration
du droit international (en particulier dans le domaine du droit international de l’environnement).
C’est quarante ans plus tard, à partir du milieu des années 1980, que la notion d’équité
intergénérationnelle (à laquelle il n’est pas étranger) devait faire son apparition dans la doctrine

juridique internationale (par. 41).

19. Le juge Cançado Trindade rappelle ensuite (par. 42) les considérations personnelles qu’il
avait exposées sur la dimension temporelle à long terme, liée à l’équité intergénérationnelle, dans
son opinion individuelle en l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine
c. Uruguay) (arrêt du 20 avril 2010). Bien que le contexte factuel du cas d’espèce soit nettement
distinct de celui de l’affaire des Usines de pâte à papier, force est de constater que, dans l’une - 15 -

comme dans l’autre, la notion d’équité intergénérationnelle se retrouve de manière significative à
travers différents instruments régissant le droit international de l’environnement, et cette discipline

tout entière (par. 43). Le juge Cançado Trindade se réfère à la convention de 1973 sur le commerce
international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, à la convention
de 1979 sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, à la convention
de 1992 sur la diversité biologique (par. 44-45) et à d’autres encore (par. 46-47).

20. Abordant ensuite la conservation des espèces vivantes, le juge Cançado Trindade
examine l’apposition entre conservation et exploitation, telle qu’elle ressort des arguments avancés

par les Parties en litige au cours de la présente affaire (partie VII), tant dans la phase écrite
(par. 48-51) que lors de la phase orale. S’agissant de cette dernière, il revient sur les réponses
apportées par les Parties et l’Etat intervenant aux questions qu’il leur avait posées lors de
l’audience publique du 8 juillet 2013 (par. 52-56), avant de conclure en ces termes :

«il est devenu clair, au cours des dernières décennies, que la communauté
internationale a adopté une conception axée sur la conservation dans les traités

réglementant la question, notamment dans ceux concernant les mammifères marins.
Tel est le contexte dans lequel il convient d’interpréter la convention internationale
pour la réglementation de la chasse à la baleine…La convention doit être lue à la
lumière des autres instruments internationaux suivant une conception axée sur la
conservation et le principe de précaution. L’existence même de cette convention, par
rapport aux conventions visant la conservation des ressources vivantes, milite en
faveur d’une interprétation restrictive de son article VIII» (par. 57-58).

21. Le juge Cançado Trindade consacre la partie VIII de son opinion individuelle aux
principes de prévention et de précaution, du point de vue des arguments avancés par les Parties et
l’Etat intervenant. Il relève tout d’abord que, bien que la Cour ne se soit pas étendue sur le principe
de précaution dans le présent arrêt en l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique,
les deux Parties en litige (l’Australie et le Japon), de même que l’Etat intervenant (la
Nouvelle-Zélande), ont analysé les implications de ce principe et du principe de prévention dans le

cas d’espèce (par. 60). Après avoir relaté leurs arguments, le juge Cançado Trindade fait observer
que ces deux principes, qui sont étroitement liés dans la présente affaire, «doivent inspirer et
façonner tout programme mené au titre d’un permis spécial, dont la portée est limitée par
l’article VIII de la convention» (par. 70). Il conclut sur ce point que, dans le domaine du droit
international de l’environnement d’une manière générale, et en ce qui concerne la convention en
particulier, «la conservation des ressources marines vivantes est devenue, au fil du temps, un intérêt
commun prévalant sur la rentabilité commerciale recherchée unilatéralement par les Etats».

22. Le juge Cançado Trindade en vient ensuite à un examen des réponses des experts (de
l’Australie et du Japon) aux diverses questions qu’il leur a posées lors des audiences publiques de
la Cour (partie IX). En dépit de leurs réponses, il a conservé l’impression qu’il n’existait pas de
critères généraux permettant de déterminer le nombre total de baleines devant être mises à mort ni
l’intervalle de temps dans lequel de telles activités devaient s’inscrire, pour que l’on puisse
considérer celles-ci comme menées aux fins de la «recherche scientifique» (par. 73). La

«recherche scientifique», poursuit-il, est entourée d’incertitudes et menée en se fondant sur des
incertitudes. Il suffit de se souvenir de ce que Karl Popper nous a appris dans sa grande sagesse
(essentiellement dans son ouvrage intitulé Conjectures et réfutations) :

«le savoir scientifique ne peut être qu’incertain ou conjectural, alors que l’ignorance
est infinie. La recherche scientifique est une quête de vérité, parmi des conjectures, et
puisque nous sommes faillibles, il nous faut apprendre en faisant des erreurs. Nous
pouvons espérer nous rapprocher de la vérité, mais sans vraiment savoir si nous en - 16 -

sommes loin ou proches. Sans les réfutations qu’elle invite nécessairement, la science
en viendrait à stagner et à perdre son caractère empirique. Les conjectures et les

réfutations sont essentielles au progrès de la science sur sa voie empirique. En
l’espèce, cela signifie-t-il que l’on peut continuer à tuer des baleines, et de plus en
plus, «à des fins scientifiques» et en pleine incertitude scientifique ? Je ne le pense
pas ; il existe aussi des méthodes non létales et, après tout, les ressources marines
vivantes ne sont pas inépuisables.» (Par. 74.)

