Audience publique tenue le jeudi 22 avril 2004, à 16 h 40, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Shi, président

Document Number
109-20040422-ORA-01-00-BI
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2004/22
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Bilingual Content

CR 2004/22

International Court Cour internationale

of Justice de Justice

THE HAGUE LA HAYE

YEAR 2004

Public sitting

held on Thursday 22 April 2004, at 4.40 p.m., at the Peace Palace,

President Shi presiding,

in the case concerning the Legality of Use of Force
(Serbia and Montenegro v. Italy)

________________

VERBATIM RECORD
________________

ANNÉE 2004

Audience publique

tenue le jeudi 22 avril 2004, à 16 h 40, au Palais de la Paix,

sous la présidence de M. Shi, président,

en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force
(Serbie et Monténégro c. Italie)

____________________

COMPTE RENDU

____________________ - 2 -

Present: President Shi
Vice-President Ranjeva

Judges Guillaume
Koroma
Vereshchetin
Higgins
Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek

Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Tomka
Judge ad hoc Kreća

Registrar Couvreur

 - 3 -

Présents : Shi, président
M. Ranjeva, vice-président

MM. Guillaume
Koroma
Vereshchetin
Mme Higgins
MM. Parra-Aranguren
Kooijmans
Rezek

Al-Khasawneh
Buergenthal
Elaraby
Owada
Tomka, juges
M. Kreća, juge ad hoc

M. Couvreur, greffier

 - 4 -

The Government of Serbia and Montenegro is represented by:

Mr. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), Chief Legal Adviser at the Ministry of Foreign Affairs of
Serbia and Montenegro, Professor of Law at the Central European University, Budapest and
Emory University, Atlanta;

as Agent, Counsel and Advocate;

Mr. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), Adviser to the Minister for Foreign Affairs of Serbia and

Montenegro,

as Co-agent, Counsel and Advocate;

Mr. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., Chichele Professor of Public International Law (Emeritus),
University of Oxford, Member of the International Law Commission, member of the English
Bar, member of the Institut de droit international,

as Counsel and Advocate;

Mr. Slavoljub Carić, Counsellor, Embassy of Serbia and Montenegro, The Hague,

Mr. Saša Obradović, First Secretary, Embassy of Serbia and Montenegro, The Hague,

Mr. Vladimir Cvetković, Third Secretary, International Law Department, Ministry of Foreign
Affairs of Serbia and Montenegro,

Ms Marijana Santrač,

Ms Dina Dobrković,

as Assistants;

Mr. Vladimir Srećković, Ministry of Foreign Affairs,

as Technical Assistant.

The Government of the Italian Republic is represented by:

Mr. Ivo Braguglia, Head of the Diplomatic Legal and Treaties Department, Ministry of Foreign
Affairs,

as Agent;

Mr. Umberto Leanza, Professor at the Faculty of Law, University of Rome “Tor Vergata”,

as Co-Agent;

Mr. Luigi Sico, Professor at the Faculty of Law, University of Naples “Federico II”,

Mr. Luigi Daniele, Professor at the Faculty of Law, University of Rome “Tor Vergata”,

Ms Ida Caracciolo, Professor at the Faculty of Law, University of Naples II,

as Counsel; - 5 -

Le Gouvernement de la Serbie et Monténégro est représenté par :

M. Tibor Varady, S.J.D. (Harvard), conseiller juridique principal au ministère des affaires
étrangères de la Serbie et Monténégro, professeur de droit à l’Université d’Europe centrale de
Budapest et à l’Université Emory d’Atlanta,

comme agent, conseil et avocat;

M. Vladimir Djerić, LL.M. (Michigan), conseiller du ministre des affaires étrangères de la Serbie et

Monténégro,

comme coagent, conseil et avocat;

M. Ian Brownlie, C.B.E., Q.C., F.B.A., professeur émérite de droit international public à
l’Université d’Oxford, ancien titulaire de la chaire Chichele, membre de la Commission du droit
international, membre du barreau d’Angleterre, membre de l’Institut de droit international,

comme conseil et avocat;

M. Slavoljub Carić, conseiller à l’ambassade de Serbie et Monténégro à La Haye,

M. Saša Obradović, premier secrétaire à l’ambassade de Serbie et Monténégro à La Haye,

M. Vladimir Cvetković, troisième secrétaire, département de droit international, ministère des
affaires étrangères de Serbie et Monténégro,

Mme Marijana Santrač, LL.B. M.A. (Université d’Europe centrale),

Mme Dina Dobrković, LL.B.,

comme assistants;

M. Vladimir Srećković, ministère des affaires étrangères de Serbie et Monténégro,

comme assistant technique.

