Non corrigé
Uncorrected
CR 2010/6
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2010
Audience publique
tenue le jeudi 29 avril 2010, à 16 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Tomka, vice-président,
faisant fonction de président
en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2010
Public sitting
held on Thursday 29 April 2010, at 4 p.m., at the Peace Palace,
Vice-President Tomka, Acting President, presiding,
in the case concerning Ahmadou Sadio Diallo
(Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire
Al-KMhas.awneh
Simma
Abraham
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Crinçade
Yusuf
Grejugesood,
MaMhiou.,
Mjugepsuya, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Vice-President Tomka, Acting President
Al-KhaJswgesh
Simma
Abraham
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Trindade Cançado
Yusuf
Greenwood
Judges ad hoc Mahiou
Mampuya
Couvrisrar
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République de Guinée est représenté par :
le colonel Siba Lohalamou, ministre de la justice, garde des sceaux,
comme chef de la délégation ;
Mme Djénabou Saïfon Diallo, ministre de la coopération ;
M. Mohamed Camara, premier conseiller chargé des questions politiques à l’ambassade de Guinée
auprès des pays du Benelux et de l’Union européenne,
comme agent ;
M.AlainPellet, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-LaDéfense, membre et ancien
président de la Commission du droit international, associé de l’Institut de droit international,
comme agent adjoint, conseil et avocat ;
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, secrétaire général
de la Société française pour le droit international,
M.Daniel Müller, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université
Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), avocat au barreau de Paris, cabinet Sygna
Partners,
M. Luke Vidal, avocat au barreau de Paris, cabinet Sygna Partners,
M. Samuel Wordsworth, membre des barreaux d’Angleterre et de Paris, Essex Court Chambers,
comme conseils et avocats ;
S. Exc. M. Ahmed Tidiane Sakho, ambassadeur de la République de Guinée auprès des pays du
Benelux et de l’Union européenne,
M. Alfred Mathos, agent judiciaire de l’Etat,
M. Hassan II Diallo, conseiller juridique du premier ministre de la République de Guinée,
M. Ousmane Diao Balde, directeur de la division juridique et consulaire au ministère des affaires
étrangères,
M. André Saféla Leno, président de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Conakry,
S. Exc. M. Abdoulaye Sylla, ancien ambassadeur,
comme conseillers ;
M. Ahmadou Sadio Diallo, homme d’affaires. - 5 -
The Government of the Republic of Guinea is represented by:
Colonel Siba Lohalamou, Minister of Justice, Keeper of the Seals,
as Head of Delegation ;
Ms Djénabou Saïfon Diallo, Minister of Co-operation;
Mr.Mohamed Camara, First Counsellor for Political Affairs, Embassy of Guinea in the Benelux
countries and in the European Union,
as Agent;
Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisOuest, Nanterre-La Défense, Member and
former Chairman of the International Law Co mmission, Associate of the Institut de droit
international,
as Deputy Agent, Counsel and Advocate;
MrM. athias Forteau, Professor at the Univers ity of PariOuest, Nanterre-La Défense,
Secretary-General of the Société française pour le droit international,
Mr. Daniel Müller, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), University
of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the Univer sity of ParisOuest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar,
Cabinet Sygna Partners,
Mr. Luke Vidal, member of the Paris Bar, Cabinet Sygna Partners,
Mr. Samuel Wordsworth, member of the English and Paris Bars, Essex Court Chambers,
as Counsel and Advocates;
H.E. Mr. Tidiane Sackho, Ambassador of the Repub lic of Guinea to the Benelux countries and to
the European Union,
Mr. Alfred Mathos, Judicial Agent of the State,
Mr. Hassan II Diallo, Legal Adviser to the Prime Minister of the Republic of Guinea,
Mr. Ousmane Diao Balde, Director of the Legal a nd Consular Division of the Ministry of Foreign
Affairs,
Mr. André Saféla Leno, President of the Indictments Division of the Court of Appeal of Conakry,
H.E. Mr. Abdoulaye Sylla, former Ambassador,
as Advisers;
Mr. Ahmadou Sadio Diallo, businessman. - 6 -
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est représenté par :
S.Exc.M. Henri Mova Sakanyi, ambassadeur de la République démocratique du Congo auprès du
Royaume de Belgique, du Royaume des Pays-Bas et du Grand-Duché de Luxembourg,
comme agent et chef de la délégation ;
M.Tshibangu Kalala, professeur de droit international à l’Université de Kinshasa, avocat aux
barreaux de Kinshasa et de Bruxelles, député au Parlement congolais,
comme coagent, conseil et avocat ;
M.Lwamba Katansi, professeur à l’Université de Kinshasa, conseiller juridique au cabinet du
ministre de la justice et des droits humains,
MmeCorine Clavé, avocat au barreau de Br uxelles, cabinet Liedeker ke-Wolters-Waelbroeck-
Kirkpatrick,
M. Kadima Mukadi, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,
M. Bukasa Kabeya, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,
M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles,
M. Moma Kazimbwa Kalumba, avocat au barreau de Bruxelles, avocat-conseil de l’ambassade de
la République démocratique du Congo à Bruxelles,
M. Tshimpangila Lufuluabo, avocat au barreau de Bruxelles,
MmeMwenze Kisonga Pierrette, chef du service ju ridique et du contentieux à l’ambassade de la
République démocratique du Congo à Bruxelles,
M. Kalume Mabingo, conseiller juridique à l’amba ssade de la République démocratique du Congo
à Bruxelles,
comme conseillers ;
M. Mukendi Tshibangu, chargé de recherches au cabinet Tshibangu et associés,
Mme Ali Feza, chargé d’études au cabinet du ministre de la justice et des droits humains,
M. Makaya Kiela, chargé d’études au cabinet du ministre de la justice et des droits humains,
comme assistants. - 7 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H.E.Mr.Henri Mova Sakanyi, Ambassador of the Democratic Republic of the Congo to the
Kingdom of Belgium, the Kingdom of the Netherlands and the Grand Duchy of Luxembourg,
as Agent and Head of Delegation;
Mr. Tshibangu Kalala, Professor of International Law at the University of Kinshasa, member of the
Kinshasa and Brussels Bars, and Deputy, Congolese Parliament,
as Co-Agent, Counsel and Advocate;
Mr.Lwamba Katansi, Professor at the University of Kinshasa, Legal Adviser, Office of the
Minister of Justice and Human Rights;
MsCorinneClavé, member of the Brussels Bar, Cabinet Liedekerke-Wolters-Waelbroeck-
Kirkpatrick,
Mr. Kadima Mukadi, member of the Kinshasa Bar, Cabinet Tshibangu & Associés,
Mr. Bukasa Kabeya, member of the Kinshasa Bar, Cabinet Tshibangu & Associés,
Mr. Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar,
Mr.Moma Kazimbwa Kalumba, member of the Brussels Bar, Lawyer-Counsel, Embassy of the
Democratic Republic of the Congo in Brussels,
Mr. Tshimpangila Lufuluabo, member of the Brussels Bar,
MsMwenze Kisonga Pierrette, Head of the Lega l and Litigation Department, Embassy of the
Democratic Republic of the Congo in Brussels,
Mr.Kalume Mabingo, Legal Adviser, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
Brussels,
as Advisers;
Mr. Mukendi Tshibangu, Researcher, Cabinet Tshibangu & Associés,
Ms Ali Feza, Researcher, Office of the Minister of Justice and Human Rights,
Mr. Makaya Kiela, Researcher, Office of the Minister of Justice and Human Rights,
as Assistants. - 8 -
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est
ouverte. La Cour se réunit aujourd’hui pour entendre le second tour de plaidoiries de la
République démocratique du Congo. Je donne à présent la parole à M eTshibangu Kalala. Vous
avez la parole, Monsieur.
M. KALALA : Monsieur le président, jevous remercie pour m’avoir accordé la parole.
LA R ÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO N ’A COMMIS AUCUN FAIT
INTERNATIONALEMENT ILLICITE ENVERS LA R ÉPUBLIQUE DE G UINÉE
1. Monsieur le président, Messieurs les jues, je voudrais d’abord rassurer la Cour qu’au
cours de la présente plaidoirie, je ne vapas répéter en détail ce que la RDC a abondamment
développé dans ses écritures et lors de mes plaidoi ries de lundi dernier concernant les violations
alléguées des droits indivi duels de M.Diallo en tant que pers onne et de ses droits propres en tant
qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre. Je me limiterai donc à relever
quelques points essentiels qui divisent encore les Pa rties et sur lesquels le professeurAlainPellet
est revenu au cours de sa plaidoirie d’hier mercredi. Je terminerai donc ma plaidoirie de ce jour par
la présentation des conclusions finales de la RDC en ma qualité de coagent.
