Déclaration de Mme la juge Xue

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186-20240719-ADV-01-06-EN
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DÉCLARATION DE MME LA JUGE XUE
[Traduction]
1. J’ai voté en faveur de tous les points du dispositif de l’avis. Je souscris, de manière générale, au raisonnement et aux conclusions de la Cour, et souhaite, par la présente déclaration, revenir plus en détail sur différents points concernant l’application du principe d’autodétermination en l’espèce.
2. Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination a été clairement expliqué et affirmé par la Cour dans son avis consultatif sur le mur (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 182-183, par. 118). Dans la présente procédure, la Cour a précisé la portée de ce droit et les effets des politiques et pratiques d’Israël sur son exercice par le peuple palestinien. Elle indique ainsi que, « en cas d’occupation étrangère comme celle dont il est question en la présente espèce, le droit à l’autodétermination constitue une norme impérative de droit international » (voir le paragraphe 233). Je partage ce point de vue, à une nuance près.
3. Au regard du droit international contemporain, il est bien établi que le principe d’autodétermination s’applique à tous les peuples colonisés, assujettis à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères (déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale, adoptée le 14 décembre 1960 ; déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, adoptée le 24 octobre 1970). Ce principe a acquis un caractère impératif en droit international en ce qui concerne les peuples se trouvant dans ces situations. L’occupation étrangère est, par définition, une forme de domination étrangère. Conformément au principe d’interdiction de l’acquisition de territoire par la force, elle doit être de nature temporaire et prendre fin le plus tôt possible.
4. Au vu des nombreux éléments de preuve exposés dans l’avis, l’occupation prolongée du territoire palestinien par Israël, conjuguée aux politiques et pratiques qu’il y met en oeuvre, a gravement entravé l’exercice du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. La situation sur le terrain qui règne dans le Territoire palestinien occupé depuis 50 ans, telle qu’elle a été amplement constatée par les organismes des Nations Unies, n’a fait qu’empirer. Se référant au traitement discriminatoire qu’Israël impose aux Palestiniens, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu avait observé ce qui suit :
« J’ai été profondément attristé, chaque fois que je me suis rendu en Terre sainte, parce qu’une grande partie de ce qui s’y passait me rappelait vivement ce que nous subissions autrefois, nous, les Noirs, sous le régime d’apartheid d’Afrique du Sud. J’ai vu l’humiliation qui est faite aux Palestiniens aux barrages routiers et me souviens de ce que nous avons subi dans notre mère patrie. » (Transcription de l’allocution prononcée par l’archevêque Desmond Tutu dans l’Old South Church de Boston, Massachusetts (États-Unis), le 13 avril 2002 ; voir aussi l’article signé par l’archevêque, paru dans The Guardian le 29 avril 2002, intitulé « Apartheid in the Holy Land » [« Apartheid en Terre sainte »].)
Les effets de l’occupation d’Israël à cet égard diffèrent peu de ceux découlant de la colonisation, qui a été fermement condamnée par le droit international (voir Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16 ; Effets
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juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 95).
5. Je suis d’avis que le caractère impératif du droit du peuple palestinien à l’autodétermination repose sur ces solides bases du droit international, et ne dépend en rien des circonstances particulières de l’occupation d’Israël. Les déclarations de la Cour auraient été plus convaincantes si cette idée avait été développée plus avant dans l’avis.
6. Le second point que je souhaite soulever concerne la conclusion de la Cour selon laquelle la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite. Je suis convaincue, en substance, qu’il existe suffisamment d’éléments juridiques et factuels étayant cette conclusion, et ces fondements sont d’ailleurs scrupuleusement présentés et analysés dans l’avis. Toutefois, pour ce qui est de la conclusion, il est permis de se demander si, dans leurs résolutions, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont, de fait, considéré que les effets des politiques et pratiques d’Israël rendaient illicite la présence continue de celui-ci dans le Territoire palestinien occupé ; la licéité de l’occupation est censée être régie par le principe de non-recours à la force et le droit de l’occupation.
7. Il ne fait aucun doute que, dans leurs résolutions, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité ont exprimé leur condamnation et leur opposition catégoriques à l’égard des politiques et mesures d’Israël visant à modifier le statut juridique, le caractère géographique et la composition démographique du Territoire palestinien occupé, et déclaré que ces politiques et mesures étaient « nulles et non avenues et ne p[o]uv[ai]ent modifier le statut » du Territoire palestinien occupé. Cependant, ces résolutions ne portaient pas, à proprement parler, sur la licéité de la présence continue d’Israël dans ledit territoire, mais sur celle des politiques et mesures adoptées par lui. Il pourrait être argué que la licéité de la présence continue d’Israël et celle de ses politiques et pratiques sont, ainsi que l’a dit la Cour, deux choses différentes, qui sont régies par des règles distinctes (le jus ad bellum et le jus in bello). Les questions sur lesquelles la Cour devait se prononcer pour donner l’avis consultatif sollicité l’invitaient toutefois à examiner le lien entre les deux notions. La Cour a considéré que, dès lors qu’était établie l’illicéité des politiques et pratiques d’Israël, la question suivante à laquelle elle était tenue de répondre était, logiquement, celle de la licéité de la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé. En d’autres termes, lorsque certains faits sont déclarés internationalement illicites, ils ne doivent pas, en principe, pouvoir continuer à exister, ce qui peut, en conséquence, avoir une incidence sur la licéité de la présence continue d’Israël dans le territoire occupé.
8. Lorsque l’Assemblée générale prie la Cour d’examiner les conséquences juridiques du manquement d’Israël à l’obligation qu’il a de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et de rechercher si les politiques et pratiques d’Israël ont eu un effet sur le statut juridique de l’occupation, ces thèmes deviennent des questions qu’il appartient à la Cour elle-même de trancher. Les résolutions adoptées par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité non seulement fournissent des éléments crédibles établissant le comportement illicite d’Israël, mais contiennent aussi les vues et positions des États Membres sur ce comportement. C’est dans ce contexte, me semble-t-il, que la Cour s’est référée aux résolutions pour parvenir à ses propres conclusions sur les questions dont elle était saisie.
9. Certains participants ont fait valoir qu’Israël avait le droit de maintenir sa présence dans le Territoire palestinien occupé, en particulier pour satisfaire ses besoins de sécurité. Je souscris à l’avis de la Cour selon lequel les politiques et pratiques d’Israël, telles qu’elles se présentent, ne sauraient être justifiées par des considérations en matière de sécurité. La Cour a jugé que, outre l’annexion de grandes parties du territoire occupé en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, les changements apportés par
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les politiques et pratiques d’Israël « manifestent une intention de créer une présence israélienne permanente et irréversible dans ledit territoire » (voir le paragraphe 252). La sécurité d’Israël ne saurait être garantie au moyen des politiques et mesures unilatérales et destructives qu’il met en oeuvre contre le peuple palestinien.
10. Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination a été reconnu dès le début dans le plan de partage établi par l’Assemblée générale dans sa résolution 181 (II), et réaffirmé dans des résolutions ultérieures. Ainsi que la Cour l’a souligné dans l’avis, la réalisation ultime du droit du peuple palestinien à l’autodétermination dépend du règlement définitif du conflit entre l’État de Palestine et l’État d’Israël. En attendant que cet objectif soit atteint, Israël doit, en tout état de cause, immédiatement mettre fin à ses faits internationalement illicites et s’acquitter des obligations internationales qui lui incombent dans le Territoire palestinien occupé.
(Signé) XUE Hanqin.
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