Résumé de l'ordonnance du 3 mars 2014

Document Number
18090
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2014/2
Date of the Document
Document File
Document

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Résumé
Document non officiel

Résumé 2014/2
Le 3 mars 2014

Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données
(Timor-Leste c. Australie)

Requête et demande en indication de mesures conservatoires (par. 1-17 de l’ordonnance)

La Cour rappelle tout d’abord que, par requête déposée au Greffe le 17 décembre 2013, la
République démocratique du Timor-Leste (ci-après le «Timor-Leste») a introduit une instance
contre l’Australie au sujet d’un différend concernant la saisie, le 3 décembre 2013, et la détention
ultérieure, par «des agents australiens, de documents, données et autres biens appartenant au

Timor-Leste ou que celui-ci a le droit de protéger en vertu du droit international». Le Timor-Leste
affirme en particulier que ces éléments ont été pris dans les locaux professionnels d’un conseiller
juridique du Timor-Leste à Narrabundah, Territoire de la capitale australienne, prétendument en
vertu d’un mandat délivré sur la base de l’article 25 de l’Australian Security Intelligence
Organisation Act de 1979. Selon le Timor-Leste, les éléments saisis comprennent notamment des
documents, des données et des échanges de correspondance, entre le Timor-Leste et ses conseillers
juridiques, qui se rapportent à un Arbitrage en vertu du traité du 20 mai 2002 sur la mer de Timor,
actuellement en cours entre le Timor-Leste et l’Australie (ci-après l’«arbitrage en vertu du traité sur

la mer de Timor»).

Le même jour, le Timor-Leste a également présenté une demande en indication de mesures
conservatoires, conformément à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73 à 75 de son
Règlement. La Cour rappelle que, à la fin de sa demande, le Timor-Leste la prie

«d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :

a) que tous les documents et données saisis par l’Australie au 5 Brockman Street, à
Narrabundah, Territoire de la capitale australienne, le 3 décembre 2013 soient
immédiatement placés sous scellés et remis à la Cour internationale de Justice ;

b) que l’Australie fournisse immédiatement au Timor-Leste et à la Cour
internationale de Justice i) une liste de tous les documents et données, ou des
informations qui y sont contenues, qu’elle a révélés ou communiqués à toute
personne, employée ou non par un organe de l’Etat australien ou de tout Etat tiers
et exerçant ou non des fonctions pour le compte de pareil organe ; et ii) une liste
faisant apparaître l’identité de ces personnes ou des indications les concernant,
ainsi que les fonctions qu’elles occupent actuellement ; - 2 -

c) que l’Australie fournisse, dans un délai de cinq jours, au Timor-Leste et à la Cour
internationale de Justice une liste de toutes les copies qu’elle a faites des

documents et données saisis ;

d) que l’Australie i) procède à la destruction définitive de toutes les copies des
documents et données qu’elle a saisis le 3 décembre 2013, et prenne toutes les
mesures possibles pour assurer la destruction définitive de toutes les copies qu’elle
a communiquées à des tierces parties ; et ii) informe le Timor-Leste et la Cour
internationale de Justice de toutes les mesures prises en application de cette

injonction de destruction, que celles-ci aient ou non abouti ;

e) que l’Australie donne l’assurance qu’elle n’interceptera pas ni ne fera intercepter
les communications entre le Timor-Leste et ses conseillers juridiques, que ce soit
en Australie, au Timor-Leste ou en tout autre lieu, et n’en demandera pas
l’interception.»

La Cour rappelle ensuite que le Timor-Leste a en outre prié le président de la Cour, en

attendant que celle-ci tienne des audiences sur la demande en indication de mesures conservatoires
et se prononce à cet égard, de faire usage du pouvoir que lui confère le paragraphe 4 de l’article 74
du Règlement. Elle précise à cet égard que, par lettre datée du 18 décembre 2013, le président de la
Cour, agissant en vertu de ladite disposition, a appelé l’Australie à «agir de manière que toute
ordonnance de la Cour sur la demande en indication de mesures conservatoires puisse avoir les
effets voulus et, en particulier, [à] s’abstenir de tout acte qui pourrait porter préjudice aux droits
que la République démocratique du Timor-Leste invoque en la présente procédure».

*

La Cour indique ensuite que des audiences publiques sur la demande en indication de
mesures conservatoires du Timor-Leste se sont tenues les 20, 21 et 22 janvier 2014, durant
lesquelles les agents et conseils des Gouvernements du Timor-Leste et de l’Australie ont présenté

des observations orales. Au cours de ces audiences, des questions ont été posées aux Parties par
certains membres de la Cour, auxquelles il a été répondu oralement. Faisant usage de la possibilité
que lui avait donnée la Cour, le Timor-Leste a formulé des observations écrites sur la réponse de
l’Australie à l’une de ces questions.

La Cour rappelle que, au terme de son second tour d’observations orales, le Timor-Leste l’a
priée d’indiquer des mesures conservatoires dont le libellé est identique à celui des mesures
sollicitées dans sa demande (voir ci-dessus) et que l’Australie a, quant à elle, déclaré ce qui suit :

«1. L’Australie prie la Cour de rejeter la demande en indication de mesures
conservatoires présentée par la République démocratique du Timor-Leste.

2. L’Australie prie également la Cour de suspendre l’instance jusqu’à ce que le
tribunal arbitral ait rendu sa décision dans l’Arbitrage en vertu du Traité sur la mer
de Timor.»

La Cour indique ensuite que, par ordonnance en date du 28 janvier 2014, elle a décidé de ne
pas faire droit à la demande de l’Australie tendant à la suspension de l’instance, considérant
notamment que le différend porté devant elle est suffisamment distinct de celui dont connaît le
tribunal dans le cadre de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor. En conséquence, elle a,
compte tenu des vues exprimées par les Parties, fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt
des pièces de procédure. - 3 -

Raisonnement de la Cour (par. 18-54)

I. Compétence prima facie (par. 18-21)

La Cour fait tout d’abord observer que, lorsqu’une demande en indication de mesures
conservatoires lui est présentée, elle n’a pas besoin, avant de décider d’indiquer ou non les mesures
demandées, de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire ; elle
doit seulement s’assurer que les dispositions invoquées par le demandeur semblent, prima facie,
constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée.

La Cour note que le Timor-Leste entend fonder sa compétence en la présente espèce sur la
déclaration qu’il a faite le 21 septembre 2012 en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, et
sur celle qu’a faite l’Australie le 22 mars 2002 en vertu de cette même disposition. Elle ajoute que,
au cours de la procédure orale, l’Australie a déclaré que, tout en se réservant le «droit de soulever
des questions de compétence et de recevabilité au stade de l’examen au fond», elle ne «soulèverait
pas de telles questions en ce qui concerne la demande en indication de mesures conservatoires du
Timor-Leste».

La Cour considère dès lors que les déclarations que les deux Parties ont faites en vertu du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut semblent prima facie constituer une base sur laquelle elle
pourrait fonder sa compétence pour se prononcer sur le fond de l’affaire. Elle en conclut qu’elle
peut connaître de la demande en indication de mesures conservatoires que le Timor-Leste lui a
présentée.

II. Les droits dont la protection est recherchée et les mesures demandées (par. 22-30)

La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision sur le fond de
l’affaire, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper
de sauvegarder par de telles mesures les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre
pourrait éventuellement reconnaître à l’une ou à l’autre des parties. Dès lors, la Cour ne peut
exercer ce pouvoir que si les droits allégués par la partie qui demande des mesures apparaissent au

moins plausibles. Par ailleurs, un lien doit exister entre les droits qui font l’objet de l’instance
pendante devant la Cour sur le fond de l’affaire et les mesures conservatoires sollicitées.