2. Avant d’entrer dans le vif du sujet, voudrais faire d’abord deux remarques devant la
Cour sur l’établissement des faits et sur la preuve.
En premier lieu, le professeur Pellet a consid éré hier que tout fait non expressément contesté
par la RDC devait être considéré comme établi. Ce procédé d’établissement des faits défendu par
la Guinée ne peut être accepté. Seuls les faits su r lesquels les deux Parties ont marqué leur accord
peuvent être considérés comme non contestés et, partant, comme établis.
En revanche, ne peuvent être considérées comme établies des allégations de la Guinée qui ne
reposent pas sur des éléments probants.
En second lieu, sur la preuve, la Guinée a encore reproché hier à la RDC de ne pas avoir joué
le jeu. Il convient ici de remarquer que la Guinée a produit de nombreux documents attenants aux
litiges des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.
Elle ne peut donc pas aujourd’hui prétendre ne pouvoir rassembler les autres documents
attenants à ces sociétés en raison de l’expulsion de M. Diallo. - 9 -
La RDC quant à elle souligne ici que ces documents concernent pour l’essentiel des sociétés
commerciales. Pour le surplus, compte tenu d es événements que le pays a traversés depuis 1996,
qui sont de notoriété publique in ternationale, nombre de documents antérieurs à cette date ont été
perdus ou mal archivés de sorte que la RDC ne peut les produire devant la Cour.
I. LES DROITS INDIVIDUELS DE M. D IALLO EN TANT QUE PERSONNE
A. La violation alléguée de l’article 36, paragraphe 1 b), de la convention de Vienne
sur les relations consulaires de 1963
3. Monsieur le président, Messieurs les juges, le professeur Pellet est revenu au cours de sa
plaidoirie d’hier sur le point de savoir si la RDC avait ou non informé M.Diallo de son droit à
l’assistance consulaire. Il a soutenu à ce sujet que la RDC a manqué à cette obligation
internationale que lui impose le droit internati onal en n’informant pas M.Diallo de ses droits
consulaires.
4. Je vais répondre à cette affirmation du prof esseur Alain Pellet pour dire qu’en général, le
droit international n’est pas formaliste et que la convention de Vienne ne prescrit pas la forme qui
doit être utilisée par l’Etat de résidence pour informer la personne détenue de ses droits consulaires.
Selon la pratique constante en la matière en RDC, et je pense que la situation n’est guère différente
en Guinée, lorsqu’une personne est détenue ou incar cérée par la police ou par le parquet, on lui
demande de donner l’adresse d’un parent ou d’un ami proche qui doit être informé de son
arrestation et du lieu de sa détention. On ne lui écrit pas une lettre avec accusé de réception pour
lui demander d’avertir sa famille ou ses amis de sa détention. C’est ce qui est arrivé lors de
l’arrestation et de la détention de M.Diallo en 1995-1996. Il a été informé verbalement par le
fonctionnaire compétent qu’il a le droit de cont acter sa famille et son ambassade pour obtenir
l’assistance consulaire nécessaire. La Guinée e lle-même reconnaît que cette assistance lui a été
effectivement accordée.
5. Il est un principe général du droit bien établi que toute personne qui avance un fait a la
charge de la preuve du fait qu’elle avance. Il appartient donc à la Guinée d’apporter une preuve
sérieuse et convaincante contraire attestant que la RDC n’avait pas informé M. Diallo de ses droits
consulaires. Les déclarations tardives de M. Dia llo reprises dans un affidavit établi à Conakry, par
Diallo et ses copains, non corroborées par des source s indépendantes, crédibles et variées, sont de - 10 -
simples plaisanteries guinéennes qui ne peuvent constituer des preuves répondant aux standards en
matière de preuve définis par la Cour notamment dans l’affaire Nicaragua (voir, Activités militaires
et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis d’Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 40-41, par. 62-64).
B. L’arrestation et la détention de M. Diallo en 1988-1989
6. La RDC a relevé dans ses écritures et dans ses plaidoiries de lundi dernier que la Cour
devait rejeter l’examen des faits re latifs à l’arrestation et à la détention de M. Diallo en 1995-1996
parce que la Guinée avait failli d’indiquer dans sa requête introductive d’instance et dans son
mémoire les faits et les moyens sur lesquels repo saient sa demande en violation de l’article 38 du
Règlement de la Cour, et qu’elle ne l’a fait tardiv ement pour la première fo is que dans sa réplique
du 19 novembre 2008.
7. Au cours de sa plaidoirie d’hier mercredi, le professeur Pellet n’a dit aucun mot à ce sujet.
J’en conclus donc qu’il a compris la force de l’argu ment de la RDC et qu’il a évité le débat sur le
sujet. Je prie donc la Cour de bien vouloir en tirer toutes les conséquences qui s’imposent.
C. Les mauvais traitements subis par M. Diallo
8. Monsieur le président, le professeurPellet s’est réveillé au cours de sa plaidoirie d’hier
pour remettre sur la table la question des mauvais traitements que Diallo aurait subis et que la
Guinée avait oubliée de traiter au cours de ses plaidoiries du 19avril dernier. Il s’appuie
essentiellement sur les affirmations de M. Diallo insérées dans l’affidavit que je viens de citer il y a
un instant, affidavit qui ne présente aucune vale ur probante sérieuse, surt out lorsqu’on connaît la
personnalité de M.Diallo qui est présenté dans les documents produits par la Guinée elle-même
comme une personne ayant des crises d’illumination.
9. Le professeur Pellet soutient que ce sont les ONG, les associations religieuses et la famille
de Diallo qui le nourrissaient et non l’Etat c ongolais lui-même qui aurait manqué à ses obligations
internationales. Il s’agit d’une affirmation surp renante et erronée lorsqu’on sait que c’est l’Etat
congolais qui, par l’intermédiaire du ministère des affaires sociales et action humanitaire, conclut
des partenariats avec des ONG lo cales en leur donnant des moyens financiers et logistiques pour
qu’elles s’occupent des conditions de vie des pris onniers. Si l’on suit la thèse défendue par le - 11 -
professeurPellet, il faudrait exiger de voir les mi nistres congolais eux-mêmes dans les prisons en
train de distribuer la nourriture aux prisonniers pour être sûr que c’est le gouvernement qui nourrit
les prisonniers. De plus, le Gouvernement congolais envoie toujours la nourriture dans les prisons,
mais ce sont les prisonniers eux-mêmes qui préf èrent la nourriture préparée par leurs propres
familles, nourriture jugée de bonne qualité par rapport à celle qui est préparée en prison. Donc les
autres déclarations de M.Diallo selon lesquelles il aurait été maltraité en prison sont sans aucun
fondement.
D. La légalité de l’expulsion de M. Diallo
10. Monsieur le président, j’ai expliqué l onguement au cours de ma plaidoirie de lundi
26 avril dernier, en réponse à la question d’inform ation posée par le vice-président, la justification
sur le plan juridique du pouvoir du premier ministre de prendre un décret d’expulsion d’un étranger
en lieu et place du président de la République. Le professeur Pellet conteste cette justification en
invoquant des rapports officiels récents présen tés par les autorités congolaises sur la scène
internationale où il est indiqué que c’est toujours le président de la Républi que qui détient un tel
pouvoir selon la loi de1983 sur la police des étrangers. Je suis un peu surpris par l’objection du
professeurPellet parce qu’un fonctionnaire de l’Etat appelé à faire un rapport sur l’état de la
législation congolaise en matière de police des ét rangers va reproduire textuellement ce qu’il lit
dans la loi pour rédiger son rappor t. Il ne va pas procéder à une analyse juridique pointue pour
expliquer le pouvoir du premier ministre d’agir pa r voie de décret pour expulser un étranger, au
lieu du président de la République, après la pr omulgation d’une nouvelle constitution qui abroge
toutes les dispositions constitutionnelles, légales et réglementaires qui y seraient contraires.
L’objection du professeur Pellet n’est donc pas fondée.
E. La notification du décret d’expulsion
11. Le professeur Pellet a encore affirmé hier que M. Diallo n’aurait pas reçu notification du
décret d’expulsion. Cette affirmation ne peut être retenue. Il ressort en effet du dossier que
l’association Avocats sans frontières qui avait eu des contacts avec M. Diallo a saisi la presse pour - 12 -
dénoncer et exiger l’abrogation du décret d’expulsion du premier ministre . Or si cette ONG avait
connaissance de ce décret, cela suppose que M. Diallo en avait connaissance.
