Observations de l'État d'Israël sur la demande de l'Afrique du Sud du 6 mars 2024 en indication de mesures conservatoires additionnelles et de la modification des décisions antérieures de la Cour relatives aux mesures conservatoires.

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192-20240315-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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OBSERVATIONS DE L’ÉTAT D’ISRAËL SUR LA DEMANDE TENDANT À L’INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES ADDITIONNELLES OU À LA MODIFICATION DE MESURES CONSERVATOIRES ANTÉRIEURES PRÉSENTÉE PAR L’AFRIQUE DU SUD LE 6 MARS 2024
1. Introduction
1. Le 6 mars 2024, la République d’Afrique du Sud (ci-après « l’Afrique du Sud ») a soumis sa troisième demande en indication de mesures conservatoires en moins de dix semaines. Cette nouvelle demande est tout à fait inhabituelle, non seulement en raison du temps si bref qui la sépare des deux précédentes, mais aussi de par son ton, offensif et belliqueux. Les accusations qu’elle contient sont odieuses, et Israël les rejette catégoriquement. À l’instar de la requête par laquelle l’Afrique du Sud a introduit la présente instance, elles sont dépourvues de tout fondement, en fait comme en droit, moralement abjectes, et représentent une tentative de détourner aussi bien la convention sur le génocide que la compétence de la Cour elle-même.
2. La chronologie de la procédure à ce jour en dit long sur l’hypocrisie et l’approche belliqueuse de l’Afrique du Sud. Le 29 décembre 2023, celle-ci a saisi la Cour d’une requête introductive d’instance contre Israël, lui imputant des violations de dispositions de la convention sur le génocide (ci-après « la convention »). La requête contenait une demande tendant à ce que la Cour indique neuf mesures conservatoires1, dont la plus extrême n’était autre qu’une tentative juridiquement et moralement intenable d’empêcher Israël d’exercer son droit naturel de se défendre contre l’attaque terroriste sans précédent à laquelle elle fait face depuis les atrocités du 7 octobre 2023 et d’assurer la libération des otages détenus à Gaza. Le 26 janvier 2024, après la tenue d’audiences les 11 et 12 janvier, la Cour a rendu une ordonnance en indication de mesures conservatoires (ci-après « l’ordonnance »), dans laquelle, refusant de prescrire les mesures excessives sollicitées par l’Afrique du Sud, elle en indiquait six autres2. La Cour demandait en outre à Israël de lui soumettre un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aurait prises pour donner effet à l’ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci ; c’est à présent chose faite.
3. Dans l’ordonnance, la Cour a clairement indiqué que sa décision ne préjugeait en rien les questions de compétence et de recevabilité, non plus que celle du fond3. Elle a aussi souligné qu’elle était « gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés et [a] appel[é] à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages »4. Cette exhortation s’est révélée vaine. À ce jour, 134 otages — hommes, femmes et enfants, dont certains en très bas âge — demeurent détenus dans d’atroces conditions à Gaza. L’Afrique du Sud n’a manifestement nullement cherché à user de son influence auprès de ses alliés du Hamas pour faciliter leur libération, ce qui en dit long sur ses véritables motivations et sur la nature du souci de protéger des vies humaines dont elle fait profession.
4. Le 12 février 2024, trois semaines seulement après que la Cour eut rendu son ordonnance, l’Afrique du Sud a soumis une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires, arguant
1 Requête introductive d’instance de l’Afrique du Sud, par. 144.
2 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 86.
3 Ibid., par. 84 ; voir aussi par. 15, 30 et 62.
4 Ibid., par. 85.
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qu’une « évolution marquante » était intervenue
5. Elle évoquait à ce propos, de manière fallacieuse, une « offensive militaire sans précédent »6 en se fondant sur une annonce émanant du cabinet du premier ministre israélien ; or, celle-ci indiquait en réalité clairement que toute éventuelle opération militaire à Rafah aurait pour cibles les bataillons du Hamas qui s’y trouvent retranchés, et impliquait la préparation et l’approbation de plans destinés à protéger les civils.
5. Il est significatif que, dans sa demande du 12 février 2024, l’Afrique du Sud ait invoqué le paragraphe 1 de l’article 75 du Règlement de la Cour, en vertu duquel celle-ci peut indiquer d’office des mesures conservatoires. Ce faisant, elle admettait à l’évidence qu’elle ne pouvait établir le « changement dans la situation » requis par le paragraphe 1 de l’article 76 du Règlement, qui permet à la Cour, lorsque pareille circonstance le justifie, de modifier une décision existante concernant des mesures conservatoires. En réalité, l’Afrique du Sud cherchait simplement à rouvrir et à faire rejuger des questions que la Cour avait déjà tranchées, trois semaines plus tôt, dans son ordonnance. Le 16 février 2024, la Cour a jugé que la situation ne nécessitait pas l’indication de nouvelles mesures et réaffirmé que son ordonnance du 26 janvier 2024 demeurait en vigueur7.
6. Dix jours plus tard, le 26 février 2024, Israël a soumis à la Cour un rapport en application du point 6) du dispositif (par. 86) de l’ordonnance du 26 janvier 2024 (ci-après « le rapport »).
7. Le 6 mars 2024, moins de trois semaines après que la Cour eut pris, le 16 février 2024, la décision de ne pas indiquer de nouvelles mesures conservatoires, et à peine une semaine après qu’Israël eut soumis son rapport, l’Afrique du Sud a soumis la présente demande tendant à l’indication d’autres mesures conservatoires ou à la modification de celles indiquées dans l’ordonnance du 26 janvier 20248. Au moment du dépôt de cette demande, le 6 mars 2024, il est difficile de croire que l’Afrique du Sud avait eu le temps d’examiner sérieusement le rapport, et ses annexes, soumis par Israël. Du reste, si toute modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires suppose un changement dans la situation au sens du Règlement, l’Afrique du Sud, dans sa demande du 6 mars 2024, se contente de ressasser les éléments dont la Cour avait déjà tenu compte lorsqu’elle a rendu son ordonnance du 26 janvier 2024. Nous y reviendrons, par la suite, plus en détail.
8. Le 11 mars 2024, moins de trois semaines après avoir présenté sa troisième demande en indication de mesures conservatoires, l’Afrique du Sud a fourni à la Cour ses observations sur le rapport d’Israël. Ce n’est pas ici le lieu pour réfuter les allégations qu’elle y formule, bien qu’une telle réfutation s’impose. Il s’agit en revanche de montrer que l’Afrique du Sud s’emploie à noyer la Cour sous un déluge de documents, dans l’espoir que soient rejugées des questions que celle-ci a déjà examinées et tranchées, ou qui relèvent en réalité de la phase du fond. C’est une tactique qui ne saurait prospérer9.
9. De fait, l’Afrique du Sud a entrepris d’exploiter les possibilités de saisir la Cour, non sans abuser de ses procédures. Elle méconnaît les faits qui ne vont pas dans son sens, et en dénature d’autres, se montrant offensive et tendancieuse, tandis que ses demandes se succèdent à un rythme effréné. Elle espère apparemment obtenir ainsi que la Cour cède, et lui accorde ce qu’elle requiert.
5 Demande de l’Afrique du Sud du 12 février 2024, par. 2.
6 Ibid., par. 7.
7 Voir le communiqué de presse no 2024/16 de la Cour, daté du même jour.
8 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 2.
9 Israël réserve entièrement sa position pour ce qui est du contenu des observations de l’Afrique du Sud.
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Mais ce qui est clair, c’est que le fait de multiplier les demandes de modification de mesures conservatoires, sans le moindre fondement en droit, relève d’un comportement inacceptable pour une partie à une procédure judiciaire internationale.