Le Gouvernement de la République italienne est représenté par :

M. Ivo Maria Braguglia, chef du service du contentieux diplomatique et des traités du ministère des
affaires étrangères,

comme agent;

M. Umberto Leanza, professeur à la faculté de droit de l’Université de Rome «Tor Vergata»,

comme coagent;

M. Luigi Sico, professeur à la faculté de droit de l’Université de Naples «Federico II»,

M. Luigi Daniele, professeur à la faculté de droit de l’Université de Rome «Tor Vergata»,

Mme Ida Caracciolo, professeur à la faculté de droit de l’Université de Naples II,

comme conseils; - 6 -

Ms Valeria Santori, Doctor and international law research supervisor,

as Assistant. - 7 -

Mme Valeria Santori, docteur de recherche en droit international,

comme assistante. - 8 -

The PRESIDENT: I now give the floor to Professor Luigi Daniele, Counsel for Italy.

M. DANIELE :

Schéma des argumentations du Gouvernement italien

1. Merci Monsieur le président. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges de la

Cour, la réplique du Gouvernement italien sera divisée en deux parties : dans la première, nous

avons l’intention de prouver que, malgré ce que l’agent de la Serbie et Monténégro nous a dit hier,

l’Etat requérant a confirmé ce que le Gouvernement italien avait soutenu déjà dans son exposé oral

d’avant hier.

2. La Serbie et Monténégro, en effet, continue de considérer I) que la Cour n’a pas de

compétence, que ce soit ratione personarum ou ratione materiae, pour juger sur cette affaire et

II) que la convention sur le génocide ne lie pas la République de Serbie et Monténégro et ne peut

donc pas constituer une source de droits ou d’intérêts juridiques dont la Serbie et Monténégro

aurait été bénéficiaire et que l’Italie aurait pu léser.

3. Dans la deuxième partie de notre exposé, nous allons consacrer quelques brèves

considérations visant à compléter celles contenues dans nos exceptions préliminaires concernant

l’article IX de la convention sur le génocide, en tant que base possible de compétence de la Cour

dans cette affaire. Cette partie de l’exposé sera développée par le professeur Luigi Sico, à qui, le

moment venu, Monsieur le président, je vous demanderai, de donner la parole. Ensuite,

M. Braguglia, en sa qualité d’agent, présentera les conclusions finales au nom du Gouvernement

italien.

4. J’ajoute que mon gouvernement partage plusieurs des arguments que les autres Etats

défendeurs ont exposé ce matin et cet après-midi. En grande partie ces arguments correspondent à

ceux que le Gouvernement italien avait développés dans ses exceptions préliminaires et que, faute

de temps, nous n’allons pas reprendre aujourd’hui, sans que cela puisse être interprété comme une

renonciation implicite de notre part.

5. Avant de commencer, Monsieur le président, je me dois d’exprimer les sentiments de

malaise que le Gouvernement italien éprouve face au comportement que la Serbie et Monténégro a - 9 -

tenu en cette phase de la procédure. Le fait de s’être limitée à présenter des observations écrites

d’une page et demie, et, par la suite, d’avoir, pendant trois heures, contesté nos exceptions

préliminaires et développé toute une série d’argumentations juridiques, en grande partie nouvelles,

met les Etats défendeurs dans une situation bien difficile. Peut-on regarder un tel comportement

comme acceptable dans le contexte d’une affaire contentieuse devant la Cour ? Le Gouvernement

italien n’entend pas tirer des conclusions à ce propos, mais il estime qu’il ne pouvait pas se passer

d’en faire une brève mention.

