La Cour internationale de Justice rend son arrêt dans l'affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited

Document Number
11436
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1970/2
Date of the Document

COUR INTERNATONALE DE JUSTICE

La Cour Internationale de Justlce'rend son arrêt
dans 1'affaire de la Barceloila Traction, Ligh-t;

and Polder Company, Limited

IE Greffe de la Cour internationale de Justicemet à la dispo-
sition de la presse les renseignements suivants :
O
Aujourd'hui, 5 févrior 1970, 1a Cour internationale de Justice

a rendu son arrêt dans la dewribme phase de l'affaire de la
BarcePona Traction, Ught and Power Company, Limited (nouvelle
1)

Parquinze voix contre une, la Cour a rejet& la demande de la
' Belgrque.

Cette demande, introduite devant, la Cour le 29, juin 1962,
faisait suite 2tla mise en fdllite en Espagne de la Barcelona Traction,
société constituée au Canada, Elle avait pour objet La répwation du
prijudicesubi, selon les th3ses de la Belgique, par des ressortissasits
belges actionndres de la sacF&té du fait d'actes contraires au droit
internaiional comis à l'égard de cette socidté par des organes de
I %Etat espagnol.

La Cour a constaté que la Belgique n'avait pas qualit6 pour
exercer, la protection diplomatique des actionndres d'une soci6té
c&d.-nne au sujet de mesures prises contre cette socf et& en ESP'XDQ.

PTM.Petrén et Onyeama, juges, ont joint l'am& une d&clcira%ion
commlirk. M. ~&hs, 'juge, y a jointune déclaration. M. Bustaman.te y Rivero,

Présiden-L, et sir Gerald. Fitzmaurfce et MM. Tanaka, ~essup, Morelli,
Padilla Nervo, Gros et Ammoun, juges, y ont joint les exposés de leur
opinion individuelle.

M. Riphwen,. juge ad hoc, a,joint à 1'arr&t l'exposé de son
opinion dissidente.

I I
On trouvera ci-aprSs une analyse de lfarr&, établie pas les soins
du Greffe 'al,fin& de la presse et n'engageant nullement la Cour. Elle ne
saur~5t &re ci-tée à l'encontre du texte même de 1'arrêt, dont elle ne
constitue pas une interprétation.

FR texte imprimé de l'arrêt et des opii~lons individilelles et
dissiderite jointes Sera disponible sous peu. (S4a&esser à la Section de

la distribution et des ventes,Office des Nations Unies, 1211 Ge&ve 10;
à la section des ventes, Nations Unies, Ncw YorksN.Y, 10017;à
A. W. Sijthoff, Doezastraat 1, hydeg ou à toute librairie spécialisée.)

+$
Analyse.. .. Analyse de ltarr&t

Historique de 1'aff&re (parmaphes 8-24 de 1'arrêt)

La Barcelona Traction, Light and Power Company, LZniited, est une
société constituke en 1911 à Toronto (Canzda) , 03 se trouve son siège.

En vue de créer et de d6velopper en Catalogne (Espagne) un réseau de
production et de distribution clfénergie électrique, elle avait fondé
plusieurssoci&tGsauxiliaires, dont lesunes avaient leur sisge &u
Canada et les autres en Espagne, Ces socidtés auxiliaires en 1936
assuraient la majeure pârtfe des besoins de la Catalogne en électricité.
Selon le Gouvernemen telge, les actions de la Barcelona Tractiorl etdent
pasées en grmde pmtie entre les mains de ressortissants belges qüelques

années aprés la, prerniére guerre mondiale, mais le Gouvernement; espagnol
soutient que la nationalité belge des nctiowlaires n'est pm établie,

La Barcelona Traction avaitémis plusieurs séries dtobligatLons. La
plupart étaient libellées en livres sterling et leur service &tait assuu.6
grâce des versements faits ?t la Barcelona Traction par les sociétés
auilLaires exerçant leur activit6en Espagne. En 1936 le service des
obligations fut interrompu du fait de la guerre civile. AprSs la fin de

celle-ci, 1'of flce espagnol de contrôle des changesrefus z d' autoriser
les transferts de devisesnfcessaires pour la reprise du servicedes
obligations en livres. Ultérieusement, lorsque le Gouvernement belge
s'en plaignit, le Gouvernement espagnol fit valois que ces autorisations
6taLen.t; subordonnées à 12 preuve que les devises devaient servir à
rembourser des dettes r6sultant d'apports effectifs de cafiitaux étrangers
en Espagne et que cette preuve n'avd-t pas &te faite.