La Cour commence donc par s’interroger sur le point de savoir si les droits que le
Timor-Leste revendique au fond, et dont il sollicite la protection, sont plausibles. Elle observe tout
d’abord qu’il n’est pas contesté par les Parties qu’au moins une partie des documents et données
saisis par l’Australie se rapportent à l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor ou à

d’éventuelles futures négociations relatives à la délimitation maritime entre les Parties, et qu’ils ont
trait à des communications du Timor-Leste avec ses conseillers juridiques. Elle relève par ailleurs
que le principal grief du Timor-Leste est qu’il y a eu violation de son droit de communiquer de
manière confidentielle avec ses conseils et avocats au sujet de questions faisant l’objet d’une
procédure arbitrale en cours et de futures négociations entre les Parties. La Cour note que ce droit
allégué pourrait être inféré du principe de l’égalité souveraine des Etats, l’un des principes
fondamentaux de l’ordre juridique international qui trouve son expression au paragraphe 1 de
l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Plus spécifiquement, il convient de préserver l’égalité

des parties lorsque celles-ci se sont engagées, conformément au paragraphe 3 de l’article 2 de la
Charte, dans le règlement, par des moyens pacifiques, d’un différend international. Si un Etat a
entrepris de régler pacifiquement un différend qui l’oppose à un autre Etat par voie d’arbitrage ou
de négociations, il peut s’attendre à mener cette procédure ou ces négociations sans que l’autre
partie ne s’ingère dans la préparation ou la défense de son argumentation. Il en résulte que, en
pareil cas, un Etat a un droit plausible à ce que soient protégées ses communications avec ses
conseils qui se rapportent à un arbitrage ou à des négociations et, en particulier, la correspondance - 4 -

qu’il échange avec eux, et à ce que soit protégée la confidentialité de tous documents et données
établis par eux pour le conseiller.

En conséquence, la Cour considère qu’au moins certains des droits que le Timor-Leste
cherche à protéger à savoir le droit de conduire une procédure d’arbitrage ou des négociations
sans ingérence de la part de l’Australie, y compris le droit à la confidentialité de ses
communications avec ses conseillers juridiques et à la non-ingérence dans lesdites
communications sont plausibles.

La Cour en vient ensuite à la question du lien entre les droits dont la protection est
recherchée et les mesures conservatoires demandées. Elle rappelle que, par les mesures
conservatoires qu’il sollicite, le Timor-Leste cherche à empêcher que l’Australie continue d’avoir
accès aux éléments saisis, à obtenir des informations quant au point de savoir dans quelle mesure
elle y a accès et à s’assurer qu’elle ne s’ingérera pas dans les communications qu’il échangera à
l’avenir avec ses conseillers juridiques. La Cour considère que, par leur nature même, les mesures
sollicitées visent à protéger les droits revendiqués par le Timor-Leste de conduire, sans ingérence

de la part de l’Australie, la procédure arbitrale et les futures négociations, et de communiquer
librement avec ses conseillers juridiques, conseils et avocats à cette fin. Elle en conclut qu’il existe
un lien entre les droits invoqués par le Timor-Leste et les mesures conservatoires demandées.

III. Risque de préjudice irréparable et urgence (par. 31-48)

La Cour rappelle qu’elle a le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires lorsqu’un

préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige, et que ce pouvoir ne sera exercé que
s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit
causé aux droits concernés.

Le Timor-Leste fait valoir que la saisie par l’Australie d’éléments confidentiels et sensibles
dans les locaux professionnels de son conseiller juridique crée un risque réel que soit causé un
préjudice irréparable à ses droits. Il affirme qu’il est hautement probable que la plupart des
documents et données en question se rapportent à sa stratégie juridique, tant dans le cadre de

l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor que de futures négociations maritimes avec
l’Australie. Le Timor-Leste soutient par ailleurs que le risque de préjudice irréparable est
imminent parce qu’il examine actuellement la stratégie et la position juridique qu’il lui faut adopter
afin de défendre au mieux ses intérêts nationaux vis-à-vis de l’Australie en ce qui concerne le traité
sur la mer de Timor de 2002 et le traité relatif à certains arrangements maritimes dans la mer de
Timor de 2006.

Selon l’Australie, il n’existe aucun risque que soit causé un préjudice irréparable aux droits
du Timor-Leste. L’Australie déclare que tous les droits qui pourraient être reconnus au
Timor-Leste sont suffisamment protégés dans l’attente de l’arrêt définitif en la présente affaire par
les engagements pris par son Attorney-General.

L’Australie précise pour commencer que, le 4 décembre 2013, son Attorney-General a fait
une déclaration devant le Parlement concernant l’exécution, par l’agence australienne de

renseignement intérieur (l’«ASIO»), des mandats de perquisition des locaux professionnels d’un
conseiller juridique du Timor-Leste à Canberra et qu’il a, à cette occasion, souligné «que les
éléments dont il a[vait] été pris possession dans le cadre de l’exécution de [c]es mandats ne
[seraient] en aucune circonstance communiqués aux personnes représentant l’Australie dans le
cadre de la procédure d’arbitrage».

L’Australie relève ensuite que son Attorney-General a communiqué au tribunal arbitral
constitué en application du traité sur la mer de Timor un engagement écrit en date du

19 décembre 2013, dans lequel il déclarait que les éléments saisis ne seraient utilisés par aucune - 5 -

entité du Gouvernement australien à quelque fin que ce soit qui serait en rapport avec l’arbitrage en
vertu du traité sur la mer de Timor et s’engageait à ne pas prendre lui-même connaissance ni

chercher de quelque autre manière à avoir connaissance du contenu desdits éléments ou de toutes
informations qui en découleraient.

L’Australie a également fait connaître à la Cour que, comme suite à la lettre que lui avait
adressée le président de la Cour en vertu du paragraphe 4 de l’article 74 du Règlement (voir
ci-dessus) son Attorney-General avait, le 23 décembre 2013, écrit au directeur général de la
sécurité, donnant à celui-ci instruction de veiller à ce que les engagements pris devant le tribunal

arbitral le 19 décembre 2013 soient également honorés dans le cadre de la procédure introduite
devant la Cour. Dans sa lettre, l’Attorney-General indiquait notamment qu’«il serait souhaitable et
approprié de satisfaire à la demande du président en s’assurant que, à partir de maintenant et
jusqu’à la clôture des audiences qui se tiendront du 20 au 22 janvier, les éléments en cause soient
scellés, qu’aucun autre agent de l’ASIO n’y accède, et que l’ASIO veille à ce que personne d’autre
n’y accède».

Par ailleurs, l’Attorney-General a communiqué à la Cour un engagement écrit daté du

21 janvier 2014. L’Australie précise que cet engagement écrit contient des assurances exhaustives
que la confidentialité des documents saisis sera préservée, se référant en particulier aux
déclarations suivantes de son Attorney-General :

«Je prends devant la Cour, jusqu’à ce que celle-ci ait définitivement statué dans
la présente procédure ou qu’elle en ait décidé autrement à un stade ultérieur ou
antérieur, l’engagement

1. De ne pas prendre moi-même connaissance ni chercher de quelque autre manière à
avoir connaissance du contenu des éléments en cause ou de toutes informations qui
en découleraient ;

2. Dans le cas où une circonstance, quelle qu’elle soit, nécessiterait que je prenne
connaissance de ces éléments et données, d’en informer tout d’abord la Cour, et de
prendre alors devant elle d’autres engagements ;

3. De faire en sorte qu’aucune entité du Gouvernement australien n’utilise lesdits
éléments à quelque fin que ce soit, hormis pour des questions de sécurité nationale
(notamment dans le cadre de la saisine des autorités chargées de l’application de la
loi et de poursuites) ;

4. De faire en sorte, sans préjudice de ce qui précède, qu’aucune entité du
Gouvernement australien ne puisse avoir accès auxdits éléments et à toutes

informations qui en découleraient à toute fin ayant trait à l’exploitation des
ressources de la mer de Timor ou aux négociations à ce sujet, ou à la conduite de :

a) la présente procédure ; et

b) l’arbitrage [en vertu du traité sur la mer de Timor de 2002].»

