DÉCLARATION DE M. LE JUGE TLADI
[Traduction]
Situation dans le Territoire palestinien occupé n’étant pas un différend bilatéral Politiques et pratiques d’Israël constituant une violation de normes impératives du droit international Préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne pouvant l’emporter sur ses obligations juridiques internationales Politiques et pratiques pouvant être qualifiées d’apartheid Organisation des Nations Unies étant dans l’obligation d’envisager des mesures et modalités supplémentaires en cas de non-respect.
I. INTRODUCTION ET CONTEXTE
1. J’ai voté en faveur de tous les points du dispositif de l’avis consultatif de la Cour et je suis globalement satisfait du résultat. Compte tenu du caractère collectif du processus de prise de décision de la Cour, l’exposé des motifs n’est pas toujours aussi clair qu’il pourrait l’être, mais cela ne devrait pas occulter l’importance générale que revêt cet avis dans la quête de la paix au Moyen-Orient. Dans la présente déclaration, j’ai tenu à revenir sur certains points saillants de l’avis consultatif, qui méritent d’être éclaircis.
2. D’aucuns contesteront peut-être la conclusion principale formulée dans l’avis, à savoir que la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite et que, par conséquent, Israël doit y mettre fin. À cet égard, il est permis de se demander si les violations du droit international commises par Israël conduisent nécessairement à la conclusion que la présence de celui-ci est illicite et qu’il lui faut dès lors se retirer du Territoire palestinien occupé. En effet, le fait de violer certaines règles du droit international ne permet pas toujours, en soi, de conclure au caractère illicite de la présence elle-même. Ce que montre l’avis, cependant, c’est que la gravité et l’ampleur des violations commises par Israël, ainsi que la nature des règles qui ont été violées, sont telles qu’elles font voler en éclats tout argument fallacieux quant à l’objectif de la présence de celui-ci dans le territoire palestinien, transformant ce qui aurait pu être une présence licite fondée sur l’occupation en une présence illicite, puisque clairement constitutive d’une violation manifeste des règles fondamentales du droit international interdisant l’acquisition de territoire par la force et le déni du droit à l’autodétermination.
3. La conclusion de la Cour repose non seulement sur le caractère fondamental des règles violées, ou la gravité de ces violations, mais aussi sur le fait que les violations ont persisté, et se sont d’ailleurs aggravées, alors même que de multiples organes et entités n’ont eu de cesse d’exhorter Israël à y mettre fin. La gravité et l’ampleur des violations ont eu pour effet de mettre le roi à nu, exposant la vérité aux yeux de tous : rien, dans l’entreprise en question, ne permet de la justifier en tant qu’occupation temporaire. Il s’agit purement et simplement d’une annexion, laquelle enfreint le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force. Autrement dit, comme cela ressort des faits présentés à la Cour, Israël se sert clairement de l’occupation comme d’une couverture destinée à masquer ses violations de certains des principes les plus fondamentaux du droit international. C’est ainsi que je comprends la mention que fait la Cour de « [l]’utilisation abusive persistante[, par Israël,] de sa position en tant que puissance occupante »1. Dans ces conditions, tout argument qui continuerait de laisser entendre que le comportement illicite d’Israël serait en quelque sorte dépourvu d’incidence sur la licéité de sa présence dans le Territoire
1 Avis, par. 261.
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palestinien occupé aurait pour effet de donner à cette présence un vernis de licéité, ce qui me semble tout bonnement incompréhensible.
4. À l’inverse, nombreux seront ceux qui se féliciteront, à juste titre, de ce que l’avis de la Cour confirme l’illicéité de la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, et l’obligation qui lui incombe de se retirer de ce territoire. Or, cette conclusion n’a rien d’étonnant compte tenu de l’avis consultatif donné en 2004 sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (ci-après, l’« avis sur le mur ») et du libellé des questions posées par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247, où étaient citées des règles particulièrement importantes, à savoir le droit à l’autodétermination, les règles du droit international des droits de l’homme, en particulier celles interdisant la discrimination, l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et les règles fondamentales du droit international humanitaire, au regard desquelles il convient d’apprécier les politiques et pratiques d’Israël. Comme je le développerai ci-dessous, une autre conclusion que celle à laquelle la Cour est parvenue était difficilement envisageable au vu des graves violations de ces règles fondamentales du droit international. La plupart des questions juridiques sont matière à débats et à divergences d’opinions, dans un sens comme dans l’autre, même lorsqu’il existe une position objectivement juste en droit. La situation dans le Territoire palestinien occupé, en revanche, est l’une des rares situations en droit international pour laquelle on peut difficilement trouver des arguments juridiques et politiques contre le droit des Palestiniens à l’autodétermination, et en faveur de l’occupation prolongée par Israël du territoire palestinien et de l’assujettissement du peuple palestinien. Même au cours de la présente procédure, les États pouvant être décrits comme des « soutiens d’Israël », à l’exception de deux d’entre eux, à savoir la Zambie et les Fidji, ont adopté une position clairement procédurale, en faisant valoir des points de compétence et en priant la Cour de ne pas exercer sa compétence ou de ne le faire que dans une certaine mesure. Face aux faits indéniables et à l’état du droit, peu d’États ont toutefois semblé vouloir avancer qu’Israël n’avait pas violé les règles et principes auxquels il est fait référence dans les questions posées par l’Assemblée générale. Vue sous cet angle, la conclusion formulée par la Cour, à savoir que des violations graves du droit à l’autodétermination et de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force ont été commises, ne devrait pas créer la surprise ni faire l’effet d’une bombe.
5. Dans la présente déclaration, j’ai tenu à aborder cinq questions qui se sont posées dans le cadre de cette procédure consultative et qui, selon moi, méritent que l’on s’y attarde. Premièrement, je suis troublé par les arguments avancés par certains participants qui ont cherché à décrire l’occupation israélienne, ainsi que ses conséquences, comme un différend bilatéral entre Israël et la Palestine (voir la section II ci-dessous). La Cour n’évoque ce point que brièvement et, ce faisant, passe à côté d’une occasion importante d’un point de vue normatif. Je me pencherai également, dans ce contexte, sur le développement excessif, par la Cour, d’arguments concernant le pouvoir discrétionnaire dont elle dispose pour décider de ne pas répondre à une demande d’avis consultatif, en particulier lorsque celle-ci émane de l’Assemblée générale ou du Conseil de sécurité. Le deuxième point, peut-être le plus important à mes yeux, est le droit à l’autodétermination et son statut de jus cogens (voir la section III ci-dessous). Troisièmement, j’expliquerai pourquoi, selon moi, la Cour a eu raison de considérer que les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé sont constitutives d’apartheid (voir la section IV ci-dessous). Quatrièmement, la Cour ne traite pas directement et exhaustivement de la question des préoccupations d’Israël en matière de sécurité, ce que je comprends parfaitement. Néanmoins, la sécurité étant invoquée par Israël comme l’une des principales justifications de ses politiques et pratiques, il est important d’en dire un mot, et je le ferai dans la présente déclaration (voir la section V ci-dessous). Cinquièmement, en ce qui concerne les conséquences découlant des violations commises par Israël pour l’Organisation des Nations Unies, la Cour a dit que celle-ci devrait examiner « quelles modalités précises et mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin dans les plus brefs délais » à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé2. Bien que cette conclusion soit correcte, j’estime que la Cour aurait pu
2 Avis, point 9 du dispositif (par. 285).
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décrire plus concrètement les mesures que l’Organisation des Nations Unies pourrait envisager pour mettre fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et faire en sorte que cet État se conforme aux obligations que lui impose le droit international. Je formulerai quelques observations à ce sujet en présentant des mesures concrètes pertinentes aux fins du droit palestinien à l’autodétermination et, de manière générale, du respect de l’avis rendu par la Cour (voir la section VI ci-dessous).
II. LA QUESTION PALESTINIENNE N’EST PAS UN DIFFÉREND BILATÉRAL
6. Tous les participants à la présente procédure ont admis que la Cour avait compétence pour donner l’avis consultatif demandé. Certains ont cependant avancé qu’elle ne devrait pas exercer cette compétence, le jargon juridique employé à cet égard étant que la Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire en la matière, dont elle devrait faire usage pour refuser de rendre un avis consultatif sur cette question, et ce, alors même qu’elle a compétence. Plusieurs raisons ont été avancées. Outre celle qui fait l’objet de la présente section, à savoir que la question a trait à un différend bilatéral, il a également été soutenu que l’avis, quel qu’il soit, ne serait d’aucune aide à l’Assemblée générale, qu’il saperait le processus de paix politique, qu’il nuirait au rôle du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, que la Cour ne disposait pas de suffisamment d’informations pour donner un avis et que la formulation des questions était biaisée. Ces raisons sont, dans l’ensemble, tirées de la jurisprudence de la Cour.
7. Je n’ai nullement l’intention de développer chacun de ces points. Je tiens toutefois à formuler une observation générale au sujet du pouvoir discrétionnaire dont disposerait la Cour, et qui lui permettrait de refuser de donner un avis. Conformément à ce qui est aujourd’hui devenu sa jurisprudence, qui se trouve renforcée par l’avis qu’elle vient de donner, la Cour a le pouvoir discrétionnaire de décider de ne pas exercer sa compétence consultative s’il existe des raisons décisives en ce sens. Il ressort de cette jurisprudence que ce pouvoir discrétionnaire est sans entrave, du moins en théorie3.
8. Cette notion dûment établie d’un pouvoir discrétionnaire de ne pas exercer sa compétence fait aujourd’hui partie intégrante de la jurisprudence de la Cour, et un revirement sur ce point paraît peu vraisemblable4. Par conséquent, chaque fois qu’elle sera amenée à l’avenir à donner un avis, la Cour continuera, au détriment de nombreux arbres et de notre climat, d’énumérer et de répéter de façon convenue les raisons qui pourraient l’amener à faire usage de son pouvoir discrétionnaire, tout en expliquant en quoi elles ne s’appliquent pas dans le cas d’espèce. Selon moi, quel que soit le pouvoir discrétionnaire de la Cour, celui-ci est extrêmement restreint, tellement restreint qu’elle devrait cesser d’être aussi prolixe sur le sujet. La Cour a d’ailleurs elle-même maintes fois reconnu à quel point ce pouvoir discrétionnaire était limité, relevant que sa réponse à une demande d’avis consultatif « constitu[ait] [sa] participation … à l’action de l’Organisation et [que], en principe, elle
3 Georges Abi Saab, “On Discretion: Reflections on the Nature of the Consultative Function of the International Court of Justice” in Laurence Boisson de Charzounes and Philippe Sands (eds) International Law, the International Court of Justice and Nuclear Weapons (Cambridge University Press 1999), p. 37 ; voir aussi Gleider I Hernández, The International Court of Justice and the Judicial Function (Oxford University Press 2014), p. 78.