Défaut de l’objet du différend

6. Je crois ne pas me tromper si j’affirme que plusieurs d’entre nous, dans cette auguste salle

d’audience, se sont réjouis hier, en écoutant l’agent du Gouvernement serbe revendiquer son droit

«to state ourselves what we actually said and meant to say» (par. 32).

7. M. Varady parlait des observations écrites du 18 décembre 2002, que le Gouvernement

serbe avait déposées, au titre de l’article 79, paragraphe 3, du Règlement de la Cour, en réponse

aux exceptions préliminaires soulevées par mon gouvernement, ainsi que par tous les autres Etats

défendeurs.

8. En effet, ces observations écrites, à cause, sans doute, de leur caractère inhabituellement

bref, pourraient se prêter à plusieurs interprétations différentes. M. Varady en a comptées jusqu’à

cinq, dont celle qui a été développée par mon gouvernement lors de son exposé oral d’avant-hier

(par. 38).

9. D’après M. Varady, toutes ces interprétations étaient fausses. Le but véritable du

Gouvernement serbe, «was to reinvestigate the legal status of the FRY in the light of a dramatic

event for our country, the admission to the UN as a new Member» (par. 33).

10. On pourrait bien se demander pourquoi le Gouvernement serbe sent-il maintenant la

nécessité que cette question soit examinée à nouveau par la Cour. En effet, comme nous l’avions

rappelé dans notre première intervention et comme M. Varady l’admet au paragraphe 56 de son

exposé, la Cour s’est déjà prononcée sur la position de la Serbie et Monténégro vis-à-vis de

l’Organisation des Nations Unies, du Statut de la Cour et de la convention sur le génocide, pendant

la période qui précède son admission aux Nations Unies. Lors de l’arrêt sur la demande en revision - 10 -

dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie, la Cour a déclaré cette demande inadmissible et,

de ce fait, a confirmé tant la position sui generis de la RFY vis-à-vis des Nations Unies, que sa

compétence aux termes de l’article IX de la convention précitée.

11. Toutefois, selon M. Varady, la prise de position de la Cour laisserait ouverts plusieurs

points. En particulier, selon M. Varady, «the question remains what was the nature, and what were

the consequences of this sui generis position between 1992 and 2000» (par. 58) et, notamment,

«whether this sui generis position vis-à-vis the UN could have provided the link between the new

State and international treaties — the Statute and the Genocide Convention in particular» (par. 63).

12. Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, vous le voyez mieux que moi,

l’attitude du Gouvernement serbe dans cette affaire ne cesse de surprendre. Au lieu d’invoquer un

précédent favorable à la compétence de la Cour aux termes de l’article IX de la convention, l’Etat

requérant demande à la Cour de réexaminer la solution à laquelle elle était déjà parvenue.

13. C’est d’ailleurs ce que mon gouvernement aussi demande à la Cour. M. Leanza a

soutenu avant-hier (par. 35 et suiv.) que la Cour ne devrait pas se considérer liée par l’arrêt de 2003

sur la demande en revision. C’est absolument normal, je crois, qu’un Etat qui conteste la

compétence de la Cour, comme l’Italie, cherche à convaincre celle-ci de ne pas se laisser influencer

par un précédent qui ne serait pas favorable à ses thèses. Au contraire, il est du moins étonnant que

ce soit à l’Etat requérant de remettre en question un tel précédent, alors qu’il devrait avoir tout

intérêt à ce que la Cour confirme sa jurisprudence.

14. Comment donc expliquer cette contradiction ? Comment expliquer que l’Etat requérant

apporte dans le débat des éléments potentiellement favorables aux thèses de l’Etat défendeur, à

propos du défaut de compétence de la Cour ?

