DÉCLARATION DE M. LE JUGE SALAM, PRÉSIDENT
[Texte original en français]
1. J’ai voté en faveur de chacun des points du dispositif de l’ordonnance de la Cour dans la présente affaire et je partage dans son entièreté le raisonnement suivi pour arriver aux conclusions qui sont les siennes.
2. Le contexte dans lequel la Cour fut à nouveau saisie d’une demande en indication de mesures conservatoires par l’Afrique du Sud est particulièrement tragique comme le relève cette ordonnance, qui souligne que la « situation humanitaire catastrophique qui régnait dans la bande de Gaza lorsqu’elle a rendu son ordonnance du 26 janvier 2024 s’est encore détériorée » (voir le paragraphe 30 de l’ordonnance). En effet, alors que, le 21 février 2024, le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) constatait déjà que « Gaza [étai]t devenue une zone de mort » (“WHO Director-General’s opening remarks at the media briefing” (21 February 2024)), la situation s’est davantage dégradée, comme l’a noté il y a quelques jours le Secrétaire général des Nations Unies aux portes de Rafah : « [i]t is monstrous that after so much suffering over so many months, Palestinians in Gaza are marking Ramadan with Israeli bombs still falling, bullets still flying, artillery still pounding, and humanitarian assistance still facing obstacle upon obstacle » (Secretary-General’s press encounter at Rafah border crossing, 23 March 2024).
3. En outre, alors qu’en janvier 2024, lorsqu’elle rendait sa première ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour évoquait un risque immédiat de famine, désormais le risque s’est réalisé et de nombreux enfants sont déjà morts par inanition (voir le paragraphe 21 de l’ordonnance).
4. Ainsi que le souligne l’un des acteurs en première ligne sur le terrain, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), « [l]a faim a atteint des niveaux catastrophiques, plus de 90 % de la population étant confrontée à une insécurité alimentaire aiguë. Dans le nord de la bande de Gaza, les parents nourrissent leurs enfants avec du fourrage animal et des plantes indigènes » (UNRWA, “UNRWA launches Ramadan campaign against backdrop of Gaza emergency”, news release, 12 March 2024).
5. Cette situation déjà catastrophique est encore capable de se dégrader, comme l’ont souligné les représentants du Bureau pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et du Programme alimentaire mondial (PAM) au Conseil de sécurité (voir le paragraphe 31 de l’ordonnance). Et selon les termes du haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, « this is a humanitarian crisis which is not a natural disaster. It is not a flood. It is not an earthquake. It is man-made. And when we look for alternative ways of providing support — by sea or by air — we have to remind that we have to do it because the natural way of providing support, through roads, is being closed, artificially closed. And starvation is being used as a weapon of war. » (United Nations, Speech by High Representative Josep Borrell at the annual United Nations Security Council session on EU-UN Cooperation, 12 March 2024.)
6. L’ampleur d’une telle dégradation sur le seul plan de la santé par exemple est bien illustrée par la London School of Hygiene and Tropical Medicine et le John Hopkins Center for Humanitarian Health, qui sont parvenus à la prévision selon laquelle, « dans les six prochains mois, et en l’absence d’épidémie, la surmortalité infantile atteindrait 6 550 morts dans l’hypothèse d’un cessez-le-feu, bondissant à 58 260 morts dans l’hypothèse du statu quo et à 74 290 morts dans celle de l’escalade ». Dans l’éventualité d’une ou plusieurs épidémies, « leurs prévisions s’élèvent à 11 580, 66 720 et
Déclaration de M. le juge Salam, président