Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) - Arrêt sur les exceptions préliminaires

Document Number
091-19960711-PRE-01-00-EN
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Number (Press Release, Order, etc)
1996/25
Date of the Document
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais delaPaix, 2517 KJ La Haye. Tél(0?0-302 23 23).Télégr.:Intercourt. La Haye.

Téléfax(070-364 99 28). Télex 32323.

Comm~niqué

non officiel
pour publication ~diate

N° 96/25
Le Il juillet 1996

Affaire relative à 1'Application de la convention pour la pretlation
répression du crime de génocide (Bosnie-Henégoyine c. Yougoslavie)

Arrêt sur les exceptions préliminaires

La Haye, le 11 juillet 1996. La Cour internationale de Justice, dansalrendu ce jour,
a rejeté les exceptions préliminaires qu'avaitlaYougoslavie en l'affaire susmentionnée. Elle
a conclu qu'elle avait compétence, sur la base de l'article IX de la convention sur la prévention
répressionu crime de génocide,pour statuer sur Jedifférend; elle a écartéles bases supplémentaires de

compétence qu'avait invoquéeslanie~Herzé geovlsnla .our a conclu que la requêtedéposée
par la Bosnie-Herzégovine étaitrecevable.

En conséquence, la Cour procéderaà l'examen du fond de l'affaire sur la base de l'article IX de la
convention susmentionnée.

*

Le texte complet du dispositif de l'arrêtse lit comme suit :

«Par ces motifs,

LA COUR,

'
1) Ayant pris acte du retrait de la quatrième..exceptio6 préliminaire soulevée par la
République fédérativede Yougoslavie,

Reiette
..

.a) par quatorze voix contre une,

les première, deuxième et troisième exceptions préliminaires;

POUR : M. Bedjaoui, Président; M. SchwebVice~Président;
MM. Oda, Guillaume, Shahabuddeen, Weeramantry, Ranjeva, Herczegh, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Ferrari BrParra~Aran ~g;Mr.en ,auterpacht,- ad hoc;

CONTRE : M. Kreéa, ~ ad hoc;

b} par onze voix contre quatre,

la cinquième exception préliminaire; •
POUR : M. Bedjaoui, Président;M. Schwebel, Vice-Président;
MM. Guillaume, Shahabuddeen, Weeramahtry, Ranjeva, Herczegh, Koroma, Ferrari
Bravo, Parra-Aranguren, ~;M. Lauter-Pacht,juge ad hoc;

CONTRE: MM. Oda, Shi, Vereshchetin,~;M Kreé.a,juge ad hoc;

ç) par quatorze voix contre une,

les sixièmeet septièmeexceptions préliminaires;

POUR: M. Bedjaoui, Président;M. SchweJel, Vice-Président;MM. Oda,

Guillaume, Shahabuddeen, Weeramantr{, Ranjeva, Herczegh, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Ferrari Bravo,a-Arangutenj,yg§M. Lauterpacht, juge ad hoc;

CONTRE : M. Kreéa,.- ad hoc;

2) .ilPar treize voix contre deux,

12i:tu'elle acompétence,sur la base de l'article IX de la convention pour la pAévention
et la répressiondu crime de génocide,pour statuer sur le différend; W

POUR : M. Bedjaoui, Président;M. Schwebel, Vice-Président;

MM. Guillaume, Shahabuddeen, Weeramantr)t, Ranjeva, Herczegh, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Ferrari Bravo, Parra-Aranguren, Lauterpacht, juge ad hoc;

CONTRE : M. Oda, ~; M. Kreéa,~ad hoc;

!ù Par quatorze voix contre une,

Ecarte les bases supplémentaires de compétence invoquées par la République de
Bosnie-Herzégovine;

POUR: M. Bedjaoui, Président;M. Schwebel, Vice-Président;MM. Oda,
Guillaume, Shahabuddeen, Weeramantry, Ranjeva, Herczegh, Shi, Koroma, Vereshchetin,
Ferrari Bravo,arra-Aranguren, juges;Kreé jge,ad hoc;

CONTRE : M. Lauterpacht, .luge:ad hoc;

3) Par treize voix contre deux,

llit que la requêtedéposéepar la Républiquede Bosnie-Herzégovinele20 mars 1993•
est recevable. 1 ·

POUR :M. Bedjaoui, Président;M. Schwebel, Vice-Président;
MM. Guillaume, Shahabuddeen, Weeramantr)r, Ranjeva, Herczegh, Shi, Koroma,
Vereshchetin, Ferrari Bravo, Parra-Aranguren, Lauterpacht~ad hoc;