En 1948 trois pcirtems espagnols d'obligationsde la Barcelona Tractixi
payables en livres dernsuidhrent au tribunal de Reus (province de Tarrxonej
la mise en faillite de ia sociéte pour non-pdernen'c dlin%ér@ts.
Le 12 février 1948 fut prononce un jugementde faillite comportant un orire
de saisie des biens de ka Barcclona Traction et de deux des soci6tés
auxiliaires. En application de ce jugement, les principaux dirigeants des
deux sociétes furent destituss et des administrateurs espagnols furent

nomm6.s. Peu aprks, ces mesures furent étendues mx a~tres sociétés
auxili&res. De nouvezux titres des soci&t&s amiliAres furent créés et
vendus en 1952, par adjudication publique, à une sociéténouvellement
constituée, F'uerzas Eléctricas de ~at alu& (~ecs a.),qui obtint 'ansi un
co~-itro"lecomplet de l'entrepriseen Espagne.

Des recours avLai71entété intentés sans succks par dfverses sûciéeés uii
personnes devat les tribunzux espagnols. Selon le Gouvernement espagnol,

il a été rendu daas l'cffalre, &vant qu'elle ne soFt soumise à la Gour
lnternati onale de Justice, 2736 ordonnances, 494 Sugernents et 37 arras .
La Gour constate qu'en 1948 le BarcelonaTraction, qui n'avait p3s reçu de
notification concernant la procédure de failliteet n' avait pas été
représentée devant le tribunalde Reus, n'agit pas en justice avant
le 18 juin et n'intenta donc pas de recours en opposition dans le délai de
huit jours prévu par la loi espagnole à compter de la date de publication
du jugement. Toutefois le Gouvernement belge fait valoir que ce délai

n'a jamais coimencé à courir psce que 13 notification et La publication
nt avaient pas étë effectuées conformément h la loi. J

- 3 -

Pm ~~I~Fws, les Gouvernements du Royaume-Uni, du Canada. des
Etats-Unis et de la Belgique firent i pastir* de 19-48-19 de9 démarches
auprss du Gouvernement espagnol. Le Gouvarnement cmdien pour sa pare
interrompit son action cn 1955.

Froc6dure devant la Cour et nzture de la demm22
(paragraphes 1-7 et 26-31 'de 1'arêt )

k Gouvernement belge a introduit devant, ln Gour une prcrnisre ,>equ@te
contre le Gouvernement espagnol. en 1958. 11 a renoncé & poursuivre

1'instance h raison de negoci aiions entre les regrésentan-ts des int &rets
prives en cwss et l'affaire a été rzyée du rôle en 1961. Les négocLations
n'ayant pm abouti, le Gouvernement belge 2 pr&senté h la Cour une nouvelle
requête le 19 juin 1962. Le Gouvernement esp?gnol a soulevé quatre
exceptions.prélimin3lreà s l'encontre de cette requête en 1963. La Cour
a rejeté la p~emikre et ln deuxijrne exception et joint su fond la troisiérne
et ln quatrihie par arrêt dU' 24 juillet 1964.

0 Dans la procédure écrite et o~nle qui a suivi, les Parties ont fourni
une documen-tation et des expli&kions abondantes. L. Cour const~te que 13
longueurinusitée de l'instance est verne de ce que'les ~xrtie$ ont demandé
de trkslongs délds pour la prépar2t;tion de leurs pisces de procbdure
écrite et ont solliciti- de façon répctke des proslogations de ces délais.
La Cour n' a pas cru devoir rejeter ces demandes, mais elle deineui-e convzincue

que, pour preserver 1'au%orit& de la justice internationale, les clfzires
clevraterrt être regldcs sans retad înjvLstifié.

La demande présentee à 12 Cour est foymul&e par le Gouvernement
belge pow le compte de personnesphysiquesct morales qul seraient
ressortiasmtes belges ec actiqimai~es de la B~rceloria Traction, lociété
L1objet de la reqyGte est
constituke LU C;?J1adz et y ~ymt son si2g.
d'obtenirréparation du domage qui aurait &té causé à ces personnes pw
le comportement contr cai-?c nu droit internehi onal de divers orgmex de
1'EtatespL~nol l'égmi! de cette société.

, Selon latroisisme ~xcepti~onpr&limin~reduGouvcrnznent espcgnol,
qui s &té jointe au fond, le Gouvernement belge n'a pas qualit6 podr

O pr6senter une 2emande raison dtun domage caus6 k uqe soci&t$ candienne,
mêmesi les actionnairessont belges. Selon la qu~tri&me exception
préliminaire, également jointe au fond, le; recours internes utllZsables
en Espagne n'ont pas &té &puisés,

L' df aire soumise à lzLCour concerne p=:~~c.;>cS~-T,~~L!-9 5
Etats : la Belgique, ltEspqne et lé Grnada, et il convient d'examiner

une serie de problèmes résultant de cette relation trimgulaire,

Qudité du'Gouvernement belge pour agir (paragraphes 32-101 de 1' mrêt )

La Cour commencepxr traiterla question (soulevée pLw la .troisieme
exception prdliminaire 'jointe au fond) du droit de Ic?Belgique à exercer

la protection diplomatique il 'ctionnaires belges d'une sociét& constituée
au Canada, dors que les mesuresincrihinSes ont été prises à l' 6gard de
ladite société et non de ressortissmts belges.

