Licéité de l'emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Allemagne) - Exceptions préliminaires - La Cour dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la Serbie-et-Monténégr

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108-20041215-PRE-01-00-EN
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2004/42
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COURINTERNATIONALE DEJUSTICE
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Communiqué depresse

Non officiel

N° 2004/42

Le 15 décembre2004

Licéitéde l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégroc. Allemagne)
Exceptions préliminaires

La Cour dit qu'elle n'a pas compétencepour connaître des

demandes formuléespar la Serbie-et-Monténégro

LA HAYE, le 15 décembre2004. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l'Organisation des Nationss, a conclu ce jour qu'elle n'avait pas compétencepour
connaître des demandes formuléespara Serbie-et-Monténégrocontre l'Allemagne dans sa requête
déposée le 29 avril 1999. La décisionde la Cour priseàl'unanimité.

Historique du différend

Le 29 avril1999, la République fédérale de Yougoslavie (devenue à compter du
4 février003 la «Serbie-et-Monténégro»)a déposéune requêteintroductive d'instance contre
1'Allemagne au sujet'un différendconcernant des actes que 1'Allemagne aurait commis

«en violation de son obligation internationale de ne pas recourir à l'emploi de la force
contre un autre Etat, l'obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures
d'un autre Etat, de l'obligation de ne pas porter atteinte à la souverainetéd'un autre
Etat, de l'obligation de protégerles populations civiles et les biens de caractère civil
en temps de guerre, de l'obligation de protéger l'environnement, de l'obligation
touchantà la libertéde navigation sur les cours d'eau internationaux, de l'obligation

concernant les droits et libertésfondamentaux de la personne humaine,bligation
de ne pas utiliser des armes interdites, de l'obligationde ne pas soumettre
intentionnellement un groupe nationales conditions d'existence devant entraîner sa
destructionhysique».

La requêteinvoquait comme base de compétencede la Cour l'article IX de la convention pour la

prévention et la répression du crime de génocide, adoptée par 1'Assemblée généraledes
Nations Unies le 9 décembre1948 («convention sur le génocide»). Le mêmejour, dans le cadre
d'autres différendsayant leur origine dans les mêmesfaits, la Républiquefédéraleoslavie
a déposédes requêtesintroductives d'instance, rédigéespour l'essentiel en termes similaires, contre
la Belgique, le Canada, l'Espagne, lests-Unis d'Amérique,la France, l'Italie, les Pays-Bas, le
Portugal et leyaume-Uni.

Par ordonnances datées du 2juin 1999, la Cour a rejeté les demandes en indication de
mesures conservatoires présentéesdans chacune des dix affaires, dontésente,et a également
décidéde rayer du rôle les affaires introduites contre l'Espagne et lesnis d'Amériqueau
motif qu'elle n'avait manifestementpas compétence. -2-

Le 5juillet 2000, l'Allemagne a présenté des exceptions préliminaires portant sur la

compétence de la Cour pour connaître de 1'affaire et sur la recevabilité de la requête. En
conséquence,la procéduresur le fond a étésuspendue. Des audiences, portant sur ces exceptions
ainsi que celles soulevéespar les sept autres défendeurs,ont ététenues du 19 au 23 avril 2004.

Raisonnement de la Cour

La Cour examine tout d'abord une question préliminaire qui a étésoulevée sous diverses
formes dans chacune des huit affaires relativesà la Licéitéde l'emploi de la force, dont la présente,

en l'occurrence la question de savoir si, à la suite du changement d'attitude du demandeur en ce qui
concerne la compétencede la Cour, exprimédans ses observations sur les exceptions préliminaires
du défendeur,la Cour ne devrait pas simplement se dessaisir de l'affaire in limine litis et la rayer de
son rôle, sans aller plus avant dans 1'examen des questions de compétence.