F. La fortune de M. Diallo
12. Intervenant au cours de sa plaidoirie sur ce qu’il a appelé l’épisode de1983, le
professeurAlainPellet a présenté M.Diallo comme un homme riche et fortuné et que la RDC
présentait, peut-être par méchanceté, comme un vulgaire aventurier, sans foi ni loi. La RDC n’y est
pour rien, professeurPellet. Bien au contraire, c’ est M.Diallo lui-même qui contredit vos belles
paroles que vous avez prononcées avec générosité et en toute bonne foi pour défendre l’intéressé.
13 En effet, le 12 juillet 1995, soit un an avant son expulsion de la RDC, Diallo se présente à
l’administration congolaise pour solliciter l’obtention d’un certificat le décl arant officiellement
«indigent» afin d’obtenir des avanta ges dans le cadre de l’affaire Africontainers-Zaïre c. Zaïre
Shell qui était pendante devant le tribunal de gra nde instance de Kinshasa/Gombe. Il est indiqué
dans ce document que :
«M.Diallo Amadou Sadio, de nationalité goinéenne, administrateur statetaire
de la société Africontainers SPRL, domicilié au n 20 de l’immeuble PLZ, 9 niveau,
dans la Zone de la Gombe, est déclaré i ndigent temporaire, insolvable et dépourvu de
tout appui vital après examen de son dossier.»
o
14. Ce document officiel a été produit par la Guinée elle-même comme annexe n 22 aux
observations de la Guinée sur les exceptions prélim inaires de la RDC. Monsieur le président,
Messieurs les juges, vous trouverez ce certificat da ns le dossier des juges qui est entre vos mains
sous la cote n o1. Monsieur le président, c’est quel genre de multimillionnaire qui se comporte de
cette manière et qui se qualifie lui-même d’i ndigent, c’est-à-dire de pauvre qui mérite une
assistance sociale ? Est-ce que la Guinée connaît da ns le monde un homme riche et fortuné qui vit
dans un pays étranger et qui se comporte de cette manière avec l’administration du pays d’accueil ?
La RDC peut-elle exproprier un tel individu, un indigent, un pauvre malheureux à la recherche de
l’assistance sociale? M.Diallo a induit gravem ent les autorités guinéennes en erreur et qui,
hommes d’honneur et de dignité, comme le professeur Alain Pellet, ont cru, de bonne foi, que leur
compatriote avait effectivement laissé derrière lui au Congo une immense fortune. On voit bien, au
1Mémoire de la Guinée (MG), annexes 192 et 193. - 13 -
regard du comportement de M. Diallo lui-même, qu’il n’en est rien. Je reviendrai plus loin sur ce
point. En fait, Monsieur le président, Diallo a roulé tout le monde dans la farine en Guinée jusqu’à
opposer sur la scène internationale les peuples cong olais et guinéens qui sont des peuples frères et
amis dans une affaire d’argent montée de toutes pièces.
G. Les créances des sociétés Africom et Africontainers sur des tiers
15. Monsieur le président, la Guinée a tenté au cours de sa plaidoirie d’hier de montrer, tout
en ne niant pas que les sociétés Africom et Africontainers n’avaient plus aucune activité
commerciale depuis 1991, que les parts sociales de M. Diallo avaient encore une certaine valeur à
cause, d’une part, des créances que ces sociétés détenaient sur des tiers et qui font partie de leurs
actifs et, d’autre part, du fait que ces mêmes sociétés n’avaient aucune dette.
16. A propos de dettes, l’affirmation du prof esseur Pellet n’est pas exacte. On ne dispose
d’aucun chiffre d’affaires annuel, d’aucun bilan, d’aucun document comptable pour soutenir que
les deux sociétés n’avaient pas de dettes. Les taxes et les impôts ont-ils été tous payés à l’Etat?
Nul ne le sait. Aussi, tant qu’une société commerciale n’est pas en liquidation, ce qui est le cas des
deux sociétés en cause, on ne peut pas affirmer sans aucune preuve que celle-ci n’a pas de dettes.
17. Concernant les créances certaines, reconnues et exigibles, elles appartiennent en principe
aux sociétés et M.Diallo n’y a pas droit tant que celles-ci subsistent. Dans la présente affaire, à
part le cas du papier-listing, toutes les créances invoquées par la Guinée ne sont pas fondées sur des
prestations ou des services effectivement rendus aux tie rs, mais sont des réclamations fantaisistes
des dommages et intérêts vigoureusement contestées pa r les sociétés présentées comme débitrices.
La RDC avait déjà présenté un tableau complet de toutes les créances concernées lors de la phase
2
sur les exceptions préliminaires . Je n’y reviendrai donc pas ici. Je prie la Cour de bien vouloir s’y
référer.
18. En réalité, comme je viens de le dire, l es créances que ces sociétés prétendent avoir au
moment de l’éloignement de M. Diallo consistent en des prétentions totalement démesurées qui ne
sont pas fondées sur des factures établies en raison de prestations effectuées par l’une ou l’autre de
ces sociétés. Il s’agit de demandes en dommages et intérêts réclamés pour des raisons souvent
2
Exceptions préliminaires de la RDC (EPRDC), par. 1.09 à 1.52. - 14 -
dénuées de tout fondement, mais surtout pour d es montants démesurés. La Guinée reconnaît
d’ailleurs aujourd’hui l’exagération des chiffres de sa requête basée sur les prétendues créances de
ces sociétés. On devrait d’ailleurs parler non pas de créances ⎯ c’est un abus de langage ⎯, mais
plutôt de prétentions démesurées des deux sociét és précitées que leurs anciens partenaires ont
considérées comme manifestement non fondées et to talement fantaisistes au vu des montants
réclamés.
19. Je vais maintenant, Monsieur le président, si vous me le permettez, dire quelques mots
sur les prétendues créances que le professeurPellet a citées au cours de sa plaidoirie d’hier pour
justifier la valeur des parts sociales de M.Di allo en évoquant le cas des prétentions des deux
sociétés en cause dans les litig es qui les opposaient à la société PLZ, qui est une filiale de la
multinationale Unilever, à la société Gécamines et à Zaïre Shell.
1. Affaire Africom-Zaïre c. PLZ
20. Ce contentieux concerne le respect d’ un contrat de bail signé entre la société
Plantations Lever au Zaïre (PLZ), une filiale de la multinationale Unilever, à Africom-Zaïre sur un
appartement de celle-ci qui était occupé par M. Diallo pendant dix-sept ans 3. Diallo étant incapable
de payer les loyers depuis 1991, année qui coïncide avec la faillite d’Africont ainers comme je l’ai
expliqué dans ma plaidoirie du lundi 19 avril dern ier, PLZ décide alors de saisir la justice en 1992
pour obtenir la condamnation d’Africom-Zaïre à payer 32000dollars environ pour loyers non
payés et le déguerpissement de M.Diallo des lieux. Pour sa part, Africom-Zaïre sollicite du
tribunal la condamnation de PLZ à lui payer la somme de plus de 32 millions de dollars, qui était
censée représenter le «trop perçu de loye r mensuel pendand tix-septns étant donné
qu’Africom-Zaïre payait comme si l’appartement loué était meublé alors que l’appartement n’était
pas meublé» 4 et la somme de 200 000 dollars au titre de dommages et intérêts.
21. Monsieur le président, Messieurs les juges, vous avez bien entendu que la somme
réclamée par Africom-Zaïre était de 32millions de dollars ⎯donc par Diallo ⎯ au titre d’un
simple prétendu trop perçu de loyer mensuel su r un appartement non meublé! Certes, on ne sait
3
MG, annexe 130.
4MG, annexe 130. - 15 -
pas trop comment M. Diallo a obtenu un jugement du 24 août 1993 du tribuna l de grande instance
de Kinshasa condamnant PLZ à payer près de 33m illions de dollars pour un trop perçu sur les
loyers et pour dommages et intérêts . Combien d’immeubles à appart ements peut-on construire à
Conakry avec une telle somme? Cette décisi on manifestement rendue par un juge corrompu par
Diallo a été annulée au second degré par la cour d’appel de Kinshasa en mars 1994 qui a fait droit à
6
la demande de PLZ en paiement des loyers éc hus et en déguerpissement de l’appartement et que
7
cette décision fait l’objet d’un pourvoi en cassation d’Africom-Zaïre actuellement pendant . Au
stade actuel de la procédure, Monsieur le préside nt, on peut d’ailleurs relever que comme en droit
congolais les pourvois en cassation ne sont pas su spensifs en matière civile, c’est la société
Africom-Zaïre qui est débitrice à l’égard de PLZ et non l’inverse. C’est donc à tort et par erreur
que le professeur Pellet a cité cette affaire pour montrer qu’il y avait une créance qui aurait donné
de la valeur aux parts sociales de M.Diallo. Bien au contraire, la situation est totalement
défavorable à M. Diallo.