4 À toutes fins utiles, je précise que je partage le point de vue de M. Abi Saab (ibid.) selon lequel le fait de fonder cette jurisprudence sur la procédure relative au Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B, no 5 est erroné, puisqu’il ressort d’une lecture attentive de l’avis de la Cour que celle-ci s’interrogeait alors non pas sur un « pouvoir discrétionnaire », mais sur le point de savoir si elle avait compétence (compte tenu de l’incompétence du Conseil de la Société des Nations). Mais c’est aujourd’hui de l’histoire ancienne et il nous faut accepter que la Terre est plate.
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ne devrait pas être refusée »
5. Tel est particulièrement le cas lorsque la demande en question émane des autres organes principaux de l’Organisation des Nations Unies, à savoir l’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité. Si une demande doit, en principe, ne pas être refusée, et si un refus nécessite l’existence d’une raison décisive (le critère en la matière étant si exigeant que la Cour n’a, en réalité, jamais trouvé de raison suffisamment décisive pour refuser une demande d’avis consultatif), la Cour dispose-t-elle réellement d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard ? Il me semble que ce dont elle dispose, ce n’est pas d’un pouvoir discrétionnaire comme on l’entend habituellement, à savoir le « libre choix de décider ; pouvoir de prendre librement ses décisions »6, mais plutôt d’une possibilité d’invoquer des considérations d’opportunité judiciaire prioritaires pouvant légitimement justifier son refus de répondre à une demande d’avis consultatif.
9. Si la Cour refusait de répondre à une demande de l’Assemblée générale ou du Conseil de sécurité lorsqu’elle a compétence pour le faire, cela reviendrait, selon moi, à ce qu’elle remette en question les décisions des autres organes principaux de l’Organisation des Nations Unies d’une manière qui serait juridiquement problématique. Cela ne veut pas dire qu’elle ne peut en aucun cas refuser de donner un avis consultatif, même si celui-ci a été sollicité par un autre organe principal. Plusieurs raisons me viennent à l’esprit qui pourraient justifier l’exercice par la Cour de cet étroit pouvoir discrétionnaire. Par exemple, j’imagine que la Cour refuserait de donner un avis si la question était, entre-temps, devenue sans objet7, ou si la demande d’un organe ne bénéficiait plus du soutien d’une grande partie de ses membres qui l’avaient auparavant appuyée (il s’agirait alors d’une forme de levée du « voile social »). La Cour pourrait aussi refuser de donner un avis si la demande émanait d’un organe principal, alors qu’un autre la désapprouvait.
10. En tout état de cause, le fait qu’une demande ait pour objet un différend bilatéral ne devrait pas être de nature à empêcher la Cour d’exercer sa compétence consultative, et ce, nonobstant ses déclarations précédentes selon lesquelles le caractère bilatéral d’une question peut constituer une raison décisive de refuser de le faire8. Dans le présent avis, la Cour répond à l’objection portant sur le caractère bilatéral du différend en relevant qu’elle ne considère pas cette procédure comme une question uniquement bilatérale entre Israël et la Palestine9. Au contraire, d’après elle, « [c]ette question intéresse et préoccupe … particulièrement l’Organisation des Nations Unies », car les « questions relatives à la Palestine sont inscrites à l’ordre du jour des organes de l’Organisation des Nations Unies, et auparavant de la Société des Nations, depuis le régime des mandats »10.
11. Bien que ce raisonnement soit selon moi correct, il me semble également important de souligner que, outre cette raison institutionnelle liée à la responsabilité de longue date de l’Organisation des Nations Unies, le conflit israélo-palestinien ne peut être considéré comme un différend bilatéral pour une raison beaucoup plus normative. Quoique le droit international ne puisse
5 Voir, par exemple, Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 (les italiques sont de moi) ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44.
6 “Freedom in the exercise of judgment; the power of free decision-making”, Black’s Law Dictionary (11e éd., 2019), p. 585.
7 Voir, par exemple, Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 26, par. 46 (« La Cour a déjà reconnu à plusieurs reprises par le passé que des événements postérieurs à l’introduction d’une requête peuvent “[priver] ensuite la requête de son objetˮ. »).
8 Voir, par exemple, Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33.
9 Avis, par. 35.
10 Ibid.
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pas encore être décrit comme un système fondé sur la solidarité (et il ne le sera peut-être jamais), il ne fait aucun doute que le système juridique international est sorti de l’ère du bilatéralisme pur, qui caractérisait le droit international classique. C’est ainsi que le droit international s’est intéressé à la situation qui prévalait dans mon propre pays avant 1994, alors même qu’il s’agissait techniquement, dans la pure tradition bilatérale, d’un problème interne ; c’est ainsi que le droit international s’intéresse aux allégations de génocide, que celui-ci soit commis ou non à l’intérieur des frontières d’un État ; c’est ainsi que les violations des droits de l’homme font l’objet d’examens par des organes internationaux. Dès lors, comment qualifier de différend bilatéral une procédure dans laquelle sont en jeu certaines des normes les plus fondamentales du droit international, notamment des normes de jus cogens ? L’idée même que l’on puisse considérer que les événements en Palestine relèvent d’un différend purement bilatéral me paraît moralement inconcevable. Rien n’est moins vrai. On ne peut guère parler de situation bilatérale lorsqu’on évoque la situation en Palestine. Indépendamment de la responsabilité institutionnelle particulière de l’Organisation des Nations Unies, le fait de priver un peuple de certains des droits les plus fondamentaux est une question qui concerne l’humanité tout entière. On ne peut guère parler de situation bilatérale lorsqu’on évoque une situation dans laquelle un peuple est contraint, depuis plusieurs générations, de vivre sous domination dans des conditions dégradantes, orphelin des droits que le reste du monde tient pour acquis.
12. Certes, la Cour n’a pas tort de renvoyer au motif d’ordre institutionnel, à savoir la responsabilité qui incombe à l’Organisation des Nations Unies. En 2004, déjà, elle avait invoqué ce point pour rejeter l’objection portant sur le caractère bilatéral du différend, affirmant que, « [c]ompte tenu des pouvoirs et responsabilités de l’Organisation des Nations Unies à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, … la construction du mur d[evait] être regardée comme intéressant directement l’Organisation »11. Bien qu’il se soit agi là aussi d’un motif d’ordre institutionnel, la Cour était allée encore plus loin qu’elle ne l’a fait en l’espèce en renvoyant, au-delà dudit motif, à des raisons de fond relatives à la paix et à la sécurité.
13. Le motif institutionnel invoqué par la Cour dans le présent avis ne rend pas compte des raisons humanitaires pour lesquelles la situation dans le Territoire palestinien occupé ne peut être considérée comme un différend bilatéral. Il ne dit rien des impératifs moraux et sociaux pour lesquels le droit international doit s’intéresser à cette situation et pour lesquels, plus précisément, il doit dicter le rôle central de la « communauté internationale » dans le règlement de cette situation. Je regrette que la Cour n’ait pas saisi l’occasion de le faire. Car, en effet, s’il était compréhensible qu’elle s’appuie, en 2004, sur la responsabilité institutionnelle de l’Organisation des Nations Unies, elle aurait dû, en 2024, invoquer la responsabilité de la « communauté internationale » en tant que telle, quelle que soit la responsabilité institutionnelle historique de l’Organisation.
III. CARACTÈRE IMPÉRATIF DU DROIT À L’AUTODÉTERMINATION
1. Observations générales
14. La conclusion centrale de la Cour est que la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite et que cet État a donc l’obligation juridique de s’en retirer, ou de mettre un terme à sa présence illicite dans ledit territoire. Cette conclusion découle principalement de ce que la présence israélienne dans le Territoire palestinien occupé constitue une violation du droit des Palestiniens à l’autodétermination, en plus d’emporter violation de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force. La Cour réaffirme que le droit à l’autodétermination est l’« un des principes essentiels du droit international contemporain » et que l’obligation de respecter ce droit est due erga
11 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 159, par. 49.
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omnes
12. Cela n’a rien de nouveau et ce n’est pas la première fois que la Cour le dit13. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la reconnaissance explicite par la Cour du droit à l’autodétermination en tant que norme impérative de droit international. Au paragraphe 233, la Cour déclare ainsi que, « en cas d’occupation étrangère comme celle dont il est question en la présente espèce, le droit à l’autodétermination constitue une norme impérative de droit international ». Le membre de phrase « en cas d’occupation étrangère comme celle dont il est question en la présente espèce » n’est pas très clair, mais je l’interprète comme signifiant que l’élément du droit à l’autodétermination en cause dans la présente espèce, à savoir le droit du peuple palestinien à ce que son droit à l’autodétermination ne soit pas entravé par l’occupation étrangère d’Israël, est assurément une norme impérative de droit international. Ce prononcé est sans préjudice du caractère impératif d’autres éléments du droit à l’autodétermination (qui n’étaient pas en cause en l’espèce). De la même manière, déclarer que l’interdiction (plus stricte) de l’agression est une norme impérative ne signifie pas nécessairement que l’interdiction, plus large, de l’emploi de la force ne l’est pas.
15. Bien que la reconnaissance du caractère impératif du droit à l’autodétermination constitue, de la part de la Cour, un changement heureux par rapport à la frilosité dont elle a toujours fait montre lorsqu’il s’est agi, d’une manière générale, d’invoquer le jus cogens et, plus particulièrement, de dire que l’autodétermination en relevait, cette réticence à reconnaître le caractère impératif de certaines normes continue de laisser des traces dans le présent avis. Premièrement, et j’y reviendrai, la Cour semble plutôt ambivalente quant au rôle que le caractère impératif de l’autodétermination joue dans l’avis ; j’imagine que d’aucuns considéreront sa déclaration à cet égard comme un obiter dictum. Deuxièmement, d’autres normes qui ont incontestablement valeur de jus cogens ne sont pas désignées ainsi. Il s’agit de l’interdiction de l’emploi de la force, de l’interdiction de l’apartheid et de certains des principes fondamentaux du droit international humanitaire. Le fait que la Cour soit réticente à qualifier d’impératives ces normes dont le statut de jus cogens est indéniable me semble moins problématique, parce que, d’une part, elle a déjà reconnu à l’interdiction de l’emploi de la force le caractère de jus cogens dans une procédure antérieure14 et que, d’autre part, sa principale conclusion en la présente espèce est fondée sur l’autodétermination. Qui plus est, je peux comprendre que la Cour ait voulu éviter de qualifier certains principes du droit international humanitaire de normes impératives, sans préciser lesquels. En tout état de cause, compte tenu de la réticence à se référer à des normes impératives dont la Cour a toujours fait preuve, et dont les effets résiduels se font sentir dans le présent avis, il me semble utile d’en dire quelques mots.
16. Le peu d’empressement de la Cour à qualifier clairement comme telles certaines normes dont il est largement admis qu’elles ont le statut de normes impératives, en particulier le droit à l’autodétermination, est difficilement compréhensible. Il n’obéit à aucune raison rationnelle. L’hypothèse selon laquelle la Cour a évité d’employer les termes « jus cogens » et « normes impératives » par le passé sous l’influence de juges français siégeant en son sein — la France étant
12 Avis, par. 232.
13 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 180 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 156.
