Résumé de l'arrêt du 4 juin 2008

Document Number
14572
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Number (Press Release, Order, etc)
2008/2
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2008/2

Le 4 juin 2008

Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale
(Djibouti c. France)

Résumé de l’arrêt du 4 juin 2008

Historique de la procédure et conclusions des Parties (par. 1-18)

Le 9janvier2006, la République de Djibou ti (dénommée ci-après «Djibouti») a déposé au
Greffe de la Cour une requête, datée du 4 janv ier 2006, contre la République française (dénommée

ci-après la «France») au sujet d’un différend

«port[ant] sur le refus des autorités gouvernementales et judiciaires françaises
d’exécuter une commission rogatoire interna tionale concernant la transmission aux

autorités judiciaires djiboutiennes du dossier relatif à la procédure d’information
relative à l’Affaire contre X du chef d’assassinat sur la personne de Bernard Borrel et
ce, en violation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le
Gouvernement [djiboutien] et le Gouvernem ent [français] du 27septembre1986,
ainsi qu’en violation d’autres obligations internationales pesant sur la [France]

envers … Djibouti».

S’agissant du refus susmentionné d’exécuter une commission rogatoire internationale, la requête
invoquait également la violation du traité d’amitié et de coopération conclu entre la France et
Djibouti le 27 juin 1977.

La requête faisait en outre état de l’émission, par les autorités judiciaires françaises, de
convocations à témoigner adressées au chef de l’Etat djiboutien et à de hauts fonctionnaires
djiboutiens, convocations qui auraient méconnu les dispositions dudit traité d’amitié et de
coopération, ainsi que les principes et règles rlatifs aux privilèges et immunités diplomatiques

énoncés dans la convention de Vienne du 18avri l1961 sur les relations diplomatiques et les
principes relatifs aux immunités internationales établis en droit international coutumier, tels que les
reflète notamment la convention du 14décemb re1973 sur la prévention et la répression des
infractions contre les personnes jouissant d’une pr otection internationale, y compris les agents

diplomatiques.

Dans sa requête, Djibouti indiquait qu’il ente ndait fonder la compétence de la Cour sur le
paragraphe5 de l’article38 du Règlement de la Cour et était «confian[t] que la République
française acceptera[it] de se soumettre à la co mpétence de la Cour pour le règlement du présent

différend». - 2 -

Conformément au paragraphe5 de l’article 38 du Règlement, le greffier a immédiatement
transmis copie de la requête au Gouvernement français et a fait connaître aux deux Etats que,

conformément à cette disposition, la requête ne serait pas inscrite au rôle général de la Cour et
qu’aucun acte de procédure ne serait effectué tant que l’Etat contre lequel la requête était formée
n’aurait pas accepté la compétence de la Cour aux fins de l’affaire.

Par lettre datée du 25 juillet 2006 et reçue au Greffe le 9 août 2006, le ministre français des
affaires étrangères a informé la Cour que la Fran ce «accept[ait] la compétence de [celle-ci] pour
connaître de la requête en application et sur le seul fondement de l’article 38, paragraphe 5», du
Règlement, en précisant que cette acceptation «ne va[lait] qu’aux fins de l’affaire, au sens de

l’article 38, paragraphe 5 précité, c’est-à-dire pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans
les strictes limites des demandes formulées dans celle-c i» par Djibouti. L’affaire a été inscrite au
rôle général de la Cour le 9 août 2006.

Par lettres du 17 octobre 2006, le greffier a fa it savoir aux Parties que le membre de la Cour
ayant la nationalité française avait indiqué à la Cour qu’il n’entendait pas pa rticiper au règlement
de l’affaire, compte tenu des dis positions du paragraphe 2 de l’artic le 17 du Statut. En application
de l’article31 du Statut et du paragraphe1 de l’article37 du Règlement, la France a désigné

M. Gilbert Guillaume pour siéger en qualité de juge ad hoc en l’affaire. La Cour ne comptant sur
le siège aucun juge de nationalité djiboutienne, Djibouti s’est prévalu du droit que lui confère
l’article31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire: il a
désigné à cet effet M. Abdulqawi Ahmed Yusuf.

Par ordonnance en date du 15novembre2006, la Cour a fixé au 15mars2007 et au
13juillet2007, respectivement, les dates d’expi ration des délais pour le dépôt du mémoire de
Djibouti et du contre-mémoire de la France; ces pièces ont été dûment déposées dans les délais

ainsi prescrits. Les Parties n’ayant pas jugé nécessaire la présentation d’une réplique et d’une
duplique, et la Cour n’en ayant pas vu davantage la nécessité, l’affaire s’est ainsi trouvée en état.

Des audiences publiques ont été tenues entre le 21 et le 29janvier2008. A la fin de la

procédure orale, les Parties ont présenté à la Cour les conclusions finales ci-après :

Au nom du Gouvernement djiboutien

«La République de Djibouti prie la Cour de dire et juger :

1) Que la République française a violé ses obligations en vertu de la convention
de 1986 :

i) en n’ayant pas mis en Œuvre son engagement en date du 27janvier2005 à
exécuter la demande de commission rogatoire de la République de Djibouti
en date du 3 novembre 2004 ;

ii)ou subsidiairement, en n’ayant p as exécuté son obligation en vertu de
l’article premier de ladite convention suite à son refu s illicite contenu dans la
lettre du 6 juin 2005 ;

iii) ou subsidiairement encore, en n’ayan t pas exécuté son obligation en vertu de
l’article premier de ladite convention suite à son refu s illicite contenu dans la
lettre du 31 mai 2005.

2) Que la République française doit immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la
Cour :

i)transmettre le «dossier Borrel» da ns son intégralité à la République de

Djibouti ; - 3 -

ii)ou subsidiairement, transmettre le «dossier Borrel» à la République de
Djibouti dans les conditions et modalités déterminées par la Cour.

3) Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit
international coutumier et général de ne pas porter atteinte aux immunités, à
l’honneur et à la dignité du président de la République de Djibouti, en :

i) envoyant une convocation à témoin au président de la République de Djibouti
le 17 mai 2005 ;

ii)répétant l’atteinte ci-dessus, ou en essayant de répéter ladite atteinte le
14 février 2007 ;

iii) rendant publiques les deux convocatio ns par la transmission immédiate de
l’information aux médias français ;

iv) ne répondant pas de manière appropriée aux deux lettres de protestation de
l’ambassadeur de la République de Djibouti à Paris en date respectivement du
18 mai 2005 et du 14 février 2007.

4) Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit
international coutumier et général de prévenir les atteintes aux immunités, à
l’honneur et à la dignité du président de la République de Djibouti.

5) Que la République française doit immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la
Cour annuler la convocation à témoin en date du 17 mai 2005 et la déclarer nulle et
non avenue.

6) Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit
international coutumier et général de ne pas porter atteinte à la personne, à la
liberté et à l’honneur du procureur général de la République de Djibouti et du chef

de la sécurité nationale de Djibouti.

7) Que la République française a violé son obligation en vertu des principes du droit
international coutumier et général de pr évenir les atteintes à la personne, à la

liberté et à l’honneur du procureur général de la République de Djibouti et du chef
de la sécurité nationale de la République de Djibouti.

8) Que la République française doit immédiatement après le prononcé de l’arrêt de la

Cour annuler les convocations à témoin assisté et les mandats d’arrêt émis à
l’encontre du procureur général de la République de Djibouti et du chef de la
sécurité nationale de la République de D jibouti ainsi que les déclarer nuls et non
avenus.

9) Que la République française, en agissa nt contrairement ou en manquant d’agir
conformément aux articles1, 3, 4, 6 et 7 du traité d’amitié et de coopération
de1977 pris individuellement ou cumulativem ent, a violé l’esprit et le but de ce

traité ainsi que les obligations en découlant.

10)Que la République française doit cesser son comportement illicite et respecter
scrupuleusement à l’avenir les obligations qui lui incombent.

11)Que la République française doit f ournir à la République de Djibouti des
assurances et garanties spécifiques de non-répétition des faits illicites dénoncés.» - 4 -

Au nom du Gouvernement français

«Pour l’ensemble des motifs exposés dans son contre-mémoire et au cours de
ses plaidoiries orales, la République française prie la Cour de bien vouloir :

1) a) se déclarer incompétente pour se pr ononcer sur les demandes présentées par

la République de Djibouti à l’issue de ses plaidoiries orales qui dépassent
l’objet du différend tel qu’exposé dans sa requête, ou les déclarer
irrecevables ;

b) subsidiairement, déclarer ces demandes non fondées ;

2) rejeter l’ensemble des autres de mandes formulées par la République de
Djibouti.»

Les faits de l’espèce (par. 19-38)

La Cour relève tout d’abord que les Parties s’accordent à estimer qu’il ne lui appartient pas

de se prononcer sur les faits et l’établi ssement des responsabilités dans l’affaire Borrel, et en
particulier sur les circonstances du décès de Bern ard Borrel. Elle ajoute qu’elles conviennent
cependant que ladite affaire est à l’origine du différend, du fait de l’ouverture de plusieurs
procédures judiciaires, en France et à Djibouti, et de la mise en Œuvre de mécanismes

conventionnels bilatéraux d’entraide judiciaire en tre les Parties. La Cour décrit abondamment les
faits, dont certains sont admis par les Parties tandis que d’autres sont contestés, et les procédures
judiciaires engagées dans le cadre de l’affaire Borrel.

La compétence de la Cour (par. 39-95)

La Cour rappelle que Djibouti a entendu fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 5

de l’article 38 du Règlement. Elle note que la France, si elle reconnaît le caractère «incontestable»
de la compétence de la Cour pour trancher le différend en application de cette disposition, conteste
néanmoins l’étendue ratione materiae et ratione temporis de ladite compétence pour connaître de
certaines violations alléguées par Djibouti.

Question préliminaire relative à la compétence et à la recevabilité (par. 45-50)

La Cour fait remarquer qu’en déterminant l’étendue du consentement exprimé par l’une des

parties, elle se prononce sur sa compétence et non sur la recevabilité de la requête. Elle passe
ensuite à l’examen des exceptions relatives à l’étendue de sa compétence soulevées par la France.

