COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
Non officiel
Résumé 2024/9
Le 12 novembre 2024
Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan)
Résumé de l’arrêt du 12 novembre 2024
I. INTRODUCTION (PAR. 31-37)
La Cour rappelle que l’Arménie et l’Azerbaïdjan, deux républiques de l’ancienne Union des Républiques socialistes soviétiques (ci-après, l’« Union soviétique »), ont accédé à l’indépendance les 21 septembre 1991 et 18 octobre 1991, respectivement.
La région que l’Arménie dénomme Haut-Karabakh et l’Azerbaïdjan, Garabagh, était dans l’Union soviétique une entité autonome (« oblast ») majoritairement peuplée de personnes d’origine ethnique arménienne, située sur le territoire de la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. Les revendications concurrentes des Parties sur cette région ont déclenché des hostilités, désignées sous le nom de « première guerre du Haut-Karabakh » par l’Arménie et de « première guerre du Garabagh » par l’Azerbaïdjan, qui ont pris fin avec la conclusion d’un cessez-le-feu en mai 1994. De nouvelles hostilités ont éclaté en septembre 2020, donnant lieu à ce que l’Arménie appelle la « deuxième guerre du Haut-Karabakh » et l’Azerbaïdjan, la « deuxième guerre du Garabagh » (ci-après, le « conflit de 2020 »).
Le 9 novembre 2020, le président de l’Azerbaïdjan, le premier ministre de l’Arménie et le président de la Fédération de Russie ont signé une déclaration, dite « déclaration trilatérale », par laquelle étaient proclamés, à compter du 10 novembre 2020, un cessez-le-feu complet et la cessation de toutes les hostilités dans la zone de conflit du Haut-Karabakh. La situation entre les Parties est cependant demeurée instable et de nouvelles hostilités ont éclaté en septembre 2022, puis encore en septembre 2023.
Le 16 septembre 2021, l’Arménie a introduit la présente instance au titre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après, la « CIEDR » ou la « convention »), à la suite du conflit de 2020. Dans sa requête, elle affirme que l’Azerbaïdjan a violé plusieurs dispositions de la CIEDR en ayant mis en oeuvre pendant des décennies une politique de discrimination raciale. Plus précisément, elle soutient qu’en conséquence de cette politique de haine que promeut l’État contre les Arméniens, ceux-ci ont été victimes d’une discrimination systémique, de massacres, de torture et d’autres violences. L’Arménie et l’Azerbaïdjan sont tous deux parties à la CIEDR. La première y a adhéré le 23 juin 1993 et le second le 16 août 1996. La convention est entrée en vigueur à l’égard de chacune des Parties le trentième jour suivant la date du dépôt de son instrument d’adhésion, soit le 23 juillet 1993 et le 15 septembre 1996, respectivement. Aucune des Parties n’a formulé de réserve à la convention.
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La Cour rappelle que l’Azerbaïdjan soulève deux exceptions d’incompétence. Premièrement, il fait valoir que la Cour n’a pas compétence en vertu de l’article 22 de la CIEDR parce que la condition préalable de négociation n’a pas été remplie. Deuxièmement, il affirme que certaines demandes de l’Arménie ne relèvent pas de la compétence ratione materiae que la Cour tient de l’article 22 de la CIEDR.
II. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA CONDITION PRÉALABLE DE NÉGOCIATION REQUISE À L’ARTICLE 22 DE LA CIEDR (PAR. 38-59)
La Cour commence par examiner si la condition préalable de négociation requise à l’article 22 de la CIEDR a été remplie. Elle rappelle que, pour que la condition préalable de négociation contenue dans la clause compromissoire d’un traité soit remplie, la négociation doit avoir concerné l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument en question. En outre, s’il y a tentative ou début de négociations, il n’est satisfait à la condition préalable que lorsque les négociations ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse.