14 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 437, par. 81.
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réputée opposée à ces termes —, quel qu’en soit le bien-fondé, est dénuée de pertinence15. Ce qui est clair, c’est que la Cour, pour éviter de qualifier certaines normes de jus cogens, a employé un certain nombre d’outils ou de méthodes, notamment i) le fait de se référer à d’autres sources qualifiant telle ou telle norme de jus cogens sans reprendre cette qualification à son compte16, ii) le fait d’employer des termes qui pourraient être interprétés comme étant des synonymes de jus cogens17, ou iii) le fait de recourir à la notion connexe, mais distincte d’erga omnes18. Parfois, la reconnaissance par la Cour d’une norme en tant que norme de jus cogens est formulée de manière maladroite ou confuse pour créer une impression d’ambiguïté, comme c’est sans doute le cas de la référence qu’elle a faite au caractère de jus cogens de l’interdiction de l’emploi de la force dans l’avis consultatif qu’elle a rendu sur la question de la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo19. Pourquoi la Cour s’est-elle donné tant de peine par le passé pour éviter de qualifier l’autodétermination de norme impérative ? La question demeure importante, car, même si
15 Catherine Maia, « Consécration du jus cogens : un dialogue à raviver entre cours internationale et régionales dans l’oeuvre de reconnaissance de droits humains impératifs », Civitas Europe, vol. 45 (2020), p. 302, note de bas de page 25 :
« Précisons que cette reconnaissance explicite a été facilitée par le départ du juge français Gilbert Guillaume, qui a siégé à la CIJ de 1987 à 2005. On retrouve néanmoins cette position hostile au jus cogens chez d’autres juges français à la CIJ. Voir notamment, dans l’arrêt de 2012 sur les Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, l’opinion individuelle du juge Abraham (§ 27) et l’opinion dissidente du juge ad hoc Sur (§ 4). »
Pour plus de détails, voir Catherine Maia “Jus Cogens and (in) Application of the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties in the Jurisprudence of the International Court of Justice”, in Dire Tladi (ed.), Peremptory Norms of General International Law (Jus Cogens): Disquisitions and Disputations (Brill, 2021), p. 342-365 :
« Précisons que [la première reconnaissance explicite du jus cogens] a été facilitée par le départ du juge français Gilbert Guillaume, qui a siégé à la CIJ de 1987 à 2005. On retrouve toutefois [cette position hostile au jus cogens] chez d’autres juges français à la CIJ. Voir, en particulier, l’opinion individuelle du juge Abraham dans [en l’affaire Belgique c. Sénégal] (dans laquelle il affirmait, au sujet de la qualification de l’interdiction de la torture de norme impérative, “c’est à l’évidence un simple obiter dictum, dont la Cour aurait pu se passer sans priver son raisonnement d’aucun élément indispensable”) et l’opinion dissidente du juge ad hoc Sur, au paragraphe 4 (“la mention du jus cogens dans la motivation [est] une mention parfaitement superfétatoire, qui n’apporte rien à la solution du différend, comme on le verra. Cet obiter dictum a pour but de saluer une notion contestée, au contenu toujours incertain et de lui apporter un soutien judiciaire”). »
Voir, de manière légèrement plus hésitante, Hélène Ruiz Fabri et Edoardo Stoppioni, “Jus Cogens before International Courts: The Mega-Political Side of the Story”, Law and Contemporary Problems, vol. 84 (2021), p. 157 :
« Il a fallu attendre dix ans de plus pour que la CIJ mentionne le jus cogens dans l’exposé de ses motifs ; encore l’argument sur ce point n’était-il pas décisif. Il est impossible de savoir si cette longue résistance est liée ou non aux fortes pressions exercées en interne par le juge français, connu pour sa ferme opposition au jus cogens. Quoi qu’il en soit, la CIJ s’en est tenue éloignée aussi longtemps que possible, et continue probablement de le faire. »
16 Le meilleur exemple de cet outil est à trouver en l’affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 100, par. 190 (« Dans ses travaux de codification du droit des traités, la Commission du droit international a exprimé l’opinion que “le droit de la Charte concernant l’interdiction de l’emploi de la force constitue en soi un exemple frappant d’une règle de droit international qui relève du jus cogensˮ. »). Voir aussi Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 125, par. 61 ; et p. 135, par. 80.
17 Le meilleur exemple de cette méthode est à trouver dans Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 79 (« Ces règles fondamentales s’imposent d’ailleurs à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier. »).
18 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33 ; Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 180 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 199, par. 156.
19 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 437, par. 81.
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elle a reconnu que le droit à l’autodétermination constituait une norme impérative de droit international dans le présent avis, son hésitation passée à cet égard demeure visible, comme je vais le montrer.
17. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette réticence de la Cour à reconnaître explicitement le caractère impératif de certaines normes, et en particulier du droit à l’autodétermination. Premièrement, la Cour a peut-être jugé qu’il était inutile de qualifier l’autodétermination de norme impérative ou qu’une telle qualification, pour reprendre les termes du juge Abraham dans l’exposé de son opinion individuelle qui a été joint à l’arrêt rendu en l’affaire Belgique c. Sénégal à propos de la norme impérative de l’interdiction de la torture, était « un simple obiter dictum, dont la Cour aurait pu se passer sans priver son raisonnement d’aucun élément indispensable »20. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 (ci-après, « l’avis sur les Chagos »), la Cour a aussi semblé juger que, pour répondre à la question que lui avait posée l’Assemblée générale, il était inutile de qualifier l’autodétermination de norme impérative21. Une autre explication possible est que la Cour, jusqu’à présent, n’admettait pas que l’autodétermination avait le statut de jus cogens. De fait, à la suite de l’avis sur les Chagos, certains ont vu dans la démarche adoptée par la Cour la preuve qu’elle ne considérait pas l’autodétermination comme une norme impérative22. Aucune de ces deux raisons n’est le moindrement convaincante, et j’aimerais m’arrêter successivement sur chacune d’entre elles.
2. Nécessité de mentionner le caractère impératif de l’autodétermination
18. Je commencerai par la raison la plus probable pour laquelle la Cour a évité jusqu’à présent de se prononcer sur le caractère impératif de l’autodétermination, à savoir qu’une telle qualification n’était pas nécessaire. À cet égard, on pourrait faire observer que la Cour se garde aussi, dans le présent avis consultatif, de qualifier d’impératives d’autres normes telles que l’interdiction de l’emploi de la force, dont le caractère impératif n’a pourtant été contesté à ma connaissance que par un seul État, à savoir le Maroc23.
19. Justifiant la démarche suivie dans l’avis sur les Chagos, le président de la Cour de l’époque, le juge Yusuf, a laissé entendre que le fait de qualifier l’autodétermination de norme impérative alors
20 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), opinion individuelle du juge Abraham, p. 477, par. 27 (« À propos de l’interdiction de la torture, l’arrêt affirme (par. 99) qu’elle relève du droit coutumier et qu’elle a même acquis le caractère d’une norme de jus cogens, mais c’est à l’évidence un simple obiter dictum, dont la Cour aurait pu se passer sans priver son raisonnement d’aucun élément indispensable. »).
21 Voir la rencontre annuelle entre la Commission du droit international (CDI) et le président de la Cour, doc. A/CN.4/SR.3478, p. 10, au cours de laquelle le président de la Cour de l’époque, le juge Yusuf, a relevé que
« la Cour n’a[vai]t pas jugé utile de traiter du point de savoir si le droit à l’autodétermination était une norme impérative du droit international dans son avis consultatif rendu en l’affaire des Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, car il ne s’agissait pas de la question soulevée. L’Assemblée générale voulait savoir si le processus de décolonisation de Maurice avait été validement mené à bien. La Cour n’a pas pour habitude de se perdre en obiter dicta ou de faire des déclarations qui ne concernent pas directement ses conclusions, en particulier dans un avis consultatif. »
22 Voir les commentaires d’Israël, dans « Normes impératives du droit international général (jus cogens) : Commentaires et observations reçus des États », doc. A/CN.4/748, 13 janvier 2022, p. 124 (« En effet, dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, la Cour internationale de Justice elle-même semble s’être délibérément abstenue de faire référence au droit à l’autodétermination comme constituant une norme du jus cogens. »).
23 Voir la position africaine commune sur l’application du droit international à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication dans le cyberespace, 9 janvier 2024, PSC/PR/Comm.1196. Le paragraphe 38, qui qualifie l’interdiction du recours à la force de règle de jus cogens, est assorti d’un astérisque renvoyant à la note de bas de page suivante : « Le Royaume du Maroc a émis une réserve concernant la référence au concept de “jus cogensˮ. »
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que ce n’était pas utile aurait consisté à « se perdre en obiter dicta », ce que la Cour « n’a[] pas pour habitude » de faire
24. Je pourrais pourtant citer nombre d’exemples issus de la jurisprudence de la Cour où celle-ci a fait des observations qui n’étaient pas nécessaires aux fins du règlement de la question dont elle était saisie25. On mentionnera ainsi le célèbre dictum de l’affaire de la Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête :1962) (Belgique c. Espagne), dans lequel la Cour a distingué les obligations erga omnes de « celles qui naissent vis-à-vis d’un autre État »26. De même, la reconnaissance par la Cour du statut de jus cogens de l’interdiction de la torture dans le contexte de l’affaire Belgique c. Sénégal n’était pas, comme l’ont noté le juge Abraham et le juge ad hoc Sur, indispensable aux fins du règlement du différend27. La Cour n’avait pas non plus besoin, au demeurant, de qualifier certaines normes du droit international humanitaire d’« intransgressibles »28, terme dont le sens persiste à m’échapper. De fait, on pourrait même avancer que, étant donné que la Cour s’était appuyée sur la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale dans l’avis sur les Chagos, il n’était pas non plus nécessaire de qualifier le droit à l’autodétermination de droit erga omnes dans ce cas-là29, puisque l’obligation de coopérer et de prêter assistance découlait de la résolution. Ce n’est pas seulement au sujet des normes de jus cogens et du caractère erga omnes de certaines obligations que la Cour a formulé des considérations non indispensables au règlement ultime de l’affaire. L’invocation par la Cour du « concept » de développement durable dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie) n’était pas non plus nécessaire aux fins du règlement du différend opposant la Hongrie à la Slovaquie30. Dans l’affaire de l’Île de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), ayant observé que sa conclusion précédente « se suffi[sai]t à elle-même », la Cour a ajouté un fait tout en précisant elle-même qu’elle « n’a[vait] pas besoin » de le faire31. Il ne s’agit là que de quelques exemples pris au hasard et je suis sûr qu’il en existe beaucoup d’autres. D’ailleurs, dans le présent avis, également, la Cour renvoie à de nombreux éléments qui ne jouent aucun rôle dans les conclusions finales auxquelles elle parvient, faisant par exemple plusieurs références symboliques aux accords d’Oslo. La Cour s’est-elle chaque fois « perdue en obiter dicta » ? Je ne le pense pas. Toutes ces considérations remplissent des fonctions importantes liées à la responsabilité judiciaire de la Cour.
