CR 2006/53
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THHEGUE
ANNÉE 2006
Audience publique
er
tenue le vendredi 1 décembre 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de Mme Higgins, président,
en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c.
République démocratique du Congo)
____________________
COMPTE RENDU
____________________
YEAR 2006
Public sitting
held on Friday 1 December 2006, at 10 a.m., at the Peace Palace,
President Higgins presiding,
in the case concerning Ahmadou Sadio Diallo (Republic of Guinea v.
Democratic Republic of the Congo)
________________
VERBATIM RECORD
________________ - 2 -
Présents : Mme Higgins,président
Al-K. vce-prh,ident
RaMjev.
Shi
Koroma
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Bennouna
Skotnikov
MaMhou.,
Mjugpsuya, ad hoc
Cgoefferr, - 3 -
Present: Presieitgins
Vice-Presi-Kntasawneh
RanjevJaudges
Shi
Koroma
Buergenthal
Owada
Simma
Tomka
Abraham
Keith
Bennouna
Skotnikov
Judges ad hoc Mahiou
Mampuya
CoRuvrisrar - 4 -
Le Gouvernement de la République de Guinée est représentée par :
M. Mohamed Camara, chargé d’affaires par intérim de la République de Guinée à Bruxelles,
comme agent ;
M. Alain Pellet, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre; membre et ancien président de la
Commission du droit international des Nations Unies,
comme agent adjoint, conseil et avocat ;
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Lille 2,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université de Paris X-Nanterre, avocat à la cour de Paris,
cabinet Sygna Partners,
M. Samuel Wordsworth, membre du barreau d’Angleterre, Essex Court Chambers, avocat à la cour
de Paris,
comme conseils et avocats ;
M. Daniel Müller, chercheur au Centre de droit in ternational de Nanterre (CEDIN), Université de
Paris X-Nanterre,
M. Luke Vidal, avocat à la cour de Paris, cabinet Sygna Partners,
comconseillers.
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est représenté par :
S. Exc. M. Pierre Ilunga M’Bundu wa Biloba, ministre de la justice et garde des sceaux de la
République démocratique du Congo,
comme chef de la délégation ;
S. Exc. M. Jacques Masangu-a-Mwanza, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la
République démocratique du Congo auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
e
M Tshibangu Kalala, député national au Parlement congolais, avocat aux barreaux de Kinshasa et
de Bruxelles, cabinet Tshibangu et associés,
comme coagent, conseil et avocat ;
M. André Mazyambo Makengo Kisala, professeur de droit international à l’Université de Kinshasa,
comme conseil et avocat ;
M. Yenyi Olungu, premier avocat général de la Ré publique, directeur de cabinet du ministre de la
justice et garde des sceaux,
M. Victor Musompo Kasongo, secrétaire particulier du ministre de la justice et garde des sceaux, - 5 -
The Government of the Republic of Guinea is represented by:
Mr. Mohamed Camara, Chargé d’affaires a.i. at the Embassy of the Republic of Guinea, Brussels,
as Agent;
Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisX-Nanterre, Member and former Chairman of
the International Law Commission of the United Nations,
as Deputy Agent, Counsel and Advocate;
Mr. Mathias Forteau, Professor atthe University of Lille 2,
Mr.Jean-Marc Thouvenin, Pr ofessor at the University of ParisX-Nanterre, Avocat à la cour de
Paris, Sygna Partners,
Mr.Samuel Wordsworth, Member of the English Bar, Essex Court Chambers, Avocat à la cour de
Paris,
as Counsel and Advocates;
Mr. Daniel Müller, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), University
of Paris X-Nanterre,
Mr. Luke Vidal, Avocat à la cour de Paris, Sygna Partners,
Adavisers.
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H.E. Mr. PierreIlungaM’BunduwaBiloba, Minister of Justice and Keeper of the Seals,
Democratic Republic of the Congo,
as Head of Delegation;
H.E. Mr. Jacques Masangu-a-Mwanza, Ambassador Extraordinary and Plenipotentiary of the
Democratic Republic of the Congo to the Kingdom of the Netherlands,
as Agent;
MaîtreTshibanguKalala, Deputy, Congolese Parlia ment, member of the Kinshasa and Brussels
Bars, Tshibangu et Associés,
as Co-Agent, Counsel and Advocate;
Mr. André Mazyambo Makengo Kisala, Professor of International Law, University of Kinshasa,
as Counsel and Advocate;
Mr. Yenyi Olungu, Principal Advocate-General of the Republic, Principal Private Secretary to the
Minister of Justice and Keeper of the Seals,
Mr. Victor Musompo Kasongo, Private Secretary to the Minister of Justice and Keeper of the Seals, - 6 -
M.Nsingi-zi-Mayemba, ministre conseiller à l’ambassade de la République démocratique du
Congo aux Pays-Bas,
M. Bamana Kalonji Jerry, deuxième conseiller à l’ambassade de la République démocratique du
Congo aux Pays-Bas,
M Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles,
comme conseillers ;
M Kadima Mukadi, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,
M. Lufulwabo Tshimpangila, avocat au barreau de Bruxelles,
M. Tshibwabwa Mbuyi, avocat au barreau de Bruxelles,
comme assistants de recherche ;
Mme Ngoya Tshibangu, collaboratrice au cabinet Kikangala et associés, barreau de Bruxelles,
comassistante. - 7 -
Mr. Nsingi-zi-Mayemba, Minister-Counsellor, Embassy of the Democratic Republic of the Congo
in the Netherlands,
Mr. Bamana Kalonji Jerry, Second Counsellor, Em bassy of the Democratic Republic of the Congo
in the Netherlands,
Maître Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar,
as Advisers;
Maître Kadima Mukadi, member of the Kinshasa Bar, Tshibangu et Associés,
Mr. Lufulwabo Tshimpangila, member of the Brussels Bar,
Mr. Tshibwabwa Mbuyi, member of the Brussels Bar,
as Research Assistants;
Ms Ngoya Tshibangu, Associate, Kikangala et Associés, Brussels Bar,
as Assistant. - 8 -
The PRESIDENT: Please be seated. The sitting is open. The Court meets today for the
second round of oral argument of the Republic of Guinea.
I believe I am now to give the floor to Professor Forteau.
M. FORTEAU : Merci, Madame le président.
I. LES FAITS
1. Madame le président, Messieurs les juges, la République de Guinée répondra aujourd’hui
au second tour de plaidoiries de la République démocratique du Congo en cinqtemps: je
commencerai par rappeler les faits qui divisent les Parties, avant que le professeur
Jean-MarcThouvenin revienne sur la question de l’épuisement des voies de recours internes,
M e SamWordsworth sur les droits de M.Diallo et le professeur Alain Pellet sur la protection par
substitution des sociétés de M. Dia llo. L’agent de la Guinée prononcer a, enfin, les conclusions de
l’Etat demandeur.
2. Madame le président, mon exposé sur l es faits me conduira à développer deuxpoints
successivement : en réponse à M e Kalala, je dirai d’abord quelques mots des sociétés de M. Diallo,
ce qui me permettra de réagir au nouveau documen t produit mercredi par le Congo et de répondre
également à la question posée mardi par M. le juge Bennouna; je reviendrai ensuite sur les
conditions dans lesquelles M. Diallo a été expulsé du territoire zaïrois.
I. Les sociétés de M. Diallo
A. Africom et Africom-Zaïre
e
3. Pour ce qui touche au premier point, M Kalala nous a tenu en haleine mercredi après-midi
en affirmant détenir la preuve que M.Diallo aura it, selon lui, «tent[é] de manipuler» la Cour en
faisant croire qu’il était associé de la soci été Africom, ce qui n’aurait jamais été. M eKalala a
1
affirmé en effet avoir retrouvé les statuts de cette société , qui ont été transmis depuis à l’Etat
demandeur par le truchement du Greffe de la Cour 2.
1
CR 2006/52, p. 28-29, par. 50-51.
2Lettre du Greffe en date du 29 novembre 2006. - 9 -
4. Effectivement, M.Diallo n’est, aux term es des statuts de la société «Africom» dont le
Congo a retrouvé la trace, ni associé, ni même gérant, de cette société. Mais cela n’a rien de très
surprenant, car cette société, créée le 24 mars 1988, n’a aucun lien avec celle de M. Diallo :
⎯ certes, leurs dénominations sociales sont proches: «Africom-Zaïre» dans un cas, «Africom»
dans l’autre, ce qui peut autoriser la confusion ;
⎯ mais les domiciles des sièges sociaux des deux sociétés ne sont pas les mêmes3, non plus que
leurs numéros respectifs d’immatriculation au registre du commerce4, pas plus d’ailleurs que
leurs gérants. De nombreux documents officiels émanant d’autorités zaïroises reconnaissent en
effet que M.Diallo est le gérant de la société Africom-Zaïre5, alors que c’est un certain
Ronald Cazier qui a été nommé gérant de l’autre société Africom6 ;
⎯ du reste, l’objet social des deux sociétés diffère également. En vertu de l’article3 des statuts
de la société retrouvée par l’Etat défendeur, ce lle-ci «a pour objet principal la vente de pièces
de rechange pour véhicules, élévateurs, machin es» et «autres engins mécaniques», ce qui n’a
jamais été l’activité commerciale de la société de M. Diallo ;
⎯ la date de constitution de la société «Africom» retrouvée par le défendeur aurait dû alerter nos
contradicteurs sur le fait qu’il ne pouvait pas s’agir de la société Africom-Zaïre. Le
24mars1988, date de création de cette sociét é, cela faisait longtemps qu’Africom-Zaïre
existait et agissait. Celle-ci a ét é créée en 1974. En 1979, elle participait, devant notaire, à la
création de l’autre société de M. Diallo, Africont ainers7. En 1983, elle concluait ses premiers
contrats avec l’Etat zaïrois, ce qui donnera lieu à l’affaire du papier listing, dont j’ai développé
les tenants et les (douloureux) aboutissement s mardi dernier8; dès le 1ernovembre1975,
3
Mémoire de la Guinée (MG), annexe 1 (acte notarié de constitution de l’Africontainers et statuts, 18 septembre
1979, p. 1) ; document transmis par le Greffe le 29 novembre 2006, statuts d’«Africom, SPRL».
4
Ibid.
5 Voir par exemple MG, annexe 130 (jugement du TGI de Kinshasa, 24 août 1993, p. 1), ou observations de la
o
République de Guinée sur les exceptions pr éliminaires (OG), annexe16 (lettren 431 du 28 janvier 1989 du procureur
général près la cour d’appel de Kinshasa à M. Diallo).
6 Document transmis par le Greffe le 29 novembre 2006, statuts d’«Africom, SPRL».
7 MG, annexe 1 (acte notarié de constitution de l’Africontainers et statuts, 18 septembre 1979).
8 CR 2006/51, p. 19-20, par. 14-19. - 10 -
9
Africom-Zaïre avait également conclu son premier contrat de bail avec la société PLZ . Tous
ces éléments figurent bien entendu au dossier ;
⎯ il est vrai que jusqu’à ce jour, la Guinée n’a pas été en mesure de retrouver les statuts de la
société Africom-Zaïre, d’une part parce que ce n’est pas M.Diallo, mais la Guinée qui est
demanderesse dans la présente instance, d’autre part, parce que son ressortissant a été expulsé
du territoire du Zaïre où se trouvent justement le s documents pertinents (d’après certaines
pièces du dossier, les statuts de la société Africom-Zaïre se trouveraient au greffe du tribunal
10
de grande instance de Kinshasa) ;
⎯ mais pour autant, l’existence même de cette société et de ses statuts n’est pas contestable : dans
ses conclusions rendues le 11 ja nvier 1995 dans l’affaire Africom-Zaïre c. PLZ , le ministère
public devant la Cour suprême de justice a eu l’occasion de constater que les statuts sociaux
d’Africom-Zaïre, représentée par M.Diallo dans cette affaire, «dat[ai]ent du 22août1974» et
avaient fait l’objet d’une «réimmatriculation» «en date du 17mars1980», dans le respect,
précisait le ministère public, du «prescrit de la loi» 11.