15. La réponse est simple : la Serbie et Monténégro vise, en réalité, à obtenir de la Cour une

décision négative sur sa compétence aux termes de l’article IX de la convention sur le génocide;

une décision qui reconnaîtrait que cet Etat n’était pas lié par la convention avant sa notification

d’adhésion en mars 2001; une décision que la Serbie et Monténégro pourrait bien utiliser dans

d’autres affaires pendantes en ce moment même devant la Cour contre ce même Etat, et dont

l’issue pourrait être affectée sérieusement par une telle décision de la part de la Cour dans cette

affaire. - 11 -

16. D’ailleurs l’agent du Gouvernement serbe n’a pas fait de mystère sur cet aspect. Après

avoir mentionné le fait que la Serbie et Monténégro est Etat défendeur dans plusieurs affaires

devant la Cour, qui soulèvent le même problème du statut de cet Etat entre 1992 et 2000 (par. 34),

M. Varady, en se référant à toutes ces affaires (qu’il appelle en anglais, par le terme un peu inusuel

de «lawsuits»), déclare : «now, we would simply like to know where we stand. Only a judgment

on jurisdiction could put us on a clear track» (par. 39). Encore M. Varady ajoute-t-il, au

paragraphe 64, que

«[w]e need to know whether the turbulent period behind us yielded proper procedural
prerequisites for continuing these disputes. A judgment on jurisdiction, based on the
elucidation of the position of the FRY between 1992 and 2000, could create an anchor
point of orientation.»

17. Il s’ensuit que la décision que le Gouvernement serbe cherche à obtenir de la Cour

n’aurait pas la nature d’un véritable arrêt qui trancherait un différend concret entre deux Etats, mais

s’analyserait plutôt comme une sorte d’avis juridique, de la même nature que les avis consultatifs

que votre Cour a, bien sûr, le pouvoir de rendre aux termes de l’article 96 de la Charte des

Nations Unies, mais qui, en aucun cas, ne peuvent être demandés par un Etat.

18. En conclusion, nous estimons que les considérations exposées hier matin par l’agent du

Gouvernement serbe confirment que la Serbie et Monténégro, sans l’admettre ouvertement, n’a

plus aucun intérêt à ce que la Cour se déclare compétente dans cette affaire aux termes de

l’article IX de la convention sur le génocide. Cela explique le fait, tout à fait surprenant, que, ni

dans ses observations écrites du 18 décembre 2002, ni hier dans son exposé oral, le Gouvernement

serbe ne demande même pas à la Cour de déclarer sa compétence, mais seulement de se prononcer

sur sa compétence.

19. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges de la Cour, les propos tenus par le

Gouvernement serbe à l’audience d’hier confirment, de l’avis du Gouvernement italien, encore une

fois que l’objet de cette affaire n’existe plus et que la Cour se trouverait à décider sur des questions

abstraites tout à fait éloignées de la réalité.

20. Monsieur le président, j’ai ainsi terminé mon exposé et je vous demande de bien vouloir

donner la parole à M. Sico. - 12 -

The PRESIDENT: Thank you, Professor Daniele. I now give the floor to Professor

Luigi Sico.

M. SICO :

Défaut de compétence ratione personarum et ratione temporis par rapport
à l’article IX de la convention sur le génocide

21. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges de la Cour, c’est pour moi un

grand honneur de prendre la parole pour l’Italie devant vous aujourd’hui, pour développer quelques

ultérieures et subsidiaires considérations sur le défaut de compétence ratione personarum et ratione

temporis par rapport à l’article IX de la convention sur le génocide.

22. Dans ses observations écrites, la Serbie et Monténégro a déclaré — il faut le répéter

encore une fois — qu’elle : «did not continue the personality and the treaty membership of the

former Yugoslavia, and thus specifically, it was [not] bound by the Genocide Convention until it

acceded to that Convention (with a reservation to Article IX) in March 2001». Par ces mots que

vous avez entendu répéter des milliers de fois, la Serbie et Monténégro a admis explicitement et

au-delà de tout doute possible que la Cour n’a pas compétence à connaître de cette affaire pour la

simple raison que la seule base juridique sur laquelle pareille compétence pourrait être fondée

n’était pas en vigueur entre l’Etat requérant et l’Etat défendeur à la date du dépôt de la requête.

