Licéité de l'emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Canada) - Exceptions préliminaires - La Cour dit qu'elle n'a pas compétence pour connaître des demandes formulées par la Serbie-et-Monténégro

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106-20041215-PRE-01-00-EN
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2004/40
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COURINTERNATIONALE DEJUSTICE
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Communiqué depresse

Non officiel

N° 2004/40
Le 15 décembre2004

Licéitéde l'emploi de la force (Serbie-et-Monténégroc. Canada)
Exceptions préliminaires

La Cour dit qu'elle n'a pas compétencepour connaître des
demandes formuléespar la Serbie-et-Monténégro

LA HAYE, le 15 décembre2004. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principale l'Organisation des Nations Unies, a conclu cejour qu'elle n'avait pas compétencepour
connaître des demandes formuléespar la Serbie-et-Monténégrocontre le Canada dans sa requête
déposéele 29 avril 1999. La décisionde la Cour priseà 1'unanimité.

Historique du différend

Le 29 avril1999, la République fédérale de Yougoslavie (devenue à compter du
4 février003 la «Serbie-et-Monténégro»)a déposéune requêteintroductive d'instance contre le
Canada au sujet'un différendconcernant des actes que le Canada aurait commis

«en violation de son obligation internationale de ne pas recourir à 1'emploi de la force
contre un autre Etat, de l'obligation de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures
d'un autre Etat, de l'obligation de ne pas porter àla souveraineté d'un autre
Etat, de'obligation de protégerles populations civiles et les biens de caractère civil
en temps de guerre, de l'obligation de protéger l'environnement, de l'obligation

touchantà la libertéde navigation sur les cours d'eau internationaux, de l'obligation
concernant les droits et libertésfondamentaux de la personne humaine, de l'obligation
de ne pas utiliser des armes interdites,e l'obligation de ne pas soumettre
intentionnellement un groupe nationals conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique».

La requêteinvoquait comme base de compétence de la Cour le paragraphe 2 de l'article 36 du

Statut de la Cour ainsi que l'article IX de la convention pour la préventionet la répressiondu crime
de génocide, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre1948
(«convention sure génocide»). Le mêmejour, dans le cadre d'autres différendsayant leur origine
dans les mêmesfaits, la Républiquefédéralede Yougoslavie a déposédes requêtesintroductives
d'instance, rédigéespour 1'essentiel en termes similaires, contre 1'Allemagne, la Belgique,
l'Espagne, les Etats-Unis d'Amérique, la France, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal et le
Royaume-Uni. -2-

Par ordonnances datées du 2 juin 1999, la Cour a rejeté les demandes en indication de

mesures conservatoires présentéesdans chacune des dix affaires, dont la présente,et a également
décidéde rayer du rôle les affaires introduites contre l'Espagne et les Etats-Unis d'Amériqueau
motif qu'elle n'avait manifestement pas compétence.

Le 5 juillet 2000, le Canada a présenté des exceptions préliminaires portant sur la
compétence de la Cour pour connaître de l'affaire et sur la recevabilité de la requête. En
conséquence,la procédure sur le fond a étésuspendue. Des audiences, portant sur ces exceptions
ainsi que celles soulevéespar les sept autres défendeurs,ont ététenues du 19 au 23 avril 2004.

Raisonnement de la Cour

La Cour examine tout d'abord une question préliminaire qui a étésoulevéesous diverses

formes dans chacune des huit affaires relativesà la Licéitéde l'emploi de la force, dont la présente,
en l'occurrence la question de savoir si, à la suite du changement d'attitude du demandeur en ce qui
concerne la compétencede la Cour, exprimédans ses observations sur les exceptions préliminaires
du défendeur,la Cour ne devrait pas simplement se dessaisir de l'affaire in limine litis et la rayer de

son rôle, sans aller plus avant dans l'examen des questions de compétence.