CONTRE : M. Oda, juge; M. Kreéa,- ad hocJ

"'

La Cour était composée comme suit: M. Bedjaoui, Brésident;M. Schwebel, Vice-Président;
MM. Oda, Guillaume, Shahabuddeen, Weeramantry, Ranjeva,JHerczegh, Shi, Koroma, Vereshchetin,
Ferrari Bravo, Parra-Arangu~;n, MM. Lauterpacht, K.reéa,jyg§ ad hoc; M. Valencia-Ospina,
Greffier. 1

M. Oda a joint une déclaratiànl'arrêtde la Cour; ryfM.Shi et Vereshchetin ont JOIOtune
déclarationcommuneà l'arrêt;M. Lauterpacht, juge ad hoc,joint une dàcl'arrêt. ~ 3~
t
MM. Shahabuddeen, Weeramantry etParra~Aran onujintnà l'arrêtles exposés de leur opinion
individuelle.

M. Kreéa,juge ad hoc, a joint à l'arrêtl'exposéde son opinion dissidente.

(Unbref résumédes déclarations et opinions est joint en annexe au présentcommuniqué de presse.)

*

Le texte imprimé de i'arrêt,ainsi que des déclarations et des opinions qui y sont jointes, sera
disponible en temps utile (pour les renseignements et commandes, prière de à'la Section de la
distribution et des ventes, Office des Nations 1211Genève 10;à la Section de la distribution et
des ventes, Nations Unies, New York, NY0017 ou à touteibrairie spécialisée).

On trouvera ci~ap unèrésuméde l'arrêt. Il a étéétabli par le Greffe à l'usage de la presse et
n'engage en aucune façon la Cour.Il ne saurait êtreciàél'encontre du texte de l'arrêt,dont il ne
constitue pas une interprétation.

*

Résuméde l'arrêt

Introductionde l'instance et historique de l'aff(par. 1-15)

La Cour commence par rappeler que le 20 mars 1993, la République de Bosnie-Herzégovine
(dénomméeci-après la «Bosnie-Herzégovine») a déposéune requêteintroductive d'instance contre la

République fédérativede Yougoslavie (dénomméeci-après la «Yougoslavie>>)au sujet d'un différend
concernant d'une part une sériede violations alléguéesde la convention pour la préventionet la répression
du crime de génocide (dénomméeci-après la «convention sur le génocide)>),adoptée par l'Assemblée
générale des Nations Unies le 9 décembre 1948, et d'autre part diverses questions qui, selon la
Bosnie-Herzégovine; seraient liàces violations. La requêteinvoque comme base de compétence de

la Cour l'article IX de la convention sur le génocide.

Le 20 mars 1993, dèsaprès le dépôtde sa requête,la Bosnie-Herzégovine a présentéune demande
en indication de mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut. Le 31 mars 1993, l'agent de
la Bosnie-Herzégovine a déposéau Greffe,l'invoquant comme base supplémentaire de compétence de
la Cour en l'espèce,le texte d'une lettre en date du 8 juin 1992 adressée au président de la commission
d'arbitrage de la conférence internationale pour la paix en Yougoslavie par les présidents des Républiques

du Monténégroet de Serbie. Le1.avril 1993, la Yougoslavie a présentédes observations écrites sur la
demande de mesures conservatoires de la Bosnie-Herzégovine, dans lesquelles elle a à son tour
recommandé à la Cour d'indiquer à la Bosnie~Herzé gosviesures conservatoires.Par une
ordonnance en date du 8 avril 1993, la Cour, après avoir entendu les Parties, a indiquécertaines mesures
conservatoires à l'effet de protéger des droits conféréspar la convention sur le génocide.

Le 27 juillet 1993, Bosnie~Herzé agprvsenteune nouvelle demande en indication de
mesures conservatoires; et, par une sériede communications ultérieures, elle a fait savoir qu'elle entendait
modifier ou compléter cette demande, ainsi que, dans certains cas, la requête,y compris la base de
compétence y invoquée. Par des lettres du 6 août et du 10 août 1993, J'agentde la Bosnie-Herzégovine
a indiquéque son gouvernement entendait invoquer comme bases supplémentaires de compétence de la
Cour en l'espèce, respectivement, le traité entre les Puissances alliées et associées et le Royaume des