Afr5i.com-Zaïre ⎯ l’Africom de M. Diallo ⎯ existait donc bien avant 1988, et elle existait
de manière tout à fait régulière. Une autre société Africom est certes apparue depuis, mais cela est
totalement hors débat dans l’affaire qui nous occupe.
B. La question des sociétés privées à responsabilité limitée à actionnaire unique
6. Ces développements relatifs aux sociétés de M.Diallo me fournissent l’occasion de
répondre à la question posée mardi par M. le juge Be nnouna, au sujet de la possibilité de créer, en
12
droit zaïrois, une société privée à resp onsabilité limitée avec un actionnaire unique . Dans l’état
actuel de ses informations ⎯et la Guinée ne manquera pas, co nformément aux indications de la
Cour 13, de compléter sa réponse d’ici au 6décembre au cas où de nouveaux éléments seraient
9
MG, annexe 130 (jugement du TGI de Kinshasa, 24 août 1993), jugement, p. 7.
10
MG, annexe 146 (conclusions du ministère public da ns le pourvoi en cassation contre l’arrêt RCA17244,
11 janvier 1995), p. 2-3.
11
Ibid.
12CR 2006/51, p. 62.
13Voir la lettre du Greffe du 28 novembre 2006. - 11 -
e
portés à sa connaissance entre-temps ⎯, la Guinée considère que M Kalala n’a sans doute pas tort
lorsqu’il affirme que la législation congolaise n’autorise pas la création d’une société privée à
14
responsabilité limitée par une seule personne . Il me faut toutefois apporter les précisions
suivantes.
7. Tout d’abord, je relèverai que dans l’affaire AMT c. Zaïre , portée devant le CIRDI
en 1993, l’Etat zaïrois a expressément avancé l’idée qu’un investisseur étranger pouvait créer, seul,
une société privée à responsabilité limitée en droit za ïrois. Etait en cause dans cette affaire une
SPRL zaïroise, SINZA, majoritairement contrôlée par une société étrangère, AMT. Or, à l’appui
de son allégation, rejetée par le tribunal, selon la quelle AMT ne pouvait pas agir dans cette affaire,
l’Etat zaïrois a considéré que le fait qu’AMT par ticipe au capital de SINZA ne suffisait pas à lui
donner ce pouvoir d’agir, solution, a précisé l’Etat zaïrois, qui aurait également prévalu même dans
l’hypothèse où AMT aurait créé cette sociét é en en possédant 100% du capital social 15. Le fait
même que l’Etat zaïrois ait pu formuler pareille hypothèse sans la juger juridiquement irréalisable
au regard de son droit interne est tout à fait in téressant à relever, puisqu’il laisse entendre que
l’impossibilité affirmée mercredi par M e Kalala n’est pas si absolue que cela.
8. En tant que tel, le fait de ne pas pouvoir créer une société unipersonnelle n’empêche
nullement au demeurant une société de devenir unipersonnelle par la su ite. Ce sont là deux
questions différentes. Tout dépend, s’agissant du second point, non plus des règles de constitution,
mais des règles applicables en matière de radiation et de dissolution de la société. Or, le décret du
6 mars 1951 qui institue le registre du commerce du Zaïre ne mentionne pas le cas de figure de la
société devenant unipersonnelle comme un cas dans lequel il faudrait procéder à la radiation de
l’immatriculation au registre du commerce 16, immatriculation qui, je le souligne, «fait présumer la
17
qualité de commerçant» .
14
CR 2006/52, p. 9, par. 8.
15ARB/93/1, sentence du 21 février 1997, ILM, 1997, p. 2, par. 1.05 ii), et p. 19, par. 5.11.
16Reproduit in Kalongo Mbikayi, Code civil et commercial congolais (mis à jour au 31 mars 1997 ), Centre de
recherches et de diffusion juridiques, Kinshasa, 1997, p. 378-379, art. 29.
17Ibid., p. 371, art. 3. - 12 -
9. Dans le cas d’espèce qui nous occupe, Afri containers n’a de toute manière jamais été
unipersonnelle, ni au moment de sa création, ni depuis, ce qui n’empêche pas M.Diallo d’en
détenir, indirectement, 100 % du capital. Quant à Africom-Zaïre, si elle est devenue unipersonnelle
à la fin des années soixante-dix, elle a été créée en 1974 de manière contractuelle.
10. J’ajouterai que l’existence de ces deux sociétés, y compris la configuration très
particulière de leur capital social, centralisé dans les mains de M.Diallo, n’a jamais été contestée
par les personnes le cas échéant intéressées à le fa ire, et notamment pas par leurs partenaires
contractuels, l’Etat zaïrois inclus. Le ministère publ ic devant la Cour suprême de justice, qui a été
sollicité en1995 d’examiner les statuts des so ciétés Africom et Africontainers, a d’ailleurs
expressément confirmé, à chaque fois, la validité du dépôt de ces statuts, ainsi que de celui de leurs
actes modificatifs 18.
11. Dans ces circonstances, il suffit de prendr e acte de cette situation, qui s’impose comme
un fait au regard du droit international ( Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise,
fond, arrêt n ° 7, 1926, C.P.J.I. série A n° 7, p. 19). La République démocratique du Congo ne s’est
au demeurant pas comportée différemment. Elle a admis en effet, dans ses exceptions
préliminaires, sans se dédire lors de ses plaidoi ries orales, d’une part, l’existence de ces deux
sociétés, d’autre part, le fait que par suite de la répartition particulière de leur capital social
depuis 1980, M. Diallo était «devenu, dans les faits, le seul dirigeant de ces deux sociétés de droit
19
zaïrois» .
12. En admettant d’ailleurs ⎯ mais je raisonne ici à titre pur ement spéculatif— que le fait
que M.Diallo soit le seul actionnaire de ses de ux sociétés soit une cause de dissolution en droit
congolais et en admettant par ailleurs que vous ay ez la compétence de dissoudre ces deux sociétés,
que se passerait-il? Leur dissolution entraînerait la transmission universelle de leur patrimoine à
leur associé unique, M. Diallo, ressortissant guinéen. Nous rejoindrions alors, par un autre chemin,
la solution de l’affaire De Leon, évoquée par le professeur Alain Pellet mardi dernier à l’appui de la
18
MG, annexe 146 (Conclusions du ministère public dans le pourvoi en cassation contre l’arrêt RCA17244,
11janvier1995), p.2-3; MG, annexe 149 (Conclusions du mi nistère public dans le cadre du pourvoi en cassation de
l’arrêt RCA 17229, 20 avril 1995), p. 2-3.
19EP, p. 11, par. 1.06. - 13 -
20
protection par substitution . Quel que soit par conséquent le bout par lequel on se saisit de la
question, on en revient toujours au même résultat.
13. Ces précisions étant apportées, j’en viens, Madame le président, au second point de ma
présentation, qui portera sur les conditions dans lesquelles M.Diallo a été expulsé du territoire
zaïrois.
II. Les conditions dans lesquelles M. Diallo a été expulsé du territoire zaïrois
14. Avant d’en arriver à l’expulsion proprement dite, il me faut relever, à titre liminaire,
e
qu’en débutant sa plaidoirie de mercredi, M Kalala a expressément indiqué qu’il se «limiter[ait] à
relever les points de fait et de droit qui continuent encore à diviser les deux Etats, et à réfuter la
thèse défendue par la Guinée pour chaque point» 21. Or, M Kalala a gardé un silence absolu sur
deux points notamment, que le Congo ne paraît pas en mesure de contester sur le plan des faits :
⎯ M eKalala n’est tout d’abord à aucun moment revenu sur les arguments que j’avais soulevés
mardi dernier au sujet de l’évaluation par M. Diallo des réclamations de ses sociétés ;
⎯ j’ai eu beau chercher par ailleurs dans le compte rendu des audiences du second tour de
plaidoiries du Congo: le mot «détention» n’a pas été prononcé une seule fois par l’Etat
défendeur. Celui-ci n’a strictement rien dit, ni de l’arrestation et de la détention arbitraires
de 1988, ni de celles de 1995-1996, encore moins de leurs durées manifestement excessives.
15. Mon contradicteur s’est focalisé uniqueme nt sur l’expulsion, qui, selon lui, aurait été
pleinement «régulière» 22. Nous entrons ici dans une question de fond, qu’il n’appartient pas encore
e
aux Parties de discuter dans tous ses aspects. Mais les assertions de M Kalala ne peuvent rester
sans réponse et c’est la raison pour laquelle, à mon tour, je concentrerai mon propos sur cette
question.
16. La régularité de l’expulsion, au regard du droit zaïrois, doit s’apprécier à plusieurs points
de vue.
17. Les conditions de compétence, de forme et de procédure, tout d’abord, ont-elles été
respectées ? Manifestement, non :
20
CR 2006/51, p. 49, par. 26.
21CR 2006/52, p. 17, par. 1.
22CR 2006/52, p. 18, par. 2. - 14 -
⎯ l’ordonnance de 1983 relative à la police des étrangers 23 impose en son article15 l’adoption
d’une ordonnance, signée du président de la Ré publique; nous avons affaire ici à un décret,
signé du premier ministre 24 ;
⎯ l’ordonnance de1983 exige en son article16 la consultation préalable de la Commission
nationale d’immigration, ainsi que la men tion de cette consulta tion dans l’ordonnance
d’expulsion ; nous avons affaire à un décret d’e xpulsion qui ne fait état d’aucune consultation
de la Commission, à la différence, par exempl e, des décrets d’expulsion du 22février 1995 et
du 20septembre 1996 adoptés contre un gra nd nombre de ressortissants étrangers
(quatre-vingt quatre dans un cas, vingt-quatre dans l’autre). L’un et l’autre de ces deux décrets
indiquent, expressément, et pour l’ensemble de ces centhuitpersonnes: «Vu l’avis favorable
25
de la Commission nationale d’immigration.» Le fait que pareille indication ne figure à aucun
endroit dans le décret d’expulsion de M. Diallo confirme l’empressement suspect des autorités
zaïroises à sanctionner ce dernier ;
⎯ l’ordonnance de 1983 distingue enfin clairement entre la notion, et le régime, d’expulsion et de
26
refoulement ; or, M.Diallo a fait l’objet d’un décr et d’expulsion, curi eusement exécuté par
une mesure de refoulement. M e Kalala a concédé mardi l’existence d’un problème à cet égard,
27
en invoquant une «erreur» du fonctio nnaire du service de l’immigration . Erreur, peut-être;
mais erreur sans doute volontaire, car celle-ci n’était pas sans conséquence juridique,
notamment en matière de voies de recours ouve rtes (en l’espèce, non ouvertes), à M.Diallo.
Comme l’a rappelé en effet mardi dernier mon ami le professeur Jean-MarcThouvenin,
l’article 13 de l’ordonnance de 1983 prévoit expressément que les mesures de refoulement sont
«sans recours» 28.
23 EP, annexe 73; dossier des juges du premier tour, onglet n o3 (ordonnance-loi n 83-033 du
12 septembre 1983, relative à la police des étrangers).
24 EP, annexe 75 (décret n 0043 du 31 octobre 1995 portant expulsion de M. Diallo du territoire de la République
du Zaïre).