Enfin, au cours de la procédure orale, le Solicitor-General de l’Australie, se référant à la

lettre en date du 23 décembre 2013 adressée au directeur général de la sécurité par
l’Attorney-General de l’Australie a déclaré que «l’ASIO n’a[vait] à ce jour examiné aucun des
documents» et précisé que «les documents [seraient] gardés sous scellés quoi qu’il arrive, jusqu’à
ce que [l’Australie ait connaissance de la] décision [de la Cour] relative aux mesures
conservatoires». - 6 -

En ce qui concerne les engagements pris par l’Attorney-General de l’Australie les 4, 19 et
23 décembre 2013, le Timor-Leste soutient pour sa part qu’ils sont «loin d’être appropriés» pour

protéger ses droits et intérêts en la présente espèce. Selon lui, premièrement, ils n’ont pas force
obligatoire, du moins sur le plan international ; deuxièmement, ils sont, à d’importants égards, plus
limités que les mesures conservatoires qu’il sollicite, puisqu’ils ne couvrent pas les questions plus
larges qui dépassent le cadre de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor ; et,
troisièmement, les instructions énoncées dans la lettre en date du 23 décembre 2013 que
l’Attorney-General de l’Australie a adressée au directeur général de l’ASIO ne valent que jusqu’à
la clôture des audiences en la présente phase de l’instance.

S’agissant de l’engagement écrit daté du 21 janvier 2014, le Timor-Leste affirme qu’il est
insuffisant pour prévenir le risque de préjudice irréparable et qu’il «devrait être étayé par une
prescription de la Cour portant sur le traitement des éléments en cause».

Au vu de ces éléments, la Cour est d’avis que, si l’Australie ne protégeait pas
immédiatement la confidentialité des éléments que ses agents ont saisis le 3 décembre 2013 dans
les locaux professionnels d’un conseiller juridique du Gouvernement du Timor-Leste, un préjudice

irréparable pourrait être causé au droit du Timor-Leste de conduire sans ingérence une procédure
arbitrale et des négociations. En particulier, elle considère que la position de celui-ci dans le cadre
de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor et des futures négociations maritimes avec
l’Australie pourrait être très gravement compromise si les éléments saisis étaient divulgués à une
quelconque personne participant ou susceptible de participer à cet arbitrage ou à ces négociations
au nom de l’Australie. Toute violation de la confidentialité risquerait de ne pas pouvoir être
réparée, puisqu’il pourrait se révéler impossible de revenir au statu quo ante après la divulgation

d’informations confidentielles.

La Cour note toutefois que l’engagement écrit pris par l’Attorney-General de l’Australie le
21 janvier 2014 comprend l’assurance qu’aucune entité du Gouvernement australien n’aura accès
aux éléments saisis à toute fin ayant trait à l’exploitation des ressources de la mer de Timor ou aux
négociations y relatives, ainsi qu’à la conduite de la procédure devant la Cour ou de l’arbitrage en
vertu du traité sur la mer de Timor. Elle observe que le Solicitor-General de l’Australie a par

ailleurs précisé à l’audience, en réponse à une question posée par un membre de la Cour, qu’aucune
personne prenant part à l’arbitrage ou aux négociations n’avait été informée du contenu des
documents et données saisis.

La Cour relève en outre que l’agent de l’Australie a indiqué que «l’Attorney-General du
Commonwealth d’Australie a[vait] le pouvoir effectif et manifeste de prendre des engagements
liant l’Australie, tant au regard du droit australien que du droit international». Elle indique qu’elle
n’a aucune raison de penser que l’engagement écrit en date du 21 janvier 2014 ne sera pas respecté

par l’Australie ; dès lors qu’un Etat a pris un tel engagement quant à son comportement, il doit être
présumé qu’il s’y conformera de bonne foi.

La Cour constate néanmoins que, au paragraphe 3 de son engagement écrit en date
du 21 janvier 2014, l’Attorney-General déclare que les éléments saisis ne seront utilisés par
«aucune entité du Gouvernement australien … à quelque fin que ce soit, hormis pour des questions
de sécurité nationale (notamment dans le cadre de la saisine des autorités chargées de l’application

de la loi et de poursuites)». Elle note également que, au paragraphe 2 de ce même document,
l’Attorney-General souligne que, «[d]ans le cas où une circonstance, quelle qu’elle soit,
nécessiterait [qu’il] prenne connaissance de ces éléments, [il] en informer[ait] tout d’abord la Cour,
et [prendrait] alors devant elle d’autres engagements».

Etant donné que, dans certaines circonstances touchant à la sécurité nationale, le
Gouvernement de l’Australie envisage la possibilité de faire usage des éléments saisis, la Cour
considère qu’un risque subsiste que ces informations qui peuvent se révéler hautement

préjudiciables soient divulguées. Elle relève que l’Attorney-General de l’Australie s’est engagé à - 7 -

ce que tout accès aux éléments en cause à des fins de sécurité nationale soit extrêmement limité et à
ce que le contenu de ces éléments ne soit divulgué à aucune personne participant à la conduite de

l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor, de toute négociation bilatérale future relative à la
délimitation maritime ou de la procédure devant la Cour. Ce nonobstant, une fois communiquées à
tout fonctionnaire habilité aux fins visées dans l’engagement écrit en date du 21 janvier 2014, les
informations contenues dans les éléments saisis pourraient parvenir à des tiers, et la confidentialité
de ces éléments pourrait être violée. La Cour observe en outre que l’Australie ne s’est engagée à
garder sous scellés les éléments saisis que jusqu’à ce qu’elle rende sa décision sur la demande en
indication de mesures conservatoires.

Au vu de ces considérations, la Cour estime que l’engagement écrit en date du
21 janvier 2014 contribue de manière importante à atténuer le risque imminent de préjudice
irréparable que la saisie des éléments susmentionnés fait peser sur les droits du Timor-Leste et, en
particulier, son droit à ce que la confidentialité de ces éléments soit dûment protégée, mais ne
supprime pas entièrement ce risque.

La Cour conclut de ce qui précède que, vu les circonstances, les conditions requises par son

Statut pour qu’elle puisse indiquer des mesures conservatoires sont remplies, puisque, en dépit de
l’engagement écrit en date du 21 janvier 2014, un risque imminent de préjudice irréparable
subsiste, ainsi que cela a été démontré. Il est donc approprié qu’elle indique certaines mesures
conservatoires afin de protéger les droits du Timor-Leste en attendant qu’elle se prononce sur le
fond de l’affaire.

IV. Mesures devant être adoptées (par. 49-54)

La Cour rappelle que, en vertu de son Statut, elle a le pouvoir, lorsqu’une demande en
indication de mesures conservatoires lui est présentée, d’indiquer des mesures totalement ou
partiellement différentes de celles qui ont été sollicitées. En la présente espèce, ayant examiné le
libellé des mesures conservatoires demandées par le Timor-Leste, la Cour estime que les mesures
qu’il convient d’indiquer n’ont pas à leur être identiques.

La Cour relève tout d’abord que le Solicitor-General de l’Australie a précisé à l’audience que

l’engagement écrit pris par l’Attorney-General le 21 janvier 2014 «n’expirera[it] pas» sans qu’elle
ne soit préalablement consultée. Cet engagement n’expirera donc pas une fois que la Cour aura
statué sur la demande en indication de mesures conservatoires du Timor-Leste. L’engagement écrit
du 21 janvier 2014 ne précisant pas que les éléments saisis sont placés sous scellés, la Cour doit
également tenir compte de la durée de l’engagement de les garder sous scellés que l’Australie a pris
dans une lettre en date du 23 décembre 2013 que son Attorney-General a adressée au directeur
général de l’ASIO. Elle prend note de ce que, aux termes de cette lettre, cet engagement valait

jusqu’à la clôture de la procédure orale relative à la demande en indication de mesures
conservatoires. La Cour observe en outre que, à l’audience, l’Australie a donné l’assurance que
les éléments saisis demeureraient sous scellés et inaccessibles jusqu’à ce qu’elle ait rendu sa
décision sur cette demande.