2. Affaire Africontainers c. Gécamines
22. Le litige qui oppose Africontainers à la Gécamines, qui a été cité par le professeur Pellet,
fait également apparaître le caractère exorbitant des demandes d’Africontainers. Je relève à ce
sujet qu’indépendamment du fait que nombre de prétentions d’Africontainers ont été présentées
8
comme non fondées par la Gécamines , on peut noter que depuis la formulation de ses prétentions
initiales Africontainers-Zaïre a, à plusieurs re prises, actualisé ses reve ndications en fonction du
nombre de conteneurs qu’elle estimait immobilisés dans les installations de la Gécamines, ou
utilisés abusivement par cette dernière ainsi qu’en fonction d’une actualisa tion unilatérale de ses
tarifs, ce qui l’a amenée à formuler des revendications financières de plus en plus considérables.
Ainsi, alors qu’Africontainers chiffrait, en1992, le préjudice qu’elle avait subi du fait de cette
9
situation à un montant de plus de 30 millions de dollars , l’estimation de ce dommage était passée,
5
Ibid.
6
Voir à ce propos le pourvoi en cassation auquel l’appel a donné lieu, MG, annexe 146.
7 MG, annexe 146.
8 EPRDC, par. 1.11 à 1.20
9 Voir le procès-verbal de la réunion tenue entre les parties le 1 juin 1995, MG, annexe 151, p. 2. - 16 -
en1996, à un total de 14milliards de dollars, Diallo passe de 30millions de dollars et dans
l’espace de trois ans le montant devient 14 milliards de dollars, soit plus que l’ensemble de la dette
extérieure de la RDC ! 10 Le caractère démesuré des prétentions d’Africontainers ressort encore du
fait qu’Africontainers demandait à la Gécamines 32 000dollars pour le remplacement de chaque
conteneur endommagé alors que la valeur d’un conteneur neuf était de 3000dollars selon les
11
informations que Gécamines avait obtenues à ce sujet de la part d’un transporteur étranger .
23. Monsieur le président, des négociations entamées entre Africontainers-Zaïre et la
Gécamines en1992-1995 1, se sont poursuivies jusque fin septembre1997 13, soit près de
deux années après l’expulsion de Diallo pour tenter de régler définitivement le litige. Au cours de
ces négociations, la Gécamines a transmis à Afric ontainers une lettre de protestation contre les
manŒuvres frauduleuses auxquelles avaient eu rec ours les agents d’Africontainers-Zaïre au
14
préjudice de la Gécamines et qui venaient d’être mises au jour . Vous trouverez, Monsieur le
président, ce document dans les dossiers des juges sous la coten o2. Ces manŒuvres, mises sur
pied dans le but de flouer la Gécamines et que la Gécamines venait de découvrir, consistaient ⎯ et
là vous avez un autre aspect de la personnalité de M.Diallo ⎯ à «introduire dans le lot des
conteneurs expédiés à Lubumbashi au siège de la Gécamines pour son compte», plusieurs autres
conteneurs qui étaient expédiés dans la même ville par Africontainers pour d’autres sociétés de la
place. Le retour à vide à Kinshasa de ces c onteneurs aurait coûté environ 1000dollars des
Etats-Unis par unité à la société Africontainers. En les incorporant frauduleusement dans le lot
régulier des conteneurs expédiés à la Gécamines, Af ricontainers faisait payer à celle-ci le prix de
leur retour à Kinshasa. Dans un premier temps, la Gécamines avait relevé cent quatre-vingt-six cas
15
de semblable utilisation frauduleuse et entendait pour suivre ses investigations plus en avant .
10
Voir la sommation d’huissier adressée à la Gécamines à la requête d’Afri containers-Zaïre, le 5 février 1996,
MG, annexe 198.
11
Lettre du 16 juillet 1991, MG, annexe 90.
12
Voir letter de la Gécamines du 20octobre1992, EPRDC, annexe12, et le procès-verbal de la réunion tenue
entre les parties le 1uin 1995, MG, annexe 151.
13 Voir les procès-verbaux des 2 et 7 juillet 1997, MG, annexes 224 et 226.
14 Lettre DAT/DIR/54.137/97 du 17 septembre 1997, EPRDC, annexe 8.
15 Ibid. - 17 -
C’est comme cela que Diallo s’enrichissait par la fraude au détriment des intérêts de l’Etat
congolais.
24. C’est donc la découverte de cette pr atique frauduleuse, suivie depuis de nombreuses
années par M.Diallo, gérant d’Africontainers-Z aïre, qui explique qu’Africontainers ait donné
l’ordre depuis Conakry à ses représen tants aux négociations de ne pl us participer aux négociations
avec Gécamines et qu’en dépit de plusieurs menaces en ce sens 16, Africontainers n’a jamais osé
porter le litige qui l’opposait à la Gécamines devant les tribunaux congolais.
25. En tout état de cause, il s’est avéré que les perspectives de règlement définitif
qu’ouvraient les négociations menées en septembre 1997 se sont confirmées pour plusieurs autres
sociétés ⎯ Kincontainers, ATAF, FLUCOCO ⎯ et qui ont récupéré au total plusieurs centaines de
17
milliers de dollars américains à l’issue de ces négociations . Je dois relever à l’intention de la
Cour que les documents qui consignent ces accords montrent clairement que ces sociétés
facturaient la location de leurs conteneurs à des ta rifs qui étaient de six à vingt fois moins élevés
18
que ceux pratiqués par Africontainers .
26. Pour conclure sur ce point, on ne voit p as très bien où se trouve une créance certaine et
reconnue par la Gécamines en faveur d’Africontainers et qu’on peut raisonnablement compter dans
les actifs de cette société.
3. Affaire Africontainers c. Zaïre-Shell
27. Monsieur le président, le professeurPe llet a également cité le cas des prétentions
d’Africontainers sur la société Zaïre-Shell.
28. Dans le cadre de ce contentieux, les prétentions d’Africontainers, formulées par
l’intermédiaire de M. Diallo, se sont avérées égalem ent exorbitantes et dénuées de tout fondement.
Pour rappel, le litige qui oppose Africontainers à la société Shell trouve, lui aussi, sa source dans le
contrat tripartite de1983. En mai1992, de faço n abrupte, Africontainers a formulé diverses
16
Voir entre autres, la sommation d’huissier adressée à la Gécamines à la requête d’Africontainers-Zaïre,
le 5 février 1996, MG, annexe 198.
17
Voir EPRDC, annexe 9, p. 36-39.
18Ibid., p. 29-39. - 18 -
19
réclamations à l’encontre de la société pétrolière . Africontainers reprochait ainsi à Shell la
rupture abusive des contrats de1981 et de1983 et lui réclamait le paiement de la somme de
10millions de dollars américains, à titre d’in demnité pour rupture des contrats et de
20
1 700 000 dollars à titre d’indemnité pour concurrence déloyale . Ces prétentions été ont
rapidement rejetées par Shell qui a fait valoir, à l’instar d’autres sociétés, que celui-ci ⎯ ce contrat,
donc ⎯ ne contenait aucune clause d’exclus ivité en faveur d’Africontainers-Zaïre 21. Cette société
garde silence pendant près de deux ans sans rien réclamer.
29. Deux ans et demi plus tard, au début de l’année 1995, Africontainers décide de porter ce
litige devant les tribunaux, en demandant à titre pr incipal que la société Shell soit condamnée à lui
verser un peu plus de 13 millions de dollars pour la rupture des c ontrats de 1981 et 1983, ainsi que
10 millions de dollars à titre de dommages et intérêts. Le tribunal de Kinshasa statuant en première
instance et par défaut à l’égard de la société Zaïre-Shell a fait droit à la première de ces prétentions,
22
dans son jugement du 3 juillet 1995 . Le tribunal a, pour l’essentiel, fondé sa décision sur le fait
que «la créance [était] cert aine et a été vérifiée et reconnue par la défenderesse» 23, ce qui était
inexact. Shell a toujours contesté le caractère certa in de la créance en cause, et ne l’a assurément
jamais reconnue.