La Cour constate que, dè5 lorsqi'un Et st zhet sur son territoire
des investissementé strmgers, Il est tenu de leur accorder la protection
dc la Loi et assume certaines obligations quant à leur traftement.

Mais.. .
, ..Md$ pareilles obli~ations ne sont pm zbsolues. Un autre Etat ne peut
présenter une demande de r&paration du f;iIt de 12 viol~tionde l'une

d' elles, zvmt dl avoir 4tzbli qu 'il en a le clroit.

D~ns le damzzine de la protection diplamatiyl~e, le &oit internztiond
est en évolutioncontinueer;il est appelé h recormdtre des ins-Litutions
de droit interne. Or, en droit interne, la notion de societé anonyme
repose sur une stricte distinction entre les &nits de la sociétd et ceux
de l'actiormnire. La soctete, dotee de la personnalité juridique, est ln

seule h pouvoir agir POUT to~te question de cmitcthre sockal. Un dommage
qui lui est causé atteint souven-t lt~,ctioma.fre, iiî~s celant implique pas
que tous deux dent le droit de derflander rdpar~tition, ChGaque fois que les
intérêts d'un actionmise sont lésés par des actes visant la societé,
c'est vers 1s societé qu'il doit se tournerpour qu'elle intente les recours
voulus. Des actesqui n'atteignent que les droits de la soci&t& n'impliquent
weune responsabilité 17égasc"r de 1' ectionnaire, me?riesi les intértlts de

celui-ci en souffrent. Pour que la situation soit différente, il faudrait
que les actesincrimines soient dirigés contre les droits propres de
1'actionnaire en tant que tel (ce qui n'est pzas le cas en 1'cspsce, le m
Gouvernement belge ayant lui-mÊme zdrnis qutil ne f onihi-ltp~m sa demande sur
une atteinte aux droits propres des ectionndres).

Le clroit internatiorid doit se réferer à ces rsglcs géne'ralement

sicceptees pa les systhnes de droit interne. Le pr& judice aux intSr&s
des actioiln,?ires d4coulan-t d'un préjuJice aux droits de la société ne suffit
pas à Justifier une rSclamation.StWissant d'un acte illicitedirige
contre une sociBtéB tapi-tmx &rangers, 12 rBgle gdn4rnle de droit inter-
national nt autorise que 1'Eta.t national de cette socigté 5 exercer sa
protection diplomatique pour obtenir r6pmatlon. Aucune rsgle de droit
internstional géneral ne confère expressement ce droit à llEtatnational

des actionn&ees.

La Cour recherches'il existe el1 lfesp3ce des circonstmces spéezdes
telles que la rkgle g5norale pourrait ilepris rzrpoireffet. Deux situations
retiennent son attention : la société acr3it ces56 d'exister, 1'Etat
national de la soci4té nt aurz5t lui-rnêine p,ascjuallté pour agir. S' wisscmt
de la premihre de ces &ventualit&s, la Cour constate que, si la Barcelons

Traction ciperdu tous ses avoirs en Esp,agne et ct&t& plac&e sous 0
receivership au Canada, on ne sil.~~ait pour mt3nt soutenir qu'elle dt
dispmu corne personnemorale ni.qu'elle ait gerdu La capacité dtexercer
l'actionsocide. En ce qui concerne In Cleuxisme éventualité, il n'est
pas contesté que la société s'est constituéeau Canada et que son sikge
statutaire s'y trouve, zt sa nationalitécanadienneest g&n&~alcmcnt
reconnue. Or le Gouvernement canadien a exercé une protection diplo..

matique pour son compte pendant cies années. Si à un niornentdonn& ce
gouvernement a cessa d'exercersa protection ~liplomatique, il n'en e pas
moins conserv6 qualité pour le faire et.le Gouvernement esp~riol n'a pas
mis en ilo~itice clrait de protection. Quelsqu'en soient les motifs, le
changement d' attitude du Gouvernement cznedien ne sn.urait eri soi
justifier l'exerciced'une protection dipl~rnartique par un autre gouvernement.