La Cour n'est pas en mesure de faire droit aux diverses assertions des Etats défendeursà ce
sujet. Elle estime ne pas pouvoir considérerles observations de la Serbie-et-Monténégrocomme

ayant pour effet juridique un désistementet conclut que la présenteespècene relève pas de celles
dans lesquelles elle peut, de sa propre initiative, mettre un terme à la procédure. S'agissant de
l'argument avancépar certains défendeursselon lequel le différendrelatif à la compétenceaurait
disparu au motif que les Parties s'accordent désormaisà reconnaître que le demandeur n'étaitpas

partie au Statut au moment considéré, la Cour souligne que, dans ses conclusions, la
Serbie-et-Monténégrolui a expressémentdemandéde se prononcer sur sa compétence. Elle note
qu'il y a de toute manière lieu d'établirune distinction entre une question de compétenceliéeau
consentement d'une partie et celle du droit d'une partieà ester devant la Cour, qui est indépendante

des vues ou des souhaits des Parties. Quant à l'argument selon lequel le différendau fond aurait
disparu, la Cour fait observer qu'il est clair que la Serbie-et-Monténégro'a aucunement renoncé à
ses prétentions au fond. De fait, celles-ci ont étéabondamment exposées et développéesen
substance au cours de la procédureorale sur la compétence, à propos de la compétencede la Cour

au titre de l'article IX de la convention sur le génocide. Il est tout aussi clair que lesdites
prétentions sont vigoureusement rejetées par les défendeurs. La Cour ne peut donc dire que la
Serbie-et-Monténégroait renoncé à l'un quelconque de ses droits au fond ou de ses droits
procéduraux, ni qu'elle ait adoptépour position que le différend entre les Parties aurait cessé

d'exister. Pour tous ces motifs, la Cour estime qu'elle ne peut rayer du rôle les affaires relatives
la Licéitéde 1'emploi de la force, ni prendre une décisionqui mettrait fin à ces affaires in limine
litis, et que, au stade actuel des procédures,elle doit examiner la question de sa compétencepour

connaître de l'affaire.

La Cour observe que la question de savoir si la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie au
Statut de la Cour à l'époque de l'introduction des présentes instances est une question
fondamentale; en effet, si la Serbie-et-Monténégron'avait pas étépartie au Statut, la Cour ne lui

aurait pas étéouverte. Aussi cette dernièredoit-elle tout d'abord examiner la question de savoir si
le demandeur remplit les conditions énoncéesaux articles 34 et 35 du Statut, avant d'examiner
celles relatives aux conditions énoncées à l'article 36 du Statut.

La Cour relève qu'il ne fait aucun doute que la Serbie-et-Monténégroest un Etat aux fins du
paragraphe 1 de l'article 34 du Statut. Cependant, certains défendeursont affirméque, au moment
où elle a déposésa requête,la Serbie-et-Monténégrone remplissait pas les conditions posées à
l'article 35 du Statut. La Cour rappelle que le Canada a notamment soutenu, à titre de première

exception préliminaire à la compétencede la Cour : - 3-

«Le demandeur n'est pas membre de l'Organisation des Nations Unies et il
n'est donc pas partie au Statut de la Cour.» (Exceptions préliminairesdu Canada, p. 9,
par. 32.)

«Pour pouvoir saisir la Cour, le demandeur doit soit êtrepartie au Statut de la
Cour, soit demander l'application des mécanismes exceptionnels prévus au
paragraphe 2 de l'article 93 de la Charte des Nations Unies ou au paragraphe 2 de

l'article 35 du Statut. Le demandeur ne remplit aucune de ces conditions.» (Ibid.,
par. 35; les italiques sont dans l'original.)

La Cour relate d'abord la suite des événements qui ont trait au statutjuridique du demandeur
vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. Elle se réfèrenotamment aux élémentssuivants:
l'éclatement de la Républiquefédérativesocialiste de Yougoslavie dans la périodeallant de 1991
à 1992; la déclarationdu 27 avril1992 de l'Assembléede la RFSY, de l'Assembléenationale de la