Serbes, Croates et Slovènes sur la protection des minorités, signé à Saint-Germain-en-Layle
10 septembre1919, et le droit international de la guerre coutumier et conventionnel ainsi que le droit
international humanitairLe 10 août 1993, la Yougoslavie a également présentéune demande en
indication de mesures conservatoires; et, les 10 et 23 août 1993, elle a déposédes observations écritessur - 4 -

la nouvelle demande de la Bosnie-Herzégovine,telle que modi:fiéeou complétée.Par une ordonnance en
date du 13 septembre 1993,la Cour, aprèsavoir entendu les Parties, a réaffirméles mesures indiquées

dans son ordonnance du 8 avril 1993 et a déclaréque ces lmesures devaient êtreimmédiatement et
effectivement misesen Œuvre. 1

Dans le délaiprorogéau 30 juin 1995 pour le dépôtd1 son contre-mémoire, la Yougoslavie, se
référantau paragraphe rede l'article 79 du Règlement, a présentédes exceptions préliminaires portant,
respectivement, sur la recevabilitéde la requêteet surpétencede la Cour pour connaître de l'affaire.
(Le texte des exceptions préliminaires,ison de sa longueur, h'estpas reproduit dans Jeprésentrésumé.)

Par une lettre en date du 2 févr1996, l'agent de la fougoslavie a soumis à la Cour, «comme
document pertinent aux fins de l'affaire)), le texte de !;accord-cadre général pour la paix en
Bosnie-Herzégovineet ses annexes (appeléscollectivement «açcord de paÎX)}),paraàhDayton (Ohio)
le 21 novembre 1995 et signés à Paris le 14 décembre 1995 (ci-après dénommésles «accords de
Dayton-PariS>)). 1

Des audiences publiques ont ététenues entre 29 avril et le 3 m1996.

Compétence ratione personae (par. 16-26)

Rappelant que, pour fonder la compétencede la Cour en l'espèce,la Bosnie-Herzégovinea invoq•é
à titre principal l'article IX de la convention sur le génocide,!la Cour examine d'abord les exceptions
préliminairessoulevéesparla Yougoslavie sur ce point. Elle prend acte du retrait par la Yougoslavie, au
cours de la procédureorale, de sa quatrième exception prélimiraire, qu'il n'ya donc plus lieu de traiter.
Aux termes de sa troisièmeexception, la Yougoslavie a contesté,pour différentsmotifs, que la convention
lie les deuxParties ou soit entréeen vigueur entre elles; et a'uxtermes de sa cinquième exception, la
Yougoslavie acontesté,pour des raisons diverses, que ledifférertdsoumis par laBosnie-Herzégovineentre
dans les prévisionsde l'article IX deconvention. 1

L'instance introduite devant la Cour oppose deux Etats i1ontle territoire eàtl'intérieurde
1
l'ex-Républiquefédérativesocialiste de Yougoslavie. Lors deroclamation de la Républiquefédérative
de Yougoslavie, le 27 avril992, une déclaration formelle alétéadoptée en son nom, qui exprimait
l'intentiondeaYougoslavie de demeurer liéepar les traitésintery1ationauxauxquelsl'ex-Yougoslavie était
partie. La Cour observe en outre qu'il n'apas étécontestéqueougoslavie soit partàela convention
sur le génocide. Ainsi, la Yougoslavie étaitliéepar les dispositions de la convention à la date du dépôt
de la requêteen la présenteaffaire, le 20 ma1993. i

La Bosnie-Herzégovine,pour sa part, a communiquél29 décembre 1992au Secrétairegénéralde
l'Organisation des Nations Unies, en sa qualité depositairt de la convention sur le génocide, une
notification de succession.La Yougoslavie a mis en causejla validité et l'effet juridique de cette
notification, car pour elle,Bosnie-Herzégovine n'avait pas qualitépour êtrepartie à la convention.
1 •
La Cour constate que la Bosnie-Herzégovine est d~ve M em breede l'Organisation des
Nations Unies à la suite des décisions prises le 22 mai 1992 par le Conseil de sécuritéet l'Assemblée

généraleo, rganes compétentsen vertue laCharte. Or l'article XI de la convention sur le génocideouvre
celle-cià «tout Membre des Nations Unies»; dès son admission au sein de l'Organisation, la
Bosnie-Herzégovine pouvait donc devenir partie la conventioh. La Cour estime que les circonstances
dans lesquellesa Bosnie-Herzégovine a accédéà l'indépendante,et auxquelles se réfèrela Yougoslavie
dans sa troisième exception préliminaire, importent peu. 1

Il ressort de ce qui précèdeque la Bosnie-Herzégovine pouvait devenir partie à la convention par
l'effetu mécanisme de la succession d'Etats. Les Parties au différend ont exprimé des opinions
divergentes sur les conséquencesjuridiques qui devraientattacherà la survenance d'une succession
d'Etatsen l'espèce. 1 .

