Résumé de l'arrêt du 19 décembre 2005

Document Number
10457
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Number (Press Release, Order, etc)
2005/3
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2005/3
Le 19 décembre 2005

Activités armées sur le territoire du Congo

(République démocratique du Congo c. Ouganda)

Résumé de l’arrêt du 19 décembre 2005

Historique de la procédure et conclusions des Parties (par. 1-25)

La Cour commence par résumer les différentes étapes de la procédure.

Le 23 juin 1999, la République démocratique du Congo (dénommée ci-après «la RDC») a
déposé une requête introductive d’instance contre la République de l’Ouganda (dénommée ci-après
«l’Ouganda») au sujet d’un différend relatif à «des actes d’agression arméeperpétrés par l’Ouganda

sur le territoire de la République démocratiquedu Congo en violation flagrante de la Charte des
NationsUnies et de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine» (l es italiques sont dans
l’original).

La requête invoquait, pour fonder la compétence de la Cour, les déclarations par lesquelles

les deux Etats avaient accepté la juridiction obliatoire de celle-ci au titre du paragraphe2 de
l’article 36 du Statut de la Cour.

Par ordonnance du 21octobre1999, la Cour a fi xé les dates d’expiration des délais pour le
dépôt du mémoire de la RDC et du contre-mémoire de l’Ouganda. La RDC a déposé son mémoire

dans le délai prescrit. Le 19 juin 2000, la RDC a présenté à la C our une demaner en indication de
mesures conservatoires en vertu de l’article41 du Statut. Par ordonnance du 1 juillet 2000, la
Cour, après avoir entendu les Parties, a indiqué certaines mesures conservatoires. Par la suite,
l’Ouganda a déposé son contre-mémoire dans le délai fixé. Cette pièce comprenait des demandes
reconventionnelles.

La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles
s’est prévalue du droit que lui confère l’article31 du Statut de procéder à la désignation d’un
juge ad hoc pour siéger en l’affaire. La RDC a désigné M. Joe Verhoeven et l’Ouganda,
M. James L. Kateka. - 2 -

Lors d’une réunion que le président de la Cour a tenue avec les agents des Parties le
11juin2001, la RDC, invoquant l’article80 du Règlement de la Cour, a soulevé certaines

objections à la recevabilité des demandes rec onventionnelles formulées par l’Ouganda. Les
deuxagents sont convenus que leurs gouvernements respectifs déposeraient des observations
écrites sur cette question et se sont accordés sur les délais à cet effet. Ces observations ont été
déposées dans le délai ainsi fixé.

Par ordonnance du 29novembre2001, la C our a estimé que deux des trois demandes
reconventionnelles présentées par l’Ouganda étaient recevables comme telles et faisaient partie de
l’instance en cours, mais non la troisième. Elle a également prescrit la présentation, par la RDC,

d’une réplique et, par l’Ouganda, d’une duplique, portant sur les demandes des deux Parties, et a
fixé les dates d’expiration des délais pour le dépôt de ces pièces de procédure. Enfin, la Cour a dit
qu’il échoyait, «aux fins d’assurer une stricte égalité entre les Parties, de réserver le droit, pour le
Congo, de s’exprimer une seconde fois par écrit sur les demandes reconventionnelles de l’Ouganda,

dans une pièce additionnelle dont la présentation pourrait fairel’objet d’une ordonnance ultérieure».

La RDC a dûment déposé sa réplique dans le délai prescrit, tandis que l’Ouganda a déposé sa
duplique dans le délai prorogé par une autre or donnance. Par ordonnance du 29janvier2003, la

Cour, compte tenu de l’accord des Parties, a autorisé la présentation par la RDC d’une pièce
additionnelle portant exclusivement sur les de mandes reconventionnelles soumises par l’Ouganda
et a fixé un délai pour le dépôt de cette pièce. La RDC a dûment déposé la pièce additionnelle dans
le délai fixé.

Lors d’une réunion que le président de la Cour a tenue avec les agents des Parties le
24avril2003, ceux-ci ont présenté leurs vues quant à l’organisation de la procédure orale sur le
fond. Conformément au paragraphe1 de l’article54 de son Règlement, la Cour a fixé au

10novembre2003 la date d’ouverture de la procé dure orale. Le 5 novembre 2003, l’agent de
laRDC s’est enquis de la possibilité de remettre à une date ultérieure, à savoir au mois
d’avril2004, l’ouverture des audiences en l’affaire, «en vue de permettre aux négociations
diplomatiques engagées par les Par ties de se dérouler dans un climat de sérénité». Par lettre du

6 novembre 2003, l’agent de l’Ouganda a informé la Cour que son gouvernement «appu [yait] cette
proposition et [s’associait] à cette demande». Par lettre datée du même jour, le greffier a fait savoir
aux deux Parties que la Cour, « [ayant tenu] compte [de leurs] représentations, [avait] décidé de

renvoyer l’ouverture de la procédure orale en l’a ffaire». Par lettre du 9 septembre 2004, l’agent de
la RDC a formellement invité la Cour à fixer une nouvelle date pour l’ouve rture de la procédure
orale. Par lettres datées du 20octobre2004, le greffier a informé les Parties que la Cour avait
décidé de fixer au lundi 11 avril 2005 la date d’ouverture de la procédure orale en l’affaire.

Des audiences publiques ont été tenues du 11 avr il au 29 avril 2005, au cours desquelles les
Parties ont présenté les conclusions ci-après :

Au nom du Gouvernement de la RDC,

à l’audience du 25 avril 2005, concernant les demandes de la RDC :

«La République démocratique du Congo prie la Cour de dire et juger :

1. Que la République de l’Ouganda, en se livrant à des actions militaires et

paramilitaires à l’encontre de la Républi que démocratique du Congo, en occupant
son territoire, et en soutenant activemen t, sur les plans militaire, logistique,
économique et financier des forces irrégulières qui y opéraient, a violé les
principes conventionnels et coutumiers suivants : - 3 -

⎯ le principe du non-recours à la force dans les relations internationales, y compris
l’interdiction de l’agression;

⎯ l’obligation de régler les différends internationaux exclusivement par des moyens
pacifiques de telle manière que la paix et la sécurité internationale ainsi que la
justice ne soient pas mises en danger;

⎯ le respect de la souveraineté des Etats et du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes et donc de choisir librement et sans ingérence extérieure leur régime

politique et économique;

⎯ le principe de non-intervention dans les a ffaires qui relèvent de la compétence
nationale des Etats, y compris en s’abst enant de toute assistance aux parties à une

guerre civile opérant sur le territoire d’un autre Etat.

2. Que la République de l’Ouganda, en se livrant à des exactions à l’encontre des
ressortissants de la République démocr atique du Congo, en tuant, blessant, ou

spoliant ces ressortissants, en s’abstenant de prendre les mesures adéquates
permettant de prévenir les violations des droits de l’homme en RDC par des
personnes se trouvant sous sa juridiction ou son contrôle, et/ou en s’abstenant de
punir les personnes se trouvant sous sa juridiction ou son contrôle s’étant engagées

dans les actes susmentionnés, a violé les principes conventionnels et coutumiers
suivants :

⎯ le principe conventionnel et coutumier qui impose de respecter et faire respecter

les droits fondamentaux de la personne, y compris en période de conflit armé,
conformément au droit international humanitaire;

⎯ le principe conventionnel et coutumier qui impose d’opérer en tout temps une

distinction entre objets civils et objectifs militaires dans le cadre d’un conflit armé;

⎯ les droits des ressortissants congolais à béné ficier des droits les plus élémentaires

en matière civile et politique, comme en matière économique, sociale et culturelle.

3. Que la République de l’Ouganda, en se livrant à une exploitation illégale des
ressources naturelles congolaises, en spoliant ses biens et ses richesses, en

s’abstenant de prendre les mesures adéquat es permettant de prévenir l’exploitation
illicite des ressources de la RDC par des personnes se trouvant sous sa juridiction
ou son contrôle, et/ou en s’abstenant de punir les personnes se trouvant sous sa
juridiction ou son contrôle s’étant engag ées dans les actes susmentionnés, a violé

les principes conventionnels et coutumiers suivants :

⎯ les règles applicables du droit international humanitaire;

⎯ le respect de la souveraineté des Etats, y compris sur leurs ressources naturelles;

⎯ le devoir de favoriser la réalisation du prin cipe de l’égalité des peuples et de leur
droit à disposer d’eux-mêmes, et par conséquent de ne pas soumettre des peuples à

la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères;

⎯ le principe de non-intervention dans les a ffaires qui relèvent de la compétence

nationale des Etats, y compris dans le domaine économique. - 4 -

4. a) Que les violations du droit inte rnational énumérées aux conclusions
numéros1, 2 et 3 constituent des fa its illicites imputables à l’Ouganda qui

engagent sa responsabilité internationale;

b) que la République d’Ouganda est te nue de cesser immédiatement tout fait
internationalement illicite qui se poursuit de façon continue, et en particulier

son soutien à des forces irrégulières opé rant en RDC et son exploitation des
ressources naturelles et des richesses congolaises;

c) que la République d’Ouganda est tenue de fournir des garanties et assurances

spécifiques de non-répétition des faits illicites dénoncés;

d) que la République d’Ouganda est tenue envers la République démocratique
du Congo de l’obligation de réparer tout préjudice causé à celle-ci par la

violation des obligations imposées par le droit international et énumérées
dans les conclusions numéros 1, 2 et 3 ci-dessus;

e) que la nature, les formes et le montant de la réparation seront déterminés par

la Cour, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet, et
qu’elle réserve à cet effet la suite de la procédure.

5. Que la République de l’Ouganda a violé l’ordonnance de la Cour sur les mesures
er
conservatoires en date du 1 juillet 2000 en ce qu’elle n’a pas observé les mesures
conservatoires suivantes :
«1) les deux Parties doivent, immédiatement, prévenir et s’abstenir de
tout acte, et en particulier de toute action armée, qui risquerait de

porter atteinte aux droits de l’autre Partie au regard de tout arrêt que
la Cour pourrait rendre en l’affaire, ou qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre la solution
plus difficile;

2) les deux Parties doivent, immédi atement, prendre toutes mesures
nécessaires pour se conformer à toutes leurs obligations en vertu du
droit international, en particulier en vertu de la Charte des

NationsUnies et de la Charte de l’Organisation de l’unité africaine,
ainsi qu’à la résolution1304 (2 000) du Conseil de sécurité des
Nations Unies en date du 16 juin 2000;

3) les deux Parties doivent, immédi atement, prendre toutes mesures
nécessaires pour assurer, dans la zone de conflit, le plein respect des
droits fondamentaux de l’homme, ainsi que des règles applicables du
droit humanitaire»»;

à l’audience du 29 avril 2005, concernant les demandes reconventionnelles de l’Ouganda :

«Le Congo demande à la Cour internationale de Justice de dire et juger :

En ce qui concerne la première demande reconventi onnelle présentée par
l’Ouganda, - 5 -

1) dans la mesure où elle s’étend à la période antérieure à l’arrivée au pouvoir de

Laurent-DésiréKabila, la demande ouga ndaise est irrecevable, l’Ouganda ayant
préalablement renoncé à introduire cette réclamation; subsidiairement, cette
demande est non fondée, l’Ouganda n’ayant pas démontré les faits qui sont à la
base de sa demande;

2) dans la mesure où elle s’étend à la période allant de l’arrivée au pouvoir de
Laurent-DésiréKabila au déclenchement de l’agression ougandaise, la demande
ougandaise n’est pas fondée en fait, l’Ouganda n’ayant pas démontré les faits qui

sont à la base de sa demande;

3) dans la mesure où elle s’étend à la période postérieure au déclenchement de
l’agression ougandaise, la demande ougandaise n’est fondée ni en fait ni en droit,

l’Ouganda n’ayant pas démontré les faits qui sont à la base de sa demande, et la
République démocratique du Congo s’étant en tout état de cause trouvée, à partir
du 2 août 1998, en situation de légitime défense.

