Résumé de l'arrêt du 12 avril 1960

Document Number
4523
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Number (Press Release, Order, etc)
1960/1
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIREDUDROITDISPASSAGESURTERRITOIRE INDIEN (FOND)

Arrêt du 12 aivril1960

L'affaire du droit de passage sur territoire indien Dans son arrêt,la Courconstate que les conclusions
(Poirtugalc. Inde) avait étésoumise à la Cour par une cléposéep sar lePortugal luidemandenttout d'abord de
requêtedéposéele 22 décembre 1955.Dans cette re- clireetjuger qu'un droit de passage existe au profit du
quête,le Gouvernement du Portugal expose que son Portugal et doit êtrerespecté par l'Inde; le Portugal
territoiredans la péninsulede l'Inde compreiid notam- ri'invoque ce droit que. dans la mesure nécessaire à
ment deux enclaves entourées par le territoire indien, l'exercice de sa souveraineté dans les enclaves, ne
Daclraet Nagar-Aveli, etque. à proposdes co.mmunica- prétend pasque le passage soit assorti d'immunitéset
ti0n.sde ces enclaves soit avec l'arrondissement côtier précisequece passage reste soumis àla réglementation
de IDamao, soit entre elles. se pose la question d'un t:tau contrale de l'Inde, réglementationet contrôle qui
droit de passage au profit du Portugal en territoire doivent être exercés debonne foi, l'Inde étant tenue
indienet d'une obligation correspondante àla chargede de ne pas empêcherle passage nécessaire àl'exercice
l'Inde. La requête énonctq:u'enjuillet1954 le Gouver- ,de la souverainetéportugaise.La Courrecherchealors
nenient de l'Inde a empêchéle Portugal d'exercer ce iiquelle date elle doit se placer pour apprécier si le
droit de passage et que le Portugal a ainsi étcimis dans tlroit invoquéexiste ou non. La question du droit de
1'irn.possibilid'exercer !sesdroits de souveraineté sur passage lui ayant étéposée à l'occasion d'un diffé-
les enclaves. rend surgi au sujet des entraves apportées par l'Inde
;iu passage, c'està la veille de l'établissementde ces
PL la suite de cette requête,la Cour s'est trouvéeen entraves qu'elle doit se placer; procéder ainsi laisse
présencede six exceptions préliminairesopposéespar intacts les arguments de l'Inde touchant la caducitt
leCiouvernementde l'Inde. Par un arrêtrendu le26no- ultérieuredu droit de passage.
venibre 1957,elle a rejetil les quatre premièi-esde ces
exceptions et joint au forid la cinquièmeet1isixième. Le Portugal demande ensuite à la Cour de dire et
Dans son arrêt,la C0u.ra : jiugerque l'Inde ne s'est pas conforméeaux obligations
qui lui impose le droit de passage. Mais la Cour cons-
a) Rejeté la cinquième exception préliminairepar i:ate que, ni dans la requêteni dans les conclusions
13 voix contre 2; :hales des parties, il ne lui est demandé de dire si,
b) Rejeté la sixième exception préliminaire par :parson attitudeà l'égardde ceux qui ont provoquéle
11voix contre 4; :renversement de l'autorité portugaise à Dadra et à
Nagar-Avelienjuillet etaoût 1954. l'Inde amanqut aux
C) Dit. par 11voix contre 4,que le Portugal avaiten 'obligationsque le droit internationalgénérallui impo-
1954 un droit de passage entre lesenclaves de Dadra et serait de prendre des mesures appropriées pour pré-
de Nagar-Aveli et l'arrondissement côtier de Damao et venir l'incursion d'éléments subversifs dansle terri-
entre ces enclaves elles-rnêmes,surle territoire indien toire d'un autre Etat.