25 EP, annexe 76 (décrets portant expulsion de personnes étrangères).
26 EP, annexe 73 ; dossier des juges du premier tour, onglet n 3 (art. 13 et 15).
27 CR 2006/52, p. 18, par. 5.
28
CR 2006/51, p. 57-58, par. 28. - 15 -
18. Les conditions de motivation de la mesure d’expulsion ont-elles ensuite été remplies?
Manifestement, non : le décret d’expulsion contient seulement la mention, sans autre indication, ni
renvoi à un quelconque document précis : «vu le dos sier personnel de la personne mieux identifiée
à l’articlepremier ci-dessous dont la présence et la conduite ont compromis et continuent à
compromettre l’ordre public zaïrois, spécialement en matière économique, financière et
monétaire». Voilà ce qu’en droit administratif, on appelle couramment une motivation stéréotypée,
qui équivaut à une absence de motivation, extrêmement gênante au regard de la gravité des mesures
prises.
19. L’explication fournie par M eKalala sur ce point est haut ement révélatrice de l’absence
de tout motif valable d’expulsion. Selon celui-c i, «[l]es autorités congolaises ne pouvaient … pas
29
indiquer en détail dans un texte légal tous les faits précis qui étaient reprochés à M.Diallo» .
Permettez-moi, Madame le président, de faire deux commentaires :
e
⎯ sur un plan purement juridique, l’argument de M Kalala revient à soutenir ceci: quand il est
trop facile de motiver parce que les preuves ser aient trop abondantes, il n’y aurait plus besoin
de motiver. C’est une position franchement absurde. Au surplus, c’est admettre, et la Guinée
en prend acte, l’absence de toute motivation dans le décret d’expulsion ;
⎯ sur le terrain des faits, maintenant, l’idée que le Congo pourrait se prévaloir, «en détail», de
«faits précis» contre M.Diallo ne repose su r strictement rien, puisque l’Etat congolais n’a
jamais produit le moindre élément accréditant ses graves accusations contre M. Diallo. L’Etat
défendeur peut bien invoquer, pour la première fois, je tiens à le faire remarquer, l’existence de
«rapports réguliers» des «services spéciaux de la RDC», qui «suivaient M.Diallo depuis
plusieurs mois» 30, encore faudrait-il matérialiser ces accusations, ce que le Congo n’a jamais
été en mesure de faire.
20. Cette absence de motivation du décret explique sans doute l’insistance mise à nouveau
e
par M Kalala sur la lettre du 30novembre1995 par laquelle M.Diallo alertait plusieurs
personnalités étrangères sur le sort réservé à ses so ciétés. Certes, a-t-il admis, cette lettre est
postérieure au décret d’expulsion du 31octobr e. Mais, a-t-il affirmé en substance, ce qui
29
CR 2006/52, p. 19, par. 6.
30CR 2006/52, p. 20, par. 10. - 16 -
compterait, ce ne serait pas le décret, mais sa mise en Œuvre par la mesure de refoulement du
31janvier1996. Mais, si je ne me trompe, l’act e déclencheur de la procédure, c’est le décret
d’expulsion, et celui-ci ne peut décidément pa s être motivé par des événements qui lui sont
postérieurs.
21. En tout état de cause, de simples propos du type de ceux tenus pa r M. Diallo dans cette
lettre ne peuvent être considérés comme «un acte attentatoire à l’ordre public congolais» légitimant
l’expulsion 31, comme a cru pouvoir le dire M Kalala mercredi dernier. Pour étayer ses
32
affirmations, celui-ci s’est fondé sur une affaire récente concernant la France . Effectivement, «un
religieux musulman algérien» y a récemment fait l’ob jet d’une mesure d’expulsion. Mais les faits
des deux affaires ⎯ et je me garderai bien de porter un jugement juridique, dans un sens ou dans
un autre, sur le comportement de l’Etat français ⎯ sont entièrement différents. Cette personne n’a
pas été expulsée pour de simples «propos», comme l’affirme M eKalala, et elle ne l’a pas été sans
avoir pu se prévaloir de garanties judiciaires fondamentales dont M. Diallo n’a jamais bénéficié :
⎯ la personne visée a pu demander en urgence la su spension de sa mesure d’expulsion, avant que
le juge des référés, puis le Conseil d’Etat, statuent sur son cas ;
⎯ et en l’espèce, l’arrêté d’expulsion a été confir mé par le juge sur la base de notes des services
de renseignements établissant les liens de cette personne avec des organisations terroristes,
notes de renseignement qui «ont été débattues dans le cadre de l’instruction écrite
contradictoire» 33. Par contraste, M.Diallo, pas plus que la Guinée aujourd’hui, n’a jamais eu
cette possibilité, faute pour le Congo d’avoir pr oduit le moindre document à l’appui de ses
accusations et d’avoir mis M. Diallo en état de les contester au moment opportun.
22. Je soulignerai sur ce dernier point que l’Et at défendeur a admis mercredi, par la voix de
e
M Kalala, que M.Diallo, au moment où il éta it détenu à la suite de l’adoption du décret
d’expulsion, ne «sav[ait]» pas que cette mesure avait été prise à son encontre 3. Cela confirme, une
31
Ibid.
32CR 2006/52, p. 19, par. 7.
33Conseil d’Etat, 4octobre2004, n o266948, Ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales c. M. Bouziane (www.legifrance.gouv.fr).
34CR 2006/52, p. 19-20, par. 10. - 17 -
fois de plus, le caractère arbitraire de la déten tion et l’impossibilité d’épuiser le moindre recours
contre des mesures dont M. Diallo n’était pas même informé.
M23. eKalala s’est enfin félicité mercredi du fait que les autorités zaïroises n’auraient pas
35
agi dans la précipitation . La mesure de refoulement n’est intervenue en effet que trois mois après
le décret d’expulsion. Mais cela ne signifie p as que les autorités zaïroises sont restées passives
pendant tout ce temps. Où se trouvait M. Diallo entre l’adoption du décret d’expulsion et la mesure
de refoulement ? En prison, où il croupissait dans une cellule, dans des conditions contraires aux
standards internationaux et en violation notamme nt des dispositions de l’ordonnance de1983 qui
interdisaient toute détention au-delà d’un délai absolument maximal de huit jours 36. Je m’arrêterai
là, Madame le président, car de cette détention, comme de celle de 1988, visiblement le Congo ne
veut pas entendre parler.
Madame le président, Messieurs de la Cour, ainsi s’achève mon exposé. Je vous remercie
vivement de votre attention. Madame le prési dent, je vous serais reconnaissant de bien vouloir
appeler maintenant à cette barre le professeur Jean-Marc Thouvenin.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Forteau . I now call Professor Thouvenin. It may
be convenient if I say at this juncture that the Court will continue through this morning without a
pause.
M. THOUVENIN: Thank you, Madam President.
II.L’ÉPUISEMENT DES RECOURS INTERNES
1. Madame le président, Messieurs les juges, les arguments présentés par la Partie congolaise
au soutien de sa seconde exception préliminaire appellent des précisions sur quatre points, sur
lesquels je reviendrai successivement.
35
CR 2006/52, p. 18, par. 4.
36CR 2006/51, p. 24, par. 28 (Forteau). - 18 -
I. L’expulsion de M. Diallo a empêché l’exercice par ses sociétés des recours internes
2. La RDC a contesté l’argument de la Guinée sel on lequel les sociétés de M. Diallo ont été
37
empêchées d’exercer des recours internes du fait de l’expulsion de leur gérant . Pour le Congo, le
sort de M. Diallo et celui de ses sociétés ne doivent certainement pas être confondus 38.
3. Il n’y a aucun désaccord profond entre les Parties sur la distinction entre les personnalités
juridiques de M.Diallo et de ses sociétés. Ma is il n’aura sans doute pas échappé à la Partie
congolaise que l’empêchement d’exer cer des recours est de l’ordre du fait. Sur ce terrain là,
l’erreur serait de croire que le droit commande nécessairement le fait.
4. Or, dans les faits, ce n’est pas la Guinée, mais le Zaïre qui a confondu le gérant associé
M.Diallo avec ses sociétés. D’ailleurs, en dép it des explications bien embarrassées de la Partie
congolaise 39, la chronologie des événements d’octobr e1995 à janvier1996 montre que la cause
unique de l’expulsion de M.Diallo réside dans l es actions en justice qu’il exerçait au nom de ses
sociétés.
5. Mon contradicteur essaie cependant de c onvaincre que, dans l’esprit du gouvernement de
l’époque, aucune confusion n’aurait été faite car, pl utôt que d’expulser M.Diallo, le Zaïre aurait
aussi bien pu exproprier ses sociétés, ou leur interd ire certaines activités ; cela aurait, selon lui, été
40
une «meilleure solution» . Mais il est trop tard pour formuler de tels conseils : à tort ou à raison,
mais en tout état de cause de manière illicite, le Zaïre de 1995-1996 a cons idéré que la meilleure
solution était d’arrêter, détenir, puis expulser M. Diallo.
6. Par ailleurs, c’est dans l’ordre des faits, toujours, que les sociétés de M.Diallo ont été
empêchées d’exercer des recours internes, faute de disposer sur place d’un gérant pour diriger leurs
affaires dans leur intérêt. On peut toujours so utenir que, en droit, les sociétés de M.Diallo
41
pouvaient encore faire bien des choses après l’expulsion de leur gérant, mais troisconstats
montrent que cela n’a pas pu être le cas :
37 CR 2006/52, p. 21-22, par. 15 et 19 (Kalala).
38
CR 2006/52, p. 21, par. 18 (Kalala).
39
CR 2006/52, p. 19-20, par. 9-10 (Kalala).
40 CR 2006/52, p. 22, par. 20 (Kalala).
41 CR 2006/52, p. 21, par. 18 (Kalala). - 19 -
e
⎯ Premièrement, M Wordsworth y reviendra tout à l’heure, aucun autre gérant que M. Diallo n’a
été nommé par le seul fait de la lettre du 12 février 1996 adressée par un avocat à un employé
d’Africontainers 42. Mais même si cela avait été le cas, cela n’aurait rien changé.
⎯ Car, deuxièmement, le gérant d’ Africontainers avait été victime de privations de liberté et
d’une expulsion alors qu’il agissait en justice dans le cadre de ses fonctions de gérant. Dans de
telles circonstances, il ne saurait être requi s de quiconque de prendre la succession d’une
gérance aussi dangereuse. Le successeur éventuel aurait peut être pu acheter des fournitures,
commercer ; mais il aurait eu de bonnes raisons de penser qu’il était «manifestement empêché
43
d’exercer des recours internes» au nom des sociétés. Par su ite, «dans les circonstances de
l’espèce, il serait manifestement déraisonnable de s’attendre à ce que les recours internes aient
été engagés» 44.
⎯ D’ailleurs, et troisièmement, il est significa tif qu’aucune nouvelle action en justice n’ait été
engagée par les sociétés de M. Diallo après son expulsion, alor s même que l’exercice, par la
Guinée, de sa protection diplomatique devant la Cour date de la fin de l’année 1998. Comme
45
je l’ai déjà indiqué , entre 1996 et 1998, si des négociations ont été conduites à l’initiative de
la Gécamines avec des représentants d’Africontai ners, elles le furent sous le contrôle de
l’ambassade de Guinée au Zaïre. Je n’ai pas été contredit sur ce point durant l’audience de
mercredi dernier, et j’en tire pour conséquence que, décidément, après son expulsion, le gérant
d’Africontainers était empêché d’épuiser les recours internes au nom de ses sociétés.