En ce qui concerne la deuxième de mande reconventionnelle présentée par
l’Ouganda,

1) dans la mesure où elle por te désormais sur l’interprétation et l’application de la

convention de Vienne de 1961 sur les re lations diplomatiques, la demande
présentée par l’Ouganda modifie radicalement l’objet du différend, contrairement
au Statut et au Règlement de la Cour; ce volet de la demande doit dès lors être
écarté du cadre de la présente instance;

2) le volet de la demande relatif à des ma uvais traitements dont auraient été victimes
certains ressortissants ougandais reste irr ecevable, l’Ouganda n’ayant toujours pas
montré que les conditions mises par le droit international à l’exercice de sa

protection diplomatique étaient réunies; s ubsidiairement, ce volet de la demande
est non fondé, l’Ouganda n’étant toujours pas en mesure d’établir les fondements
factuels et juridiques de ses allégations;

3) le volet de la demande relatif à la prétendue expropriation de biens publics
ougandais est non fondé, l’Ouganda n’étant toujours pas en mesure d’établir les
fondements factuels et juridiques de ses allégations.»
Au nom du Gouvernement de l’Ouganda,

à l’audience du 27 avril 2005, concernant les demandes de la RDC et les demandes
reconventionnelles de l’Ouganda :

«La République de l’Ouganda prie la Cour :

1) De juger et déclarer conformément au droit international :

A) que les prétentions de la Républi que démocratique du Congo relatives aux
activités ou aux situations impliquant la République du Rwanda ou ses agents
sont irrecevables pour les raisons énoncées au chapitrX e V du
contre-mémoire et réaffirmées à l’audience;

B) que les prétentions de la République démocratique du Congo tendant à ce que
la Cour juge que la République de l’Ouganda est responsable de diverses
violations du droit international, suiv ant les allégations formulées dans le

mémoire, dans la réplique et/ou à l’audience, sont rejetées; et - 6 -

C) que les demandes reconventionnelles de l’Ouganda formulées au
chapitreXVIII du contre-mémoire et renouvelées au chapitreVI de la

duplique ainsi qu’à l’audience sont confirmées.

2) De réserver à un stade ultérieur de la procédure la question des réparations en
rapport avec les demandes reconventionnelles de l’Ouganda.»

Situation dans la région des Grands Lacs et mission de la Cour (par. 26)

La Cour note qu’elle est consciente de la s ituation complexe et tragique qui prévaut depuis
longtemps dans la région des GrandsLacs et de la souffrance de la population locale. Elle fait

observer que, en particulier, l’instabilité en RDC a eu des incidences négatives pour la sécurité de
l’Ouganda et de quelques autres Etats voisins. La Cour indique néanmoins que sa mission est de
trancher, sur la base du droit international, le différend juridique précis qui lui est soumis.

Premier chef de conclusions de la RDC (par. 28-165)

⎯ Arguments des Parties (par. 29-41)

La Cour expose les arguments des Parties. La RDC affirme que, après l’accession du
présidentLaurent-Désiré Kabila au pouvoir en mai 1997, l’Ouganda et le Rwanda se sont vu
accorder en RDC d’importants avantages dans les domaines économique et militaire. Selon
laRDC, le présidentKabila s’est toutefois e fforcé, par la suite, de réduire progressivement

l’influence de ces deux Etats et cette «nouvelle politique d’indépendance et d’émancipation» à leur
égard a constitué la cause de l’invasion du territoire congolais par les forces armées ougandaises en
août1998. La RDC soutient que l’Ouganda et le Rwanda ont organisé, le 4août1998, une
opération aéroportée, acheminant leurs soldats par avion de la ville de Goma, située sur la frontière

orientale de la RDC, à Kitona, qui se trouve à que lque 1800 kilomètres de là, à l’autre extrémité du
pays, sur le littoral atlantique. Elle affirme en outre que l’avancée des soldats des Forces de
défense du peuple ougandais (UPDF) dans le nord-est du pays les a amenés, en quelques mois, à
occuper, dans diverses provinces, des parties im portantes du territoire congolais. La RDC allègue

également que l’Ouganda apportait un soutie n aux groupes armés congolais opposés au
gouvernement du présidentKabila. L’Ouganda a ffirme pour sa part qu’aucun soldat ougandais
n’était présent le 4 août 1998 à Goma ou à Kitona, ni à bord des avions mentionnés par la RDC. Il
soutient que, lors de son arrivée au pouvoir, le président Kabila l’a invité à déployer ses forces dans

la partie orientale de la RDC, l’armée congolaise n’ayant pas les moyens de contrôler les provinces
orientales reculées, dans l’objectif d’«éliminer» les insurgés antiougandais opérant dans cette partie
du territoire et d’assurer la sécurité dans la région frontalière. L’Ouganda allègue qu’entre mai et

juillet 1998, le président Kabila a rompu ses alliance s avec le Rwanda et l’Ouganda, et en a établi
de nouvelles avec le Tchad, le Soudan et divers groupes d’insurgés antiougandais. Il affirme
n’avoir pas envoyé de renforts en RDC pendant le mois d’août1998, mais il indique que, sa
situation était néanmoins devenue intenable sur le plan de la sécurité, en août et septembre1998,

laRDC et le Soudan se préparant à attaquer les forces ougandaises dans l’est de la RDC.
L’Ouganda affirme avoir, en réaction à cette «grave menace et faisant usage de son droit souverain
de légitime défense», pris le 11 septembre 1998 la décision de renforcer ses effectifs dans l’est de
la RDC et de s’emparer des aérodromes et des ports fluviaux stratégiques du nord et de l’est de

laRDC. L’Ouganda note que le processus de paix régional alors en cours a abouti, le
10 juillet 1999, à la signature de l’accord de cess ez-le-feu de Lusaka, puis à la signature des plans
de désengagement de Kampala et de Harare. Enfi n, aux termes de l’accord bilatéral de Luanda,
signé le 6septembre2002, l’Ouganda acceptait de re tirer toutes ses forces du territoire congolais,

excepté celles qui étaient expressément autori sées par la RDC à rester sur les pentes des
monts Ruwenzori. L’Ouganda affirme avoir achevé ce retrait en juin 2003 et que, depuis lors, «pas
le moindre soldat ougandais n’a été déployé sur le territoire du Congo». - 7 -

⎯ Question du consentement (par. 42-54)

Après examen du dossier que lui ont soumis les Parties, la Cour estime qu’il ressort
clairement que, avant le mois d’août1998, la RDC ne s’était pas opposée à la présence et aux
activités des troupes ougandaises dans la zone frontaliè re de l’est du pays. La Cour prend note de
la signature, le 27 avril 1998, du protocole relatif à la sécurité le long de la frontière commune entre

les deux pays, dans lequel ils étaient convenus que leurs armées «coopérer[aient] afin d’assurer la
sécurité et la paix le long de la frontière commune». La Cour estime toutefois que si l’on peut
raisonnablement penser que la c oopération envisagée dans le protoc ole impliquait une prorogation
de l’autorisation accordée à l’Ouganda de mainte nir des troupes dans la région frontalière, le

protocole ne constituait pas le fondement juridiqu e de cette autorisation ou de ce consentement.
L’origine de l’autorisation ou du consentement au franchissement de la frontière par ces troupes
remontait à une date antérieure au protocole, et cette autorisation ou ce consentement préexistants

pouvaient par conséquent être retirés à tout moment par le Gouvernement de laRDC, sans
formalité particulière.

La Cour observe que, lorsque le présidentKabila arriva au pouvoir, l’influence de
l’Ouganda, et surtout du Rwanda, en RDC devint cons idérable. Elle indique que, à partir de la fin

du printemps1998, le présidentKabila chercha, pour diverses raisons, à réduire cette influence
étrangère. Le 28 juillet 1998, le pr ésident Kabila publia une déclara tion officielle, dans laquelle il
annonçait «qu’il v[enait] de mettre fin, à dater de …lundi 27juillet1998, à la présence militaire

rwandaise qui nous a assisté pendant la période de libération du pays» et concluait que «[c]eci
marqu[ait] la fin de la présence de toutes forces militaires étrangères au Congo». La RDC soutient
que, même si le texte de la déclaration ne visait pas expressément les troupes ougandaises, il
ressortait de sa dernière phrase que le retrait de son consentement concernait les troupes tant

ougandaises que rwandaises. L’Ouganda fait valoir pour sa part que la déclaration du président ne
visait que les forces rwandaises. En ce qui concerne la teneur de la déclaration du président Kabila,
la Cour observe que, sur un plan purement textuel, le propos était ambigu.

La Cour relève que le consentement en ve rtu duquel l’Ouganda avait pu déployer ses forces
enRDC et s’y livrer à des opérations militaires n’était pas sans limite. A supposer que le
consentement de laRDC à la pr ésence militaire ougandaise ait c ouvert une période allant bien
au-delà du mois de juillet 1998, les restrictions apportées à ce consentement, en ce qui concerne la

localisation des troupes ou les objectifs visés, auraient dû être respectées.

En l’occurrence, la question du retrait du consentement de la RDC et celle de l’élargissement
par l’Ouganda de la nature et de la portée de ses activités sont allées de pair. La Cour note que,

lors du sommet des chefs d’Etats qui s’est tenu les 7 et 8 août 1998 à VictoriaFalls, la RDC a
accusé l’Ouganda et le Rwanda d’avoir envahi son territoire. Ainsi, il ne fait aucun doute, de l’avis
de la Cour, que tout consentement antérieur de la RDC à la présence de troupes ougandaises sur
son territoire a été retiré, au plus tard, le 8 août 1998, date de la clôture du sommet.

⎯ Etablissement des faits concernant l’emploi de la force par l’Ouganda à Kitona
(par. 55-71)

La Cour observe que les divergences sur la date du début des opérations militaires de
l’Ouganda auxquelles laRDC n’a pas consenti mette nt principalement en cause la qualification
juridique des événements, et non la réalité de ces événements. Dans quelques cas, l’Ouganda
dément toutefois la présence même de ses soldats en certains endroits, l’opération militaire

à Kitona en offrant un important exemple.

La Cour expose ensuite la méthode qu’elle a choisie pour évaluer la quantité considérable
d’éléments de preuve produite par les Parties. Elle rappelle que sa tâche n’est pas seulement de

trancher la question de savoir lesquels d’entre e ux doivent être considérés comme pertinents; elle
est aussi de déterminer ceux qui revêtent une valeur probante à l’égard des faits allégués. La Cour - 8 -

explique qu’elle traitera avec prudence les élémen ts de preuve spécialement établis aux fins de
l’affaire ainsi que ceux provenant d’une source un ique. Elle leur préférera des informations

fournies à l’époque des événements par des pe rsonnes ayant eu de ceux-ci une connaissance
directe. Elle prêtera une attention toute particulière aux éléments de preuve dignes de foi attestant
de faits ou de comportements défavorables à l’Et at que représente celui dont émanent lesdits
éléments. La Cour accordera également du poids à des éléments de preuve dont l’exactitude n’a

pas été contestée par des sources impartiales. La Cour relève par ailleurs qu’une attention
particulière mérite d’être prêtée aux éléments de preuve obtenus pa r l’audition d’individus
directement concernés et soumis à un contre-interrogatoire par des juges rompus à l’examen et à
l’appréciation de grandes quantités d’informations factuelles. Elle tiendra donc compte comme il

convient du rapport de la commission judiciaire d’enquête sur les allégations d’exploitation illégale
des ressources naturelles et autres formes de richesse en République démocratique du Congo,
constituée par le Gouvernement ouganda is en mai 2001 et présidée par le juge David Porter («la
commission Porter»), rapport qui a été reconnu par les deux Parties.

Ayant examiné les éléments de preuve relatifs à l’argumentation de la RDC concernant les
évènements de Kitona, la Cour conclut qu’elle ne peut tenir pour établi à suffisance que l’Ouganda
a participé à l’attaque contre Kitona le 4 août 1998.

⎯ Etablissement des faits : opération militaire dans l’est de la RDC et dans d’autres
parties du pays (par. 72-91)

La Cour indique que les faits concernant l’opération militaire men ée par l’Ouganda dans
l’est de la RDC entre août1998 et juillet1999 fo nt l’objet de divergences de vues relativement
minimes entre les Parties. Sur la base des élém ents de preuve versés au dossier, elle établit les

localités prises par l’Ouganda au cours de cette période et les «dates de capture» correspondantes.

La Cour constate que les Parties sont toutef ois largement en désaccord sur la question de
savoir si, comme l’affirme la RDC, certaines villes ont été prises après le 10 juillet 1999. La Cour
rappelle que, à cette date, les Parties avaient c onclu un cessez-le-feu et approuvé l’ensemble des

autres dispositions de l’accord deLusaka. La Cour ne tire aucune conclusion quant à la
responsabilité de chacune des Parties pour toute vi olation de l’accord de Lusaka, se contentant
d’indiquer que les éléments de preuve produits ne l’ont pas convaincue de la présence des forces

ougandaises dans les localités dont la RDC prétend qu’elles ont été prises après le 10 juillet 1999.

⎯ Les accords de Lusaka, Kamp ala et Harare constituaient-ils un consentement de
la RDC à la présence de troupes ougandaises ? (par. 92-105)

La Cour aborde ensuite la question de savoir si l’accord de Lusaka, les plans de
désengagement de Kampala et de Harare et l’accord de Luanda valaient consentement à la présence
de troupes ougandaises sur le territoire de la RDC.