Compétence ratione materiae (par. 51-64)

Après avoir exposé les positions des Parties, la Cour remarque que sa compétence est fondée
sur le consentement des Etats dans les conditions fixées par ceux-ci et que, ni le Statut ni le
Règlement de la Cour n’exigent que le consenteme nt des parties conférant ainsi compétence à la
Cour s’exprime sous une forme déterminée. La Cour rappelle qu’e lle a également interprété le

paragraphe1 de l’article36 du Statut comme permettant de déduire le consentement de certains
actes, acceptant ainsi la possibilité du forum prorogatum. Ainsi, pour qu’elle soit compétente sur la
base d’un forum prorogatum, la Cour considère que l’élément de consentement doit être explicite

ou pouvoir être clairement déduit de la conduite pertinente de l’Etat.

La Cour observe que c’est la première fois qu’elle est amenée à trancher au fond un
différend porté devant elle par une requête fondée sur le paragr aphe5 de l’article38 de son

Règlement. Elle relève que cette disposition, introduite dans son Règlement en 1978, permet à un
Etat, qui entend fonder la compétence de la Cour pour connaître d’une affaire sur un consentement - 5 -

non encore donné ou manifesté par un autre Etat, de présenter une requête exposant ses demandes
et invitant ce dernier à consentir à ce que la Cour les examine, sans que ne soit porté atteinte aux

règles d’une bonne administration de la justice. Elle note que l’Etat qui est invité à consentir à sa
compétence pour trancher un différend a toute liberté de répondre comme il l’entend ; s’il accepte
la compétence de la Cour, il lui appartient, le cas échéant, de préciser les aspects du différend qu’il
consent à soumettre au jugement de celle-ci. Elle précise que le caractère différé et ad hoc du

consentement du défendeur, tel qu’envisagé au paragraphe 5 de l’article 38 du Règlement, fait de la
procédure qui y est organisée une modalité d’établissement d’un forum prorogatum . La Cour
ajoute que sa compétence peut être fondée sur le forum prorogatum selon des modalités diverses,
que le paragraphe5 de l’artic le38 du Règlement n’épuise nulle ment. Elle précise toutefois

qu’aucun demandeur ne saurait se présenter devant e lle sans être en mesure d’indiquer dans sa
requête l’Etat contre lequel la demande est formée et l’objet du différend, ainsi que la nature
précise de cette demande et les faits et moyens sur lesquels cette dernière repose.

La portée du consentement mutuel des Parties (par. 65-95)

La Cour s’attache ensuite à apprécier la portée du consentement mutuel des Parties. Pour ce
faire, elle examine les termes de l’acceptation de la compétence de la Cour par la France et ceux de

la requête de Djibouti auxquels cette acceptation répond.

La Cour note que la France considère qu’elle a accepté la compétence de la Cour pour
connaître seulement de l’objet déclaré de l’affaire, lequel est énoncé au paragraphe 2 de la requête,

sous la rubrique «objet du différend», et nulle part ailleurs.

Ce paragraphe se lit comme suit :

«L’objet du différend porte sur le refus des autorités gouvernementales et
judiciaires françaises d’exécuter une commission rogatoire internationale concernant
la transmission aux autorités judiciaires djiboutiennes du dossier relatif à la procédure
d’information relative à l’ Affaire contreX du chef d’assassinat sur la personne de

Bernard Borrel et ce, en violation de la conventio n d’entraide judiciaire en matière
pénale entre le Gouvernement de la République de Djibou ti et le Gouvernement de la
République française du 27 septembre 1986, ainsi qu’en violation d’autres obligations
internationales pesant sur la République française envers la République de Djibouti.»

S’appuyant sur sa jurisprudence, la Cour précise que l’objet du différend ne doit pas être
déterminé exclusivement par référence aux questio ns énoncées dans la rubrique correspondante de
la requête. La Cour observe ainsi que la requête, prise dans son ensemble, a un objet plus large que

celui qui est exposé au paragraphesusmentionné, et qu’elle inclut la convocation adressée au
président de Djibouti le 17 mai 2005 et celles adress ées à d’autres responsables djiboutiens les 3 et
4 novembre 2004.

La Cour indique que les Parties ne contestent pas que les demandes relatives à la commission
rogatoire de Djibouti en date du 3 novembre 2004, et donc, en particulier, au respect de la
convention d’entraide judiciaire en matière pénale de 1986, relèvent de sa compétence. Elle note
en revanche qu’elles sont en désaccord sur le point de savoir si les demandes relatives aux

convocations adressées par la France au président de Djibouti, au procureur de la République de
Djibouti et au chef de la sécurité nationale dji boutiennes, ainsi qu’aux mandats d’arrêt délivrés à
l’encontre de ces deux derniers responsables relèvent de sa compétence.

Les passages pertinents de la réponse de la France à la requête de Djibouti se lisent comme
suit :

«J’ai l’honneur de vous faire connaître que la République française accepte la

compétence de la Cour pour connaître de la requête en application et sur le seul
fondement de l’article 38, paragraphe 5, [du Règlement] susmentionné. - 6 -

La présente acceptation de la compétence de la Cour ne vaut qu’aux fins de
l’affaire, au sens de l’article 38, paragraphe 5 précité, c’est-à-dire pour le différend qui

fait l’objet de la requête et dans les strictes limites des demandes formulées dans
celle-ci par la République de Djibouti.»

Ayant examiné la lettre d’acceptation de la France, la Cour dit que la simple lecture de cette

lettre révèle que le consenteme nt du défendeur, du fait des termes que celui-ci a employés, n’est
pas circonscrit au seul «objet du différend» tel qu’énoncé au paragraphe2 de la requête
djiboutienne. Elle estime que la France, qui avait une parfaite connaissance des demandes
formulées par Djibouti dans sa requête, n’a pas cherch é, lorsqu’elle a adressé sa lettre à la Cour, à

exclure de la compétence de la Cour certains aspects du différend faisant l’objet de la requête.
LaCour juge par conséquent que, s’agissant de la compétence ratione materiae , les demandes
relatives aux deux questions auxquelles il est fait référe nce dans la requête de Djibouti, à savoir le
refus de la France d’exécuter la commission rogatoire de Djibouti et les différentes convocations

adressées par les autorités judiciaires française s, d’une part au président de Djibouti le
17mai2005, et d’autre part à deux hauts fonctionnaires djiboutiens les3 et 4novembre2004 et
17 juin 2005, relèvent de sa compétence.

La Cour en vient ensuite à la question de sa compétence à l’égard de la convocation à
témoigner adressée en2007 au président de D jibouti et des mandats d’arrêt délivrés en2006 à
l’encontre des hauts fonctionnaires djiboutiens, événements postérieurs au dépôt de la requête. Elle
rappelle que Djibouti a fait valoir qu’il s’était réservé le droit, dans sa requête, de la «modifier et de

[la] compléter» et qu’il avait observé que les demandes concernant des violations du droit
international en matière d’immunités survenues postérieurement au 9 janvie2r006 «se
rapport[ai]ent toutes à celles formulées dans la requête et se fond[ ai]ent sur les mêmes moyens de
droit». La Cour note que la France a soutenu pour sa part que la compétence éventuelle de la Cour

pour connaître de telles violations ne pouvait s’exercer à l’égard de faits survenus postérieurement
au dépôt de la requête.

S’agissant des mandats d’arrêt délivrés à l’en contre des hauts fonctionnaires djiboutiens, la

Cour indique qu’il ressort clairement de la lettre de la France que son consentement ne s’étend pas
au-delà de ce que contient ladite requête. Elle s ouligne que là où la compétence est fondée sur le
forum prorogatum, une attention toute particulière doit êt re portée à l’étendue du consentement tel

qu’il a été circonscrit par l’Etat défendeur. La C our rappelle que le consentement de la France ne
vaut «qu’aux fins de l’affaire», c’est-à-dire «pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans
les strictes limites des demandes formulées dans celle -ci par la République de Djibouti» ; qu’on ne
trouve, dans la requête de Djibou ti, aucune demande portant sur les mandats d’arrêt ; et que, bien

que ces mandats d’arrêt puissent être perçus comme un moyen d’exécuter les convocations à
témoigner, ils représentent de nouveaux actes juridi ques au sujet desquels la France ne peut être
considérée comme ayant accepté implicitement la compétence de la Cour. Par conséquent, la Cour
estime que les demandes relatives aux mandats d’arrêt c oncernent des questions qui n’entrent pas

dans le champ de sa compétence ratione materiae.

S’agissant de la convocation adressée au préside nt de Djibouti le 14février2007, la Cour
indique que celle-ci portait sur la même affaire que la convocation initiale transmise au président

de Djibouti le 17mai2005, qu’elle émanait du même juge, et concernait la même question
juridique, mais qu’elle respectait ce tte fois la forme requise en droit français. LaCour constate
qu’il s’agit en fait, quoique la forme en eût été rectifiée, d’une simple répétition de la convocation à
témoigner du 17mai2005. Elle souligne que, da ns l’énoncé des moyens de droit sur lesquels

Djibouti fonde sa requête (voir paragraphe3 de celle-ci), il est fait expressément référence aux
atteintes portées à la personne d’un chef d’Etat. Constatant que la France a accepté la compétence
de la Cour pour ce qui est des «demandes formulées» dans la requête de Djibouti, la Cour parvient
à la conclusion qu’elle a compétence pour examiner les deux convocations susmentionnées. - 7 -

La violation alléguée du traité d’amitié et de coopération entre la France et Djibouti du
27 juin 1977 (par. 96-114)

Djibouti soutient que la France a violé l’oblig ation générale de coopé ration prévue par le
traité d’amitié et de coopération (signé le 27juin1977 entre les deux Etats) en ne coopérant pas
avec lui dans le cadre de la procédure d’in formation judiciaire relative à l’affaire Borrel, en portant

atteinte à la dignité et à l’honneur du chef de l’Et at djiboutien et d’autres autorités djiboutiennes et
en agissant ainsi au mépris d es principes d’égalité, de respect mutuel et de paix énoncés à
l’articlepremier du traité. La France fait valoir de son côté que toute interprétation du traité
aboutissant à la reconnaissance de l’existence d’ une obligation générale de coopération qui lui

serait juridiquement opposable dans l’exécution de la commission rogatoire internationale irait non
seulement à l’encontre des termes du traité, mais au ssi de son objet, de son but, de son contexte et
de la volonté des parties.