II.L’absence de recours internes raisonnablem ent disponibles contre les arrestations et
expulsion arbitraires
7. Après huit ans de procédure, la RDC s’est montrée incapable ne serait-ce que d’évoquer
une véritable voie de recours, qui aurait été disponible pour M. Diallo. La Guinée a pris note que, à
l’audience de mercredi :
42
CR 2006/52, p. 21-22, par. 19 (Kalala) et MG, annexe 201.
43Rapport de la CDI, cinquante-huitième session (2006), supplément n 10 (A/61/10), art. 15, d), p. 79.
44Rapport de la CDI, cinquante-huitième session (2006), supplément n 10 (A/61/10), art. 15, p. 85, par. 10.
45CR 2006/51, p. 56-57, par. 24 (Thouvenin). - 20 -
⎯ premièrement, le Congo n’a pas contesté que le «r ecours» contre l’expulsion sur lequel il avait
d’abord cru pouvoir adosser sa thèse n’est pas un re cours au sens de la règle de l’épuisement
des voies de recours internes ; il s’agit bien d’une procédure extralégale qui se qualifie comme
un appel à la mansuétude des autorités gouvernementales ;
⎯ deuxièmement, le Congo n’a pas davantage allégu é l’existence d’un autre type de recours
contre la mesure de refoulement ; au contraire, il a admis, par son silence, qu’aux termes de
o
l’article13 de l’ordonnance-loi n 1983-033 du 12 septembre 1983 relative à la police des
46
étrangers : «[la] mesure de refoulement est sans recours» ;
⎯ troisièmement, rien n’a été dit non plus quant à d’éventuels recours qui auraient permis à
M. Diallo de réclamer la réparation des préjudi ces qu’il avait subis en 1988 et 1996 du fait de
ses détentions arbitraires.
8. La Guinée en retire qu’il n’y avait pas de recours internes raisonnablement disponibles
pour que M. Diallo puisse faire valoir ses droits.
III L’absence de recours raisonnablement disponibles contre les ingérences du gouvernement
dans les procédures judiciaires engagées par les sociétés de M. Diallo
9. Mais le sort de M.Diallo n’intéresse p as beaucoup la RDC, qui préfère s’attacher à ses
47
sociétés et à leurs créances , et passer sous silence les ingé rences du gouvernement rappelées par
la Guinée durant l’audience de mardi 48. Je rappellerai brièvement les faits :
⎯ Le 3 juillet 1995, le tribunal de grande instance de Kinshasa condamnait Shell au paiement de
13 millions de dollars à Africontainers 49. En août, le caractère exécutoire de ce jugement était
confirmé en appel 50. J’y reviendrai.
51
⎯ Le 13 septembre, suite à l’intervention de Zaïre Shell auprès du gouvernement , l’exécution du
jugement était suspendue, sur ordre du vice-minist re de la justice et garde des sceaux, ordre
46
Annexe EP 73 ; les italiques sont de nous.
47
CR 2006/52, p. 21-22, par. 19 (Kalala).
48
CR 2006/51, p. 22-23, par. 24-27 (Forteau).
49MG, annexe 153.
50EPRDC, annexe 65.
51
MG, annexe 166. - 21 -
donné au «télécel» de Zaïre Shell, c’est-à-dire par son téléphone cellulaire, comme le rapporte
l’huissier de justice qui était alors en train de procéder aux saisies des biens de Zaïre Shell . 52
⎯ Le 28 septembre, le ministre de la justice invita it cependant, par courrier cette fois, le premier
président de la cour d’appel à prendre des dis positions pour exécuter la décision, considérée
53
comme n’étant porteuse d’aucun «mal-jugé manifeste» . Le 6 octobre, puis le 9 octobre, un
huissier procédait alors à des saisies-exécutions, not amment des comptes de la société Shell et
de matériels bureautiques. Africontainers alla it rentrer dans les droits qui lui avaient été
reconnus par le tribunal.
⎯ Mais, le 13 octobre, le premie r président de la cour d’appel de Kinshasa-Gombe écrivait au
ministre de la justice qu’il avait: «l’honneur de [lui] confirmer qu’ en exécution de [ses]
instructions verbales reçues ce matin, il a[vait] été procédé immédiatement à la mainlevée des
saisies-exécutions des biens de la société Zaïre Shell dans l’affaire qui l’oppose à la société
Africontainers…» 54.
10. Madame le président, il a été dit à cette barre que : «Le Gouvernement congolais n’a pas
le pouvoir, et ne le fait jamais, de donner des in jonctions aux juges indiquant le sens dans lequel
ceux-ci dev[r]aient trancher les litiges dont ils sont saisis» 55. Je constate pour ma part qu’une lettre
du premier président de la cour d’appel de Kinshasa-Gombe montre que, dans le dossier
Africontainers c. Zaïre Shell, c’est exactement ce qui s’est produit.
11. Au total, cette affaire se caractérise par :
i)une double ingérence, la première ayant pris la forme d’un ordre de cesser la
saisie-exécution donné par téléphone par le vice-ministre de la justice, la seconde résultant
d’instructions verbales données au premie r président de la cour d’appel de
Kinshasa-Gombe ; elle révèle aussi
ii) une absence totale d’encadrement légal de l’action du gouvernement, ses ordres ayant
toujours été donnés verbalement, sans aucune base ni justification juridique pour le
52MG, annexe 171.
53
MG, annexe 170.
54MG, annexe 177.
55CR 2006/52, p. 26, par. 38 (Kalala). - 22 -
premier, et en contradiction flagrante, pour le second, avec la lettre ministérielle du
28 septembre qui reconnaissait l’absence de ma l-jugé manifeste du jugement rendu contre
Zaïre Shell.
12. Surtout, les ingérences du gouvernement ont eu pour effet de contredire totalement ce
qu’avait décidé la cour d’appel de Kinshasa-Gombe, qui, le 24 août 1995 , avait rejeté la demande
57
de suspension d’exécution du jugement dépo sée par Zaïre Shell et, le 13 septembre 1995 , avait
confirmé le caractère immédiatement exécutoire du jugement du tribunal de grande instance
favorable à Africontainers.
13. La Guinée prend note que, à la question de savoi r si les sociétés de M. Diallo auraient pu
exercer un recours contre l’Etat pour contester lesdites ingérences, avec un espoir raisonnable de
succès, la Partie congolaise n’a apporté aucune répon se. Dès lors, ici encore, il n’y avait «pas de
recours internes raisonnablement disponibles», pour reprendre la formule du projet d’article15,
58
alinéa a), du projet d’articles de la CDI sur la protection diplomatique .
IV. Le caractère inadéquat de la protection j udiciaire en ce qui concerne M.Diallo et ses
sociétés
14. Le dernier point qu’il me revient d’abor der touche au caractère inadéquat du système de
protection judiciaire zaïrois en ce qui concerne M. Diallo et ses entreprises.
15. S’agissant du problème de la longueur abus ive des procédures, les Parties sont d’accord
59
sur un fait : deux procédures engagées par les sociétés de M. Diallo suivaient leur «cours normal»
⎯ ce sont les expressions contenues dans deux lettres datées de 2002 ⎯ près de dix ans après avoir
été initiées.
16. Il s’agit d’un délai abusivement long, mais mon contradicteur a expliqué lors de
l’audience de mercredi que: «comme il s’agit [d ’]affaires civiles et commerciales tranchées au
degré d’appel, l’introduction d’ un pourvoi en cassation n’est pas suspensive de leur exécution
forcée» 60, ce qui, selon lui, interdirait à «M.Diallo et à ses sociétés [de] se plaindre d’une
56EPRDC, annexe 65.
57
MG, annexe 170.
58
Rapport de la CDI, cinquante-huitième session, 2006, sup. 10 (A/61/10), art. 15 a), p. 78.
59EPRDC, annexe 47.
60CR 2006/52, p. 27, par. 44 (Kalala). - 23 -
prétendue longueur abusive des procédures internes en RDC» 6. Mais, outre que le caractère
suspensif ou non d'un pouvoir ne justifie en rien le caractère abusivement long d’une procédure, la
réalité est bien différente de celle que dépeint mon contradicteur : s’il est certain que les pourvois
en cassation contre les jugeme nts d’appel qui ont été défavorables à Africontainers et
Africom-Zaïre n’ont pas été suspensifs, le seul jugement d’appel qui fut favorable à Africontainers,
a, lui, vu ses effets arbitrairement suspendus par l’ingérence du gouvernement.
17. Quoi qu’il en soit, la question s’est posée devant la Cour de savoir à quel stade se
trouvent actuellement les procédures de cassation engagées dans les affaires Africom-Zaïre c. PLZ,
et Africontainers c.Fina . De manière assez surréaliste, la Pa rtie congolaise soutient ne rien en
savoir car, a-t-elle dit: «la RDC n’a pas ét é informée de l’issue de ce procès qui oppose
62
deuxsociétés commerciales privées entre elles» . Mais il est évident que si la RDC n’a pas été
informée de l’issue des procès, c’est tout simplement qu’il n’y en a pas eu. Tout de même, nous ne
parlons pas de décisions d’un tribunal d’arrondissement, mais bien de celles de la Cour suprême de
justice, dont les décisions, évidemment publiqu es, peu nombreuses, forment, comme celles de
toutes les cours suprêmes, la jurisprudence la plus observée et la plus commentée du pays. Il n’est
évidemment pas concevable qu’un Etat comme la RDC puisse ignorer les décisions de justice
rendues par sa plus haute juridiction.
18. En tout état de cause, il convient de relever que :
⎯ premièrement, le dossier proposé à la Cour par le Congo contient des pièces qui attestent que,
en 2002, les pourvois en cassation étaient encore pendants ;
⎯ deuxièmement, ces pièces ont été obtenues en seulement deux jours par la Partie congolaise ;
⎯ troisièmement, l’Etat congolais n’a pas cru bon de mettre à jour ce dossier qu’il a lui-même
présenté à la Cour.
19. Dans ce contexte, il paraît raisonnable de cons idérer que le défaut de production, par le
Congo, d’une pièce équivalente à celles produites par lui en2002, dans les annexes à ses
exceptions préliminaires, aux termes desquelles les procédures suivaient leur «cours normal» 63, doit
61Ibid.
62
CR 2006/50, p. 32-33, par. 65 (Kalala) ; voir aussi p. 21, par. 24 (Kalala).
63EPRDC, annexe 47. - 24 -
être considéré comme signifiant que la situation est toujours la même aujourd’hui: les affaires
suivent encore leur «cours normal» et sont encore pendantes.
20. Enfin, et j’en arrive à mon dernier argum ent, Madame le président: à supposer même
que, comme il a été dit à cette barre, les tribuna ux congolais soient parmi les plus rapides du
monde, la Guinée a montré la vanité des recours dont la RDC soutient qu’ils auraient dû être
épuisés. Il a été d’ailleurs admis, mercredi, que , si le Gouvernement congolais n’intervient pas
64 65
dans toutes les décisions judiciaires , il le fait tout de même . Très certainement. Et cela est
arrivé, de manière totalement arbitraire, aux so ciétés de M.Diallo, comme je l’ai rappelé à
66
l’instant, et comme l’avait souligné le professeur Mathias Forteau mardi , sans que le Congo l’ait
contesté. Je vois mal, Madame le président, co mment la rareté du fait, à la supposer avérée,
pourrait avoir la moindre conséque nce dans notre espèce, puisque, précisément, cette espèce fait
partie de celles dans lesquelles l'ingérence du gouve rnement est caractérisée. La paix peut parfois
primer la justice, a-t-on indiqué à cette barre , comme pour suggérer que l’ingérence dans les
affaires d’Africontainers trouve son fondement dans cette idée . Mais, outre que suggérer que
Africontainers aurait pu menacer la paix paraît absu rde, ceci atteste en tout état de cause que, pour
cette société, comme pour Africom Zaïre et M. Diallo, aucune justice ne pouvait être rendue au
Zaïre.