Relevant par ailleurs qu’une grande partie des éléments saisis comprennent probablement
des informations sensibles et confidentielles pertinentes aux fins de l’arbitrage en cours et peut-être

aussi des informations pertinentes aux fins de négociations maritimes que les Parties pourraient
mener à l’avenir, la Cour conclut qu’il est essentiel de faire en sorte que le contenu de ces éléments
ne soit d’aucune manière et à aucun moment divulgué à une quelconque personne susceptible de
l’utiliser, ou d’en susciter l’utilisation, au détriment du Timor-Leste dans ses relations avec
l’Australie en ce qui concerne la mer de Timor. Il convient dès lors que les documents et données
électroniques saisis, ainsi que toute copie qui en aurait été faite, soient conservés sous scellés
jusqu’à toute nouvelle décision de la Cour. - 8 -

La Cour note ensuite que le Timor-Leste a exprimé des préoccupations quant à la

confidentialité des communications qu’il continue d’avoir avec ses conseillers juridiques en ce qui
concerne, notamment, la conduite de l’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor et des
futures négociations au sujet de la mer de Timor et de ses ressources, aspect qui n’est pas couvert
par l’engagement écrit de l’Attorney-General du 21 janvier 2014. Elle estime approprié de
prescrire également à l’Australie de ne pas s’ingérer de quelque manière que ce soit dans les

communications entre le Timor-Leste et ses conseillers juridiques ayant trait à la procédure
arbitrale en cours et à toute négociation bilatérale future sur la délimitation maritime, ou à toute
autre procédure entre les deux Etats qui s’y rapporte, dont la présente instance.

La Cour souligne enfin que ses ordonnances en indication de mesures conservatoires ont un
caractère obligatoire et créent donc des obligations juridiques internationales s’imposant aux deux
Parties. Elle ajoute que la décision rendue en la présente procédure ne préjuge en rien la question

de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la recevabilité
de la requête ou au fond lui-même, et qu’elle laisse intact le droit des Gouvernements du
Timor-Leste et de l’Australie de faire valoir leurs moyens en ces matières.

Dispositif (par. 55)

Le texte intégral du dernier paragraphe de l’ordonnance se lit comme suit :

«Par ces motifs,

LA C OUR ,

Indique à titre provisoire les mesures conservatoires suivantes :

1) Par douze voix contre quatre,

L’Australie fera en sorte que le contenu des éléments saisis ne soit d’aucune manière et à
aucun moment utilisé par une quelconque personne au détriment du Timor-Leste, et ce, jusqu’à ce
que la présente affaire vienne à son terme ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham,
Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Mme Xue, MM. Gaja, Bhandari, juges ;
M. Cot, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Keith, Greenwood, Mme Donoghue,juges ; M. Callinan, juge ad hoc ;

2) Par douze voix contre quatre,

L’Australie conservera sous scellés les documents et données électroniques saisis, ainsi que
toute copie qui en aurait été faite, jusqu’à toute nouvelle décision de la Cour ;

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham,

Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Mme Xue, MM. Gaja, Bhandari, juges ;
M. Cot, juge ad hoc ;

CONTRE : MM. Keith, Greenwood, Mme Donoghue,juges ; M. Callinan, juge ad hoc ; - 9 -

3) Par quinze voix contre une,

L’Australie ne s’ingérera d’aucune manière dans les communications entre le Timor-Leste et
ses conseillers juridiques ayant trait à l’Arbitrage en vertu du traité du 20 mai 2002 sur la mer de
Timor actuellement en cours entre le Timor-Leste et l’Australie, à toute négociation bilatérale

future sur la délimitation maritime, ou à toute autre procédure entre les deux Etats qui s’y rapporte,
dont la présente instance devant la Cour.

POUR : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham,
Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue,

Donoghue, MM. Gaja, Bhandari, juges ; M. Cot, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Callinan, juge ad hoc.»

M. le jugeEITH joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge

CANÇADO T RINDADE joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge
G REENWOOD joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ; Mme la ONOGHUE
joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ALLINANC joint à
l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente.

___________ Annexe au Résumé 2014/2

Opinion dissidente de M. le juge Keith

M. le juge Keith commence par préciser qu’il comprend que le Timor-Leste ait été «fort
meurtri et choqué» par les actes des services de sécurité et de renseignement australiens
du 3 décembre 2013. Il considère néanmoins que les fondements de deux des mesures
conservatoires indiquées par la Cour n’ont pas été établis.

M. le juge Keith rappelle que, dans sa requête, le Timor-Leste a invoqué ses droits de

propriété et autres à l’égard des documents et données adressés à ses conseillers juridiques, ou
détenus ou établis par eux, notamment dans le cadre d’un arbitrage en cours entre les Parties. Dans
sa demande en indication de mesures conservatoires, le Timor-Leste a toutefois adopté une position
plus large, tant en ce qui concerne les droits matériels en cause que le but dans lequel les éléments
saisis ont été établis, ajoutant que ces derniers avaient également trait à des négociations à plus
long terme relatives à la mer de Timor.

M. le juge Keith examine les différents engagements qui ont été pris par l’Australie, ainsi

que les réponses qui y ont été apportées par le Timor-Leste. Au départ, l’Australie s’engageait
seulement à ce que les éléments saisis ne soient pas utilisés par des personnes prenant part à
l’arbitrage, cet engagement ne s’étendant pas aux autres relations entre les Parties. En réponse aux
préoccupations exprimées par le Timor-Leste, l’Attorney-General de l’Australie a, le
21 janvier 2014, pris un engagement plus large. M. le juge Keith observe que, à compter de cette
date, les préoccupations du Timor-Leste n’ont plus porté sur l’étendue de cet engagement, mais
uniquement sur son caractère contraignant. Or il estime que, au terme de la procédure, une solution

adéquate avait été trouvée à ce problème.

M. le juge Keith conclut que la demande du Timor-Leste tendant à obtenir un engagement
plus large, aussi bien sur le fond que d’un point de vue temporel, et clairement obligatoire pour
l’Australie au regard du droit international, a été satisfaite. L’engagement du 21 janvier 2014 vaut
en effet, comme il le fallait, «jusqu’à ce que [la Cour] ait définitivement statué … ou qu’elle en ait
décidé autrement à un stade ultérieur ou antérieur».

M. le juge Keith part du principe que le droit plausible du Timor-Leste qui est en cause en la
présente espèce est le droit d’un Etat d’entretenir des relations confidentielles avec ses conseillers
juridiques, notamment en ce qui concerne des différends qui l’opposent à un autre Etat et qui font
l’objet, ou peuvent faire l’objet, d’une procédure judiciaire, de négociations ou de toute autre forme
de règlement pacifique. M. le juge Keith est d’avis que, compte tenu des engagements pris par le
Gouvernement australien, il n’existe aujourd’hui aucun risque qu’un préjudice irréparable soit
causé à ce droit. Il n’estime pas nécessaire d’examiner les droits et intérêts de l’Australie en

matière de sécurité nationale, ni de mettre en balance les droits respectifs des Parties.

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans son opinion individuelle, composée de dix parties, M. le juge Cançado Trindade
commence par recenser certains points, abordés dans la présente ordonnance, qui lui semblent
mériter une attention plus particulière. Bien qu’ayant voté en faveur de cette ordonnance, il est

d’avis que les mesures conservatoires indiquées par la Cour auraient dû aller plus loin, et que
celle-ci aurait dû indiquer la mesure que sollicitait le Timor-Leste, à savoir que les documents et
données (contenant des informations qui lui appartiennent) saisis par l’Australie, soient
immédiatement placés sous scellé et confiés à la garde de la Cour elle-même, à son siège du Palais
de la Paix, à La Haye. - 2 -

2. Compte tenu de l’importance qu’il attache aux points qui ont été insuffisamment
développés dans la présente ordonnance, M. le juge Cançado Trindade considère que le sens du

devoir dans l’exercice de ses fonctions judiciaires internationales lui commande de consigner les
fondements de sa position personnelle à cet égard (partie I). Il commence par examiner les
arguments qui ont été présentés à la Cour, en particulier par le défendeur, s’attardant tout d’abord
sur l’absence de pertinence des voies de recours internes dans les circonstances de la présente
espèce, à savoir un préjudice direct qui aurait été causé au demandeur en tant qu’Etat, celui-ci
faisant valoir ce qu’il considère comme étant son propre droit, et agissant dès lors en son nom
propre. Par in parem non habet imperium, non habet jurisdictionem.