République de Serbie et de 1'Assemblée de la République du Monténégroproclamant la
continuation par la Républiquefédéralede Yougoslavie de la personnalitéjuridique et politique de
la RFSY; la note du même jouradresséepar la Yougoslavie au Secrétaire généra dle 1'Organisation
des Nations Unies affirmant que la RFY assurait la continuitéde la qualitéde Membre de la RFSY
au sein de l'Organisation; la résolution777 (1992) du Conseil de sécuritédans laquelle celui-ci a
estiméque la RFY ne pouvait assurer automatiquement la continuitéde la qualitéde Membre de la
RFSY; la résolution 47/1 (1992) de l'Assembléegénérale précisantque la RFY ne participerait pas

aux travaux de l'Assembléegénérale;enfin, la lettre datéedu 29 septembre 1992 du conseiller
juridique de l'Organisation concernant les «conséquencespratiques» de l'adoptionpar l'Assemblée
générale de la résolution4711. La Cour conclut ensuite que la situationjuridique ayantprévaluaux
Nations Unies pendant la périodecomprise entre 1992 et 2000 à l'égarddu statut de la République
fédérale de Yougoslavie aprèsl'éclatementde la Républiquefédérativesocialiste de Yougoslavie
étaitdemeuréeambiguë et ouverte à des appréciationsdivergentes, ce qui découlaitnotamment de
l'absence d'une décisionfaisant autoritépar laquelle les organes compétentsde l'Organisation des

Nations Unies auraient défini de manière claire le statut juridique de la Républiquefédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation. La Cour passe ensuite en revue les diverses positions
adoptéesà cet égardau sein de l'Organisation des Nations Unies.

Dans ce contexte, la Cour observe que, dans son arrêtdu 3 février 2003 en l'affaire de la
Demande en revision de l'arrêtdu 11 juillet 1996 en l'affaire relative à 1'Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine

c. Yougoslavie), exceptions préliminaires(Yougoslavie c. Bosnie-Herzégovine),elle a évoquéla
situation «sui generis» où la RFY s'étaittrouvée«dans la périodecomprise entre 1992 et 2000»;
dans cette affaire, aucune conclusion finale et définitivene fut toutefois tiréepar la Cour de cette
formule utilisée pour décrire le statut juridique indéterminéde la République fédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies, ou au sein de celle-ci, pendant ladite
période. La Cour considèrequ'une nouvelle évolutiona mis un terme à cette situation en 2000:
après avoir demandéle 27 octobre de cette année-làà devenir membre de l'Organisation des

Nations Unies, la République fédérale de Yougoslavie y fut admise le 1ernovembre par la
résolution55/12 de l'Assembléegénérale.La Serbie-et-Monténégro a donc le statute Membre de
l'Organisation des Nations Unies depuis le 1ernovembre 2000. Toutefois, son admission au sein de
l'Organisation des Nations Unies n'a pas remontéet n'a pu remonter à l'époquede l'éclatementet
de la disparition de la Républiquefédérativesocialiste de Yougoslavie. TIest apparu clairement
que la situation sui generisdu demandeurne pouvait être regardéc eommeéquivalantà la qualitéde
Membre de l'Organisation.

De l'avis de la Cour, l'importance de cette évolutionsurvenue en 2000 tient au fait qu'elle a
clarifiéla situation juridique, jusque-là indéterminée, uant au statut la Républiquefédéralede
Yougoslavie vis-à-vis de l'Organisation des Nations Unies. La Cour se trouvant aujourd'hui à
même d'apprécier l'ensemble de la situation juridique, et compte tenu des conséquences
juridiques du nouvel état de fait existant depuis le 1ernovembre 2000, elle conclut que la -4-

Serbie-et-Monténégro,au moment où elle a déposésa requêteintroduisant la présente instance

devant la Cour, le 29 avril1999, n'étaitpas membre de l'Organisation des Nations Unies, ni en
cette qualitépartie au Statut de la Cour internationale de Justice. Par voie de conséquence, le
demandeur n'étantpas devenu partie au Statut sur une quelconque autre base, la Cour ne lui était
pas ouverte sur la base du paragraphe 1 de l'article 35 du Statut.

La Cour examine ensuite la question de savoir si elle pouvait être ouverte à la
Serbie-et-Monténégroen vertu du paragraphe 2 de l'article 35, lequel dispose :

«Les conditions auxquelles [la Cour] est ouverte aux autres Etats [à savoir les
Etats non parties au Statut] sont, sous réservedes dispositions particulières des traités
en vigueur, régléespar le Conseil de sécurité,et, dans tous les cas, sans qu'il puisse en
résulterpour les parties aucune inégalitédevant la Cour.»