20. Quoi qu’il en soit, et pour éviter toute équivoque, il était nécessaire que la Cour se prononce sur le caractère impératif de l’autodétermination dans le présent avis pour au moins trois raisons. Premièrement, de très nombreux participants avaient défendu cette thèse. La Cour ne pouvait pas, ou ne devait pas, rester sourde à des arguments avancés par un si grand nombre d’États. Deuxièmement, chaque fois que la Cour invoque une règle de droit international, il est important qu’elle en définisse pleinement la nature, pour autant qu’elle est en mesure de le faire. Le fait de définir la nature d’une règle invoquée n’est pas un simple obiter dictum, pas davantage que le fait de
24 Voir note de bas de page 21 ci-dessus, remarque du juge Yusuf.
25 De fait, dans son opinion individuelle dans l’avis sur le mur, la juge Higgins a déploré l’invocation « dépourvu[e] de pertinence » du caractère erga omnes des violations du droit humanitaire par la Cour. Avis sur le mur, opinion individuelle de la juge Higgins, p. 217, par. 39.
26 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33.
27 Voir notes de bas de page 15 et 18 ci-dessus.
28 Voir note de bas de page 17 ci-dessus.
29 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 180.
30 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 77-78, par. 140.
31 Île de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 1091, par. 69 :
« La Cour est parvenue à la conclusion qu’il n’y a pas eu, entre l’Afrique du Sud et le Botswana, d’accord “au sujet de … l’application [du traité]” de 1890. Cette conclusion se suffit à elle-même. La Cour n’a pas besoin d’y ajouter le fait que ces deux États n’avaient pas compétence en 1984 et 1985 pour conclure un tel accord, car l’Assemblée générale des Nations Unies avait déjà, à l’époque considérée, mis fin au mandat de l’Afrique du Sud sur le Sud-Ouest africain. » (Les italiques sont de moi.)
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décrire les divers instruments dans lesquels cette règle est énoncée ; dans un cas comme dans l’autre, cela fait partie du raisonnement judiciaire. Troisièmement, et surtout, les conséquences, pour les États tiers, de la violation du droit à l’autodétermination reconnue par la Cour dans le présent avis consultatif, à savoir l’obligation de coopérer afin de mettre fin à la présence israélienne dans le Territoire palestinien occupé
32, l’obligation de ne pas reconnaître les situations nées de la présence d’Israël et celle de ne pas prêter assistance au maintien ces situations, ne découlent pas, selon moi, de la violation de n’importe quelle règle de droit international, mais de la violation de normes impératives33. J’analyserai cet aspect plus en détail ci-dessous lorsque je traiterai de l’ambivalence de la Cour quant aux conséquences, pour les États tiers, de l’illicéité de la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé (section IV ci-dessous).
21. En résumé, l’argument selon lequel la Cour n’a pas précisé par le passé (comme elle aurait pu le faire dans le présent avis) que le droit à l’autodétermination était une norme impérative au motif que cela n’était pas strictement nécessaire est erroné pour au moins deux raisons. Premièrement, la Cour fait régulièrement des déclarations qui ne sont pas indispensables aux fins du règlement de l’affaire dont elle est saisie. Deuxièmement, dans la présente procédure, le caractère impératif de l’autodétermination était essentiel au bon raisonnement judiciaire.
J’en viens à présent à la deuxième explication possible de la réticence passée de la Cour.
3. Incertitude quant au caractère impératif de l’autodétermination
22. Le silence passé de la Cour sur le caractère impératif du droit à l’autodétermination était peut-être le signe, en réalité, qu’elle estimait que ce droit n’avait pas acquis le caractère de norme impérative, ou qu’elle nourrissait des doutes quant au caractère impératif dudit droit. L’importance de la décision à laquelle la Cour est parvenue, notamment à la lumière de sa réticence passée à renvoyer à des normes impératives, ne saurait être surestimée.
23. Bien que la Cour, conformément à sa pratique, n’ait pas fourni d’éléments attestant le caractère impératif du droit à l’autodétermination, plusieurs de ses membres l’ont fait par le passé dans leurs opinions individuelles34. Il ne fait aucun doute que l’autodétermination est largement considérée comme ayant un caractère impératif. La déclaration la plus succincte et claire à cet égard a peut-être été formulée par la juge Sebutinde, notre vice-présidente actuelle, dans l’avis sur les Chagos :
32 Bien que l’obligation de coopérer ne soit pas expressément mentionnée dans le point pertinent du dispositif de l’avis (point 7 du dispositif (par. 285)), la Cour conclut, dans l’exposé de ses motifs, qu’une telle obligation incombe aux États tiers, en conséquence des violations du droit à l’autodétermination. Voir l’avis, paragraphe 275 :
« S’agissant du droit à l’autodétermination, la Cour considère que, bien qu’il appartienne à l’Assemblée générale et au Conseil de Sécurité de se prononcer sur les modalités requises pour veiller à ce qu’il soit mis fin à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et à ce que le peuple palestinien exerce pleinement son droit à l’autodétermination, tous les États doivent coopérer avec l’Organisation des Nations Unies pour donner effet à ces modalités. »
33 Voir les articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, art. 41.
34 Voir, par exemple, Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion individuelle du juge Robinson, p. 316-323, par. 70-77, où celui-ci fonde le caractère impératif du droit à l’autodétermination sur des instruments d’application quasi universelle, la jurisprudence de la Cour, une appréciation des vues des États, celles d’organes internationaux tels que la CDI, et la doctrine. Voir aussi ibid., opinion individuelle de la juge Sebutinde, p. 285-286, par. 30-31, qui s’appuie, entre autres, sur la jurisprudence internationale et les travaux de la CDI ; ibid., déclaration commune des juges Cançado Trindade et Robinson, p. 258-260 ; et ibid., opinion individuelle du juge Cançado Trindade, p. 193-202, par. 120-150.
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« Ce droit est défini comme une norme impérative depuis si longtemps qu’il est impossible de l’ignorer. Des juristes éminents, dont des membres actuels et passés de la présente Cour, ont reconnu le caractère impératif du droit à l’autodétermination. Il a également été reconnu comme tel par des cours et des tribunaux, des rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations Unies, des membres de la CDI et par la CDI elle-même. En 1964, quand la Sixième Commission de l’Assemblée générale a examiné le projet d’articles sur le droit des traités élaboré par la CDI, tous les États ont reconnu que le droit à l’autodétermination était une norme impérative, sauf un. Ces instruments et cette reconnaissance prouvent, sans qu’aucun doute soit permis, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une règle qui revêt une importance particulière dans l’ordre juridique international. »35
24. Toutefois, le véritable sujet — ce que l’on appelle en anglais « l’éléphant dans la pièce » —, c’est que certaines voix se sont récemment élevées pour contester le caractère impératif du droit à l’autodétermination. C’est sur ce sujet que je vais me pencher à présent, notamment en m’interrogeant sur le point de savoir si les récents rejets du caractère impératif dudit droit ont quelque incidence sur le statut de celui-ci. Au regard des critères d’identification des normes impératives, la récente remise en question du caractère impératif du droit à l’autodétermination signifie-t-elle que celui-ci n’est pas « accepté[] et reconnu[] par la communauté internationale des États dans son ensemble » en tant que norme impérative36 ?
25. Afin de déterminer si et dans quelle mesure les récentes objections qui ont été soulevées ont eu une incidence sur le caractère impératif du droit à l’autodétermination, il convient de rappeler avant tout qu’elles sont le fait d’un nombre relativement restreint d’États. À cet égard, alors même qu’une très grande majorité d’États ayant participé à l’avis sur les Chagos et à la présente procédure ont qualifié le droit à l’autodétermination de norme impérative37, pas un seul ne s’est opposé à cette position (on rappellera à cet égard que les participants aux procédures écrite et orale ont la possibilité de répondre aux arguments des uns et des autres, ce qu’ils font d’ailleurs souvent, de sorte que certains, s’ils l’avaient souhaité, auraient pu répondre à l’argument en faveur du caractère impératif). Il en est allé de même de la réaction des États aux travaux de la Commission du droit international. En 2001, lorsque les États ont fait part de leurs observations sur la dernière version des articles sur la responsabilité de l’État, pas un seul n’a remis en cause le caractère impératif du droit à l’autodétermination38. De plus, en 2022, sur un total de 86 États qui ont transmis leurs commentaires sur le projet de conclusions de la CDI sur les normes impératives, dont le texte citait
35 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion individuelle de la juge Sebutinde, p. 285, par. 30 (notes de bas de page omises).
36 Conclusions 3, 6 et 7 du « Texte du projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) », doc. A/77/10.
37 Dans la présente procédure, par exemple, plus de 100 États, dans des exposés où étaient exprimées leurs vues, ont estimé que l’autodétermination était une norme impérative : le Chili, le Liban, l’Algérie, la Ligue des États arabes (qui regroupe 22 États membres), l’Égypte, l’Arabie saoudite, le Brésil, la Jordanie, Maurice, le Guyana, la Gambie, l’Irlande, la Malaisie, Djibouti, l’Organisation de la coopération islamique (qui regroupe 57 États membres), l’Afrique du Sud, la Palestine, le Qatar et l’Union africaine (qui est composée de 55 États membres).
38 Voir les comptes rendus suivants de la Sixième Commission de l’Assemblée générale, lors de sa cinquante-sixième session, au cours de laquelle le rapport de la CDI a été examiné en 2001 : doc. A/C.6/56/SR.11 ; A/C.6/56/SR.12 ; A/C.6/56/SR.13 ; A/C.6/56/SR.14 (ici, le délégué de l’Inde, sans remettre en cause le statut de norme impérative de l’autodétermination, impose des limites à ce droit dont il exclut la sécession) ; doc. A/C.6/56/SR.15 ; A/C.6/56/SR.16 ; A/C.6/56/SR.17 ; A/C.6/56/SR.18 ; A/C.6/56/SR.19 ; A/C.6/56/SR.20 ; A/C.6/56/SR.21 ; A/C.6/56/SR.22 ; A/C.6/56/SR.23 ; A/C.6/56/SR.24.
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l’autodétermination à titre d’exemple de pareille norme, seuls Israël
39, les États-Unis40, l’Estonie41, le Royaume-Uni42 et le Maroc43 ont contesté le caractère impératif du droit à l’autodétermination.
26. Ces statistiques apportent des éléments de contexte illustrant le fait que seuls quelques États ont contesté le caractère impératif de l’autodétermination, norme considérée comme telle de longue date. Dès lors, je ne suis pas sûr que l’on puisse parler d’« éléphant » ; on serait plutôt en présence d’un gentil chat se tenant sagement dans un coin de la pièce. Les objections récemment soulevées par seulement cinq États ne sont pas de nature à remettre en cause ce qui est, depuis longtemps, considéré comme une position ne prêtant nullement à controverse.