3. M. le juge Cançado Trindade observe ensuite que la Cour a, à juste titre, écarté l’argument
selon lequel il conviendrait d’éviter toute «compétence concurrente» (procédures judiciaire et
arbitrale), argument lui aussi dépourvu de pertinence. Le recours à une autre autorité judiciaire en
vue d’obtenir des mesures conservatoires est en effet autorisé par le règlement de procédure du
Tribunal arbitral de la CPA lui-même, qui ne voit nul besoin d’éviter des compétences
«concurrentes». Cet argument, poursuit M. le juge Cançado Trindade, fait fi de l’impératif

primordial de réalisation de la justice (partie II). A cet égard, M. le juge Cançado Trindade appelle
l’attention sur la prudence dont il convient de faire preuve face à la «rhétorique vide de sens et
erronée» qui recouvre certains euphémismes tels que «forum shopping» [«saisine par une partie à
un différend de la juridiction qui lui est la plus favorable»], «parallélisme des compétences», ou
encore nécessité d’éviter la «fragmentation» du droit international et la «prolifération» des
juridictions internationales, autant de formules qui détournent inutilement de la quête de justice en
s’attachant à de prétendus «problèmes» de «délimitation» de compétence entre lesdites juridictions

(par. 9).

4. Selon M. le juge Cançado Trindade, l’«élargissement actuel de l’accès à la justice au
profit des justiciables est une évolution rassurante. Les juridictions internationales ont une mission
commune consistant à rendre la justice, leurs efforts se conjuguant harmonieusement, au-delà de
toute préoccupation de «délimitation» de compétence» (par. 11). M. le juge Cançado Trindade
estime que, en rejetant cet argument en la présente espèce, «la Cour a adopté la bonne approche»

(par. 12).

5. M. le juge Cançado Trindade observe ensuite que, dans le cas d’espèce, la Cour a
cependant persisté à se fonder sur des actes unilatéraux d’Etats (telles que des promesses prenant la
forme d’assurances ou d’«engagements»), omettant en cela de tirer les enseignements de sa propre
pratique dans certaines affaires récentes (partie III). Il souligne que c’est dans un contexte
différend qu’il est d’usage de se fonder sur des promesses, assurances ou «engagements», à savoir

celui des relations diplomatiques. Lorsque pareils actes unilatéraux sont indûment introduits dans
le domaine judiciaire international, «ils ne sauraient fonder la décision de la juridiction concernée ;
les motifs de la décision qu’une juridiction internationale est appelée à rendre dans le cadre du
règlement d’un différend ne sauraient reposer sur des actes unilatéraux d’Etats» (par. 14).

6. M. le juge Cançado Trindade rappelle que le fait de s’appuyer sur pareils actes unilatéraux
«s’est révélé source d’incertitudes et d’appréhensions au cours de procédures judiciaires

internationales» et a fait peser un risque accru sur l’issue de ces procédures, comme l’illustre
l’affaire récente relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader
(Belgique c. Sénégal) ; dans cette affaire, il avait d’ailleurs appelé l’attention sur ce point dans son
opinion individuelle jointe à l’arrêt rendu au fond le 20 juillet 2012 et dans son opinion dissidente
jointe à l’ordonnance de la Cour du 28 mai 2009 (par. 15). M. le juge Cançado Trindade y
soulignait qu’un engagement ou une promesse formulé au cours d’une instance devant la Cour «ne
fai[sait] pas disparaître les conditions requises (relatives au caractère d’urgence et au risque de - 3 -

dommage irréparable) pour l’indication de mesures conservatoires» (par. 16). Selon lui, ex factis
jus non oritur (par. 17).

7. M. le juge Cançado Trindade rappelle que, dans l’ordonnance qu’elle a récemment rendue
(le 22 novembre 2013) dans les affaires relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua
dans la région frontalière et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan,
dont les instances ont été jointes, la Cour a expressément admis qu’elle n’était «pas convaincue»
par des assurances unilatérales qui lui avaient été données au cours d’une instance judiciaire
internationale, lesquelles n’avaient pas écarté tout «risque imminent de préjudice irréparable».

Dans l’opinion individuelle qu’il a jointe à cette ordonnance, M. le juge Cançado Trindade a, une
nouvelle fois, souligné

«la nécessité d’accorder une attention accrue à la nature juridique des mesures
conservatoires et à leurs effets juridiques, notamment lorsqu’il y est conféré une base
conventionnelle, comme c’est le cas des mesures conservatoires indiquées par la
Cour … Ce n’est qu’ainsi qu’elles contribueront au développement progressif du

droit international. Le fait de persister à se fonder sur des promesses, assurances ou
«engagements» unilatéraux formulés dans le cadre d’une procédure relative à des
mesures conservatoires ne contribue nullement à appréhender comme il se doit le rôle
juridique croissant que pareilles mesures jouent en droit international contemporain.

Dans la doctrine consacrée aux actes unilatéraux des Etats, les auteurs ont pris
le plus grand soin d’éviter les pièges des théories «contractuelles» du droit
international, ainsi que les dangers que représente le volontarisme étatique sans

entrave qui sous-tend les manifestations unilatérales dans l’ordre juridique
international décentralisé. Les actes unilatéraux ... ne sauraient être admis de manière
inconditionnelle ... A cet égard, il n’est guère surprenant de constater que la doctrine
sur la question s’est employée à préciser quels étaient les actes unilatéraux auxquels
pouvaient être conférés des effets juridiques ; il n’en est ainsi que dans le domaine des
relations diplomatiques, certainement pas dans le domaine judiciaire international.»
(Par. 18 à 20.)

8. M. le juge Cançado Trindade précise que d’autres juridictions internationales
contemporaines se sont, elles aussi, trouvées confrontées à des incertitudes et appréhensions dues à
des assurances unilatérales données par des parties à un litige (par. 21). Il ajoute que le règlement
judiciaire d’un différend international a «une logique propre», qui ne saurait être assimilée à celle
des relations diplomatiques. Selon lui, «persister à se fonder sur des actes unilatéraux propres aux
relations diplomatiques ne sert pas le règlement judiciaire des différends internationaux, ce d’autant

moins qu’il apparaît nécessaire de réaffirmer la maxime ex injuria jus non oritur. Même si une
juridiction internationale peut prendre note de certains actes unilatéraux d’Etats, elle ne saurait
fonder sur eux le raisonnement qui sous-tend sa décision» (par. 22). Et M. le
juge Cançado Trindade d’ajouter :

«De fait, autoriser que des actes unilatéraux soient effectués (dans le cadre
d’une procédure judiciaire internationale), sans tenir compte de leur caractère

discrétionnaire sinon arbitraire , et faire droit aux assurances ou «engagements»
qui en découlent revient à ouvrir la voie aux incertitudes et à l’imprévisibilité, ainsi
qu’à des faits accomplis, et ce, au profit exclusif de l’auteur de ces actes et au
détriment de la partie adverse. En pareille hypothèse, l’application du droit se trouve
réduite à une simple probabilité.» (Par. 25.) - 4 -

9. M. le juge Cançado Trindade observe ensuite que, par le passé, un courant de la doctrine

juridique emmené par les prétendus «réalistes» a tenté de vider le principe général ex injuria
jus non oritur d’une partie de sa substance en invoquant la maxime ex factis jus oritur (partie IV).
Cela revenait à

«confondre la validité des normes et la coercition requise pour les appliquer (qui,
parfois, fait défaut dans l’ordre juridique international). Or, la validité des normes ne
dépend pas de la coercition (visant à les appliquer) ; ces normes sont contraignantes en
tant que telles (il s’agit d’obligations objectives).» (Par. 27.)