La Cour ne considère pas nécessaire,pour déciderde sa compétenceen l'espèce,de se prononcer
sur les questionsjuridiques concernantsuccession d'Etatsen niatièrede traitésqui ont étésoulevéespar

les Parties. Que la Bosnie-Herzégovine soit devenue autom~ti pqarieà laecnntention sur le
génocideà la date de son accession à l'indépendancele 6 mt1992ou qu'ellele soit devenue par l'effet
- rétroactifou non - de sa notification succession du 29 décembre 1992, en tout étatde cause, elle
y étaitpartie la date du dépôtde sa requête,le 20 mar19931. - 5 -

' La Yougoslavie a fait valoir que, à supposer mêmeque la Bosnie-Herzégovine ait étéliéepar la
convention en mars 1993, celle-ci n'aurait pu, cette époque, entrer en vigueur entre les Parties, car les
deux Etats ne se reconnaissaient pas et les conditions nécessaires pour conférer une base consensuelle à
la juridiction de la Cour faisaient par suite défaut. Telle n'est cependant plus la situation qui prévaut
depuis la signature et l'entrée en vigueur, le 14 décembre 1995, des accords de Dayton-Paris, dont
l'article X stipule que les parties reconnaissent l'une l'autre comme Etats indépendants souverains à
l'intérieurde leurs frontières internationales». Cour constate qu'à supposer mêmeque la convention
sur le génocide ne soit entréeen vigueur entre lesarties qu'à Ja signature des accords de Dayton-Paris,
toutes les conditionsont à présentréunies pour fonder la compétence de la Cour ratione personae. Elle
ajoute qu'en effetsa compétence doit normalement s'apprécier à la date du dépôt de l'acte introductif
d'instance. Cependant la Cour, comme sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale, a
toujours eu recours au principe selon lequel elle ne doit pas sanctionner un défaut qui affecterait un acte
de procédure, auquel la partie requérante pourrait aisément porter remède.

Au vu de ce qui précède,la Cour estime devoir rejeter la troisième exception préliminaire de la
Yougoslavie.

Compétence ratione materiae (par. 27·33)

Afin de déterminer si elle a compétence pour connaître de l'affaire sur la base de l'article IX de la
convention sur le génocide, laCour doit vérifier s'il existe entre les Parties un différend entrant dans les
• prévisions de cette disposition.L'article IX de la convention est ainsi conçu :

«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou
l'exécutionde la présenteconvention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un Etat en
matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III, seront
soumis à la Cour internationale de Justice, à la requêted'une partie au différend.»

C'est sur la compétence ratione materiae ainsi définieque porte la cinquième exception de la Yougoslavie.

La Cour constate qu'il persiste

«une situation dans laquelle les points de vue des deux parties, quant à l'exécutionou à la
non-exécution de certaines obligations découlant d['un traité], sont nettement opposés>}
(Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie. la Hongrie et la Roumanie,
première phase. avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74)

et que, du fait du rejet, par la Yougoslavie, des griefs formulés à son encontre par la Bosnie-Herzégovine,
il existe un différend d'ordre juridique .

Pour asseoir sa compétence, la Cour doit cependant encore s'assurer que le différend en question
• entre bien dans les prévisions de l'articlede la convention sur le génocide.

La Yougoslavie le conteste. Elle exclut l'existence, en l'espèce, d'un «différend internationab> au
sens de la convention en se fondant sur deux propositions : d'une part, le conflit qui a euur théâtre
certaines parties du territoire du demandeur aurait étéde nature interne, la Yougoslavie n'yaurait pas été
partie et elle n'aurait pas exercé juridiction sur ce territoàrl'époqueconsidérée;et, d'autre part, la
responsabilité d'Etat tellee viséedans les demandes de Ja Bosnie-Herzégovine serait exclue du champ
d'application de l'article IX.

En ce qui concerne la première proposition formuléepar la Yougoslavie, la Cour estime que, quelle
que soit la nature du conflit qui serve de cadre aux actes auxquels se réfèrent les articles III de la
convention, les obligations de prévention et de répression qui sontà la charge des Etats parties à la
convention demeurent identiques.

