Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal) - Demande en indication de mesures conservatoires - La Cour dit que les circonstances, telles qu'elles se présentent

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15143
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2009/22
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org

Communiqué de presse
Non officiel

o
N 2009/22
Le 28 mai 2009

Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal)

Demande en indication de mesures conservatoires

La Cour dit que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à elle,

ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer
des mesures conservatoires

LA HAYE, le 28 mai 2009. La Cour interna tionale de Justice (CIJ), organe judiciaire

principal des Nations Unies, a rendu aujourd’hu i sa décision sur la demande en indication de
mesures conservatoires présentée par la Belgique en l’affaire relative à des Questions concernant
l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal).

Dans son ordonnance, la Cour dit, par treize voix contre une, que «les circonstances, telles

qu’elles se présentent actuellement à [elle], ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir
d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut».

Historique de la procédure

Pour consulter l’historique de la procédur e, il convient de se reporter au communiqué de
presse 2009/21 du 22 mai 2009.

Raisonnement de la Cour

Compétence prima facie

La Cour commence par rappeler qu’en présen ce d’une demande en indication de mesures
conservatoires, elle n’est pas tenue, avant dedécider d’indiquer ou non de telles mesures, de
s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de l’affaire, mais qu’il lui suffit

de s’assurer que les dispositions invoquées par le demandeur semblent primafacie constituer une
base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée.

⎯ Différend

La Cour note que tant la Belgique que le Sé négal sont parties à lconvention contre la
torture, sur l’article 30 de laquelle le demandeur fonde la compétence de la Cour. Considérant que
la première condition exigée pour que la compétence de la Cour puisse être établie sur cette base
est l’existence d’un «différend entre deux ou pludes Etats parties concernant l’interprétation ou
l’application de la présente convention», il appartient d’abord à la Cour, au stade actuel de la

procédure, d’établir si, prima facie, un tel différend existait à la date du dépôt de la requête. - 2 -

La Cour relève que, suite à l’arrêt de la c our d’appel de Dakar metta nt fin à la procédure
d’extradition de M. Habré vers la Belgique, le Sénégal a saisi l’Union africaine et en a informé la

Belgique. Celle-ci a alors indiqué qu’en déférant une question relevant de la convention contre la
torture à une organisation internationale le Sénégal ne remplissait p as ses obligations au regard de
cette convention. La Belgique a en outre soute nu que le Sénégal ne remplissait pas ses obligations
en vertu de la convention contre la torture en omettant de poursuivre M.Habré, à défaut de

l’extrader vers la Belgique, pour répondre des faits de torture qui lui sont imputés, tandis que le
Sénégal a estimé avoir pris des mesures pour s’acquitt er desdites obligations et qu’il a réaffirmé sa
volonté de continuer le processus en cours par lequel il entend assumer intégralement ses
obligations d’Etat partie à la convention contre la torture. Au vu de ce qui précède, la Cour estime

qu’il apparaît primafacie qu’un différend sur l’interprétation et l’application de la convention
opposait les Parties à la date du dépôt de la requête.

La Cour se penche ensuite sur la question de savoir si la requête n’a pas été ultérieurement

privée d’objet par la disparition du différend qui existait au moment du dépôt, compte tenu du fait,
notamment, qu’au cours des audiences le Sénéga l a reconnu qu’un Etat partie à la convention
contre la torture ne pouvait pas s’acquitter des oblig ations en vertu de la dite convention par le
simple fait de saisir une organisation internationale . La Cour constate néanmoins que les Parties

semblent continuer de s’opposer sur d’autres qu estions d’interprétation ou d’application de la
convention contre la torture, telles que celle du délai dans lequel les obligations doivent être
remplies ou celle des circonstances (difficultés financières, juridiques ou autres) qui seraient

pertinentes pour apprécier s’il y a eu ou non man quement auxdites obligations. Elle note par
ailleurs que les vues des Parties continuent apparemme nt de diverger sur la façon dont le Sénégal
devrait s’acquitter de ses obligatio ns conventionnelles. En consé quence il appert, selon la Cour,
que, prima facie, un différend demeure entre les Parties, même si sa portée a pu évoluer depuis le

dépôt de la requête.

⎯ Conditions procédurales

La Cour rappelle par ailleurs que l’article30 de la conventi on contre la torture exige en
premier lieu que le différend soumis à la Cour soit de ceux «qui ne peu[vent] être réglé[s] par voie
de négociation». Elle estime qu’au stade de l’examen de sa compétence prima facie il suffit à la
Cour de constater que la Belgique a tenté de négocier. La Cour est d’avis que la correspondance

diplomatique montre que la Belgique a tenté de résoudre le différend concerné par voie de
négociation et que les négociations ainsi proposées ne sauraient être réputées avoir résolu ce
différend.

La Cour note que la convention prévoit en deuxième lieu qu’un différend entre Etats parties
qui n’aurait pas été réglé par voie de négociation devra être soumis à l’arbitrage à la demande de
l’un d’entre eux, et que la Cour ne pourra en être saisie que si les Parties ne parviennent pas à se
mettre d’accord sur l’organisation de cet arbitrage dans les six mois à compter de la date à laquelle

il aura été demandé. La Cour est d’avis que la note verbale de la Belgique du 20 juin 2006 contient
une offre explicite au Sénégal pour régler le cas de M.Habré par voie d’arbitrage. La Cour fait
observer que, même à supposer que cette note verb ale ne soit jamais parvenue au gouvernement
sénégalais, une note verbale belge ultérieure, du 8mai2007, s’y réfère explicitement et qu’il est

avéré que celle-ci a bien été reçue par le Sénégal plus de six mois avant la date de la saisine de la
Cour.