30. En réalité, c’est sur la base d’une pièce comptable présentée par Africontainers que le
tribunal saisit a atteint cette conclusion. Il s’agi ssait, en l’occurrence, d’un document provenant de
la firme d’audit Coopers&Lybrand, chargée pa r la société Shell de vérifier ses comptes pour
l’année 1993. Dans ce cadre, la société pétrolière a adressé, en février 1994, une lettre circulaire à
tous ses fournisseurs et autres prestataires de services dans laquelle elle demandait, comme
d’habitude, à chacun d’entre eux de contacter la fi rme d’audit, en vue de confirmer l’existence de
créances éventuelles à l’égard de Shell 2.
19
Voir la lettre adressée à Shell par Africontainers-Zaïre en date du 25 mai 1992, EPRDC, annexe 59.
20
Ibid.
21 Voir la lettre adressée par Shell à Africontainers-Zaïre en date du 17 juillet 1992, EPRDC, annexe 60.
22 MG, annexe 153.
23 Ibid.
24
EPRDC, annexe 61. - 19 -
31. La société Africontainers-Zaïre a donc r eçu cette lettre, comme l’ensemble des autres
25
fournisseurs et prestataires de services de Shell . C’est une pratique constante pour les entreprises.
Profitant de l’occasion qui lui était ainsi offerte, Africontainers-Zaïre a renvoyé le document en
cause le 15 mars 1994 à Coopers & Lybrand, en y faisant figurer, à côté de créances mineures
reconnues par Shell, et totalisant 540dollars, une créance fictive à l’enco ntre de la société
26
pétrolière, pour un montant de 13millions de dollars . Il s’agit donc là, Monsieur le président,
d’une prétention purement unilatérale, qui, du fait de sa consignation dans un document de la firme
d’audit, a malencontreusement été considérée par le tribunal de grande instance de
Kinshasa-Gombe comme ayant été admise par la société Shell.
32. Quoi qu’il en soit, Monsieur le présiden t, ce jugement a été mis à néant par l’arrêt rendu
27
par la cour d’appel de Kinshasa-Gombe, en date du 20 juin 2002 , qui a condamné Shell à payer à
Africontainers les sommes de 540 dollars, à titre de créance principale, et de 1000 dollars, à titre de
dommages et intérêts. La Cour a ainsi écarté les prétentions d’Africontainers relatives aux
violations du contrat de 1983 dont se serait rendue responsable la société Shell.
33. Monsieur le président, le professeur Pellet ne voulait entendre que le début de l’histoire
de la prétendue créance de 13 millions de dollars qu’il a exposée, mais la Cour connaît maintenant
la fin de l’histoire. M. Diallo peut à tout moment demander à l’ambassade de Guinée à Kinshasa
ou à ses avocats de Kinshasa pour aller récupérer la somme de 540dollars ⎯ pas 13 millions,
540 dollars ⎯ à remettre à Africontainers. Celle-ci ne détient aucune créance de 13millions de
dollars sur la société Shell, créance à laquelle le professeur Pellet a fait allusion hier.
4. Affaire Africontainers c. Onatra
34. Je vais terminer le point relatif aux prétendues créances par le litige qui avait opposé
Africontainers à l’Onatra pour montrer, encore une fois, une partie de la personnalité de M. Diallo.
Le litige avait fait l’objet d’une transaction réguliè rement conclue en 1990, transaction aux termes
de laquelle l’Onatra, une entreprise d’Etat, deva it payer 150millions de zaïres à Africontainers
25EPRDC, annexe 62.
26
Ibid.
27Ibid. - 20 -
pour mettre fin audit litige . L’Onatra a respecté ses engagements en payant totalement le montant
convenu à Africontainers. Après avoir encaissé la somme, M.Diallo revient quelques jours plus
tard sur la transaction conclue et déjà exécutée pour la remettre en cause en demandant le paiement
29
d’une somme de 42 milliards pour usage abusif de conteneurs . Cette prétention a été rejetée par
l’entreprise publique qui a fait valoir notamment qu e la transaction couvrait tant les situations de
30
chômage que les utilisations abusives .
35. Monsieur le président, voilà donc en quoi c onsiste la fortune que M. Diallo a laissée au
Congo et dont la RDC l’aurait prétendument expropr ié: des parts sociales dans des sociétés
zaïroises qui n’avaient plus d’activités depuis le dé but des annéesquatre-vingt-dix et dont l’actif
brut consisterait pour l’essentiel en des prétentions formulées par ces sociétés contre leurs anciens
partenaires commerciaux. Or, outre le fait que la plupart de ces prétentions ont été considérées
comme non fondées par tous les partenaires de ces sociétés, ces prétentions sont manifestement
démesurées, ce que la Guinée a d’ailleurs reconnu elle-même devant la Cour au cours de ses
plaidoiries de lundi dernier. Peut-on alors cons idérer que de telles prétentions sont des actifs
sérieux et dignes d’être prises en considération pour une société et susceptibles de donner une
quelconque valeur économique sûre et bien établie à son capital social ?
H. Le droit de gérer et de contrôler les sociétés
36. J’en viens maintenant, Monsieur le président, à un autre fait invoqué par la Guinée et qui
est aussi dénué de tout fondement. Au cours de ses plaidoiries d’hier le professeur Pellet a affirmé
que l’éloignement de M.Diallo l’aurait empêché de gérer les sociétés précitées et plus
particulièrement de poursuivre les pseudo-créanciers d’Africontainers. Or indépendamment du fait
que la gestion quotidienne de sociétés relève des pouvoirs du gérant comme je l’ai déjà indiqué lors
de mes plaidoiries de ce lundi et est, partant, étranger au droit propre de l’associé, on peut se
demander ce qui restait concrètement à gérer en 1995-1996.
37. La seule activité des sociétés précitées, et le professeurPellet l’a reconnu ⎯et je suis
d’accord avec lui sur ce point ⎯ consistait comme je viens de le dire à la Cour à faire valoir
28MG, annexe 69.
29
MG, annexe 72.
30EPRDC, annexe 22. - 21 -
certaines prétentions à l’égard de leurs anciens partenaires commerciaux, que ce soit par courrier
ou encore en justice. Or l’éloignement de M.Diallo n’a pas empêché ces «activités» de se
poursuivre. Par exemple, l’éloignement de M. Diallo en janvier 1996 n’a pas eu d’influence
négative sur la gestion du contentieux entre Africont ainers et la Gécamines, qui est la première
entreprise minière de la RDC. Je souligne ici que si le but de la RDC était, comme l’affirme la
Guinée, d’empêcher Diallo de poursuivre les prétendus créanciers de ses sociétés, on imagine mal
qu’une entreprise d’Etat comme la Gécamines a it continué à négocier avec Africontainers après
l’expulsion de M.Diallo. Or il ressort des pièces du dossier lui-même que les négociations
31
entamées entre Africontainers et la Gécamines en 1992-1995 se sont poursuivies jusque fin
septembre 1997 32et que la Guinée était directement représentée à ces négociations par un agent
diplomatique expressément chargé de cette mission.
38. A ce sujet, Monsieur le président, l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa a écrit le
er
1 juillet 1997 ⎯on est là presque deux ans après, plus d’une année après l’expulsion de
M. Diallo ⎯ au ministre guinéen des affaires étrangères ce qui suit :
«l’ambassade a recommandé aux représentants de M.Diallo de s’y rendre [aux
négociations Africontainers-Gécamines], d’ écouter et de recueillir le maximum
d’informations sur les intentions de la Gécamines afin qu’ils les portent à la
connaissance de M. Diallo».
L’ambassadeur de Guinée à Kinsh asa poursuit: «M.Touré, premier se crétaire chargé des affaires
financières et consulaires, les accompagnera discrètement.»
39. Vous trouverez la preuve de la par ticipation directe de la Guinée elle-même aux
négociations entre Gécamines et Africontainers dans le dossier des juges sous la cote n o3. On se
trouve ici à plus d’une année après l’expulsion de M.Diallo. Il en est de même, Monsieur le
président, du rapport du nouveau gérant d’Afric ontainers adressé à l’am bassadeur de Guinée à
Kinshasa, le 9janvier1997, sur la situation des négociations avec la Gécamines. Ainsi, malgré
l’éloignement de M.Diallo du territoire congolais en janvier1996, la société Africontainers a
continué à participer et à être représentée à ces négociations par deux de ses représentants,
31Voir la lettre de la Gécamines du 20 octobre 1992, EP RDC, annexe 12, et le procès-verbal de la réunion tenue
er
entre les parties le 1n 1995, MG, annexe 151.