Et M. le juge Cançado Trindade de conclure comme suit sur ce point :

«La maxime ex factis jus oritur attribue indûment aux faits des effets en matière
de création de droit, que les faits en tant que tels ne sauraient avoir. Dès lors, il n’est
guère surprenant que le «fait accompli» soit très prisé par ceux qui se sentent
suffisamment forts ou puissants pour essayer d’imposer leur volonté aux autres. Or, il
se trouve que le droit international contemporain repose sur certains principes

généraux fondamentaux, tels que le principe de l’égalité juridique des Etats, qui vont à
rebours de cette approche. Les inégalités de fait entre Etats sont sans pertinence,
puisque les Etats sont juridiquement égaux, avec toutes les conséquences que cela
implique. Définitivement, ex factis jus non oritur. Les valeurs humaines et l’idée
d’une justice objective l’emportent sur les faits. Ex conscienta jus oritur.» (Par. 28.)

10. L’une des questions soulevées par les Parties au cours de la présente procédure est celle

de la propriété des documents et données saisis. Dès le départ, et à maintes reprises, le
Timor-Leste a affirmé que les documents saisis étaient sa propriété ; l’Australie, quant à elle, a
préféré ne pas se prononcer sur ce point, et n’a apporté aucun élément pour le clarifier. Or, aux fins
d’examiner comme il se doit les mesures conservatoires sollicitées dans le cas d’espèce, cette
question ne saurait être passée sous silence (partie V). Plus importante encore est la pertinence que
revêtent, à cette même fin, les principes généraux du droit international (partie VI).

11. Selon M. le juge Cançado Trindade, la Cour se doit de prendre en compte ces principes
généraux et «ne saurait permettre qu’ils soient occultés par des arguments relatifs à la «sécurité
nationale» qui, en l’espèce, dépassent le cadre du droit applicable. En tout état de cause, une
juridiction internationale ne saurait approuver du bout des lèvres des allégations de «sécurité
nationale» formulées par l’une des parties dans le cadre d’une procédure judiciaire» (par. 38).
M. le juge Cançado Trindade donne ensuite des exemples des difficultés qu’ont connues les
juridictions internationales chaque fois que des préoccupations de «sécurité nationale» ont été

exprimées devant elles (par. 39-40). Selon lui, ces juridictions doivent garder à l’esprit

«l’impératif d’assurer une procédure régulière aux fins du règlement judiciaire d’un
différend international, et de préserver l’égalité des armes, compte tenu du principe de
la bonne administration de la justice. L’invocation de secrets d’Etat ou de la «sécurité
nationale» ne saurait faire obstacle aux travaux d’une juridiction internationale, que ce
soit dans un cadre judiciaire ou arbitral» (par. 41).

12. M. le juge Cançado Trindade est d’avis que la présente affaire relative à des Questions
concernant la saisie et la détention de certains documents et données témoigne de l’importance du
principe de l’égalité juridique des Etats (partie VII), et qu’«une juridiction internationale telle que
la Cour doit veiller à ce que ce principe l’emporte, de sorte que les inégalités de fait entre Etats
n’aient aucune conséquence sur le règlement judiciaire des différends internationaux (par. 43). Ce
principe, consacré dans la Charte des Nations Unies (au paragraphe 1 de l’article 2), «est - 5 -

immanquablement et indissociablement lié à la quête de justice … et donne corps à l’idée de

justice, laquelle procède de la conscience juridique universelle» (par. 44-45).

13. M. le juge Cançado Trindade se penche ensuite sur la question des mesures
conservatoires, indépendamment des assurances ou «engagements» unilatéraux (partie VIII). Il fait
observer que, étant donné que la Cour a, dans la présente ordonnance, reconnu qu’«il conv[enait]
de préserver l’égalité des parties» dans le cadre du règlement pacifique d’un différend international,

l’on aurait pu s’attendre à ce qu’elle indiquât des mesures conservatoires «indépendamment de
toute promesse ou «engagement» unilatéral» de la part de l’Etat qui a indûment saisi les documents
et données en cause (par 47) ; or, la Cour n’en a rien fait, préférant «fonder son raisonnement sur
l’«engagement» ou l’assurance de l’Australie de garantir la confidentialité des éléments saisis par
ses agents à Canberra le 3 décembre 2013, «là encore au détriment du Timor-leste» (par. 49).

14. Selon M. le juge Cançado Trindade, «la possibilité que, du fait de la saisie des
documents et données contenant ses informations confidentielles, le Timor-Leste ait d’ores et déjà
subi un préjudice irréparable ne saurait être écartée avec certitude» (par. 51). Aussi la Cour
aurait-t-elle dû ordonner que les documents et données saisis soient «placés sans délai sous scellé
et confiés à sa garde, au Palais de la Paix, à la Haye, afin d’«éviter qu’un préjudice irréparable
supplémentaire soit causé au Timor-Leste» (par. 52) ; voir également (par. 53-54).

15. L’inviolabilité des documents d’Etat constitue de longue date, quoique dans des
contextes différents, une préoccupation dans les relations diplomatiques ; la Convention sur les
privilèges et immunités des Nations Unies a ainsi, en 1946, fait référence à l’«inviolabilité de tous
papiers et documents» des Etats membres participant aux travaux des organes principaux et
subsidiaires de l’Organisation, ou à des conférences convoquées par celle-ci (art. IV), tandis qu’une

résolution adoptée la même année par l’Assemblée générale des Nations Unies affirmait que cette
inviolabilité de tous papiers et documents d’Etat était garantie par la Convention de 1946 «dans
l’intérêt de la bonne administration de la justice». Ainsi, ajoute M. le juge Cançado Trindade,
«dès 1946, l’Assemblée générale a, dans une résolution, exprimé la présomption d’inviolabilité des
correspondances entre Etats membres et leurs conseillers juridiques. Il s’agit donc d’une obligation
de droit international, et non d’une obligation découlant d’une assurance ou d’un «engagement»
unilatéral qu’un Etat prend après avoir saisi des documents et données contenant des informations

appartenant à un autre Etat» (par. 55).

16. Par comparaison avec des «engagements», assurances ou promesses formulés
unilatéralement au cours d’une procédure judiciaire internationale, «les préceptes du droit offrent
un fondement bien plus solide au raisonnement d’une juridiction internationale exerçant sa fonction
judiciaire. Ces préceptes sont éternels, tels que ceux (d’Ulpien) qui figurent dans le Livre I (titre I,
e
par. 3) des Institutes de Justinien (début du VI siècle) : honeste vivere, alterum non laedere, suum
cuique tribuere (vivre honnêtement, ne faire de mal à personne, donner à chacun son dû)» (par. 58).

17. Le dernier axe de réflexion de M. le juge Cançado Trindade a trait à ce que celui-ci
qualifie de régime juridique autonome régissant les mesures conservatoires (partie IX). A cet
égard, M. le juge Cançado Trindade commence par rappeler qu’il a également abordé ce point dans

son opinion dissidente antérieure jointe à l’ordonnance que la Cour a rendue le 16 juillet 2013 dans
les affaires relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière et à la
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan, opposant le Costa Rica au
Nicaragua (et vice-versa) et dont les instances ont été jointes, opinion dans laquelle il a souligné
que l’objet des demandes en indication des mesures conservatoires était différent de celui des
requêtes présentées au fond à des juridictions internationales. De surcroît, - 6 -

«les droits qu’il convient de protéger ne sont pas nécessairement les mêmes dans les
deux procédures. Les mesures conservatoires doivent être respectées tandis que se

déroule la procédure au fond. Les obligations correspondant aux mesures
conservatoires qui ont été indiquées et aux décisions sur le fond (y compris en ce qui
concerne les réparations) ne sont pas les mêmes, et elles sont indépendantes les unes
des autres. Il en va de même des conséquences juridiques qui découlent de
l’inobservation (de mesures conservatoires ou de décisions rendues sur le fond), les
violations (des premières et des secondes) étant distinctes» (par. 60).