.On a soutenu qu'un Etat peut fo~rnu.ler une réclmztion lorsque des
investissement fdts p,ar ses ressartiss~ntk silktranger,investissements
qui font pmtie des ressources&conorniques de la nation, subissent un
préjudice ch fait de la violation du droit de 1'Etat lui-même ce que ses
ressortissmts bénéficient d'un certain traitement. Mais, dans l'état
actuel des choses, pareil droit ne peut réxulter que d'un trait4 GU accard
spécial, Or aucun instrument de ce genren'est en vigueur entre 1s Belgique
et 1'~sp~ne.

On.. . , On a soutenu aussi que, pour des raisons d'équité, un.Etat devrait
pouvoir assumer dans certjlns cas la protection de'ses ressortissants
actionnaires d' une soci&t& victime d' une ,violation du droit international,

La 'cour consid~re que, 1' adoption de la t-sé de la. protection diploing.tiqcie
des actionnaires corne tels ouvrirait l.zi~yoïe'5 des réclma%ions
conc~wrentes de la part de plusieurs Etats, ce qui pourrait' créer un
climat d'insécurité dans les relations économiques internationales.
'.Dans les circonst~nces particulikres de la. présente affaire 0.Ù 1'Eta.t
national de la sociétd est en. mesure cl!agir, la Cour 11'est pas 6' avis
que des consibéra.tions d'équité soieni'.de nature à conférer à la Belgique
qualité pour agir.

Décision de la Cour (paragraphes 102 et ,103 de l'arrêt)

La Cour a pris connaissance du grand nombre de documents et a.utres
moyens de preuve présentés pcm les Parties et elle a pu apprécier toute
1' iinport ance des problzmes juridiques soule-~6s par 1' alléga.t;ion qui est à
la base de la deinalde du Gouvcrneinent belge et qui coiiceri~e les d6nis de

justice c;'ûuraient commis cles organes de l'Et at espagnol. Cependant
la possession par le Gouvernement belge d'un &oit de protection constitue
une condition prkd2ble i l'examen de tels problemes. Attendu que la
qualité de ce Gouvernement pour agir devmt la Cour 1-1'2pas été démontrée,
il n'y a pas lieu quo la Cour se prononce sur d'autres aspects de l'affaire.

En conséquence la Cour rejette la dern,mde il^ Gouverriement belge pc?r
quinze voix contre une, douze des voix de la majorité se fondant silr les
motifs ci-dessus enoncés.

Déclarations, opinions individuelles, opinion dissidente

M. Riphagen, juge ad hoc, ü joint à l'mrgt une opinion dissiLiente
dais Lquelle il expose qu'il n'est p,?s en mesu.re de s' ssocier à 1'cxrêt,
le raisonnement juridique suivi par la Cour lui pûraisscmt mécoimaî-tre
la nature des rkgles de droit international public coutumier applicables

en 1' esphce.

Parmi les quinze membres de la, majorité, trois se sont ralliés m
dispositif de l'arrêt (rejet de ln demande du Gouvernement belge) en se
fondant sur des motif's diff6rents et ils ont joint à 1' arrêt des opinions
individuelles. M. T?nczka, juge, expose que les deiuc exceptions préli-
minc?=ires jointes au fond auraient de &re rejetées, mais que lf211dgs?tion
du Gowverneinent belge concernant les dénis de justice n' ét'ait pas fon&e.
M. Jessup, juge, conclut notment qu'un Etat possède, dans certaines

circonstances, le droit de présenter une réclmation diplomatique au
nom clactioimaires qui sont ses ressortissa,nts, mais yLiC la Belgique n'a
pas réussi à prodver la n~tionalité belge, entre les dates critiques, des
personnes physiques et morales en csuse. M. Gros, juge, constate en
particulier que c'est à 1'Etat dont l'économie nationale est atteinte en
fait yu'x$p,artierrt le droit d'agir en justice, mais que la peuve de
1'appartenance de la B,wcelona Traction à l'écorioinie belge n' a ;;la &sté
fournie.

Parmi les douze membres de la mzijori'té qui se sont ralliés zu
lisp positif de lr.arr& en se fondant sur les mêmesmotifs (défait de
qualité pour agir de 1 'Etzt national 'les actionnaires),
PM. Bustamante y Rivero, Président, sir Gerald Fit-maurice e-1;Mvl. Morelli,Paclilla Nervo et Ammoun, juges (opinions individyelles), MM. Petrén et
OnyemG., juges (déclaration commune) et M. LachS, juge (cléclaration)
ont expose qu'il y svait toutefois certaines difféyences entre leur
raisonnement et celui de l'arrêt, ou qu'ils désiraient apporter des

compléments au texte de l'arrêt. ..,

' (Sir MuhammadZafrulla Khm, juge, zvait informé le Président dès
le stade des exceptions préliminaires que, ayant ét,6 consulté par ltur,e
des Parties au sujet de l'affaire avant son élection commemembre de la
Cour, il estimait ne pas devoir participer à son règlement.)

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