10. Cela dit, les accusations outrancières et répétées de l’Afrique du Sud présentent, dans leur ensemble, une faille plus fondamentale. Car l’Afrique du Sud est bien en peine d’expliquer comment les mesures tangibles que ne cesse de prendre Israël depuis le début de ces hostilités — dont diverses initiatives humanitaires ou sa constante coordination de l’accès à l’aide humanitaire, les efforts considérables qu’il déploie pour atténuer les dommages causés aux civils, les avantages tactiques auxquels il accepte de renoncer dans l’intérêt des civils palestiniens (en leur communiquant par exemple des avertissements ou en utilisant des techniques de combat rapproché), les pauses humanitaires qu’il instaure, et les directives spécifiques prises par son cabinet de guerre et les forces de défense israéliennes (ci-après les « FDI ») à propos de la situation humanitaire, parmi bien d’autres exemples — pourraient concorder avec une intention génocidaire de détruire un groupe en tout ou en partie. Pour dire les choses autrement : quel État se livrant à des actes de génocide, ou indifférent à la commission d’actes relevant de l’article II de la convention, s’évertue à coordonner des convois et largages aériens d’aide humanitaire, facilite constamment l’approvisionnement des hôpitaux en fournitures médicales, l’installation d’hôpitaux de campagne, et la réparation d’infrastructures vitales endommagées au cours des hostilités ?
11. Il ne s’agit pas, pour autant, de nier les défis pressants liés à la nécessité de soulager les souffrances humaines à Gaza. Pour tragique et insupportable que cela soit, cette guerre fait également des victimes civiles. Cette réalité est la douloureuse conséquence d’hostilités armées intensives qu’Israël n’a ni commencées ni voulues — ce qu’il advient, malheureusement, lorsqu’une guerre urbaine est menée contre une organisation terroriste génocidaire dont la stratégie consiste à causer un maximum de victimes civiles, sans faire le moindre cas de la vie humaine ou du droit, et qui continue de retenir des personnes en otages et proclame ouvertement son intention de renouveler les horreurs du 7 octobre. Israël ne ménage pas ses efforts pour alléger ces souffrances dans des circonstances ainsi rendues on ne peut plus difficiles.
12. Israël participe à la présente procédure sérieusement et de bonne foi. Il demeure attaché au respect de ses obligations juridiques internationales, dont celles prescrites par la convention et le droit international humanitaire, ainsi que celles énoncées dans l’ordonnance de la Cour en date du 26 janvier 2024. Ainsi qu’il sera montré plus bas, rien, dans la présente demande de l’Afrique du Sud ne permet de conclure que les mesures conservatoires déjà indiquées dans ladite ordonnance ne seraient plus suffisantes. Israël affirme donc respectueusement que la demande doit être rejetée.
13. La suite des observations d’Israël s’articule comme suit. La section 2 traite de l’image fondamentalement biaisée de la réalité que donne l’Afrique du Sud dans sa demande. La section 3 met en évidence d’autres failles de l’argumentation de l’Afrique du Sud. La section 4 établit que les conditions auxquelles est subordonnée la modification des mesures conservatoires existantes, ou l’indication de nouvelles mesures, ne sont pas remplies. À des fins d’exhaustivité, il sera également montré, dans la section 5, que le libellé des mesures conservatoires proposées est totalement inapproprié. Comme les précédentes, les présentes observations sont exposées sans préjudice de la position d’Israël quant à la compétence, à la recevabilité et au fond de l’affaire. En outre, si Israël ne rectifie pas ici toutes les inexactitudes qui émaillent la demande soumise par l’Afrique du Sud, cette omission n’emporte pas, pour autant, reconnaissance ou acceptation des allégations qui les contiennent, et Israël réserve pleinement sa position sur ces questions.
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2. L’Afrique du Sud donne une image fondamentalement biaisée de la réalité, de ses causes et des efforts déployés par Israël pour y faire face
14. L’argumentation présentée par l’Afrique du Sud dans sa demande du 6 mars 2024 suit un schéma familier qui consiste à déformer la réalité, à mettre à tort cette prétendue réalité sur le compte de méfaits d’Israël et à attribuer de manière diffamatoire à celui-ci une intention délictueuse tout simplement inexistante.
15. La demande contient des accusations scandaleuses et infondées à l’encontre d’Israël. Il est notamment reproché à celui-ci de « massacre[r] … des Palestiniens désespérés et affamés »10, d’« affame[r] délibérément » les Palestiniens11, de « cibler et [de] tuer délibérément les travailleurs humanitaires »12, et d’« utilise[r] l’aide humanitaire comme “monnaie d’échange dans les négociations” »13. Il est manifestement faux de qualifier en ces termes le comportement d’Israël, et celui-ci conteste vigoureusement de telles qualifications.
16. Pour citer un exemple flagrant de la manière dont l’Afrique du Sud déforme la réalité, on rappellera la description qu’elle fait de la tragédie survenue lors d’une distribution d’aide dans la ville de Gaza, le 29 février 2024. L’Afrique du Sud, entendant attribuer à Israël une intention génocidaire, qualifie de manière scandaleuse l’incident en question de « massacre de la farine »14. Or, au moment où l’incident s’est produit, les forces israéliennes escortaient un convoi d’aide dans le but d’assurer sa sécurité et de dissuader les pilleurs, d’autres convois humanitaires en route pour le nord de Gaza n’étant jamais parvenus à destination. Pour l’heure, les événements qui ont suivi sont toujours examinés par le mécanisme de vérification et d’évaluation des faits de l’état-major, qui cherche notamment à déterminer la cause des décès et des blessures tragiques alors occasionnés, dont certains peuvent être dus aux piétinements. Aucune conclusion déterminante n’a encore été rendue. Une enquête préliminaire menée par le commandant du Commandement sud des forces de défense israéliennes et dont les résultats ont été présentés au chef de l’état-major indique toutefois que des milliers d’habitants de Gaza ont bloqué le convoi et entrepris de piller l’aide que celui-ci s’apprêtait à livrer. Lorsque la foule a commencé à s’avancer en direction des forces de défense israéliennes, les troupes ont effectué des tirs de sommation. Ces tirs n’ayant pas suffi, des tirs à balles réelles ont été effectués en dernier recours contre ceux qui semblaient représenter un danger imminent15.
17. Si l’incident en cause est assurément grave et tragique, l’allégation selon laquelle Israël a agi avec l’intention de nuire à ceux qui souhaitaient obtenir de l’aide et ne menaçaient en rien les soldats des forces de défense israéliennes est calomnieuse et rejetée en bloc. La distribution de l’aide humanitaire dans des zones de combat est souvent périlleuse pour les armées d’active et peut, dans des situations impliquant un nombre important de civils, rapidement aboutir au chaos16. Qui plus est, des groupes terroristes comme le Hamas n’hésitent pas à tirer profit d’une foule de civils pour semer le désordre afin de prendre les troupes pour cibles et de les empêcher d’exercer le moindre contrôle
10 [Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024], par. 11.
11 Ibid.
12 Ibid., par. 9.
13 Ibid.
14 Ibid., par. 11.
15 IDF Spokesperson, “Following the events during the humanitarian operation to insert a food convoy into Northern Gaza: An examination of the incident has been completed and its findings were submitted to the Chief of General Staff” (8 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://shorturl.at/avyNR (traduit en anglais de l’hébreu).
16 Voir Lazar Berman, “In Gaza, as elsewhere, aid missions are dangerous for soldiers”, Times of Israel (11 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.timesofisrael.com/in-gaza-as-elsewhere-aid-missions-are-dangerous-for-soldiers/.
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sur la distribution de l’aide. Il n’en demeure pas moins qu’Israël regrette profondément tout préjudice causé à des civils dans le cadre des hostilités, et l’incident du 29 février ne fait pas exception à la règle.