La Cour estime que la question de savoir si des négociations ont eu lieu ou si elles ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse dépend des faits et des circonstances propres à chaque affaire. Elle note que les Parties ont commencé à échanger par écrit au sujet du présent différend concernant la CIEDR en novembre 2020. L’Arménie a entamé une correspondance avec l’Azerbaïdjan par lettre en date du 11 novembre 2020, dans laquelle elle lui faisait grief de violer de manière continue de multiples dispositions de la CIEDR. Dans sa réponse, en date du 8 décembre 2020, l’Azerbaïdjan a « rejet[é] les allégations formulées par l’Arménie dans sa lettre du 11 novembre 2020 », déclarant cependant « rest[er] ouvert aux négociations sur cette question ». L’Arménie a réitéré ses demandes au titre de la CIEDR dans une lettre qu’elle a adressée le 22 décembre 2020 à l’Azerbaïdjan, et celui-ci a réaffirmé qu’il rejetait les allégations de l’Arménie dans la réponse qu’il lui a faite le 15 janvier 2021. Pour la Cour, ces références précises à la CIEDR montrent que l’objet de ces échanges portait sur l’objet de la convention.
La Cour relève qu’au cours des mois suivants, les Parties ont eu de multiples échanges par écrit et tenu deux séries de réunions en ligne au sujet des modalités, de la portée et du calendrier de leurs négociations sur le fond des allégations de violations de la CIEDR. Elles ont poursuivi leur correspondance sur les modalités de procédure jusqu’à conclure un accord à cet égard par un échange de notes verbales le 3 mai 2021. Elles ont continué d’échanger sur la portée des négociations et, à une réunion tenue le 31 mai 2021, chacune a présenté une liste de questions à débattre aux réunions qui suivraient. Les Parties ont eu encore d’autres échanges pour déterminer sous quelle forme et selon quel échéancier chacune présenterait ses demandes. De l’avis de la Cour, tous ces échanges faisaient partie des négociations entre les Parties concernant un possible règlement du présent différend. Les négociations sur le fond des allégations de violations de la CIEDR ont commencé par la réunion que les Parties ont tenue en personne les 15 et 16 juillet 2021, au cours de laquelle l’Arménie a exposé ses griefs et les remèdes qu’elle sollicitait. Les Parties ont tenu deux séries de réunions en personne pour discuter des griefs et négocier les remèdes, la première les 15 et 16 et les 27 et 28 juillet 2021, et la seconde, les 30 et 31 août et les 14 et 15 septembre 2021. La Cour note que les positions respectives des Parties sont restées foncièrement inchangées entre le moment où l’Azerbaïdjan a rejeté une première fois les demandes de l’Arménie, en décembre 2020, et celui où il a réaffirmé qu’il rejetait lesdites demandes, à la deuxième réunion sur le fond tenue en septembre 2021. La Cour note en outre que l’Azerbaïdjan a présenté un certain nombre de propositions à l’Arménie à la réunion des 30 et 31 août 2021 et qu’il les a renouvelées par lettre en date du 9 octobre 2021. Ces propositions portaient sur des mesures que l’Azerbaïdjan et l’Arménie pourraient prendre conjointement, et non sur des mesures susceptibles de régler le différend qui les oppose concernant la CIEDR. Dans ces conditions, la Cour n’est pas convaincue qu’il soit possible, comme le soutient l’Azerbaïdjan, de conclure que les négociations venaient seulement de commencer et que leur poursuite aurait encore pu conduire à un règlement.
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À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’Arménie a vraiment tenté d’engager des discussions avec l’Azerbaïdjan en vue de régler le différend, conformément à l’article 22 de la CIEDR.
La Cour est aussi d’avis que les négociations entreprises étaient devenues inutiles à la date où l’Arménie a déposé sa requête. Elle rappelle qu’il n’est pas nécessaire, pour prouver qu’il y a vraiment eu tentative de négociation, ou conduite de négociations, que les parties au différend soient en fait parvenues à un accord. Dans de précédentes affaires, la Cour a conclu que la condition préalable de négociation était remplie lorsque les positions des parties n’avaient, pour l’essentiel, pas évolué par la suite malgré plusieurs échanges de correspondance diplomatique ou de réunions. Elle a en outre jugé que le nombre et la durée exacts des échanges n’étaient pas déterminants à cet égard. En l’espèce, les positions respectives des Parties sont restées foncièrement inchangées entre la fin 2020 et septembre 2021. Dans ces conditions, la Cour considère que les négociations étaient devenues inutiles puisqu’il n’était pas réaliste de penser que le désaccord entre les Parties pouvait être réglé à ce stade par la voie de négociations bilatérales.