23. Après avoir rappelé que, dans ses résolutions, la commission baleinière internationale

n’avait cessé de souligner la nécessité d’avoir recours à des méthodes non létales pour capturer les
cétacés, conformément aux dispositions de la convention internationale pour la réglementation de
la chasse à la baleine (partie X) (par. 75-79), le juge Cançado Trindade s’estime en mesure de
présenter ses conclusions sur le programme JARPA II et les conditions requises dans la convention
et le règlement qui y est annexé (partie XI). Certaines caractéristiques de JARPA II font que ce
programme ne peut bénéficier de l’exception prévue à l’article VIII, dont l’interprétation doit être
restrictive ; il semble en effet que ce programme ne soit pas réellement et uniquement motivé par la

conduite de recherches scientifiques (par. 80).

24. Dans la pratique, le recours à des méthodes létales dans le cadre de JARPA II pour
capturer ce qui semble être un grand nombre de baleines ne paraît pas se justifier par la «recherche
scientifique» ; de plus, le fait que la durée de ce programme soit indéterminée milite également
contre son objectif affiché, celui de la «recherche scientifique» (par. 81-82.) Tel qu’il est
actuellement conduit, JARPA II peut avoir des effets néfastes sur les populations de baleines ;

l’alinéa 2 de l’article VIII de la convention (par. 83-84) interdit la chasse commerciale à la baleine
pure et simple. Dans le présent arrêt, la Cour a conclu que le Japon n’avait pas agi en conformité
avec le règlement, plus précisément avec les alinéas d) et e) (moratoire sur la chasse à la baleine et
évaluation des effets des prises de baleines sur les stocks) du paragraphe 10, et avec l’alinéa b) du
paragraphe 7 (interdiction de la chasse commerciale à la baleine dans le sanctuaire de l’océan
Austral) (points 3 à 5 du dispositif de l’arrêt). L’Etat défendeur ne semble pas s’être acquitté de
son obligation de tenir compte des commentaires, résolutions et recommandations de la

commission baleinière internationale et de son comité scientifique (par. 85).

25. Le juge Cançado Trindade relève ensuite que la présente affaire a donné «à la Cour une
occasion unique de se prononcer sur un système de réglementation collective de l’environnement
dans l’intérêt des générations à venir». L’arrêt de la Cour en l’affaire «pourrait avoir des
incidences plus vastes, dans l’intérêt de tous, que le seul règlement pacifique du différend qui
oppose actuellement les Parties» (par. 87). Bien que les conventions et traités internationaux soient

le produit de leur époque, ils peuvent s’adapter à des conditions qui évoluent et leur interprétation
et leur application dans le temps attestent qu’il s’agit d’instruments vivants ; la convention
internationale pour la règlementation de la chasse à la baleine de 1946 ne fait pas exception et,
dotée de son propre mécanisme de contrôle, elle s’est révélée être un instrument vivant.

26. En outre, dans des domaines différents du droit international, les traités et les

conventions en particulier ceux qui mettent en place un mécanisme de protection «ont
nécessité la recherche d’une herméneutique qui leur soit propre en tant qu’instruments vivants.
C’est ce qui se passe non seulement dans le domaine de la conservation et de l’utilisation durable
des ressources marines vivantes, mais aussi dans d’autres sphères du droit international.» (Par. 88.)
Le juge Cançado Trindade conclut ensuite en ces termes : - 17 -

«La présente affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique a mis en
lumière l’évolution du droit relatif à la conservation et à l’utilisation durable des

ressources marines vivantes qui, à son tour, a fait apparaître ce qui me semble être sa
contribution à la formation progressive d’une opinio juris communis dans ce domaine
du droit international contemporain. L’opinio juris, à mon sens, devient un facteur clé
dans le développement même du droit international (dans le cas présent, conservation
et utilisation durable des ressources marines vivantes) ; son incidence n’est plus celle
d’un seul des éléments constitutifs de l’une de ses sources «formelles». Le
développement du droit international dans des domaines d’intérêt public ou commun,

tels que celui de la conservation et de l’utilisation durable des ressources marines
vivantes, est un processus beaucoup plus vaste que la formulation de ses «sources
formelles», avant tout parce qu’il vise la légitimité de normes destinées à régir la vie
internationale.

De cette manière, l’opinio juris communis en vient à prendre une dimension
bien plus large que celle d’un élément subjectif constitutif de la coutume, et à exercer

un rôle clé dans l’émergence et l’évolution progressive des normes juridiques
internationales. Après tout, la conscience juridique de ce qui est nécessaire
(jus necessarium) l’emporte sur la volonté des Etats individuels (jus volontarium),
rendant possible l’évolution du droit international qui régit la conservation et
l’utilisation durable des ressources marines vivantes. Dans ce domaine, le
volontarisme de l’Etat le cède au jus necessarium, et ce particulièrement en cette
époque qui a vu se créer nombre de juridictions internatinoales, alors que l’on

s’efforce de plus en plus de parvenir à la primauté tant attendue du jus necessarium sur
le jus volontarium. En dernière analyse, cette primauté prend une importance cruciale
pour la réalisation du bien commun.» (Par. 89-90.)

Opinion dissidente de M. le juge Yusuf

1. Le juge Yusuf joint à l’arrêt de la Cour l’exposé d’une opinion dissidente dans laquelle il
exprime de sérieux doutes quant à la rigueur juridique de la motivation de la Cour et des

conclusions auxquelles celle-ci est parvenue en ce qui concerne, d’une part, la conformité à la
convention de la décision prise par le Japon d’autoriser JARPA II, et, d’autre part, les critères
juridiques qu’il convient d’appliquer pour évaluer cette conformité.