intermédiaire,dansla me:surenécessaire à l'exercicede Se tournant alors vers l'avenir, les conclusions du
la s.ouverainetéportugaise sur ces enclaves et sous la Portugalinvitent la Courà déciderquel'Inde doit met-
réglementationet lecontrôle del'Inde, pour lesperson- trefinaux mesuresparlesquelles elles'oppose à l'exer-
nes privées, les fonctiorinaires civils et lesrchan- cicedudroitdepassage ou?aucas oùlaCouradmettrait
disi:s en général; une suspension momentanéede ce droit, à prononcer
c/) Dit. par 8voix contr7, que le Portugal n'avait en queladite suspensiondevraprendre findèsquel'évolu-
1954ce droit de passage ni pour les forces armées,ni tion de la situation en aura fait disparaître lajustifica-
polir la police, ni pour 1t:sarmes et munitions; tion. Le Portugal invite auparavant la Cour a déclarer
sans fondement les thèses de l'Inde concernant son
e) Dit, par9 voix contre 6, que l'Inde n'a pas agi droitd'adopter une attitude de neutralité, l'application
contrairement aux obligations qui lui imposait le droit de la Charte des Nations Unies et l'existence dans les
de passage du Portugal pour lespersonnes privées, les enclaves d'ungouvernementlocal. MaislaCourestime
fon.ctionnairescivils et 11:smarchandises en général. qu'il n'entre pas dans ses fonctionsjudiciaires de pro-
Le Président et MM. Basdevant, Badavli, Kojev- noncer dans le dispositif de I'arrêtque telle ou telle de
nikov et Spiropoulos,juges, ont jointà l'arrêt desdé- ces thèses est ou non fondée.
clarations. M. Wellington Koo, juge, a jointà l'arrêt
1'e:cposéde son opinion individuelle. MM. Winiarskiet
Badawi, juges, ontjoint à l'arrêt l'exposécommun de
leur opinion dissidente. MM. Armand-Ugoii, Moreno
Quintana et sirPercy Spe:nder.juges, et MM..Chaglaet Avant d'examiner lefond, la Courdoitdéterminersi
Fernandes. juges ud hoc.,ontjoint àI'arrêt lesexposés elle est compétentepour le faire:c'est ce que l'Inde a
de leur opinion dissidente. expresstment contesté.
Dans sa cinquième exception préliminaire, le Gou-
vernement de I'Inde s'est fondé sur la réserve que
comporte sa déclarationd'acceptation de lajuridictionde la Cour, en date du 28 février 1940, qui exclut de transfert de souveraineté. mais simplement la conces-
cette juridiction les différendsrelatifsdes questions siond'un revenu surdes villages àluiassignés.LaCour
qui, d'après le droit international, relèvent exclusive- ne sauraitconclurede l'examen desdifférentstextes du
ment de lajuridiction de l'Inde. La Courconstate que, Traité de 1779qui lui ont étésoumis queleurteneur ait
au coursde laprocédure, I'uneet I'autre partiessesont viséun transfert de souveraineté;d'autre part, les ter-
placées sur le terrain du droit international et l'ont mes utilisésdans les deux santlds établissent qu'il n'a
parfois expressémentdéclaré. Lacinquièmeexception étéconcédéaux Portugaisqu'une tenure d'ordre fiscal
ne saurait donc êtreretenue. appelée jagir ou saranjam, et il n'a pas étésignalà la
Cour un seul cas où une concessiondecet ordre ait été
La sixième exception préliminaire se réfère, elle interprétéecomme équivalant à une cession de sou-
aussi,à la déclarationdu 28 février1940. L'Inde, qui a vera.ineté.II ne pouvait donc êtrequestiond'enclaves,
accepté la juridiction de la Cour "pour tous les dif- ni de droit de passage en vue d'exercer une souverai-
férends nés après le 5 février 1930. concernant des netésur des enclaves.
situations ou des faits postérieurs ladite date", sou-
tient que le différendne répond à aucune de ces deux La Cour constate que la situation se modifia avec
conditions.Ence quiconcerne lapremièrecondition, la l'accession desBritanniques à la souverainetésurcette
Courobserveque le différendn'a pu naîtrequelorsque partie du pays au lieu et place desMahrates : la sou-
tous ses éléments constitutifs ont existé; parmi ces veraineté du Portugal sur les villages fut reconnue en
élémentsse trouvent les obstaclesque l'Inde aurait, en fait et par implication par les Britanniques, elle le fut
1954, apportés àl'exercice du passage par lePortugal;à ensuite tacitementpar l'Inde. En conséquence, les vil-
ne considérermêmeque lapartie du différendquiporte lage:~acquirent le caractère d'enclaves portugaisesen
sur la prétention du Portugal à un droit de passage, territoire indienet lepassagevers cesenclaves a donné
quelquesincidents s'étaient produits avant 1954,mais lieu entre les Portugais et le souverainterritorialne
sansamenerlesparties à prendre despositions de droit pratiqueque lePortugal invoque pourétablirledroitde
nettementdéfinieset s'opposant I'une àl'autre; rien ne passage par lui réclamé.IIest alléguéau nom de l'Inde
permet donc de dire que le différend ait pris naissance qu'aucune coutume locale ne sauraitseconstituer entre
avant 1954. En ce qui concerne la secondecondition, la deux Etats seulement, mais la Cour voit difficilement
Cour permanente de Justice internationale a (en 1938) pourquoi le nombre des Etats entre lesquels une cou-
distinguéentre les situations ou faits qui constituent la tumi: locale peut se constituer sur la base d'une prati-
source des droits revendiqués par I'une des parties et que prolongéedevrait nécessairementêtre supérieur à
les situations ou faits générateursdu différend: seuls deux.