18. L’Afrique du Sud continue de passer outre le fait qu’Israël est actuellement engagé dans une guerre qui l’oppose à une organisation terroriste génocidaire et que les hostilités en cours engendrent diverses difficultés d’ordres opérationnel et logistique qui sont intentionnellement exacerbées par la stratégie de guerre du Hamas. Cette stratégie est fondée sur l’exploitation illicite des civils et des infrastructures civiles, ainsi que sur un mépris total à l’égard des souffrances des civils, qu’ils soient israéliens ou palestiniens. L’Afrique du Sud voudrait faire croire à la Cour que la situation humanitaire dans la bande de Gaza résulte des actions d’Israël et d’elles seules. Elle va jusqu’à affirmer, de manière choquante, qu’il existe même une intention délibérée de générer les difficultés auxquelles les civils sont confrontés. C’est faux. Israël est véritablement préoccupé par la situation humanitaire et le sort des innocents, comme en témoignent les mesures qu’il a prises et qu’il continue de prendre. Israël rejette catégoriquement l’argument selon lequel il est à l’origine du drame humanitaire qui se joue ou qu’il a jamais appelé celui-ci de ses voeux.
19. L’insécurité alimentaire qui règne à Gaza, en particulier dans sa partie nord, est un problème épineux. Mais le fait est que, contrairement à ce que soutient l’Afrique du Sud, l’approvisionnement en aide humanitaire de la population civile de Gaza n’est pas chose aisée et qu’Israël est résolu, comme de nombreuses autres parties concernées, à persévérer dans les efforts importants qu’il déploie pour remédier à cette situation difficile. Cette volonté d’améliorer la situation humanitaire et de surmonter les obstacles existants atteste l’opposé même d’une intention génocidaire ou d’une tentative d’affamer la population. Israël s’est notamment engagé à continuer de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza, à ouvrir de nouvelles routes à cette fin et à consolider les routes existantes, à collaborer activement avec les responsables des services de santé de Gaza en vue d’évaluer leurs besoins et d’y répondre, à faciliter la réparation et le développement des infrastructures civiles, et à oeuvrer en concertation constante avec les acteurs internationaux, y compris les entités du système des Nations Unies, pour accroître l’aide et améliorer sa distribution à ceux qui en ont besoin. Et cela, alors qu’il mène une guerre qui lui a été imposée et que ses propres citoyens subissent des attaques répétées, pas moins de 134 d’entre eux étant toujours retenus captifs à Gaza dans des conditions inhumaines.
20. Les difficultés liées à l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza — difficultés qu’Israël, aux côtés d’autres acteurs, cherche activement à surmonter — sont multiples. Certaines sont inhérentes à tout théâtre d’hostilités actives, en particulier lorsque celles-ci se déroulent dans une zone densément peuplée et largement dépendante de l’aide internationale. D’autres résultent directement de la stratégie méprisable du Hamas, qui entend utiliser les civils comme des boucliers humains et exacerber et exploiter une situation déjà difficile. Une autre difficulté découle du fait que les organisations internationales présentes à Gaza sont tenues de coordonner leurs activités avec une organisation terroriste qui contrôle l’ensemble des ministères dans cette zone. Il s’ensuit une dépendance vis-à-vis du Hamas dans la livraison et la distribution de l’aide humanitaire. Cela a permis au Hamas de prendre le contrôle des approvisionnements humanitaires, une fois leur accès à Gaza facilité par Israël, et de les détourner de leur destination civile voulue. Des cas de pillage de camions, d’entrepôts mobiles et de points de distribution d’aide par des bandes criminelles se sont également produits. Pour ajouter aux difficultés, le Hamas aurait proféré des menaces à l’égard de
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groupes et d’individus palestiniens, leur annonçant qu’ils seraient « traités avec une poigne de fer » s’ils coopéraient avec Israël pour assurer la sécurité des convois d’aide
17.
21. La Cour dispose des renseignements qu’Israël a présentés dans son rapport concernant les efforts déployés par lui pour surmonter les nombreuses difficultés susmentionnées, conformément à l’engagement international qu’il a pris de permettre et de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire afin de remédier aux conditions difficiles auxquelles sont confrontés les civils palestiniens de la bande de Gaza. L’évolution de la situation au cours de ces derniers jours atteste encore de ces efforts persistants et de l’absurdité des demandes de l’Afrique du Sud. Elle vient s’ajouter aux nombreuses actions et initiatives entreprises par Israël depuis le début du conflit à Gaza et assurément depuis l’ordonnance et la décision que la Cour a rendues les 26 janvier et 16 février 2024, respectivement.
22. Ainsi, à la suite de discussions bilatérales intensives qui se sont tenues au cours des derniers mois entre Israël et Chypre et dans le cadre desquelles une délégation israélienne s’est rendue à Larnaca, les gouvernements des deux États sont convenus de créer un couloir maritime permettant d’acheminer directement de l’aide vers Gaza, une fois les inspections de sécurité effectuées18. La coordonnatrice principale des Nations Unies pour l’aide humanitaire et la reconstruction à Gaza, Mme Sigrid Kaag, a accueilli positivement la création de ce couloir, déclarant qu’il « apport[ait] … une importante additionnalité [aux efforts humanitaires globaux] », et « [a] salu[é] le leadership de Chypre ainsi que le soutien apporté par la Commission européenne, les Émirats arabes unis, les États-Unis, le Qatar, le Royaume-Uni et d’autres parties prenantes à cet effet »19. Le 13 mars 2024, un navire transportant 200 tonnes de vivres a quitté Chypre pour se rendre à Gaza en empruntant le couloir maritime20.
23. Le 7 mars 2024, le président Biden a annoncé que les forces américaines allaient entreprendre la construction d’une jetée flottante au large des côtes de Gaza afin de permettre l’acheminement de quantités plus importantes d’aide humanitaire par voie maritime21. Les forces de défense israéliennes participent à la construction de cette jetée et à la mise au point des derniers détails concernant les mesures de sécurité requises pour son utilisation et l’itinéraire de ravitaillement
17 Le Hamas aurait mis en garde des individus ou des groupes palestiniens contre toute coopération avec Israël en vue d’assurer la sécurité des convois d’aide : voir “Hamas-linked website warns Palestinians against cooperating with Israel to secure aid convoys”, Times of Israel (11 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www. timesofisrael.com/liveblog_entry/hamas-linked-website-warns-palestinians-against-cooperating-with-israel-to-secure-aid-convoys/. Voir aussi : “Hamas-linked website warns Palestinians not to work with Israel”, Reuters (11 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/world/middle-east/hamas-linked-website-warns-palestinians-not-work-with-israel-2024-03-11/. Voir aussi le rapport selon lequel le Hamas a exécuté le « prince » d’un clan de la ville de Gaza en guise d’avertissement adressé à ceux qui envisageraient de coopérer avec Israël : “Hamas executes Gaza clan ‘prince’ in message to potential ‘collaborators’”, JNS (14 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.jns.org/hamas-executes-gaza-clan-prince-in-message-to-potential-collaborators/.
18 “Israel, Cyprus discuss ‘fast track’ maritime lane for aid to Gaza”, Reuters (20 December 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/world/middle-east/israel-cyprus-discuss-fast-track-maritime-lane-aid-gaza-2023-12-20/.
19 Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), « Déclaration commune sur l’ouverture d’un couloir maritime vers Gaza — Coordonnatrice principale des Nations Unies pour l’aide humanitaire et la reconstruction à Gaza » (12 mars 20[2]4), accessible à l’adresse suivante : https://www.unops.org/fr/news-and-stories/speeches/joint-statement-on-the-opening-of-a-maritime-corridor-to-gaza.
20 “First Sea Shipment of Aid Departs for Gaza”, New York Times (12 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.nytimes.com/live/2024/03/12/world/israel-hamas-war-gaza-news.
21 Remarks by President Biden in State of the Union Address (8 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2024/03/08/remarks-by-president-biden-in-state-of-the-union-address-3/.