Pour ces raisons, la Cour conclut que la condition préalable de négociation requise à l’article 22 de la CIEDR est remplie dans les circonstances de l’espèce. Elle considère par conséquent que la première exception préliminaire soulevée par l’Azerbaïdjan doit être rejetée.
III. SECONDE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE : LA COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE (PAR. 60-104)
A. Introduction (par. 60-68)
La Cour examine ensuite la seconde exception préliminaire de l’Azerbaïdjan, qui porte sur sa compétence ratione materiae. Elle rappelle que, conformément à l’article 22 de la CIEDR, sa compétence ratione materiae s’étend à « [t]out différend entre deux ou plusieurs États parties touchant l’interprétation ou l’application de la … Convention ».
La Cour note que l’Azerbaïdjan ne conteste pas sa compétence ratione materiae à l’égard de la plupart des demandes présentées par l’Arménie au titre de la CIEDR. La seconde exception préliminaire est limitée aux demandes concernant le manquement présumé de l’Azerbaïdjan à ses obligations au regard du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR à raison de faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain ayant visé des personnes d’origine ethnique arménienne, et aux demandes concernant le manquement présumé de l’Azerbaïdjan à ses obligations au regard de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR à raison de pratiques de détention arbitraire et de disparition forcée, respectivement, de personnes d’origine ethnique arménienne pendant le conflit de 2020 et les hostilités qui ont suivi.
B. La portée de la CIEDR et son applicabilité dans un conflit armé (par. 69-78)
La Cour rappelle que, lorsqu’elle est saisie, sur la base d’une clause compromissoire d’un traité, par un État qui met en cause la responsabilité internationale d’un autre État partie pour manquement aux obligations découlant dudit traité, elle doit rechercher si les actions ou les omissions dont le demandeur fait grief au défendeur entrent dans le champ d’application du traité dont la violation est alléguée, c’est-à-dire si les faits en cause, à les supposer établis, sont susceptibles de constituer des violations des obligations découlant du traité.
La Cour rappelle en outre que, afin d’établir si elle a compétence ratione materiae, elle n’a pas besoin de déterminer si les actes dont l’Arménie tire grief constituent effectivement une « discrimination raciale » au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. Une telle détermination porte sur des points de fait, largement tributaires des éléments de preuve relatifs au
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but ou à l’effet des mesures alléguées par la demanderesse, et relève donc de l’examen au fond si l’affaire devait se poursuivre jusqu’à ce stade. Pour l’heure, la Cour s’assure simplement que les faits allégués de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention arbitraire et de disparition forcée, à les supposer établis, sont susceptibles de constituer des violations de la CIEDR et entrent donc dans son champ d’application.
La Cour note qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR,
« l’expression “discrimination racialeˮ vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ».
Par conséquent, pour que ses demandes relèvent de la compétence ratione materiae de la Cour au titre de la CIEDR, le demandeur doit alléguer des faits qui, à les supposer établis, sont susceptibles de constituer une différence de traitement fondée sur l’un des motifs prohibés par le paragraphe 1 de l’article premier, ayant pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la jouissance de droits, dans des conditions d’égalité, par des membres du groupe protégé. La Cour rappelle que, selon le paragraphe 2 de l’article premier de la CIEDR, les distinctions fondées sur la citoyenneté ou la nationalité actuelle, par opposition à l’origine nationale ou ethnique, n’entrent pas dans le champ d’application de la convention. En la présente espèce, cependant, les Parties conviennent que l’origine nationale ou ethnique arménienne est un motif de discrimination prohibé par la convention, ce à quoi la Cour souscrit.