27. Par conséquent, j’estime que la Cour a eu raison de qualifier explicitement le droit à l’autodétermination de norme impérative dans le présent avis. Si certains venaient à lui reprocher de ne pas avoir apporté suffisamment d’éléments à l’appui de cette qualification, tout ce que je peux dire, c’est qu’elle n’a pas pour habitude de se perdre en démonstrations pour étayer sa conclusion quant au caractère de certaines règles de droit international ; rien ne justifie de considérer qu’elle aurait dû faire une exception dans le cas de l’autodétermination.
4. Conséquences découlant des normes impératives
28. S’il est un aspect de l’avis qui me laisse perplexe, c’est le fait que la Cour, après avoir qualifié le droit à l’autodétermination de norme impérative, se montre ambiguë quant aux implications de cette conclusion. Ainsi, au paragraphe 274, alors qu’elle s’apprête à déterminer les conséquences de la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé pour les États tiers, la Cour « observe que les obligations qu’Israël a violées comprennent certaines obligations erga omnes ». Cette formulation pourrait laisser entendre que les obligations pour les États tiers que j’appellerai, pour simplifier, les « conséquences énoncées à l’article 41 »44 découlent non pas du caractère impératif du droit à l’autodétermination, mais du caractère erga omnes des obligations violées.
29. Étant donné que les États et les auteurs de doctrine admettent généralement que les conséquences énoncées à l’article 41 des articles sur la responsabilité de l’État découlent de normes impératives, la Cour ne pouvait émettre une position contraire dans le présent avis consultatif sans expliquer pourquoi. Dans les commentaires sur les conclusions de la CDI sur les normes impératives adoptées en 2022, lesquelles confirment, à la conclusion 19, l’article 41 des articles sur la responsabilité de l’État, pas un seul État n’a avancé que ces conséquences découlaient, non pas de normes impératives, mais du caractère erga omnes de certaines obligations. En outre, très peu d’articles et d’ouvrages de doctrine, voire aucun, soutiennent aujourd’hui la position selon laquelle
39 CDI, « Normes impératives du droit international général (jus cogens) : Commentaires et observations reçus des États » (doc. A/CN.4/748), 13 janvier 2022, p. 121-124.
40 Ibid., p. 134-135.
41 Assemblée générale des Nations Unies, Sixième Commission, soixante-dix-septième session, compte rendu analytique de la 22e séance, daté du 12 décembre 2022 (doc. A/C.6/77/SR.22), p. 17.
42 Ibid., compte rendu analytique de la 23e séance, daté du 22 novembre 2022 (doc. A/C.6/77/SR.23), p. 14.
43 Le Royaume du Maroc, commentaires et observations sur le texte du projet de conclusions de la Commission du droit international relatif aux normes impératives du droit international général. Voir aussi Assemblée générale des Nations Unies, Sixième Commission, soixante-dix-septième session, compte rendu analytique de la 24e séance, daté du 12 décembre 2022 (doc. A/C.6/77/SR.24), p. 12.
44 Pour être précis, lorsque je parle des « conséquences énoncées à l’article 41 », je fais référence aux conséquences d’une violation grave d’une norme impérative énoncées dans les articles sur la responsabilité de l’État pour actes illicites, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, art. 41.
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les conséquences énoncées à l’article 41 découlent du caractère erga omnes d’une obligation
45. La jurisprudence interne, qui constitue une forme de pratique étatique, admet elle aussi, d’une manière générale, la position traditionnelle en la matière46. La Cour, si elle émettait l’idée que ces conséquences ne sont pas fondées sur le caractère impératif de la norme, mais sur le caractère erga omnes des obligations, adopterait donc une approche qui n’est pas étayée par les vues des États, de notre entité soeur, la Commission du droit international, ni par les textes de doctrine. Cela constituerait, en soi, une pratique contestable, mais le faire de surcroît sans même aborder la position largement admise et dominante pourrait s’apparenter à du dédain, ce qui serait déplacé de la part d’une juridiction.
30. Outre le fait qu’elle n’est pas étayée par les positions des États, de la CDI ou celles développées dans les textes de doctrine, une telle approche serait fondée sur une lecture totalement erronée de la relation entre normes impératives et obligations erga omnes. Le caractère erga omnes d’une obligation est lui-même une conséquence de la nature de la norme dont découle cette obligation47. Par conséquent, le caractère erga omnes permet à tous les États, même ceux qui ne sont pas directement lésés, d’invoquer la responsabilité d’un autre État à raison d’un fait illicite48. C’est précisément pour cette raison, à savoir que les normes impératives ont trait à la portée d’obligations secondaires tandis que le caractère erga omnes des normes a trait à l’invocation de celles-ci, que la CDI a, lors de sa cinquante-troisième session, en 2001, décidé de remplacer les références aux « violations graves d’une obligation due à la communauté internationale dans son ensemble » par la catégorie des « normes impératives » dans ses articles sur la responsabilité de l’État49.
31. Le caractère erga omnes des obligations ne crée pas en soi des obligations pour les États tiers. C’est ce qu’a précisé la juge Higgins dans l’exposé de son opinion individuelle qui a été joint à l’avis sur le mur50, où elle a exprimé son désaccord avec la position de la Cour selon laquelle les conséquences, déterminées dans l’avis, des violations du droit international recensées (aux paragraphes 154 à 159) découlaient du caractère erga omnes des obligations violées. Selon la juge Higgins, le concept d’erga omnes a trait à une question de « locus standi », qui « n’a rien à voir avec l’imposition d’obligations de fond à des tiers dans une affaire »51. Et la juge Higgins de conclure que
45 À titre d’exemples de textes de doctrine appuyant la position traditionnelle, à savoir que les obligations de non-reconnaissance, de non-assistance et de coopération en vue de mettre fin à toute violation grave sont des conséquences des violations de normes impératives, voir Anne Lagerwall “The non-recognition of Jerusalem as Israël’s capital: a condition for international law to remain relevant?”, Questions of International Law, vol. 50 (2018), p. 33 ; Rebecca J. Barber “Cooperating through the General Assembly to end serious breaches of peremptory norms”, International and Comparative Law Quarterly, vol. 71 (2022), p. 1.
46 Des exemples à cet égard sont présentés aux paragraphes 3, 4, 6 et 13 du commentaire de la conclusion 19 des conclusions sur les normes impératives.
47 Voir le paragraphe 7 du commentaire général du chapitre III de la deuxième partie du « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie. Voir aussi le paragraphe 4 du commentaire de la conclusion 17 du texte du projet de conclusions de la CDI sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens).
48 Voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 17, par. 41 ; ibid., exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 516, par. 108.
49 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 22, par. 49.
50 Il est vrai que la juge Higgins, dans cet exposé, ne souscrivait pas à la conclusion selon laquelle ces conséquences découlent de normes impératives.
51 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle de la juge Higgins, p. 216, par. 37.
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les conséquences énoncées par la Cour « [n’avaient rien] à voir avec le concept d’erga omnes »
52 et que « [l]’obligation de non-reconnaissance et de non-assistance faite aux Membres des Nations Unies ne repos[ait] pas sur le concept d’erga omnes »53. C’est précisément ce qui explique la quasi-absence de soutien à la position selon laquelle le caractère erga omnes de l’obligation donne également naissance aux conséquences énoncées à l’article 41 des articles de la CDI sur la responsabilité de l’État. Il convient de rappeler que les obligations erga omnes ne résultent pas toutes de normes impératives. Les obligations nées de normes du droit international coutumier relatives aux espaces communs, par exemple, ont également un caractère erga omnes, qu’elles découlent ou non de normes impératives. Sans vouloir écarter cette possibilité, je ne suis pas du tout persuadé que toutes les obligations ayant un caractère erga omnes génèrent les trois obligations de non-reconnaissance, de non-assistance et de coopération, telles qu’énoncées à l’article 41 des articles sur la responsabilité de l’État. Il est possible que ce soit le cas, mais ce n’est pas du tout certain. Ce qui est certain, en revanche, c’est que tel est le cas des normes impératives. En conséquence, pour les besoins d’un raisonnement judiciaire rationnel et cohérent, la Cour aurait dû faire expressément le lien entre les conséquences énoncées à l’article 41 dont elle a déterminé, dans le présent avis, qu’elles s’appliquaient aux États tiers et le caractère impératif du droit à l’autodétermination (ou, mieux encore, réaffirmer explicitement le caractère impératif d’autres normes dont il est question dans l’avis).
32. Je ne suis pas opposé à ce que la Cour décide de développer le droit afin d’élargir la portée des conséquences énoncées à l’article 41 de manière à y inclure toutes les obligations erga omnes. Toutefois, si tant est que ce soit son intention, la Cour devrait, premièrement, le faire de manière transparente pour éviter toute confusion, et donc explicitement. Deuxièmement, une telle évolution ne devrait pas se faire incidemment et devrait reposer sur une compréhension claire et réfléchie de la distinction entre obligations erga omnes et normes impératives en tant que concepts juridiques. Les obligations erga omnes découlent d’un certain type de normes, telles que les normes impératives. Mais, outre les normes impératives, quels autres types de normes créent ce genre d’obligations ? Selon moi, et comme je l’ai déjà indiqué plus haut, les seules autres normes qui produisent des obligations erga omnes sont celles qui concernent les biens communs, en raison de la nature même desdites obligations, qui fait qu’elles ne peuvent pas être dues de manière bilatérale. Si la Cour souhaite établir le principe selon lequel les obligations découlant de normes relatives aux espaces communs produisent les conséquences énoncées à l’article 41, l’amalgame entre normes impératives et obligations erga omnes dans le contexte de cette disposition pourrait être justifié, et je n’aurais aucune objection à une telle évolution. L’extension des conséquences énoncées à l’article 41 à toutes les obligations erga omnes serait moins justifiée et serait inefficace s’il obéissait à des objectifs essentiellement humanitaires. En pareil cas, il y aurait plutôt lieu, selon moi, de démontrer le caractère impératif des normes en question plutôt que de chercher à étendre la portée du concept des obligations erga omnes.
33. Le caractère impératif entraîne une autre conséquence que la Cour, ne s’étant pas totalement débarrassée de ses hésitations à cet égard, passe sous silence, à savoir les incidences du droit à l’autodétermination sur les accords relatifs au Territoire palestinien occupé qui ont été conclus par le passé et ceux qui pourraient l’être à l’avenir. Il s’agit là de la principale conséquence du caractère impératif prévue à l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Pour prendre un exemple, une des conséquences découlant de la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien doit assurément être le fait qu’un accord conclut pour
52 Ibid.
53 Ibid., p. 217, par. 38.
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résoudre la crise ne saurait déroger à ce principe54. C’est au paragraphe 257, où elle indique que l’existence du droit à l’autodétermination « ne saurait être soumise à conditions par la puissance occupante, étant donné qu’il s’agit d’un droit inaliénable », que la Cour est le plus près de reconnaître ce principe fondamental. Cette formulation appelle deux observations. La première est que la Cour s’efforce clairement d’éviter de renvoyer « une fois encore » aux normes impératives, préférant évoquer le concept de droits « inaliénables ». Deuxièmement, la Cour évite d’invoquer des questions d’indérogeabilité et le libellé de l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit des traités en déclarant que le droit à l’autodétermination « ne saurait être soumis[] à conditions » imposées par l’État d’Israël.