Elle note au surplus qu'à ce stade de la procédure elle n'est pas en mesure de prononcer sur la
question de savoir si la Yougoslavie a étépartie prenante- directement ou indirectement- au conflit
ici en cause, qui relève clairement du fond. Enfin, s'agissantroblèmes territoriaux liésà l'application
de la convention, laCour est d'avis qu'il résulte du but et de l'objet de la convention que les droits et
obligations consacrés par celle-ci sont des droits et obligations erga omnes. La Cour constate quel'obligation qu'a ainsi chaque Etat de prévenir et de réprimer le crime de génocide n'est pas limitée
territorialement par la convention. 1

En ce qui concerne la seconde propositioug~slaa veae,e au type de responsabilité
d'Etat qui seraitàl'artiIXede la convention, la Cour observe qu'en visant «la responsabilité d'un
Etat en matière de génocide ou de l'un quelconque déensméréà l'artiIII»l'article IX
n'exclut aucune forme de responsabilité d'Etat. LaanEtatpourlfait de ses organes n'est

pas davantage exclue par l'articleconvention, qui envisage la commission d'un acte de génocide
par des «gouvernantS)) ou des «fonctionnaires)). Au vu de ce gui précède,la Cour estime devoir rejeter
la cinquième exception préliminaire de la Yougoslavie.

Compétence ratione temporis (par. 34)

A cet égard,la Cour se borne à observer que la convention set en particulier son
article IXne comporte aucune clause qui aurait qupour conséquence de limiter de la sorte
l'étenduedea compétence ratjone temporis et relève que les Parties elles-mêmesn'ont formulé aucune
réserve à cet effet, ni à la convention, ni à l'occasion de la signature des Lacords de Dayton-Paris.
Cour constate ainsi qu'elle a compétence en l'espèce pour assurer l'application de la convention sur le
génocideaux faits pertinents qui se sont déroulésdt u conflit dont la Bosnie-Herzégovine
aétéle théâtre. La Cour estime par suite devoir rejeter les sixième et septième exeeptions préliminaires
de la Yougoslavie.

Bases supplémentaires de compétinvoquéespar la Bosnie-Herzégovioe 35-41)

La Cour estime qu'elle ne peut retenir comme bases de bompétenceen l'affaire : la lettre en date
du 8 juin 1992, adressée au présidentde la commission d'arbitrage de la conférence internationale pour
la paix en Yougoslavie par Momir Bulatovié, président\ de la République du Monténégro, et
M. Slobodan Milosevié, président de la République de Serbie; le traité entre les Puissances alliées et
associées(les Etats-Unis d'Amérique,l'Empire britannique, la France, l'Italie et le Japon) et le Royaume
des Serbes, Croates et Slovènes, signéà Saint-Germain-en-Layetle 10 septembre 1919 et entréen vigueur
le 16 juillet 19La Cour ne trouve pas par ailleurs que le défendeur a exprimé en l'espèce un
consentementvolontaire, indiscutable)) qui lui c~mpéteraencceantcelle qu'die s'estdéjà
reconnue au titre de l'article IX de la convention sur le génocide. La Cour ne peut retenir aucune des
bases supplémentaires de compétence invoquéespar le demandeur. Elle n'est compétente que sur la base
de l'article IX de la convention sur le génocide.

Recevabilité de la requête(par. 42-45)

Selon la première exception préliminaire de la Yougoslavie, la requêteserait irrecevable motif pris

de ce qu'elle seràdes événementssurvenus dans le cadre tl'uneguerre civile, et qu'il n'existerait en
conséquence aucun différend international sur lequel lat se prononcer.

Cette exception est très proche de la cinquième exceptioh sur laquelle la Cour s'est déjàpenchée
ci-dessus. En répondantà cette dernièreexception, la Conernait,réponduà la présente.
Ayant constatéqu'il existe bien entre les Parties un différendentrant dans les prévisions de l'article IX de
la convention sur Jegénocc'est-à-dire un différend in-, laCour e saurait conclure au
caractère irrecevable de la requêteau seul motif que, pour trahcher ce différend, elle serait amenée à
prendre en considération des événementssurvenus, le cass un contexte de guerre civile. La
première exception de la Yougoslavie doit par suite être

Aux termes de la deuxième exception de la Youla requêteserait irrecevable parce que
M. Alija Izetbegovié n'aurait pas occupéles fonctions de présid:entde la République
celles de président de laence-au moment où il a donn'él'autorisation d'introduire l'instance, et
que cette autorisation aurait de ce fait étéaccordée en violatiorl de règles de droit interne d'importance
fondamentaleLa Yougoslavie a également soutenu quezetbegovié n'aurait pas même exercé

légalement,l'époque,les fonctions de président d1 la présidence.