21. Je vous remercie, Madame le président, Messieurs les juges, de votre attention, et vous
prie, Madame le président, de bien vouloir appeler à la barre M eWordsworth.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Thouvenin. I now call Mr. Wordsworth.
64
CR 2006/52, p. 25, par. 35 (Kalala).
65
CR 2006/52, p. 25-26, par. 36 (Kalala).
66CR 2006/51, pp. 19-20, paras. 16-18 and pp. 22-25, paras. 26-29. - 25 -
Mr. WORDSWORTH:
III. GUINEA ’S RIGHT TO EXERCISE DIPLOMATIC PROTECTION IN RESPECT OF
THE ARBITRARY DETENTION AND EXPULSION OF M R. DIALLO ,AND
IN RESPECT OF HIS SHAREHOLDERS ’ RIGHTS
1. Madam President, Members of the Court, it falls to me to address you briefly on
ProfessorMazyambo’s second round submissions on the existence or otherwise of relevant
shareholders’ rights in this case.
2. There is however an obvious preliminary point:
(a) At paragraph 3.30 (2) of its Memorial, Guinea stated:
“the imprisonment without trial, examination or formality and without access either to
lawyers or staff of the Embassy of the Republic of Guinea was unlawful and thus
engages the responsibility of the DRC ⎯ whether as regards the ill-treatment of
Mr. Diallo, without respect for his most fundamental rights, or as regards the violation
of Article 36, paragraph 1, of the Vienna Convention on Consular Relations”.
(b) In the following paragraphs, Guinea focused on th e expulsion, claiming that this was “arbitrary
and unlawful”, that there was no compliance with Article13 of the International Covenant on
Civil and Political Rights, to which both States are party, that “Mr. Diallo was obliged to leave
Zaire without any personal effects, leaving behind all his property, whether movable or
unmovable”, that “Mr.Diallo was treated like a criminal” and that “the manner in which the
67
expulsion was effected, like the expulsion itself, was unlawful” .
3. It will not have escaped the Court’s a ttention that, once again, in its second round
submissions, the DRC has said nothing about eith er Guinea’s right to exercise diplomatic
protection in respect of the alleged wrongful dete ntion and arbitrary expulsion of Mr.Diallo or
68
Guinea’s rights under Article36(1) (b) of the Vienna Convention on Consular Relations (see
LaGrand (Germany v. United States of America), Judgment, I.C.J. Reports 2001, p. 492, para. 74;
Avena and Other Mexican Nationals (Mexico v. United States of America), Judgment, I.C.J.
Reports 2004, paras.49 et seq ). In either case, the alleged breach of the right in question is
67
MG, paras. 3.32-3.34.
68United Nations, Treaty Series (UNTS) , , Vol. 596, p. 261. The Convention came into force for the DRC on
14 August 1976 and for Guinea on 30 June 1988. - 26 -
sufficient, of itself, to mean that this case must go forward to a hearing on the merits. And there is
no challenge whatsoever on this point.
4. I move on to ProfessorMazyambo’s submi ssions on shareholders’ rights. First, the
common ground, of which there is much. Professor Mazyambo did not challenge what I said about
the very particular and hybrid nature of the “société privée à responsabilité limitée”, the SPRL; he
69
agrees that Mr. Diallo’s shareholders’ right s are as established by the law of the DRC ; he agrees
that the Articles of the 1887Decree on Commercia l Companies to which I took the Court in
opening ⎯ that is Articles51, 65, 67, 68, 71, 75 and 79 ⎯ contain the relevant shareholders’
rights70. It follows that there are then only two points of disagreement so far as concerns the nature
and extent of the relevant rights:
(a)First, ProfessorMazyambo considers that Article78 of the 1887Decree, to which I also
referred to in opening, does not create a shareholder’s right 71;
(b) Second, he also took the position that the rights of supervision under Articles71 and 75 were
not applicable as these Articles provide for s upervision of the management of the company,
whereas Mr. Diallo was already the manager, the “gérant”, of his two SPRLs 72.
5. I will deal with these two points in turn.
6. First, Article78, which provides: “L’ assemblée générale des associés a les pouvoirs les
plus étendus pour faire ou ratifier les actes qui intéressent la société.” Professor Mazyambo did not
explain why this does not establish rights fo r the shareholders. As ProfessorMakela ⎯ whose
authority on the law of the DRC has not been questioned ⎯ explains by reference to Article 78:
“La vie collective des associés se dér oule au sein de l’assemblée générale.
Celle-ci constitute l’organe s ouverain de la société. Elle prend des décisions qui
dépassent le cadre de la gestion courante des affaires sociales. Elle est notamment
compétente pour délibérer sur la gestion des affaires sociales et pour donner quitus
(décharge) aux gérants et aux commissaires.” 73
69
CR 2006/52, p. 10, para. 5.
70
CR 2006/52, pp. 10-11, para. 7.
71CR 2006/51, p. 33, subpara. (i).
72CR 2006/52, p. 11.
73Roger Makela Massamba, Droit des affaires ⎯ Cadre juridique de la vie des affaires au Zaïre ,
Cadicec/De Boecke Université, 1996, p. 303. - 27 -
7. This “compétence” denotes the existence of a right, and a very important right at that. It is
true, as also follows from Professor Makela’s commentar y, that this is a right for the shareholders
collectively acting in a general meeting, but it is nonetheless a right from which each shareholder
derives a benefit to the extent of their share holding in the company. As Article51 of the
1887 Decree provides, “Chaque part sociale conf ère un droit égal dans l’exercice des prérogatives
d’associé . . .”. Each shareholder has the benefit of “un droit égal” in the exercise of a right such as
Article 78, but relative to his or her percentage sh areholding in the company. In Mr. Diallo’s case
of course that was, directly or indirectly, a 100 per cent shareholding.
8. Next, I turn to the rights of supervision and control under Articles71 and 75 of the
1887Decree, as to which ProfessorMazyambo said: Mr.Diallo “ne pouvait pas exercer... le
droit de surveillance sur les deux sociétés”; “Il ressort de ce texte que la surveillance qui est
prévue... c’est la surveillance de la gérance. [Celle-ci] ne peut pas être confiée à une personne
74
qui est déjà gérante” . There are four answers to this:
(a) First, this is to ignore the wording of Article 75. Article 75 gives contents to the shareholder’s
rights of supervision under Article71 and provides: “Le mandat des commissaires consiste à
surveiller et à contrôler sans aucune restricti on, tous les actes accompli par la gérance, toutes
les opérations de la société et le registre des associés.” There is, of course, a reference to
supervision of the acts of the “gérance”, but what of the right to supervise and control all the
operations of the company, and the register of “associés”? These rights are far, far broader than
Professor Mazyambo allows for ⎯ there is no strict overlap with the rights of an “associé” as
the “associé gérant”.
(b) Second, as a matter of principle, why is it not open to the “gérant” also to exercise rights of
supervision? The 1887 Decree expressly envi sages situations where one person can fulfil two
functions at the same time, most obviously in the case of the “gérant asso cié”, whose status is
not merely permitted but actually protected by Article 67. I stress here that I am dealing with
an SPRL, which has very particular features. The “gérant” manages the company, the
“associé”, who is the majority shareholder, has all the powers of the general meeting, including
74
CR 2006/52, p. 11, para. 8. - 28 -
to perform or ratify acts concerning the compan y, or indeed to revoke the mandate of the
“gérant” for just cause. But none of this mean s that it is impermissible simultaneously for one
person to hold the right to perform these various functions.
(c) Third, there is also an important point of formality, as ProfessorMazyambo appeared to
suggest that it was Guinea’s case that Mr.Dial lo was in fact the “commissaire” within
Articles 71 and 75. But that is not our case; rather, pursuant to Article 71, and pursuant also to
Article 19 of the Statute of Africontainers 75, Mr. Diallo was accorded all the rights and powers
of supervision and control that the “commissaire” would hold in a larger company. Because his
companies had fewer than five “associés”, because of the express wording of the Africontainers
Statute, Mr.Diallo as “associé”, and not as “commissaire”, enjoyed the rights of supervision
and control ⎯ these are shareholders’ rights.
(d)Finally, on the facts argued by the DRC, Mr.Diallo was not in fact the “gérant” of
Africontainers post-expulsion. Maître Kalala argued that within two weeks of the expulsion, as
evidenced by a letter of 12 February 1996 from th e lawyers for Africontainers, a new “gérant”
76
had been appointed, one Mr. Kanza . Thus, on the DRC’s facts, Professor Mazyambo’s point
would simply fall away.
9. But, for what it is worth, Maître Kalala’s version of the facts simply does not stand up to
scrutiny:
77
(a) While the letter of 12 February does refer to Mr. Kanza as “gérant” , there is no suggestion at
all that an extraordinary general meeting, comp lying with the requirements of Article65 and
also the special requirements of Article67, was somehow held and notarized prior to
12 February ⎯ it being recalled, of course, that Mr. Dia llo had then just been expelled; and it
also being recalled that the general meeting w ould have had to have taken place in the DRC,
that is common ground. It was not just a question of Mr. Diallo signing a piece of paper, as the
DRC somehow affects to believe. Further, one must look at the attachment to the letter of
12February: this is a payment demand of 5 February1996, which does indeed refer to
7MG, Ann. 1.
76
CR 2006/52, p. 22, para. 19.
7MG, Ann. 201. - 29 -
78
Mr.Diallo as the “administrateur-gérant” , and in subsequent docum entation, Mr.Kanza is
never again referred to as “gérant” but rather as the “directeur d’exploitation” 79, which I am
told should be translated as something like “production manager” ⎯ something quite different
from a “gérant”, in any event.
(b) On the other hand, Mr. Diallo in his letter s from Guinea to the DRC, signed off as the PDG ⎯
the President Director-General ⎯ of Africontainers, that is, of course, as the “gérant” 80. And,
if any further evidence on this point were needed, in the decision of the cour d’appel of
Kinshasa/Gombe of 20June 2002, Mr.Diallo is referred to as the “associé-gérant” of
Africontainers 81. So, Mr.Diallo was, and at all material times, remained the “gérant” of
Africontainers.
10. I move on to Professor Mazyambo’s final poi nt on shareholders’ rights, which is on the
facts. His position was that there had in any event been no interference with Mr. Diallo’s rights by
virtue of his expulsion. In essence, he said that shareholders’ rights could be exercised by
delegation, that Mr.Diallo could exercise his rights from abroad thanks to modern means of
82
communication, and that it had not been proven that Mr. Diallo was without funds .
11. This answers none of the points that I made in opening. Yes, Mr.Diallo could have
appointed another “gérant”, but he had a right to ap point the “gérant” of his choice, i.e., himself,
and he had the right to the special protections of Article67. And how, in any event, was he to
exercise his particular rights of supervision and control under Articles71 and 75 from Guinea?
Realistically, how was he to convoke (see Article 83 of the 1887 Decree), take part in and vote at
the general meetings of his companies from Guinea? Again, it being recalled, it is accepted the
general meetings had to take place in the DRC. How was he to manage the ongoing litigation, to
manage his containers, to recover admitted clai ms from government-owned entities that refused to
pay, and in the event did not pay, their debts? If all this could readily be done from Guinea, why
was it not done ⎯ there is an inventory of Africontainers’ assets as of the date of expulsion in
78MG, Ann. 201, second page.