34. L’on pourrait également renvoyer au paragraphe 263 de l’avis, par exemple, dans lequel la Cour rappelle les arguments avancés par Israël, les Fidji et la Zambie, selon lesquels la présence d’Israël sur le territoire palestinien est justifiée par les accords d’Oslo. Dans ce même paragraphe, la Cour répond comme suit : « La Cour observe que ces accords n’autorisent pas Israël à annexer des parties du Territoire palestinien occupé pour satisfaire auxdits besoins. Ils ne l’autorisent pas non plus à maintenir une présence permanente dans le Territoire palestinien occupé à cette même fin. »
35. Cette position constitue une interprétation parfaitement raisonnable des accords d’Oslo. Toutefois, dans le même temps, il s’agit d’une réponse évidemment incomplète à une question plutôt complexe. Selon moi, pour apporter une réponse judiciaire adéquate, la Cour aurait dû examiner les incidences juridiques de l’argument avancé par ces États et, partant, la relation entre le droit à l’autodétermination et les accords d’Oslo. Une telle réponse aurait dû être fondée sur l’article 53 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Autrement dit, les accords d’Oslo, même s’ils justifiaient la présence actuelle d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, seraient frappés de nullité s’ils violaient la norme impérative de l’autodétermination. Ayant formulé cette proposition fondamentale, la Cour aurait alors pu indiquer que, en tout état de cause, les accords d’Oslo devraient être interprétés de sorte à les rendre conformes au droit à l’autodétermination55, ce qui conduit à l’interprétation qu’elle propose. Pour se livrer à ce raisonnement juridique, elle aurait cependant dû reconnaître (là encore) le caractère impératif du droit à l’autodétermination (et des autres normes en question). Malheureusement, étant donné qu’elle continue de se montrer quelque peu hésitante à reconnaître les normes impératives, la Cour élude plusieurs étapes et se hâte de formuler des conclusions qui, n’étant pas étayées, ne procèdent pas d’un raisonnement juridique.
IV. APARTHEID
36. La Cour a été en mesure de conclure à une violation de l’article 3 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à savoir l’interdiction de la ségrégation et de l’apartheid. J’interprète cette conclusion comme une reconnaissance de ce que les politiques et pratiques d’Israël emportent violation de l’interdiction de l’apartheid, qui est elle-même une norme impérative de droit international. Je peux comprendre l’hésitation à qualifier
54 Voir, par exemple, résolution 33/28 A du 7 décembre 1978 de l’Assemblée générale, par. 4 :
« Déclare que, pour être valides, des accords visant a résoudre le problème de Palestine doivent s’inscrire dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies ainsi que de sa Charte et de ses résolutions, se fonder sur la pleine réalisation et le plein exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, y compris le droit de retour et le droit a l’indépendance et à la souveraineté nationales en Palestine, et comporter la participation de l’Organisation de libération de la Palestine » ;
résolution 34/65 B de l’Assemblée générale, par. 2 (« Rejette les dispositions des accords qui ignorent, usurpent, violent ou dénient les droits inaliénables du peuple palestinien, y compris le droit de retour, le droit à l’autodétermination et le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales en Palestine »).
55 Voir la conclusion 20 du texte du projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens).
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les politiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé d’apartheid. J’imagine que la principale raison en est que, à ce jour, le terme a été réservé aux politiques mises en oeuvre avant 1994 par le Gouvernement sud-africain en Afrique du Sud et ailleurs en Afrique australe. Il convient cependant de rappeler que, au départ, le terme d’« apartheid » n’était pas employé par ce régime dans un sens péjoratif, mais de manière positive pour évoquer la bienveillance des politiques gouvernementales de développement séparé. De plus, à l’époque, de nombreux autres États pratiquaient encore eux-mêmes la discrimination raciale sous une forme ou une autre
56. Ce n’est qu’une fois que le terme a acquis une connotation négative et que les condamnations du racisme se sont multipliées dans le monde que les États ont cessé de qualifier leurs propres politiques d’apartheid.
37. Or, si l’on compare les politiques du régime d’apartheid de l’Afrique du Sud à celles d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, il est impossible de ne pas conclure qu’elles sont similaires. Compte tenu de la conclusion de la Cour à cet égard, il est difficile de ne pas voir que les politiques, lois et pratiques d’Israël entraînent une discrimination généralisée à l’égard des Palestiniens dans pratiquement tous les aspects de la vie, comme dans le cas de l’Afrique du Sud sous apartheid. Dans l’ensemble, il existe une volonté délibérée d’opérer une séparation et une discrimination entre Israéliens et Palestiniens : chacun des deux groupes a ses propres routes, écoles, infrastructures et son propre système juridique. Qu’il s’agisse des pratiques de détention discriminatoires, dont les détentions sans procès (que l’avis n’aborde pas, mais sur lesquelles le dossier présenté à la Cour contient d’abondantes informations), du système de permis de résidence, des restrictions aux déplacements ou de la démolition de biens, de la confiscation de terres, ou de l’encerclement de communautés palestiniennes en les reléguant dans des enclaves, qui rappelle les bantoustans sud-africains dont je suis originaire, il est impossible de ne pas voir les nombreuses similitudes.
38. Durant la procédure, la Cour a entendu de nombreux arguments quant à la définition de l’apartheid en droit international coutumier, la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à laquelle Israël est partie, ne contenant pas de définition de ce terme. La Cour aurait pu saisir cette occasion pour en donner une définition standard en droit international coutumier. Le fait qu’elle s’en soit abstenue n’altère en rien la force de sa conclusion. Que l’on s’appuie sur la définition qu’en donne le Statut de Rome ou sur celle de la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, il semble qu’il y ait des éléments communs à toutes les définitions données par les participants au cours de cette procédure, à savoir l’existence d’un ou de plusieurs groupes raciaux, la commission systématique d’un ou de plusieurs actes inhumains contre un ou plusieurs de ces groupes raciaux et la perpétration de ces actes dans le but d’établir et de maintenir la domination.
39. Personne ne peut sérieusement prétendre que les deux premiers éléments ne sont pas réunis dans le Territoire palestinien occupé. Il est donc inutile d’y revenir. D’aucuns pourraient soutenir que les pratiques et politiques israéliennes n’atteignent pas le niveau requis pour être qualifiées d’apartheid, au motif qu’il n’y a pas suffisamment de preuves que le troisième critère est rempli, à savoir qu’il n’est pas suffisamment démontré que les actes inhumains énumérés ont été commis dans l’intention d’établir et de maintenir la domination par un groupe racial. Je me contenterai de trois brèves remarques à ce sujet.
40. Premièrement, il est important de rappeler que la définition de l’apartheid contenue dans la convention sur l’apartheid est précédée de la mention « qui englobe les politiques et pratiques
56 Pour une description de la lutte contre le racisme au sein de l’Organisation des Nations Unies elle-même dans les années 1940, voir William A. Schabas, The International Legal Order’s Colour Line: Racism, Racial Discrimination and the Making of International Law (Oxford University Press, 2023), p. 106 et suiv.
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semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe ». Comme je l’ai expliqué plus haut, les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé sont, à bien des égards, semblables à celles qui étaient en vigueur dans l’Afrique du Sud sous apartheid. Deuxièmement, ce serait faire preuve d’une extrême rigidité que d’insister sur le fait que soit apportée une preuve directe de l’intention de dominer. Ainsi que l’a observé le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dans le contexte du génocide, l’intention et le but peuvent « procéder d’un certain nombre de faits et de circonstances, tels le contexte général, la perpétration d’autres actes répréhensibles systématiquement dirigés contre le même groupe »
57. J’ai du mal à voir comment quiconque, au regard des politiques et pratiques qui ont été détaillées devant la Cour, pourrait estimer que, considérés dans leur ensemble, ces actes ségrégationnistes systémiques, dont la politique explicite et consacrée par la loi qui prévoit que l’autodétermination en Palestine est réservée aux Juifs58, ne font pas apparaître l’objectif de domination des Palestiniens. Enfin, il convient de rappeler que, aux fins de l’établissement de l’« objectif de domination », il n’est pas nécessaire que la domination soit la seule, voire la principale, raison des mesures discriminatoires. On se souviendra que, au moment de l’apartheid, l’Afrique du Sud promouvait sa politique non seulement à des fins de domination, mais dans le but d’assurer ce qu’elle appelait « un développement séparé, mais égal »59.
41. Compte tenu de ce qui précède, la Cour a eu raison de dire que les politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé emportent violation de l’interdiction de la ségrégation raciale et de l’apartheid énoncée à l’article 3 de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, conclusion qui reconnaît de façon implicite que ces pratiques et politiques sont constitutives d’apartheid.
V. PRÉOCCUPATIONS D’ISRAËL EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ
42. Le principal moyen de défense invoqué en soutien aux politiques israéliennes, non seulement dans le cadre de la présente procédure, mais aussi dans le contexte d’autres instances dont a été saisie la Cour, à savoir la procédure sur le mur, l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël) et l’affaire concernant des Manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire palestinien occupé (Nicaragua c. Allemagne), est l’argument fort vague des « préoccupations d’Israël en matière de sécurité ». En substance, celui-ci consiste semble-t-il à affirmer que, bien que ses politiques et pratiques portent atteinte aux droits des Palestiniens et empêchent ceux-ci d’exercer pleinement les droits qu’ils tiennent du droit international, Israël, parce qu’il se considère comme étant menacé par les Palestiniens (et peut-être d’autres groupes dans la région), devrait être autorisé à poursuivre ses politiques tant que la menace pour sa sécurité n’a pas disparu (ou devrait au moins être autorisé à continuer de priver les Palestiniens de la jouissance de leur droit à l’autodétermination tant que cette menace n’a pas disparu). Dans la présente procédure, ce sont les Fidji et la Zambie qui se sont surtout fait l’écho de cette position. Celle-ci a aussi été exprimée dans certaines opinions individuelles et dissidentes en l’affaire Afrique du Sud c. Israël60.
57 Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, Le Procureur c. Goran Jelisić, affaire nº IT-95-10-A, Chambre d’appel, 5 juillet 2001, par. 47.
58 Avis, par. 192-222.
59 Cette politique a été mise en oeuvre par le Parti national, au lendemain de son élection en 1948, par une série de lois et de mesures raciales.
