Résumé de l'arrêt du 23 octobre 2001

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7700
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Number (Press Release, Order, etc)
2001/3
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIRE RELATIVE À LA SOUVERAINETÉ SUR PULAU LIGITAN
ET PULAU SIPADAN (INDONÉSIE c. MALAISIE)

(Requ ête des Philippines à fin d’intervention)

Arrêt du 23 octobre 2001

Dans son arrêt sur la requête des Philippines à fin POUR : M. Guillaume, Président; M. Shi, Vice-

d’intervenir en l’affaire relative à la Souveraineté sur PulauPrésident; MM. meanjeva, Fleischhauer, Koroma,
Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie c. Malaisie), la Cour a Vereshchetin, M Higgins, MM. Parra-Aranguren,
décidé que la requête de la République des Philippines, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Buergenthal, juges;
déposée au Greffe de la Cour le 13 mars 2001, à fin MM. Weeramantry, Franck, juges ad hoc;
d’intervention dans l’instance sur la base de l’Article 62 du CONTRE : M. Oda, juge. »
Statut de la Cour, ne peut être admise.
*
La Cour était composée comme suit : M. Guillaume, * *
Président; M. Shi, Vice-Président; MM. Oda, Ranjeva,
Fleischhauer, Koroma, Vereshchetin, M meHiggins,
MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek, Al-Khasawneh, Rappel de la procédure
Buergenthal, juges; MM. Weeramantry, Franck, juges ad (par. 1 à 17)
hoc; M. Couvreur, Greffier.
La Cour rappelle que, par lettre conjointe en date du
* 30 septembre 1998, l’Indonésie et la Malaisie ont notifié au
* * Greffe de la Cour un compromis entre les deux États, signé
à Kuala Lumpur le 31 mai 1997 et entré en vigueur le
M. Oda, juge, joint à l’arrêt l’exposé de son opinion 14 mai 1998. Aux termes dudit compromis, les Parties
dissidente. M. Koroma, juge, joint à l’arrêt l’exposé de soprient la Cour de « déterminer, sur la base des traités,
opinion individuelle. MM. Parra-Aranguren et Kooijmans, accords et de tout autre élément de preuve produit par les

juges, joignent des déclarations à l’arrêt. MM. WeeramantryParties,i la souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan
et Franck, juges ad hoc, joignent à l’arrêt les exposés de appartient à la République d’Indonésie ou à la Malaisie ».
opinion individuelle. Les Parties sont convenues que la procédure écrite se
* composerait d’un mémoire, d’un contre-mémoire, d’une
réplique qui devaient être présentés simultanément par
* *
Le texte intégral du dispositif est le suivant : chacune des Parties dans un délai fixé à cet effet, ainsi que
« d’une duplique, si les Parties en décident ainsi d’un
« 95. Par ces motifs, com mun accord ou si la Cour décide d’office ou à la
LA COUR, demande de l’une des Parties que cette pièce de procédure
est nécessaire et autorise ou prescrit la présentation d’une
Pa r quatorze voix contre une, duplique ».
Dit que la requête de la République des Philippines,
déposée au Greffe de la Cour le 13 mars 2001, à fin Les mémoires, contre-mémoires et répliques des Parties
d’intervention dans l’instance sur la base de l’Article 62t été déposés dans les délais prescrits. Le compromis
du Statut de la Cour, ne peut être admise. prévoyant la possibilité du dépôt d’une quatrième pièce de
procédure par chacune des Parties, celles-ci ont, par lettre

_______________________________
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221conjointe du 28mars 2001, informé la Cour qu’elles ne « Le Gouvernement de la République des Philippines
souhaitaient pas produire de pièce supplémentaire. La Cour demande l’application des remèdes prévus à l’article 85

elle-même n’a pas prescrit une telle production. du Règlement de la Cour, à savoir :
Par lettre du 22février 2001, les Philippines, invoquant • paragraphe 1: “l’État intervenant reçoit copie des
le paragraphe 1 de l’article 53 du Règlement, ont adressé à pièces de procédure et des documents annexés et a le
la Cour une demande tendant à ce que lui soient droit de présenter une déclaration écrite dans un délai
communiqués des exemplaires de s pièces de procédure et fixé par la Cour”;

des documents annexés déposés par les Parties. • paragraphe 3: “l’État intervenant a le droit de
Conformément à la disposition susmentionnée du présenter au cours de la procédure orale des
Règlement, la Cour s’est renseignée auprès des Parties et a observations sur l’objet de l’intervention”. »
décidé qu’il n’était pas approprié, dans les circonstances qui
prévalaient alors, d’accéder à la demande des Philippines.
Le 13 mars 2001, les Philippines ont déposé une requête Au nom du Gouvernement de l’Indonésie,
à l’audience du 29 juin 2001 :
à fin d’intervention dans l’affaire, en invoquant l’Article 62 «La République d’Indonésie prie respectueusement
du Statut de la Cour. Selon la requête à fin d’intervention,
l’intérêt d’ordre juridique en cause pour les Philippines dans la Cour de dire qu’il n’y a pas lieu d’autoriser la
la présente espèce «porte uniquement et exclusivement sur République des Philippines à intervenir dans l’affaire
les traités, les accords et autres éléments de preuve fournis relative à la Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau
par les Parties et pris en compte par la Cour qui ont une Sipadan (Indonésie/Malaisie). »
incidence directe ou indirecte sur la question du statut Au nom du Gouvernement de la Malaisie,