La Cour commence par relever que 1'expression «traités en vigueur» contenue dans ce
paragraphe, dans son sens naturel et ordinaire, ne fournit pas d'indication quant à la date à laquelle
les traitésvisésdoivent êtreen vigueur. On peut l'interprétercomme visant les traitésqui étaient

en vigueur à la date à laquelle le Statut lui-mêmeétaitentréen vigueur, ou comme visant les traités
qui étaienten vigueur à la date de l'introduction de l'instance dans une affaire où ces traitéssont
invoqués.

La Cour souligne que le paragraphe 2 de 1'article 35 vise à réglementer les conditions
d'accès à la Cour pour les Etats qui ne sont pas parties au Statut. Il aurait étéincompatible avec
1'objet essentiel du texte quede permettre que des Etats non parties au Statut puissent avoir accèsà

la Cour par la simple conclusion d'un traité spécial, multilatéral ou bilatéral, contenant une
disposition à cet effet. La Cour considère que 1'interprétationselon laquelle le paragraphe 2 de
l'article35 se réfèreaux traités en vigueur à la date de l'entréeen vigueur du Statut est en fait
confortéepar une analyse des travaux préparatoiresdu texte.

La Cour conclut donc que, même à supposer que le demandeur ait étépartie à la convention
sur le génocide à la date pertinente, le paragraphe 2 de l'article 35 ne lui donne pas accèsà la Cour
sur la base de l'article IX de cette convention puisque celle-ci n'est entrée en vigueur que le

12janvier 1951, après l'entréeen vigueur du Statut. Dès lors, la Cour n'estime pas nécessairede
décidersi, lorsque la présenteinstance a étéintroduite, la Serbie-et-Monténégroétaitou non partie
à la convention sur le génocidele 29 avril1999.

La Cour ayant conclu que la Serbie-et-Monténégron'avait qualitépour ester devant la Cour,
ni en vertu du paragraphe 1,ni en vertu du paragraphe 2 de l'article 35 du Statut, elle constate qu'il
n'est pas nécessaire pour elle d'examiner les autres exceptions préliminaires à sa compétence
soulevéespar le défendeur.

La Cour rappelle enfin que, qu'elle ait ou non compétencepour connaître d'un différend,
«les parties demeurent en tout état de cause responsables des actes portant atteinte aux droits
d'autres Etats qui leur seraientimputables».

Le dispositif se lit comme suit :

«Par ces motifs,

LACOUR,

A 1'unanimité,

Dit qu'elle n'a pas compétencepour connaître des demandes formuléespar la
Serbie-et-Monténégrodans sa requêtedéposéele 29 avril 1999.» - 5 -

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. SHI, président; M. RANJEVA, vice-président;
MM. GUILLAUME, KOROMA, VERESHCHETIN, Mme HIGGINS, MM. PARRA-ARANGUREN,
KOOIJMANS, REZEK, AL-KHASAWNEH,BUERGENTHAL,ELARABY, ÜWADA, TOMKA, juges;
M. KREéA,juge ad hoc; M. COUVREUR,greffier.

*

M. le juge RANJEVA, vice-président, M. le juge GUILLAUME,Mme le juge HIGGINSet
MM. les juges KOOIJMANS, AL-KHASAWNEH, BUERGENTHALet ELARABY joignent une
déclaration commune à l'arrêt; M. le juge KOROMAjoint une déclaration à l'arrêt; Mme le
juge HIGGINS,MM. les juges KOOIJMANSet ELARABYet M. le juge ad hoc KREéAjoignent à

l'arrêtles exposés de leur opinion individuelle.

Un résuméde l'arrêtest fourni dans le document intitulé «Résumén° 2004/3», auquel sont
annexés les résumésdes déclarations et opinions qui y sont jointesLe présent communiqué de
presse, le résuméde l'arrêt,ainsi que le texte intégral de celui-ci figurent également sur le site
Internet de laour sous les rubriques «Rôle» et «Décisions» (www.icj-cij.org).

Département de l'information:

M. Arthur 1Witteveen,premier secrétaire de la Cour (tél: + 31 70 302 2336)
Mme Laufence Blairon et M. Boris Heim, attachés d'information (tél:+ 31 70 302 2337)

Adresse électronique: [email protected]

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