La Cour observe que, conformément ainteoit imnefaipaideodonte~uetou,chef
d'Etat est présumépouvoir agir au nom de l'Etat dans ses relations internationales et qu'au moment du

1--------------~~~---~---:-~-------- --- ~~~--~- -~- ------------

dépôtde la requête,M. lzetbegoviéavait été reconnu, en particulier par l'Organisation des Nations Unies,
comme étantle chef d'Etatde la Bosnie-Herzégovine. Elle rejette en conséquence la deuxième exception
préliminaire de la Yougoslavie.

La Cour souligne enfin qu'ellene considèrepas pour autant que la Yougoslavie aurait, en présentant
ces exceptions, abusédes droits qu'elle tire en la matière du paragraphe 6 de l'article 36 du Statut de la

Cour et de l'article 79 de son Règlement. Elle conclut que, sa compétence en vertu de l'article IX de la
convention sur le génocideétantétablieet la requêtede la Bosnie-Herzégovine étantrecevable, elle peut

désormaisprocéder à l'examen du fond de l'affaire. Annexe au communiqué de presse n° 96/25

Déclaration de M. Oda

M. Oda, quoique embarrassé dans une certaine mesure de ne pas faire partie de la grande majorité
de la Cour, a déclaréqu'ildevait, comme une question de conscience juridique, expliquer pourquoi, à son
avis, la Cour devait rejeter la requête.M. votécontre parce que la Cour n'apas compétenceratione
materiae. Selon lui, la Bosnie-Herzégovine n'a,dans sa requête,indiquéaucune vue contraire concernant
l'application ou l'interprétationde la convention sur le génocidequi aurait pu exister au moment du dépôt
de la requête, seul élémentpouvant permettre à la Cour de dire s'il existe un différend entre la
Bosnie-Herzégovine et la Yougoslavie au titree cette convention.

M. Oda estime que la convention sur le génocide présentela caractéristique fondamentale d'avoir

étéadoptée par l'Assembléegénérale en1948 à un moment où, en raison du succès du procès de
Nuremberg, on pensait qu'il y aurait lieu d'établirune cour criminelle internationale pour punir les actes
criminels allant à l'encontredes droits de l'homme,y compris le génocide,ce qui concerne essentiellement
non pas les droits et obligations entre~Etatla protection des droits des individus et des groupes de
personnes dont on s'estaccordéà reconnaître le caractère universel. Il déclareen outre qu'il ne peut être
remédiéau fait qu'une partie contractante n'a pasenuet puni» un tel crime qu'en recourant i) à un
organe compétent de l'Organisation des Nations Unies (article VIII) ou ii) une cour criminelle
internationale (article mais nqn pas en invoquant la responsabilité des Etats dans des relations entre
Etats devant la Cour internationale de Justice.

Se référantaux travaux préparatoires de la convention, M. Oda signale le caractère très incertain
de l'article IX de cet instrument. Pour saisir la Cour en la présenteespèce, la Bosnie-Herzégovine aurait
certainement dû, selon lui, montrer que la Yougoslavie pouvait avoir étéen effet responsable de la
non-application de la conventionà l'égardde la Bosnie-Herzégovine, mais, plus particulièrement, la
Bosnie-Herzégovine aurait dû montrer que la Yougoslavie a violéles droits de la Bosnie-Herzégovine en
tant que partie cqntractante (par définitionun Etat) qui auraient dû êtreprotégésen vertu de Jaconvention.

Celane ressort cependant pas de la requête,et en fait la convention n'est paà protégerles droits
de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat.

Après tout, la Bosnie-Herzégovine ne semble pas, de l'avis de M.a, prétendre qu'elle ait un
différend avec la Yougoslavie au sujet de l'interprétationou de l'application de la convention sur le
génocide,bien que seul un tel différend- et non pas la perpétrationd'ungénocideou d'actes de génocide
qui sont certainement considéréscomme des crimes en droit international -puisse constituer une base de
compétence pour la Cour au titre de la convention.

M. Oda tend à douter que la Cour internationale de Justice soit l'instance appropriée pour l'examen
des questions de génocideou d'actes de génocideque la Bosnie-Herzégovine a soulevés dans la présente
instance, et que le droit international, la Cour ou les malheureux individus concernés puissent en fin de
• compte tirer profit de l'examen d'affaires de cette nature par la Cour.

M. Oda ajoute que la Cour devrait adopter une position plutôt stricte à J'égarddes questions de
compétenceétantdonnéque le consensus d'Etatssouverains en différendconstitue essentiellement la base
de sa compétence. Si l'onassouplit les conditions de base, M. Oda craint qu'une avalanche de requêtes

ne s'abatte sur cette institution judiciaire, qui a principalement pour tâche de régler les différends
internationaux.