2. Selon le juge Yusuf, le différend opposant les Parties concerne l’interprétation et
l’application de l’article VIII de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à
la baleine. La question posée à la Cour était celle de savoir si le Japon avait fait un usage licite du

pouvoir discrétionnaire conféré à tout gouvernement contractant de délivrer des permis spéciaux à
ses ressortissants pour autoriser les intéressés à mettre à mort des baleines en vue de recherches
scientifiques. Il ne s’agissait donc pas de déterminer si la conception et la mise en œuvre de
JARPA II étaient adaptées aux objectifs annoncés du programme, comme pourrait le laisser penser
l’analyse à laquelle s’est livrée la Cour dans son arrêt.

3. Le juge Yusuf fait observer que les critères juridiques les plus pertinents dont il convient

de tenir compte dans l’examen du caractère licite ou non des actes du Japon en ce qui concerne
JARPA II sont ceux énoncés à l’article VIII de la convention, ainsi qu’au paragraphe 30 du
règlement annexé à la convention et dans les lignes directrices pour l’application de l’article VIII
qui figurent à l’«annexe P», adoptée par consensus par la commission baleinière internationale
(ci-après, «CBI»). Pour le juge Yusuf, tel était le droit applicable en l’espèce, sur la base duquel la
Cour aurait dû essayer de résoudre le différend porté devant elle. Au lieu de cela, celle-ci a élaboré
un critère d’examen étranger à la convention (paragraphe 67 de l’arrêt), qu’elle a ensuite

directement appliqué à «la conception et la mise en œuvre de JARPA II» plutôt qu’à l’examen du - 18 -

caractère licite ou non du comportement du Japon lorsque celui-ci a délivré des permis spéciaux
dans le cadre de JARPA II. Ainsi, le juge Yusuf estime que le droit applicable au différend entre

les Parties a été écarté par la Cour au profit d’un critère obscur et contestable qui n’est inscrit nulle
part dans la convention, et qui est fondé sur «le caractère raisonnable de la conception et de la mise
en œuvre de JARPA II au regard des objectifs déclarés du programme». Pareil raisonnement ne
trouve de fondement, selon le juge Yusuf, ni dans le droit ni dans la jurisprudence de la Cour.

4. Le juge Yusuf relève que, alors que la Cour reconnaît, au paragraphe 50 de l’arrêt, le
caractère central de l’interprétation et de l’application du droit applicable, elle glisse rapidement sur

l’analyse de ces deux éléments pour passer à un examen extrêmement détaillé de l’adéquation entre
la conception et la mise en œuvre de JARPA II et les objectifs déclarés du programme. Le
juge Yusuf est d’avis que l’examen de la conception et de la mise en œuvre d’un programme de
recherche scientifique est une mission qui conviendrait mieux au comité scientifique de la CBI qu’à
la Cour. Quoi qu’il en soit, le caractère raisonnable de la conception et de la mise en œuvre de
JARPA II au regard des objectifs du programme est une question dont l’examen prête
nécessairement à controverse, et au sujet de laquelle de véritables divergences d’opinion pourraient

exister entre scientifiques.

5. Selon le juge Yusuf, si l’article VIII constitue bien une exception au régime réglementaire
établi par la convention pour la chasse commerciale, il n’en échappe pas pour autant au champ
d’application de la convention pas plus que le pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis
spéciaux en vue de recherches scientifiques octroyé aux Etats parties n’est illimité. Ce pouvoir doit
être utilisé de manière licite uniquement pour atteindre les objectifs énoncés dans la convention.

6. Le juge est cependant d’avis que les éléments de preuve versés au dossier n’étayent pas la
conclusion selon laquelle les permis spéciaux délivrés dans le cadre de JARPA II l’ont été à une fin
autre que la recherche scientifique, pas plus qu’ils n’établissent que ces permis spéciaux ne
satisfont pas aux exigences et conditions énoncées dans la convention. Le juge Yusuf fait valoir
que, en 2005, conformément à l’article VIII, au paragraphe 30 du règlement annexé à la convention
et aux lignes directrices applicables (actuellement, l’annexe P), le comité scientifique de la CBI a

dûment examiné et commenté les méthodes employées dans le cadre de JARPA II, la conception de
ce programme ainsi que l’effet des prises réalisées dans le cadre de celui-ci sur les populations
concernées. Alors que, dans d’autres cas, lorsque le comité estimait qu’une proposition de permis
ne satisfaisait pas à ses critères, il recommandait expressément de ne pas délivrer le permis. Tel
n’a pas été le cas pour JARPA II.

7. Le juge Yusuf appelle également l’attention sur le fait que, dans le rapport qu’il a publié
en 2012, le comité scientifique de la CBI a expressément recommandé que l’analyse des prises par
âge utilisée pour établir le modèle de dynamique de la population de petits rorquals que le comité
étudie soit effectuée à partir des données issues de JARPA et de JARPA II et que, dans le rapport
qu’il a publié en 2013, il a qualifié l’échantillonnage non létal pratiqué sur cette espèce dans le
cadre des programmes JARPA et JARPA II d’utile pour l’évaluation de certains stocks
reproducteurs de baleines à bosse. Le comité scientifique de la CBI ayant déclaré dans ces rapports
que JARPA II générait des données utiles à son travail, le juge Yusuf trouve peu convaincante la

conclusion de la majorité selon laquelle ce programme n’est pas mené en vue de recherches
scientifiques.