juridique du Nord-Bornéo ». Les Philippines ont par ailleurs à l’audience du 29juin 2001: «[La Malaisie prie] la
indiqué que l’objet de l’intervention sollicitée était : Cour de bien vouloir rejeter la requête des Philippines. »
« a) Premièrement, de préserver et sauvegarder les
droits d’ordre historique et juridique du Gouvernement Délai dans lequel la requête à fin d’intervention
de la République des Philippines qui découlent de la
a été présentée
revendication de possession et de souveraineté que ce (par. 18 à 26)
gouvernement forme sur le territoire du Nord-Bornéo La Cour examine d’abord le s arguments de l’Indonésie
dans la mesure où ces droits sont ou pourraient être mis
en cause par une décision de la Cour relative à la et de la Malaisie qui ont l’une et l’autre soutenu que la
question de la souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau requête des Philippines ne pouv ait être admise, au motif
Sipadan. qu’elle « n’a pas été présentée en temps voulu ».
La Cour se réfère au paragraphe 1 de l’article 81 du
b ) Deuxièmement, d’intervenir dans l’instance pour Règlement de la Cour qui stipule ce qui suit :
informer la Cour de la nature et de la portée des droits
d’ordre historique et juridique de la République des «[u]ne requête à fin d’intervention fondée sur l’Article
Philippines qui pourraient être mis en cause par la 62 du Statut … est déposée le plus tôt possible avant la
décision de la Cour. clôture de la procédure écrite. Toutefois, dans des
circonstances exceptionnelles, la Cour peut connaître
c ) Troisièmement, de pren dre plus largement en d’une requête présentée ultérieurement. »
compte le rôle indispensable que joue la Cour en matière
de prévention généralisée des conflits et non pas La Cour indique que les Philippines, lors du dépôt de
simplement aux fins de la résolution des différends leur requête à fin d’intervention en vertu des dispositions de
d’ordre juridique. » l’Article 62 du Statut, savaient déjà depuis plus de deux ans
que la Cour était saisie du différend opposant l’Indonésie et
Les Philippines ont en outre spécifié qu’elles ne la Malaisie. À la date du dépôt de cette requête, le 13mars
souhaitaient pas devenir partie au différend soumis à la Cour 2001, les Parties avaient déjà procédé à l’échange des trois
concernant la souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau
Sipadan et que leur requête « se fond[ait] exclusivement sur séries de pièces de procédure écrite que prescrivait le
l’Article 62 du Statut, qui n’exige pas un titre de compromis –à savoir les mémoires, contre-mémoires et
compétence distinct pour donner suite à cette requête ». répliques–, les dates d’expiration des délais pour le dépôt
de ces pièces étant publiques. De plus, l’agent des
Du fait que, dans leurs observations écrites, tant Philippines a déclaré, au cours des audiences, que son
l’Indonésie que la Malaisie ont fait objection à la requête à gouvernement «était conscient du fait qu’ après le 2mars
fin d’intervention introduite par les Philippines, la Cour a 2001, l’Indonésie et la Malaisie pourraient estimer qu’un
tenu des audiences en juin 2001, conformément au
paragraphe 2 de l’article 84 du Règlement, pour entendre les nouveau tour de procédure écr ite, qu’elles avaient envisagé
observations des Philippines, État qui demandait à dans leur compromis, n’était plus nécessaire ». Compte tenu
de ces circonstances, le moment que les Philippines ont
intervenir, et celles des Parties à l’affaire. choisi pour introduire leur requête ne peut guère être
Dans la procédure orale, il a été conclu comme suit : considéré comme remplissant la condition d’un dépôt
Au nom du Gouvernement des Philippines, effectué «le plus tôt possible» comme le prévoit le
paragraphe 1 de l’article 81 du Règlement de la Cour.
à l’audience du 28 juin 2001 :
222 La Cour relève toutefois que, bien que la requête ait été Défaut allégué de lien juridictionnel
déposée à un stade tardif de la procédure, ce qui n’est pas (par. 31 à 36)

conforme à la prescription de caractère général énoncée au La Cour rappelle que, selon l’Article 62 du Statut :
paragraphe 1 de l’article 81 du Règlement, les Philippines
n’ont pas contrevenu à la condition énoncée dans le même « 1. Lorsqu’un État estime que, dans un différend,
article, qui établit un délai préfix pour le dépôt d’une un intérêt d’ordre juridique est pour lui en cause, il peut
requête à fin d’intervention, à savoir « avant la clôture de la adresser à la Cour une requête, à fin d’intervention.
procédure écrite». La Cour rappelle que le compromis 2. La Cour décide. »
prévoyait le dépôt éventuel d’une série supplémentaire de
Ainsi qu’une chambre de la Cour a déjà eu l’occasion de
pièces écrites, – l’échange de dupliques –, « si les Parties en l’observer :
«Le but d’une intervention fondée sur l’Article 62 du
décid[aient] ainsi d’un commun accord ou si la Cour [le] Statut est de protéger un “intérêt d’ordre juridique” d’un
décid[ait] d’office ou à la demande de l’une des Parties». État susceptible d’être affecté par une décision, dans une
Or, ce n’est que le 28mars 2001 que les Parties, par une affaire pendante entre d’autres États, à savoir les parties

lettre conjointe, ont avisé la Cour q«ue leurs à cette affaire. Son but n’est pas de mettre l’État
gouvernements … [avaient] décidé d’un commun accord intervenant en mesure de greffer une nouvelle affaire sur
qu’il n’était pas nécessaire d’échanger des dupliques». la précédente… Une procédure incidente ne saurait être
Ainsi, bien que le dépôt de la troisième série de pièces de une procédure qui transforme [une] affaire en une affaire
procédure écrite ait été effectué le 2 mars 2001, ni la Cour ni différente avec des parties différentes.» ( Différend
les États tiers ne pouvaient savoir, à la date à laquelle les frontalier terrestre, insulaire et maritime (El
Philippines ont déposé leur requête, si la procédure écrite Salvador/Honduras), requête à fin d’intervention, arrêt,