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qui démarrera à la jetée. Un navire de la marine américaine a déjà quitté la Virginie avec, à son bord, l’équipement nécessaire à la construction de cet ouvrage
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24. Le nombre des largages aériens d’aide humanitaire à Gaza continue d’augmenter. Outre le parachutage, le 21 février 2024, de quatre tonnes de dons du Royaume-Uni et de la Jordanie23, Israël a, entre le 26 février et le 9 mars, facilité le largage à Gaza de 1 138 colis, en coopération avec l’Égypte24, la Jordanie25, les Émirats arabes unis26, le Qatar, la Belgique27, la France et les Pays-Bas28. Entre le 2 et le 13 mars, les États-Unis ont, en coordination avec Israël, conduit neuf opérations de largage aérien, lors desquelles ont été parachutées plus de 35 000 rations alimentaires et 28 000 bouteilles d’eau29.
25. Israël continue en outre de faciliter l’entrée de l’aide par les voies terrestres, conscient que celles-ci sont une composante essentielle de l’effort humanitaire actuellement mené. Ainsi que le montrent les données officielles présentées sur le site Internet de la COGAT, unité du ministère de la défense chargée de surveiller la situation humanitaire, depuis la soumission du rapport d’Israël, le nombre de camions qui entrent dans la bande de Gaza par les points de passage terrestres situés en Israël et en Égypte a sensiblement augmenté, jusqu’à atteindre environ 200 camions par jour au cours des deux dernières semaines. L’utilisation de la route du pont Allenby pour apporter l’aide en provenance de la Jordanie s’est elle aussi nettement accrue. Israël a indiqué qu’il pourrait mettre en oeuvre des mesures permettant une nouvelle augmentation de capacité du côté israélien des points de passage, notamment le recours à des scanners et des personnels supplémentaires.
26. Afin de répondre aux difficultés particulières que pose la distribution de l’aide dans le nord de Gaza, Israël a mis en service une nouvelle route terrestre permettant d’accéder directement au nord de Gaza depuis son territoire. Le 12 mars 2024, des denrées ont été acheminées par cette route en coordination avec le Programme alimentaire mondial (PAM)30. Celui-ci a accepté d’assumer la responsabilité de livraisons de farine initialement destinées à l’UNRWA qui étaient retenues dans le
22 United States Central Command, @CENTCOM, Tweet (2:35 pm, 10 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/CENTCOM/status/1766623783857836091.
23 UK Government, Press Release, “UK and Jordan drop life-saving aid to Gaza hospital” (21 February 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.uk/government/news/uk-and-jordan-drop-life-saving-aid-to-gaza-hospital.
24 “UAE And Egypt Airdrop 42 Tonnes of Aid In Gaza”, DubaiEye (11 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.dubaieye1038.com/news/local/uae-and-egypt-airdrop-42-tonnes-of-aid-in-gaza/.
25 “US and Jordanian forces airdrop aid into Gaza”, CNN (2 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://edition.cnn.com/2024/03/02/politics/us-airdrops-aid-gaza/index.html.
26 “UAE And Egypt Airdrop 42 Tonnes Of Aid In Gaza”, DubaiEye (11 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.dubaieye1038.com/news/local/uae-and-egypt-airdrop-42-tonnes-of-aid-in-gaza/ ; “UAE, Egypt implement seventh humanitarian aid airdrop in Gaza”, Emirates News Agency-WAM (10 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.wam.ae/en/article/b22o3pb-uae-egypt-implement-seventh-humanitarian-aid.
27 Royaume de Belgique, communiqué de presse du 7 mars 2024 intitulé « B-Fast – Première opération de largage aérien d’aide d’urgence à Gaza », accessible à l’adresse suivante : https://diplomatie.belgium.be/fr/actualites/b-fast-premiere-operation-de-largage-aerien-daide-durgence-gaza.
28 “Netherlands and Jordan jointly air drop relief aid, hospital supplies in Gaza”, NL Times (4 February 2024), accessible à l’adresse suivante : https://nltimes.nl/2024/02/04/netherlands-jordan-jointly-air-drop-relief-aid-hospital-supplies-gaza.
29 United States Central Command, @CENTCOM, Tweet (9:13 pm, 13 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/CENTCOM/status/1767992289463279679.
30 “UN uses new land route from Israel to reach northern Gaza”, Times of Israel (12 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/un-uses-new-land-route-from-israel-to-reach-northern-gaza/.
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port d’Ashdod en Israël, permettant ainsi que cette aide soit débloquée et distribuée. En outre, pour accroître la fourniture sécurisée et efficace de l’assistance humanitaire dans le nord de Gaza, Israël non seulement travaille en coordination avec des organisations internationales, mais s’adresse aussi directement aux entreprises privées présentes dans la région (par exemple, des boulangeries et épiceries). En conséquence, Israël a, entre le 24 février et le 9 mars 2024, permis à 273 camions supplémentaires d’acheminer de l’aide alimentaire en direction du nord de Gaza.
27. Israël examine actuellement avec l’ONU la possibilité de faire appel à des prestataires tiers de services de sécurité pour continuer de permettre aux convois d’aide de circuler en toute sécurité et d’assurer efficacement la distribution dans l’ensemble de Gaza.
28. En outre, Israël collabore actuellement avec des organismes de l’ONU en vue de la construction de deux murs, respectivement longs de 525 mètres et 720 mètres, visant à protéger les entrepôts de l’ONU à Gaza et ceux du Qatar, situés au passage de Rafah, des pillages.
29. Au-delà de ces dispositions particulières destinées à répondre aux enjeux de sécurité alimentaire à Gaza, d’autres mesures humanitaires sont mises en oeuvre. Ainsi, l’accès aux soins médicaux à Gaza demeure une priorité. Israël coordonne étroitement ses efforts avec des acteurs internationaux tels que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) afin de faciliter le fonctionnement des installations médicales de Gaza, notamment en permettant l’entrée (et la distribution) de stocks importants de fournitures médicales. Depuis le début de la guerre, plus de 19 740 tonnes de matériel médical ont été acheminées dans la bande de Gaza.
30. Aux quatre hôpitaux de campagne qui étaient en fonctionnement à Gaza au moment des audiences tenues devant la Cour les 11 et 12 janvier se sont ajoutés deux nouveaux établissements, dont la création a été coordonnée avec Israël et qui devraient être prochainement opérationnels, l’un étant mis en place par le CICR et l’autre, à l’initiative du Royaume-Uni31. Entre les 8 et 11 mars 2024, huit camions transportant du matériel destiné à l’hôpital UK-MED sont entrés dans la bande de Gaza ; cet hôpital devrait être pleinement fonctionnel à partir du 17 mars 2024, mais assure d’ores et déjà des soins d’urgence. De plus, le 26 février 2024, un navire des Émirats arabes unis amarré au port égyptien d’El-Arish a mis en place un hôpital flottant qui a commencé à prendre en charge des patients de Gaza32. La COGAT mène actuellement des discussions avec d’autres organisations internationales concernant l’établissement d’un hôpital de campagne supplémentaire.
31. Le 5 mars 2024, les représentants de la COGAT se sont entretenus avec la direction du Saint John Eye Hospital, à Jérusalem, au sujet de l’établissement d’un département d’ophtalmologie qui opérera à Gaza dans l’hôpital de campagne de l’International Medical Corps (IMC). De même, le 7 mars 2024, des représentants de l’IMC ont inspecté un site susceptible d’être retenu en vue du nouvel hôpital de campagne. Le même jour, 14 camions chargés de matériel médical destiné à l’hôpital de campagne émirien sont entrés dans la bande de Gaza.
31 Israel Defence Forces, “Medical Aid and Field Hospitals in the Gaza Strip” (22 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.idf.il/en/mini-sites/hamas-israel-war-24/all-articles/medical-aid-and-field-hospitals-in-the-gaza-strip/ ; UK Government, Press Release, “Major humanitarian push as 150 tonnes of UK aid enter Gaza” (13 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.uk/government/news/major-humanitarian-push-as-150-tonnes-of-uk-aid-enters-gaza.
32 COGAT, @cogatonline, Tweet (2:45 pm, 26 February 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/ cogatonline/status/1762096423791964248?t=a34hruZe7BW87r74pIsAxQ&s=19.