8. Le juge Yusuf n’est également pas persuadé que la conclusion de la Cour selon laquelle
JARPA II viole le moratoire établi au paragraphe 10 e) du règlement annexé à la convention,
l’interdiction de la chasse dans le sanctuaire de l’océan Austral (paragraphe 7 b)) du règlement - 19 -

annexé à la convention), et le moratoire sur les usines flottantes (paragraphe 7 b)) repose sur un
quelconque fondement juridique. Toutes ces dispositions s’appliquent en effet à la chasse

commerciale, non à la chasse scientifique. Le juge Yusuf estime que cette conclusion de la Cour
est particulièrement injustifiée en l’absence d’élément de preuve démontrant clairement que
JARPA II est un programme de chasse commerciale mené sous couvert de recherche scientifique.
La Cour n’a pas établi que le but principal du programme était la chasse commerciale.
Concrètement, sans que cela soit expressément énoncé, l’arrêt conclut à la mauvaise foi du Japon.

9. Le juge Yusuf est d’avis que la Cour aurait dû rechercher si, au vu de l’évolution de la

convention et du droit international de l’environnement en général, le fait de continuer à mettre en
œuvre JARPA II, dans le cadre duquel le Japon recourt à des méthodes létales en vertu de
l’article VIII, constitue une anomalie susceptible de faire échec à l’objet et au but de la convention
eu égard aux amendements qui ont récemment été apportés à celle-ci et à la mesure dans laquelle
lesdits amendements pourraient avoir apporté des restrictions au droit de délivrer des permis
spéciaux.

10. Pour le juge Yusuf, les amendements apportés au règlement annexé à la convention en ce
qui concerne le cadre réglementaire de la chasse commerciale, notamment le moratoire adopté
en 1982, qui est toujours en vigueur, et les dispositions portant interdiction de la chasse
commerciale dans le sanctuaire de l’océan Austral, ne sauraient être considérés comme étant
dépourvus de toute influence sur l’interprétation et l’application de l’article VIII de la convention,
dans la mesure où ils sont l’expression d’une évolution des comportements et des valeurs sociales
en ce qui concerne le recours aux méthodes létales dans le cadre de la chasse à la baleine en

général. Ainsi, pour appliquer l’article VIII dans le contexte de JARPA II, il aurait fallu interpréter
cette disposition à travers le prisme de toutes ces évolutions et en tenant compte des conséquences
de celles-ci sur l’objet et le but de la convention.

11. Selon le juge Yusuf, interpréter l’article VIII à la lumière de l’évolution du cadre
réglementaire établi par la convention aurait non seulement ancré la motivation et les conclusions
de la Cour dans le droit applicable au différend entre les Parties, mais aurait également été d’un

grand intérêt pour les Etats parties à la convention étant donné la disjonction croissante entre
l’article VIII et les amendements récemment apportés à la convention, en leur apportant peut-être
les outils nécessaires pour rétablir un équilibre approprié au sein du régime de la convention.

Opinion individuelle de M. le juge Greenwood

La Cour n’a pas en l’espèce à examiner de questions morales, éthiques ou environnementales

liées aux programmes de chasse à la baleine mis en œuvre par le Japon, mais a pour seul souci de
déterminer si le programme JARPA II est compatible avec les obligations juridiques internationales
incombant à cet Etat au titre de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la
baleine («la convention»). La réponse à cette question réside dans l’interprétation de l’article VIII
de la convention, qui confère à chaque Etat le pouvoir de délivrer des permis spéciaux autorisant la
chasse à la baleine à des fins de recherche scientifique. Rien ne donne à penser qu’il faille donner
de cet article une interprétation soit restrictive, soit large. Si les recommandations de la

commission baleinière internationale («la commission») font partie de la pratique ultérieure des
parties à la convention, elles n’ont pas juridiquement force obligatoire et n’aident à interpréter la
convention que dans la mesure où elles reflètent l’existence d’un accord entre les parties. La
plupart des recommandations qui ont été invoquées à l’appui d’une interprétation étroite de
l’article VIII n’ont été adoptées qu’à de très faibles majorités et ne reflètent pas un tel accord. - 20 -

Si la capture, la mise à mort et le traitement des baleines dans le cadre de JARPA II
répondent aux exigences de l’article VIII, ces activités ne peuvent être contraires aux autres

dispositions de la convention et au règlement qui y est annexé. Toutefois, si ces activités n’entrent
pas dans le cadre de JARPA II, elles sont alors contraires au règlement, en particulier aux
dispositions des paragraphes 7 b) (interdisant la capture de rorquals communs dans le sanctuaire de
l’océan Austral), 10 d) (interdisant la capture de rorquals communs par des usines flottantes)
et 10 e) (fixant à zéro le nombre de baleines, toutes espèces confondues, pouvant être capturées à
des fins commerciales).