Concernant l’applicabilité de la CIEDR dans les situations de conflit armé, la Cour note aussi que les Parties conviennent que la CIEDR s’applique dans de telles situations et que son applicabilité aux comportements en temps de conflit armé n’est pas exclue par celle du droit international humanitaire. En particulier, les Parties admettent toutes deux qu’un comportement qui peut être incompatible avec le droit international humanitaire peut en même temps mettre en jeu des obligations découlant de la CIEDR, dès lors que ce comportement remplit les conditions aux fins de la formulation d’un grief au titre de la convention.
La Cour fait observer que l’interdiction de la discrimination raciale, élément essentiel du droit international des droits de l’homme, est aussi un élément fondamental du droit international humanitaire. Elle rappelle avoir déjà dit par le passé que des actes supposément discriminatoires commis dans le contexte d’un conflit armé peuvent sembler susceptibles de porter atteinte à des droits conférés par la CIEDR, même si certains pourraient également être couverts par d’autres règles de droit international, notamment de droit humanitaire. Elle rappelle aussi que la protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en cas de conflit armé et que la convention ne prévoit aucune restriction générale à son applicabilité dans les situations de conflit armé, ni de dérogation en pareilles circonstances. De fait, certaines des formes les plus extrêmes de discrimination raciale se produisent dans le contexte d’un conflit armé.
Par conséquent, la Cour conclut que la protection contre la discrimination raciale offerte par la CIEDR continue de s’appliquer dans un conflit armé. Ainsi, la convention et le droit international humanitaire sont complémentaires. La Cour souligne cependant que l’article 22 de la CIEDR circonscrit sa compétence en l’espèce aux demandes formulées par l’Arménie au titre de cette convention.
Pour ces raisons, la Cour est d’avis que des faits de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention arbitraire et de disparition forcée qui auraient été commis sur le fondement de l’origine nationale ou ethnique de la victime sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations découlant de la CIEDR, y compris dans un conflit armé. C’est pourquoi elle recherche si les faits
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spécifiques dont l’Arménie tire grief sont susceptibles d’attester un traitement discriminatoire fondé sur l’origine nationale ou ethnique arménienne des victimes.
C. Violations alléguées de la CIEDR (par. 79-103)
1. Faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain (par.79-95)
La Cour examine ensuite les arguments opposés par l’Azerbaïdjan aux griefs que lui fait l’Arménie d’avoir commis des faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain contre des civils ou des membres de forces armées d’origine nationale ou ethnique arménienne, sur le fondement de cette origine, en violation du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR.
La Cour rappelle que la CIEDR, contrairement au droit international humanitaire, ne fait pas de distinction entre les membres des forces armées et les civils. Compte tenu de cela, elle estime que les demandes de l’Arménie concernant des traitements discriminatoires infligés aux membres des forces armées comme aux civils sur le fondement de leur origine nationale ou ethnique entrent dans le champ d’application de la convention.
La Cour est d’avis que les faits allégués par l’Arménie sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination à l’égard des membres des forces armées et des civils « fondée sur » leur origine nationale ou ethnique arménienne, ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à des droits protégés par le paragraphe 1 de l’article 2, l’alinéa a) de l’article 4 et l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR. Parmi ces faits figure le traitement qu’auraient subi des personnes d’origine ethnique arménienne résidant dans le Haut-Karabakh.
S’agissant de savoir si une demande serait exclue de sa compétente ratione materiae au titre de la CIEDR s’il existait une quelconque autre explication ou interprétation du préjudice allégué par l’Arménie dans cette demande, la Cour considère qu’elle n’a pas à s’intéresser à cette question au stade de la compétence. Elle doit seulement déterminer si les faits allégués sont susceptibles de constituer des violations de la convention et entrent donc dans son champ d’application.
La Cour observe ensuite que la discrimination raciale est un phénomène qui peut être étroitement lié au contexte dans lequel il s’inscrit, et qu’il peut être nécessaire, pour en établir l’existence, de procéder à un examen attentif des faits et de leurs implications. La question de savoir si les éléments soumis par l’Arménie à l’appui de ses demandes suffisent à démontrer que les actes allégués de discrimination étaient effectivement fondés sur l’origine nationale ou ethnique des victimes est une question qui relève du fond et qui ne peut être tranchée au stade actuel de la procédure.