32Voir les procès-verbaux des 2 et 7 juillet 1997, MG, annexes 224 et 226. - 22 -
M. Kanza Ne Kongo et M. Ibrahim Diallo, ainsi que par deux de ses avocats 3. Les représentants
34
de la société ont ainsi participé à ces réunions jusque fin septembre 1997 , puis n’ont plus donné
signe de vie. De même, dans le cadre du litige qui opposait Africontainers à Shell, Africontainers a
continué à assister aux audiences devant la c our d’appel de Kinshasa après l’expulsion de
M.Diallo. Il ressort ainsi de l’arrêt rendu par la cour d’ap pel de Kinshasa le 20juin2002
qu’Africontainers a assisté aux audiences du 14 févrie r, du 27 mars, du 24 avril, du 24 juillet et du
3 octobre 1996 35, neuf ou dix mois après l’expulsion de M.Diallo. Ce n’est qu’à l’audience du
10août2001 devant la cour d’appel que, pour une raison inconnue, Africontainers fera défaut.
C’est donc à tort, Monsieur le président, que la Guinée continue à soutenir que l’éloignement de
M.Diallo aurait empêché les sociétés Africom-Za ïre et Africontainers de fonctionner et plus
particulièrement de poursuivre leurs prétendus créanciers.
I. La RDC n’est pas responsable des difficultés de M. Diallo
ni de la faillite des sociétés en cause
40. Monsieur le président, toute la thèse de la Guinée développée tout au long de ce procès
repose sur l’affirmation erronée et non démontrée selon laquelle c’est la RDC qui serait
responsable de la misère de M. Diallo et de la fa illite totale des sociétés de droit congolais dont il
serait, toujours selon la Guinée, l’unique associé et l’unique gérant. Je reviendrai plus loin sur ce
dernier point.
41. J’ai longuement expliqué au cours de ma plaidoirie de lundi dernier, avec preuves à
l’appui, que la société Africontainers était dans un état de faillite non déclarée depuis 1991, année
de cessation de ses activités. Et comme la seule «activité» connue d’Africom, la deuxième société,
consiste en sa participation à hauteur de 60% dans le capital social d’Africontainers, il faut donc
reconnaître, Monsieur le président, que la faillite de celle-ci, Africontainers, entraîne également la
faillite de celle-là, Africom, comme conséquence logi que et inévitable. Je vais ajouter ici un autre
élément qui confirme encore la faillite non déclarée de ses deux sociétés depuis 1991 au moins.
33Ibid.
34
Ibid. ; voir aussi EPRDC, annexe 7.
35EPRDC, annexe 64. - 23 -
42. Au cours des négociations organisées par la Gécamines et les sociétés transitaires dont
Africontainers en date du 9décembre1991, douze mois presque après le départ de Diallo, le
président-directeur général de Gécamines a expliqué l’origine des difficultés de l’entreprise qui
expliquent aussi les difficultés rencontrées par les sociétés qui avaient conclu des contrats avec elle.
Il a été démontré par la Gécamines que, d’une part, sa production de cuivre et de cobalt a chuté de
480 000 tonnes par an à 50 000 tonnes par an et, d’autr e part, que le chemin de fer entre Kinshasa
et Lubumbashi par lequel passait le transport pa r conteneurs de ses commandes en lubrifiants
fournis par les sociétés pétrolières ou de sa propre production a connu de graves problèmes de
fonctionnement. De ce fait, la Gécamines n’était pl us en mesure de faire appel à leurs services de
transport. Monsieur le président, vous trouverez le procès-verbal de cette rencontre dans le dossier
des juges sous la cote n o4. Je précise qu’il s’agit d’un document produit par la Guinée elle-même à
l’annexe de son mémoire. C’est la raison pour laquelle Afric ontainers a déclaré que toutes les
commandes venant de Gécamines se sont réduites d’année en année pour s’ arrêter définitivement
en 1991. J’avais déjà communiqué à la Cour ce document dans le dossier des juges établi lors de
ma plaidoirie de lundi dernier. A ceci s’ajout ent encore les graves événements et émeutes que
connut le pays en1991 et en1993 qui ont eu un impact négatif sur la structure économique du
pays, dont je vous ai parlé ce lundi.
43. Aussi, dans une lettre adressée le 14 avril 19 92 à la société Africontainers par la société
ZaïreFina, celle-ci souligne clairement qu’ Africontainers a de sérieuses difficultés de
fonctionnement. Elle s’engage à reprendre ses re lations d’affaires avec Africontainers lorsque
celle-ci aura résolu les difficultés auxquelles elle était confrontée. Mons ieur le président, vous
o
trouverez également cette lettre dans le dossier des juges sous la cote n 5. Je précise encore ici que
c’est la Guinée qui a produit ce document à l’annexe de son mémoire.
44. Dans ces conditions, on ne voit pas sur quelle base raisonnable et convaincante la Guinée
tient la RDC pour responsable des déboires de M. Diallo, de l’absence d’investissement neuf par
celui-ci, de la déliquescence du capital social et de la faillite non déclarée des sociétés concernées à
cause de l’arrestation de M. Diallo en1988, et de l’expulsion de M.Diallo intervenue quelques
années plus tard. Le professeur Pellet n’a dit aucu n mot à ce sujet et n’a en tout cas fourni aucun
document probant permettant de c onclure que l’arrestation de 1988, puis l’expulsion de M. Diallo, - 24 -
qui pour rappel était déjà indigent à ce moment-là tout en étant gérant des sociétés en cause,
auraient provoqué la misère de M.Diallo et la faillite des sociétés concer nées, alors que celles-ci
avaient déjà cessé toutes activités cinq ans au moins avant ladite expulsion en 1991.
45. La RDC ne peut donc être tenue pour res ponsable des difficultés de M.Diallo ni de la
dilution de la valeur des parts sociales qu’il dé tenait ni de ses difficultés personnelles. Dans tous
les cas, la RDC rejette catégorique ment la démarche de la Guinée qui consiste à lui faire jouer le
rôle de bouc émissaire pour les misères d’un prétendu millionnaire guinéen qui n’était en fait qu’un
indigent qui, comme d’autres entreprises, fut la victime indirecte de la situation qu’a traversée le
pays à l’époque.
J. L’expropriation des parts sociales de M. Diallo
46. Le professeurPellet est revenu longuement au cours de sa plaidoirie d’hier sur la
question de l’expropriation des parts sociales de M.Diallo. Je vais répondre maintenant à son
argumentation sur cette question.
47. En effet, l’argumentation générale de la Guinée repose sur l’affirmation erronée selon
laquelle les sociétés Africontainers et Africom c’est M. Diallo parce qu’il en est l’unique associé et
l’unique propriétaire et que tout préjudi ce causé à ces sociétés constitue un préjudice causé à
M. Diallo dont la RDC doit répondre. Le professeur Alain Pellet l’a encore dit très clairement dans
sa plaidoirie d’hier mercredi 28 avril lorsqu’il déclare :
«Il se peut que cette argumentation puisse, à première vue sembler contourner le
paragraphe3 du dispositif de l’ arrêt de2007. Mais il n’en est rien: cette impression
tient à un élément de fait particulier à cette affaire, le fait que M.Diallo soit le seul
associé des deux sociétés, c’est-à-dire le seul propriétaire des parts sociales d’Africom
et d’Africontainers. Par voie de conséquence, [ajoute-t-il] bien que leurs personnalités
juridiques soient formellement distinctes, il résulte de la configuration très particulière
des rapports entre M. Diallo et ses sociétés que , sur le terrain factuel qui est le terrain
de l’expropriation (l’expropriation est un fa it), le patrimoine des deux sociétés se
confond avec le sien [il s’agit de M. Diallo]. Dès lors, en expropriant ses sociétés, la
RDC a porté atteinte au droit de propriété de M. Diallo sur ses parts sociales.»
Et il ajoute que «ceci est purement circonstanciel et résulte du caractère unipersonnel des sociétés
en question» .36
36
Voir CR 2010/5, p. 28, par. 47 (Pellet). - 25 -
48. Monsieur le président, Messieurs les juges, cette argumentation de la Guinée doit être
écartée tant pour des raisons de droit que de fait. Pour des raisons de droit, d’abord. Comment
peut-on encore à ce stade de la procédure souten ir que la RDC doit indemniser le préjudice qui
aurait été causé aux sociétés précitées sans remettre en cause l’autorité même de la décision de la
Cour sur les exceptions préliminaires? La Cour a déjà affirmé dans son arrêt sur les exceptions
préliminaires de2007, rappelant à ce sujet la jurisprudence de la Barcelona Traction , que:
«L’attribution à la société d’une personnalité morale indépendante entraîne la reconnaissance à son
profit de droits sur son patrimoi ne propre qu’elle est seule à même de protéger.» La Cour
poursuit: «Le droit congolais attribue à la SPRL une personnalité juridique indépendante et
distincte de celle des associés, notamment en ce que le patrimoine des associés est complètement
séparé de celui de la société, et que ceux-ci ne sont responsables des dettes de la société qu’à
hauteur de leur apport à celle-ci.» ( AhmadouSadioDiallo (République de Guinée c.République
démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil2007 , p. 605-606, par. 61
et 63.)