La Cour procède à un examen minutieux des dispos itions du traité. Si elle remarque que les
obligations mutuelles prévues par le traité sont d es obligations juridiques, exprimées sous la forme
d’obligations de comportement, qui imposent aux parties d’Œuvrer en vue d’atteindre certains
objectifs, elle constate que l’entraide judiciaire en matière pénale n’est pas mentionnée parmi les

domaines de coopération énumérés dans le traité d’amitié de 1977.

Si la Cour reconnaît que le traité de 1977 a une certaine incidence sur l’interprétation et
l’application de la convention d’entraide judiciai re en matière pénale (signée le 27 septembre 1986

entre la France et Djibouti), dans la mesure où celle-ci doit être interprétée et appliquée d’une
manière qui prenne en considération l’amitié et la coopération posées par la France et Djibouti
comme constituant le fondement de leurs relations mutuelles dans le traité de 1977, elle relève
cependant que là s’arrête, en termes juridiques, la relation entre les deux instruments. La Cour

considère en effet, à la lumière de sa jurispr udence et de la règle coutumière codifiée au
paragraphe3 de l’article31 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23mai1969,
qu’une interprétation de la c onvention de1986 prenant dûment en compte l’esprit d’amitié et de
coopération mentionné dans le tra ité de1977 ne saurait priver une partie à la convention de la

possibilité d’en invoquer une clause autorisant, da ns certaines circonstances, la non-exécution de
l’une des obligations qu’elle impose.

La violation alléguée de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France
et Djibouti du 27 septembre 1986 (par. 115-156)

Djibouti prétend que la France aurait violé ladite convention en refusant d’exécuter la

commission rogatoire décernée le 3novembre2004 par les autorités judiciaires djiboutiennes.
La Cour examine successivement les trois arguments de Djibouti à l’appui de cette affirmation.

L’obligation d’exécuter la commission rogatoire internationale (par. 116-124)

Selon Djibouti, l’obligation d’exécuter la co mmission rogatoire internationale, prévue à
l’article premier de la convention de 1986, imposerait aux deux Parties une obligation de
réciprocité dans la mise en Œuvre de la convention. La Cour not e que l’article premier prévoit que

les obligations énoncées par la convention de 1986 ser ont mises en Œuvre de façon mutuelle. Elle
estime à ce sujet que chaque demande d’entraide judiciaire doit être appréciée, selon ses mérites
propres, par chaque Partie. Elle relève par ailleurs qu’il n’est prescrit nulle part dans la convention
que l’octroi par un Etat d’une assistance dans un dossier donné impose à l’autre de faire de même

lorsqu’il est sollicité à son tour. La Cour considère, en conséquence, que Djibouti ne peut se fonder
sur le principe de réciprocité pour demander l’exécution de la commission rogatoire internationale
qu’il a introduite auprès des autorités judiciaires françaises. - 8 -

Quant à l’obligation d’exécuter les commissions rogatoires internationales, visée à l’article 3
de la convention de 1986, la Cour constate qu’il doit y être satisfait dans le respect de la procédure

prévue par la législation de l’Etat requis. Elle précise que le sort qui doit être réservé à la demande
d’entraide judiciaire en matière pénale dépe nd manifestement de la décision des autorités
nationales compétentes, selon la procédure prévue par la législation de l’Etat requis. Celui-ci doit
certes veiller à ce que sa procédure soit déclenchée, mais il n’en garantit pas pour autant le résultat,

dans le sens de la transmission du dossier qui fait l’objet de la commission rogatoire. La Cour note
que l’article 3 doit être lu en conjonction avec les articles premier et 2 de la convention.

L’engagement allégué de la Fran ce d’exécuter la commission rogato ire internationale émanant de

Djibouti (par. 125-130)

La Cour en vient ensuite à l’examen d’une lettre adressée le 27 janvier 2005 par le directeur
de cabinet du ministre français de la justice à l’ambassadeur de Djibouti à Paris, rédigée en ces

termes :

«J’ai demandé à ce que tout soit mis en Œuvre pour que la copie du dossier de
l’instruction judiciaire relative au décès de Monsieur Bernard Borrel soit transmise au

ministre de la justice et des affaires pénite ntiaires et musulmanes de la République de
Djibouti avant la fin du mois de février2005 (ce délai s’explique par le volume du
dossier dont il y a lieu de faire la copie).

J’ai par ailleurs demandé au procureur de Paris de faire en sorte que ce dossier
ne connaisse aucun retard injustifié.»

Djibouti soutient qu’il s’agissait là d’un e ngagement du directeur du cabinet (qui liait le

ministère français de la justice et l’Etat français dans son ensemble) et qu’au vu de cet engagement,
il pouvait légitimement s’attendre à ce que le dossier lui soit transmis.

La Cour note que les termes de la lettre du 27 janvier 2005, pris dans leur sens ordinaire, ne

comportent pas d’engagement formel, de la part du directeur de cabinet du ministre de la justice, de
transmettre le dossier Borrel; il s’agissait plutôt d’informer l’ambassadeur de Djibouti en France
de ce qu’il avait fait afin de déclencher la pro cédure légale rendant possible cette transmission.
Elle ajoute qu’en tout état de cause, le directeur de cabinet ne pouvait s’engager dé
finitivement

puisque la législation française (article694-2 du code de procédure pénale français) réserve
l’exécution des commissions rogatoires au juge d’instruction. En conséquence, la Cour considère
que la lettre du 27janvier2005, de par son contenu et les circonsta nces de fait et de droit dans
lesquelles elle a été préparée, ne comporte pas, en elle-même, d’engagement juridique de la France

d’exécuter la commission rogatoire internationa le qui lui a été transmise par Djibouti le
3 novembre 2004.

Le refus opposé par la France à l’exécution de la commission rogatoire internationale

(par. 131-156)

Djibouti soutient que la France ne pouvait pas invoquer les dispositi ons de l’article 2 c) de la
convention de 1986, en vertu desquelles un Etat peut refuser l’entraide judiciaire s’il estime que

l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à ses intérêts essentiels. Il indique en outre
que le droit français ne peut être interprété co mme accordant au seul juge d’instruction autorité
pour juger des intérêts essentiels de l’Etat. Djibouti fait valoir que la France, dans la lettre adressée
le 6 juin 2005 par son ambassadeur à Djibouti au ministre djiboutien des affaires étrangères, a omis

de motiver son refus d’entraide judiciaire, en violation de l’article 17 de la convention de 1986 qui
dispose que «[t]out refus d’entraide judiciaire sera motivé». Selon Djibouti, l’obligation de
motiver est en effet une condition de la validité du refus. Il observe à ce sujet que la simple
référence à l’article 2 c) doit être considérée au mieux comme une forme de «notification» très

générale qui, à son sens, n’équivaut certainement pas à une «motivation». - 9 -

La France souligne pour sa part qu’il n’appartient pas à un autre Etat de déterminer de quelle
manière elle doit organiser ses propres procédures. Elle fait observer que les questions pénales sont

de celles qui, plus que d’autres, touchent à la souveraineté nationale des Etats et à leur sécurité
, à
leur ordre public, ou à d’autres intérêts essentiels, tels que visés à l’article 2 c) de la convention
de1986. Elle ajoute avoir non seulement informé Djibouti dès le 31mai2005, par une lettre du
directeur des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice à l’ambassadeur de

Djibouti en France, de la décision négative du magi strat instructeur quant à la demande d’entraide
judiciaire en question, mais avoir également mo tivé explicitement son refus, en mentionnant
l’article 2 c) de la convention de 1986. La France estime à ce sujet que la référence à cet article
constitue la motivation prévue à l’article 17 de la convention.

Djibouti ayant nié que son ambassadeur à Paris ait jamais reçu la lettre du 31 mai 2005 et la
France n’ayant pas démontré que celle-ci avait été transmise aux autorités djiboutiennes, la Cour
constate qu’elle n’est pas en mesure de prendre en considération la lettre en question dans l’examen

de l’affaire.

Après avoir rappelé dans quelles conditions les autorités judiciaires françaises ont pris la
décision de refuser l’exécution de la commission rogatoire internationale et comment cette décision

a été notifiée à Djibouti, la Cour indique qu’elle ne saurait accepter l’argument de Djibouti selon
lequel, en droit français, les questions de sécurité et d’ordre public ne pourraient être réglées par le
seul pouvoir judiciaire. Elle dit ne pas ignorer qu’à un certain moment, le ministère de la justice a
joué un rôle très actif dans le traitement de ces questions. Cependant, ajoute la Cour, la chambre de

l’instruction de la cour d’appe l de Paris, dans son arrêt du 19 octobre 2006, a désigné l’organe
habilité à répondre en dernier ressort aux demande s de commission rogatoire. Cette chambre a
jugé que la question de l’appli cation d’une façon ou d’une autre de l’article2 de la convention
de1986 à une demande formulée par un Etat re levait du seul juge d’instruction (qui dispose

d’informations émanant des services gouvernementa ux concernés). La cour d’appel a en outre
conclu qu’une telle décision du juge d’instruction constituait une décision judiciaire, et non un avis
donné au pouvoir exécutif. La Cour ne peut fair e autrement que d’accepter les conclusions de la

cour d’appel de Paris sur ce point.

Pour ce qui est de la question de savoir si les autorités compétentes ont pris leur décision de
bonne foi et en conformité avec l’article 2 de la c onvention de 1986, la Cour rappelle que dans son

soit-transmis du 8 février 2005, le juge Clément a exposé les motifs de sa décision de ne pas faire
droit à la demande d’entraide. Le juge y a expliqué que la transmission du dossier avait été estimée
«contraire aux intérêts essentiels de la France» da ns la mesure où celui-ci contenait des documents
«secret-défense» qui avaient été déclassifiés, ainsi que des informations et des témoignages sur une

autre affaire en cours, dont la communication à une autorité politique étrangère, s’agissant «de
pièces qui ne sont accessibles qu’au seul juge français» , reviendrait à «détourner les termes de la
loi française». La Cour indique par ailleurs qu’ il n’est pas apparu clairement, à la lecture du
soit-transmis, pourquoi le juge Clément avait estim é qu’il n’était pas possible de ne transmettre

qu’une partie du dossier, même après avoir retir é ou noirci certains documents. Elle précise
néanmoins avoir pu déduire des écritures et les plaidoiries de la France que les documents et
informations provenant des services de renseignement étaient indissociables de l’ensemble du
dossier. La Cour estime en conséquence que le s motifs qui ont été invoqués par le juge Clément

entrent dans les prévisions de l’article 2 c) de la convention de 1986.