23. De surcroît, comme je viens de le dire, l’accession à la convention est assistée d’une

réserve sur la compétence de la Cour : par conséquent, à supposer même que le Gouvernement

serbe songe à invoquer un possible effet rétroactif de son adhésion — ce qu’il n’a jamais fait — cet

effet rétroactif ne pourrait que s’étendre à la réserve. Partant, si l’on présume que la position

― devrais-je dire la posture — de la Serbie et Monténégro puisse être reconstituée dans le sens

qu’elle entend se prévaloir d’un possible effet rétroactif de son adhésion, sans invoquer, en même

temps, un pareil effet pour la réserve sur la juridiction, le Gouvernement italien déclare que c’est

l’Italie qui entend s’en prévaloir, en s’appuyant sur le principe de réciprocité. Que l’on soit très

clair sur ce point : l’Italie n’entend pas accepter la compétence de la Cour en vertu de l’article IX

de la convention sur le génocide vis-à-vis de la Serbie et Monténégro. - 13 -

Défaut de compétence ratione materiae par rapport à l’article IX

de la convention sur le génocide

24. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges de la Cour, c’est donc simplement

à titre subsidiaire que l’Italie répond aux objections relatives à la compétence ratione materiae par

rapport à l’article IX de la convention sur le génocide. A ce propos il faut rappeler que dans son

exposé, pour démontrer que l’action militaire des Etats membres de l’OTAN pourrait être encadrée,

au point de vue objectif, parmi les agissements interdits par la convention sur le génocide, le

professeur Brownlie nous a rappelé que la Cour, dans l’arrêt du 12 novembre 1996 sur les

plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique, exceptions

préliminaires, par. 16), a statué que c’est à elle de «rechercher si les violations du

traité … alléguées par l’Iran entrent ou non parmi les prévisions de ce traité et si, par suite, le

différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae».

25. Il est notoire, en effet, que la jurisprudence la plus récente est devenue très sévère lorsque

la Cour est appelée à décider sur les exceptions préliminaires soulevées à propos de la portée d’une

clause d’attribution de compétence contenue dans un traité. En effet la Cour exige qu’il soit

soigneusement prouvé que les faits faisant l’objet de la requête soient susceptibles d’être classés

parmi les comportements réglés par le traité dont l’interprétation ou l’application est confiée à sa

juridiction.

26. A ce propos le professeur Brownlie a soutenu que l’emploi de la force armée peut rentrer

dans l’une ou l’autre des hypothèses de génocide. Il est bien établi que la nature des conflits armés

a profondément changé depuis la deuxième moitié du XX siècle, de sorte qu’ils ne peuvent plus

être définis comme un ensemble d’actions militaires visant essentiellement à la debellatio d’un

Etat, que pratiquement tous les conflits sont devenus asymétriques et que même les idées d’objectif

et de but militaire ont profondément évoluées, heureusement en s’affaiblissant.

27. Mais de ces changements et, surtout, du fait que, bien souvent, les forces armées d’un

Etat ne sont confrontées avec des homologues relevant de l’autorité d’un autre Etat, il n’est guère

possible d’inférer que n’importe quel recours à la force armée puisse être qualifié de génocide. On

peut rappeler à ce propos encore une fois le paragraphe 38 de l’avis consultatif rendu par la Cour le

8 juillet 1996, sur la Liceité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires. Enu même temps, on - 14 -

ne saurait exclure que, parfois, un génocide puisse être commis par le biais d’actions ayant

l’apparence d’actions militaires.

28. Or, à l’évidence, une action militaire constituant un acte de génocide doit être distinguée

de toute autre action militaire essentiellement sur la base de l’existence d’une intention génocidaire.

Mais il est difficile d’admettre que cet élément psychologique puisse être suffisamment prouvé par

voie de présomption, voire en s’appuyant aux circonstances particulières à chaque espèce et encore

moins que de telles présomptions puissent être fondées sur les effets de l’action entreprise.