Déclaration commune de MM. Shi et Veresbchetin

Dans leur déclarationcommune, MM. Shi et Vereshchetin précisentque, comme l'article IX de la
convention sur le génocide fournit une base juridique soutenablea compétence de la Cour, dans la
mesure où l'objet du différend concerne «l'interprétation, l'application ou l'exécution»de la convention,
ils ont votépour l'arr,xception faite du paragraphe 1 ç) de son dispositif. Ils expriment néanmoinsleur
inquiétude àl'égardde certains élémentsimportants de l'affaire. Ils sont en particulier préoccupéspar la
déclaration que fait la Cour, au paragraphe 32 de l'arrêt,selon laquelle l'article IX de la convention sur
le génocide «n'exclut aucune forme de responsabilité d'Etat». - 2 -

Selon MM. Shi et Vereshchetin, la convention sur1le génocide a été essentiellement et
principalement conçue comme instrument visant à punir les personnes perpétrantun génocideou des actes
d'un génocideet à prévenir la perpétration de tels crim1s par dds individus, et ladite convention conserve
ce caractère. La détermination de la communainternat pournaequi est de traduire en justice les
auteurs individuels d'actes de génocide,quelle que soit leur origine ethnique ou la position qu'ils occupent,

indique la voie la plus appropriée à suivre.t donc souténir, selon eux, que la Cour internationale
de Justice n'est pas l'instance adéquate pour statuer sur lesque le requérant a formulées dans la
présente instance.

Déclaration de M. Lauterpacht juge ad boe

M. Lauterpacht a joint une déclaration à l'arrêtpour expliquer que, afin d'évitertoute contradiction
apparente avec les remarques qu'il avait faites sur lepe! du forum prorogatum dans son opinion
individuelle de septembre 1993, il n'a pas votépour l'alinéaaragraphe 2 du dispositif de l'arrêt,

dans la mesureoù cet alinéa exclut toute compétence de la Cout allant au-delà de celle qui lui revient au
titre de l'articlee la convention sur le génocide.

Opinion individuelle de M. Shahabuddeen

Dans son opinion individuelle, M. Shahabuddeen s'est déclaréd'avis que les caractéristiques
particulières de la convention sur le génocideessortir l'opportunitéd'éviterune interruption dans la
succession.Cela justifie que l'on interprète la convention comme impliquant l'engagement unilatéral de
chaque partie à cet instrument de considérer que les Etats succésseurs assument, dès leur indépendance,
le statut que l'Etat prédécesseuravait en tant que partie à lan. Le lien consensuel nécessaire

est assuré lorsque l'Etat successeur décide de tirer lui-mêmee cet engagement en se considérant
partie à la convention.

Opinion individuelle de M. Weeramantcy

Dans son opinion individuelle, M. Weeramantry dqu~ la convention sur le génocide est une
convention humanitaire multilatérale pour laquellea succession automatique lorsqu'un Etat àartie
ladite convention fait l'objet d'une séparation d'Etats1

Selon M. Weeramantry, ce principe découle de nombreuses considérations et fait partie du droit
international contemporaiIly a ainsi notamment lieu de notJr que la convention n'est pas centré• sur
les intérêtsindividuels des Etats et dépasse le concept de sotiveraineté des Etats. Les droits qu'elle
reconnaît n'imposent aucune charge à l'Etatet les obligationsévolteistent indépendamment des
obligations conventionnellesElle consacre en outre des rèdles du droit international coutumier et

contribue à la stabilité mondiale.autre élémentà retenir!concerne le caractère inopportun d'une
interruptione succession à l'égardde la convention sur le génocide, compte tenu de l'importance
particulière de la protection des droits de l'homme contre le géhocide durant les périodes de transition.
Les bénéficiairesde la convention sur le génocidene sont pasces parties auxquelles s'appliquerait
le principe res inter alios acta. Les droits conféréspar la convention ne peuvent faire l'objet

Pour toutes ces ratsons, a conc uston qm s tmpose est que a successton automattque s app tque a
la convention. 1

Dans son opinion individuelle, M. Weeramantry est d'autre part d'avis que le principe de continuité

à l'égard de la convention sur le génocide revêt uneportimce particulière en droit international
contemporain, étantdonnéles séparationsd'Etats intervenuese~nombreuses parties du monde. C'est
précisémentdans des époquestroubléesque les populations de ces Etats ont particulièrement besoin d'être
protégéespar la_convention. 1 ~3 ~