ces derniers doivent êtreretenus. Or le différendsou- Il est admis de part et d'autre qu'au cours des pério-
mis à la Cour concerne à la fois la situation des encla- des britannique et postbritannique le passage des per-
ves. qui afait naître la prétentionduor1:ugaà un droit sonnesprivées et des fonctionnaires civils n'a étésou-
de passage. et lesfaits de954 que le Portugal présente
comme comportantdesatteintes àcedroit;c'est decet mis à aucune restriction en dehors du contrôle normal.
ensemble qu'est né ledifférendet cet ensemble, quelle Al'exceptiondesarmes et munitions,lesmarchandises
que soit l'origine anciennede I'un de seséléments, n'a ont égalementpassélibrement sous la seule réserve, à
existéqu'aprèsle 5février 1930.Il n'est pasdemandé à certaines époques, des règlements douaniers et des
la Cour de dire etjuger quoi que ce soit concernant le règlements et contrôles nécessités par des considéra-
passé antérieur à cette date; elle estime donc n'avoir tions de sécuritéou de fiscalité. La Courconclutdonc
pas à retenir la sixièmeexception, et, en conséquence, que, en ce qui est des personnes privées, des fonction-
elle s'estime compétente. naires civils et des marchandises en général,il a existé
une nratiaue uniforme de libre Dassageentre Damao et
lesinclaies; elle considère: e; égad à toutes les cir-
constances de l'espèce, quecette pratique aétéaccep-
tée par les parties comme étant le droit et a donné
En ce qui concerne lefond et tout d'abord ledroitde naissance àundroit età une obligation correspondante.
passage tel qu'il est revendiqué par le Portugal,'Inde En ce qui concernelesforcesarmées, lapolice armée
soutient que ce droit est trop vague et contradictoire et les armes et munitions, la situation est différente.
pour que la Cour puisse se prononcer à son sujet par
application des règles juridiques énumérées à I'Arti- II apparaît que au cours des périodesbritannique et
cle 38,1, du Statut. II n'est pas douteux que l'exercice postbritannique les forces armées et la police armée
journalier de ce droit peut donner lieu à de délicates portugaises ne passaient pas entre Damao et les encla-
questionsd'application mais cela ne constitue pas, aux ves à titre de droit et que, apr1878. leur passage n'a
yeux de la Cour, un motif suffisant pour conclure à pu avoir lieu qu'avec l'autorisation préalabledes Bri-
l'impossibilitéde sa reconnaissancejudiciaire. tanniques. puis des Indiens, donnée soit en vertu d'un
Le Portugal invoque le Traité de Poona de 1779, accord réciproque antérieur, soit dans des cas d'es-
conjointement avec des sutlads (décrets) émis par le pèce :ilest alléguéque cette autorisationétait toujours
accordée, mais rien dans le dossier n'indique que les
souverain mahrate en 1783 et 1785, comme lui ayant Britanniques ou lesIndiens aient étéobligésd'accorder
conféréla souverainetésur lesenclavesavec ledroitde leur autorisation.