La Cour constate que rien dans les dispositions de l’accord de Lusaka ne peut être interprété
comme une reconnaissance de ce que la protection des intérêts de l’Ouganda en matière de sécurité
avait, dès septembre 1998, rendu nécessaire la présence de ses forces en territoire congolais. Selon

elle, l’accord de Lusaka établissait simplement, pour les parties, un modus operandi fixant un cadre
pour le retrait ordonné de toutes les forces étrangères de RDC. En acceptant ce modusoperandi ,
la RDC ne donnait pas son «consentement» à la présence de troupes ougandaises. Les revisions du
calendrier auxquelles il a fallu procéder ne modifient en rien cette conclusion.

Après un examen attentif des plans de désengagement de Kampala et de Harare, ainsi que de
l’accord de Luanda, la Cour conclut que les dive rs traités visant à l’organisation et au maintien
d’un cessez-le-feu, au retrait des forces étrangères et à la stabilisation des relations entre la RDC et

l’Ouganda n’emportaient pas (hormis l’exception limitée relative à la région frontalière - 9 -

des monts Ruwenzori contenue dans l’accord de Luanda) un consentement de la RDC à la présence
de troupes ougandaises sur son territoire à compte r du mois de juillet 1999, qui aurait validé cette

présence en droit.

⎯ La légitime défense au regard des faits établis (par. 106-147)

La Cour indique que la nature des activit és menées par l’Ouganda àAru, Beni, Bunia et
Watsa en août1998 différait de celle des opérations antérieures entreprises le long de la frontière
commune. Elle estime que ces actions vont bien au -delà de tout arrangement intervenu entre les
Parties au sujet de la présence de l’Ouganda en territoire congolais à proximité de la frontière. De

telles activités ne pourraient dès lors se justifie r, à supposer que cela fût possible, qu’en tant
qu’actions menées en état de légitime défense. Or, la Cour observe que l’Ouganda n’a jamais
cherché à les justifier sur cette base. L’opération connue sous le nom d’opération «Safe Haven», à
savoir les actions militaires menées par l’Ouganda sur le territoire congolais après le 7 août 1998,

était, au contraire, clairement fondée sur la revendication par l’Ouganda d’un droit de «préserver
[ses] intérêts légitimes…en matière de sécur ité», et, selon la Cour, les personnes le plus
étroitement impliquées dans l’exécution de cette opération considéraient les actions militaires
menées tout au long du mois d’août 1998 comme s’inscrivant déjà dans le cadre de celle-ci.

La Cour note que les objectifs de l’opéra tion «SafeHaven» énoncés dans un document du
haut commandement ougandais publié le 11 septembre 1998 ne relèvent pas de la légitime défense
au sens où l’entend le droit international. L’O uganda soutient que l’opération avait été lancée en

raison de la «multiplication des attaques transfrontalières dirigées contre l’Ouganda par lesFDA
[Forces démocratiques alliées], réapprovisionnées en armes et en munitions par le Soudan et par le
Gouvernement de la RDC». Il affirme qu’à cette fin, la RDC, les FDA et le Soudan avaient formé

une conspiration tripartite. Après un examen attentif des éléments de preuve soumis par
l’Ouganda, la Cour relève qu’elle ne peut s’appuyer sur lesdits éléments pour établir qu’il existait
un accord entre la RDC et le Soudan en vue de participer à une opération militaire contre
l’Ouganda ou de soutenir pareille opération; ou que quelque autre action du Soudan aurait, de par

sa nature, pu justifier la thèse de l’Ouganda selon laquelle il a agi en état de légitime défense.

La Cour observe ensuite que l’Ouganda n’a pas porté à la connaissance du Conseil de
sécurité les événements qui, à ses yeux, lui avaient imposé d’exercer son droit de légitime défense.

Elle ajoute que l’Ouganda n’a jamais soutenu avoir été l’objet d’une agression de la part des forces
armées de la RDC. L’«agression armée» à laquelle il a été fait référence était plutôt le fait
des FDA. En outre, il n’existait pas de preuve sa tisfaisante d’une implication directe ou indirecte
du Gouvernement de la RDC dans ces attaques.

La Cour conclut que les conditions de droit et de fait justifiant l’exercice d’un droit de
légitime défense par l’Ouganda à l’encontre de la RDC n’étaient pas réunies.

⎯ Appréciation en droit quant à l’interdiction de l’emploi de la force (par. 148-165)

S’agissant de l’allégation de la RDC selon laquelle, à partir de se ptembre 1998, l’Ouganda
aurait créé et placé sous son contrôle le gr oupe rebelle duMouvemen t de libération du Congo

(MLC) dirigé par M.Bemba, la Cour conclut qu’i l n’existe aucun élément de preuve crédible au
soutien de cette allégation. Elle fait toutefois ob server que l’entraînement dispensé à l’ALC, l’aile
militaire du MLC, ainsi que le soutien qui lui a été fourni n’emportent pas moins violation de
certaines obligations de droit international. - 10 -

S’agissant du premier chef de conclusions finales de la RDC, la Cour conclut que l’Ouganda
a violé la souveraineté ainsi que l’intégrité territoriale de la RDC. Elle précise que les actes de

l’Ouganda ont également constitué une ingérence dans les affaires intérieures de la RDC et dans la
guerre civile qui y faisait rage. L’intervention militaire illicite de l’Ouganda a été d’une ampleur et
d’une durée telles que la Cour la considère comme une violation grave de l’interdiction de l’emploi
de la force énoncée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies.

Question de l’occupation de guerre (par. 166-180)

Avant d’en venir au deuxième et au troisièm e chefs de conclusions de la RDC, la Cour

examine la question de savoir si l’Ouganda éta it ou non une puissance occupante dans les parties
du territoire congolais où ses troupes étaient présentes à l
’époque pertinente.

Elle observe que, selon le droit internationa l coutumier tel que reflété à l’article42 du

règlement de La Haye de 1907, un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé
de fait sous l’autorité de l’armée ennemie, et que l’occupation ne s’étend qu’au territoire où cette
autorité est établie et en mesure de s’exercer.

La Cour indique qu’il n’est pas contesté par les Parties que le généralKazini, commandant
des forces ougandaises en RDC, a créé la nouvelle pr ovince de «Kibali-Ituri» en juin1999. De
l’avis de la Cour, que le généralKazini, comma ndant des forces ougandaises en RDC, ait ou non
agi en violation des ordres qui étaient les siens et ait ou non été puni en conséquence de ses

agissements, son comportement constitue une preuve manifeste de ce que l’Ouganda avait établi et
exerçait son autorité en Ituri en tant que puissance occupante. Elle constate toutefois que la RDC
ne fournit aucune preuve spécifique de ce que les forces armées ougandaises auraient exercé leur
autorité dans d’autres régions que le district de l’Ituri.

Ayant conclu que l’Ouganda était une puissance occupante en Ituri à l’époque pertinente, la
Cour indique qu’en tant que tel, il se trouvait dans l’obligation, énoncée à l’article 43 du règlement
de LaHaye de1907, de prendre toutes les mesures qui dépendaient de lui en vue de rétablir et

d’assurer, autant qu’il était possible, l’ordre pub lic et la sécurité dans le territoire occupé en
respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur en RDC. Cette obligation comprend le
devoir de veiller au respect des règles applicable s du droit international relatif aux droits de
l’homme et du droit international humanitaire, de pr otéger les habitants du territoire occupé contre

les actes de violence et de ne pas tolérer de tels actes de la part d’une quelconque tierce partie.

La Cour conclut que la responsabilité de l’Ouganda est engagée à raison à la fois de tout acte
de ses forces armées contraire à ses obligations inte rnationales et du défaut de la vigilance requise

pour prévenir les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par d’autres
acteurs présents sur le territoire occupé, en ce compris les groupes rebelles agissant pour leur
propre compte. La Cour relève que l’Ouganda est responsable de l’ensemble des actes et omissions
de ses forces armées sur le territoire de la RDC, qui violent les obligations lui incombant en vertu

des règles, pertinentes et applicables à la situa tion de l’espèce, du droit international relatif aux
droits de l’homme et du droit international humanitaire.

Deuxième chef de conclusions de la RDC (par. 181-221)

⎯ Violations du droit international rela tif aux droits de l’homme et du droit
international humanitaire : thèses des Parties (par. 181-195)

La Cour rappelle l’allégation de la RD C selon laquelle les forces armées ougandaises
auraient commis à grande échelle des violations des droits de l’homme sur le territoire congolais,
en particulier dans la région de l’Ituri, et l’allégation de l’Ouganda sel on laquelle la RDC aurait
manqué de fournir des éléments de preuve crédibles au soutien de ses allégations. - 11 -

⎯ Recevabilité des demandes afférentes aux événements de Kisangani
(par. 196-204)

La demande de la RDC concerne notamment les événements de Kisangani où ont eu lieu, en
juin2000, des combats entre troupes ougandaises et rwandaises. L’Ouganda soutient qu’en
l’absence du Rwanda à l’instance, la demande de la RDC relative à la responsabilité de l’Ouganda

du fait de ces événements est irrecevable.

La Cour souligne qu’elle eu à examiner des questions de même nature dans des affaires
précédentes. Dans l’affaire de Certaines te rres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie) , la Cour

a fait observer qu’il ne lui est pas interdit de statue r sur les prétentions qui lui sont soumises «dans
un différend [où un Etat tiers a] un intérêt d’ordr e juridique… en cause», «pour autant que les
intérêts juridiques de l’Etat tiers éventuellement affectés ne constituent p as l’objet même de la
décision sollicitée». La Cour estime que cette jurisprudence est applicable en la présente

procédure, puisque en l’espèce, les intérêts du Rw anda ne constituent pas «l’objet même» de la
décision qu’elle doit rendre. Il n’est dès lors p as nécessaire que le Rwanda soit partie à la présente
instance pour que la Cour puisse se prononcer sur la question de la responsabilité de l’Ouganda du
fait de violations des obligations lui incombant en vertu du droit internationa l relatif aux droits de

l’homme et du droit international humanitaire lors des combats de Kisangani.

⎯ Violations du droit international rela tif aux droits de l’homme et du droit

international humanitaire : appréciation de la Cour (par. 205-221)

Au vu du dossier, la Cour considère qu’il existe des éléments de preuve crédibles suffisants
pour conclure que les troupes des UPDF ont commis des meurtres, des actes de torture et d’autres

formes de traitement inhumain à l’encontre de la population civile, qu’elles ont détruit des villages
et des bâtiments civils, qu’elles ont manqué d’ét ablir une distinction entre cibles civiles et
militaires et de protéger la population civile lo rs d’affrontements avec d’autres combattants,
qu’elles ont incité au conflit ethnique et ont ma nqué de prendre des mesures visant à mettre un

terme à celui-ci, qu’elles ont été impliquées dans l’entraînement d’enfants-soldats et qu’elles n’ont
pris aucune mesure visant à assurer le respect de s droits de l’homme et du droit international
humanitaire en Ituri.

La Cour n’estime toutefois pas que la prétention de la RDC selon laquelle l’Ouganda a mené
une politique délibérée de terreur ait été prouvée.

En arrivant à la question de savoir si les actes et omissions des UPDF, de leurs officiers et de

leurs soldats sont attribuables à l’Ouganda, la Co ur indique que le comportement desUPDF est
dans son ensemble clairement attribuable à l’ Ouganda, puisqu’il s’agit du comportement d’un
organe de l’Etat. Le comportement individuel des soldats et officiers des UPDF doit être considéré
comme un comportement d’un organe d’Etat. De l’av is de la Cour, en vertu du statut et de la

fonction militaire des soldats ougandais en RDC, le comportement de ces derniers est attribuable à
l’Ouganda. Est en outre dépourvue de pertinence, pour l’attribution du comportement des UPDF à
l’Ouganda, la question de savoir si les membres des UPDF ont ou non agi d’une manière contraire
aux instructions données ou ont outrepassé leur ma ndat. D’après une règle bien établie, de

caractère coutumier, énoncée à l’article3 de la quatrième convention de La Haye concernant les
lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 ains i qu’à l’article 91 du protocole additionnel I aux
conventions de Genève de 1949, une partie à un conflit armé es t responsable de tous les actes des
personnes qui font partie de ses forces armées.

La Cour conclut que les actes commis par les UPDF et des officiers et soldats des UPDF sont
manifestement contraires aux obligations découlant des articles 25, 27, 28 et, s’agissant des
obligations qui incombent à une puissance occupa nte, des articles 43, 46 et47 du règlement de

LaHaye de1907. Ces obligations, en tant qu’elles relèvent du droit international - 12 -

coutumier, s’imposent aux Parties. L’Ouganda a également violé les dispositions suivantes des
instruments relatifs au droit international humanitaire et au droit international des droits de

l’homme, auxquels l’Ouganda et la RDC sont tous deux parties :

⎯ dans la quatrième convention de Genève, les articles 27 et 32 ainsi que l’article 53
s’agissant des obligations incombant à une puissance occupante;

⎯ dans le Pacte international relatif aux dro its civils et politiques, les articles 6,
paragraphe 1, et 7;

⎯ dans le premier protocole additionnel aux conventions de Genève du
12 août 1949, les articles 48, 51, 52, 57, 58 et 75, paragraphe 1 et 2;

⎯ dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, les articles 4 et 5;

⎯ dans la convention relative aux droits de l’enfant, l’article 38, paragraphe 2 et 3;

⎯ dans le protocole facultatif à la conven tion relative aux droits de l’enfant, les
articles 1, 2, 3 paragraphe 3; 4, 5 et 6.