La Cour ne saurait admettre, comme la Fran ce le soutient, qu’il n’y aurait eu aucune
violation de l’article17, au motif que Djibouti aurait été informé que l’article2 c) avait été

invoqué. Elle ne peut pas davantage rete nir l’argument selon lequel, Djibouti ayant eu
connaissance des motifs du refus de la demande dans le cadre de la procédure devant elle, il n’y
aurait pas eu violation de l’article17. L’obliga tion juridique de motiver le refus d’exécuter une
commission rogatoire ne saurait en effet être remplie du seul fait que l’Etat requérant a pris

connaissance des documents pertinents dans le ca dre du procès, de nombreux mois plus tard.
Aucun motif n’ayant par ailleurs été avancé dans la lettre du 6juin2005, la Cour conclut que la
France a manqué à son obligation au titre de l’article 17 de la convention de 1986. - 10 -

La Cour fait observer à ce propos que, même si elle avait acquis la conviction que la lettre du
31mai2005 avait été transmise, la simple référence à l’article 2 c) qu’elle était censée contenir

n’aurait pas suffi à satisfaire à l’obligation incombant à la France au titre de l’article17. Elle
considère que quelques brèves explications supplémen taires auraient été de mise et qu’il ne s’agit
pas là simplement d’une question de courtoisie. L’Etat requis dispose ainsi de la possibilité de
démontrer sa bonne foi en cas de refus de la demande.

La Cour observe enfin qu’un certain lien existe entre les articles 2 et 17 de la convention, en
ceci que les raisons pouvant motiver un refus d’entr aide judiciaire, raisons que l’article 17 impose
de donner, couvrent les cas énoncés à l’article2. Cependant, les articles2 et 17 prévoient des

obligations distinctes et il ne ressort pas des termes de la convention que le recours à l’article2
serait subordonné au respect de l’article17. La Cour estime dès lors que la France, bien que
n’ayant pas respecté l’article 17, pouvait se prévaloir de l’article 2 c), et que, par voie de
conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article premier de la convention.

Les violations alléguées de l’obligation de préven ir les atteintes à la personne, la liberté ou la
dignité d’une personne jouissant d’une protection internationale (par. 157-200)

Djibouti considère que la France, en adressan t des convocations à témoigner au chef de
l’Etat de Djibouti et à de hauts fonctionnaires de ce pays, a violé «l’obligation, découlant des
principes établis du droit international général et coutumier, de prévenir les atteintes à la personne,

la liberté ou la dignité d’une personne jouissant d’une protection internationale».

Les atteintes alléguées à l’immunité de juridiction ou à l’inviolabilité du chef de l’Etat de Djibouti
(par. 161-180)

Djibouti met en cause deux convocations à témoigner dans l’affaire Borrel, émises par le
juge d’instruction français Clément à l’encontre du président de la République de Djibouti, le
17 mai 2005 et le 14 février 2007 respectivement.

― La convocation à témoigner adressée au chef de l’Etat de Djibouti le 17 mai 2005

La Cour rappelle que le juge d’instruction en charge de l’affaire Borrel a adressé, le
17mai2005, par simple télécopie, à l’ambas sade de Djibouti en France, une convocation à

témoigner au président de Djibouti, alors en visite officielle en France, l’invitant à se présenter en
personne, le lendemain, à son bureau. D’après Dji bouti, outre le fait que cette convocation était
inacceptable dans la forme, elle constituait, au regard des articles 101 et 109 du code de procédure

pénale français, un élément de contrainte. Djibouti déduit par ailleurs de l’absence d’excuses et de
la non-annulation de ladite convo cation par la France que l’atteinte à l’immunité ainsi qu’à
l’honneur et à la dignité du chef de l’Etat s’est poursuivie.

La France de son côté, soutient que la c onvocation à témoigner d’un chef d’Etat étranger
comme simple témoin ne porte en aucune manière atteinte au «caractère absolu de l’immunité de
juridiction et, à plus forte raison, d’exécution, dont disposent les chefs d’Etat étrangers». Selon
elle, la convocation à témoigner du chef de l’Etat de Djibouti n’était qu’une simple invitation qui

ne lui imposait aucune obligation.

La Cour indique qu’elle a dé jà rappelé dans l’affaire du Mandat d’arrêt du 11avril2000
(République démocratique du Congo c. Belgique) «qu’il est clairement établi en droit international

que…certaines personnes occupant un rang élevé dans l’Etat, telles que le chef de l’Etat…,
jouissent dans les autres Etats d’immunités de ju ridiction, tant civiles que pénales» (arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p.20-21, par.51). Selon elle, un chef d’Etat jouit en particulier «d’une - 11 -

immunité de juridiction pénale et d’une inviolab ilité totales» qui le protègent «contre tout acte
d’autorité de la part d’un autre Etat qui ferait obstacle à l’exercice de ses fonctions» ( ibid., p.22,

par.54). Ainsi, pour apprécier s’il y a eu atteinte , ou non, à l’immunité du chef de l’Etat, il faut
vérifier si celui-ci a été soumis à un acte d’autorité contraignant ; c’est là l’élément déterminant.

En l’occurrence, la Cour constate que la convocation n’était pas assortie des mesures de

contrainte prévues par le code de procédure pénale français en son article109; il s’agissait, en
effet, d’une simple invitation à témoigner que le chef de l’Etat pouvait accepter ou refuser
librement. Par conséquent, la Cour dit qu’il n’a pas été porté atteinte, de la part de la France, aux
immunités de juridiction pénale dont jouit le chef de l’Etat.

La Cour relève cependant que le juge d’in struction Clément a adressé la convocation au
président de Djibouti sans tenir compte des procédures formelles prévues par l’article 656 du code
de procédure pénale français, qui porte sur la «déposition écrite d’un représentant d’une puissance

étrangère». La Cour considère qu’en invitant un chef d’Etat à déposer par simple télécopie et en lui
fixant d’autorité un délai extrêmement bref pour se présenter à son bureau, le juge d’instruction n’a
pas agi conformément à la courtoisie due à un chef d’Etat étranger.

Ayant pris acte de toutes les imperfections de forme entourant la convocation au regard du
droit français, la Cour considère que celles-ci ne constituent pas, en elles-mêmes, une violation par
la France de ses obligations internationales re latives à l’immunité de juridiction pénale et à
l’inviolabilité des chefs d’Etat étrangers. Elle observe néanmoins que d es excuses s’imposaient de

la part de la France.

La Cour rappelle par ailleurs que la règl e de droit internationa l coutumier reflétée à
l’article29 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiqu es selon laquelle l’Etat

d’accueil a l’obligation de protéger l’honneur et la dignité des agents diplomatiques est
nécessairement applicable aux chefs d’Etat. La Cour fait observer à ce propos que, s’il avait été
prouvé par Djibouti que des informations confidenti elles relatives à la convocation à témoigner de
son président avaient été communiquées aux médias par des instances judiciaires françaises, cela

aurait pu, dans les circonstances en question, constituer non seulement une violation du droit
français, mais aussi une violation par la France de ses obligations internationales. La Cour
reconnaît cependant qu’elle ne dispose d’aucune pr euve convaincante établissant que les instances
judiciaires françaises sont à l’origine de la diffusion des informations confidentielles en question.

― La convocation à témoigner adressée au chef de l’Etat de Djibouti le 14 février 2007

Eu égard à cette seconde convocation, la Cour constate qu’elle a été e ffectuée en suivant la

procédure prévue à l’article 656 du code de procédur e pénale français et donc dans le respect de la
législation française. Elle note que l’agrément du chef d’Etat est ici expressément sollicité pour
cette demande de témoignage, qui a été transmis e par l’intermédiaire des autorités et selon les
formes prévues par la loi. La Cour estime en c onséquence que cet acte n’a pu porter atteinte aux

immunités de juridiction du chef de l’Etat de Djibouti.

S’agissant de l’argument de Djibouti selon lequel la communication aux médias, en violation
du secret de l’instruction, d’informations conf identielles relatives à cette seconde convocation à

témoigner doit être considérée comme une atteinte à l’honneur ou à la dignité de son chef de l’Etat,
la Cour indique à nouveau ne disposer d’aucune preuve convaincante établissant que les instances
judiciaires françaises sont à l’origine de la diffusion des informations confidentielles en question.

Les atteintes alléguées aux immunités prétendument du es au procureur de la République et au chef
de la sécurité nationale de Djibouti (par. 181-200)

La Cour se penche sur les quatre convocati ons à témoigner en qualité de témoins assistés

adressées en 2004 et 2005 par des magistrats français à de hauts fonctionnaires djiboutiens,
MM. Djama Souleiman Ali et Hassan Said Khaireh, respectivement procureur de la République et - 12 -

chef de la sécurité nationale de Djibouti. Se lon Djibouti, ces convocations violent des obligations
internationales en matière d’immunités, tant c onventionnelles que découlant du droit international

général.

La Cour rappelle que dans le cas de convocations à témoigner en qualité de témoins assistés,
l’hypothèse envisagée par le droit français est celle où des soupçons pèsent sur la personne

concernée sans que ceux-ci soient considérés comme suffisants pour procéder à sa «mise en
examen». L’intéressé est alors dans l’obligation de se présenter devant le juge sous peine d’y être
contraint par la force publique (art. 109 du code de procédure pénale français).

Djibouti a tout d’abord soutenu que le procureur de la République et le chef de la sécurité
nationale bénéficiaient d’immunités de juridiction pénale et de l’inviolabilité, à titre personnel,
avant d’exclure cette thèse au cours de la procédur e orale. Il s’est alors placé sur le terrain «des
immunités fonctionnelles, ou ratione materiae ». Selon Djibouti, c’est un principe de droit

international que nul ne peut être tenu pénaleme nt responsable des actes accomplis à titre d’organe
de l’Etat, et si un tel principe connaît quelques exceptions, il ne fait aucun doute que ces dernières
ne jouent pas en l’espèce. La Cour relève que la thèse soutenue par Djibouti revient, en substance,
à invoquer l’immunité de l’Etat djiboutien, dont le procureur de la République et le chef de la

sécurité nationale seraient censés bénéficier.