passage pour y accéder; l'Inde objecte que ce que l'on
présente comme le traité de 1779 n'a pas étévala- Ainsi. un traitédu26 décembre 1878 entre laGrande-
blement conclu et n'a jamais étéen droit un traité Bretagne et le Portugal disposaitque la forcearméede
obligeant les Mahrates. Mais la Cour constate qu'à I'un(les deux gouvernementsn'entrerait dans les pos-
aucun moment les Mahrates n'ont formulé de doute sessions de I'autre que dans des cas spécifiésou sur
quant à la validitéou quant au caractère obligatoire de demande formelle de la partie désirant cette entrée. La
ce traité. L'Inde prétend en outre que le Traité et les correspondanceéchangée par la suiteprouve que cette
deux sanads n'ont pas opéréen faveur du Portugal un disposition était applicable au passage entre Damaoet les enclaves : le Portugal cite 23 cas où les forces intérêdte déterminer si,en l'absence de la pratique qui
armé.esportugaises auraient traversé sans autcirisation a effectivement prévalu. le Portugalaurait pu fonder sa
Ic territoire britannique entre Damao et les ei~claves; prétention à un droit de passage pour ces catégoriessur
mais. en 1890.le Gouvernement de Bombay se plaignit la coutume internationale -énéraleou sur les ~rinci~es
de ce que des hommes en armes au service du Gouver- générauxde droit reconnus par les nations civilisées,
nement portugais eussent l'habitude de traverser sans coutume et principes que le Portugal invoque égale-
en fa.rmuler officiellement la demande une partie du ment. La Cour se trouve en présenced'un cas concret
territoire britanniqueen se rendant de Damao itNagar- présentant des caractères spéciaux: par ses origines,
Aveli, ce quisemblait constituer une violation C;utraité; l'affaire remonteà une périodeet concerne une région
le 22 décembre, le Gouverneur généralde l'Inde por- oii les rapports entre Etats voisins n'étaientpas régis
tugaise répondit : "Les trclupes portugaises ne traver- pardes règlesformuléesavecprécision,maislargement
sent jamais le territoire britannique sans autorisation commandés par la pratique; se trouvant en présence
préalable". et le Secrétaire généraldu Gouve.rnement d'une pratique clairement établieentre deux Etats et
de l'Inde portugaise précisa le 1"mai 1891 : "Ce gou- ac:ceptéspar les parties comme régissant leurs rap-
vernement donnera des ordres pour la stricte obser- ports, la Cour doit attribuer un effet décisif à cette
vation. .. du traité." Cette exigence d'une ~.emande pratique. La Cour estime. par conséquent, qu'un droit
formi:lle préalable au passage des forces armées se respondanteenàfla charge de l'Inde n'a étéétablini pour
le traitéden1878et ledit accord de 1913en réglaient le les forces armées, ni pour la police armée.ni pour les
passage sur une base de réciprocité.et un accord de armes et munitions.
1920disposait qu'au-dessous d'un certain rang les po-
liciers armés ne pénétreraientpas sur le terr~.toirede Ayant admis que lePortugal avait en 1954undroit de
l'autre sans consentement préalable; enfin, ut1accord passage pour les personnes privées, les fonctionnaires
de 1940relatif au passage des policiers portugais armés civils etlesmarchandises en général,laCour recherche
sur la route de Damao à hlagar-Aveli énonçaitque, si enfin si l'Inde a agi contrairemenà l'obligation que lui
leur nombre n'était pas supérieur à dix, leur passage iniposait le droit de passage du Portugal pour chacune
devrait êtresignaléaux autoritésbritanniques dansles deces catégories.Le Portugal neprétendpasque l'Inde
vingt-quatre heures, mais que, dans le cas contraire, ait agi contrairement àcette obligation jusqu'en juillet
"la pratiqueactuelle devrai.têtresuivie et 1'assi:ntiment 1954,mais il se plaint de ce qu'ensuite le passage ait
des autorités britanniques obtenu comme auparavant été refuséaux ressortissants portugais d'origine euro-
par voie de notification préalable". piLenne,aux Portugais d'origine indienne au servicedu
Gouvernement portugais et à une délégationque le
Quant au passage des arines et munitions, le traitéde Gouverneur de Damao seproposaiten juillet 1954d'en-
1878et les règlesédictéesen vertu de l'lrzdiaArms Act voyer à Nagar-Aveli et àDadra. La Courconstateque
de 11378 interdisaient d'imjporterdes armes, niunitions les événementsqui se produisirent à Dadra les 21 et
ou fournitures militaires en provenance de I'Inde por- 22juillet 1954et aboutirent au renversement de I'au-
tugaise ou d'en exporter à.destination de cell,e-cisans tc~ritéportugaise dans cette enclave suscitèrent une
licence spéciale.La pratique suivie par lasuite montre certaine tension dans le territoire indien environnant;
clairementque cette dispositions'est appliquéi:au tran- eilraison decette tension,la Cour estime que lerefus de
sit entre Damao et les enc:laves. passage opposé par I'Inde relevait de son pouvoir de
La Cour ayant constaté que la pratique établie entre rkglementation et de contrôle du droit de passage du
les parties exigeait lapermission des autorités britan- Portugal.
niqu,esou indiennespour 11p :assage des forces.armées, Par ces motifs, la Cour se prononce comme il a été
de la police arméeet des armes et munitions. il est sans indiquéplus haut.

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