60 Voir, par exemple, d’une manière générale, les exposés de l’opinion dissidente du juge ad hoc Barak et de l’opinion dissidente de la vice-présidente Sebutinde (surtout les paragraphes 8 et 25) dans Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 24 mai 2024.
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43. Dans l’avis, la question n’est évoquée que brièvement sans être approfondie. Par exemple, au paragraphe 47, la Cour relève que l’exposé écrit d’Israël, bien que principalement axé sur des questions de compétence et d’opportunité judiciaire, renvoyait également aux préoccupations de cet État en matière de sécurité. La Cour, de façon bien compréhensible, n’apporte que des réponses évasives sur ce point. Au paragraphe 254, elle indique ainsi que les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne sauraient « l’emporter sur le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force ». L’argument des « préoccupations en matière de sécurité » pouvant toutefois être largement invoqué, en toile de fond, pour défendre les politiques et pratiques en question, et servir d’« explication » au déni du droit à l’autodétermination du peuple palestinien, j’estime qu’il est important d’aborder la question de façon plus explicite.
44. J’admets que les préoccupations en matière de sécurité sont très importantes, et que la sécurité d’Israël est menacée, en particulier par le Hamas, comme l’ont montré les événements du 7 octobre 2023. Cependant, et de façon générale, il convient d’abord de rappeler que tous les États, et pas seulement Israël, ont des intérêts dans ce domaine. C’est aussi le cas de la Palestine. Bien souvent, lorsque l’argument des « préoccupations en matière de sécurité » est avancé, c’est comme si seul Israël avait de telles préoccupations ou si, en quelque sorte, celles-ci l’emportaient sur celles de la Palestine. Ensuite, et toujours d’un point de vue général, on rappellera que les préoccupations en matière de sécurité en tant que telles, quelles que soient leur gravité ou leur légitimité, ne sauraient prévaloir sur les règles du droit international, ce que la Cour rappelle d’ailleurs dans son avis. De fait, sauf si elles sont prévues par une règle spécifique, de telles considérations ne peuvent même pas être mises en balance avec les règles du droit international, et certainement pas avec des normes impératives. Ainsi, l’idée qu’il faudrait concilier le droit palestinien à l’autodétermination et les préoccupations d’Israël en matière de sécurité, voire que ce droit serait assujetti à ces dernières, est incongrue en droit international. En fait, de tels arguments sont non seulement incongrus, ils sont aussi dangereux. J’illustrerai ce point à l’aide d’un exemple « fictif » : imaginons qu’un État estime, peut-être à raison, que le fait qu’un autre État rejoigne une alliance de défense constitue une menace pour ses intérêts de sécurité. Cet État pourrait-il décider de faire usage de sa force militaire pour empêcher l’autre d’adhérer à l’alliance ? Si tel était le cas, nous nous approcherions dangereusement de l’adage athénien selon lequel « le fort fait ce qu’il peut faire et le faible subit ce qu’il doit subir ».
45. Que l’on ne se méprenne pas. Le droit international n’est pas indifférent aux préoccupations en matière de sécurité. Il prévoit différentes manières de protéger les intérêts de cet ordre. Les règles conventionnelles, par exemple, peuvent permettre aux États de faire une entorse à certains droits protégés dans l’intérêt de leur sécurité. Chose plus importante encore pour ce qui est des questions en cause en l’espèce, les intérêts de sécurité sont protégés par certaines règles du droit international, telles que l’obligation de coopérer, et par les dispositions de la Charte relatives à l’interdiction de l’emploi de la force (dont le droit de légitime défense et les règles sur le cadre de la sécurité collective). Cela étant, la notion d’intérêts de sécurité ne constitue pas une règle juridique indépendante, ni une exception, qui permettrait à un État de déroger aux règles fondamentales du système.
46. Dans le contexte de la présente procédure, par exemple, la Cour a conclu qu’il y avait eu violation d’un certain nombre de règles du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire. Il est certes possible, dans l’instrument pertinent, d’identifier une règle particulière permettant, à des fins de sécurité, le comportement incriminé. Un exemple typique est l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui autorise à déroger aux obligations prévues dans cet instrument dans le cas d’une « menace [pour] l’existence de la nation » et « dans la stricte mesure où la situation l’exige ». Je laisse de côté la question de savoir si les politiques d’Israël répondent aux critères fixés par l’article 4 ou si celui-ci peut légitimement invoquer une dérogation après une période aussi longue. Aux fins du présent examen, il importe seulement de souligner que l’intérêt de sécurité en tant que tel ne constituerait pas un fondement
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juridique indépendant pouvant justifier de s’écarter d’une règle de droit énoncée dans le Pacte. De fait, la base juridique serait l’article 4 du Pacte. Il en va de même en ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte, qui prévoit des restrictions au droit de circuler librement pour des raisons liées à la protection de la sécurité nationale. Là encore, celle-ci ne constitue pas un fondement juridique autonome pour restreindre ledit droit. Le fondement juridique est la disposition conventionnelle en question. De manière analogue, l’article 49 de la quatrième convention de Genève autorise une puissance occupante à procéder à des transferts de population « si la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent ». Tout transfert de population serait conforme au droit international si « d’impérieuses raisons militaires » l’exigeaient non pas en raison d’un argument autonome fondé sur des préoccupations en matière de sécurité, mais parce que ladite règle conventionnelle prévoit une exception.
47. Certains passages de l’avis peuvent être interprétés comme laissant entendre que les « préoccupations en matière de sécurité » constituent, en soi, une raison justifiant de s’écarter des règles du droit international. Par exemple, au paragraphe 205, la Cour se demande si les restrictions à la liberté de circulation imposées par Israël pourraient se justifier par des considérations de sécurité et conclut par la négative, au motif que ces restrictions sont liées à des colonies illicites. Il convient cependant de rappeler que, même dans ce cas-là, l’article 12 du Pacte prévoit la possibilité de restreindre le droit « pour protéger la sécurité nationale [et] l’ordre public ». C’est donc dans ce contexte qu’il convient d’envisager les considérations en matière de sécurité.
48. Deux fondements juridiques spécifiques concernant les préoccupations d’Israël en matière de sécurité peuvent être mentionnés ici. Il s’agit de la légitime défense et du cadre établi par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies pour la résolution du conflit au Moyen-Orient. S’agissant de la situation dans le Territoire palestinien occupé, l’argument de la légitime défense est multiforme et soulève des questions différentes selon le contexte dans lequel il est invoqué. Il peut s’agir de l’occupation israélienne en tant que telle, à savoir que celle-ci serait elle-même un acte de légitime défense (ou aurait été établie conformément à un acte de légitime défense), ou d’une pratique, de politiques ou d’actes spécifiques, tels que la construction du mur ou diverses opérations militaires lancées contre le territoire palestinien. Quel que soit le contexte, il est important de souligner que la légitime défense est soumise à des conditions strictes, notamment l’existence d’une agression armée de la part d’un État, la proportionnalité et la nécessité. De plus, compte tenu de la situation globale de l’occupation, l’argument de la légitime défense (dans le contexte d’actes et de pratiques spécifiques, telles que des opérations militaires) se heurte à la conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans l’avis sur le mur, à savoir que la légitime défense ne s’applique pas (ou « est sans pertinence ») parce qu’Israël « exerce son contrôle sur le territoire palestinien occupé et que … la menace qu’il invoque pour justifier [ses mesures coercitives] trouve son origine à l’intérieur de ce territoire, et non en dehors de celui-ci »61. Aux fins présentes, tout ce que je peux dire, c’est que, quel que soit le contexte dans lequel il est invoqué, l’argument de la légitime défense pour justifier les pratiques et politiques d’Israël se heurte à des obstacles insurmontables.
49. C’est sur le second argument, à savoir celui du cadre établi par le Conseil de sécurité, que je souhaite me concentrer. Tel que je le comprends, il consiste à dire que ledit cadre prévoit que le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes ne peut pas être dissocié des préoccupations en matière de sécurité d’Israël. Selon cette thèse, ces deux questions devraient être considérées comme étant inextricablement liées ; dès lors, le retrait d’Israël du Territoire palestinien occupé et l’instauration de la sécurité pour Israël devraient se produire parallèlement ou simultanément. Le fondement de cette assertion réside dans les dispositions de la résolution 242 du Conseil de sécurité (et dans les
61 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 194, par. 139.
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résolutions ultérieures qui la réaffirment). Je laisse de côté la question de savoir si ces textes ont une valeur juridique ou s’ils génèrent des obligations contraignantes au titre de l’article 25 de la Charte des Nations Unies et si, à supposer qu’ils créent de telles obligations, ils peuvent l’emporter sur le droit à l’autodétermination qui a un caractère impératif. Je laisse aussi de côté le fait que ceux qui insistent sur la nécessité d’un règlement simultané de la question de l’autodétermination et des préoccupations en matière de sécurité pour ouvrir la voie à la solution à deux États semblent n’avoir aucun état d’âme à ce qu’Israël exerce déjà pleinement son droit à l’autodétermination alors même que les Palestiniens ne peuvent pas exercer simultanément ou parallèlement ce même droit, ni bénéficier simultanément ou parallèlement de la sécurité.
50. Dans sa résolution 242, dont le contenu a été réaffirmé dans la résolution 338, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies affirme que toute solution à la situation au Moyen-Orient nécessite « l’application des deux principes suivants » : i) « [r]etrait des forces armées israéliennes » du territoire occupé ; et ii) « [c]essation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ». C’est sans doute parce qu’il est question de « deux » principes que d’aucuns affirment qu’un élément (l’« occupation ») ne peut être dissocié de l’autre (la « sécurité »).
51. Les règles d’interprétation des résolutions des organes politiques des organisations internationales sont généralement, à quelques ajustements près, similaires à celles qui s’appliquent aux traités62. La règle d’or est celle du sens ordinaire à attribuer aux termes des résolutions dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but de celles-ci. Premièrement, il convient de relever que rien dans le libellé de la résolution ne sous-entend que la sécurité d’Israël est en jeu. La résolution parle de « l’indépendance politique de chaque État de la région et [de] leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ». N’oublions pas que la Palestine est privée de tout cela ! Son indépendance politique est gravement compromise ; l’occupation par Israël, qui s’est muée en annexion, est telle qu’elle n’a pas de frontières reconnues ; et elle n’est assurément pas à l’abri des menaces, de sorte que ses préoccupations en matière de sécurité restent sans réponse.
52. Deuxièmement, et surtout, le sens ordinaire des termes de la résolution 242 ne permet en rien d’affirmer que les deux éléments sont interdépendants, du moins pas dans le sens où ils devraient être atteints de manière simultanée ou parallèle. Comme je l’ai indiqué ci-dessus, l’insistance sur l’interdépendance, au sens où un élément ne pourrait être réalisé avant l’autre, repose probablement sur l’emploi de la formulation « des deux » dans la résolution 242. Or, le fait que les deux éléments soient essentiels à « l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient » n’empêche pas que des mesures soient prises pour faire progresser l’un avant l’autre ou même, selon moi, que l’on parvienne à l’un avant de réaliser l’autre.