était effectivement parvenue à son terme. En tout état de C.I.J. Recueil 1990, p. 133 et 134, par. 97 et 98.)
cause, la Cour n’aurait pas pu «clore» la procédure écrite Par ailleurs, comme cette même chambre l’a souligné et
avant d’avoir été avisée des vues des Parties quant au dépôt comme la Cour elle-même l’a rappelé :
d’une quatrième série de pièces de procédure, tel «Il découle … de la nature juridique et des buts de
qu’envisagé à l’alinéa d du paragraphe 2 de l’article 3 du
compromis. Même après le 28mars 2001, conformément à l’intervention que l’existence d’un lien juridictionnel
la disposition précitée du compromis, la Cour pouvait, elle- entre l’État qui demande à intervenir et les parties en
cause n’est pas une condition du succès de sa requête.
même, décider d’office d’«autori se[r] ou [de prescrire] la Au contraire, la procédure de l’intervention doit
présentation d’une duplique», ce qu’elle n’a pas fait. La permettre que l’État dont les intérêts risquent d’être
Cour conclut en conséquence qu’elle ne peut accueillir affectés puisse être autori sé à intervenir, alors même
l’objection de l’Indonésie et de la Malaisie, tirée du dépôt
tardif allégué de la requête des Philippines. qu’il n’existe pas de lien juridictionnel et qu’il ne peut
par conséquent pas devenir partie à l’instance.» (Ibid .,
p. 135, par. 100; Frontière terrestre et maritime entre le
Les documents ou autres éléments de preuve à l’appui Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), requête
de la requête n’ont pas été annexés à fin d’intervention, ordonnance du 21 octobre 1999,
(par. 27 à 30) C.I.J. Recueil 1999, p. 1034 et 1035, par. 15.)

La Cour relève aussi que le paragraphe 3 de l’article 81 Ainsi, un lien juridictionnel entre les Parties à l’instance
de son règlement dispose qu’une requête à fin d’intervention et l’État qui cherche à inte rvenir n’est requis que si ce
«contient un bordereau des documents à l’appui, qui sont dernier entend «devenir lui-même partie au procès». La
annexés ». Après s’être référée aux observations de Cour constate que telle n’est pas la situation en l’espèce. Les
l’Indonésie et des Philippines la Cour se contente d’observer Philippines cherchent à interven ir à l’instance en tant que
non partie.
qu’à cet égard, il n’est pas exigé que l’État qui demande à
intervenir annexe nécessairement à sa requête des
documents à l’appui. Ce n’est que dans le cas où de tels Existence d’un « intérêt d’ordre juridique »
documents ont effectivement été annexés à la requête que (par. 37 à 83)
celle-ci doit contenir ledit bordereau. La requête à fin
d’intervention des Philippines ne saurait en conséquence Au sujet de l’existence d’un « intérêt d’ordre juridique »
être rejetée sur la base du paragraphe 3 de l’article 81 du justifiant l’intervention, la Cour se réfère à la thèse des
Philippines qui avancent que :
Règlement de la Cour. «En vertu de l’article 2 du compromis conclu entre le
La Cour conclut donc que la requête des Philippines n’a
pas été déposée hors délai et ne comporte aucun vice de Gouvernement de la République d’Indonésie et le
forme qui pourrait l’empêcher d’être admise. Gouvernement de la Malaisie, la Cour a été priée de

223 trancher la question de la souveraineté sur Pulau Ligitan contrat de bail Sulu-Overbeck de 1878 », que leur « requête
et Pulau Sipadan “sur la base des traités, accords et de à fin d’intervention se fonde uniquement sur les droits du