La France, en réponse à cette nouvelle formulati on de la thèse de Djibouti, a indiqué que les
immunités fonctionnelles n’étant pas absolues, il appartenait à la justice de chaque pays

d’apprécier, en cas de poursuites pénales à l’encontre d’une personne, si celle-ci, du fait des actes
de puissance publique accomplis par elle dans le ca dre de ses fonctions, devait bénéficier, en tant
qu’agent de l’Etat, de l’immun ité de juridiction pénale reconnue aux Etats étrangers. Selon la
France, les deux hauts fonctionnaires concernés ne se sont jamais prévalus, devant le juge pénal

français, des immunités invoquées en leur nom par Djibouti.

La Cour note avant tout qu’il n’a pas été «concrètement vérifié» deva nt elle que les actes à
l’origine des convocations à témoigner adressées aux intéressés en qualité de témoins assistés par la

France étaient effectivement des actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions en tant
qu’organes de l’Etat. La Cour remarque ensuite qu’il ne ressort pas clairement du libellé des
conclusions finales de Djibouti que l’argum ent selon lequel M.Djama Souleiman Ali et
M. Hassan Said Khaireh bénéficiaient d’immunités fonctionnelles en tant qu’organes de l’Etat

constitue encore la thèse unique ou la thèse principale avancée par Djibouti.

La Cour constate qu’il n’existe en droit inte rnational aucune base permettant d’affirmer que
les fonctionnaires concernés étaient admis à bénéficier d’immunités personnelles, étant donné qu’il

ne s’agissait pas de diplomates au sens de la convention de Vienne de1961 sur les relations
diplomatiques et que la convention de 1969 sur les missions spéciales n’est pas applicable.

La Cour fait aussi observer qu’à aucun moment les juridictions françaises (devant lesquelles

on aurait pu s’attendre à ce que l’immunité de juridiction fût soulevée), ni d’ailleurs la Cour, n’ont
été informées par le Gouvernement de Djibouti que les actes dénoncés par la France étaient des
actes de l’Etat djiboutien, et que le procureur de la République et le chef de la sécurité nationale
constituaient des organes, établissements ou organismes de celui-ci chargés d’en assurer

l’exécution.

La Cour souligne que l’Etat qui entend invoquer l’immunité pour l’un de ses organes est
censé en informer les autorités de l’autre Etat concerné, permettant ainsi à la juridiction de l’Etat du

for de s’assurer qu’elle ne méconnaît aucun droit à l’immunité, méconnaissance qui pourrait
engager la responsabilité de cet Etat. Au surplus, l’Etat qui demande à une juridiction étrangère de
ne pas poursuivre, pour des raisons d’immunité, une procédure judiciaire engagée à l’encontre de

ses organes, assume la responsabilité pour tout acte internationalement illicite commis par de tels
organes dans ce contexte. - 13 -

Compte tenu de tous ces éléments, la Cour re jette la sixième et la septième conclusions
finales de Djibouti.

Remèdes (par. 201-204)

Ayant conclu que les motifs que la France a invoqués, de bonne foi, au titre de l’article 2 c)
entrent dans les prévisions de la convention de 1986, la Cour n’ordonne pas la communication du
dossier Borrel expurgé de certaines pages, comme Djibouti l’a demandé à titre subsidiaire. N’ayant
aucune connaissance du contenu de ce dossier, la Cour estime qu’elle n’aurait en tout état de cause

pas été en mesure d’ordonner une telle communication.

S’agissant des remèdes possibles à la violation, de la part de la France, de son obligation

découlant de l’article17 de la convention de1986 envers Djibouti, la Cour n’ordonne pas la
publication des motifs indiqués dans le soit-transmis du jugeClément, à l’origine du refus de la
demande d’entraide judiciaire, ceux-ci ayant été re ndus publics entre-temps. La Cour considère
que sa conclusion selon laquelle la France a viol é cette obligation constitue une satisfaction

appropriée.

Dispositif (par. 205)

mcotis,

L A C OUR ,

1) S’agissant de la compétence de la Cour,

a) A l’unanimité,

Dit qu’elle a compétence pour statuer sur le di fférend relatif à l’exécution de la commission
rogatoire adressée par la République de Djibouti à la République française le 3 novembre 2004 ;

b) Par quinze voix contre une,

Dit qu’elle a compétence pour statuer sur le di fférend relatif à la convocation en tant que
témoin, adressée le 17 mai 2005 au président de la République de Djibouti, et aux convocations en

tant que témoins assistés, adressées les3 et 4novembre2004 et 17juin2005 à deux hauts
fonctionnaires djiboutiens ;

POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,

Koroma, Buergenthal, Owada, Simma, To mka, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna,
Skotnikov, juges ; MM. Guillaume, Yusuf, juges ad hoc ;

CONTRE : M. Parra-Aranguren, juge ;

c) Par douze voix contre quatre,

Dit qu’elle a compétence pour statuer sur le di fférend relatif à la convocation en tant que

témoin, adressée le 14 février 2007 au président de la République de Djibouti ;

POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Shi, Koroma,
Buergenthal, Owada, Simma, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges ;

M. Yusuf, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Ranjeva, Parra-Aranguren, Tomka, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ; - 14 -

d) Par treize voix contre trois,

Dit qu’elle n’a pas compétence pour statuer su r le différend relatifaux mandats d’arrêt
délivrés le 27 septembre 2006 à l’encontre de deux hauts fonctionnaires djiboutiens ;

POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,

Koroma, Parra-Aranguren, Buergenthal, Si mma, Tomka, Keith, Sepúlveda-Amor,
Bennouna, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Owada, Skotnikov, juges ; M. Yusuf, juge ad hoc ;

2) S’agissant des conclusions finales présentées par la République de Djibouti au fond,

a) A l’unanimité,

Dit que la République française, en ne motivant pas le refus qu’elle a adressé à la République
de Djibouti d’exécuter la commission rogatoir e présentée par celle-ci le 3novembre2004, a
manqué à son obligation internationale au titre de l’ article 17 de la convention d’entraide judiciaire

en matière pénale entre les deux Parties, si gnée à Djibouti le 27septembre1986, et que la
constatation de cette violation constitue une satisfaction appropriée ;

b) Par quinze voix contre une,

Rejette le surplus des conclusions finales présentées par la République de Djibouti.

POUR : Mme Higgins, président ; M. Al-Khasawneh, vice-président ; MM. Ranjeva, Shi,
Koroma, Parra-Aranguren, Buergenthal, Owada, Simma, Tomka, Keith,
Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, juges ; M. Guillaume, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Yusuf, juge ad hoc.»

*

MM. les juges Ranjeva, Koroma et Parra-Ara nguren joignent à l’arrêt les exposés de leur
opinion individuelle; M. le juge Owada joint une déclaration à l’arrêt; M.le juge Tomka joint à
l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges Keith et Skotnikov

joignent des déclarations à l’arrêt; M. le juge ad hoc Guillaume joint une déclaration à l’arrêt;
M. le juge ad hoc Yusuf joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.

___________ Annexe au résumé n 2008/2

Opinion individuelle de M. le juge Ranjeva

De l’opinion de M.Raymond Ranjeva, l’arrêt n’a pas respecté les exigences du forum
prorogatum lorsque, en considérant la seconde commission rogatoire, objet de la seconde

convocation en date du 14févrie r2007comme relevant de sa co mpétence, il a étendu celle-ci
ratione materiae. Si, en fait, les irrégularités qui ont entachées la première commission rogatoire
expliquent l’émission de la seconde convocation, il n’en demeure pas moins en droit que ce dernier
acte judiciaire est autonome.

En effet, pour que la seconde commission roga toire ait une existence juridique, il a fallu un
choix discrétionnaire du juge d’instruction, un act e de volonté et une nouvelle décision judiciaire.
M. Ranjeva estime que l’arrêt est arrivé à cette c onclusion lorsqu’il s’est départi de la définition de

l’objet du différend telle qu’indiquée dans la requê te pour s’attacher au contraire à la définition
exposée dans le mémoire ampliatif: «en violati on des obligations…» (cf. la requête) de la
convention d’entraide judiciaire ne signifie pas, en français, langue officielle des deux Parties
«ainsi que les violations des obligations internationales» (cf. mémoire ampliatif). Dans le cas

d’espèce, la définition de l’objet du différend selon les termes employés dans la requête est le point
d’ancrage du consentement du défendeur. Da ns le doute, l’exégèse des termes de la requête
s’imposait, ce que l’arrêt ne fait pas. Ainsi, contrairement aux règles du forum prorogatum, l’arrêt
a substitué l’entièreté du différend au différend justiciable lorsqu’il a prorogé la compétence ratione

materiae de la Cour.

Opinion individuelle de M. le juge Koroma

Dans son opinion individuelle, le juge Koroma indique qu’il a souscrit aux paragraphes du
dispositif pour diverses raisons, parmi lesquelle s la décision de la France de donner son
consentement au titre du paragraphe5 de l’artic le38 du Règlement de la Cour, ce qui a permis

ainsi à celle-ci d’exercer sa compétence en l’espèce.

Selon le juge Koroma, la question soumise à la Cour n’est pas de savoir si l’Etat partie à la
convention d’entraide judiciaire en matière pé nale de1986 est dispensé de l’exécution de ses

obligations dans certaines circons tances, mais plutôt de savoir si, en appliquant cette convention
dans le contexte d’une enquête portant sur l’assassinat d’un ressortissant de l’une des parties à la
convention, il ne faudrait pas tenir compte du tra ité d’amitié et de coopération signé entre les deux
Parties en1977, en particulier lorsque le traité est invoqué non pas dans l’intention d’entraver

l’enquête ou d’y faire échec mais de contribuer à celle-ci. Permettre aux Parties d’invoquer le
traité de cette manière non seulement sert leurs in térêts, mais s’accorde ég alement avec l’objet, le
but et l’esprit de celui-ci, puisque toutes deux ont intérêt à découvrir les faits et les circonstances
qui entourent la mort du juge Borrel.