La Cour conclut de ce qui précède qu’elle a compétence prima facie en vertu de l’article 30

de la convention contre la torture pour connaître de l’affaire, ce qu’elle considère être suffisant
pour pouvoir indiquer les mesures conservatoires dema ndées par la Belgique si les circonstances
l’exigent. La Cour estime dès lors qu’elle n’a p as, à ce stade, à recherch er si la seconde base de
compétence invoquée par la Belgique, à savoir les déclarations faites par les Parties en vertu du

paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, pourraient également fonder prima facie la compétence de la
Cour. - 3 -

Lien entre droit protégé et mesures demandées

La Cour rappelle que le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’elle tient de
l’article41 de son Statut a pour objet de sauvegarder le droit de chacune des parties en attendant
qu’elle rende sa décision.

La Cour relève que les mesures conservatoires demandées en l’espèce tendent à garantir que
le Sénégal prendra toutes les mesures en son pouvoir pour que M. Habré reste sous le contrôle et la
surveillance des autorités sénégalaises jusqu’à ce que la Cour a it rendu sa décision définitive. Elle
observe que le départ éventuel de M. Habré du te rritoire sénégalais serait susceptible d’affecter les

droits que la Belgique pourrait se voir reconnaître au fond.

Au demeurant, et bien qu’elle n’ait pas, au stade actuel, à établir de façon définitive
l’existence des droits revendiqués par la Belgique, ni à examiner la qualité de la Belgique à les faire

valoir, la Cour note que ces droits reposent sur une interprétation possible de la convention contre
la torture et apparaissent dès lors plausibles.

La Cour conclut de ce qui précède que les m esures conservatoires sollicitées peuvent, de ce

point de vue aussi, être indiquées si les circonstances l’exigent.

Risque de préjudice irréparable et urgence

La Cour rappelle en outre que son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires ne sera
exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il exis te un risque réel et imminent qu’un préjudice
irréparable soit causé aux droits en litige avant qu’elle n’ait rendu sa décision définitive.

La Cour observe que la Belgique se réfè re à des entretiens récents donnés par le
présidentsénégalais, M. Abdoulaye Wade, à Radio France Internationale , au journal espagnol
Público, au journal français La Croix , ainsi qu’à l’agence France-Presse, au cours desquels il a
notamment indiqué qu’il ne comptait pas garder indéfiniment M.Habré au Sénégal si le

financement nécessaire à l’organisation de son procès n’était pas assuré par la communauté
internationale. Selon la Belg ique le Sénégal pourrait donc mettr e fin à la mise en résidence
surveillée de M. Habré.

La Cour note que, selon le Sénégal, la déclaration du président Wade à
Radio France Internationale, dont se prévaut la Belgique pour demander des mesures
conservatoires, a été extraite de son contexte et «s’est vu attribuer…un sens qu’elle n’avait

évidemment pas». Elle note également que le Sénégal a assuré à plusieurs reprises qu’il
n’envisageait pas de mettre fin à la surveillance et au contrôle exercés sur la personne de M. Habré,
tant avant qu’après l’obtention des fonds prom is par la communauté internationale pour
l’organisation de la procédure judiciaire. La Cour relève en particulier que le coagent du Sénégal a

solennellement déclaré, en réponse à une questio n posée par un membre de la Cour, que son
gouvernement «ne permettra[it] pas à M.Habré de quitter le Sénégal aussi longtemps que la
présente affaire sera[it] pendante devant la Cour».

La Cour relève aussi que le coagent de la Belgique a affirmé à l’audience, en réponse à la
même question posée par un membre de la Cour, qu ’une déclaration solennelle «claire et sans
condition» faite par l’agent du Sé négal au nom de son gouvernemen t pourrait suffire à la Belgique
pour considérer que sa demande en indication de mesures conservatoires n’aurait plus d’objet. - 4 -

Conclusion

Prenant acte des assurances données par le Sénéga l, la Cour constate que le risque de
préjudice irréparable aux droits revendiqués par la Be lgique n’est pas apparent à la date à laquelle
la présente ordonnance est rendue, et conclut qu’i l n’existe, dans les circonstances de l’espèce,

aucune urgence justifiant l’indication de mesures conservatoires par la Cour.

Ayant rejeté la demande en indication de m esures conservatoires de la Belgique, la Cour
souligne que la présente décision ne préjuge en rien la question de sa compétence pour connaître du

fond de l’affaire, ni aucune question relative à larecevabilité de la requête ou au fond lui-même.
Elle ajoute que cette décision laisse intacte le droit de la Belgique de présenter à l’avenir une
nouvelle demande en indication de mesures conservatoires, fondée sur des faits nouveaux.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme sui:t MO . wada, président ; MM. Shi, Koroma,
Al-Khasawneh, Simma, Abraham, Sepúlveda-Amo r, Bennouna, Skotnikov, CançadoTrindade,

Yusuf, Greenwood, juges ; MM. Sur, Kirsch, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

MM. les juges Koroma et Yusuf ont join t à l’ordonnance une déclaration commune.
MM.les juges Al-Khasawneh et Skotnikov ont joint à l’ordonnance l’exposé de leur opinion

individuelle commune. M. le juge Cançado Tr indade a joint à l’ordonnance l’exposé de son
opinion dissidente. M. le juge ad hoc Sur a joint l’exposé de son opinion individuelle à
l’ordonnance.

*

Un résumé de l’ordonnance figure dans le document intitulé «Résumé n° 2009/3». Le
présent communiqué de presse, le résumé de l’ordonna nce, ainsi que le texte intégral de celle-ci

sont disponibles sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».

___________

Département de l’information :

M. Andreї Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)

MM. Boris Heim et Maxime Schouppe, attachés d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Barbara Dalsbaek, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

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