18. Il en résulte «une nécessité pressante d’approfondir et de développer conceptuellement le
régime juridique autonome des mesures conservatoires (par. 61), ainsi que M. le juge
Cançado Trindade l’a fait observer non seulement dans son opinion dissidente dans les deux
affaires susmentionnées dont les instances ont été jointes et qui opposent le Costa Rica et le
Nicaragua, mais aussi dans son opinion dissidente antérieure (par. 80-81) en l’affaire concernant
des Questions relatives à l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal, ordonnance
du 28 mai 2009), ce qu’il juge utile de rappeler en la présente affaire relative à des Questions

concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie).
Cette nécessité s’est fait sentir dans ces affaires récentes, tout comme dans la présente espèce, et ce,
indépendamment des circonstances différentes qui étaient les leurs. M. le juge Cançado Trindade
réitère que, dans le cas d’espèce, la Cour, ayant la maîtrise de sa propre compétence, aurait dû
décider, à compter de ce jour, d’«assumer elle-même la garde des documents et données saisis
contenant des informations appartenant au Timor-Leste, dans ses locaux du Palais de la paix, à la
Haye» (par 62).

19. Enfin, et ce n’est pas le moins important, dans l’épilogue de son opinion individuelle,
M. le juge Cançado Trindade résume, en les récapitulant (partie X), les fondements de la position
personnelle qu’il a exposée, à la fois par souci de clarté et pour souligner que ces différents aspects
sont indissociablement liés. Primus : Lorsqu’un Etat cherche à protéger son propre droit, en
agissant en son nom propre, il ne saurait être obligé de se présenter devant les tribunaux internes
d’un autre Etat avec lequel il est en litige. La règle de l’épuisement des voie de recours internes ne

s’applique pas dans des affaires de cette nature ; par in parem non habet imperium, non habet
jurisdictionem. Secundus : Le rôle central de la quête de justice l’emporte sur le souci d’éviter «les
compétences concurrentes». Tertius : L’impératif de réalisation de la justice prévaut sur les
manifestations de la volonté d’un Etat. Quartus : Les euphémismes en vogue tels que les
formules vides de sens et erronées de «prolifération» des juridictions internationales et de
«fragmentation» du droit international — sont dépourvus de toute pertinence et font porter

l’attention sur de faux problèmes de «délimitation» de compétence, faisant fi de la nécessité
d’assurer aux justiciables un accès élargi à la justice.

20. Quintus : Les juridictions internationales ont une mission commune consistant à rendre la
justice, qui va au-delà de toute préoccupation de «délimitation» des compétences. Sextus : Les
mesures conservatoires ne sauraient être fondées sur des assurances ou «engagements» unilatéraux
pris par l’une des parties au différend. Septimus : Le fait de s’appuyer sur des assurances ou

«engagements» unilatéraux s’est révélé source d’incertitudes et d’appréhensions ; pareils actes sont
propres au domaine des relations (diplomatiques) interétatiques, et ne sauraient servir de fondement
au règlement judiciaire d’un différend international ; ex factis jus non oritur. Octavus : le
règlement judiciaire d’un différend international a «une logique propre», qui ne saurait être
assimilée à celle des relations diplomatiques, ce d’autant moins qu’il apparaît nécessaire de
réaffirmer la maxime ex injuria jus non oritur. Nonus : autoriser que des actes unilatéraux soient
effectués et faire droit aux assurances ou «engagements» qui en découlent génère non seulement

des incertitudes, mais aussi des faits accomplis qui mettent en péril l’application du droit.
Decimus : Les faits à eux seuls, et en tant que tels, n’ont pas d’effets en matière de création de - 7 -

droit. Les valeurs humaines et l’idée d’une justice objective l’emportent sur les faits ; ex
conscientia jus oritur.

21. Undecimus : Les arguments relatifs à la «sécurité nationale», tels qu’ils ont été avancés
dans le cas d’espèce, ne sauraient être pris en compte par une juridiction internationale. Les
mesures prises pour des motifs de «sécurité nationale», comme cela a été allégué dans le cas
d’espèce, sont étrangères à l’exercice de la fonction judiciaire internationale. Duodecimus : Les
principes généraux du droit international, tels que l’égalité juridique des Etats (consacrée au
paragraphe 1) de l’article 2 de la Charte des Nations Unies), ne sauraient être occultés par des

allégations de «sécurité nationale». Tertius Decimus : Le principe fondamental de l’égalité
juridique des Etats, qui donne corps à l’idée de justice, doit prévaloir, de sorte que les inégalités de
fait entre Etats ne puissent avoir aucune conséquence sur le règlement judiciaire des différends
internationaux.

22. Quartus decimus : Une partie à un litige ne saurait, en recourant à de prétendues mesures
de «sécurité nationale», compromettre le caractère régulier de la procédure et l’égalité des armes.

Quintus decimus : L’invocation de secrets d’Etat ou de la «sécurité nationale» ne saurait faire
obstacle aux travaux d’une juridiction internationale (que ce soit dans le cadre d’une procédure
judiciaire ou d’un arbitrage), menée dans le respect du principe de la bonne administration de la
justice. Sextus decimus : Les mesures conservatoires ne sauraient être fonction d’assurances ou
d’«engagements» unilatéraux découlant de prétendues mesures de «sécurité nationale» ; elles ne
sauraient s’appuyer sur pareils actes unilatéraux, dont elles sont indépendantes ; elles sont revêtues
de l’autorité de la juridiction internationale qui a décidé de les indiquer. Septimus decimus : Dans

les circonstances du cas d’espèce, c’est la Cour elle-même qui aurait dû assumer la garde des
documents et données saisis et détenus par l’une des Parties au litige ; la Cour, ayant la maîtrise de
sa propre compétence, aurait dû prendre cette décision de sorte à éviter tout nouveau préjudice
irréparable.

23. Duodevicesimus : L’inviolabilité des papiers et documents d’Etat est reconnue par le
droit international, dans l’intérêt de la bonne administration de la justice. Undevicesimus :

L’inviolabilité des correspondances entre les Etats et leurs conseillers juridiques est une obligation
de droit international, et non une obligation qui découle d’une assurance ou d’un «engagement»
unilatéral pris par un Etat après avoir saisi des documents et données contenant des informations
appartenant à un autre Etat. Vicesimus : Il existe un régime juridique autonome régissant les
mesures conservatoires, régime qui se développe actuellement. Ce régime juridique autonome
englobe : a) les droits devant être protégés, qui ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux qui
sont en cause dans la procédure sur le fond ; b) les obligations correspondantes des Etats

concernés ; c) les conséquences juridiques de l’inobservation des mesures conservatoires, qui sont
différentes de celles qui découlent de violations d’obligations de fond. Ce régime juridique
autonome fait aujourd’hui l’objet d’une reconnaissance croissante.

Opinion dissidente de M. le juge Greenwood

M. le juge Greenwood estime que la prudence est de mise aux fins de déterminer s’il y a lieu

d’indiquer des mesures conservatoires, étant donné que pareilles mesures imposent à une partie une
obligation juridique avant même qu’aient été établies l’existence et l’applicabilité des droits de
chacune des parties. Les critères juridiques régissant l’indication de mesures conservatoires
permettent d’ailleurs à la Cour, dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tire de l’article 41 de son
Statut, de faire preuve d’une certaine prudence. - 8 -

M. le juge Greenwood est d’avis que l’engagement en date du 21 janvier 2014 que
l’Attorney-General de l’Australie a pris devant la Cour rend superflus les deux premiers points du

dispositif. En effet, un engagement formel pris par un Etat devant la Cour est juridiquement
contraignant, et il est présumé que ce dernier agira de bonne foi pour l’honorer. Or, l’engagement
en question a pour effet de faire disparaître tout risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable
soit causé aux droits du Timor-Leste ; il n’a donc pas été satisfait aux conditions requises pour que
des mesures conservatoires puissent être indiquées s’agissant des éléments saisis. M. le
juge Greewood déplore également que le droit plausible de l’Australie d’exercer sa juridiction
pénale, ainsi que son droit de protéger la sécurité de ses agents n’aient pas été pris en considération

dans l’ordonnance. Il estime cependant qu’il existe un risque réel et imminent que l’Australie
s’ingère dans les communications futures du Timor-Leste avec ses avocats. C’est pourquoi
M. le juge Greenwood a voté contre les points 1) et 2) du dispositif, mais en faveur du point 3).