Le juge Greenwood souscrit à la conclusion énoncée dans l’arrêt selon laquelle la chasse à la
baleine dans le cadre de JARPA II ne remplit pas les conditions requises au paragraphe 1 de
l’article VIII de la convention. Pour que le Japon bénéficie de l’exemption prévue par cette
disposition, il doit exister un lien suffisant entre le nombre de baleines devant être tuées dans le
cadre du programme et la réalisation des objectifs de ce dernier. La nette augmentation du nombre
de baleines dont la capture est prévue dans le cadre de JARPA II, par rapport à JARPA, n’est pas
justifiée sur cette base. JARPA II se distingue de JARPA sur un point essentiel, en tant qu’il vise

«la modélisation de la concurrence entre espèces de baleines et l’élaboration de nouveaux objectifs
de gestion», ce qui exige à coup sûr des recherches sur plusieurs espèces de baleines. Pourtant,
depuis le début, le Japon n’a capturé aucune baleine à bosse et s’est contenté d’un très petit nombre
de rorquals communs. L’expert indépendant du Japon a déclaré que la taille de l’échantillon de
rorquals communs ne se justifiait pas et n’aurait pas permis de recueillir des données utiles. S’il ne
faut pas reprocher au Japon de ne pas avoir tué un plus grand nombre de rorquals communs ou
d’avoir accédé à la demande du président de la commission et de n’avoir capturé aucune baleine à

bosse, rien n’indique qu’il ait tenté d’adapter la taille des échantillons de JARPA II en fonction des
circonstances. En outre, il n’a en rien expliqué à la Cour pourquoi il n’avait pas recours à des
méthodes non létales pour capturer les petits rorquals alors que ces méthodes permettaient de
recueillir des données sur d’autres espèces. De plus, si l’objectif de modélisation de la concurrence
entre les espèces de baleines n’entre plus en jeu, l’augmentation considérable du nombre de petits
rorquals devant être capturés dans le cadre de JARPA II, par rapport aux prises de JARPA, se
justifie difficilement.

Le juge Greenwood estime que le Japon n’a pas manqué à ses obligations en vertu du
paragraphe 30 du règlement puisqu’il a fourni les informations requises au comité scientifique de la
commission baleinière internationale, mais doute que cet Etat ait pleinement respecté le devoir de
coopération qui lui incombe au titre de la convention.

La Cour a eu raison de ne pas ordonner un second tour de procédure écrite en l’espèce,
conclut le juge Greenwood.

Opinion individuelle de Mme la juge Xue

Bien que souscrivant à la conclusion de la Cour selon laquelle les permis spéciaux délivrés
dans le cadre de JARPA II n’entrent pas dans les prévisions du paragraphe 1 de l’article VIII de la
convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine (ci-après, «la
convention»), Mme la juge Xue est en désaccord avec certains points de la motivation de la
décision adoptée à la majorité.

I. Interprétation du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention

Mme Xue est d’avis que l’article VIII, en faisant de la chasse scientifique une catégorie
particulière de la chasse à la baleine, autorise une partie contractante à préciser le nombre de mises
à mort et les autres conditions qu’elle «juge opportunes», et exonère la mise à mort, la capture et le
traitement des baleines effectués en application de permis spéciaux des restrictions imposées en - 21 -

matière de chasse commerciale par le régime de la convention. Ce faisant, cet instrument confère
un pouvoir discrétionnaire aux parties contractantes en ce qui concerne la chasse scientifique. La

question demeure de savoir dans quelle mesure une partie contractante peut exercer un tel pouvoir.

Mme Xue fait observer que, premièrement, la partie contractante doit éviter tout effet
dommageable sur les stocks de baleines afin d’assurer l’utilisation durable et la conservation des
ressources. Deuxièmement, il convient de prêter attention à la situation de la chasse commerciale,
puisqu’il existe un lien intrinsèque entre celle-ci et la chasse scientifique, notamment lorsque cette
dernière est présentée comme menée à grande échelle et de manière continue. Elle ajoute que,

avant le moratoire sur la chasse à la baleine à des fins commerciales, un différend tel que celui qui
porte ici sur le programme JARPA II ne se serait pas fait jour, l’échantillonnage létal ne posant
alors pas de problème. Troisièmement, le pouvoir discrétionnaire que confère le paragraphe 1 de
l’article VIII entraîne également pour toute partie délivrant un permis l’obligation d’exercer ce
pouvoir de façon appropriée et raisonnable en vertu du principe de bonne foi qui s’applique en droit
des traités. Elle conclut que, pour ces raisons, l’article VIII n’a pas conféré aux parties
contractantes un droit qu’elles pourraient définir à leur guise.

Mme Xue estime que la Cour devrait tout d’abord répondre à la question de savoir si la
partie qui délivre un permis peut déterminer librement, comme elle le «juge opportun», le nombre
de baleines pouvant être mises à mort, capturées et traitées en vue de recherches scientifiques,
question qui a une incidence sur la relation entre l’article VIII et les autres dispositions de la
convention. Elle souligne que, bien que les termes de l’article VIII demeurent inchangés, diverses
restrictions ont été imposées en matière de chasse commerciale au cours des 68 dernières années
afin d’assurer la conservation des populations baleinières, restrictions qui ont réduit le champ des

possibilités en ce qui concerne la manière d’effectuer des recherches scientifiques, notamment pour
ce qui est du choix des méthodes et de la taille des échantillons. Les versions révisées des lignes
directrices et l’examen des permis spéciaux par le comité scientifique évoluent également dans le
sens de la conservation. En raison de ces évolutions, il est difficile de soutenir que la chasse
scientifique est totalement détachée et indépendante des dispositions de la convention et que la
«marge d’appréciation» dont disposeraient éventuellement les parties contractantes pour accorder
des permis spéciaux demeure la même qu’auparavant. La juge Xue fait ainsi observer que la partie

qui accorde le permis spécial est tenue de s’appuyer sur ses connaissances les plus pointues pour
déterminer, comme elle le juge approprié, s’il convient d’accorder ou non un permis spécial en vue
de recherches scientifiques. Une fois prise, cette décision doit néanmoins faire l’objet d’un
examen, qu’il soit d’ordre scientifique ou judiciaire. Bien entendu, l’évaluation de cette décision
ne saurait simplement reposer sur la perception de la partie qui accorde le permis, et doit être
effectuée sur une base objective. Il convient que la partie qui délivre le permis justifie sa décision
en se fondant sur des preuves scientifiques et un raisonnement solide.