La Cour n'est pas en mesure de faire droit aux diverses assertions des Etats défendeurs à ce
sujet. Elle estime ne pas pouvoir considérerles observations de la Serbie-et-Monténégrocomme
ayant pour effet juridique un désistementet conclut que la présenteespècene relève pas de celles

dans lesquelles elle peut, de sa propre initiative, mettre un terme à la procédure. S'agissant de
l'argument avancépar certains défendeursselon lequel le différendrelatif à la compétenceaurait
disparu au motif que les Parties s'accordent désormaisà reconnaître que le demandeur n'étaitpas
partie au Statut au moment considéré, la Cour souligne que, dans ses conclusions, la

Serbie-et-Monténégrolui a expressémentdemandé de se prononcer sur sa compétence. Elle note
qu'il y a de toute manière lieu d'établirune distinction entre une question de compétenceliéeau
consentement d'une partie et celle du droit d'une partieà ester devant la Cour, qui est indépendante
des vues ou des souhaits des Parties. Quant à l'argument selon lequel le différendau fond aurait

disparu, la Cour fait observer qu'il est clair que la Serbie-et-Monténégro'a aucunement renoncé à
ses prétentions au fond. De fait, celles-ci ont étéabondamment exposées et développéesen
substance au cours de la procédureorale sur la compétence,à propos de la compétencede la Cour
au titre de l'article IX de la convention sur le génocide. Il est tout aussi clair que lesdites

prétentions sont vigoureusement rejetées par les défendeurs. La Cour ne peut donc dire que la
Serbie-et-Monténégroait renoncé à 1'un quelconque de ses droits au fond ou de ses droits
procéduraux, ni qu'elle ait adopté pour position que le différend entre les Parties aurait cessé
d'exister. Pour tous ces motifs, la Cour estime qu'elle ne peut rayer du rôle les affaires relativàs

la Licéitéde l'emploi de la force, ni prendre une décision qui mettrait fin à ces affaires
in limine litis, et que, au stade actuel des procédures, elle doit examiner la question de sa
compétencepour connaître de 1'affaire.

La Cour observe que la question de savoir si la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie au
Statut de la Cour à l'époque de l'introduction des présentes instances est une question
fondamentale; en effet, si la Serbie-et-Monténégron'avait pas étépartie au Statut, la Cour ne lui
aurait pas étéouverte. Aussi cette dernièredoit-elle tout d'abord examiner la question de savoir si

le demandeur remplit les conditions énoncéesaux articles 34 et 35 du Statut, avant d'examiner
celles relatives aux conditions énoncéesà l'article 36 du Statut.

La Cour relèvequ'il ne fait aucun doute que la Serbie-et-Monténégroest un Etat aux fins du

paragraphe 1 de l'article 34 du Statut. Cependant, certains défendeursont affirméque, au moment
où elle a déposésa requête,la Serbie-et-Monténégrone remplissait pas les conditions posées à
l'article 35 du Statut. La Cour rappelle que l'Allemagne a soutenu, à titre de première exception
préliminaire à la compétence de la Cour, que celle-ci n'est pas ouverte au demandeur. Elle a

estiménotamment que : «[l]a RFY ne remplit ... pas les conditions posées par l'article 93 de la
Charte et par l'article5 du Statut. N'étantpas membre des Nations Unies, elle n'est pas partie au
Statut» (exceptions préliminairesde l'Allemagne, p. 26, par. 3.1.) et a conclu que: «[a]fin de jouir
d'un droit véritabled'ester devant la Cour ratione personae, comme le demande la RFY, un Etat

doit êtreMembre des Nations Unies» (ibid., p. 38, par. 3.25). - 3 -

La Cour relate d'abord la suite des événementsqui ont trait au statut juridique du demandeur
vis-à-visde l'Organisation des Nations Unies. Elle se réfèrenotamment aux élémentssuivants:
l'éclatement de la République fédérativesocialiste de Yougoslavie dans la périodeallant de 1991
à 1992; la déclarationdu 27 avril 1992 de 1'Assembléede la RFSY, de 1'Assembléenationale de la

République de Serbie et de 1'Assemblée de la République du Monténégro proclamant la
continuation par la Républiquefédérale de Yougoslavie de la personnalitéjuridique et politique de
la RFSY; une note du même jour adressée par la Yougoslavie au Secrétaire généralde
l'Organisation des Nations Unies affirmant que la RFY assurait la continuité de la qualité de