49. Je constate que le professeurPellet dé fend une thèse totalement opposée à celle de la
Cour en estimant que le patrimoine des sociétés Africom et Africontainers se confond, et n’est donc
pas séparé, avec celui de M. Diallo et ce, en dépit du droit congolais qui est clair à ce sujet et de la
position de la Cour. J’en déduis donc qu’il s’agit d’un e attaque directe contre l’autorité de la Cour
et la RDC prie la Cour de bien vouloir défendre s on autorité ainsi attaquée. Pour ma part, je ne
peux que rejeter l’analyse d’ordre factuel et circonstanciel qui est développée par le
professeur Pellet pour la ramener dans le droit cong olais qui ne connaît pas l’institution de société
unipersonnelle.
50. Par ailleurs, le professeurPellet a déclaré au cours de sa plaidoirie d’hier qu’«en
expropriant ses sociétés, la RDC a porté atteinte au droit de propriété de M.Diallo sur ses parts
sociales» 37. Monsieur le président, j’avoue ne rien comprendre à cette déclaration du
professeurPellet parce qu’il n’a jamais été question de l’expropriation des sociétés en question
mais plutôt de l’expropriation des parts sociales de M. Diallo. Mais ceci peut s’expliquer selon la
37
Voir CR 2010/5, p. 28, par. 47, in fine (Pellet). - 26 -
stratégie judiciaire de la Guinée qui consiste à se cacher, à se camoufler sous le masque de Diallo
pour poser en réalité le problème de la réparati on des dommages et pertes subis par les sociétés
concernées.
51. Ensuite cette argumentation de la Guin ée repose sur une présentation tronquée des faits
ainsi que sur des faits non établis. Ainsi, la Gu inée nous présente M. Diallo comme étant l’associé
unique d’Africontainers et d’Africom, comme cont rôlant de ce fait indirectement Africontainers,
détenue à concurrence de 60 % par Africom-Zaïre. Or, la Guinée, à qui cette preuve incombe, ne
fournit aucun document probant permettant de dé duire que M.Diallo avait la qualité d’associé
d’Africom-Zaïre au moment de son éloignement du territoire congolais et, s’il l’était, pour quel
nombre de parts sociales. Aussi, la Guinée ne pro duit pas le registre des parts sociales de cette
société qui doit, conformément à l’article55 du décret du 27février1887 sur les sociétés
commerciales, être tenu par les SPRL pour permet tre aux associés et aux tiers d’identifier les
détenteurs de parts sociales 38. Quant à la société Africontainers, son capital social était détenu, en
1980, à hauteur de 60 % par Africom-Zaïre et de 40% par M.Diallo. Cette situation n’aurait
apparemment pas changé par la suite. La Guinée ne peut donc être suivie ni lorsqu’elle présente
M.Diallo comme l’actionnaire unique d’Africom-Za ïre, ni lorsqu’elle fa it valoir que celui-ci
contrôlait directement ou indirectement Africontaine rs: la seule chose qui est établie c’est qu’en
1980, M. Diallo disposait de 40 % du capital social d’Africontainers, les 60 % restants appartenant
à une société dont on ne sait finalement pas grand- chose aujourd’hui, Africom-Zaïre. Monsieur le
président, le concept d’associé unique ou d’unique propriétaire d’une société n’existe pas en droit
congolais. La Guinée a soulevé aussi la question des investissements de M. Diallo au Congo.
K. Les investissements de M. Diallo
52. La Guinée soutient encore que M.Diallo a effectué dans les annéessoixante-dix
39
d’importants investissements dans les deux sociétés précitées . Or, aucune pièce de la Guinée ne
permet de considérer que des investissement s auraient été réalisés pour ce qui concerne
38Contre-mémoire de la RDC (CMRDC ), annexe 15 (décret du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales).
La Guinée est mal venue de prétexter de l’impossibilité de produire un document probant relatif à la qualité d’associé de
M.Diallo dans cette société en rais on de son éloignement du territoirele nombre impressionnant de documents
qu’elle produit sur d’autres aspects du litige et notamment sur les pseudo-créances de M. Diallo. Sur cette question, voir
EPRDC, par. 0.08 et 0.09. La RDC quant à elle n’a retrouvé aucun document relatif aux parts sociales de cette société.
39Réplique de la Guinée (RG), par. 2.83. - 27 -
Africom-Zaïre. S’agissant d’Africontainers, la Guinée soutient aujourd’hui qu’il s’agissait
d’investissements effectués par M.Diallo. Ce n’est guère exact. En effet, comme le soulignait
d’ailleurs la Guinée dans son mémoire, ces inves tissements, à savoir pour l’essentiel l’achat de
conteneurs ou de remorques, ont été effectués pa r Africontainers, personne morale, qui a ainsi pu
bénéficier des avantages fiscaux et douaniers prévus par le code des investissements 40et déduire
ceux-ci de son bénéfice imposable. Ces investissements n’ont donc pas été réalisés par M. Diallo
en tant que personne. Le fait que ces investisseme nts ont été réalisés par Africontainers et non par
41
M. Diallo est d’ailleurs confirmé par les pièces du dossier de la Guinée elle-même .
De même, la Guinée présente M. Diallo comme ét ant le seul gérant de ces sociétés, mais ici
aussi, s’il n’est guère discuté qu’il était gérant de celles-ci, aucun élément produit ne permet de
conclure qu’il en était le seul gérant. Monsieur le président, je vais aborder maintenant la question
relative à la faillite des sociétés en question.
L. La faillite des sociétés en question
53. Les deux sociétés précitées que la Guinée tend aujourd’hui à tort à imputer à la RDC ou à
ses anciens partenaires commerciaux n’ont rien d’ex traordinaire. Les activités d’Africontainers
étaient dans les annéesquatre-vingt centrées sur le contrat tripartite entre Africontainers, trois
42
sociétés pétrolières ⎯ Mobil Oil, Zaïre Shell et Zaïre Fina ⎯ et la Gécamines . Aux termes de ce
contrat les sociétés pétrolières livraient des produits pétroliers à la Gécamines à partir de Kinshasa
vers des régions à l’intérieur du pays via des cont eneurs sécurisés d’Africontainers, Africontainers
se chargeant en outre de transporter certains produits miniers de la Gécamines des zones
d’extraction vers les ports de Kinshasa ou de Matadi vers Kinshasa. Un ensemble de circonstances
vont entraîner la cessation de ces activités de tran sport. Tout d’abord en 1986, d’importants
travaux de réaménagement du port de Kinsh asa ont été entamés avec pour conséquence le
déplacement des opérations d’ouverture des conteneurs du port de Kinshasa à celui de Matadi situé
à350km. Cette décision a entraîné des difficu ltés en ce qui concernait la circulation des
40MG, par. 24, 2.15.
41
MG, annexes 9 et 16.
42MG, annexe 13 et EPRDC, par. 1.07 et suivantes. - 28 -
43
conteneurs des différents transitaires travaillant sur cette ligne de chemin de fer . Ensuite, fin des
annéesquatre-vingt, à la suite des troubles que co nnut le pays, la production de la Gécamines est
passée ⎯ et on l’a dit ⎯ de près de 470 000 tonnes par an à seulement 50 000 tonnes par an. Au
cours d’une réunion organisée entre la Gécamines et les sociétés transitaires, dont Africontainers, la
Gécamines a expliqué l’origine de ces difficultés. C’est dans ces conditions que les sociétés
pétrolières, n’ayant plus de produits à livrer à la Gécamines en difficulté, cessèrent de faire appel à
Africontainers. Il s’en est suivi qu’Africontainers qui n’avait pas d’autres clients que ces sociétés
s’est retrouvée en cessation d’activités en 1991.
54. De plus est-il besoin de rappeler ici la grave crise politique, économique et sociale qu’a
traversée la RDC au début des années quatre-vi ngt-dix? Ainsi, en 1991, des émeutes populaires
sans précédent ont détruit le tissu économique de la RDC et ont provoqué des pillages à grande
échelle des entreprises publiques et privées ce qui a été fatal à de nombreuses entreprises sur place.