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32. La fourniture de matériel médical supplémentaire continue d’être facilitée. Le 3 mars 2024, 50 incubateurs de l’UNICEF sont entrés dans la bande de Gaza pour être acheminés vers l’hôpital Al-Shifa, l’hôpital Kamal Adwan, l’hôpital européen, l’hôpital Nassar et l’hôpital Al-Aqsa33. La fourniture d’ambulances supplémentaires à Gaza a elle aussi été facilitée pour améliorer les capacités de premiers soins. Des ambulances ont déjà fait l’objet de contrôles cette semaine au point de passage de Nitzana et devraient rejoindre Gaza dans les prochains jours.
33. De larges quantités de vaccins ont été distribuées à Gaza depuis le début des hostilités en cours. Des doses destinées à Gaza sont ainsi tout récemment, le 12 mars 2024, arrivées au port d’El-Arish, notamment 44 900 vaccins contre l’hépatite B, 134 500 vaccins contre le tétanos, la diphtérie, la coqueluche, l’hépatite B et l’haemophilus influenzae, et 30 000 vaccins contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche. L’expédition a d’ores et déjà été coordonnée avec Israël et devrait entrer dans la bande de Gaza dans quelques jours par le point de passage de Kerem Shalom.
34. De même, les fournitures de carburant aux hôpitaux de la bande de Gaza se poursuivent. Tout récemment, le 9 mars 2024, des missions de l’UNICEF et de l’OMS ont ainsi approvisionné l’hôpital Ahli, en coordination avec Israël. A également été coordonné un convoi de l’ONU comptant un camion-citerne destiné à l’hôpital Al-Shifa. Fin février 2024, la COGAT a coordonné la réparation d’un générateur à l’hôpital Nassar ; elle a, de plus, à la demande du personnel de l’hôpital, organisé le transfert de patients vers d’autres établissements de la bande de Gaza. Elle assure actuellement le transport d’un générateur supplémentaire entre l’hôpital européen et l’hôpital Nassar.
35. Israël continue en outre d’aider les organismes de l’ONU et les autres institutions spécialisées présents dans la bande de Gaza à améliorer leurs capacités opérationnelles en facilitant la fourniture d’équipements tels que chariots élévateurs, camions, téléphones satellite et équipements de protection. Le 1er mars 2024, 30 kits contenant un gilet et un casque ont été acheminés à Gaza à l’intention du personnel du CICR. Cette semaine, des équipements de protection supplémentaires destinés au PAM et à l’UNICEF sont arrivés à Gaza, et d’autres stocks d’équipements et de matériels de protection doivent être reçus dans les prochains jours pour l’UNICEF, le PAM, l’hôpital UK-MED, l’OCHA et World Central Kitchen.
36. La coopération avec Sigrid Kaag, coordonnatrice principale de l’action humanitaire et de la reconstruction pour Gaza, se poursuit aussi, de même que les réunions quotidiennes que tient la COGAT avec les représentants des États-Unis, de l’Égypte et de l’ONU afin de résoudre des difficultés logistiques particulières, et les réunions avec les représentants d’autres intervenants visant à trouver des solutions et des moyens pour étendre la portée et la capacité de l’assistance humanitaire dans la bande de Gaza.
37. À la lumière de ces nombreux exemples, qui illustrent les actions mises en oeuvre par Israël dans le domaine humanitaire pour atténuer les souffrances de la population civile en général et remédier au problème de l’insécurité alimentaire en particulier, les allégations malhonnêtes de l’Afrique du Sud sont manifestement absurdes. Israël demeure fermement engagé à s’acquitter de ses obligations humanitaires, et l’accusation selon laquelle il cherche délibérément à porter atteinte à la population civile palestinienne doit être purement et simplement rejetée.
33 COGAT, @cogatonline, Tweet (7:31 pm, 3 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/
cogatonline/status/1764342786088702079?t=pbOnvI5P-EOf615o6fNoLQ&s=19.
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3. Autres failles de l’argumentation de l’Afrique du Sud
38. Au-delà de la présentation fondamentalement erronée que fait l’Afrique du Sud de la réalité sur le terrain ainsi que des efforts déployés par Israël pour y répondre et des intentions qui sont les siennes à cet égard, l’argumentation de la demanderesse est entachée de failles supplémentaires qui méritent d’être examinées.
39. L’une de ces failles concerne l’allégation de l’Afrique du Sud selon laquelle « les efforts concertés qu’[Israël] déploie depuis le 26 janvier 2024 pour priver l’UNRWA de financement » constituent une violation de la convention sur le génocide34. Pour avancer cet argument, la demanderesse fait abstraction du fait qu’Israël dispose d’éléments prouvant qu’un certain nombre d’employés de l’UNRWA ont activement participé aux attaques odieuses du 7 octobre et que plus d’un millier d’entre eux sont directement liés au Hamas ou à d’autres groupes terroristes à Gaza35. Israël a en outre établi que le Hamas utilisait massivement les installations de l’UNRWA à des fins militaires, et notamment le quartier général de l’organisation à Gaza et de nombreuses écoles. Les forces de défense israéliennes ont ainsi découvert un tunnel creusé à proximité d’une école de l’UNRWA, qui conduisait à une galerie souterraine utilisée par les terroristes, présentant une importance stratégique pour le renseignement militaire du Hamas et passant aussi sous le quartier général de l’UNRWA, lequel l’alimentait en électricité36. Des caches d’armes et de munitions ont été retrouvées dans de nombreux autres locaux de l’UNRWA37. Le Hamas détourne en outre les ressources de l’UNRWA pour ses propres besoins, notamment en réquisitionnant pour ses effectifs les fournitures humanitaires essentielles de l’organisation, dont il prive ainsi la population civile38.
40. Au vu de ces éléments troublants, ainsi que d’autres, différents États ont suspendu leur contribution financière à l’UNRWA, parmi lesquels les États-Unis39, le Royaume-Uni40,
34 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 12.
35 “Intelligence Reveals Details of U.N. Agency Staff’s Links to Oct. 7 Attack”, The Wall Street Journal (29 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.wsj.com/world/middle-east/at-least-12-u-n-agency-employees-involved-in-oct-7-attacks-intelligence-reports-say-a7de8f36. Voir aussi “Video is said to show U.N. relief worker taking body of Israeli shot on Oct. 7”, The Washington Post (16 February 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.washingtonpost.com/investigations/2024/02/16/unrwa-video-oct-7-israel/.
36 IDF Media Center, “Inside UNRWA Facilities: Weapons and Underground Hamas Intelligence Asset”, 10 February 2024, accessible à l’adresse suivante : https://www.idf.il/en/mini-sites/idf-press-releases-regarding-the-hamas-israel-war/february-24-pr/inside-unrwa-facilities-weapons-and-underground-hamas-intelligence-asset/.
37 Ibid.
38 Onglet 3 du dossier de plaidoiries soumis à la Cour par l’État d’Israël lors de l’audience du 12 janvier 2024 sur la demande en indication de mesures conservatoires ; CR 2024/2, par. 62 (Raguan).
39 U.S. Department of State, Press Release, “Statement on UNRWA Allegations” (26 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.state.gov/statement-on-unrwa-allegations/.
40 UK Foreign, Commonwealth & Development Office, Press Release, “Allegations about UNRWA staff and 7 October attacks: FCDO Statement” (27 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.uk/government/ news/statement-on-allegations-about-unrwa-staff-and-7-october-attacks.
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l’Allemagne
41, l’Italie42, la Finlande43, les Pays-Bas44, la France45, le Japon46, l’Islande47, l’Estonie48, la Lituanie49, l’Autriche50, la Lettonie51 et la Roumanie52. En outre, l’UNRWA fait actuellement l’objet d’une enquête ouverte par le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) de l’ONU ainsi que d’un examen indépendant complet conduit par le Secrétaire général53.