Membre de la RFSY au sein de l'Organisation; la résolution777 (1992) du Conseil de sécuritédans
laquelle celui-ci a estiméque la RFY ne pouvait assurer automatiquement la continuité de la qualité
de Membre de la RFSY; la résolution47/1 (1992) de l'Assembléegénéraleprécisantque la RFY ne
participerait pas aux travauxde l'Assembléegénérale;enfin, la lettre datéedu 29 septembre 1992

du conseiller juridique de l'Organisation concernant les «conséquences pratiques» de l'adoption
par l'Assembléegénérale de la résolution47/1. La Cour conclut ensuite que la situation juridique
ayant prévaluaux Nations Unies pendant la périodecomprise entre 1992 et 2000 à l'égarddu statut

de la Républiquefédéralede Yougoslavie après1'éclatementde la Républiquefédérativesocialiste
de Yougoslavie étaitdemeuréeambiguë et ouverte à des appréciationsdivergentes, ce qui découlait
notamment de l'absence d'une décision faisant autoritépar laquelle les organes compétents de
l'Organisation des Nations Unies auraient défini de manière claire le statut juridique de la

Républiquefédérale de Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation. La Cour passe ensuite en revue
les diverses positions adoptéesà cet égardau seinde l'Organisation des Nations Unies.

Dans ce contexte, la Cour observe que, dans son arrêtdu 3 février 2003 en l'affaire de la

Demande en revision de 1'arrêtdu 11 juillet 1996 en 1'affaire relative à 1'Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires (Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine), elle a évoquéla
situation «sui generis» où la RFY s'étaittrouvée«dans la périodecomprise entre 1992 et 2000»;

dans cette affaire, aucune conclusion finale et définitivene fut toutefois tiréepar la Cour de cette
formule utilisée pour décrire le statut juridique indéterminéde la République fédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de 1'Organisation des Nations Unies, ou au sein de celle-ci, pendant ladite
période. La Cour considère qu'une nouvelle évolutiona mis un terme à cette situation en 2000:

après avoir demandé le 27 octobre de cette année-là à devenir membre de l'Organisation des
Nations Unies, la République fédéralede Yougoslavie y fut admise le 1ernovembre par la
résolution55/12 de 1'Assembléegénérale.La Serbie-et-Monténégroa donc le statut de Membre de

l'Organisation des Nations Unies depuis le 1ernovembre 2000. Toutefois, son admission au sein de
l'Organisation des Nations Unies n'a pas remontéet n'a pu remonter à l'époquede l'éclatementet
de la disparitionde la République fédérativesocialiste de Yougoslavie. Il est apparu clairement
que la situation sui generis du demandeur ne pouvait êtreregardéecomme équivalantà la qualité de

Membre de l'Organisation.

De l'avis de la Cour, l'importancede cette évolutionsurvenue en 2000 tient au fait qu'elle a
clarifiéla situation juridique, jusque-là indéterminée,quant au statut de la Républiquefédéralede

Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. La Cour se trouvant aujourd'hui à
même d'apprécier l'ensemble de la situation juridique, et compte tenu des conséquences
juridiques du nouvel état de fait existant depuis le 1ernovembre 2000, elle conclut que la
Serbie-et-Monténégro,au moment où elle a déposésa requêteintroduisant la présente instance

devant la Cour, le 29 avril1999, n'étaitpas membre de l'Organisation des Nations Unies, ni en
cette qualitépartie au Statut de la Cour internationale de Justice. Par voie de conséquence, le
demandeur n'étantpas devenu partie au Statut sur une quelconque autre base, la Cour ne lui était
pas ouverte sur la base du paragraphe 1 de l'article du Statut.

La Cour examine ensuite la question de savoir si elle pouvait être ouverte à la
Serbie-et-Monténégroen vertu du paragraphe 2 de l'article 35, lequel dispose: -4-

«Les conditions auxquelles [la Cour] est ouverte aux autres Etats [à savoir les

Etats non parties au Statut] sont, sous réserve des dispositions particulières des traités
en vigueur, réglées par le Conseil de sécurité,et, dans tous les cas, sans qu'il puisse en
résulterpour les parties aucune inégalitédevant la Cour.»