Le juge Koroma signale également dans son opinion individuelle que, outre l’obligation de
coopérer qui incombe aux deux parties au traité de 1977, celui-ci reconnaît également l’égalité et le
respect mutuel comme fondements des relations entr e les deux pays. En appliquant la convention

de 1986, il aurait fallu tenir dûment compte de ces pr incipes, en particulier lorsque Djibouti, dans
un esprit de coopération, d’égalité et de respect mutuel, avait accédé à la demande de la France
d’exécuter les commissions rogatoires internatio nales concernant l’enquête sur la mort du
juge Borrel, en permettant l’accès aux documents, témoins et sites nécessaires, y compris au palais

présidentiel à Djibouti. Par ailleurs, si Djibouti avait refusé une telle coopération en n’exécutant
pas les commissions rogatoires de la France, non seulement cette attitude aurait été considérée
comme une violation de son obligation de coopérer à cette enquête, mais elle aurait donné lieu à
des inférences défavorables quant à sa culpabilité. - 2 -

Le juge rappelle en outre que la partie à un traité ne saura it invoquer les dispositions de son
droit interne comme justification pour ne pas s’acquitter de son obliga tion, comme l’a fait le

défendeur en affirmant qu’en s’acquittant de l’ obligation qui lui incombe aux termes de la
convention d’entraide judiciaire en matière pénale de 1986 en vigueur entre les deux pays, il devait
respecter son droit interne.

Selon le juge Koroma, la Cour aurait dû tenir compte du principe de la réciprocité ⎯ un
principe inhérent aux traités bilatéraux, comme la convention de1986, et figurant dans les traités
de ce genre. Il souligne que l’Etat conclut dans une relation conventionnelle en comptant sur le fait
que l’autre partie s’acquittera de ses propres ob ligations conventionnelles. En conséquence,

Djibouti était en droit d’escompter que la France respecterait, sur la base de la réciprocité, la
demande de celui-ci visant à ce qu’elle exécute la commission rogatoire qu’il lui avait adressée,
puisqu’il avait accueilli précédemment la demande de la France ayant le même objet, à savoir

l’enquête sur la mort du juge Borrel.

Le juge Koroma estime que le magistrat français a violé l’obligation de respecter la dignité et
l’honneur du chef de l’Etat de Djibouti, non seulement lorsque elle lui a fait parvenir, par télécopie,
les convocations à témoigner en lui accordant un court délai pour se présenter à son bureau, mais

également lorsque ces convocations ont été révélées à la presse. Le juge signale que le droit
international impose aux Etats accréditants l’obligation de respecter l’inviolabilité, l’honneur et la
dignité des chefs d’Etat ⎯à savoir l’immunité contre toute ingérence, peu importe que l’on

invoque la loi ou un droit ou quoi que ce soit d’autre ⎯ et évoque l’obligation spécifique de les
protéger contre une telle ingérence ou une simple insu lte de la part de l’Etat accréditant. Il estime
que les faits reprochés ne soulevaient pas simplement des questions de courtoisie : il s’agissait de
l’obligation d’assurer l’immunité du chef de l’Et at contre une procédure juridique. Selon le

juge Koroma, lorsque la Cour est parvenue à la conclusion qu’il y avait violation et que des excuses
constituaient le remède approprié, ce point aurait dû figurer dans le paragraphe du dispositif à titre
de conclusion de la Cour, puisqu’un tel paragraphe a une importance juridique en soi ainsi que pour

la partie en faveur de laquelle la Cour s’est prononcée et qui est en droit de la voir exécutée.

Opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren

1. Le fait que le juge Parra-Ara nguren ait voté en faveur des alinéas1 a), 1 d) et 2 du
paragraphe 205 de l’arrêt ne signifie pas qu’il souscrive à toutes les
étapes du raisonnement qui ont
permis à la Cour de parvenir à ses conclusions. En raison du temps limité dont il a disposé pour
présenter son opinion individuelle dans le délai fixé par la Cour, le juge Parra-Aranguren n’a pas

été en mesure d’exposer en détail son désaccord avec les alinéas 1 b) et 1 c) du paragraphe 205. Il
a cependant formulé certaines des raisons principales qui l’ont conduit à voter contre ces décisions.

2. Dans sa requête, Djibouti entendait fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe5
de l’article 38 de son Règlement. Par une lettre de son ministre d es affaires étrangères en date du
25juillet2006, la France a informé la Cour qu ’elle acceptait «[s]a compétence…pour connaître
de la requête en application et sur le seul fondement de l’article 38, paragraphe 5» du Règlement de

la Cour, précisant que cette acceptation ne valait qu e «pour le différend qui fai[sait] l’objet de la
requête et dans les strictes limites des demand es formulées dans celle-ci par la République de
Djibouti».

3. Selon la France, la Cour n’a compétence que pour statuer sur «le différend qui fait l’objet
de la requête» tel que défini au paragraphe 2 de ladite requête, c’est-à-dire, - 3 -

«le refus des autorités gouvernementales et judiciaires françaises d’exécuter une
commission rogatoire internationale concernant la transmission aux autorités

judiciaires djiboutiennes du dossier relatif à la procédure d’information relative à
l’Affaire contre X du chef d’assassinat sur la personne de Bernard Borrel et ce, en
violation de la convention d’entraide j udiciaire en matière pénale entre le
Gouvernement de République de Djibouti et le Gouvernement de la République

française du 27septembre 1986, ainsi qu’en violation d’autres obligations
internationales pesant sur la République française envers la République de Djibouti».

4. Djibouti soutient, par contre, que «le différe nd qui fait l’objet de la requête» et à l’égard
duquel la France a accepté la compétence de la Cour porte non seulement sur le refus des autorités
françaises d’exécuter la commission rogatoire émise le 3 novembre 2004, mais aussi sur toutes les
violations par la France de son obligation de prév enir les atteintes à la personne, la liberté et la

dignité du chef de l’Etat, du procureur général et du chef de la sécurité nationale de Djibouti.

5. En se prononçant sur sa compétence ratione materiae dans son arrêt, la Cour retient la

thèse de Djibouti.

6. La Cour estime que l’objet du différend peut êt re dégagé de la lectur e de la requête dans
son ensemble et fait observer : que le paragraphe 2 de la requête de D jibouti, intitulé «objet du

différend», ne mentionne aucune autre question que Djibouti entend également porter devant la
Cour, à savoir les différentes convocations adressé es au président de Djibouti et à deux hauts
fonctionnaires djiboutiens ; que lesdites convocations sont mentionnées dans la requête de Djibouti

sous les rubriques «moyens de droit» et «nature de la demande» ; que,

«en dépit d’une description sommaire de l’objet du différend au deuxième paragraphe
de la requête, celle-ci, prise dans son ense mble, a un objet plus large qui inclut la
convocation adressée au président de Djibouti le 17mai2005 et celles adressées à

d’autres responsables djiboutiens les 3 et 4 novembre 2004» ;

et que la France, lorsqu’elle a adressé sa lettre du 25juillet2006 à la Cour, avait une parfaite
connaissance des demandes formulées par Djibouti dans sa requête, mais qu’elle n’a pas cherché à

exclure de la compétence de la Cour certains aspects du différend faisant l’objet de la requête.

7. Le juge Parra-Aranguren est d’avis que la France n’a pas, en la présente espèce, consenti à

la compétence de la Cour à l’égard de toutes les demandes énoncées dans la requête de Djibouti
car, si tel avait été le cas, elle se serait content ée, dans sa lettre du 25 juillet 2006, de déclarer, sans
autre précision, qu’elle acceptait que la Cour st atue sur la requête de Djibouti. Selon le
jugeParra-Aranguren, la requête de Djibouti est évoquée en des te rmes généraux dans le premier

paragraphe de la lettre de la Fr ance, mais pas dans le deuxième, dans lequel la France exprime son
consentement limité à la compétence de la Cour. En conséquence, la France n’a pas accepté que la
Cour se prononce sur toutes les demandes que Dji bouti mentionne dans sa requête mais seulement
sur certaines d’entre elles, à savoir celles qui se rapportent au «différend qui fait l’objet de la

requête» et «dans les strictes limites des demandes formulées» par Djibouti. Aussi, contrairement à
la conclusion énoncée dans la dernière phrase du pa ragraphe83 de l’arrêt, la déclaration de la
France, «considérée comme un tout», interprétée «en harmonie avec la manière naturelle et

raisonnable de lire le texte», condu it à conclure que l’intention rée lle de la France était de ne
consentir à la compétence de la Cour qu’à l’égar d du «différend qui fait l’ob jet de la requête», tel
que défini de manière unilatérale par Djibouti au paragraphe 2 de ladite requête. - 4 -

8. De plus, le juge Parra-Aranguren fait obser ver que, dans le deuxième paragraphe de sa
lettre en date du 25 juillet 2006, la France a accep té que la Cour se prononce sur «le différend qui

fait l’objet de la requête», et non sur la requête dans son ensemble. La France a donc consenti à la
compétence de la Cour à l’égard du différend tel que défini par Djibouti n on pas dans la requête
dans son ensemble mais seulemen t au paragraphe2, sous la r ubrique «objet du différend», dans
lequel il n’est fait mention d’aucune prétendue violation par la France de son obligation de prévenir

les atteintes à la personne, la liberté ou la dignité du chef de l’Etat, du procureur général ou du chef
de la sécurité nationale de Djibouti. En conséquence, selon le juge Parra-Aranguren, ces
prétendues violations ne font pas partie du «différend qui fait l’objet de la requête» —qui est le
seul sur lequel la France a accepté que la Cour statue —et, partant, cette dernière n’a pas

compétence pour se prononcer sur elles.

9. En outre, le juge Parra-Aranguren relève que, aux paragraphes1 et 22 de sa requête,

Djibouti définit l’«objet du différend» en des term es similaires à ceux empl oyés au paragraphe2.
Ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt, Djibouti mentionne les convocations émises par la France en
violation de ses obligations internationales sous le s rubriques «moyens de droit» et «nature de la
demande». Le juge Parra-Aranguren fait cepe ndant observer que lesdites convocations sont

également mentionnées dans la requête sous l es rubriques «exposé des faits» et «exposé des
moyens sur lesquels repose la demande» et que, ce nonobstant, la dernière partie de la requête, sous
la rubrique «compétence de la Cour et recevab ilité de la présente requête», définit l’«objet du
différend» de la même manière qu’au paragraphe 2.