41. Pour répondre efficacement aux difficultés humanitaires qui se posent dans la bande de Gaza, il est nécessaire de veiller à ce que les organisations chargées d’assurer l’assistance humanitaire ne soient pas infiltrées ou compromises par le Hamas et d’autres groupes terroristes d’une manière qui entrave l’acheminement de l’aide jusqu’à la population civile à laquelle elle est destinée. Les préoccupations soulevées quant à l’infiltration de l’UNRWA par le Hamas visent non pas à limiter l’accès de la population civile à l’assistance humanitaire, mais, au contraire, à éviter que les circuits de distribution de l’aide soient utilisés de manière abusive. Israël demeure déterminé à faciliter la fourniture de l’assistance humanitaire à la population civile de Gaza et cherche en conséquence à travailler en coopération avec des partenaires dignes de confiance afin que l’aide soit acheminée par des organisations impartiales et efficaces.
42. La demande de l’Afrique du Sud présente encore le défaut de reposer largement sur des documents produits sous les auspices de l’ONU ou établis par des tiers, qui ne peuvent être considérés comme offrant suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi. De fait, la Cour a elle-même eu l’occasion d’observer que les rapports d’organismes de l’ONU ne peuvent satisfaire à un tel critère que « dans la mesure où ils ont une valeur probante et sont corroborés, si nécessaire, par d’autres
41 German Foreign Office, @GermanyDiplo, Tweet (2:34 pm, 28 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/GermanyDiplo/status/1751584613590249948?t=p49w57hkNIArXN1DM-EDWQ&s=19.
42 Italy’s Minister of Foreign Affairs, @Antonio_Tajani, Tweet (11:01 am, 27 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/Antonio_Tajani/status/1751168542790009207?s=20.
43 Finland’s Minister for Foreign Trade and Development statement, @VilleTavio, Tweet (12:29 pm, 27 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/VilleTavio/status/1751190649490059602.
44 Government of the Netherlands, News Item, “The Netherlands halts UNRWA funding” (28 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.government.nl/latest/news/2024/01/28/netherlands-halts-unrwa-funding.
45 Ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la République française, « Israël/Territoires palestiniens — UNRWA (28 janvier 2024) », accessible à l’adresse suivante : https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/israel-territoires-palestiniens/actualites-et-evenements/2024/article/israel-territoires-palestiniens-unrwa-28-01-24.
46 Ministry of Foreign Affairs of Japan, Press Release, “Allegations about UNRWA staff members’ involvement in the October 7 terror attack on Israel last year (Statement by Foreign Press Secretary KOBAYASHI Maki)” (28 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.mofa.go.jp/press/release/pressite_000001_00122.html.
47 Government of Iceland, “Financial support for UNRWA delayed” (30 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.government.is/diplomatic-missions/embassy-article/2024/01/30/Financial-support-for-UNRWA-delayed/.
48 Minister of Foreign Affairs of the Republic of Estonia, @Tsahkna, Tweet (4:57 pm, 28 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/Tsahkna/status/1751620436629049462.
49 Ministry of Foreign Affairs of Lithuania, @LithuaniaMFA, Tweet (8:56 pm, 28 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/LithuaniaMFA/status/1751680596663804248.
50 Federal Ministry Republic of Austria European and International Affairs, “Austria is suspending payments to UNRWA” (29 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.bmeia.gv.at/en/ministerium/presse/ aktuelles/2024/01/austria-is-suspending-payments-to-unrwa.
51 Ministry of Foreign Affairs of Latvia, @Latvian_MFA, Tweet (8:44 am, 29 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/Latvian_MFA/status/1751858904579952750.
52 Ministry of Foreign Affairs of Romania, @MAERomania, Tweet (1:14 pm, 29 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/MAERomania/status/1751926826841018626.
53 UNRWA, Official Statements, “Allegations Against UNRWA Staff” (8 February 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/allegations-against-unrwa-staff. Israël collabore avec le BSCI et le groupe d’examen indépendant.
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sources crédibles »
54. Elle a en outre souligné que « [l]a valeur probante précise reconnue à un rapport, y compris ceux rédigés par des entités de l’ONU, dépend également de la méthode et de l’ampleur des travaux de recherche qui sous-tendent son élaboration »55.
43. Cette prudence est tout particulièrement de mise en la présente espèce, où les documents invoqués par l’Afrique du Sud n’ont souvent pas plus de valeur que de simples assertions ou avis. Ces documents reposent non pas sur des enquêtes approfondies, mais sur des affirmations non vérifiées, ils manquent de rigueur méthodologique ou semblent tout simplement dénués de méthode et ils mêlent indistinctement connaissances spécialisées et avis militants. Ils ont été élaborés sans la participation d’Israël ou sans que celui-ci ait eu accès aux informations pertinentes et nécessaires ; ils reposent, pour nombre d’entre eux, sur des sources émanant du Hamas ou des sources à l’égard desquelles celui-ci recourt à l’intimidation ; pour finir, ils n’ont pas été soumis au principe du contradictoire.
44. Enfin, Israël rejette les affirmations de l’Afrique du Sud tendant à mettre en doute les informations qu’il présente. Les représentants sud-africains ont par exemple invoqué un rapport établi par une organisation dont on connaît les liens avec des mouvements militants anti-Israël pour contester la véracité des informations soumises par celui-ci à l’audience du 12 janvier 202456. Il n’y a pas lieu de s’attarder ici sur les nombreuses défaillances de ce rapport, et Israël se contentera de préciser qu’il maintient les éléments qu’il a avancés devant la Cour.
4. Les conditions auxquelles est subordonnée la modification des mesures conservatoires existantes ne sont pas remplies
45. Ainsi que cela a déjà été indiqué, la nouvelle demande de l’Afrique du Sud a été formulée moins de six semaines après que la Cour a rendu son ordonnance en indication de mesures conservatoires du 26 janvier 2024 ; à peine plus de trois semaines après la première demande de l’Afrique du Sud, datée du 12 février 2024, tendant à ce que ces mesures soient modifiées ; et un peu moins de trois semaines après que la Cour a décidé, le 16 février 2024, de ne pas accéder à cette demande. Pour que la Cour puisse aujourd’hui indiquer des mesures conservatoires additionnelles, l’Afrique du Sud devait établir qu’il s’est produit un changement dans la situation, au sens du paragraphe 1 de l’article 76 du Règlement, pendant les trois semaines qui se sont écoulées depuis la décision du 16 février 202457. Cette condition préalable n’est tout simplement pas remplie.
54 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 85, par. 215. Ainsi, dans cette espèce, la Cour a estimé que « les différents rapports d’organismes de l’ONU, dont le rapport Mapping, donn[ai]ent un certain nombre d’informations sur des événements particuliers survenus pendant le conflit, mais ne fourniss[ai]ent pas une base suffisante pour lui permettre de parvenir à une estimation globale du nombre de morts attribuables à l’Ouganda » (ibid., p. 66, par. 154).
55 Ibid., p. 66, par. 152. Voir aussi Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, CR 2024/12, p. 17, point 5 du par. 19 (exposé de M. Sarooshi, s’exprimant au nom du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) ; voir aussi l’exposé écrit du Royaume-Uni (en date du 20 juillet 2023) présenté dans la même affaire, p. 34, par. 67.3.
56 Vincent Magwenya, Spokesperson to the President of South Africa, @SpokespersonRSA (2:44 pm, 5 March 2024), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/spokespersonrsa/status/1764995515555455401?s=46&t=D _O8gOFDlq7DB5_n-klyHg&fireglass_rsn=true#fireglass_params&tabid=a4c1d6f256dbdf71&application_server_addr ess=fgtehilacloud-16-me-est1.prod.fire.glass&popup=true&is_right_side_popup=false&start_with_session_counter=1.