79MG, Ann. 213, fourth page.
80
MG, Ann. 219.
81POC, Ann. 64, fourth page.
82CR 2006/52, p. 12, para. 10. - 30 -
83
Guinea’s Memorial ⎯ why were these assets, which include more than 100 containers, just left to
deteriorate 8?
12. In fact, the position in which Mr.Diallo suddenly found himself is very reminiscent of
the position of Mr.Biloune in the Biloune v. Ghana case. He too was arrested, detained and
expelled, with the effect that his project company, MDCL, could not complete the construction of a
restaurant complex that had fallen victim to inte rference from the local city council. The tribunal
there ⎯ it is a strong tribunal with Judge Schwebel in the chair ⎯ did not find that the answer to
Mr.Biloune’s problems was simply that he repl ace himself with local management, seek to
complete the project, and thereby avoid an expropriation. Instead, of course, the tribunal focussed
on the actual impact of the expulsion of the key person behind the company. It held:
“the conjunction of the stop work order, the demolition, the summons, the arrest, the
detention, the requirement of filling assets declaration forms, and the deportation of
Mr.Biloune without possibility of re-entry had the effect of causing the irreparable
cessation of the work. Given the central role of Mr.Biloune in promoting, financing
and managing MDCL, his expulsion from 85 e country effectively prevented MDCL
from further pursuing the project.”
13. Well, just so here: given the central ro le of Mr.Diallo in promoting, financing and
managing his two companies, his expulsion from the DRC effectively prevented the two companies
from further pursuing their projects, in particular th e recovery of alleged or admitted debts. In the
circumstances of this case, this constitutes a breach of Mr.Diallo’s shareholders’ rights. And I
have also been focussing on the rights of Mr.Di allo, but what also of his obligations as the
“gérant”, and as supervisor pursuant to Articles 71 and 75? How is he meant to carry through these
obligations from Guinea? In addition to day to day matters, he had to compile annual reports,
compile annual inventories, annual accounts ⎯ this could not all be done from Guinea, particularly
given Mr. Diallo’s lack of funds.
86
14. Referring to the El Triunfo case , Professor Mazyambo concluded that it was necessary
to show on the facts a violation such as a replacement of directors, a convocation of meetings
8MG, Ann. 199.
84
OG, Anns. 31-33.
8Biloune and Marine Drive Complex Ltd v. Ghana Investments Centre and the Government of Ghana, 95 ILR
183, 209.
8RSA, Vol. XV, pp. 474-475. - 31 -
without notice to the majority shareholders, or the refusal of access to company documents . This 87
calls for three comments:
(a) First, this was not, of course, the view of the Chamber in the ELSI case which, as I noted on
Tuesday, considered that there could be a breach of rights of control and management which
are very similar to the accepted shareholders’ ri ghts in this case where the act complained of
was the requisition of the company’s assets ( Elettronica Sicula SpA (ELSI), Judgment, I.C.J.
Reports 1989, p.15, para.70). No question in that case, for example, of the replacement of
directors.
(b) Second, the question must be asked as to wh ether the examples that Professor Mazyambo
derives from the El Triunfo case are truly different in nature or merely different in degree.
Mr.Diallo was effectively impeded in the exer cise of his rights of supervision, control and
management ⎯ it makes no material difference that he was not in fact replaced by a new
director from the State. The distinction is me rely that, where the State does come in and a
appoint a new, replacement director, as a matter of fact the interference with shareholders’
rights is all the more clear. Similarly, it makes no material difference that impediments in
terms of access to company documents were caused by the fact that Mr.Diallo no longer had
access to the country at all, as opposed to him being present on the territory, but turned away
from the companies’ offices.
(c) Third, Professor Mazyambo said nothing on intent, although this does feature in the reasoning
of the tribunal in the El Triunfo case, which focussed on the existence of “an intrigue” whose
object was amongst other things “to oust th e management and control the American
interests”88 ⎯ it is almost Shakespearean language. If the intent behind a given measure is to
impede shareholders’ rights of control or management, there must evidently be an interference
with shareholders’ rights, and that is preci sely Guinea’s case. If Guinea is correct in its
contentions, and the intent was indeed to preven t Mr.Diallo in the exercise of his rights of
control, supervision and management of his two companies, that is just as much an interference
with shareholders’ rights as the examples to which the DRC refers.
87
CR 2006/52, p. 12, para. 11.
8RSA, Vol. XV, p. 474. - 32 -
15. But, again, these are all matters for the merits. Professor Mazyambo said: “L’indigence
de Monsieur Diallo alléguée par la Guinée pour expliquer l’impossibilité d’une telle démarche [and
there he was speaking of Mr. Diallo continuing to control his companies from Guinea] n’a pas été
89
prouvée; elle ne peut donc être retenue.” Not proven, but this cannot be rejected. But this cannot
be the right approach. It is not for Guinea to prove its case on the merits at the preliminary
objections phase; if it were, of course, this phase would not be preliminary at all; and the
procedure would be quite different and we would not all be looki ng to go home before lunchtime
on the first Friday.
16. And I note that Professor Mazyambo tries to have it both ways, for he continued “[p]ar
contre, il est plausible ⎯ ‘plausible’ ⎯ d’affirmer que Monsieur Diallo a fait fortune” and then he
concluded “[i]l est donc clair que l’arrestation et l’expulsion de Monsieur Diallo n’ont pas porté
90
atteinte à ses droits propres tels que reconnus par la législations congolaise” . Thus, it is argued
that Guinea has to prove its case, while the DRC merely has to meet a threshold of what is
plausible. That evidently is not an approach that the Court can sanction. If I can slip into
colloquial English for a moment, evidently what is sauce for the goose is also sauce for the
gander ⎯ “ce qui vaut pour l’un, vaut évidemment pour l’autre”.
17. As I said in opening at this stage, all that need be demonstrated is the existence of
shareholders’ rights, and a case that such rights have been defeated 91. But at least there is now a
further element of common ground between the Pa rties. The DRC now accepts the existence of
shareholders’ rights as pleaded by Guinea, save fo r Article78; there is an issue as to the
application of Articles 71 and 75, but I hope I have d ealt with that. The real issue that rests is an
issue of fact ⎯ whether the rights relied on have been violated. But the Court cannot, of course,
decide that issue now.
Madam President, Members of the Court, th at concludes my submissions and I thank you
very much for your attention. Madam President ⎯ and I have to say Mr.President sounds quite
wrong in my ears ⎯ may I ask you now to call on Professor Pellet.
89CR 2006/52, p. 12, para. 10.
90
CR 2006/52, p. 12, paras. 10-11.
91CR 2006/51, p. 36, para. 29 (b). - 33 -
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Wordsworth. I call Professor Pellet.
M. PELLET: Thank you very much, Madam Pr esident. Maybe it would be safer for
French-speaking counsel to call you “Madam President” even in French!
IV. L A PROTECTION DE M ONSIEUR DIALLO PAR LA G UINÉE EN SA QUALITÉ D ’ACTIONNAIRE
DE SOCIÉTÉS CONGOLAISES POUR LE PRÉJUDICE SUBI PAR CES SOCIÉTÉS
1. Madame le président, Messieurs les juges, avant que l’agent de la République de Guinée
lise les conclusions finales de celle-ci, je mpropose de répondre à l’argumentation développée
lors de l’audience de mercredi par le professeur Mazyambo au sujet de la protection diplomatique
de M.Diallo en sa qualité d’actionnaire de soci étés formellement congolaises pour le préjudice
subi par ces sociétés.
2. S’agissant de cette question, de la «pro tection par substitution», le professeur Mazyambo,
dans une plaidoirie très sobre et très claire, a repris le plan que j’avais moi-même suivi mardi
dernier et s’est employé à montrer d’une part que cette protection était exclue par le droit
international positif, d’autre part ⎯ et je cite les termes dont il s’est servis, car je ne reconnais pas
notre thèse dans cette formulation, qu’«[a]ucune ci rconstance particulière ne permet l’application
de l’équité dans la présente espèce». Je suivrai à mon tour cette démarche, en précisant d’emblée
que même si elle le peut, il n’est sans doute pas indispensable que la Cour prenne une position
générale sur la portée de la règle (juridique et pas simplement équitable) de la protection par
substitution ; il lui suffit bien plutôt de constater qu’en raison des circonstanc es particulières de la
présente espèce, cette forme de protection est applicable ici dans son acception la plus étroite.
I. L’exception de la protection par substitution
3. Madame le président, Madam President, au bénéfice de ces précisions, je vais, à nouveau,
m’interroger dans un premier temps sur la question de savoir si, oui ou non, l’Etat national de
l’unique actionnaire d’une société ayant la nationalité de l’Etat défendeur peut exercer sa protection
en faveur de celui-ci au titre des préjudices subis pa r sa société. Selon le Congo, qui a pris grand
soin de ne pas mentionner l’article 11 b) du projet de la CDI, qui dispose pourtant de la question,
92
CR 2006/52, p. 16, titre 2. - 34 -
«ni la jurisprudence de la Cour, ni la pratique des Etats ne consacre[rait] l’hypothèse de la
protection diplomatique par substitution» . 93
4. La jurisprudence de la Cour d’abord. A l’appui de ses dires, le professeurMazyambo a
cité le paragraphe 93 de l’arrêt Barcelona Traction de 1970 ⎯ mais ce paragraphe ne peut être lu
isolément (en tout cas pas de celui qui le précède immédiatement, le paragraphe92;
C.I.J. Recueil 1970, p. 48, par. 92). Mon contradicteur a également mentionné des extraits des
positions prises par deux juges dans leurs opinions individuelles (ibid., par. 16-17).
5. Il ne fait guère de doute :
⎯ d’une part, que les juges de 1970 ont été di visés sur la positivité de la protection par
substitution ; et,
⎯ d’autre part, que la «thèse», présentée au paragraphe 92 et «sel on laquelle l’Etat des
actionnaires aurait le droit [ce conditionnel refl ète la division des membres de la haute
juridiction] d’exercer sa protection diplomatique lorsque l’Etat dont la responsabilité est en
94
cause est l’Etat national de la société», traduisait le sentiment de la majorité de la Cour .
6. S’il est exact que deux juges, Morelli et Padilla Nervo (ibid., p. 240-241 ; p. 257-259) ont
joint des opinions individuelles critiquant, de lege ferenda , l’exception réservée par la Cour
⎯ celle d’Ammoun (ibid., p. 218 [sic]), que la Guinée avait généreusement rattachée à ce courant
de pensée dans ses observations du 7juillet2003 95 semble, à bien la lire, pencher plutôt en sens
inverse, comme celles des jugesFitzmaurice, Jessup et Tanaka (C.I.J. Recueil 1970, p.71-75,
no13-20; p1. 91-193, par5 . 1-52; et . 34; voir aussi l’opinion individuelle du juge
WellingtonKoo jointe à l’arrêt du 24 juillet 1964, Barcelona Traction (exceptions préliminaires) ,
96
C.I.J. Recueil 1964, p. 58, par. 20) , qui rejoignaient d’ailleurs sur ce point la position du
Gouvernement espagnol lui-même (voir l’opin ion individuelle préc itée du juge Tanaka,
C.I.J. Recueil 1970, p. 134). Au surplus, on doit sans doute considérer que le silence gardé par les
93
CR 2006/52, p. 13, par. 14 (Mazyambo).
94 e
Sir Robert Jennings et sir Arthur Watts,Oppenheim’s International Law , 9 éd., vol. I, Longman, London/
New York, 1996, p. 520 (note 14).
95P. 47, par. 2.03.