10. Compte tenu de ce qui précède, le juge Parra-Aranguren est d’avis que «le différend qui
fait l’objet de la requête» auquel la France fait référence dans le deuxième paragraphe de sa lettre

en date du 25 juillet 2006 doit être entendu comme étant celui défini au paragr aphe 2 de la requête
de Djibouti, sous la rubrique «objet du différend», ainsi qu’aux paragraphes 1 et 22.

11. Enfin, le juge Parra-Arangur en relève que les documents I, III ou IV joints à la requête
de Djibouti — à savoir la lettre du 4 janvier 2006 adressée au président de la Cour internationale de
Justice par M.Djama Souleiman Ali, procureur de la République de Djibouti; la «délégation de
pouvoirs» signée par le président de la République de Djibouti le 28 décembre 2005 ; et une lettre

non datée adressée au président de la Cour interna tionale de Justice par le ministre des affaires
étrangères et de la coopération internationale de la République de Djibouti— ne font nullement
mention de prétendues violations par la France de son obligation de prévenir les atteintes à la
personne, la liberté ou la dignité du chef de l’Etat , du procureur général ou du chef de la sécurité

nationale de Djibouti. Le juge Parra-Aranguren est donc d’avis qu e l’on peut conclure du silence
du procureur de la République de Djibouti, de so n président et de son ministre des affaires
étrangères et de la coopération internationale qu’aucun d’entre eux ne considérait que «le différend
qui fait l’objet de la requête» portait égalemen t sur de quelconques prétendues violations par la

France de son obligation de prévenir les atteintes à la personne, la liberté ou la dignité du chef de
l’Etat, du procureur général ou du chef de la sécurité nationale de Djibouti.

12. Les raisons sus-indiquées ont conduit le j uge Parra-Aranguren à conclure que la Cour
n’avait pas compétence ratione materiae pour se prononcer sur les demandes formulées par
Djibouti mais ne figurant pas au paragraphe 2 de sa requête. Par conséquent, c’est principalement
parce que la Cour n’a pas compétence, et non pour les motifs exposés dans l’arrêt, qu’il a voté en

faveur des alinéas 1) d) et 2) b). - 5 -

Déclaration de M. le juge Owada

Le juge Owada joint une brève déclaration à l’a rrêt. Dans cette déclaration, il explique la
raison qui l’a conduit à voter contre l’alinéa 1 d) du dispositif, lequel a trait à la compétence de la
Cour pour statuer sur le différend relatif aux mandats d’arrêt délivrés le 27septembre2006 à
l’encontre de deux hauts fonctionnaires djiboutiens.

Selon le juge Owada, s’il est vrai que, «[p]our que la Cour soit compétente sur la base d’un
forum prorogatum, l’élément de consentement doit être e xplicite ou pouvoir être clairement déduit
de la conduite pertinente de l’Etat» (arrêt, par. 62), la mission de la Cour en l’espèce devrait être la

même qu’en une affaire fondée sur deux déclarations faites en vertu de la clause facultative,
attendu que le défendeur a, dans sa lettre du 25juillet2006 rela tive à la requête du demandeur,
donné expressément et par écrit son consentement à la compétence de la Cour en la présente
affaire. Dès lors, il ne lui incombe que d’interp réter et d’appliquer les deux documents pertinents

afin que l’étendue du consentement commun des Parties puisse être définie avec précision à partir
des éléments convergents desdits documents.

Toutefois, en se prononçant sur la question de savoir si elle a compétence pour connaître des

événements qui se sont produits après le dépôt de la requête — à savoir la convocation à témoigner
adressée en 2007 au président de Djibouti et les ma ndats d’arrêt décernés en 2006 à l’encontre des
hauts fonctionnaires djiboutiens—, la Cour s’écarte, dans le présent arrêt, du critère établi par sa
jurisprudence et consistant à déterminer si les faits ou événements posté rieurs au dépôt d’une

requête sont indissociablement liés aux faits ou événements relevant expressément de sa
compétence, de sorte qu’ils puissent entrer dans le champ de l’objet du différend (voir, par
exemple, Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c.Islande) ; LaGrand (Allemagne
c. Etats-Unis d’Amérique) ; et Mandat d’arrêt du 11avril2000 (République démocratique du

Congo c.Belgique)). En la présente espèce, la Cour opère une distinction en indiquant dans son
arrêt que, «[d]ans aucune de ces affaires [s]a compétence…n’était fondée sur un forum
prorogatum» et que, «[b]ien que ces mandats d’a rrêt puissent être perçus comme un moyen
d’exécuter les convocations à témoigner, ils repr ésentent de nouveaux actes juridiques au sujet

desquels la France ne peut être considérée comme ayant accepté implicitement [s]a compétence».
Sur ce fondement, la Cour conclut que, «[p]ar conséquent, les demandes relatives aux mandats
d’arrêt concernent des questions qui n’entren t pas dans le champ de [s]a compétence ratione

materiae» (arrêt, par.88), tandis que la seconde convocation adressée au président, qui était une
«répétition de la précédente» et donc «en substa nce … la même convocation» (arrêt, par. 91),
relève de sa compétence.

Selon le juge Owada, la question est, dans les deux cas, la même. Il s’agit de savoir si les
actes postérieurs au dépôt de la requête entrent da ns le champ de l’acceptation par la France de la
compétence ratione materiae de la Cour, tel qu’il peut être déduit des termes employés par la
France dans sa lettre du 25 juillet 2006, et en par ticulier de l’expression «pour le différend qui fait

l’objet de la requête et dans les strictes lim ites des demandes formulée s dans celle-ci par la
République de Djibouti» (arrêt, par.77). Dès lo rs, les jurisprudences de la Cour susmentionnées
sont pertinentes, en la présente espèce, aux fins de déterminer l’étendue de la compétence acceptée
par la France dans sa lettre du 25 juillet 2006.

En conséquence, le juge Owada ne saurait souscrire à l’arrêt en ce qu’il s’écarte de la
jurisprudence bien fixée de la Cour sur la qu estion de l’étendue de l’«objet du différend» en
retenant un nouveau critère qui consiste à établir si les événements postérieurs au dépôt de la

requête étaient ou non de «nouveaux actes juridiques» (arrêt, par. 88). - 6 -

Opinion individuelle de M. le juge Tomka

Le juge Tomka dans son opinion i ndividuelle traite de la question du forum prorogatum et
explique que dans ce cas là pour déterminer l’étendue de la compétence de la Cour il faut
interpréter l’accord des parties conclu par des act es unilatéraux: la requê te du demandeur et la
réponse du défendeur. Il indique que c’était le demandeur qui a introduit dans sa requête une

contradiction entre l’objet du différend spécifié expressis verbis et les demandes qui ne
correspondaient pas entièrement à l’objet du diffé rend tel que circonscrit pa r le demandeur. Il
présente les arguments qu’il était possible pour la Cour de conclure que sa compétence était limitée
au refus de la France d’exécuter une commission roga toire internationale de Djibouti. Au vu de la

réponse de la France, un peu elliptique, à la requête de Djibouti, il était aussi possible à la Cour de
parvenir à la conclusion que sa compétence ratione materiae est plus large et inclut les invitations à
témoin envoyées au chef de l’Etat et certains hauts fonctionnaires djiboutiens. La majorité a décidé
en faveur de cette compétence plus large et le juge Tomka s’est rallié à cette majorité. Mais il ne

pouvait pas souscrire à la conclusion sur un aspect de la compétence ratione temporis. Pour lui
cette compétence est limitée aux demandes formulé es dans la requête rela tive aux faits qui sont
survenus avant le dépôt de la requête, le 9 janvier 2006, mais pas aux demandes relatives aux faits
survenus après le dépôt de la requête. La Fr ance a accepté la compétence “pour le différend qui

fait l’objet de la requête et dans les strictes limites des demandes formulées dans celle-ci”.

Le juge Tomka note qu’afin d’éviter des probl èmes de l’étendue de la compétence, il est
toujours préférable pour les Etats de conclure un compromis soumettant des questions agrées par

les Parties à la Cour pour qu’elle les tranche.

Déclaration de M. le juge Keith

Le juge Keith explique, dans sa déclaration, pourquoi il conclut que la France, en la personne
du juge d’instruction, n’a pas exercé son pouvoi r de ne pas faire droit à la demande prévu à
l’article 2 c) de la convention de1986 conformément au but de la convention et aux principes de

droit pertinents. En particulier, le juge n’a pas envisagé express ément la possibilité de transmettre
une partie du dossier ou de suggérer à Djibouti de reformuler sa requête. Le juge Keith n’en est pas
pour autant amené à conclure, pour les raisons qu’il expose, que le dossier devrait être transmis à
Djibouti.

Déclaration de M. le juge Skotnikov

Le juge Skotnikov ne souscrit pas à l’interpré tation que fait la Cour du consentement de la
France à sa compétence comme excluant des faits découlant directement des questions qui font
l’objet de la requête de Djibouti mais survenus ap rès le dépôt de celle-ci. Les demandes contenues
dans la requête de Djibouti à l’égard desquelles, selon la Cour, la France a accepté sa compétence,

se rapportent au différend en cours. En expriman t son consentement, la France n’a pas «gelé» ce
différend. Le juge Skotnikov estime que la Cour aurait dû juger qu’elle avait compétence à l’égard
des mandats d’arrêts décernés à l’encontre de deux hauts fonctionnaires djiboutiens le
27septembre2006. Cela aurait été conforme à sa jurisprudence, qu’elle a cependant écartée au

motif que sa compétence en la présente affaire était fondée sur la règle du forum prorogatum. Le
juge Skotnikov estime, quant à lui, que cette jurisprudence est pertinente en la présente espèce ainsi
que, d’une manière générale, dans l es affaires où est en jeu la règle du forum prorogatum. Pour
l’ensemble de ces raisons, le juge Skotnikov a voté contre l’alinéa 1 d) du dispositif. - 7 -

Pour des raisons identiques, il a voté en faveur de la décision de la Cour énoncée à
l’alinéa 1 c) du dispositif, selon laquelle elle a compétence pour statuer sur le différend relatif à la

convocation en tant que témoin, adressée le 14 février2007 au président de la République de
Djibouti (soit après le dépôt de la requête). T outefois, le juge Skotnikov ne souscrit pas au
raisonnement de la Cour sur ce point.