De même en 1993, d’autres émeutes populaires ⎯au cours desquelles, je l’ai souligné,
l’ambassadeur de France à Kinshasa a trouvé la mort ⎯ ont aussi éclaté et entraîné de nombreux
44
pillages tant de biens publics que privés .
La Guinée ne saurait aujourd’hui faire comme si les sociétés Africom et Africontainers
étaient sorties, comme par miracle, indemnes de cette situation. D’ailleurs, le fait qu’au début des
années quatre-vingt-dix, Africontainers n’était plus à même de poursuivre ses activités de transport
par conteneurs est confirmé par les lettres que lui a adressées l’un de ses anciens partenaires
commerciaux, Zaïre Fina en 1992 où cette société souligne que la suspension de l’exécution du
contrat tripartite n’est pas due à son fait, mais que c’était au contraire Africontainers qui n’avait pas
été en mesure de fournir les prestations requises par le contrat en question en raison de l’état piteux
de ses conteneurs ainsi que des difficultés qu’a connues à un certain moment Africontainers 4.
Zaïre Fina a alors proposé à Africontainers de reprendre contact avec elle s’il apparaissait possible
à Africontainers de reprendre ses activités dans le cadre du contrat 46. Aucune suite n’a été réservée
43EPRDC, par. 1.08.
44
CMRDC, par. 1.04 à 1.06.
45EPRDC, annexes 50 et 51.
46EPRDC, annexes 50 et 51. - 29 -
à cette proposition de ZaïreFina par Africontaine rs, ce qui tend à confirmer que sa situation ne
s’était guère améliorée par la suite. Monsieur le président, le professeur Pellet a évoqué la question
de l’évaluation des parts sociales de M. Diallo.
M. Evaluation des parts sociales de M. Diallo
55. Pour la RDC, il est tout à fait clair que l’évaluation de la valeur des parts sociales de
M.Diallo, le cas échéant, ne peut être effect uée qu’en passant par une évaluation préalable de
l’actif et du passif des sociétés Africom et Africontainers. Or, l’actif de ces deux sociétés serait
constitué actuellement uniquement par les prétendue s créances ou prétentions financières que ces
sociétés détiendraient sur des tiers. Il va donc de soi que la Cour serait ainsi amenée à se déjuger
en permettant à la Guinée de s’occuper des dro its et créances des sociétés qui n’ont pas sa
nationalité pour déterminer la vale ur des parts sociales que M.Dia llo détient dans ces sociétés
contrairement à son arrêt du 24 mai 2007.
56. Par ailleurs, la Guinée n’explique pas à partir de quel moment ou de quelle date,
l’expropriation des parts sociales de M.Diallo se serait réalisée puis qu’après l’expulsion de
M.Diallo, comme je viens de l’expliquer il y a un instant au cours de cette plaidoirie, la société
Africontainers a continué à fonctionner jusqu’en septembre1997 sous le contrôle direct de la
Guinée, par le biais de son ambassade à Kinshasa.
57. Au total, je viens d’expliquer à la Cour que toutes les prétentions de la Guinée ne sont
pas fondées. La RDC n’a jamais violé les droits individuels de M.Diallo en tant que personne.
Elle n’a pas non plus effectué une quelconque ingé rence dans les droits de M.Diallo en tant
qu’associé des sociétés Africom et Africontainers. Je prie donc la Cour de bien vouloir rejeter
toutes les prétentions de la Guinée.
58. Monsieur le président, Messieurs les juges, je vous remercie pour votre aimable
attention.
59. Monsieur le président, je vous prie de bien vouloir m’accorder la parole, si vous le
voulez, pour que je puisse présenter, en ma qualité de coagent, les conclusions de l’Etat défendeur.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent: C’est ce que la Cour attend de vous
en ce moment et ce qui est prévu par le Règlement de la Cour et j’ajoute qu’il faut transmettre ces - 30 -
conclusions finales dans la vers ion écrite dûment signée soit par l’ag ent ou le coagent au Greffe,
après la clôture de l’audience. Vous avez la parole, Monsieur le coagent.
M.KALALA: Merci beaucoup, Monsieur le pr ésident, pour m’avoir accordé la parole. Je
peux vous rassurer, les conclusions sont déjà signées et l’administration de la Cour est déjà en
possession des documents signés. Monsieur le préside nt, avant de lire les conclusions finales de la
RDC, je voudrais dire quelques mots en ma qualité de coagent. La République démocratique du
Congo remercie vivement les membres de la Cour ainsi que tout le personnel pour la patience dont
ils ont fait preuve au cours de cette phase orale. La République démocratique du Congo renouvelle
sa confiance dans la Cour et s’en remet à sa sag esse pour trancher cette affaire qui oppose deux
pays frères et amis, qui entretiennent et conti nueront à entretenir des bonnes relations amicales
malgré cet incident malheureux provoqué par M. Diallo. La RDC rassure la Cour et la Guinée qu’à
l’occasion de cette affaire, elle a revisité sa lé gislation sur le droit des étrangers et qu’une
proposition de loi, qui se trouve actuellement au Parlement congolais, inspirée des législations
belges et françaises en la matière qui sont parm i les plus avancées dans le monde, sera bientôt
adoptée pour remplacer l’ancienne loi dont il a été qu estion au cours de cette procédure. De cette
manière, les ressortissants guinéens vivant au Congo ainsi que d’autres étrangers seront mieux
protégés dans leur personne et dans leurs biens. Si la Cour souhaitait disposer à titre d’information,
comme elle l’a fait pour la Constitution par exem ple, des documents relatifs à cette nouvelle
législation, le Gouvernement congolais est disposé à les lui faire parvenir à la première demande, et
même à la Guinée aussi. Pour terminer, la Républi que démocratique du Congo est disposée, si la
Cour arrivait à une telle conclusion, en ce qui concerne les questions liées à l’expulsion de
M. Diallo ou à sa détention, à présenter des excus es à la Guinée comme elle l’avait demandé dans
sa requête et ceci dans le but de garder de bonnes relations entre les deux pays frères et amis. Mais
cette disposition d’esprit de la RDC ne saurait en aucune façon être interprétée comme une
reconnaissance d’avoir violé les droits individuels de M.Diallo. Maintenant, Monsieur le
président, je vais présenter les conclusions de la République démocratique du Congo. - 31 -
II.C ONCLUSIONS
A la lumière des arguments susmentionnés et de l’arrêt de la Cour du 24mai2007 sur les
exceptions préliminaires par lequel la Cour déclare la requête de la Guinée irrecevable en ce qu’elle
a trait à la protection de M. Diallo pour les atteintes alléguées aux droits des sociétés Africom-Zaïre
et Africontainers-Zaïre, l’Etat défendeur prie respectueusement la Cour de dire et juger que :
1) la République démocratique du Congo n’a p as commis de faits internationalement illicites
envers la Guinée en ce qui concerne les droits individuels de M. Diallo en tant que personne ;
2) la République démocratique du Congo n’a p as commis de faits internationalement illicites
envers la Guinée en ce qui concerne les droits propres de M.Diallo en tant qu’associé des
sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ;
3) en conséquence, la requête de la République de Guinée n’est pas fondée en fait et en droit et
donc qu’aucune réparation n’est due.
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous remercie, Monsieur le
professeur, pour votre présentation d’abord comme conseil et avocat, et puis pour votre déclaration
en tant que coagent de la République démocratique du Congo. La Cour prend acte des conclusions
finales dont vous venez de donner lecture au nom de la République démocratique du Congo,
comme elle l’a fait hier pour les conclusions finales présentées par la République de Guinée.
Ceci nous amène à la fin des audiences consacré es aux exposés oraux en la présente affaire.
Je tiens à remercier les agents, conseils et avo cats des deux Parties pour leurs interventions au
cours de ces deux semaines. Conformément à la pr atique, je prierai les agents de rester à la
disposition de la Cour pour tout renseignement complémentaire dont elle pourrait avoir besoin.
Sous cette réserve, je déclare close la procédure orale en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo) . La Cour va maintenant se retirer
pour délibérer. Les agents des Parties seront avisés en temps utile de la date à laquelle la Cour
rendra son arrêt. La Cour n’étant saisie d’aucune autre question aujourd’hui, l’audience est levée.
L’audience est levée à 17 h 20.
___________
Audience publique tenue le jeudi 29 avril 2010, à 16 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire Ahmadou Sadio Diallo(République de Guinée c. République démocratique du Congo)