96Voir MG, p. 93-96, par. 4.53-4.96 ou OG, p. 47, par. 2.45-2.46. - 35 -
autres juges sur un problème qui avait visiblemen t fait l’objet de longues délibérations, que ce
silence constitue plutôt une présomption d’accord avec la position dont l’arrêt s’était fait l’écho.
7. De toute manière, la question n’est pas tant de savoir combien de juges se prononçaient en
faveur de l’une ou de l’autre de ces solutions, mais d’apprécier le bien-fondé des arguments qu’ils
faisaient valoir à l’appui de leurs positions respec tives. Celle de Padilla Nervo était exclusivement
«idéologique» et reposait sur une dénonciation des atteintes supposées à la souveraineté qui
résulteraient de l’exception à la règle de l’absence de jus standi de l’Etat national des actionnaires,
présentée comme un instrument de «la mainmise des intérêts privés de sociétés étrangères»
(C.I.J. Recueil 1970, p.259) ⎯ ceci ne cadre guère avec les circonstances de notre espèce : on ne
peut vraiment pas soupçonner la Guinée d’être l’in strument du grand capital international, etc. ; et
l’on voit mal pourquoi la protection des actionnaires (qui ne peut, tout le monde en est d’accord,
jouer que tout à fait exceptionnellement) serait plus attentatoire à la souveraineté que la protection
des sociétés étrangères elles-mêmes. J’ajoute que le juge PadillaNervo reconnaissait qu’après
avoir été dans son sens, la pratique des Etats- Unis et du Royaume-Uni —des acteurs importants
dans ce domaine— contredisait sa position ( ibid., p.258) et qu’il ne s’en est pas moins interrogé
par ailleurs sur «l’existence d’un intérêt belge prépondérant» parmi les actionnaires de la BT (ibid.,
p.265). Quant à Morelli, son ra isonnement était passablement circ ulaire puisqu’il soutenait en
substance qu’admettre l’exception, cela reviendr ait à reconnaître une protection directe des
actionnaires…ce qui est interdit par le dr oit international (voir en particulier ibid., p.241,
par. 12) : c’est précisément ce qu’il faut démontrer.
8. Pour leur part, les juges majoritaires ont insisté sur la consécration de la règle par la
coutume (et ceci est particulièrement frappant de la part de Jessup qui critique cette règle qu’il n’en
tient pas moins clairement pour ac quise et «généralement reçue» ( ibid., p.191-193, par.51-52, et
l’abondante doctrine citée)). Comme l’écrit Paul deVisscher dans son cours de LaHaye de1961
(donc bien avant que les deux arrêts sur la BT soient rendus), ⎯qui exprime une opinion que
Fitzmaurice cite in extenso et fait sienne ( C.I.J. Recueil 1970, p.70, par.14, et p.75, par.19):
lorsque la société a la nationalité de l’Etat auteur du fait internationalement illicite, - 36 -
«la personnalité morale n’est plus qu’une ficti on vide de tout sens, dans laquelle il ne
faut voir qu’un faisceau de droits individuels» . 97
«Dans ce cas, dit-on, le juge international, qui n’est pas lié par les critères du
droit interne, «perce le voile corporatif». Il serait plus exact de dire qu’il constate
l’absence de toute personnalité effective, l’ absence de tout intermédiaire valable entre
les actionnaires et les droits lésés» . 98
Comme l’a souligné le juge Gros dans l’opini on individuelle qu’il a jointe à l’arrêt de la BT : «En
cette matière, il faut rechercher ce qui est raisonnable, à la fois sur le plan juridique et sur le plan
des réalités de la vie économique.» (C.I.J. Recueil 1970, opinion individuelle du juge Gros, p. 279,
par. 20.)
9. Ce sont, Madame le président, ces considéra tions qui inspirent la jurisprudence arbitrale
du XIX siècle et de la première partie du XX esiècle à laquelle le professeurMazyambo s’est
99
ensuite référé . Comme notre contradicteur s’est borné, sur ce point, à renvoyer aux exceptions
préliminaires de la RDC, je me permets, à mon tour, Madame et Messieurs les juges, d’attirer votre
attention sur les passages du mémoire 100et des observations 101de la Guinée dans lesquels nous
avons montré la pertinence et la portée de cette jurisprudence, qui admet indiscutablement la
protection par substitution.
10. Un mot complémentaire seulement sur un aspect, auquel le Congo semble attacher une
102
certaine importance: il n’est pas exact que, dans ces affaires , «l’arbitre s’est basé sur un
compromis qui, d’une part, lui permettait de juger sans se limiter à l’application du droit … positif
et, d’autre part,… contenait clairement une re nonciation de l’Etat défendeur à invoquer une
exception l’empêchant de se prononcer sur le fond» 103. J’ai donné mardi dernier l’exemple de
l’affaire Shufeldt, dans laquelle, très nettement, l’arbitre s’ est prononcé en droit, et alors que le
compromis lui conférant compétence était muet sur la question de la représentation des actionnaires
97«La protection diplomatique des personnes morales», RCADI 1961, vol. 102, p. 465.
98
Ibid., p. 477. Voir aussi J. Mervyn Jones, «Claims on Be half of Nationals Who are Shareholders in Foreign
Companies», BYBIL, vol. 26, 1949, p. 236.
99
CR 2006/52, p. 15, par. 20.
100
MG, p. 84-90, par. 4.30-4.44.
101
OG, p. 48-52, par. 2.49-2.56.
102Voir aussi l’arrêt de la Chambre de la CIJ dans l’affaireELSI, à la lumière de l’interprétation donnée dans
l’opinion dissidente du juge Schwebel ( C.I.J. Recueil 1989, p. 94) et, dans le même sens , le commentaire par la CDI de
l’article11 du projet d’articles sur la protection diplomati que, NationsUnies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, soixante et unièmesession, supplément n 10 (A/61/10), rapport de la Commi ssion du droit international,
cinquante-huitième session (2006), par. 11 du commentaire.
103
CR 2006/52, p. 15, par. 20 (Mazyambo). - 37 -
d’une société nationale 10. Et, la même chose est apparente, par exemple, à la lecture du
compromis instituant le tribunal qui s’ est prononcé dans l’affaire de la Salvador Commercial
Company 105.
11. Madame le président, il faut reconnaître qu’en matière de jurisprudence, autant les
décisions anciennes sont relativement nombreuses, autant la moisson est maigre s’agissant des
décisions récentes, postérieures à 1970. Mais il y a une raison à ceci : aujourd’hui, de plus en plus,
les actionnaires se voient reconnaître des droits, non pas seulement substantiels, mais aussi d’action
directe au plan international: la question qui nous préoccupe est résolue de cette manière. Ceci
raréfie évidemment considérablement la prati que de la protection diplomatique dans des
hypothèses de ce genre ; quant à la protection par la voie judiciaire devant la Cour, dans les cas où
il n’existe aucune clause CIRDI ou équivalente, en core faudrait-il que la haute juridiction puisse
être saisie sur le fondement de l’article36 de son Statut; l’hypothèse n’est pas si fréquente.
L’objectif poursuivi par les traités bilatéraux d’inve stissement et la jurisprudence CIRDI explique
aussi pourquoi cette pratique est pertinente en ce qui nous concerne: les deux institutions (de la
protection diplomatique, d’une part, et de l’ac tion directe des actionnaires, d’autre part) sont
sous-tendues par la même considération fondamentale : l’impossibilité de laisser sans aucun espoir
de protection les actionnaires étrangers de la so ciété nationale d’un Et at auteur d’un fait
internationalement illicite. Dans tous les cas où ils bénéficient d’un droit d’act ion, la justification
de la protection par substitution disparaît ; par contraste, sa nécessité apparaît plus pressante encore
lorsqu’il n’existe aucun droit de ce genre.
12. Il serait fâcheux et paradoxal que la Cour mondiale aille à contre-courant d’une tendance
aussi nettement affirmée et qu’elle rigidifie le principe de la non-protection en revenant, un tiers de
siècle plus tard, sur la «thèse» de la substitution accueillie avec fave ur par la majorité en1970.
J’ajoute que l’exceptio n au principe général (que nul ne remet en cause) de l’impossibilité de
protection des actionnaires est plus acceptable encore dans le cadre de la protection diplomatique
que dans celui d’un traité bilatéral d’investisseme nt, dans la mesure où, dans le premier cas (la
104
CR 2006/51, p. 40, par. 7.
105Protocole du 19 décembre 1901 entre les Etats-Un is d’Amérique et la République de Salvador, RSA, vol.II,
p. 459-461. - 38 -
protection diplomatique), on peut compter sur le «filtre» de l’Etat, qui, dans l’exercice de son
pouvoir discrétionnaire, pourra déte rminer si la protection de l’ actionnaire est légitime ou non au
vu des faits de l’espèce, tandis que, dans le cas des TBI (traités bilatéraux d’investissements),
l’actionnaire est seul juge de l’opportunité de la saisine d’un tribunal.
13. Très naturellement, Madame le président , ceci me conduit à dire quelques mots des
circonstances propres à l’espèce qui imposent, av ec une force particulière, l’application de
l’exception ⎯ c’est-à-dire de la protection par substitution.
II. Les circonstances de l’affaire imposent avec une force particulière l’application
de la règle de la protection par substitution
14. Toutefois, je tiens à dire d’emblée et très fermement que la Guinée ne demande pas à la
Cour «d’appliquer l’équité», comme le professeur Mazyambo voudrait le faire croire 106, mais de
bien vouloir déclarer sa requête recevable sur la base d’une règle juridique, qui répond elle-même à
des considérations équitables, ce qui est tout différe nt. En outre, contrairement aux allégations du
Congo qui, lui, invoque l’équité pour tenter d’empê cher l’application de la règle de la protection
107
par substitution , aucune raison, d’équité ou autre, ne s’ oppose à l’application de cette règle en
l’espèce ⎯ bien au contraire.
15. Mon aimable contradicteur fait preuve d’un art consommé de l’ellipse lorsqu’il aborde ce
sujet. Il résume, certes, les arguments de la Guinée 108, mais il n’y répond que par trois brèves
affirmations, qu’il ne cherche pas à étayer plus avant et dont je vais dire quelques mots
successivement :
1. «les SPRL constituent des individu alités distinctes de leurs associés» 109; je n’ai nullement
prétendu le contraire ⎯du reste, si ce n’était pas le cas, la question de la protection
diplomatique par substitution ne se poserait pas; en revanche j’ai sou ligné qu’il s’agit de
sociétés d’un type bien particulier, différe nt des sociétés anonymes, seules en cause dans
l’affaire de la BT, et caractérisées par un élément intuitu personae important 110; celui-ci se
106CR 2006/52, p. 16, 2. et par. 22 ou 23.
107Cf. EP, p. 90-101, par. 2.85-2.105.
108
CR 2006/52, p. 16, par. 22.
109CR 2006/52, p. 16, par. 24.