tout autre élément de preuve” que produiront les Parties. Gouvernement de la République des Philippines cédés par le
L’intérêt de la République des Philippines porte Sultanat de Sulu et acquis auprès de celui-ci ».
uniquement et exclusivement sur les traités, les accords Les Philippines concluent que :
et autres éléments de preuve fournis par les Parties et «Toute revendication ou tout titre concernant un
pris en compte par la Cour qui ont une incidence directe
ou indirecte sur la question du statut juridique du Bornéo territoire du Nord-Bornéo ou des îles proches qui
septentrional. Le Gouvernement de la République des prétendrait ou serait censée reposer sur un titre souverain
légitimement détenu par la Grande-Bretagne de 1878 à
Philippines considère que la question du statut juridique aujourd’hui ne reposerait sur rien. De même, une
du Nord-Bornéo relève de ses préoccupations interprétation de tout traité , accord ou document relatif
légitimes. » au statut juridique du Nord-Bornéo ainsi que des îles au
La Cour rappelle aussi que les Philippines constatent que large de la côte du Nord-Bornéo qui présumerait ou
l’accès aux pièces et documents annexés déposés par les
considérerait comme acqui se l’existence d’une
Parties leur a été refusé par la Cour. Elles soutiennent souveraineté britannique sur ces territoires ou leur
qu’elles ne pouvaient donc pas «dire avec un minimum de possession par la Grande-Bretagne serait dénuée de tout
certitude si des traités, des accords et des faits [étaient] en fondement aussi bien d’un point de vue historique que
jeu». Les Philippines affirment que tant qu’elles n’auront d’un point de vue juridique et porterait atteinte, si elle
pas accès aux pièces déposées par les Parties et qu’elles était retenue par la Cour, à un intérêt d’ordre juridique
n’en connaîtront pas le contenu, elles ne pourront pas
vraiment expliquer quel est leur intérêt. de la République des Philippines. »
L’Indonésie, pour sa part, conteste que les Philippines
Les Philippines insistent sur le fait que «[l]’Article 62 ont un «intérêt de nature juridique». Elle affirme que:
du Statut ne dit pas que l’État intervenant doit avoir un «l’objet du différend actuellement pendant devant la Cour
“intérêt juridique”, un “intér êt légitime” ou un “intérêt se limite à la question de savoir si la souveraineté sur les îles
substantiel”, et que “[l]e critère requis pour que l’Article 62 de Ligitan et de Sipadan appartient à l’Indonésie ou à la
puisse être invoqué est en conséquence un critère subjectif :
Malaisie ». Elle rappelle que, le 5 avril 2001, les Philippines
l’État qui demande à intervenir doit ‘estimer’ qu’il a un ont adressé une note diplomatique à l’Indonésie, dans
intérêt”». Les Philippines affirment que «[l]e critère n’est laquelle, se référant à l’affaire en cours entre l’Indonésie et
pas de prouver l’existence d’un intérêt juridique ou légitime, la Malaisie, il a tenu à assurer à nouveau à ce dernier que les
mais d’“identifier l’intérêt d’ordre juridique” et de “montrer Philippines n’avaient «aucun intérêt territorial relatif aux
en quoi cet intérêt risque d’être mis en cause”». Les îles de Sipadan et de Ligitan». L’Indonésie affirme qu’«il
Philippines avancent en outre que les déclarations faites par ressort à l’évidence de cette [note] que les Philippines ne
l’Indonésie et la Malaisie au cours des audiences publiques
formulent aucune revendication concernant Pulau Ligitan et
«prouvent que de nombreux tr aités et accords sur lesquels Pulau Sipadan » et elle soutient que :
la revendication des Philippines se fonde seront invoqués « Il n’est pas demandé à la Cour de se prononcer sur
devant la Cour, et que celle-ci sera incitée à en donner des le statut juridique du Nord-Bornéo. En outre, le souhait
interprétations qui mettront certainement en cause l’intérêt des Philippines de soumettre leur point de vue sur divers
des Philippines». Elles en concluent que, sur la base de la
partie du dossier à laquelle elles ont eu accès, «la “traités, … accords et autres éléments de preuve fournis
probabilité que la décision de la Cour ait des incidences sur par les Parties” qui ne sont pas spécifiés, est abstrait et
vague. »
les intérêts des Philippines répond au critère du «may» de Concernant l’intérêt d’ordre juridique qui pourrait être
l’Article 62 et justifie l’intervention des Philippines ». en cause pour les Philippines, la Malaisie soutient que :
Les Philippines soulignent qu’elles «ont un intérêt
d’ordre juridique direct dans l’interprétation de la «[c]et intérêt d’ordre juridique doit être identifié avec
délimitation de la frontière convenue en 1930 entre les précision, puis comparé aux te rmes [du] mandat [de la
Cour], tel que celui-ci résulte du texte de saisine, ici le
États-Unis et le Royaume-Uni, dans la mesure où elles ont compromis »
succédé dans ses intérêts à l’une des parties à cet accord, les et elle affirme que :
États-Unis», que «la Convention de 1930 ne saurait en
aucune manière être interpré tée comme un instrument de «les Philippines n’indiquent pas en quoi la décision …
cession» et que «la Grande-Bretagne ne peut avoir acquis que la Cour est appelée à prendre au sujet de la
de souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan par la souveraineté sur Ligitan et Sipadan peut affecter un
grâce d’une interprétation que la Malaisie donne de la intérêt d’ordre juridique spécifique. Elle se contente de
faire une vague référence aux “traités, accords et autres
Convention anglo-américaine de 1930 »; il s’ensuit que « les
deux îles en question ont été acquises par le Royaume-Uni éléments de preuve” qui pourraient être “pris en compte”
en 1930 pour le compte du Sultan de Sulu et au nom de par la décision de la Cour. Or l’intérêt d’ordre juridique
celui-ci». Les Philippines ont en outre précisé que «les en cause, … doit être affecté, le cas échéant, par la
territoires cédés par le Sultan aux Philippines en 1962 se décision de la Cour et non par la seule motivation.
limitaient à ceux qui sont mentionnés et décrits dans le L’appréciation que la Cour peut être amenée à formuler

224 sur la portée de tel ou tel instrument juridique, ou les La Cour rappelle que les Philippines ont souligné avec
conséquences de tel ou tel fait matériel, pour motiver sa vigueur que l’impossibilité d’avoir accès aux pièces