De même, il n’y a pas lieu pour la Cour, à ce stade, d’examiner les déclarations ou autres éléments de preuve spécifiques présentés par l’Arménie pour déterminer si les propos supposément provocateurs tenus par des ressortissants azerbaïdjanais dans un contexte particulier attestent une hostilité à l’égard des Arméniens fondée sur leur origine ethnique ou un autre motif prohibé. Il appartient à l’Arménie de produire, au stade du fond, des éléments convaincants pour établir que les actes en cause sont constitutifs de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, ce que l’Azerbaïdjan sera ensuite en droit de contester.
En ce qui concerne les éléments dont l’Arménie prétend qu’ils prouvent l’animosité généralisée à l’égard des Arméniens, la Cour note qu’elle a déjà conclu qu’une rhétorique encourageant la haine raciale ainsi que l’incitation à la discrimination raciale pouvaient propager un climat imprégné de racisme, d’autant plus lorsqu’elles sont le fait de hauts responsables de l’État, et accroître le risque d’atteinte à l’intégrité physique de membres du groupe protégé. La Cour relève que l’Azerbaïdjan ne conteste pas sa compétence à l’égard des demandes de l’Arménie concernant
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la glorification qu’il aurait faite de la violence raciale ou les discours haineux qui auraient visé les personnes d’origine ethnique arménienne. Elle considère que l’existence présumée d’un climat général empreint de sentiments et de discours exprimant une discrimination raciale est un élément pertinent pour évaluer si, comme l’affirme l’Arménie, certains des actes dont celle-ci tire grief sont susceptibles d’emporter manquement aux obligations imposées par la CIEDR. La Cour souligne cependant qu’il n’y a pas lieu pour elle, à ce stade de la procédure, de déterminer dans quelle mesure un tel sentiment « arménophobe » généralisé, s’il est avéré, peut servir à démontrer que des actes donnés étaient « fondé[s] sur » des motifs prohibés par le paragraphe 1 de l’article premier de la convention.
En conséquence, la Cour conclut que les demandes de l’Arménie concernant des faits allégués de meurtre, de torture et de traitement inhumain qui auraient été commis contre des personnes d’origine ethnique arménienne sur le fondement de considérations raciales relèvent du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR.
2. Détention arbitraire et disparition forcée (par. 96-103)
La Cour se penche ensuite sur la détention arbitraire et la disparition forcée. Compte tenu des raisons qu’elle a exposées dans son analyse relative aux faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain, la Cour est d’avis que les faits allégués par l’Arménie concernant la détention arbitraire et la disparition forcée de civils d’origine ethnique arménienne sont aussi susceptibles de constituer un traitement discriminatoire « fondé[] sur » l’origine nationale ou ethnique arménienne ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à des droits protégés par l’article 2 et l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR. Parmi ces faits figure le traitement qu’auraient subi des personnes d’origine ethnique arménienne résidant dans le Haut-Karabakh.
En conséquence, la Cour conclut que les demandes de l’Arménie concernant la détention arbitraire et la disparition forcée alléguées de personnes d’origine ethnique arménienne sur le fondement de considérations raciales relèvent de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR.
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La Cour conclut donc que la seconde exception préliminaire d’incompétence soulevée par l’Azerbaïdjan doit être rejetée.
DISPOSITIF (PAR. 105)
Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par seize voix contre une,
Rejette la première exception préliminaire soulevée par la République d’Azerbaïdjan ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Koroma, juge ad hoc ;
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2) Par quinze voix contre deux,
Rejette la seconde exception préliminaire soulevée par la République d’Azerbaïdjan ;
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Yusuf, juge ; M. Koroma, juge ad hoc ;
3) Par quinze voix contre deux,
Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article 22 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, pour connaître de la requête déposée par la République d’Arménie le 16 septembre 2021.
POUR : M. Salam, président ; Mme Sebutinde, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Yusuf, juge ; M. Koroma, juge ad hoc.
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M. le juge YUSUF joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge IWASAWA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ad hoc KOROMA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente.
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Exceptions préliminaires soulevées par l'Azerbaïdjan
Résumé de l'arrêt du 12 novembre 2024