La Cour conclut dès lors que l’Ouganda est in ternationalement responsable des violations du

droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire qui ont été
commises par les UPDF et leurs membres sur le territoire congolais, ainsi que de ses manquements
aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante de l’Ituri.

La Cour précise que, si elle s’est prononcée sur les violations du dro it international relatif
aux droits de l’homme et du droit internationa l humanitaire commises par les forces militaires
ougandaises sur le territoire congolais, les actes commis par les diverses parties à ce conflit
complexe que connaît la RDC ont contribué aux immenses souffrances de la population congolaise.

La Cour est profondément consci ente que de nombreuses atrocités ont été commises au cours du
conflit. L’ensemble des protagonistes de ce conflit ont tous le devoir de soutenir le processus de
paix en RDC ainsi que d’autres plans de paix dans la région des GrandsLacs, afin que le respect
des droits de l’homme y soit garanti.

Troisième chef de conclusions de la RDC (par. 222-250)

⎯ Exploitation illégale de ressources naturelles (par. 222-236)

La Cour rappelle l’allégation de la RD C selon laquelle les soldats ougandais se sont
systématiquement livrés au pillage et à l’exploita tion de ses biens et de ses ressources naturelles et
la prétention de l’Ouganda selon laquelle, la RD C n’a pas produit de preuves dignes de foi pour

corroborer ses allégations.

⎯ Actes d’exploitation illégale de ressources naturelles : appréciation de la Cour
(par. 237-250)

Ayant examiné le dossier de l’affaire, la Cour conclut qu’elle ne dispose pas d’éléments de
preuve crédibles permettant d’établir qu’exis tait une politique gouvernem entale de l’Ouganda
visant à l’exploitation de ressources naturelles de la RDC, ou que cet Etat ait entrepris son

intervention militaire dans le dessein d’obtenir un accès aux ressources congolaises. La Cour
estime cependant détenir des preuves abondantes et convaincantes pour conclure que des officiers
et des soldats des UPDF, parmi lesquels les officiers les plus haut gradés, ont participé au pillage et
à l’exploitation des ressources naturelles de la RDC et que les autorités militaires n’ont pris aucune

mesure pour mettre un terme à ces activités. - 13 -

Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, l’O uganda est responsable tant du comportement
desUPDF dans leur ensemble que du comportement individuel des soldats et officiers desUPDF

en RDC. La Cour rappelle en outre que la ques tion de savoir si ces officiers et soldats des UPDF
ont agi à l’encontre des instructions donn ées ou ont outrepassé leur mandat est dépourvue de
pertinence aux fins d’attribuer leur comportement à l’Ouganda.

La Cour considère qu’elle ne peut rete nir l’affirmation du de mandeur selon laquelle
l’Ouganda aurait violé le principe de la souveraineté de la RDC sur ses ressources naturelles. Tout
en reconnaissant l’importance de ce principe, la Cour n’estime pas qu’il soit applicable au cas
particulier du pillage et de l’exploitation de certain es ressources naturelles par des membres de

l’armée d’un Etat intervenant militairement sur le territoire d’un autre Etat.

Ainsi que la Cour l’a déjà indiqué, les actes et omissions de certains membres des forces
armées ougandaises enRDC engagent de toute ma nière la responsabilité internationale de

l’Ouganda, que celui-ci ait ou non été une puissa nce occupante dans certaines régions. En
conséquence, chaque fois que des membres desUPDF ont été impliqués dans le pillage et
l’exploitation de ressources naturelles sur le terri toire de la RDC, ils ont agi en violation du
jus in bello, lequel interdit de tels actes à une armée étrangère sur le territoire où elle est présente.

La Cour rappelle à cet égard que l’ article 47 du règlement de La Haye de 1907 et l’article 33 de la
quatrième convention de Genève de 1949 interdisent tous deux le pillage.

La Cour observe par ailleurs que tant la RDC que l’Ouganda sont parties à la Charte

africaine des droits de l’homme et des peuples, du 27 juin 1981, dont le paragraphe 2 de l’article 21
dispose : «En cas de spoliation, le peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses biens ainsi
qu’à une indemnisation adéquate.»

La Cour conclut qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve étayant l’affirmation de
la RDC selon laquelle l’Ouganda a manqué à son devoir de vigilance en ne prenant pas les mesures
adéquates pour s’assurer que ses forces armées ne se livreraient pas au pillage et à l’exploitation
des ressources naturelles de la RDC. Il en résu lte qu’en manquant ainsi d’agir l’Ouganda a violé

ses obligations internationales, engageant par là sa responsabilité internationale. En tout état de
cause, quelles qu’aient été les mesures prises par ses autorités, la responsabilité de l’Ouganda était
engagée dès lors que les actes illicites étaient commis par ses forces armées.

Quant à l’argument selon lequel l’Ouganda n’aurait pas non plus prévenu les actes de pillage
et d’exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC par des groupes rebelles, la Cour a
déjà établi que ces derniers n’étaient pas sous le contrôle de l’Ouganda. Aussi, s’agissant des
activités illégales de tels groupes en dehors de l’Ituri, la Cour ne peut conclure que l’Ouganda a

manqué à son devoir de vigilance.

La Cour observe en outre que, du fait qu’il ét ait la puissance occupante dans le district de
l’Ituri, l’Ouganda était tenu de prendre des mesures appropriées pour prévenir le pillage et

l’exploitation des ressources naturelles dans le territoire occupé, non seulement par des membres de
ses forces armées, mais également par les personnes privées présentes dans ce district.

La Cour conclut qu’elle dispose de suffisa mment d’éléments de preuve crédibles pour

considérer que l’Ouganda a engagé sa responsabilité internationale à raison des actes de pillage et
d’exploitation des ressources naturelles de la RDC commis par des membres desUPDF sur le
territoire de la RDC, de la violation de son devoir de vigilance s’agissant de ces actes et du
manquement aux obligations lui incombant en tant que puissance occupante enIturi, en vertu de

l’article43 du règlement de La Haye de1907, quant à l’ense mble des actes de pillage et
d’exploitation des ressources naturelles commis dans le territoire occupé. - 14 -

Quatrième chef de conclusions de la RDC (par. 251-261)

⎯ Conséquences juridiques de la violation par l’Ouganda de ses obligations
internationales

La RDC prie la Cour de dire et juger que l’Ouganda est tenu de cesser immédiatement tout

fait internationalement illicite ayant un caractère continu.

La Cour relève qu’il n’y a dans le dossier de l’affaire aucune preuve susceptible d’étayer
l’allégation de la RDC selon laquelle l’Ougand a soutient actuellement des forces irrégulières

opérant en RDC et continue de participer à l’ exploitation des ressources naturelles congolaises.
Dès lors, la Cour n’estime pas établi que l’Ouganda, après le retrait de ses soldats du territoire de
laRDC en juin2003, continue à commettre l es faits internationalement illicites évoqués par
la RDC. La Cour conclut donc qu’il ne peut être fait droit à la demande de la RDC.

La RDC prie en outre la Cour de dire que l’Ouganda est tenu de fournir des garanties et
assurances spécifiques de non-répétition des faits illicites dénoncés. La Cour a pris acte à cet égard
de l’accord tripartite relatif à la sécurité dans la région des Grands Lacs, signé le 26 octobre2004

par la RDC, le Rwanda et l’Ouganda. Dans le préambule de cet accord, les parties soulignent «la
nécessité de garantir que les principes de bon voi sinage, de respect de la souveraineté et de
l’intégrité territoriale, ainsi que de non-ingérence dans les affaires intérieures d’Etats souverains
soient respectés, notamment dans la région» [traduction du Greffe] . De l’avis de la Cour, les

engagements pris par l’Ouganda en vertu de l’acco rd tripartite satisfont à la demande de la RDC
tendant à obtenir des garanties et assurances de non-répétition spécifiques. La Cour attend et exige
des Parties qu’elles se conforment aux obligations qui leur incombent en vertu de cet accord et du
droit international général.

La RDC prie enfin la Cour de dire et juge r que l’Ouganda est à son égard tenu à réparation
pour tout préjudice causé du fait de la violation par l’Ouganda des obligations qui lui incombent en
vertu du droit international. La Cour fait observer qu’il est bien établi en droit international général

que l’Etat responsable d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer en totalité le
préjudice causé par ce fait. Après examen du dossier de l’affaire et compte tenu de la nature des
faits internationalement illicites dont l’Ouganda a été reconnu responsable, la Cour considère que
ces faits ont entraîné un préjudice pour la RDC, ainsi que pour des personnes présentes sur son

territoire. Ayant établi que ce préjudice a été causé à la RDC par l’Ouganda, la Cour déclare que
ce dernier est tenu de réparer ledit préjudice en conséquence.

La Cour juge par ailleurs appropriée la dema nde de la RDC tendant à ce que la nature, les

formes et le montant de la réparation qui lui est due soient, à défaut d’accord entre les Parties,
déterminés par la Cour dans une phase ultérieure de la procédure.

Cinquième chef de conclusions de la RDC (par. 262-265)

⎯ Respect de l’ordonnance de la Cour en indication de mesures conservatoires

La Cour examine ensuite la question de savoi r si l’Ouganda s’est conformé à l’ordonnance
er
en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue le 1 juillet 2000. Ayant observé que ses
«ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l’article41 [du Statut] ont un
caractère obligatoire», la Cour déclare que laRDC ne présente aucun élément de preuve précis
démontrant que l’Ouganda aurait, après juillet 200 0, commis des actes en violation de chacune des

troismesures conservatoires indiquées. Elle fait toutefois observer que, dans son arrêt, elle a
conclu que l’Ouganda était responsable d’actes co mmis en violation du droit international relatif
aux droits de l’homme et du dro it international humanitaire. Les éléments de preuve disponibles

montrent que de telles violations ont été commises tout au long de la période durant - 15 -

laquelle les troupes ougandaises étaient présentes en RDC, y compris celle allant du 1 erjuillet 2000
jusqu’à, pratiquement, leur retrait définitif le 2 juin 2003. La Cour conclut donc que l’Ouganda ne

s’est pas conformé à l’ordonnance.

La Cour relève en outre que les mesures conservatoires indiquées dans l’ordonnance du
er
1 juillet2000 s’adressaient aux deux Parties. La c onclusion de la Cour est sans préjudice de la
question de savoir si la RDC a manqué également de se conformer aux mesures conservatoires par
elle indiquées.

Demandes reconventionnelles (par. 266-344)

⎯ Recevabilité des exceptions (par. 266-275)

La RDC soutient que la jonction à l’in stance des première et deuxième demandes
reconventionnelles de l’Ouganda consécutive à l’ ordonnance du 29novembre 2001, dans laquelle
la Cour a jugé que ces deuxdemandes reconventionnelles étaient recevables comme telles,
n’implique pas que des exceptions préliminaires ne puissent être soulevées contre elles.

L’Ouganda prétend quant à lui que la RDC n’est plus fondée, à ce stade de la procédure, à plaider
l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles, au motif que l’ordonnance rendue par la Cour
vaudrait décision définitive sur les demandes re conventionnelles en vertu de l’article80 du

Règlement de la Cour.

La Cour note que, dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, elle a été appelée à trancher la
même question et qu’elle avait conclu que l’Iran éta it en droit de contester de manière générale la

recevabilité de la demande reconventionnelle des Etats-Unis, alors même que cette demande avait
auparavant été jugée recevable au regard de l’artic le 80 du Règlement. La Cour relève également
que l’article 79 du Règlement ne s’applique pas à une exception à des demandes reconventionnelles
qui ont été jointes à l’instance originelle. Elle c onclut donc que la RDC est en droit de contester la

recevabilité des demandes reconventionnelles de l’Ouganda.

⎯ Première demande reconventionnelle (par. 276-305)

Dans sa première demande reconventionnelle, l’Ouganda affirme que, depuis 1994, il a été la
cible d’opérations militaires et d’autres activités déstabilisatrices menées par des groupes armés
hostiles basés en RDC, et qui étaient soit soutenus soit tolérés par les Gouvernements congolais

successifs.