II. Le critère d’examen

En ce qui concerne le critère d’examen, la juge Xue fait valoir que l’examen auquel se livre
la Cour devrait porter uniquement sur des questions juridiques. Premièrement, en évaluant
l’exercice par le Japon du droit qu’il tient du paragraphe 1 de l’article VIII, la Cour devrait, pour
procéder à son examen juridique, suivre les règles d’interprétation des traités. La juge Xue est

d’avis que la question de savoir si les activités menées dans le cadre de JARPA II comportent des
recherches scientifiques est une question de fait plutôt que de droit et que, dès lors, elle devrait
faire l’objet d’un examen scientifique. Conformément au principe bien établi
onus probandi incumbit actori, c’était à l’Australie qu’il incombait de prouver à la Cour, à l’aide
d’éléments de preuve convaincants, que JARPA II ne comporte pas de recherches scientifiques.

La juge Xue trouve également que la scission opérée dans l’arrêt entre l’expression
«recherches scientifiques» et la locution «en vue de», qui figurent dans le libellé du paragraphe 1

de l’article VIII de la convention, pose problème. Selon elle, cette interprétation complique - 22 -

indûment le sens de la phrase «en vue de recherches scientifiques» qui figure au paragraphe 1 de
l’article VIII, et fait sortir la Cour du strict cadre de sa compétence judiciaire. Ainsi que cela a été

exposé ci-dessus, déterminer si des activités relèvent ou non de la recherche scientifique est
principalement une question de fait qui doit être examinée par des scientifiques. Si la Cour a pour
mission de déterminer en quoi, pour ce qui est du recours à l’échantillonnage létal, les éléments de
la conception et de la mise en œuvre de JARPA II sont raisonnables au regard des objectifs
scientifiques déclarés du programme, elle ne peut que porter une appréciation sur les mérites
scientifiques de celui-ci.

III. Le programme JARPA II au regard du paragraphe 1
de l’article VIII de la convention

Mme Xue souscrit à certaines des conclusions auxquelles est parvenue la Cour, mais estime
que celle-ci aurait dû examiner plus avant la question du financement, puisqu’elle a des
conséquences directes sur le problème qui est au cœur de l’affaire, à savoir la taille de
l’échantillonnage létal.

Mme Xue relève que le Japon ne nie pas que des considérations financières interviennent
dans la décision de délivrer des permis spéciaux, et qu’il soutient que pareille pratique est normale
en matière de recherche halieutique. Etant donné l’ampleur de l’échantillonnage létal pratiqué dans
le cadre de JARPA II, elle estime que le Japon n’a pas expliqué à la satisfaction de la Cour en quoi
les tailles d’échantillons sont calculées et déterminées dans le but d’atteindre les objectifs du
programme ; la complexité technique de la question ne saurait libérer la Partie défenderesse de la
charge de la preuve.

De surcroît, le Japon apporte une réponse faible et peu convaincante à l’allégation de
l’Australie selon laquelle la véritable intention de celui-ci est, en mettant en œuvre JARPA II, de
poursuivre ses opérations de chasse et de mener en fait d’un programme de chasse commerciale
sous couvert de recherche. Même si la recherche de financement par des moyens commerciaux ne
fait pas nécessairement de JARPA II un programme de chasse commerciale, ou un moyen détourné
de poursuivre une telle activité, il apparaît que, étant donné l’ampleur des prélèvements pratiqués

dans le cadre de JARPA II et la durée illimitée de ce programme, l’effet cumulatif des prises létales
ainsi réalisées sur la conservation des ressources baleinières n’est ni insignifiant ni négligeable, ce
qui donne d’autant plus de raisons de demander au Japon de justifier ses décisions en ce qui
concerne la délivrance de permis spéciaux. C’est pourquoi la juge Xue est d’avis que, un moratoire
sur la chasse commerciale étant actuellement en vigueur, il convient d’interpréter de façon stricte
l’expression «en vue de recherches scientifiques» employée au paragraphe 1 de l’article VIII ; les
tailles d’échantillons qui ont été définies pour répondre à la nécessité de collecter des fonds ne

sauraient dès lors être considérées comme «objectivement raisonnables» ou comme ayant été
établies «en vue de recherches scientifiques».

IV. La relation entre le paragraphe 1 de l’article VIII et
le règlement annexé à la convention

Sur la question de la violation alléguée de trois dispositions du règlement annexé à la
convention (le moratoire sur la chasse commerciale, le moratoire sur les usines flottantes et le

moratoire relatif au sanctuaire de l’océan Austral), la juge Xue ne souscrit pas au raisonnement de
la Cour selon lequel, puisque JARPA II ne relève pas des prévisions du paragraphe 1 de
l’article VIII de la convention, il devrait être soumis aux trois dispositions susmentionnées. Elle est
d’avis que les défauts de JARPA II tels qu’analysés par la Cour sont, d’une façon générale, des
défauts techniques touchant à la conception et à la mise en œuvre du programme, qui ne
transforment pas en soi JARPA II en un programme de chasse commerciale. La levée de fonds,
quand bien même elle est effectuée en commercialisant de la chair de baleine, ne change pas - 23 -

nécessairement la nature scientifique du programme, à moins que la Cour estime que le Japon a fait
preuve de mauvaise foi. Pour la juge Xue, la chasse scientifique, même entachée de défauts,

demeure scientifique par nature.