57 L’Afrique du Sud semble le reconnaître : demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 2, deuxième phrase.
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46. Le paragraphe 1 de l’article 76 du Règlement de la Cour se lit comme suit :
« À la demande d’une partie ou d’office, la Cour peut, à tout moment avant l’arrêt définitif en l’affaire, rapporter ou modifier toute décision concernant des mesures conservatoires si un changement dans la situation lui paraît justifier que cette décision soit rapportée ou modifiée. »
Conformément au libellé de cette disposition, pour qu’une décision portant indication de mesures conservatoires puisse être modifiée, la Cour doit s’assurer : a) qu’il s’est produit un changement dans la situation depuis ladite décision ; et b) que, si tel est le cas, ce changement justifie la modification sollicitée58. Ces deux mêmes conditions doivent également être remplies pour que la Cour puisse indiquer de nouvelles mesures conservatoires venant s’ajouter ou se substituer à celles prescrites dans une décision antérieure59. L’Afrique du Sud semble souscrire à ce qui précède60.
47. Toute demande de mesures conservatoires additionnelles présentée après la décision initiale concernant de telles mesures doit également être « fondée sur des faits nouveaux », au sens du paragraphe 3 de l’article 75 du Règlement de la Cour61. L’Afrique du Sud semble également le reconnaître62.
Il ne s’est pas produit de « changement dans la situation ».
48. Les hostilités armées à Gaza opposant Israël au Hamas et à d’autres groupes armés étaient déjà en cours lorsque la Cour a rendu son ordonnance du 26 janvier 2024, et elles le sont encore aujourd’hui. Durant un conflit, il est bien entendu inévitable que la situation connaisse certaines évolutions, mais cela ne signifie pas que chacune d’entre elles puisse être considérée comme un « changement dans la situation » aux fins du Règlement de la Cour ; autrement, des demandes de mesures conservatoires additionnelles pourraient être formulées tous les jours.
49. De toute évidence, pour qu’une évolution de la situation constitue « un changement dans la situation » au sens du paragraphe 1 de l’article 76, elle doit être de nature à modifier sensiblement
58 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), demande tendant à la modification de l’ordonnance du 22 février 2023 indiquant une mesure conservatoire, ordonnance du 6 juillet 2023, par. 16 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), demande tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 7 décembre 2021, ordonnance du 12 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 580-581, par. 11-12 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 8 mars 2011, ordonnance du 16 juillet 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 234, p. 16-17 ; Questions concernant la saisie et la détention de certains documents et données (Timor-Leste c. Australie), demande tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 3 mars 2014, ordonnance du 22 avril 2015, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 558-559, par. 11-12.
59 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 337, par. 22 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 17 novembre 2023, p. 8, par. 27.
60 Voir demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 19-21.
61 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 337, par. 22 (« lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires a été rejetée, toute nouvelle demande doit, d’après le paragraphe 3 de l’article 75 du Règlement, être “fondée sur des faits nouveaux” ; … il en est de même lorsque des mesures conservatoires additionnelles sont sollicitées »).
62 Dans sa demande du 6 mars 2024, l’Afrique du Sud se réfère à des « faits nouveaux » aux paragraphes 1, 2, 12, 14, 15, 20, 27 et dans le titre précédant le paragraphe 6.
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les considérations sur lesquelles la Cour a fondé sa décision initiale concernant des mesures conservatoires. Les prétendus changements dans la situation et faits nouveaux sur lesquels se fonde aujourd’hui l’Afrique du Sud sont exposés aux paragraphes 6 à 14 de sa demande du 6 mars 2024. Pour l’essentiel, le changement dans la situation allégué par l’Afrique du Sud est que la population civile de Gaza doit à présent faire face à une grave pénurie de nourriture.
50. Bien qu’Israël conteste les assertions juridiques et factuelles formulées tout au long de la présente instance par l’Afrique du Sud, il n’en demeure pas moins que, comme cette dernière le reconnaît d’ailleurs expressément63, la Cour, lorsqu’elle a rendu son ordonnance du 26 janvier 2024, avait déjà pris en considération — et, de fait, expressément mentionné — certains éléments présentés par la demanderesse en ce qui concerne l’insécurité alimentaire64.
51. Les tentatives de l’Afrique du Sud de se dérober à cet insurmontable obstacle dans sa dernière demande en date ne résistent pas une lecture attentive de la requête introductive d’instance, de la demande en indication de mesures conservatoires qui y est jointe et des déclarations qu’elle a faites devant la Cour à l’audience. Avaient ainsi déjà été formulées nombre d’allégations se référant spécifiquement à la sécurité alimentaire dans la bande de Gaza et à ses conséquences sur la population civile65, allégations qui, pour l’essentiel, sont identiques à celles que l’Afrique du Sud avance aujourd’hui. Dès lors, et sans même prendre en compte l’engagement d’Israël de faciliter la fourniture continue d’aide humanitaire, y compris de la nourriture et de l’eau potable, la situation difficile et tragique qu’a connue la bande de Gaza ces dernières semaines ne saurait être considérée comme modifiant sensiblement les considérations sur lesquelles la Cour a fondé sa décision initiale concernant les mesures conservatoires.
52. L’Afrique du Sud renvoie à un rapport de la CNUCED pour affirmer que les décès dus à la malnutrition devraient augmenter de manière exponentielle et non linéaire66, alors même que ledit rapport a trait aux perspectives de reconstruction économique à Gaza et n’indique pas que la malnutrition aurait fait quelque victime67.
53. L’Afrique du Sud affirme que les cas de mort par inanition à Gaza sont la « conséquence directe des actes et omissions que commet délibérément Israël »68, et que celui-ci utilise l’aide humanitaire comme monnaie d’échange « en soumettant les organismes d’aide à un environnement hostile dans lequel ils ne peuvent mener leurs opérations »69. Israël rejette ces allégations avec la plus grande fermeté. Ainsi que cela a été indiqué ci-dessus, il partage les graves inquiétudes concernant
63 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 6.
64 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 47-48.
65 Voir, par exemple, requête introductive d’instance de l’Afrique du Sud, par. 2, 18, 19, 30, 43, 50, 61, 64, 65, 66, 68, 70, 74, 77, 86, 87, 114 4), 117, 142.
66 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 7, dernière phrase.
67 À l’appui de cette affirmation, la note de bas de page 14 de la demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024 cite le rapport de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED) intitulé “Preliminary Assessment of the Economic Impact of the Destruction in Gaza and Prospects for Economic Recovery” (31 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://unctad.org/system/files/official-document/osginf2024d1_en.pdf, p. 4 et 16. Or, ce rapport ne traite pas de décès dus à la malnutrition.
68 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 8.
69 Ibid., par. 9.
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la sécurité alimentaire à Gaza et oeuvre activement avec les différentes parties prenantes pour traiter ce problème.
54. Il s’ensuit que les allégations et éléments sur lesquels l’Afrique du Sud se fonde à l’appui de sa demande du 6 mars 2024 ne diffèrent nullement, sur le fond, de ceux que la Cour avait examinés lorsqu’elle a rendu son ordonnance en indication de mesures conservatoires initiale. Ils n’établissent aucun « changement dans la situation » au sens du paragraphe 1 de l’article 76 du Règlement. La demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024 doit donc être rejetée au motif qu’il n’est pas satisfait à la première des conditions exposées au paragraphe 46 ci-dessus.
L’Afrique du Sud ne donne aucune justification des mesures conservatoires sollicitées
55. Même si elle pouvait établir qu’il s’est produit un « changement dans la situation » (ce qu’elle n’a pas fait), l’Afrique du Sud devrait encore démontrer que celui-ci justifie les mesures conservatoires additionnelles spécifiques qu’elle sollicite aujourd’hui. Or, elle ne l’a pas fait dans sa demande du 6 mars 2024.