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Qpinion individuelle de M. Parra-Aranguren

Bien qu'il ait approuvéle dispositif de l'arrêt,M. Parra-Aranguren a tenu à insister, dans son opinion

individuelle, sur les deux points suivants :en présentant à la Cour, le 10 août 1993, une demande en
indicationde mesures conservatoires, la Yougoslavie a admis que la Bosnie-Herzégovine étaitpartie à la
convention sur le génocide, dont l'article IX, relatif la compétence, était ainsi applicable; et 2) la
Bosnie-Herzégovine a fait une déclaration exprimant son désirde succéder à la convention avec effetà

compter du 6 mars 1992, date à laquelle elle étaitdevenue indépendante. SeloM. Parra-Aranguren, la
Cour aurait dû relever et développer le fait que cette déclaration est conforme au caractère humanitaire
de la convention sur le génocide, dont l'inexécution pourrait porter préjudice à la population de la
Bosnie-Herzégovine; observation que la Cour a déjàfaite dans son avis consultatif du 21 juin 1971 sur
les Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie

(Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution276 (1970) du Conseil de sécurité(C.I.J. Recueil p.755,
par. 122), ce qui va dans le sens du paragraphe 5 de l'articlee la convention de Vienne de 1969 sur
le droit des traités.

Opinion dissidente de M. Kreéa. juge ad hoc

M. Kreéa, juge~. estime que les conditions relatives à la compétence et la recevabilité qui

doivent êtreréunies pour que la Cour puisse connaitre de l'affaire ne sont pas remplies.

La question se pose de savoir si la Bosnie-Herzégovine, au moment où la requêtepuis le mémoire
ont étésoumis, et la Bosnie-Herzégovine aujourd'hui, aprèsl'entréeen vigueur des accords de Dayton, sont

en fait le mêmeEtat. Cette question, non résolue par la Cour, revêtune pertinence incontestable en
l'espèce car elle amène à se demander comment s'applique la formule persona standi in indjcjo à la
Bosnie-Herzégovine. M. Kreéaest d'autre part d'avis que la proclamation de la Bosnie-Herzégovine en
tant qu'Etat souverain et indépendantconstitue une violation substantielle, tant du point de vue de la forme
que du fond, de la norme impérative de l'égalitédes droits et de l'autodétermination des peuples.ne

saurait donc parler que de succession de factot non pas de succession de jure à l'égarddu transfert des
droits et obligations de l'Etat prédécesseur.

M. Kreéa ne souscrit pas à la déclaration de la Cour selon laquelle «l'obligation qu'a ainsi chaque

Etat vis-à-vis des autres de prévenir et de réprimer le crime de génocide n'est nullement limitée la
convention au cas d'actes commis sur son territ (pirrgraphe 31 de l'arrêt). Il est d'avis qu'il est
nécessaire de distinguer clairement entre la nature juridique de la norme interdisant le génocide et
l'application ou mise en Œuvre de cette norme. Le fait que la norme prohibant le génocide est une norme

de jus cogens ne saurait êtrecompris comme impliquant que l'obligation des Etats de préveniret de punir
le génociden'est pas territorialement limitée.s particulièrement, cette norme, comme les autres normes
de droit international, est applicable par les Etats non pas dans un espace imaginaire mais dans une
communauté internationale constituée de territoires, ce qui signifie que lajuridiction territoriale suggère,

en tant que règle générale,le caractère territorial des obligations de ces Etats tant en ce qui concerne la
prescription que l'application de normes. Si tel n'étaitpas le cas,ormes d'intégritéet de souveraineté
territoriales, qui relèvent également dus cogens, seraient violees.

M. Kreéa considère que, conformément à la convention sur le génocide, un Etat ne peut être

responsable de génocide. L'article IV de la convention, qui prévoit la responsabilité pénale pour le
génocideet les autres actes énumérés l'articlell de la convention, exclut implicitement la responsabilité
pénale des Etats et l'application de la doctrine des actes d'Etata matière.

M. Kreéa estime que la «succession automatique» est une lex ferenda, relevant plus du
développement progressif du droit international que de sa codification.Selon lui, une notification de
succession n'est pas elle-mêmeappropriée pour exprimer le consentement à êtreliépar un traitépuisque,
malgré son caractère unilatéral, elle tend à conclure un accord indirect sous forme simplifiée avec les

autres parties dans le cadre de conventions multilatérales générales, commela convention sur le génocide.

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- Arrêt sur les exceptions préliminaires

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Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) - Arrêt sur les exceptions préliminaires

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