Pour réfuter la première demande reconventionnelle de l’Ouganda, la RDC scinde en trois la
période couverte par celle-ci: a) la période antérieure à l’arrivée au pouvoir du président

Laurent-Désiré Kabila; b)la période comprise entre l’arrivée au pouvoir du présidentKabila et le
2 août 1998, date du début de l’attaque militaire ougandaise; et c) la période postérieure au
2 août 1998. La RDC soutient que, en ce qui concerne sa prétendue implication dans les attaques
armées contre l’Ouganda durant la première pé riode, la demande ougandaise est irrecevable au

motif que l’Ouganda a renoncé à s on droit d’invoquer la responsabilité internationale de la RDC
(qui était à l’époque le Zaïre) à propos des actes qui remontent à cette période, et, subsidiairement,
qu’elle est non fondée. Elle soutient par aille urs que, s’agissant de la deuxièmepériode, la

demande n’est pas fondée en fait et que, concernant la troisième, elle ne l’est ni en fait, ni en droit.

La Cour ne voit pas d’obstacle à ce que la première demande reconventionnelle de
l’Ouganda soit examinée en fonction de ces trois pé riodes et, pour des raisons pratiques, juge utile

de procéder de la sorte. - 16 -

S’agissant de la question de la recevabilité du premier volet de la demande
reconventionnelle, la Cour observe que rien dans le comportement de l’Ouganda durant la période

postérieure à mai 1997 ne peut être considéré comme impliquant une renonciation sans équivoque
par celui-ci à son droit de présenter une dema nde reconventionnelle pour ce qui concerne les
événements intervenus durant le régime Mobutu. Elle ajoute que la longue période écoulée entre
les événements intervenus durant le régime M obutu et le dépôt des demandes reconventionnelles

de l’Ouganda n’a pas rendu irrecevable la première demande reconventionnelle de celui-ci pour ce
qui concerne la période antérieure à mai 1997. Par conséquent, l’exception soulevée par la RDC à
la recevabilité ne peut être retenue.

En ce qui concerne le fond de la demande reconventionnelle pour la première période, la
Cour estime que l’Ouganda n’a pas produit de pr euves suffisantes attestant que le Zaïre aurait
apporté un soutien politique et militaire à des groupes rebelles antiougandais opérant sur son
territoire sous le régime Mobutu.

S’agissant de la deuxième période, la Cour es time que l’Ouganda n’a pas fourni de preuves
convaincantes d’un réel soutien de la RDC aux groupes rebelles antiougandais. La Cour note que
la RDC agissait alors, de conserve avec l’Ouganda, contre les rebelles et non en leur faveur.

En ce qui concerne la troisième période, et ayant conclu que l’Ouganda avait mené une
opération militaire illicite contre laRDC, la Cour estime qu’aucune action militaire entreprise par
la RDC contre l’Ouganda au cour s de cette période ne pourrait être considérée comme illicite, dès

lors qu’elle serait justifiée au titre de la légitimdéfense en vertu de l’artic le51 de la Charte des
Nations Unies. En outre, la Cour a déjà conclu que la participation alléguée des troupes régulières
de laRDC à des attaques menées par des rebelles antiougandais contre lesUPDF ainsi que le
soutien que la RDC aurait apporté à des insurgés antiougandais ne sauraient être considérés comme

établis.

La première demande reconventionnelle doit donc être rejetée dans son intégralité.

⎯ Deuxième demande reconventionnelle (306-344)

Dans sa deuxième demande reconventionnelle, l’Ouganda soutient que les forces armées
congolaises ont attaqué les locaux de son ambassade; qu’elles ont confisqué des biens appartenant

au gouvernement, au personnel diplomatique et à des ressortissants ougandais; et qu’elles ont
infligé des mauvais traitements au personnel diplomatique et à d’autres ressortissants ougandais
présents dans les locaux de la mission ainsi qu’à l’aéroport international de Ndjili.

Pour réfuter la deuxième demande reconventionnelle de l’Ouganda, la RDC soutient qu’elle
est partiellement irrecevable au motif que ce dern ier a invoqué de nouveaux fondements juridiques
dans sa duplique pour établir la responsabilité de la RDC, en formulant des demandes fondées sur
la violation de la convention de Vienne sur l es relations diplomatiques. D’après la RDC,

l’Ouganda rompt ainsi le lien de connexité avec la demande principale. La RDC affirme également
que cette modification de l’objet de cette partie du différend est manifestement incompatible avec
l’ordonnance de la Cour en date du 29 novembre 2001.

La RDC soutient en outre que la demande fondée sur le traitement inhumain de ressortissants
ougandais n’est pas recevable, au motif que les conditions de recevabilité d’une demande au titre
de la protection diplomatique ne sont pas remplies.

S’agissant du fond de la deuxièmedemande reconventionnelle, la RDC fait valoir que
l’Ouganda n’a jamais été en mesure d’établir le bien-fondé en droit et en fait de ses réclamations. - 17 -

S’agissant de la question de la recevab ilité, la Cour conclut que son ordonnance du
29 novembre 2001 n’exclut pas l’invocation ultérieure de la convention de Vienne sur les relations

diplomatiques, la formulation de cette décision étant suffisamment générale pour inclure des
demandes fondées sur la convention. Elle observe en outre que l’objet du volet de la demande
reconventionnelle relatif aux ma uvais traitements infligés à d’autres personnes présentes dans les
locaux de l’ambassade tombe sous le coup de l’artic le22 de la convention et qu’il est recevable.

Elle déclare en revanche que l’autre volet rela tif aux mauvais traitements infligés à des personnes
ne jouissant pas du statut diplomatique qui se tr ouvaient à l’aéroport international de Ndjili alors
qu’elles tentaient de quitter le pays est fondé sur la protection diplomatique et que, faute d’éléments
attestant la nationalité ougandaise de ces personnes, ce volet de la demande reconventionnelle est

irrecevable.

Pour ce qui concerne le bien-fondé de la deuxième demande reconventionnelle de
l’Ouganda, la Cour estime qu’il y a suffisamment d’éléments de preuve attestant que des attaques

ont eu lieu contre l’ambassade et que des mauvais traitements ont été infligés à des diplomates
ougandais dans les locaux de l’ambassade et à l’aéroport interna tional de Ndjili. La Cour conclut
qu’en se livrant à ces actes, la RDC a manqué a ux obligations lui incombant en vertu des
articles 22 et 29 de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Elle juge en outre que

la disparition de biens et d’archives qui se trouvaient à l’ambassade ougandaise constitue une
violation des règles du droit international sur les relations diplomatiques.

La Cour note que ce ne serait, à défaut d’accord entre les Parties, que lors d’une phase

ultérieure de la procédure qu’il conviendrait d’ap porter des éléments de preuve établissant les
circonstances particulières de ces violations, les dommages précis subis par l’Ouganda et l’étendue
de la réparation à laquelle il a droit.

Dispositif (par. 345)

Le texte intégral du dispositif se lit comme suit :

«Par ces motifs,

CoLuar,

1) Par seize voix contre une,

Dit que la République de l’Ouganda, en se livrant à des actions militaires à
l’encontre de la République démocratique du Congo sur le territoire de celle-ci, en

occupant l’Ituri et en soutenant activem ent, sur les plans militaire, logistique,
économique et financier, des forces irré gulières qui opéraient sur le territoire
congolais, a violé le principe du non-recours à la force dans les relations
internationales et le principe de non-intervention;

POUR : M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MM. Koroma,
Vereshchetin, MmeHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, Owada, Simma, Tomka, Abraham,

juges; M. Verhoeven, juge ad hoc;

CONTRE : M. Kateka, juge ad hoc; - 18 -

2) A l’unanimité,

Déclare recevable la demande de la Ré publique démocratique du Congo selon
laquelle la République de l’Ouganda a, au cours des hostilités entre les forces armées
ougandaises et rwandaises à Kisangani, violé les obligations lui incombant en vertu du

droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire;

3) Par seize voix contre une,

Dit que, par le comportement de ses forces armées, qui ont commis des

meurtres et des actes de torture et autres formes de traitement inhumain à l’encontre de
la population civile congolaise, ont détruit des villages et des bâ timents civils, ont
manqué d’établir une distinction entre cibles civiles et cibles militaires et de protéger
la population civile lors d’affrontements av ec d’autres combattants, ont entraîné des

enfants-soldats, ont incité au conflit ethnique et ont manqué de prendre des mesures
visant à y mettre un terme, et pour n’avoir p as, en tant que puissance occupante, pris
de mesures visant à respecter et à faire resp ecter les droits de l’homme et le droit

international humanitaire dans le district de l’Ituri, la République de l’Ouganda a violé
les obligations lui incombant en vertu du dr oit international relatif aux droits de
l’homme et du droit international humanitaire;

P OUR: M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MM. Koroma,
Vereshchetin, MmeHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, Owada, Simma, Tomka, Abraham,
juges; M. Verhoeven, juge ad hoc;

CONTRE : M. Kateka, juge ad hoc;

4) Par seize voix contre une,

Dit que, par les actes de pillage et d’ exploitation des ressources naturelles
congolaises commis par des membres des forces armées ougandaises sur le territoire
de la République démocratique du Congo, et par son manquement aux obligations lui
incombant, en tant que puissance occupante dans le district de l’Ituri, d’empêcher les

actes de pillage et d’exploitation des ress ources naturelles congolaises, la République
de l’Ouganda a violé les obligations qui sont les siennes, en vertu du droit
international, envers la République démocratique du Congo;

POUR : M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MM. Koroma,
Vereshchetin, MmeHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,
Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, Owada, Simma, Tomka, Abraham,

juges; M. Verhoeven, juge ad hoc;

CONTRE : M. Kateka, juge ad hoc;

5) A l’unanimité,

Dit que la République de l’Ouganda a l’obligation, envers la République
démocratique du Congo, de réparer le préjudice causé;

6) A l’unanimité,

Décide que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet, la
question de la réparation due à la Républi que démocratique du Congo sera réglée par

la Cour, et réserve à cet effet la suite de la procédure; - 19 -

7) Par quinze voix contre deux,

Dit que la République de l’Ouganda ne s’est pas confoerée à l’ordonnance en
indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 1 juillet 2000;

POUR : M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MM. Koroma,

Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parr a-Aranguren, Rezek, Al-Khasawneh,
Buergenthal, Elaraby, Owada, Simma, Tomka, Abraham, juges ; M.
Verhoeven, juge ad hoc;

CONTRE : M. Kooijmans, juge; M. Kateka, juge ad hoc;

8) A l’unanimité,

Rejette les exceptions de la République démocratique du Congo à la recevabilité
de la première demande reconventionnelle présentée par la République de l’Ouganda;

9) Par quatorze voix contre trois,

Dit que la première demande reconventi onnelle présentée par la République de
l’Ouganda ne peut être retenue;

POUR : M. Shi, président ; M. Ranjeva, vice-président ; MM. Koroma,
Vereshchetin, Mme Higgins, MM. Parr a-Aranguren, Rezek, Al-Khasawneh,
Buergenthal, Elaraby, Owada, Simma, Abraham, juges ; M. Verhoeven, juge

ad hoc;

CONTRE : MM. Kooijmans, Tomka, juges; M. Kateka, juge ad hoc;

10) A l’unanimité,

Rejette l’exception de la République démo cratique du Congo à la recevabilité
du volet de la deuxième dema nde reconventionnelle présen tée par la République de

l’Ouganda concernant la violation de la convention de Vi enne de 1961 sur les
relations diplomatiques;

11) Par seize voix contre une,

Retient l’exception de la République démocratique du Congo à la recevabilité
du volet de la deuxième dema nde reconventionnelle présen tée par la République de
l’Ouganda concernant les mauvais traitements infligés le 20 août 1998 à des personnes

autres que des diplomates ougandais à l’aéroport international de Ndjili;

POUR : M. Shi, président; M. Ranjeva, vice-président ; MM. Koroma,
Vereshchetin, MmeHiggins, MM. Parra-Aranguren, Kooijmans, Rezek,

Al-Khasawneh, Buergenthal, Elaraby, Owada, Simma, Tomka, Abraham,
juges; M. Verhoeven, juge ad hoc;

CONTRE : M. Kateka, juge ad hoc;

12) A l’unanimité,

Dit que, par le comportement de ses forces armées, qui ont attaqué l’ambassade

de l’Ouganda à Kinshasa et soumis à de mauvais traitements des diplomates et
d’autres personnes dans les locaux de l’ ambassade, ainsi que des diplomates
ougandais à l’aéroport international de Ndjili, et pour n’avoir pas assuré à l’ambassade - 20 -

et aux diplomates ougandais une protection efficace ni empêché la saisie d’archives et

de biens ougandais dans les locaux de l’ambassade de l’Ouganda, la République
démocratique du Congo a violé les obligatio ns lui incombant, en vertu de la
convention de Vienne sur les relations di plomatiques de 1961, envers la République
de l’Ouganda;

13) A l’unanimité,

Dit que la République démocratique du Congo a l’obligation, envers la

République de l’Ouganda, de réparer le préjudice causé;

14) A l’unanimité,

Décide que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet, la
question de la réparation due à la République de l’Ouganda sera réglée par la Cour, et
réserve à cet effet la suite de la procédure.»