Opinion individuelle de Mme la juge Donoghue

Mme la juge Donoghue partage une grande partie des vues exprimées dans l’ordonnance.

Elle pense comme la Cour que celle-ci a prima facie compétence en l’espèce, qu’au moins certains
des droits allégués par le Timor-Leste sont plausibles et qu’il existe un lien entre les mesures que
celui-ci sollicite et les droits qu’il invoque dans sa requête.

S’agissant de la question du risque de préjudice irréparable, Mme la juge Donoghue est
d’accord avec la Cour pour considérer que pareil préjudice pourrait être causé au Timor-Leste si les
éléments saisis étaient communiqués à des personnes prenant part à l’arbitrage en cours, à une
future procédure relative à la délimitation maritime ou à la présente affaire. Néanmoins, au vu des

assurances contenues dans l’engagement pris par l’Attorney-General de l’Australie devant la Cour
le 21 janvier 2014, elle a voté contre les deux premières mesures conservatoires.
L’Attorney-General, qui a le pouvoir de prendre des engagements liant l’Australie au regard du
droit international, s’est en effet engagé à ce que les documents saisis et les informations qui en
découlent ne soient communiqués à aucun représentant de l’Australie participant à la présente
instance ou à la procédure d’arbitrage en vertu du traité sur la mer de Timor, ou exerçant des
fonctions liées à l’exploitation des ressources de la mer de Timor ou dans le cadre de négociations

connexes. La bonne foi de l’Australie doit être présumée, et rien dans le dossier n’indique que
cette dernière n’est pas en mesure de respecter l’engagement pris devant la Cour. Pour ces motifs,
Mme la juge Donoghue estime qu’il est fort peu probable que les documents saisis ou les
informations qui en découlent soient communiqués à des personnes jouant un rôle dans les matières
que l’Attorney-General mentionne dans son engagement. L’engagement du 21 janvier 2014
permet donc d’éviter qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits invoqués par le Timor-Leste,
lesquels sont au moins plausibles.

Mme la juge Donoghue a voté en faveur de la troisième mesure conservatoire, parce que
l’Australie n’a pas pris de mesures similaires pour prévenir d’éventuelles ingérences dans les
communications entre le Timor-Leste et ses conseillers juridiques ayant trait à la procédure
arbitrale en cours, à une future procédure relative à la délimitation maritime, ou à d’autres
procédures qui s’y rapportent, notamment la présente espèce. - 9 -

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Callinan

M. le juge ad hoc Callinan conclut qu’il n’était pas nécessaire que la Cour indique des
mesures conservatoires.

Contexte et circonstances factuelles

M. le juge ad hoc Callinan commence par observer qu’il est rarement possible d’établir avec
certitude l’intégralité des faits et leur réalité au stade d’une procédure interlocutoire. En l’espèce,

cette difficulté a pu se trouver accrue par le souci compréhensible de l’Australie de ne pas révéler
certains éléments relatifs aux questions de sécurité nationale en cause.

Cela étant posé, M. le juge ad hoc Callinan se penche ensuite sur certaines circonstances
factuelles de la présente instance, en se fondant sur les éléments qui ont, à ce jour, été présentés à la
Cour. Il rappelle l’arbitrage qui se déroule actuellement entre les Parties au sujet d’un traité
de 2006 sur la mer de Timor, ainsi que différentes informations diffusées par les médias ayant trait

à des incidents qui auraient impliqué des représentants des Parties et des conseillers juridiques du
Timor-Leste. A cet égard, M. le juge ad hoc Callinan note que ces informations n’ont pas été
vérifiées, et qu’elles ont souvent été recueillies par ouï-dire indirects. Il relève également que, au
vu du dossier de l’affaire, un certain doute semble entourer le point de savoir qui serait fondé à
invoquer le secret professionnel des avocats et conseils en ce qui concerne les documents et autres
éléments saisis par des agents australiens.

La situation juridique

M. le juge ad hoc Callinan en vient ensuite aux conditions juridiques qui régissent
l’indication de mesures conservatoires par la Cour, rappelant que, prima facie, l’affaire doit relever
de la compétence de la Cour et la requête, être recevable, que les droits allégués par le demandeur
doivent être au moins plausibles, et qu’il doit exister un risque imminent qu’un préjudice
irréparable soit causé à ces droits. Même s’il est satisfait à ces conditions, l’indication de mesures
conservatoires n’est toutefois pas obligatoire ; la Cour, comme toute autre juridiction de par le

monde, conserve un pouvoir discrétionnaire en la matière.

M. le juge ad hoc Callinan note que la distinction entre compétence et recevabilité n’est pas
toujours claire. L’Australie a fait allusion à un certain nombre d’exceptions à la compétence de la
Cour ou à la recevabilité de la requête du Timor-Leste (se référant, notamment, aux exceptions
énoncées dans sa déclaration d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour en vertu du
paragraphe 2) de l’article 36 du Statut), mais ne les a pas encore présentées formellement.

Selon M. le juge ad hoc Callinan, le fait que le demandeur n’ait pas usé des voies de recours
internes qui s’offraient à lui aurait pu être pris en compte par la Cour en tant qu’élément pertinent
aux fins de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière d’indication de mesures
conservatoires.

Il précise que la notion de préjudice irréparable, en tant que condition de l’indication de
mesures conservatoires par la Cour, est analogue au principe de la common law selon lequel

pareilles mesures ne sauraient être ordonnées lorsque le paiement de dommages-intérêts, par
exemple, constituerait un remède adéquat. De la même manière, un engagement satisfaisant de la
part du défendeur pourrait être considéré comme un remède adéquat.

S’agissant du caractère plausible des droits invoqués, M. le juge ad hoc Callinan estime que
l’existence d’un droit souverain à l’inviolabilité de documents qui sont en la possession d’un avocat
dans un autre pays constitue une prétention ayant une portée étendue, et peut-être novatrice. Le - 10 -

point de savoir dans quelle mesure le secret professionnel des avocats et conseils est un principe
établi, exempt de toute limite pour cause d’intérêt national ou international, devra être examiné de

manière détaillée et approfondie lors de la phase de l’examen au fond. Cela vaut également en ce
qui concerne l’éventuelle pertinence de ce qui a été qualifié d’exception à la confidentialité des
communications entre un conseil juridique et son client en cas de fraude ou d’infraction pénale.

M. le juge ad hoc Callinan doute que l’Attorney-General de l’Australie, en autorisant la
délivrance des mandats en cause en la présente instance, ait exercé une fonction judiciaire ou quasi
judiciaire. La Constitution australienne et la jurisprudence pertinente donnent plutôt à penser que

l’Attorney-General est un membre de l’exécutif, et non un juge ou assimilé.

Conclusion

Enfin, M. le juge ad hoc Callinan se dit d’avis que les engagements pris par l’Australie, tels
qu’accrus, complétés et précisés dans les exposés oraux et écrits, étaient adaptés aux circonstances
de l’espèce et suffisants à cet égard. En ce qui concerne le point 3 du dispositif, il s’interroge sur
les fondements de la mesure ainsi indiquée, et considère que le sens fort large et peu précis du

verbe «s’ingérer» peut se révéler problématique.

___________

Document file FR
Document
Document Long Title

Résumé de l'ordonnance du 3 mars 2014

Links