Mme Xue fait enfin valoir que les conséquences de la violation de l’article VIII et de la
violation des dispositions du règlement annexé à la convention peuvent être différentes. Dans le
premier cas, les conditions subordonnant la délivrance de permis spéciaux et le nombre de tels
permis peuvent faire l’objet d’une révision ou d’une révocation par le comité scientifique lorsqu’il
examine et commente ces permis. Dans le second cas, toutefois, le Japon étant réputé violer les

obligations internationales qui lui incombent en vertu du règlement annexé à la convention
lorsqu’il viole le moratoire sur la chasse commerciale, il devrait être obligé de révoquer tous les
permis spéciaux en cours et de s’abstenir d’en délivrer d’autres à l’avenir au titre de JARPA II,
anticipant ainsi sur l’examen auquel se livrera ultérieurement le comité scientifique. La juge Xue
est d’avis que JARPA II demeure un programme de recherche scientifique et que l’occasion devrait
être donnée au Japon de remédier aux défauts touchant à la conception et à la mise en œuvre de ce
programme dans le cadre du prochain examen périodique auquel se livrera le comité scientifique.

Opinion individuelle de Mme la juge Sebutinde

La juge Sebutinde souscrit aux conclusions énoncées aux points 1, 2, 3, 4, 5 et 7 du dispositif
de l’arrêt, mais elle est d’avis que la Cour aurait dû déterminer avec plus de précision les limites du
pouvoir discrétionnaire que l’article VIII de la convention internationale pour la réglementation de
la chasse à la baleine confère à chaque Etat contractant, ainsi que la mesure dans laquelle elle était
elle-même habilitée à examiner l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

La juge Sebutinde est d’avis, en particulier, que la Cour aurait dû préciser les critères qui
l’ont guidée et aidée à déterminer si les permis spéciaux délivrés dans le cadre de JARPA II
l’avaient été «en vue de recherches scientifiques», compte tenu des paramètres que les Etats parties
à la convention considèrent pertinents à cet égard. Ces paramètres sont énoncés au paragraphe 30
du règlement annexé à la convention et développés dans les résolutions et lignes directrices de la
commission baleinière internationale, qui ont force obligatoire. Parmi ces dernières, celles

contenues dans l’annexe P devraient se voir accorder un poids particulier puisqu’elles constituent la
dernière série en date qui ait été adoptée par consensus et serviront de base au comité scientifique
lorsqu’il évaluera JARPA II en 2014. A la lumière de ce qui précède, la juge Sebutinde considère
que la Cour aurait dû tenir compte des paramètres ci-après.

Premièrement, le programme de chasse à la baleine pour lequel le permis spécial est
demandé doit comprendre des objectifs de recherche définis et le recours à des méthodes
scientifiques appropriées. Deuxièmement, l’Etat contractant délivrant un permis spécial autorisant

la chasse à la baleine aux fins de recherches scientifiques doit fixer des limites au nombre de
baleines pouvant être tuées, outre toute autre condition qu’il juge nécessaire, et doit préciser le
nombre, le sexe, la taille et la population des animaux à capturer. Si l’Etat contractant dispose
d’une latitude considérable pour fixer les limites des prises, il doit exercer cette latitude d’une
manière compatible avec l’objet et le but de la convention, de sorte que des baleines ne soient
mises à mort que dans la mesure nécessaire à la réalisation des objectifs déclarés du programme de
recherches scientifiques. Troisièmement, l’Etat qui délivre les permis doit s’assurer que le

programme proposé de recherches scientifiques est conçu et mis en œuvre de manière à ne pas
mettre en danger les stocks de baleines ciblés, et doit préciser les effets éventuels de ce programme
sur la conservation de la population concernée. Enfin, l’Etat contractant doit soumettre au
préalable toute proposition de permis spécial au comité scientifique afin que celui-ci puisse
l’examiner et formuler ses observations. Cette obligation procédurale permet à la commission
baleinière internationale et à son comité scientifique d’exercer une surveillance sur la chasse à la
baleine au titre d’un permis spécial tout en obligeant l’Etat délivrant ce permis à coopérer avec la

commission. - 24 -

En outre, la juge Sebutinde n’est pas d’accord avec le raisonnement et les conclusions de la
Cour concernant le respect par le Japon des obligations qui lui incombent au titre du paragraphe 30

du règlement annexé à la convention. Elle est d’avis que le Japon a manqué à son obligation de
coopération effective avec la commission et son comité scientifique.

En particulier, nonobstant la recommandation de la commission l’exhortant à ce qu’il ne
lance aucun nouveau programme de chasse à la baleine au titre de permis spéciaux dans
l’Antarctique tant que le comité scientifique n’aurait pas mené à bien un examen approfondi des
résultats de JARPA, le Japon a entrepris JARPA II avant la fin des travaux du comité.

Deuxièmement, rien n’indique que le Japon ait dûment tenu compte des commentaires et
recommandations de la commission baleinière internationale concernant certains aspects
controversés de JARPA II, tel le recours à des méthodes létales. Troisièmement, bien que le plan
de JARPA II fournisse l’essentiel des informations requises en vertu du paragraphe 30 du
règlement, une grande partie d’entre elles n’est pas suffisamment détaillée pour être considérée
comme conforme aux lignes directrices pertinentes de la commission, carence qui risque d’entraver
l’examen de JARPA II que le comité scientifique doit entreprendre prochainement.