*

M. le juge K OROMA joint une déclaration à l’arrêt; MM. les juges ARRA -A RANGUREN ,
K OOIJMANS , ELARABY et SIMMA joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle;
M. le juge OMKA et M. le juge ad hoc ERHOEVEN joignent des déclarations à l’arrêt; M. le juge

ad hoc KATEKA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.

___________ Annexe au résumé 2005/3

Déclaration de M. le juge Koroma

Dans la déclaration qu’il a jointe à l’arrêt, le juge Koroma souligne que cette affaire, au vu
des circonstances qui l’entourent et de ses conséquences ⎯puisque marquée par la mort de

millions de personnes et bien d’autres souffrances ⎯, est l’une des plus tragiques et des plus
difficiles dont la Cour ait eu à connaître.

Il passe en revue les conclusions de la Cour confirmant que l’Ouganda a violé un nombre

considérable d’instruments juridiques auxquels il est partie et que ces viol ations ont, ainsi qu’il
ressort des éléments de preuve versés au dossier , entraîné les plus terribles conséquences. Il
souligne l’importance des obligations impos ées par ces instrument s, en mentionnant
spécifiquement les articles 1 et 2 de la quatrième convention de Genève relative à la protection des

personne civiles en temps de guerre du 12août 1949, l’article 51 du protocole additionnel aux
conventions de Genève du 12août1949 (protocole I) et les articles 3, 19 et 38 de la convention
relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989.

Le juge Koroma souligne que, d’une faç on marquante et pour des raisons extrêmement
pertinentes, la Cour a rejeté l’allégation selon laquelle l’Ouganda aurait rec ouru à la force militaire
au Congo en état de légitime défense. Il note en particulier que la Cour a rejeté à bon droit
l’allégation de l’Ouganda selon la quelle les actes des FDA auraient été attribuables au Congo au

sens de l’article3g) de la résolution 3314 (XXIX) sur la définition de l’agression de1974.
LejugeKoroma relève que cette conclusion est en accord avec la jurisprudence de la Cour et
constitue une juste interprétation de l’article 51 de la Charte des Nations Unies.

Il note que la Cour a reconnu le car actère d’obligation coutumière à la
résolution1803(XVII) relative à la souveraineté permanente sur les ress ources naturelles adoptée
par l’Assemblée générale le 14 décembre 1962, relevant également que le Congo et l’Ouganda sont

tous deux parties à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, qui renferme,
au paragraphe1 de son article 21, une disposition concernant la souveraineté permanente sur les
ressources naturelles.

Il relève que les conclusions de l’organe judiciaire qu’est la Cour sont, pour l’essentiel,
conformes aux appréciations exprimées par le Conseil de sécurité dans les résolutions qu’il a prises
au sujet de ce différend.

Le juge Koroma conclut que, plus que tout , l’Ouganda aurait dû respecter le principe

pacta sunt servanda, principe coutumier et fondamental du dr oit international, qui impose à un Etat
de se conformer aux obligations contractées en vertu d’un traité. Le respect des obligations
conventionnelles joue un rôle capital dans le main tien de la paix et de la sécurité entre Etats

voisins, et le respect du principe pacta sunt servanda aurait empêché la tragédie dépeinte avec tant
de force à la Cour.

Opinion individuelle de M. le juge Parra-Aranguren

S’il a certes voté en faveur de l’arrêt, le j uge Parra-Aranguren ne souscrit pas pour autant à
toutes les conclusions énoncées dans le dispositif, pas plus qu’il n’adhère à toutes les parties du
raisonnement que la majorité de la Cour a suivi pour parvenir à ses conclusions. - 2 -

I

Au point 1 du paragraphe 345 du dispositif de l’arrêt, la Cour

«Dit que la République de l’Ouganda, en se livrant à des actions militaires à
l’encontre de la République démocra tique du Congo…, a violé le principe du

non-recours à la force dans les relations internationales et le principe de
non-intervention;»

Le juge Parra-Aranguren convient que, pour l es raisons qui sont exposées dans l’arrêt, la

République de l’Ouganda (ci-après dénommée «l’Ouganda») a violé le principe du non-recours à la
force dans les relations internationales en se liv rant à des actions militaires à l’encontre de la
République démocratique du Congo (ci-après dénommée «la RDC») entre les 7-8 août1998 et le
10juillet1999. Il ne souscrit toutefois pas à la conclusion selon laquelle cette violation s’est

poursuivie du 10 juillet 1999 au 2 juin 2003, date du retrait des troupes ougandaises du territoire de
la RDC, cette dernière ayant selon lui consenti, pendant cette période, à la présence de ces troupes
sur son territoire conformément aux modalités presc rites dans l’accord de cessez-le-feu de Lusaka

du 10juillet1999, le plan de désengagement de Kampala du 8avril2000, le plan de
désengagement de Harare du 6décembre2000 et l’accord de Luanda du 6septembre2002, tel
qu’amendé par l’accord de Dar es-Salaam du 10 février 2003.

La majorité de la Cour analyse l’accord de cessez-le-feu de Lusaka comme n’ayant pas
modifié le statut juridique de la présence de l’Ouganda ⎯celle-ci restant contraire au droit
international ⎯, mais considère que l’Ouganda était tenu de respecter le calendrier convenu, tel
que revisé dans le plan de désengagement de Ka mpala du 8 avril 2000, le plan de désengagement

de Harare du 6décembre 2000 et l’accord de Lu anda du 6septembre2002 (arrêt, paragraphes95,
97, 99, 101 et 104).

De l’avis du juge Parra-Aranguren, cette interprétation de l’accord de cessez-le-feu

deLusaka, du plan de désengagement de Kampala, du plan de désengagement de Harare et de
l’accord de Luanda place l’Ouganda dans une situation juridique inextricable. D’un côté, s’il
s’était conformé à ses obligations conventionnelles et était resté sur le territoire de la RDC jusqu’à

l’expiration des délais convenus, l’Ouganda aurait violé le droit international car le statut juridique
de sa présence n’avait pas changé, la présence de ses forces armées en RDC restant contraire au
droit international. D’un autre cô té, s’il avait choisi de ne pas vi oler le droit international par sa
présence militaire en RDC, et qu’il avait donc retiré ses troupes du territoire congolais d’une

manière autre que celle qui était prévue dans les calendriers arrêtés à cette fin, l’Ouganda aurait
manqué à ses obligations conventionnelles, violant ainsi là encore le droit international.

Il s’agit là, aux yeux du juge Parra-Aranguren, d’une raison suffisamment convaincante pour

ne pas accepter l’interprétation très singulière qui est faite dans l’arrêt de l’accord de cessez-le-feu
de Lusaka, du plan de désengagement de Kampala, du plan de désengagement de Harare et de
l’accord de Luanda. En outre, un examen des termes de ces instruments porte à conclure que
la RDC a consenti, sans effet rétroactif mais pour la durée d’application de ces textes, à la présence

des forces armées ougandaises sur son territoire, ai nsi que le juge Parra-Aranguren l’explique en
détail aux paragraphes 10 à 20 de son opinion individuelle. - 3 -

II

Au point 1 du paragraphe 345 du dispositif de l’arrêt, la Cour

«Dit que la République de l’Ouganda,… en soutenant activement, sur les plans
militaire, logistique, économique et financie r, des forces irrégulières qui opéraient sur

le territoire congolais, a violé le principe du non-recours à la force dans les relations
internationales et le principe de non-intervention;»

A cet égard, le juge Parra-Aranguren relève que l’accord de cessez-le-feu de Lusaka

soulignait l’importance de trouver une solution au conflit interne au Congo par le dialogue
inter-congolais. Le Gouvernement de la Républiq ue démocratique du Congo, le Rassemblement
congolais pour la démocratie (RCD), le Mouveme nt de libération du Co ngo (MLC), l’opposition
politique, la société civile, le Rassemblement congolais pour la Démocratie/Mouvement de

libération (RCD/ML), le Rassemblement congolais pour la Démocratie/national (RCD/N) et les
Maï-Maï décidèrent ainsi, le 16décembre2002 à Pretoria, de mettre en place un gouvernement
d’union nationale en vue d’aboutir à la réconciliation nationale. Un calendrier fut défini mais ne

fut pas respecté, la réconciliation politique se li mitant à la formation d’un nouveau gouvernement
national comprenant des dirigeants des trois or ganisations rebelles armées et de la société
congolaise; les forces militaires de ces trois grou pes rebelles furent entièrement intégrées dans
l’armée nationale et il fut annoncé que des élections démocratiques se tiendraient dans les deux ans.

S’il adhère aux principes de droit interna tional énoncés dans la résolution 2625 (XXV) de
l’Assemblée générale (du 24 octobre 1970), dont il est fait mention au paragraphe 162 de l’arrêt, le
juge Parra-Aranguren considère cepe ndant que ceux-ci ne s’appliquent pas à la présente affaire.

Per suite du dialogue entre les parties, un nouveau gouvernement national a été formé le
1 juillet2003 en RDC avec la participation des di rigeants des forces rebelles intégrées dans
l’armée congolaise; de l’avis de juge Parra-Ara nguren, cette réconciliation exonère l’Ouganda de
toute responsabilité internationale pour avoir soutenu par le passé le Rassemblement congolais pour

la démocratie (RCD) et le Mouvement de libération du Congo (MLC).

Le Congo a connu une situation comparable il n’y a pas si longtemps, lorsque l’Alliance des
forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) a, en mai1997, avec le soutien de

l’Ouganda et du Rwanda, renversé le chef d’Et at légitime de l’ex-Zaïre, le maréchalMobutu
SseseSeko, prenant le contrôle du pays sous la direction de Laurent-DésiréKabila. Le juge
Parra-Aranguren se demande si l’Ouganda aurait été condamné pour cette assistance si la RDC
avait prié la Cour de se prononcer en ce sens après l’accession officielle de Laurent-Désiré Kabila à

la présidence du pays.

III

Au point 1 du paragraphe 345 du dispositif de l’arrêt, la Cour

«Dit que la République de l’Ouganda,… en occupant l’Ituri…, a violé le
principe du non-recours à la force dans les relations internationales et le principe de

non-intervention;»

La majorité de la Cour déclare que le droit international coutumier se trouve reflété dans le
règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention

de LaHaye du 18octobre1907 (ci-après dénommé le «règlement de LaHaye de1907») (arrêt, - 4 -

paragraphe172). Le juge Parra-A ranguren estime que cette déclaration mérite d’être relevée, car
les puissances occupantes ne se sont pas toujours conformées aux dispositions du règlement de

La Haye de 1907.

La Cour examine la question de savoir s’il est en l’espèce satisfait aux prescriptions de
l’article 42 du règlement de LaHaye de 1907, soulignant qu’elle doit s’assurer que les forces

armées ougandaises présentes en RDC n’étaient pas seu lement stationnées en tel ou tel endroit,
mais qu’elles avaient également substitué leur propre autorité à celle du Gouvernement congolais
(arrêt, paragraphe 173).

Aux termes du paragraphe 175 de l’arrêt :

«Il n’est pas contesté par les Parties que le généralKazini, commandant des
forces ougandaises en RDC, a créé la no uvelle province de «Kibali-Ituri» en

juin 1999, nommant Mme Adèle Lotsove gouverneur de celle-ci. Diverses sources
attestent ce fait, en particulier une lettr e du généralKazini en date du 18juin1999,
dans laquelle celui-ci nomme Mme Adèle Lotsove «gouverneur provisoire» et formule
diverses suggestions concernant des ques tions d’administration de la nouvelle

province. Le confirment également di vers documents réunis par la commission
Porter. La Cour relève par ailleurs que le sixième rapport du Secrétaire général sur la
MONUC (S/2001/128 du 12février2001) indique que, selon des observateurs
militaires de laMONUC, lesUPDF exerçaien t un contrôle effectif à Bunia (capitale

du district de l’Ituri).»

De ces faits, qui ne sont pas contestés par l’Ouga nda, la majorité de la Cour conclut que le
comportement du général Kazini «constitue une pr euve manifeste de ce que l’Ouganda avait établi

et exerçait son autorité en Ituri en tant que puissance occupante» (arrêt, paragraphe 176).