Le juge Skotnikov émet des réserves sur la conclusion de la Cour selon laquelle, s’il avait été
établi que l’information concernant les deux i nvitations à déposer adressées au président de
Djibouti avait été communiquée aux médias par des instances judiciaires françaises, cela aurait pu
constituer une violation par la France de ses obligations internationales (voir arrêt, par. 176 et 180).

Selon lui, communiquer aux médias des informations relativement à ces actes de procédure
⎯lesquels, ainsi que l’a indiqué la Cour, ne constituent pas une vi olation de l’article29 de la
convention de Vienne sur les relations diplomatiques ⎯ ne saurait être considéré comme une

violation de cette même disposition. En outre , le juge Skotnikov signale que l’article29 se
rapporte à l’inviolabilité de la personne du chef de l’Etat. Cette disposition ne protège pas les
intéressés contre des commentaires défavorables dans les médias. Il partage l’avis de la Cour selon
lequel «pour apprécier s’il y a eu atteinte, ou non, à l’immunité du chef de l’Etat, il faut vérifier si

celui-ci a été soumis à un acte d’autorité contraig nant; c’est là l’élément déterminant». Une
campagne médiatique dirigée contre un chef d’Etat étranger, quand bien même serait-elle fondée
sur des fuites des autorités de l’Etat d’accueil, ne saurait en elle-même être considérée comme un
acte d’autorité contraignant. Le jugeSkotnikov conclut que, compte tenu des circonstances, s’il

avait été prouvé en l’espèce que l’information pertinente avait été communiquée à la presse par des
instances judiciaires françaises, cela aurait pu constituer un manquement par la France à son
obligation d’agir conformément à la courtoisie due à un chef d’Etat étranger et non une violation de
ses obligations découlant du droit international.

Déclaration de M. le juge ad hoc Guillaume

La France a en l’espèce accepté la compétence de la Cour selon la procédure prévue par le
paragraphe5 de l’article38 du Rè glement de la Cour, tout en précisant que cette acceptation «ne
vaut qu’aux fins de l’affaire … c’est-à-dire pour le différend qui fait l’objet de la requête et dans les
strictes limites des demandes formulées dans celle-ci».

La Cour est de ce fait incompétente pour connaître des demandes de Djibouti non formulées
dans la requête et concernant des décisions prises par les juges d’instruction français

postérieurement au dépôt de celle-ci. Il en est ainsi, comme le Cour en a jugé, de la demande
concernant les mandats d’arrêt délivrés le 27septembre2006 à l’encontre de deux hauts
fonctionnaires djiboutiens. Mais la même so lution s’imposait pour la demande visant la
convocation du chef d’Etat djiboutien du 14 février 2007.

La France avait par ailleurs limité son accepta tion de la compétence de la Cour au différend
faisant l’objet de la requête de Djibouti. Ce diffé rend avait été défini de manière fort confuse dans

la requête et la France avait légitimement pu comprendre qu’il concernait exclusivement le refus
d’entraide judiciaire qu’elle avait opposé à Djibouti. Aussi bien la Cour elle-même a-t-elle intitulé
l’affaire «Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale».

En définitive la Cour a cependant préféré donne r de la requête une interprétation large en
estimant qu’elle avait également pour objet les convocations comme témoins ou témoins assistés
envoyées par les juges d’instruction avant l’in troduction de la requête. Cette solution est
compréhensible, mais me paraît de mauvaise jurisprudence. Elle risque en effet d’encourager la - 8 -

présentation de requêtes rédigées, parfois volont airement, sans qu’un minimum de rigueur soit
observé et de décourager le recours au paragraphe 5 de l’article 38 du règlement. Je m’y suis rallié

dans l’intérêt des relations franco-djiboutiennes en vue de vider plus complètement le litige, tout en
exprimant ici mes regrets et mes craintes.

Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Yusuf

La Cour a décidé de reconnaître sa compétence pour statuer non seulement sur le différend
relatif à l’exécution de la commission rogatoire adr essée par la République de Djibouti à la France

le 3novembre2004, mais aussi sur ceux concerna nt les convocations à témoigner adressées au
président de la République de Djibouti (le 17 ma i 2005 et le 14 février 2007), ainsi qu’à des hauts
fonctionnaires djiboutiens (les 3 et 4 novembre 2004 et le 17 juin2005), et je m’en félicite. Je ne
souscris pas en revanche à la décision de la Cour, selon laquelle elle n’a pas compétence pour

statuer sur le différend relatif aux mandats d’arrê t délivrés le 27septembre2006 à l’encontre de
deux hauts fonctionnaires djiboutiens. A mon avis, la Cour aurait dû appliquer les mêmes critères
aux deux faits postérieurs à la date du dépôt de la requête (les mand ats d’arrêt délivrés à l’encontre
des deux hauts fonctionnaires djiboutiens et la c onvocation du 14 février 2007 adressée au chef de

l’Etat djiboutien).

Je partage entièrement la décision de la C our, selon laquelle la France a manqué à son
obligation internationale au titre de l’article17 de la convention de 1986 en ne motivant pas son

refus d’exécuter la demande de commission rogatoire présentée par Djibouti le 3novembre2004.
J’estime toutefois que l’étendue de la violation pa r la France de ses obligations au titre de la
convention de 1986 est beaucoup plus large et concerne également ses articlespremier,
paragraphes 1, 2, alinéa c) et 3, paragraphe 1.

A mon avis, en refusant, à deux reprises, d’accéder aux demandes d’entraide judiciaire
présentées par la République de Djibouti, la France n’a pas accordé à cet Etat l’entraide judiciaire
«la plus large possible», conformément à l’article prem ier, paragraphe 1, de la convention. Elle a,

par conséquent, engagé sa responsabilité interna tionale. En l’absence de réciprocité et de
coopération mutuelle, la convention ne serait plus une convention d’entraide judiciaire, mais un
instrument d’assistance à l’une des de ux parties. Elle serait en effet vidée de toute signification et
ne répondrait plus que pour l’une des deux parties seulement (en l’o ccurrence, la France) à l’objet

pour lequel elle a été conclue.

S’agissant de l’article3, paragraphe1, de la convention, j’estime que la licéité du
comportement de la France aurait dû être évaluée par la Cour sur la base de la conformité de

celui-ci avec les procédures pertinentes prévues par sa législation interne. Or, à mon avis, la
France n’a pas agi en conformité avec ces procédures, en particulier pour ce qui concerne l’autorité
dont relève, d’après le code de procédure pénale français, le pouvoir d’appréciation des notions
d’atteintes à la souveraineté, à la sécurité, et à l’ordre public. Le non-respect des procédures de

droit interne entraîne la violation de la convention, et la Cour, dans le cas où elle est saisie par les
Parties à une telle convention, peut et doit exercer un certain contrôle. Dans le présent arrêt, la
Cour n’a pourtant pas procédé à un tel contrôle.

En ce qui concerne les atteintes à l’immunité et à l’inviolabilité du chef d’Etat djiboutien, la
Cour conclut dans ses motifs que «des excuses s’im posaient de la part de la France», étant donné
que la procédure française n’avait pas été resp ectée par le juge français dans la convocation
adressée au chef de l’Etat djiboutien le 17mai2005 . Elle reconnaît aussi dans le présent arrêt,

conformément à sa jurisprudence récente, que la règle de droit internati onal coutumier reflétée à
l’article29 de la convention de Vienne sur l es relations diplomatiques se «traduit par des
obligations positives à la charge de l’Etat d’accueil, pour ce qui est des actes de ses propres - 9 -

autorités, et par des obligations de prévention con cernant les actes éventuels de particuliers» (arrêt,
paragraphes 174). Elle impose en outre aux Etats d’accueil «l’obligation de protéger l’honneur et

la dignité des chefs d’Etat, en relation avec leur inviolabilité» (arrêt, paragraphes174). La Cour
n’aborde pourtant pas l’exigence des excuses dans son dispositif.

Je considère, pour ma part, que les deux convocations adressées au chef de l’Etat djiboutien

(celle du 17 mai 2005 et celle du 14 février 2007) ne constituent pas seulement un manquement à la
«courtoisie due à un chef d’Etat étranger», mais également une violation de l’obligation qui
incombait à la France de protéger l’honneur et la dignité des chefs d’Etat étrangers. Etant donné
que les tribunaux français ne peuvent ni citer ni faire comparaître le président de leur propre pays

pendant la durée de son mandat, il est difficileme nt admissible qu’ils puissent inviter des chefs
d’Etats étrangers à se présenter dans leurs bureaux pour être entendus comme témoins. La Cour
avait, dans la présente espèce, l’opportunité de déclarer clairement et sans ambigüité que cette
pratique constituait une violation du droit international, et qu’en agissant ainsi, les juges français

engageaient la responsabilité intern ationale de la France. Le langage utilisé dans les motifs de
l’arrêt, ainsi que l’absence d’un e décision claire dans le dis positif, pourraient malheureusement
conduire à une répétition de cette pratique irresp ectueuse du droit international. C’est pour ces
raisons que j’estime que la Cour aurait dû, non seulement dans les motifs de l’arrêt, mais aussi dans

son dispositif, enjoindre la France à formuler des excuses publiques.

Le fait que la République de Djibouti et la France aient voulu soumettre leur diff érend à la
Cour par consentement mutuel et par la voie du forum prorogatum témoigne de leur volonté de

trouver une solution intégrale et définitive à ce diff érend dans le but de renforcer les liens
traditionnels d’amitié entre les deux pays. La constatation par la Cour de l’ensemble des violations
décrites ci-dessus aurait pu davantage contribuer au retour des deux Etats à une meilleure
coopération dans leurs relations, en général, ainsi qu’à une assistance mutuelle plus efficace en

matière judiciaire et sur des bases juridiques plus claires.

___________

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Résumé de l'arrêt du 4 juin 2008

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