29. L’intention de l’OTAN était d’emmener les dirigeants de la RFY à mettre fin à une série

ample et coordonnée d’actions portant, selon l’opinion commune de la communauté internationale

tout entière, une atteinte grave à l’intégrité physique et morale du groupe ethnique albanais au

Kosovo, et donc à un véritable génocide. On ne saurait absolument pas assimiler une telle intention

à l’intention de détruire physiquement ou moralement un groupe en tout ou en partie, telle que

visée par l’article II de la convention.

30. Contrairement à ce que les conseils de la Serbie et Monténégro nous ont dit hier, les

Gouvernements des Etats membres de l’OTAN n’avaient guère l’intention d’intimider ou de

contraindre les dirigeants d’un Etat tiers tel que la RFY. En effet, comme nous l’avons déjà
o
plusieurs fois remarqué (voir le mémoire italien du 3 juillet 2000, exception préliminaire n III,

par. D, p. 46 et suiv.), les déclarations des chefs d’Etat de l’OTAN et du Secrétaire général de

l’Organisation qu’on a lues hier matin doivent être avant tout recontextualisées et au bout de cette

opération, si elle est menée de bonne foi, il résultera bien clairement que leur intention était

uniquement d’éviter une catastrophe humanitaire au Kosovo.

31. Mais tout en admettant, ce qui n’est pas le cas, que l’action militaire de l’OTAN ait eu

pour but l’intimidation du groupe dirigeant de la RFY, on ne pourrait jamais accepter l’idée,

avancée par le professeur Brownlie, que des actes de génocide puissent être dirigés contre un

groupe qui est une communauté nationale tout entière, lorsqu’on sait bien que la notion même de

génocide a été élaborée pour interdire à tout Etat territorial l’anéantissement d’un «groupe national,

ethnique, racial, ou religieux» minoritaire à son intérieur (voir le mémoire italien du 3 juillet 2000,

o
exception préliminaire n III, par. C). - 15 -

32. A ce propos, on ne pourrait non plus suivre le développement logique proposé par le

professeur Brownlie qui, du fait que la notion de groupe n’est pas bien arrêtée, infère la conclusion

que ce mot puisse indiquer la population d’un Etat tout entier, pour lui assurer une protection

spéciale, dont le fondement devrait être établi, contre un autre Etat ou d’autres Etats. Même sous

cet angle il faut donc conclure que la Cour n’a pas de compétence ratione materiae par rapport à

l’article IX de la convention sur le génocide.

Irrecevabilité des conclusions de la Serbie et Monténégro dans leur ensemble par rapport
à l’existence d’une contradiction à laquelle ne sont pas parties tous les Etats de l’OTAN
qui ont participé à l’action militaire objet de la procédure

33. Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges de la Cour, ni l’agent ni les

conseils de la Serbie et Monténégro n’ont exhaustivement répondu à l’exception par laquelle

l’Italie se plaignait qu’une éventuelle décision déclarant l’illicéité de l’action militaire entreprise

par l’OTAN se refléterait inévitablement sur la position juridique de plusieurs autres Etats qui ne

sont pas parties à la présente procédure et affecterait irréparablement leurs droits (voir le mémoire

italien du 3 juillet 2000, exception préliminaire noIV, par. B).

34. En réalité, la jurisprudence citée par M. Djerić, aux paragraphes 1 et suivants de son

exposé, touche des situations qui ont peu à voir avec l’objet de cette procédure. Alors que, dans les

affaires de l’Or monétaire, Nauru et du Timor oriental¸ la Cour a voulu éviter de se prononcer sur

la responsabilité d’un Etat qui n’était pas partie à l’instance, puisque cette responsabilité constituait

une pré-condition pour la détermination de la situation faisant l’objet de la requête, dans la présente

affaire il s’agit pour la Cour de se prononcer sur l’illicéité de certaines actions que l’Etat requérant

même rattache à une sorte de responsabilité collective des Etats membres de l’OTAN, dont

seulement huit participent aux présentes affaires. Cette conclusion est confirmée par l’attitude que

la Serbie et Monténégro a adoptée en répondant à l’exception soulevée par certains des Etats

défendeurs en ce qui concerne le fait de n’avoir aucunement spécifié quelles étaient les actions

qu’elle attribuait à chacun d’eux.