53. Enfin, pareille lecture de la résolution, à savoir que les deux éléments ne sont pas inextricablement et indéfiniment liés, ressort clairement du fait que le Conseil de sécurité a lui-même parfois traité de la question de l’occupation sans traiter en parallèle du second élément. Dans sa résolution 476, par exemple, le Conseil a réaffirmé « la nécessité impérieuse de mettre fin à
62 Voir Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 442, par. 94. Voir Sâ Benjamin Traoré, L’interprétation des résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies — Contribution à la théorie de l’interprétation dans la société internationale (Helbing 2020). Voir aussi Alexander Orakhelashvili “Unilateral Interpretation of Security Council Resolutions: UK Practice”, Goettingen Journal of International Law, vol. 2, nº 3 (2010), p. 825.
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l’occupation prolongée des territoires arabes occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem » sans faire la moindre référence, pas même dans le préambule, au second élément.
54. En conclusion, les préoccupations en matière de sécurité s’appliquent à tous les États. Tous ont un intérêt légitime à exister de façon pacifique sans que leur sécurité soit menacée. La manière dont ils assurent la promotion et la protection de leur sécurité est toutefois subordonnée au droit international et les intérêts de sécurité ne peuvent prévaloir sur les règles juridiques, et certainement pas sur les règles les plus fondamentales ayant le statut de jus cogens.
VI. CONSÉQUENCES POUR L’ORGANISATION DES NATIONS UNIES
55. Les conséquences que la Cour a définies me conviennent d’une manière générale. J’aurais cependant été plus satisfait encore si elle avait énoncé d’autres conséquences découlant du caractère impératif des normes en question, telles que les répercussions sur un éventuel accord sur le statut final, à savoir qu’un tel accord doit être conforme au droit à l’autodétermination, ou si elle avait traité de la question (plutôt délicate) de savoir si le caractère impératif desdites normes a une quelconque incidence sur la question des réparations ; j’estime que tel est le cas, mais je comprends que cela aurait été contraire à la pratique habituelle, ce qu’une juridiction doit éviter à moins de s’appuyer sur des bases parfaitement irréfutables.
56. Outre les conséquences pour l’Organisation des Nations Unies et pour les États tiers, la Cour conclut également que l’Organisation « doit examiner quelles … mesures supplémentaires sont requises pour mettre fin » dans les plus brefs délais à la présence illicite d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. Cette déclaration est importante, mais quel en est le sens ? S’agit-il d’une conséquence juridique ? D’une obligation ? Pourquoi avoir utilisé le verbe devoir (« should » en anglais) au lieu de l’expression « avoir l’obligation » ou « être dans l’obligation » (« under an obligation » en anglais), comme pour les autres conséquences ? Faut-il en conclure que ce point est en fait dépourvu de conséquences juridiques ?
57. Assurément non ! Je considère que ce point est une conséquence juridique des violations en question et que les organes de l’Organisation des Nations Unies ont le devoir d’« examiner » quelles mesures supplémentaires sont requises, en particulier dans l’hypothèse où Israël ne se conformerait pas aux conséquences juridiques déterminées dans l’avis. L’obligation ainsi faite à l’Organisation des Nations Unies découle de l’importance que la Cour attache à la « nécessité … que l’Organisation … redouble ses efforts » dans le contexte du processus de paix au Moyen-Orient63. De fait, le Conseil de sécurité lui-même s’est engagé, « au cas où Israël ne se conformerait pas [à ses propres décisions] … [à] examiner, conformément aux dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies, des moyens pratiques en vue d’assurer l’application intégrale » du droit international par Israël64. La Cour doit bien entendu veiller à ne pas exercer de pressions sur les organes politiques de l’Organisation des Nations Unies, ce qui reviendrait à usurper leurs responsabilités. Dire que cette dernière a le devoir d’examiner des mesures supplémentaires n’est cependant pas incompatible avec le respect du pouvoir discrétionnaire dont disposent les organes politiques quant aux questions dont ils sont saisis65. En tout état de cause, dès lors que la Cour a statué que des règles fondamentales
63 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 161.
64 Résolution 476 (1980) du Conseil de sécurité du 30 juin 1980, par. 6.
65 Pour un exemple d’expression de ce pouvoir discrétionnaire, voir Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 179, et Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 421, par. 44.
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ayant un caractère impératif ont été violées, le pouvoir discrétionnaire ne consiste plus à décider s’il convient ou non de prendre des mesures, mais uniquement à décider quelles sont les mesures qui doivent être prises. Ainsi, bien que la Cour indique que l’Organisation des Nations Unies « doit » (« should ») examiner quelles mesures devront être prises, j’interprète ce verbe « should » comme signifiant que celle-ci y est contrainte. Selon moi, la Cour emploie ce verbe pour souligner qu’il ne lui appartient pas de dicter aux organes politiques de l’Organisation des Nations Unies quelles mesures prendre.
58. Les organes politiques disposent d’une marge de manoeuvre importante lorsqu’il s’agit de réfléchir aux mesures à prendre, pour autant que celles-ci soient conformes au droit international. La Charte prévoit un certain nombre de possibilités pour veiller à l’exécution d’une décision, dont celle de recourir à une action coercitive. Cependant, d’autres moyens existent. Par exemple, les organes politiques pourraient répondre positivement à la demande d’adhésion de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies, dans le but de consolider les bases sur lesquelles la Palestine et son peuple pourraient exercer l’autodétermination. À cette fin, il convient de relever que, en début d’année, l’Assemblée générale a pris les mesures nécessaires pour accorder à l’État de Palestine des droits similaires à ceux d’un État Membre66. De même, les organes politiques pourraient envisager de restreindre la participation d’Israël aux activités de l’Organisation des Nations Unies, ou des mesures similaires, comme il en avait été décidé pour l’Afrique du Sud en 197467.
59. Les organes politiques de l’Organisation des Nations Unies ont également un rôle important à jouer pour s’assurer qu’Israël se conformera aux obligations qui lui sont faites, dans l’avis, en matière de réparation68. Comme la Cour l’a indiqué, Israël « [es]t tenu d’indemniser, conformément aux règles du droit international applicables, toutes les personnes physiques ou morales et les populations » de tous dommages matériels qui leur auraient été causés par les faits illicites qu’il a commis pendant l’occupation (par. 271). Ces règles ont récemment été réaffirmées par l’Assemblée générale dans sa résolution ES-11/5 datée du 15 novembre 2022, intitulée « Agression contre l’Ukraine : recours et réparation ».
60. Compte tenu de la nature et de l’ampleur des violations du droit international établies par la Cour, et du grand nombre de requérants qui pourraient en résulter, l’Organisation des Nations Unies pourrait envisager d’établir un mécanisme international de réparation des dommages, pertes ou préjudices découlant des faits internationalement illicites commis par Israël énumérés dans l’avis. La revitalisation et l’extension du mandat du registre de l’Organisation des Nations Unies concernant les dommages causés par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé (UNRoD), qui a été créé par l’Assemblée générale en 2006 après que la Cour a rendu son avis sur le mur, apparaissent, à cet égard, pertinentes69.
66 Nations Unies, doc. A/ES-10/L.30/Rev.1.
67 Le 12 novembre 1974, le président de l’Assemblée générale a décidé que la délégation sud-africaine ne pouvait plus continuer de participer aux travaux de la vingt-neuvième session de l’Assemblée, car les pouvoirs de la délégation n’avaient pas été acceptés par celle-ci. Le texte de la décision figure dans le recueil des résolutions d’intérêt juridique adoptées par l’Assemblée générale à sa sixième session extraordinaire et à la vingt-neuvième session ordinaire ; la décision est citée, mais pas reproduite, dans les résolutions adoptées par l’Assemblée générale à sa vingt-neuvième session : supplément nº 31, p. 10-11, doc. A/9631 (1974). Voir aussi la résolution 3206, supplément nº 31, p. 2, doc. A/9631 (1974) ; et doc. A/9779 (1974), annexes (point 3 de l’ordre du jour), p. 2.
68 Avis consultatif, par. 269-270 et point 6 du dispositif (par. 285).
69 Le registre de l’Organisation des Nations Unies concernant les dommages causés par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé a été établi conformément à la résolution ES-10/17 du 15 décembre 2006 de l’Assemblée générale, et sert à consigner sous forme documentaire les dommages causés à toutes les personnes physiques et morales concernées par la construction du mur par Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est.
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VII. CONCLUSION
61. Dans cet avis, la Cour a jugé, pour la première fois, que la présence d’Israël dans le Territoire palestinien occupé était illicite. Elle est parvenue à cette conclusion parce que les politiques et pratiques dans le Territoire palestinien occupé ont révélé le véritable objectif visé par Israël, à savoir l’acquisition par la force du territoire palestinien, en violation de règles fondamentales du droit international, dont certaines normes impératives. La Cour a en particulier conclu à des violations du droit à l’autodétermination, dont elle a confirmé le caractère impératif, de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, de l’interdiction de la ségrégation et de la discrimination raciale et de règles fondamentales du droit international humanitaire.
62. Ces normes, même celles qui n’ont pas été désignées comme telles par la Cour, sont généralement considérées comme ayant un caractère impératif. La conclusion de la Cour selon laquelle elles ont été violées de façon flagrante et systématique par Israël dans le Territoire palestinien occupé doit être saluée en ce qu’elle constitue une contribution importante au développement du droit international et au renforcement de certains de ses principes les plus fondamentaux : la force ne saurait être employée pour acquérir un territoire, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est inaliénable, les obligations d’une puissance occupante à l’égard des personnes protégées continuent de s’appliquer tant que dure l’occupation, la pratique de la ségrégation raciale et de l’apartheid n’est pas exclusive à l’Afrique du Sud, pour n’en citer que quelques-uns.
63. Cela étant, quelle que soit l’importance de ces principes fondamentaux du droit international, un avis consultatif ne devrait pas seulement avoir pour but de développer des règles de droit international et de contribuer à la doctrine. La principale fonction de tout avis consultatif doit être d’aider l’organisation qui le sollicite à régler le problème, quel qu’il soit, auquel elle se trouve confrontée. Dès lors, la principale fonction du présent avis est d’aider l’Assemblée générale et, de fait, l’Organisation des Nations Unies tout entière, à trouver une solution à l’assujettissement du peuple palestinien qui dure depuis plusieurs décennies. Les 285 paragraphes de l’avis consultatif n’auront de sens que si l’Organisation des Nations Unies y donne suite en oeuvrant en faveur du règlement de ce conflit qui entache gravement la thèse de l’existence d’une communauté internationale. En effet, comment une communauté pourrait-elle permettre que l’un des siens, le peuple palestinien, vive dans une telle souffrance et des conditions aussi dégradantes ?
(Signé) Dire TLADI.
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Déclaration de M. le juge Tladi