110CR 2006/51, p. 48, par. 24-25. - 39 -
traduit, par exemple, par un élément crucial que j’avais souligné mardi 111 et que néglige le
professeur Mazyambo: la non-cessibilité des parts sociales qui accentue considérablement le
caractère intuitu personae de ces sociétés, très différentes à cet égard des sociétés anonymes;
en l’espèce, la «personnalisation» de la soci été est même envahissante, du fait de la double
qualité d’unique gérant et de seul associé (d irectement ou indirectement) de M. Diallo ⎯ étant
entendu que si, vraiment, le droit congolais de vait être interprété comme excluant la
transformation d’une société constituée entre deux ou plusieurs personnes en une société
unipersonnelle, le voile corporatif disparaîtra it et, pour le coup, la confusion totale de
patrimoines et de personnalités entre M.Diallo et Africom-Zaïre serait avérée. Et là, on
n’aurait plus besoin de protection par substitution ;
2. «Les associés des SPRL n’engagent leur r esponsabilité que jusqu’à concurrence de leurs
apports. Aucune disposition de la loi congol aise ne dit le contraire», nous a dit le
professeur Mazyambo 112; cela n’est pas tout à fait exact: le droit congolais envisage en effet
113
une responsabilité illimitée des fondateurs d’ une SPRL dans certains cas particuliers ; enfin,
last but not least ;
3. la législation congolaise n’établirait pas de distinction entre les sociétés commerciales de même
114
nature constituées en vertu du droit congol ais par des nationaux ou par des étrangers ; j’ai
115
montré mardi que ce n’est pas exact et je me réfère en particulier à l’ordonnance-loi du
24avril1966 qui subordonne l’immatriculati on au registre du commerce des étrangers, des
116
sociétés étrangères et de certaines sociétés zaïroises à des garanties financières ; je me réfère
117
aussi à l’article 3 de la loi partic ulière sur le commerce du 5 janvier 1973 ; qu’on les appelle
«nationales étrangères» ou «étrangères nationales» , les sociétés contrôlées par les étrangers ne
111
Ibid., par. 25.
112
CR 2006/52, p. 17, par. 25.
113 o
Voir les articles 103 et 106 du décret du 27 février 1887, dossier des juges, onglet n 4.
114CR 2006/52, p. 16, par. 23.
115Voir CR 2006/51, p. 47-48, par. 23.
116Voir dossier des juges, onglet n 5.
117 o
Voir dossier des juges, onglet n 6. - 40 -
bénéficient pas au Zaïre, et maintenant au Congo, du même traitement que celles dont le capital
est aux mains des Congolais.
16. Au surplus, je rappelle que M.Diallo n’avait pas le choix: il devait constituer ses
sociétés au Zaïre et les soumettre au droit zaïrois , aussi désavantageux et discriminatoire qu’il fût,
faute de quoi il lui eût été purement et simplement impossible d’exercer dans ce pays des activités
118
commerciales . Le professeur Mazyambo ne l’a nullement contesté mais il n’a tiré aucune
conséquence de ce point d’accord entre les Parties. Il en est cependant une, inéluctable : le principe
de la protection par substitution doit s’appliquer à fo rtiori dès lors que la constitution des sociétés
en question au Zaïre «était une condition exigée par ce dernier pour qu’elle puisse exercer ses
activités dans cet Etat» 119. Il s’agit là du noyau le plus dur de la règle, du cas dans lequel sa mise
en Œuvre est le plus indiscutable ⎯et indiscutée puisque même la Commission du droit
international l’admet, alors qu’elle en a retenu, avec beaucoup d’hésitation 120, une conception
particulièrement restrictive. Madame le préside nt, non seulement, la protection diplomatique par
substitution des actionnaires étrangers d’une société ayant la nationalité de l’Etat responsable est
possible dans tous les cas, mais cette possibilité doit particulièrement se réaliser lorsque la
121
constitution de la société dans cet Etat est imposée par lui ⎯ comme c’est le cas en l’espèce.
17. Encore une fois, Madame le président, la Guinée n’en appelle pas à l’équité contre le
droit; elle vous prie seulement de faire une «application raisonnable» ( Barcelona Traction Light
and Power Company, Limited, arrêt, C.I.J. Recueil 1970 , p. 49, par. 93,) du droit. C’est parce que,
écrivait Jessup, la possibilité de la protection par substitution
«tient dans une large mesure à des considér ations d’équité et le résultat [en] est
tellement raisonnable qu’[elle] a été accepté[e ] dans la pratique des Etats...Les
considérations d’équité [celles qui sous-te ndent la règle de droit positif qui permet
cette protection, pas celles qui viendraient contredire ou corriger un principe contraire]
sont particulièrement frappantes lorsque l’ Etat défendeur n’admet des investissements
étrangers qu’à condition que les investisseurs constituent une société aux termes de
son droit national.» (Ibid., opinion individuelle du juge Jessup, p. 191-192.) 122
118
Voir CR 2006/51, p. 46-47, par. 20-21.
119
Article 11 du projet d’articles de la CDI sur la protection diplomatique.
120Cf. CR 2006/51, p. 46, par. 20 (Pellet).
121Voir le commentaire de la CDI de l’article11 du projet d’articles sur la protection diplomatique, Documents
officiels de l’Assemblée générale, so ixante et unième session, supplément nA/61/10), rapport de la Commission du
droit international, cinquante-huitième session (2006), par. 12) du commentaire.
122 - 41 -
Tout, Madame le président et Messieurs les juges, le droit et l’équité, les exigences de la justice et
les circonstances particulières de l’affaire, tout concourt à ce que vous acceptiez que la Guinée
agisse pour la protection des droits de M. Diallo pour les préjudices qu’il a subis directement, en
tant qu’homme et en tant qu’actionnaire, mais aussi, en cette dernière qualité pour le préjudice subi
par les sociétés Africom-Zaïre et Africontainers.
18. Madame le président, je ne pense p as qu’il soit utile de r ésumer l’ensemble des
arguments de la République de Guinée. Vous l es avez entendus, Madame et Messieurs les juges,
avec patience et attention, et il vous appartient de les confront er à ceux que vous a présentés la
République démocratique du Congo. Je voudrai s seulement en quelques phrases insister une
dernière fois sur ce qui nous paraît essentiel.
19. Et d’abord sur ceci: à plusieurs reprises, le Congo a «fait comme si», la protection des
«droits patrimoniaux» de M.Diallo était la seule préoccupation de la Guinée et éclipserait ou
absorberait, en quelque sorte, celle relativ e aux droits humains, consulaires ou autres de
123
celui-ci ⎯ au point que, dans les conclusions lues par M. l’agent de la République démocratique
du Congo avant-hier, les demandes de la Guinée sont présentées comme visant « essentiellement à
obtenir la réparation des dommages résultant de la violation des droits» des sociétés de
124
M. Diallo . Il va de soi que ce n’est pas le cas : la Guinée demande d’abord et avant tout que les
mauvais traitements dont M. Diallo, en tant qu’être humain, a été victime ⎯ses arrestations, son
expulsion arbitraire, dans tous l es cas par des décisions non motivées ⎯ fassent l’objet d’une
constatation judiciaire et donnent, en tant que tels, lieu à réparation. Simplement comme la
recevabilité de la requête n’est pas contestée sur ce point par le Congo, il ne nous a pas paru utile
d’y insister en plaidoirie. Si besoin est, je ra ppelle très formellement que la condamnation par la
cour, avec toutes conséquences de droit, de l’arr estation arbitraire et de l’expulsion de son
ressortissant, des conditions de sa détention et de son expulsion et du refus d’assurer à M. Diallo le
bénéfice des dispositions de la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires, tout cela
123
Voir par exemple, EPC, p. 44, par.1.59-1.60, CR 2006/ 50, p. 42-43, par.96-99 (Kalala); p.52, par.33
(Mazyambo), CR2006/52, p. 12, par. 11 (Mazyambo); voir au ssi les conclusions de RDC, CR 2006/52, p. 30, 1)
(Masangu-Mwanza).
124CR 2006/52, p. 30, 1) ; les italiques sont de nous. - 42 -
demeure l’un des objectifs essentiels de la République de Guinée comme cela ressort du premier
125
paragraphe des conclusions figurant à la fin du mémoire .
20. Il reste ⎯ mais l’un n’empêche nullement l’autre ⎯, que ces graves incidents sont aussi
à l’origine des préjudices causés à M. Diallo et à ses sociétés: c’est parce qu’il a été arrêté et
expulsé qu’il a été empêché de jouir de ses droits d’associé et que ces sociétés n’ont pu exercer
leurs droits et ont subi, à leur tour des préjudices graves qui justifie nt la protection par substitution
dont je viens de parler. Et c’est également ⎯ en partie en tout cas ; il y a aussi d’autres raisons ⎯
parce qu’il a été arrêté et expulsé dans les conditions que l’on sait, que M.Diallo n’a pu épuiser
complètement les recours internes, ce que la RD C a, aujourd’hui, bien mauvaise grâce à lui
reprocher.
21. Madame le président, ceci conclut les pl aidoiries de la République de Guinée dont les
conclusions vont maintenant être présentées par son agent, M. Mohamed Camara, en application de
l’article 60, paragraphe 2, du Règlement de la Cour. Pour ma part, il me reste, Madame et
Messieurs les juges, à vous remercier très vivement de votre attention.
The PRESIDENT: Thank you, Professor Pellet. I now call upon the Agent of the Republic
of Guinea, Mr. Mohamed Camara, to present the final submissions.
M. CAMARA : Merci.
V. CONCLUSIONS DE LA R ÉPUBLIQUE DE G UINÉE
1. Madame le président, Messieurs les juges, avant de lire, en effet, les conclusions formelles
de la République de Guinée, permettez-moi de vous dire à quel point mon pays attend avec
confiance l’arrêt que vous êtes appelés à rendre su r les exceptions préliminaires que la République
démocratique du Congo a cru devoir soulever pour tenter de faire obstacle à l’exercice de votre
juridiction. Nous sommes convaincus que vous l es rejetterez pour les raisons, juridiques, que nos
conseils et avocats ont développées devant vous et pour celles qui sont exposées dans nos
observations. Ce faisant, non seulement vous aur ez dit le droit, mais vous aurez fait justice en
125
MG, p. 108, par. 5.1, 1). - 43 -
permettant à mon pays d’exposer, au fond, les abus et les iniquités graves dont M.Diallo a été
arbitrairement victime en violation du droit international.
2. Je saisis cette occasion pour remercier l’é quipe de plaidoirie de la Guinée, y compris
MM. Daniel Müller et Luke Vidal qui n’ont pas pris la parole devant vous mais qui se sont dévoués
dans l’ombre à des tâches parfois ingrates. Mes vi fs remerciements vont aussi aux interprètes, au
greffier et à tout le personnel du Greffe, et, bi en sûr, à vous-mêmes, Madame et Messieurs de la
Cour qui nous avez prêtés une oreille attentive et patiente.
3. Mais je vais maintenant lire les conclusions de la République de Guinée :
Pour les motifs qui ont été exposés tant dans ses observations du 7 juillet 2003 que lors des
plaidoiries orales, la République de Guinée, prie la Cour internationale de Justice de bien vouloir :
1) rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la République démocratique du Congo ;
2) déclarer la requête de la République de Guinée recevable ; et
3) fixer les délais relatifs à la poursuite de la procédure.
Merci beaucoup, Madame le président.
The PRESIDENT: Thank you, Mr. Camara. Th e Court takes note of the final submissions
which you have read on behalf of the Republic of Guinea, as it took note on Wednesday of the final
submissions of the Democratic Republic of the Congo.
This brings us to the end of this week of hearings devoted to the oral argument of the Parties,
and it remains for me to thank the representatives of the two Parties for the assistance they have
given the Court by their oral observations in the course of the hearings.
I wish them a happy return to their respectiv e countries and, in accordance with practice, I
would ask the Agents to remain at the Court’s dis posal. Subject to this reservation, I declare the
present oral proceedings now closed.
The Court will retire for deliberation. The Ag ents of the Parties will be advised in due
course of the date on which the Court will deliver its judgment.
As the Court has no other business before it, the sitting is closed.
The Court rose at 11.40 a.m.
___________
Audience publique tenue le vendredi 1er décembre 2006, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de Mme Higgins, président