Selon le juge Parra-Aranguren, cette conclusi on n’est pas acceptable. Il est vrai que le
général Kazini, commandant des forces ouganda ises en RDC, a nommé MmeAdèle Lotsove

«gouverneur provisoire» de la province nouvellement créée de Kibali-Ituri en juin 1999, en lui
donnant des suggestions pour administrer cette provi nce. Toutefois, ce fait ne prouve pas que le
général Kazini ou le gouverneur ainsi nommé aien t été à même d’exercer, et aient véritablement
exercé, une autorité effective sur l’ensemble de la province de Kibali-Ituri. Il est également vrai

que les UPDF contrôlaient Bunia (capitale du dist rict de l’Ituri), mais le contrôle de Bunia
n’impliquait pas un contrôle effectif de l’ensemble de la province de Kibali-Ituri, tout comme le
contrôle exercé dans la capitale de la RD C (Kinshasa) par le gouvernement ne signifie pas
nécessairement que ce dernier contrôle effectivement tout le territoire congolais. Dès lors, le

jugeParra-Aranguren considère que les élémen ts exposés dans l’arrêt ne prouvent pas que
l’Ouganda ait effectivement établi et exercé s on autorité sur l’ensemble de la province de
Kibali-Ituri.

Le juge Parra-Aranguren rappe lle en outre que, dans la re quête introductive d’instance que
laRDC a déposée au Greffe le 28mai2002 contre le Rwanda et qui relève du domaine public, il
est indiqué, au paragraphe 5 de l’«Exposé des faits», sous le titre «Agression armée» :

«5. Depuis le 2 août 1995 à ce jour, les troupes rwandaises occupent une partie
substantielle du territoire à l’est de la République démocratique du Congo:
notamment dans les provinces du Nord-K ivu, du Sud-Kivu, du Katanga, du Kasaï
oriental, du Kasaï occidental, du Maniema et la Province orientale. Elles y

commettent toutes sortes d’atrocités dans l’impunité totale.» (Activités armées sur le
territoire du Congo (nouvelle requête:2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), I. Exposé des faits; A. Agression armée, p. 7.) - 5 -

Ainsi, dans cette déclaration «contraire à ses intérêts», la RDC soutient que le Rwanda a
occupé la province Orientale de1995 jusqu’à la fin du mois de mai2002, date de sa nouvelle

requête devant la Cour; or, la province Orientale englobait les territoires qui devinrent la province
de Kibali-Ituri en1999. La RDC considérait donc le Rwanda comme la puissance occupante de
ces territoires, dont ceux de Kibali-Ituri, et elle n’a indiqué nulle part dans sa requête que
l’occupation rwandaise avait pris fin après la création de la province de Kibali-Ituri.

En outre, le juge Parra-Aranguren considère que le rapport spécial sur les événements d’Ituri
(janvier 2002-décembre 2003), établi par la mission de l’Organisation des Nations Unies en
République démocratique du Congo (MONUC) et publié le 16 juillet 2004, ne permet pas d’étayer

la conclusion selon laquelle l’autorité de l’Ouganda s’exerçait de fait sur l’ensemble du territoire de
la province de Kibali-Ituri, condition qui, aux termes du règlement de La Haye de 1907, aurait dû
être remplie pour que l’Ouganda soit considéré co mme la puissance occupante dans cette région.
Ce que le rapport MONUC 2004 rec onnaît en revanche, c’est que le Rwanda et de nombreux

groupes rebelles ont joué un rôle important dans la tragédie qui a frappé la province de Kibali-Ituri,
ainsi que l’expose le juge Parra-Aranguren da ns les paragraphes 36 à 41 de son opinion
individuelle.

Pour le juge Parra-Aranguren, ces considérati ons démontrent que l’Ouganda n’était pas une
puissance occupante de la province de Kibali-Ituri dans son ensemble, mais de certaines de ses
parties et à des époques différentes, comme le reco nnaît l’Ouganda. Il considère donc que c’est à
la RDC qu’incombe, dans la deuxième phase de la présente instance, de démontrer, pour chacun

des actes illicites commis en violation des droits de l’homme et du droit humanitaire, ainsi que pour
chacun des actes illicites de pillage et d’exploitation de ressources naturelles congolaises dont elle
se plaint, qu’ils ont été perpétrés par l’Ouganda ou dans une région alors occupée par l’Ouganda.

IV

Comme il a été indiqué plus haut, la majorité des membres de la Cour ont conclu que

l’Ouganda était une puissance occupante de la province de Kibali-Ituri et que, pour cette raison, il :

«se trouvait dans l’obligation, énoncée à l’article43 du règlement de LaHaye
de1907, de prendre toutes les mesures qui dé pendaient de lui en vue de rétablir et

d’assurer, autant qu’il était possible, l’ordre public et la sécurité dans le territoire
occupé en respectant, sauf empêchement abso lu, les lois en vigueur en RDC. Cette
obligation comprend le devoir de veiller au respect des règles applicables du droit
international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, de

protéger les habitants du territoire occupé contre les actes de violence et de ne pas
tolérer de tels actes de la part d’une quelconque tierce partie.» (Arrêt,
paragraphe 178.)

L’article 43 du règlement de La Haye de 1907 dispose que :

«L’autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l’occupant,
celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer,

autant qu’il est possible, l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement
absolu, les lois en vigueur dans le pays.»

Par conséquent, l’application de l’article 43 dépend du fait que «[l]’autorité du pouvoir légal

a[i]t passé de fait entre les mains de l’occupant ». Le juge Parra-Aranguren ne saisit pas bien
comment la majorité des membres de la Cour est parvenue à la conclusion que cette condition était
remplie, aucun éclaircissement sur ce point n’étant fourni par l’arrêt. - 6 -

En outre, l’obligation imposée à la puissance occupante par l’article 43 n’est pas une
obligation de résultat. Une puissance occupante ne commet pas une violation de l’article 43 pour

n’avoir pas rétabli l’ordre et la vie publics dans le territoire occupé, étant donné qu’elle se trouve
uniquement dans l’obligation de «prendr[e] toutes les mesures qui dépendent d[’elle] en vue de
rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ ordre et la vie publics». Le jugeParra-Aranguren
estime que la question de savoir si la nature de cette obligation a été dûment prise en compte dans

l’arrêt se pose toujours.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’occupation de la province de Kibali-Ituri par l’Ouganda, la
majorité des membres de la Cour tient rarement compte des caractéristiques géographiques de la

province pour déterminer si l’Ouga nda a satisfait à son devoir de vi gilance en vertu de l’article 43
du règlement de la Haye de 1907; pourtant, comme le montre l’examen de la première demande
reconventionnelle de l’Ouganda, ces caractéristiques ont été prises en compte pour excuser
l’incapacité de la RDC à empêcher les attaques transfrontalières des forces rebelles

antiougandaises.

V

Pour le juge Parra-Aranguren, il convient enfin d’observer que des groupes rebelles étaient
présents dans la province de Kibali-Ituri avant le mois de mai 1997 ⎯alors que le maréchal
Mobutu Ssese Seko gouvernait l’ancien Zaïre ⎯, qu’ils y étaient toujours après l’arrivée au

pouvoir du président Laurent-Désiré Kabila, et que c’est la raison pour laquelle la RDC a
expressément consenti à la présence de troupes ouganda ises sur son territoire. La Cour elle-même
reconnaît l’incapacité dans laque lle se trouvait placée la RDC de contrôler les événements se

déroulant à ses frontières (arrêt, paragraphe 135). Des groupes rebelles étaient également présents
dans la région durant les opérations militaires me nées par l’Ouganda et s’y trouvaient toujours,
même après le retrait des troupes ougandaises du territoire de la RDC à la date du 2 juin 2003,
malgré les efforts soutenus du Gouvernement de la RDC et l’aide substantielle de la mission de

l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC), qui, comme il
est de notoriété publique, compte plus de quinze mille soldats.

Opinion individuelle de M. le juge Kooijmans

Le juge Kooijmans regrette t out d’abord que la Cour n’ait p as suffisamment pris en compte,
selon lui, le contexte général du différend entre les Parties ni l’instabilité profondément ancrée dans
la région qui a conduit l’Ouganda ainsi que d’autres pays à des actions militaires. En conséquence,

l’arrêt peut être considéré comme ne présentant pas l’équilibre nécessaire pour régler véritablement
le différend.

Le juge Kooijmans estime en outre que la Cour aurait dû prendre en considération le fait que

les actions armées menées par les mouvement s rebelles antiougandais à partir du territoire
congolais pendant les mois de juin et juillet1998 s’apparentaient, en raison de leur ampleur et de
leurs conséquences, à une agression armée et auraie nt été considérées comme telle si elles avaient

été conduites par des forces armées régulières. Le fait que ces actions armées ne puissent être
imputées à la RDC, la preuve d’une implication de cette dernière n’ayant pu être apportée, ne
signifie pas que l’Ouganda n’était pas en droit d’agir en légitime défense; l’article 51 de la Charte
ne subordonne pas le droit de légitime défense à une agression armée par un Etat. En l’espèce,

leruganda n’a toutefois pas satisfait aux conditions de nécessité et de proportionnalité à compter du
1 septembre 1998 et a ainsi violé le principe du non-recours à la force. - 7 -

Le juge Kooijmans est également d’avis que la Cour a inutilement restreint le critère
d’applicabilité du droit de l’occupation de guerre en recherchant si non seulement les forces armées

ougandaises étaient stationnées en tel ou tel endroit, mais également si elles avaient effectivement
substitué leur propre autorité à celle du Gouvernement c ongolais. La Cour a conclu sur cette base
que tel était le cas dans le district de l’Ituri à l’exclusion des autres régions envahies.

Selon le juge Kooijmans, il aurait été préférab le de parvenir à cette conclusion en partant du
fait que les forces armées ougandaises ayant saisi des aéroports et des bases militaires sur une
portion étendue de la RDC, le Gouvernement de ce lle-ci s’est trouvé dans l’incapacité d’y exercer
son autorité. Aussi longtemps que l’Ouganda a effectivement contrôlé ces lieux, dont le

Gouvernement de la RDC aurait eu besoin pour restaurer son autorité sur les mouvements rebelles
congolais, il doit être considéré comme la puissan ce occupante dans toutes les régions où ses
troupes étaient présentes.

Cette situation a changé lorsque, par suite de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, ces
mouvements rebelles ont été élevés au rang de participants officiels à la reconstruction de l’Etat
congolais. Etant donné la position de ces mouveme nts dans les régions envahies, l’Ouganda ne
peut plus être considéré comme ayant remplacé le gouvernement territorial puisque ceux-ci sont

entrés dans le Gouvernement congolais. L’Ougand a n’a conservé le statut de puissance occupante
que dans le district de l’Ituri, où il exerçait un contrôle plein et effectif.

Le juge Kooijmans est également en désaccord avec la conclusion de la Cour énoncée dans

le dispositif de l’arrêt selon laque lle l’Ouganda a violé le principe du non-recours à la force en
occupant le district de l’Ituri. Selon lui, c’est l’action armée de l’Ouganda qui constitue un emploi
illicite de la force, alors que l’occupation, en tant que résultat de cet acte illicite, devrait
simplement être examinée au regard du jus in bello . En intégrant l’occupation dans le concept

d’emploi illicite de la force, la Cour pourrait renforcer la réticence des Etats à appliquer le droit de
l’occupation de guerre lorsque nécessaire.

Le juge Kooijmans a voté contre la décision de la Cour selon laquelle l’Ouganda ne s’est pas

cerformé à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue le
1 juillet 2000. Selon lui, cette décision n’est pas appropriée car la RDC n’a fourni aucun élément
de preuve précis à cet égard. En outre, l’ordo nnance s’adressait aux deux Parties et la Cour a
elle-même indiqué avoir conscience de ce que t outes les parties au conflit avaient commis des

violations massives des droits de l’homme.

Le juge Kooijmans a également voté contre le paragraphe du dispositif dans lequel la Cour
conclut que la première demande reconventionnelle de l’Ouganda ne peut être retenue. Il est d’avis

qu’il n’appartenait pas seulement à l’Ouganda d’ établir que, pendant la période allant de1994
à1997, le Gouvernement du Zaïre soutenait l es mouvements rebelles antiougandais, mais qu’il
revenait également à la RDC d’apporter la preuve qu’elle ne s’était pas acquittée de son devoir de
vigilance. La RDC n’ayant pas apporté une telle preuve, la partie de la demande reconventionnelle

portant sur cette période n’aurait pas dû être rejetée.

Opinion individuelle de M. le juge Elaraby

Le juge Elaraby déclare s’associer pleinement aux conclusions formulées par la Cour dans
son arrêt et développe dans son opi nion individuelle celle d’entre elles qui concerne l’emploi de la
force; il se propose ce faisant d’approfondir l’ examen de l’allégation de la République

démocratique du Congo selon la quelle, en la présente affaire, certaines activités de l’Ouganda
constitueraient une violation de l’interdiction de l’agression prévue par le droit international. - 8 -

Le juge Elaraby souligne le caractère central de cet argument dans l’exposé présenté à la
Cour par la République démocratique du Congo. Bien qu’il souscrive à la conclusion de la Cour

concernant l’existence d’une violation de l’interdiction de l’emploi de la force, il soutient qu’en
raison de la gravité de celle-ci, la Cour aurait dû chercher à déterminer s’il n’y avait pas également,
en la présente affaire, violation de l’interdiction de l’agression.