décision, cette appréciation n’est pas, en soi, de nature à relatives à l’affaire entre l’ Indonésie et la Malaisie
fonder un intérêt d’ordre juridique en la cause. » constituait un obstacle considérable et injuste au regard de
La Malaisie expose en outre que «la question de la leur obligation de «définir» et d’«établir» leur intérêt
souveraineté sur Ligitan et Sipadan est une question d’ordre juridique et que ce n’est qu’au cours de la procédure
indépendante de celle du statut du Bornéo septentrional » et orale de la présente instance que les deux Parties ont
publiquement fait savoir quels étaient les traités qu’elles
qu’« [i]l ne s’agit pas du même titre territorial dans un cas et considéraient comme présentant un intérêt au regard de
dans l’autre ».
La Cour examine d’emblée si un État tiers peut leurs revendications respectives sur Pulau Ligitan et Pulau
intervenir, en vertu de l’Article 62 du Statut, dans un Sipadan. La Cour observe toutefois que les Philippines ne
différend qui lui a été soumis par la voie d’un compromis, peuvent qu’avoir pleine connaissance des sources
lorsque l’État cherchant à inte rvenir n’a pas d’intérêt dans documentaires touchant à leur propre revendication de
souveraineté au Nord-Bornéo. Bien que la Cour reconnaisse
l’objet dudit différend en tant que tel, mais invoque un que les Philippines n’aient pa s eu accès à l’argumentation
intérêt d’ordre juridique dans les constatations et
raisonnements que la Cour pourrait adopter à propos de développée par les Parties dans leurs pièces écrites, cela ne
certains traités particuliers qui, selon l’État cherchant à les a pas empêchés d’exposer leur propre revendication et
intervenir, seraient en jeu dans le cadre d’un autre différend d’expliquer dans quelle mesure l’interprétation faite de
qui l’oppose à l’une des deux Parties à l’affaire pendante certains instruments serait susceptible d’affecter cette
devant la Cour. revendication.
Dans l’exposé de cette revendication, les Philippines ont
La Cour se demande d’abord si les termes de
l’Article 62 du Statut excluent, en tout état de cause, un insisté sur l’importance de l’instrument intitulé «Grant by
«intérêt d’ordre juridique» de l’État cherchant à intervenir the Sultan of Sulu of territories and lands on the mainland of
dans une partie autre que le dispositif de l’arrêt que rendra la the island of Borneo» [Concession, par le Sultan de Sulu,
Cour en l’affaire dans laquelle l’intervention est demandée. de territoires et terres sur l’île de Bornéo] (ci-après «la
concession Sulu-Overbeck de 1878»). Cet instrument est
Après avoir examiné les textes français et anglais de cet présenté par les Philippines comme l’« origine » de leur titre
article, la Cour conclut que l’intérêt d’ordre juridique qu’un au Nord-Bornéo. Les Philippines interprètent cet instrument
État cherchant à intervenir en vertu de l’Article 62 doit
démontrer n’est pas limité au seul dispositif d’un arrêt. Il comme un bail, et non comme la cession d’un titre
peut également concerner les motifs qui constituent le souverain. Elles reconnaissent également que l’instrument,
support nécessaire du dispositif. dont la portée territoriale est décrite à son premier
paragraphe («y compris toutes les îles qui se trouvent dans
Ayant abouti à cette conclusion, la Cour s’interroge une zone de 9 milles de la côte»), ne couvrait pas Pulau
ensuite sur la nature de l’intérêt susceptible de justifier une Ligitan et Pulau Sipadan.
intervention. Elle se demande en particulier si l’intérêt de
l’État cherchant à intervenir doit porter sur l’objet même de La Cour relève cependant que les prétentions de
l’affaire soumise à la Cour ou s’il peut être différent et, dans souveraineté des Philippines, telles que figurées sur la carte
l’affirmative, dans quelles limites. que les Philippines ont présentée à l’audience, ne coïncident
pas avec l’étendue territoriale de la concession octroyée par
La Cour fait observer qu’à la question de savoir si un le Sultan de Sulu en 1878. En outre, l’acte de concession de
intérêt exprimé à l’égard des raisonnements ou des 1878 ne fait l’objet d’aucune contestation par l’Indonésie ou
interprétations éventuels adoptés par la Cour constitue un
intérêt d’ordre juridique au sens de l’Article 62 du Statut, on la Malaisie dans l’affaire les opposant, puisque l’une et
ne peut répondre qu’en examinant si les droits invoqués par l’autre s’accordent à reconnaître que Pulau Ligitan et Pulau
l’État qui demande à intervenir sont susceptibles d’y être Sipadan n’étaient pas couvertes par cet instrument. Aussi
bien, la question de savoir si la concession de 1878 doit être
mis en cause. Quelle que soit la nature de l’« intérêt d’ordre considérée comme un bail ou une cession est étrangère à la
juridique» allégué par l’État cherchant à intervenir (et revendication du titre sur ces îles par l’une et l’autre Partie.
pourvu qu’il ne soit pas simplement de caractère général), la Ni l’Indonésie, ni la Malaisie n ’invoquent l’acte de 1878
Cour ne peut l’apprécier « que concrètement et que par
rapport à toutes les circonstances de l’espèce». La Cour comme source de titre: chacune fonde en effet sa
examine donc si la revendication de souveraineté des revendication de titre sur d’autres instruments et
événements. Les Philippines ne se sont ainsi pas acquittées
Philippines au Nord-Bornéo pourrait ou non être affectée de l’obligation qui leur est faite par l’Article 62 de
par le raisonnement de la Cour ou par l’interprétation démontrer à la Cour qu’elles ont un intérêt d’ordre juridique
qu’elle ferait de traités dans l’affaire relative à Pulau Ligitan qui risque d’être mis en cause par toute interprétation que la
et Pulau Sipadan. La Cour ajoute que l’État qui, comme en Cour pourrait donner de l’«origine» du titre, ou tout
l’espèce, se prévaut d’un intérêt d’ordre juridique ne portant
pas sur l’objet même de l’affaire doit nécessairement établir raisonnement qu’elle pourrait adopter à cet égard.
avec une clarté toute particulière l’existence de l’intérêt dont Les Philippines, à l’appui de leur prétention selon
laquelle le Sultanat de Sulu aurait conservé la souveraineté
il se réclame. au Nord-Bornéo, citent aussi un certain nombre d’extraits de

225documents officiels britanniques de la fin du XIX esiècle et (Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte),
e
de la première partie du XX siècle. La Cour relève toutefois requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981 ,
qu’aucun de ces accords n’est considéré par les Parties à la p.19, par.33), mais égalem ent spécifier l’intérêt d’ordre
procédure principale comme un titre originel sur Pulau juridique qui serait susceptible d’être mis en cause par le
Ligitan et Pulau Sipadan. raisonnement ou les interprétations de la Cour. La Cour a
Certains autres instruments invoqués par les Philippines indiqué qu’un État qui demande à intervenir devrait être à
même de le faire à partir des éléments sur lesquels il
devant la Cour semblent avoir effectivement une pertinence
en ce qui concerne non seulement leur revendication de s’appuie pour exposer sa propre prétention.
souveraineté au Nord-Bornéo, mais aussi la question du titre Plusieurs des instruments invoqués par les Philippines,
sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan. L’intérêt que présente ainsi que les conclusions formulées par ces dernières à leur
pour les Philippines la Convention du 20juin 1891 entre la égard, peuvent certes avoir té moigné de quelque intérêt
Grande-Bretagne et les Pays-Bas, délimitant les frontières à quant aux considérations juridiques soulevées devant la