Quatrièmement, le Japon n’a pas soumis les permis spéciaux délivrés pour JARPA II au comité
scientifique pour examen préalable, contrairement aux prescriptions du paragraphe 30. Etant donné
que ces permis sont quasiment identiques à ceux délivrés au titre de JARPA et que, dans sa mise en
œuvre au moins, JARPA II se distingue de son prédécesseur, il est impératif que le comité
scientifique ait la possibilité de procéder au préalable à un examen de ces permis et de formuler ses
observations. Cinquièmement, comme il est noté au paragraphe 222 de l’arrêt, mise à part la
mention d’une collaboration entre JARPA I et des instituts de recherche japonais, rien ne démontre

l’existence d’une coopération entre JARPA II et d’autres instituts de recherche nationaux et
internationaux en dehors d’un engagement figurant dans le plan de JARPA II aux termes duquel
«la participation de scientifiques étrangers sera la bienvenue, à condition que ceux-ci satisfassent
aux qualifications établies par le Gouvernement japonais».

En raison de ces manquements, la juge Sebutinde n’a pas pu s’associer à la majorité pour
conclure que «le Japon a respecté ses obligations au titre du paragraphe 30 du règlement annexé à
la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine dans le cadre de

JARPA II».

Opinion individuelle de M. le juge Bhandari

Dans son opinion individuelle, le juge Bhandari expose les raisons pour lesquelles il a voté
contre le point 6) du dispositif de l’arrêt. Notant que, en vertu du paragraphe 30 du règlement
annexé à la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine, les Etats

parties ont le devoir de coopérer avec la commission baleinière internationale et son comité
scientifique dans le cadre du dialogue relatif à la délivrance de permis spéciaux en vue de
recherches scientifiques, le juge Bhandari ne souscrit pas à la conclusion de la Cour selon laquelle
le Gouvernement du Japon a respecté ses obligations au titre de cette disposition. Il est d’avis que,
si le Japon a démontré un respect de la lettre des exigences du paragraphe 30, il n’a en revanche pas
démontré, par ses actes, un respect de l’esprit de celles-ci, à savoir l’obligation de coopérer au sens
téléologique le plus large. De surcroît, le juge Bhandari estime que la Cour aurait dû aller au-delà

de sa conclusion selon laquelle JARPA II n’est pas un programme mené en vue de recherches
scientifiques relevant des prévisions du paragraphe 1 de l’article VIII de la convention et déclarer
qu’il s’agit d’un programme de chasse commerciale. Cette conclusion est, à son sens, inévitable,
étant donné le caractère mutuellement exclusif des catégories de chasse envisagées dans la
convention, l’abondance des éléments de preuve versés au dossier quant au contexte de
l’élaboration de JARPA II, la durée indéfinie de ce programme et certaines caractéristiques
indiscutablement commerciales présentées par celui-ci. - 25 -

Opinion individuelle de Mme la juge ad hoc Charlesworth

Dans son opinion individuelle, la juge ad hoc Charlesworth traite de deux aspects de l’affaire
sous lesquels ses vues divergent de celles de la majorité, à savoir la nature des restrictions
apportées au recours à des méthodes létales «en vue de recherches scientifiques» par l’article VIII
de la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine de 1946 (ci-après, la
«convention») et le respect par le Japon du paragraphe 30 du règlement annexé à la convention.

La juge ad hoc Charlesworth est d’avis que l’article VIII de la convention devrait être lu à la
lumière des résolutions relatives aux méthodes de recherche adoptées par consensus par la

commission baleinière internationale (ci-après, la «CBI»). A cet égard, elle soutient que les
résolutions applicables vont dans le sens d’une interprétation de l’article VIII selon laquelle les
méthodes létales devraient être déterminantes pour la réalisation des objectifs d’un programme de
recherche scientifique. Mme Charlesworth estime qu’une approche de précaution également
pertinente en ce qui concerne l’interprétation de la convention vient étayer la conclusion selon
laquelle les méthodes létales ne devraient être utilisées qu’en dernier recours dans des programmes

de recherche scientifique relevant de l’article VIII.

La juge ad hoc Charlesworth considère par ailleurs que le Japon a violé le paragraphe 30 du
règlement annexé à la convention en ce qu’il n’a pas respecté le devoir de coopération avec le
comité scientifique qui incombe aux Etats parties, devoir qu’elle considère être un élément
essentiel du régime de la convention. Si, en vertu du paragraphe 30, les avis du comité scientifique
sur les propositions de permis spéciaux ne sont pas juridiquement contraignants pour les Etats

parties, la CBI ne lui en a pas moins conféré le pouvoir d’examiner et de commenter ces
propositions, créant ainsi pour l’Etat qui en est l’auteur l’obligation de coopérer avec le comité.
Pareille obligation nécessite que les Etats parties fassent preuve d’une véritable volonté de revoir
leurs propositions à la lumière des avis formulés par le comité.

La juge ad hoc Charlesworth est d’avis que le Japon n’a pas respecté son devoir de
coopération, notamment i) en lançant JARPA II avant que JARPA ait été examiné par le comité
scientifique ; ii) en n’étudiant pas sérieusement la faisabilité des méthodes non létales au stade de la

conception de JARPA II ; et iii) en continuant de s’appuyer sur le plan de recherche initial de
JARPA II pour délivrer par la suite des permis annuels alors que la mise en œuvre du programme
s’était largement écartée de ce qui était prévu dans le cadre du plan de recherche.

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Résumé de l'arrêt du 31 mars 2014

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