Le juge Elaraby rappelle briève ment le contexte historique de la résolution 3314 (XXIX) de
l’Assemblée générale et indique que la Cour a compétence pour dire qu’une agression a été
commise. Il cite les dicta de la Cour en l’affaire des Activ ités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique) , dans lesquels cette résolution a

été reconnue comme relevant du droit internationa l coutumier et, soulignant l’importance pour la
Cour de faire preuve de cohérence dans sa ju risprudence, conclut qu’elle aurait dû dire que
l’emploi illicite de la force par l’Ouganda constituait une agression.

Opinion individuelle de M. le juge Simma

Dans son opinion individuelle, le juge Si mma indique souscrire, pour l’essentiel aux

conclusions auxquelles la Cour est parvenue dans son arrêt, tout en s’interrogeant sur trois points
sur lesquels la Cour a décidé de ne pas se prononcer.

En premier lieu, le juge Simma s’associe à la critique formulée par le juge Elaraby dans son

opinion individuelle, selon laquelle la Cour aura it dû reconnaître que l’Ouganda avait commis un
acte d’agression. Il relève que, de toutes les activités militaires dont la Cour a eu à connaître, si une
seule devait être qualifiée d’acte d’agression, ce ser ait l’invasion de la RDC par l’Ouganda. Eu
égard à l’ampleur et aux conséquences de cette dernière, les péripéties militaires que la Cour a

examinées à ce jour dans d’autres affaires, telles que celles du Détroit de Corfou , des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci ou des Plates-formes pétrolières ,
confinent à l’anecdotique.

A cet égard, le juge Simma souligne que si le Conseil de sécurité des Nations Unies n’a pas
expressément qualifié l’invasion ougandaise d’acte d’agression, c’est qu’il avait ses raisons, en
l’occurrence d’ordre politique. Or, en sa qualité d’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies, la Cour a pour raison d’être de formuler des décisions fond ées en droit, sans perdre

de vue le contexte politique, certes, mais en ne s’abstenant pas de consta ter des faits manifestes
pour des raisons tenant à ces considérations extrajuridiques.

En deuxième lieu, le juge Simma indique que la Cour n’a pas répondu à la question de savoir

si l’Ouganda aurait été fondé à repousser les actions militaires transfrontalières des groupes
rebelles antiougandais, même dans l’hypothèse où ce lles-ci n’auraient pas été attribuables à la
RDC, ces attaques rebelles étant d’une ampleur suffisante pour être qualifiées d’«agression[s]
armée[s]» au sens de l’article 51 de la Charte des Nations Unies.

A cet égard, le juge Simma s’associe à l’argument présenté par le juge Kooijmans dans son
opinion individuelle, argument selon lequel la Cour aurait dû saisir l’opportunité qui lui était
offerte, en la présente affaire, d’éclaircir l’état du droit sur cette question hautement controversée et

laissée sans réponse par l’arrêt rendu il y a ving t ans en l’affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci . Il estime que lorsque des attaques armées sont
menées par des troupes irrégulières contre un Etat voisin, et qu’elles ne peuvent être attribuées à
l’Etat territorial, elles n’en demeurent pas moins des attaques armées et sont susceptibles de donner

naissance à un droit de légitime défense comparab le à celui qui naîtrait dans l’hypothèse d’un
conflit opposant deux Etats. - 9 -

En troisième lieu, le juge Simma souligne que s’il estime que la Cour a, à juste titre, conclu
que l’Ouganda ne saurait formuler une demande f ondée sur la protection diplomatique s’agissant

des mauvais traitements infligés à des partic uliers par des soldats congolais à l’aéroport
international de Ndijili à Kinshasa en août 1998, le droit international relatif a ux droits de l’homme
et le droit international humanitaire n’en restent pas moins applicables. Le juge Simma estime
qu’il aurait été important que la Cour confir me de manière non équivoque que ces personnes

demeuraient protégées par l’une et l’autre de ces branches du droit, eu égard notamment aux
tentatives actuelles de création de vides juridiqu es dans lesquels des êtres humains risquent de
sombrer pour une durée indéterminée.

Le juge Simma fait valoir que l’élément déte rminant dans la question de l’application du
droit international humanitaire dans les parties du territoire d’un Etat belligérant non directement
concernées par un conflit armé est de savoir s’il existe, d’une manière ou d’une autre, un lien entre
ces zones et le conflit. En la présente affaire, un tel lien existe. Il existe en fait, puisque les

personnes victimes de mauvais traitements à l’aér oport international de Ndjili attendaient d’être
évacuées en raison de l’existence d’un conflit armé. Il existe également en droit, puisque la Cour,
dans son ordonnance rendue le 29nove mbre2001, avait déjà établi, en application de l’article 80
du Règlement, que les événements survenus à l’ aéroport s’inscrivaient dans le cadre d’un «même

ensemble factuel complexe» que le conflit armé constituant le fondement de la demande principale.
Le juge Simma se réfère également aux décisions du TPIY dans lesquelles il est indiqué que le
droit international humanitaire s’applique en tous points du territoire des Etats belligérants, qu’ils

soient ou non effectivement le théâtre de combats.

Ayant rappelé les règles fondamentales du dro it international humanitaire applicables aux
personnes concernées, le juge Simma conclut que, bien que ne pouvant être qualifiés de «personnes
protégées» au sens de l’article 4 de la quatrième convention de Genève, celles-ci étaient, au

minimum, protégées par l’article 75 du protocole additionnel I aux conventi ons de Genève. Le
juge Simma insiste sur le fait qu’il n’existe donc en la matière aucun vide juridique en droit
international humanitaire.

Appliquant les règles du droit internationa l relatif aux droits de l’homme aux personnes
maltraitées par la RDC à l’aéroport international de Ndjili, le juge Simma relève que la RDC a, du
fait de son comportement, violé les dispositions du P acte international relatif aux droits civils et

politiques du 19décembre1966, de la Charte afri caine des droits de l’homme et des peuples du
27 juin 1981 et de la convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains
ou dégradants du 10 décembre 1984, instruments auxquels sont parties la RDC et l’Ouganda.

Le juge Simma aborde ensuite la question de la qualité pour agir s’agissant des violations du
droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l’homme dans le cas de
personnes susceptibles de ne pas avoir la nationalité de l’Etat demandeur. Pour ce qui concerne le
droit international humanitaire, il conclut, sur le fo ndement de l’avis rendu par la Cour en l’affaire

du Mur et du commentaire du CICR de l’article 1 commun des conventions de Genève, que,
indépendamment du fait que les victimes de ma uvais traitements aient ou non la nationalité
ougandaise, l’Ouganda avait le droit ⎯et même le devoir ⎯ d’invoquer les violations du droit
international humanitaire commises contre ces personn es, et ce dans le cadre de son devoir de

garantie du respect du droit international humanita ire. Concernant les droits de l’homme, il
conclut, sur le fondement de l’article 48 du projet d’articles de 2001 sur la responsabilité de l’Etat
pour fait internationalement illicite , que l’Ouganda aurait été fondé à invoquer des violations des
traités pertinents relatifs aux droits de l’homme.

Le juge Simma conclut par une remarque générale sur la communauté d’intérêts sous-jacente
au droit international humanitaire et au droit inte rnational relatif aux droits de l’homme, insistant
sur le fait que les obligations émanant de ces deux domaines du droit sont, à tout le moins pour ce

qui est des principales d’entre elles, applicables erga omnes. - 10 -

Déclaration de M. le juge Tomka

Le juge Tomka, qui a voté en faveur de l’en semble des points du dispositif de l’arrêt, à une
exception près, expose les raisons pour lesquelles la Cour aurait selon lui pu faire droit à la
demande reconventionnelle de l’Ouganda fondée sur la tolérance alléguée des autorités de la RDC
(alors le Zaïre) à l’égard des attaques de gr oupes rebelles lancées depuis le territoire congolais

contre l’Ouganda dans la période allant de 1994 à mai 1997.

Le juge Tomka est d’avis que le devoir de vi gilance imposait au Zaïre de faire de sérieux
efforts pour empêcher que son territoire ne fût utilisé contre l’Ouganda. Le Zaïre connaissait

l’existence de ces groupes rebelles antiougandais opér ant sur son territoire et portant atteinte à
l’Ouganda et au peuple ougandais. Selon le juge Tomka, la RDC aurait dû démontrer à la Cour que
le Gouvernement zaïrois avait fait tous les effort s sérieux pour empêcher que son territoire ne fût
utilisé abusivement pour lancer des attaques contre l’ Ouganda. Il n’a été soumis à la Cour aucun

élément crédible attestant le moindre effort de bonne foi en ce sens. Le juge Tomka déclare ne pas
pouvoir souscrire au point de vue de la major ité selon lequel l’absence d’action du Gouvernement
zaïrois contre les groupes rebelles dans la zone frontalière ne correspondait pas à une tolérance de
leurs activités ou à un acquiescement à celles-ci.

Dans la suite de sa déclaration, le juge Tomka estime que l’Ouganda demeure tenu de
traduire en justice les auteurs de violations grav es en vertu de la quatriè me convention de Genève
de 1949 et du premier protocole facultatif de 1977.

Enfin, le juge Tomka se penche brièvement sur l’ordre dans lequel la Cour a examiné les
questions de la légitime défense et de l’interdiction de l’emploi de la force.

Déclaration de M. le juge Verhoeven

Dans sa déclaration, le juge Verhoeven s’interroge sur les conditions auxquelles et les limites
dans lesquelles la Cour peut constater l’illégalité du comportement d’un Etat sans se prononcer sur

les conséquences qui en résultent selon le droit inte rnational. En l’espèce, il se conçoit sans peine
que, compte tenu des circonstances, la décision su r la réparation soit renvoyée à un stade ultérieur
de la procédure si les parties ne se mettent pas d’accord à ce propos. Au moins en va-t-il ainsi pour

ce qui concerne la demande principale; la conclusion prête en revanche à doute s’agissant de la
deuxième demande reconventionnelle en l’absen ce d’éléments qui paraissent objectivement
justifier le report de la décision. Les autres points du dispositif relatif s aux conséquences des
violations constatées dans le chef du défendeur peuvent en out re susciter de ce point de vue

certaines hésitations, même si la Cour ne s’est pas expressément prononcée à ce sujet.

Le juge Verhoeven souligne ensuite que l’oblig ation de respecter et de faire respecter les
droits de l’homme et le droit international humanitaire, à laquelle il est fait référence dans le point 4

du dispositif, ne peut être limitée à la seule hypothèse d’une occupation au sens du jus in bello ; elle
s’applique de manière générale à toutes forces armées en territoire étranger, particulièrement
lorsque leur présence découle d’une violation du jus ad bellum . L’obligation de réparation que
suscite cette violation s’étend par ailleurs à t outes les conséquences dommageables qui en sont

résultées, alors même qu’elles procèdent le cas échéant d’actes ou de comportements qui sont en
soi conformes au jus in bello.

Opinion dissidente de M. le juge Kateka

Dans son opinion dissidente, le juge Kateka indique qu’il ne peut s’associer aux conclusions
de la Cour selon lesquelles l’Ouganda a violé le principe du non-recour s à la force dans les

relations internationales et le principe de non-in tervention, violé les obligations lui incombant en - 11 -

vertu du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire et
violé, par des actes d’exploitation illicite des r essources naturelles congolaises, les obligations qui

sont les siennes, en vertu du droit international, envers la République démocratique du Congo.

Le juge Kateka est d’avis que la Cour aurait dû se pencher à nouveau sur son dictum relatif
aux activités menées par des rebelles et aux éléments constitutifs d’une «agression armée» exprimé

dans son arrêt de 1986 en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique). De telles activités menées par des rebelles étant au
cŒur de la présente espèce, il eût été utile de préciser ce point de droit.

Dans son opinion, le juge Kateka soutient que les forces armées ougandaises se sont trouvées
en République démocratique du Congo à différent es périodes, tantôt avec le consentement du
demandeur, tantôt dans l’exercice du droit de légitime défense. Selon le jugeKateka, les
allégations de violation des droits de l’homme et du droit international humanitaire n’ont pas été

prouvées par le demandeur, qui n’est lui-même pas innocent à cet égard. Il estime enfin que la
conclusion relative à la violation des mesures conservatoires n’a pas lieu d’être.

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Résumé de l'arrêt du 19 décembre 2005

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