Bornéo, réside en ceci que, si cet accord délimite «les Cour à l’occasion du différen d opposant l’Indonésie et la
possessions néerlandaises» et les «États protégés par la Malaisie, mais, pour aucun de ces instruments, les
Grande-Bretagne », l’État du Nord-Bornéo » faisait Philippines n’ont été en mesure de démontrer, comme cela
effectivement partie des États protégés par la Grande- leur incombait, qu’elles possédaient un intérêt d’ordre
Bretagne. Mais s’agissant de trancher la question de juridique susceptible d’être mis en cause au sens de l’Article
l’interprétation de l’article 4 de cette convention, point n’est 62. Les Philippines n’ont pas établi que le raisonnement ou
besoin pour la Cour de se prononcer sur la nature précise
les interprétations que la Cour pourrait adopter au regard de
dos intérêts britanniques au nord du parallèle situé à ces instruments dans le cadre de la procédure principale
4 10’ de latitude nord mentionnés dans cet article. Bien que pourraient mettre en cause un intérêt d’ordre juridique qui
la Convention de 1891 puisse être considérée comme leur soit propre, soit parce qu’ils sont étrangers aux
revêtant une certaine importance pour l’Indonésie, la arguments de l’Indonésie et de la Malaisie, soit parce que
Malaisie et les Philippines, ces dernières n’ont pas fait la l’argumentation que développent ces dernières est sans
preuve qu’elles auraient un intérêt d’ordre juridique incidence sur la question de savoir si, comme le prétendent

susceptible d’être mis en cause par la solution ou le les Philippines en liaison avec leur revendication au Nord-
raisonnement dans l’affaire opposant l’Indonésie et la Bornéo, le Sultanat de Sulu au rait conservé la souveraineté
Malaisie. sur celui-ci.
La nature précise des liens juridiques existant en 1907,
telle qu’elle est traitée dans l’échange de notes des 3 et
L’objet précis de l’intervention
10juillet 1907 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis (par. 84 à 93)
concernant l’administration de certaines îles de la côte En ce qui concerne «l’objet précis de l’intervention»
orientale de Bornéo par la BNBC, n’est pas déterminante
pour les prétentions de la Malaisie. Par conséquent, les que les Philippines indiquent, la Cour énonce les trois objets
Philippines n’ont démontré aucun intérêt d’ordre juridique cités plus haut.
qui nécessiterait leur intervention au titre de l’Article 62 en Pour ce qui est du premier des trois objets exposés dans
la requête des Philippines, la Cour relève que des formules
vue de présenter leur interprétation de l’échange de notes de similaires ont été employées dans d’autres requêtes à fin
1907.
La Cour note aussi que la Convention de 1930 conclue d’intervention et qu’elle n’a pas estimé qu’elles
entre la Grande-Bretagne et les États-Unis et relative à la constituaient un obstacle juridique à l’intervention.
frontière entre l’archipel des Philippines et le Nord-Bornéo En ce qui concerne le deuxième objet exposé par les
Philippines, la Cour, dans son ordonnance du 21octobre
a plus particulièrement pour objet de déterminer celles des 1999 en l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre
îles de la région « appartenant » aux États-Unis d’une part et
à l’État du Nord-Bornéo de l’ autre. Cette convention, au le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), requête à
stade actuel de la procédure, n’apparaît pas à la Cour fin d’intervention, a récemment réaffirmé ce qu’avait dit une
comme concernant le statut juridique du territoire principal chambre de la Cour, à savoir que :
du Nord-Bornéo. «[d]ans la mesure où l’intervention [d’un État] a pour
objet “d’informer la Cour de la nature des droits [de cet
La Cour conclut aussi que tout intérêt que les Philippines
prétendent avoir en rapport avec l’usage que la Cour État] qui sont en cause dans le litige”, on ne peut pas
pourrait faire de l’ordonnance de 1946 adoptée en conseil dire que cet objet n’est pas approprié: il semble
portant cession du Nord-Bornéo, en l’affaire opposant d’ailleurs conforme au rôle de l’intervention» ( C.I.J.
l’Indonésie et la Malaisie, apparaît trop éloigné pour Recueil 1999, p. 1034, par. 14).
Quant au troisième objet exposé dans la requête, la Cour
justifier une intervention au titre de l’Article 62.
La Cour considère que les Philippines doivent non observe qu’il en a été question de façon très occasionnelle
seulement montrer à la Cour qu’elles possèdent, en rapport au cours de la procédure orale. Mais les Philippines n’ont
avec l’affaire opposant l’Indonésie et la Malaisie, «un pas davantage développé cet aspect et n’ont pas non plus
certain intérêt» quant aux «considérations juridiques» soutenu qu’il pourrait à lui seul suffire en tant qu’«objet»
au sens de l’article 81 du Règlement. La Cour rejette donc

226ce troisième objet comme étant dénué de pertinence au deux îles que l’Indonésie et la Malaisie défendent dans la
regard de son Statut et de son règlement. procédure principale. Suite aux objections soulevées par

La Cour conclut que bien que les deux premiers objets l’Indonésie et la Malaisie, les Philippines n’ont pas été
que les Philippines ont assignés à leur intervention soient autorisées à avoir accès aux écritures des Parties et, en
appropriés, les Philippines n’ont pas rempli leur obligation conséquence, ne sont toujours pas en mesure de savoir si
de convaincre la Cour que des intérêts d’ordre juridique leurs intérêts en fait risquent ou non d’être mis en cause par
spécifiés pourraient être en cau se dans les circonstances de la décision de la Cour dans l’affaire principale. En cherchant
à intervenir, tout ce que les Philippines pouvaient faire, et
la présente espèce. c’est ce qu’elles ont fait dans le ur requête, c’était de faire