La Cour commence par relever que l'expression «traités en vigueur» contenue dans ce
paragraphe, dans son sens naturel et ordinaire, ne fournit pas d'indication quant à la date à laquelle
les traités visés doivent êtren vigueur. On peut l'interpréter comme visant les traités qui étaient
en vigueur à la date à laquelle le Statut lui-mêmeétaitentréen vigueur, ou comme visant les traités

qui étaient en vigueur à la date de l'introduction de l'instance dans une affaire où ces traités sont
invoqués.

La Cour souligne que le paragraphe 2 de 1'article 35 vise à réglementer les conditions
d'accès à la Cour pour les Etats qui ne sont pas parties au Statut. Il aurait étéincompatible avec

1'objet essentiel du texte que de permettre que des Etats non parties au Statut puissent avoir accès
la Cour par la simple conclusion d'un traité spécial, multilatéral ou bilatéral, contenant une
disposition à cet effet. La Cour considère que l'interprétation selon laquelle le paragraphe 2 de
l'article 35 se réfèreaux traitésen vigueur à la date de l'entrée en vigueur du Statut est en fait

confortée par une analyse des travaux préparatoires du texte.

La Cour conclut donc que, mêmeà supposer que le demandeur ait étépartie à la convention
sur le génocide à la date pertinente, le paragraphe 2 de l'article 35 ne lui donne pas accàsla Cour

sur la base de l'article IX de cette convention puisque celle-ci n'est entrée en vigueur que le
12janvier 1951, après l'entrée en vigueur du Statut. Dès lors, la Cour n'estime pas nécessaire de
décider si, lorsque la présente instance a étéintroduite, la Serbie-et-Monténégro étaitou non partie
à la convention sur le génocide le 29 avril1999.

La Cour ayant conclu que la Serbie-et-Monténégro n'avait qualitépour ester devant la Cour,
ni en vertu du paragraphe 1, ni en vertu du paragraphe 2 de l'article 35 du Statut, elle constate qu'il
n'est pas nécessaire pour elle d'examiner les autres exceptions préliminaires à sa compétence

soulevéespar le défendeur.

La Cour rappelle enfin que, qu'elle ait ou non compétence pour connaître d'un différend,
«les parties demeurent en tout état de cause responsables des actes portant atteinte aux droits

d'autres Etats qui leur seraientmputables».

Le dispositif se lit comme suit :

«Par ces motifs,

LACOUR,

A 1'unanimité,

Dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la

Serbie-et-Monténégro dans sa requêtedéposéele 29 avril1999.»

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. SHI, président; M. RANJEV A, vice-président;
MM. GUILLAUME, KOROMA, VERESHCHETIN, Mme HIGGINS, MM. PARRA-ARANGUREN,
KOOIJMANS, REZEK, AL-KHASAWNEH, BUERGENTHAL,ELARABY, ÜWADA, TOMKA, juges;
M. KREéA,juge ad hoc; M. COUVREUR,greffier.

* - 5 -

M. le juge RANJEV A, vice-président, M. le juge GUILLAUMEM , me le juge HIGGINSet

MM. les juges KOOIJMANS,AL-KHASA WNEH, BUERGENTHALet ELARABYjoignent une
déclaration commune à l'arrêt;M. le juge KOROMAjoint une déclaration à l'arrêt;Mme le
juge HIGGINS,MM. les juges KOOIJMANS et ELARABYet M. le juge ad hoc KREéAjoignent à
l'arrêtles exposésde leur opinion individuelle.

Un résuméde l'arrêtest fourni dans le document intitulé«Résumén° 200413»,auquel sont

annexésles résumésdes déclarations et opinions qui y sont jointes. Le présentcommuniquéde
presse, le résuméde l'arrêt,ainsi que le texte intégralde celui-ci figurent égalementsur le site
Internetde la Cour sous les rubriques «Rôle» et «Décisions»(www.icj-cij.org).

Départementde l'information:

M. Arthur Witteveen, premier secrétairede la Cour (tél: + 31 70 302 2336)

Mme Laurence Blairon et M. Boris Heim, attachésd'information (tél:+ 31 70 302 2337)
Adresse électronique: [email protected]

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