35. En insistant à soutenir qu’il ne lui incombait pas d’être plus précise à cet égard et en

essayant de renverser sur les défendeurs la charge de la preuve de n’avoir pas participé à des

actions spécifiques (par. 33), la Serbie et Monténégro montre qu’elle considère tous les Etats - 16 -

membres de l’OTAN responsables, sans distinction, de l’action «Allied Force» et qu’en effet elle

demande à la Cour un arrêt au fond qui, de façon inévitable, préjugerait la licéité des

comportements tenus par des Etats qui sont restés au-dehors de cette procédure. De ce chef, l’Italie

demande à la Cour de prononcer l’irrecevabilité de la requête de la Serbie et Monténégro.

36. Monsieur le président, la réplique de l’Italie est ainsi conclue et je vous prie donc de bien

vouloir donner la parole à l’agent du Gouvernement italien pour les conclusions. Madame et

Messieurs les juges, je vous remercie de m’avoir accordé votre attention.

The PRESIDENT : Thank you, Professor Sico. I now give the floor to Mr. Ivo Braguglia,

Agent of Italy.

M. BRAGUGLIA : Merci, Monsieur le président. Ma tâche est seulement celle de lire les

conclusions du Gouvernement italien.

Conclusions

37. Pour les raisons indiquées dans les exceptions préliminaires et dans l’exposé oral, le

Gouvernement italien conclut comme suit : veuille la Cour dire et juger,

A titre principal :

I. il n’y a pas lieu à statuer sur la requête déposée au Greffe de la Cour le 29 avril 1999 par la

Serbie et Monténégro contre la République italienne pour «violation of the obligation not to use

force», telle que complétée par le «Memorial» déposé le 5 janvier 2000, étant donné qu’il n’y a

plus de différend entre la Serbie et Monténégro et la République italienne ou que l’objet du

différend a disparu.

A titre subsidiaire :

II. la Cour n’a pas de compétence ratione personarum pour juger de la présente affaire, du

moment que la Serbie et Monténégro n’était pas partie au Statut au moment du dépôt de la

requête, ni ne se considère partie à un «traité en vigueur», ayant pour effet de conférer la

compétence à la Cour, aux termes de l’article 35, paragraphe 2, du Statut;

III. la Cour n’a pas de compétence ratione materiae pour juger de la présente affaire, dès lors que

la Serbie et Monténégro ne se considère pas liée par l’article IX de la convention, à propos - 17 -

duquel elle a formulé une réserve au moment de sa notification d’adhésion en mars 2001 et

que, en tout état de cause, le différend qui résulte de la requête introductive, telle que complétée

par le «Memorial», n’est pas un différend relatif «à l’interprétation, l’application ou

l’exécution» de la convention sur le génocide, aux termes de l’article IX;

IV. la requête de la Serbie et Monténégro, telle que complétée par le «Memorial», est irrecevable

dans sa totalité, dès lors que par celle-ci la Serbie et Monténégro cherche à obtenir de la Cour

une décision concernant la licéité de l’action menée par des sujets de droit international qui

n’étaient pas présents à l’instance ou qui n’y étaient pas tous présents;

V. la requête de la Serbie et Monténégro est irrecevable en ce qui concerne le onzième chef des

conclusions, mentionné pour la première fois dans le «Memorial», dès lors que par celui-ci la

Serbie et Monténégro vise à introduire un différend tout à fait autre que le différend originaire

résultant de la requête.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les juges, je vous remercie beaucoup de votre

attention.

The PRESIDENT: Thank you, Mr. Braguglia. The Court takes note of the final submissions

that you have now read on behalf of Italy and this brings to an end the second round of oral

argument by Italy and to this afternoon’s sitting. The Court will meet again tomorrow at 3 p.m. to

hear the second round of oral argument of Serbia and Montenegro. Thank you.

The Court is adjourned.

The Court rose at 5.05 p.m.

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Audience publique tenue le jeudi 22 avril 2004, à 16 h 40, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Shi, président

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