Opinion dissidente du juge Oda connaître leur revendication de souveraineté au Nord-
Bornéo, qui risque d’être mise en cause par la décision qui
M.Oda a voté contre le dispositif de l’arrêt, parce qu’il sera rendue en l’affaire.
est convaincu que la requête des Philippines à fin MO.daconsidèrequ’il appartient non pas aux
d’intervention en l’affaire opposant l’Indonésie et la Philippines mais à l’Indonésie et à la Malaisie de donner
Malaisie aurait dû être admise.
aux Philippines les assurances que leurs intérêts ne seront
Il se réfère aux quatre dernières décisions rendues pas mis en cause par l’arrêt que la Cour doit rendre en
respectivement en 1981, 1984, 1990 et 1999 sur des l’affaire principale. Il se demande s’il était vraiment
requêtes à fin d’intervention déposées en vertu de raisonnable –voire acceptable– que l’Indonésie et la
l’Article62 du Statut. Il souligne que sa position dans les Malaisie exigent des Philippines qu’elles expliquent en quoi
quatre affaires en question n’a pas varié. À son avis, leur intérêt risque d’être mis en cause par la décision en
l’Article 62 du Statut de la Cour devrait être interprété dans l’affaire, alors qu’elles ne lui ont pas révélé les thèses
un sens large de manière à permettre à un État, voire un État
défendues à l’appui de leurs revendications dans l’affaire
sans lien juridictionnel avec les Parties, qui démontre que, principale. Il indique qu’au moment du dépôt de la requête à
« dans un différend, un intérêt d’ordre juridique est pour lui fin d’intervention, et à tout le moins jusqu’au second tour
en cause», de prendre part à l’instance en qualité de tierce des plaidoiries, les Philippines ne pouvaient pas savoir en
partie. Il rappelle avoir émis aussi le même avis dans une quoi les revendications respectives de l’Indonésie et de la
conférence prononcée à l’Académie de droit international de Malaisie sur les deux îles en question auraient un rapport
La Haye en 1993. avec leur propre revendicatio n de souveraineté au Nord-

M.Oda considère par ailleurs que lorsqu’un État est Bornéo. Il se déclare frappé par le caractère injuste vis-à-vis
autorisé à intervenir dans une affaire en tant que tierce de l’État intervenant de l’ensemble de la procédure en
partie, ce n’est pas à lui qu’il revient de prouver à l’avance l’affaire. À son sens, l’argument concernant « les traités, les
que son intérêt sera mis en cause par la décision qui sera accords et autres éléments de preuve» ne pouvait pas et
rendue en ladite affaire. À son sens, faute de participer à la n’aurait pas dû être mis en avant tant que les Philippines
phase de l’affaire sur le fond, l’État cherchant à intervenir n’avaient pas eu la possibilité de participer à la procédure

n’a aucun moyen de savoir quelles sont les questions en jeu, principale.
en particulier lorsqu’il lui est refusé d’avoir accès aux
écritures. Aussi, M.Oda estime- t-il que si une requête à fin Opinion individuelle du juge Koroma
d’intervention doit être rejetée, c’est aux Parties à l’instance
principale qu’il devrait appartenir de démontrer que l’intérêt Dans son opinion individuelle, M. Koroma indique qu’il
de l’État tiers ne sera pas mis en cause par la décision ne peut, même s’il a voté en faveur de l’arrêt, faire
rendue en l’espèce. complètement siennes certaines des positions qui y ont été
adoptées.
M.Oda fait observer que la question de savoir si en fait
un État cherchant à intervenir a ou n’a pas un intérêt d’ordre De son point de vue, l’inte rprétation large que la Cour
juridique ne peut être examinée que lors de la phase sur le donne au mot «décision» à l’Article 62, qui inclut non
fond. Il dit qu’après avoir entendu l’État intervenant au seulement le dispositif de l’arrêt mais aussi le raisonnement
cours de la procédure principale, la Cour pourrait somme qui le sous-tend, même si elle peut ne pas être erronée, n’est
pas exempte de doutes et de difficultés et pourrait empêcher
toute conclure dans certains cas que son intérêt ne sera pas la Cour de dire le droit ou d’interpréter ou d’apprécier
mis en cause par sa décision. exhaustivement les instruments ou questions juridiques dont
M.Oda ajoute que la présen te procédure a été conduite
d’une manière qui s’écarte considérablement des elle est saisie dans un cas particulier de crainte qu’une
considérations susmentionnées. Les Philippines ont eu interprétation antérieure d’un instrument juridique pourrait
revenir la hanter à l’occasion d’une demande qui ne lui a pas
connaissance de l’objet du différend opposant l’Indonésie et encore été soumise.
la Malaisie tel qu’énoncé à l’article 2 du compromis du Pour M. Koroma, il appartient à la Cour, dans l’exercice
31 mai 1997, mais ne savent toujours pas comment les deux
Parties développeront leur argumentaire concernant la de sa fonction judiciaire, de dire le droit et de trancher
souveraineté sur les deux îles. Au mieux, les Philippines chaque affaire au fond en tenant compte de tous les points
peuvent supposer que leurs intérêts au Nord-Bornéo de droit et de fait qui lui ont été soumis. Pour lui, la décision
risquent d’être mis en cause en fonction des thèses sur les de la Cour réside dans le dispositif car c’est celui-ci qui

227énonce les conclusions de la Cour en réponse à celles des propres prétentions à la Cour et que celle-ci aurait dû le dire
parties dans une instance donn ée. Il relève aussi que la expressément.

décision de la Cour dans cette instance, que la requête à fin Cet élément non seulement est important du point de vue
d’intervention y soit accueillie ou non, ne peut être juridique, mais a aussi des conséquences pratiques.
considérée comme étant revêtue de l’autorité de la force Il est parfois affirmé que l’intervention de tierces parties
jugée pour les États qui ne sont pas parties au différend va fondamentalement à l’encontre du système de la
porté devant la Cour et que, selon l’Article 59 du Statut de
la Cour, « [l]a décision de la Cour n’est obligatoire que pour juridiction consensuelle; afin d’éviter que des États se
les parties en litige et dans le cas qui a été décidé ». sentent moins disposés à saisir la Cour de crainte de
s’exposer au risque de voir un État tiers obtenir trop
Si la décision est considérée comme n’étant pas facilement l’autorisation d’intervenir, la Cour devrait, pour
obligatoire pour un État qui n’est pas partie au différend, il des raisons de politique judici aire, accorder une attention
s’ensuit que le raisonnement qui sous-tend la décision ne particulière au caractère bien précis de l’intérêt d’ordre
peut non plus être considéré comme obligatoire. juridique dont il est question au paragraphe 1 de l’Article 62

M. Koroma conclut qu’il ne convient pas par conséquent de son Statut ainsi qu’au caractère plausible des prétentions
de donner à l’Article 62 une interprétation qui pourrait qui fondent cet intérêt.
empêcher la Cour d’exercer comme il se doit sa fonction
judiciaire ou obliger les États à faire preuve d’une vigilance Opinion individuelle de M. Weeramantry,
indue à l’égard du raisonnement adopté par la Cour pour juge ad hoc
statuer sur une affaire à laquelle cet État n’est pas partie.
M.Weeramantry souscrit à la décision de la Cour mais
estime que la présente affa ire offre une bonne occasion
Déclaration du juge Parra-Aranguren d’examiner la notion de l’intervention en droit international

Même s’il a voté en faveur du dispositif de l’arrêt, du fait de la rareté de la jurisprudence en ce domaine et de
MP.arra-Aranguren estime nécessaire d’indiquer que l’importance croissante que revêtiront les procédures
l’Article 62 du Statut ne vise que le dispositif de l’arrêt dans d’intervention dans notre monde de plus en plus
la procédure principale. Les constatations ou le interdépendant. Il examine dans son opinion le large pouvoir
raisonnement étayant l’arrêt que rendra la Cour dans la discrétionnaire que la Cour tient de l’Article 62 ainsi que les
procédure principale ne sont pas connus à ce stade de principes qui peuvent être dé gagés d’une comparaison des

l’instance. Il est dès lors impossible d’en tenir compte règles de droit interne et de droit international en matière
comme le soutient la majorité (par.47) afin de déterminer d’intervention et des différences existant entre elles. Il prend
s’ils mettent en cause l’intérêt d’ordre juridique de l’État qui acte de l’utilité de ces principes pour la Cour dans l’exercice
cherche à intervenir. Il ne saurait dès lors souscrire aux du pouvoir discrétionnaire que celle-ci tient de l’Article 62.
autres paragraphes de l’arrêt où la Cour conclut, après Il termine par des observations sur les problèmes que posent
examen de certains documents, que l’interprétation de ceux- le lien juridictionnel, l’intérêt d’ordre juridique, l’objet
ci ne met pas en cause l’intérêt d’ordre juridique invoqué précis de l’intervention, la tardiveté de l’intervention et le

par les Philippines. caractère confidentiel des pièces de la procédure écrite.

Opinion individuelle du juge Kooijmans Opinion individuelle de M. Franck, juge ad hoc

M. Kooijmans souscrit entièrement à la conclusion de la M.Franck souscrit à l’arrêt de la Cour et à sa
Cour selon laquelle les Philippines n’ont pas démontré que motivation. Il ajoute toutefois que la requête des Philippines
leur intérêt d’ordre juridique pouvait être mis en cause par la se heurte aussi à un principe juridique supérieur: le droit
décision de la Cour dans l’af faire relative à la souveraineté des peuples non autonomes à disposer d’eux-mêmes. Ce
sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan entre l’Indonésie et la droit a été confirmé par des traité s, des arrêts de la Cour et
des résolutions de l’Assemblée générale. Il a tout
Malaisie et aussi à celle selon laquelle la requête à fin simplement acquis une valeur prééminente en droit
d’intervention des Philippines ne peut par conséquent être
admise. international contemporain.
La Cour aurait pu et aurait dû toutefois, selon lui, Dans le cas de la décolonisation du Nord-Bornéo,
accorder plus d’attention au critère qu’elle a énoncé elle- M.Franck estime que ce dro it a été exercé en 1963 à
l’occasion d’élections à la suite desquelles le représentant
même lorsqu’elle a dit que les Philippines «[devaient] du Secrétaire des Nations Unies, agissant à titre
exposer avec suffisamment de précision leurs propres
prétentions de souveraineté au Nord-Bornéo ainsi d’observateur, a attesté le caractère régulier et définitif du
qu’indiquer les instruments juridiques supposés fonder ces choix populaire exercé par les électeurs en faveur de la
prétentions» (par.0 de l’arrêt). Il estime que les constitution d’une fédération avec la Malaisie, décision qui
Philippines, par leur absence de réponses à certaines a été entérinée par le Comité chargé des territoires non
questions très pertinentes soulevées au cours de la procédure autonomes de l’Assemblée générale de l’Organisation des
Nations Unies.
orale, n’ont pas exposé avec suffisamment de précision leurs

228 Pour M. Franck, la Cour doit tenir pour acquis le pas saurait aujourd’hui être tenu comme primant l’exercice

important franchi par le droit international du fait de reconnu d’un droit aussi fondamental. Leur revendication
l’adoption et de la mise en œuvre du droit des peuples à étant forclose en droit, les Philippines ne peuvent être
disposer d’eux-mêmes. Dès lors, l’intérêt, quel qu’il soit, considérées comme ayant un intérêt d’ordre juridique
que les Philippines ont pu hériter du Sultan de Sulu – même qu’elles pourraient continuer à faire valoir devant la Cour.
s’il était possible d’en rapporter dûment la preuve –, ne

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Résumé de l'arrêt du 23 octobre 2001

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