56. La première des nouvelles mesures conservatoires demandées par l’Afrique du Sud consisterait à prescrire la cessation immédiate de l’intégralité des combats et des hostilités70. Pour seule justification de cette mesure, l’Afrique du Sud affirme qu’« il est à prévoir que, à défaut de cessation des activités militaires et de levée du blocus, [les décès pour cause de malnutrition] augmenteront de façon non pas linéaire mais exponentielle »71. Ainsi que cela a déjà été relevé, elle n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation. De surcroît, dans sa demande en indication de mesures conservatoires initiale, l’Afrique du Sud sollicitait déjà la mesure analogue suivante : « L’État d’Israël doit suspendre immédiatement ses opérations militaires à et contre Gaza. »72. À l’audience, Israël a présenté des arguments pour démontrer qu’il ne convenait pas d’accorder cette mesure conservatoire et, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, la Cour a refusé de le faire. Or, l’Afrique du Sud n’explique nullement en quoi un changement dans la situation exigerait aujourd’hui d’indiquer une telle mesure, alors même que la Cour a précédemment jugé approprié de ne pas le faire.
57. En ce qui concerne les deuxième et troisième nouvelles mesures conservatoires sollicitées par l’Afrique du Sud73, celle-ci n’explique en rien pourquoi un quelconque changement de circonstances depuis la précédente décision de la Cour exigerait qu’elles soient indiquées.
58. S’agissant de la quatrième nouvelle mesure conservatoire sollicitée par l’Afrique du Sud74, on relèvera que l’ordonnance de la Cour du 26 janvier 2024 contient déjà une mesure qui se lit comme suit : « L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza »75. L’Afrique du Sud n’explique pas en quoi l’effet de la quatrième mesure conservatoire qu’elle demande aujourd’hui — laquelle constitue une nouvelle tentative alarmante de priver Israël de son droit et de
70 Ibid., par. 17 1), et voir par. 63-67 ci-après.
71 Ibid., par. 7.
72 Requête introductive d’instance de l’Afrique du Sud, par. 144 1).
73 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 17 2) et 3), et voir par. 68-70 ci-après.
74 Ibid., par. 17 4), et voir par. 71-74 ci-après.
75 Ordonnance en indication de mesures conservatoires du 26 janvier 2024, point 4 du dispositif (par. 86).
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son obligation de se défendre — différerait de celui de la mesure existante qui a trait à l’assistance humanitaire. Elle n’explique pas non plus quel objectif cette mesure additionnelle servirait qui ne serait pas déjà visé par les mesures conservatoires existantes.
59. Quant à la cinquième nouvelle mesure conservatoire demandée par l’Afrique du Sud76, on relèvera que cette dernière avait initialement sollicité l’indication d’une mesure prescrivant à Israël de présenter un premier rapport après une semaine, puis à intervalles réguliers par la suite. La Cour n’a pas jugé qu’une telle mesure était appropriée, et a prescrit à Israël, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, de lui soumettre un rapport unique dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci. Israël s’est dûment acquitté de cette obligation dans le délai ainsi fixé. L’Afrique du Sud n’explique nullement en quoi le changement allégué dans la situation justifierait d’obliger Israël à présenter un nouveau rapport, et a fortiori un rapport « public »77.
60. L’Afrique du Sud n’a donc pas établi que le changement allégué dans la situation justifiait les mesures conservatoires qu’elle sollicite aujourd’hui. En conséquence, sa demande du 6 mars 2024 doit aussi être rejetée au motif que la seconde condition à laquelle est subordonnée la modification d’une décision antérieure concernant des mesures conservatoires n’est pas remplie.
61. On ajoutera à ce qui précède que les mesures conservatoires que la Cour a déjà indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024 ont, de fait, une portée suffisamment large pour couvrir la situation des hostilités à Gaza dans son ensemble, et que les engagements juridiques susmentionnés d’Israël s’appliquent à toute action que celui-ci pourrait entreprendre dans le contexte de ces hostilités. L’Afrique du Sud n’a présenté aucun argument crédible selon lequel il se serait produit un changement dans la situation, et pas le moindre argument pour démontrer en quoi les nouvelles mesures conservatoires sollicitées seraient justifiées par ce changement de circonstances. Sa demande doit être rejetée en ce qu’elle constitue une tentative indue de faire valoir une nouvelle fois des éléments que la Cour a examinés très récemment et sur lesquels elle s’est prononcée à deux reprises.
5. Le libellé des mesures conservatoires proposées est totalement inapproprié
62. Étant donné que les mesures conservatoires additionnelles qui ont été sollicitées par l’Afrique du Sud ne devraient pas être indiquées pour les raisons exposées plus haut, il est inutile d’en examiner le libellé. Par souci d’exhaustivité, Israël le fera cependant ci-après.
63. La première des mesures conservatoires que demande à présent l’Afrique du Sud disposerait que « [t]ous les participants au conflit doivent assurer la cessation immédiate de l’intégralité des combats et des hostilités, ainsi que la libération immédiate de tous les otages et détenus »78.
64. Il est pour le moins frappant que cette mesure conservatoire soit censée s’adresser à « [t]ous les participants au conflit », alors même que le seul participant au conflit qui soit partie à la présente instance est Israël. Il va de soi que la Cour n’a le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires qu’aux parties à l’affaire portée devant elle. Il est inconcevable que de telles mesures puissent créer
76 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 17 5), et voir par. 75-76 ci-après.
77 Voir également par. 75-76 ci-après.
78 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 17 1).
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des obligations juridiques internationales pour un État non partie à l’affaire
79. Il est a fortiori inconcevable que, dans une affaire où l’unique base de compétence de la Cour est l’article IX de la convention sur le génocide, des mesures conservatoires puissent créer des obligations juridiques internationales pour un quelconque État à l’égard duquel la Cour ne peut nullement exercer sa compétence, par exemple un État qui n’est pas partie à ladite convention ou un État qui a émis une réserve audit article. Des mesures conservatoires ne peuvent pas non plus créer des obligations juridiques internationales pour des entités autres que des États, seuls ces derniers pouvant être parties à des affaires contentieuses devant la Cour (paragraphe 1 de l’article 34 du Statut).
65. La première mesure conservatoire demandée, si elle était indiquée, aurait donc pour effet concret de ne lier qu’Israël. La référence à « [t]ous les participants au conflit » semble avoir pour but de créer une fausse impression d’égalité. La mesure conservatoire sollicitée est donc en substance identique à la première de celles que l’Afrique du Sud avait initialement demandées dans sa requête introductive d’instance, qui aurait simplement disposé que « [l]’État d’Israël doit suspendre immédiatement ses opérations militaires à et contre Gaza »80. Il est rappelé que, dans son ordonnance en date du 26 janvier 2024, la Cour n’a pas indiqué cette mesure conservatoire.
66. Les observations qu’Israël a formulées à l’audience du 12 janvier 2024 au sujet de cette mesure81 s’appliquent également à celle que sollicite aujourd’hui l’Afrique du Sud. En substance, cette dernière, État non partie à un conflit en cours, prie la Cour d’indiquer une mesure conservatoire qui ne serait juridiquement contraignante que pour une partie au conflit, imposant à celle-ci de suspendre unilatéralement ses opérations militaires, et laissant l’autre partie au conflit libre de poursuivre ses attaques, intention qu’elle a exprimée à maintes reprises. Une telle mesure serait clairement contraire au droit et à l’obligation naturels et inaliénables d’Israël de se défendre et lui causerait un préjudice irréparable. Elle irait au-delà de tout ce qui est nécessaire pour sauvegarder à titre provisoire les droits spécifiques en cause, à savoir l’observation de la convention dans le cadre d’opérations militaires. Elle irait au-delà de tout ce qui pourrait former le fondement d’un arrêt définitif rendu par la Cour dans l’exercice de la compétence qu’elle tient de l’article IX de la convention sur le génocide82. Las, l’Afrique du Sud cherche de nouveau à se servir des mesures conservatoires comme d’un glaive, et non comme d’un bouclier : elle en sollicite une non pas pour protéger un droit plausible invoqué dans l’attente de la décision définitive de la Cour en l’affaire, mais pour conférer un avantage à une partie à un conflit par rapport à une autre.
79 Voir également Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 344, par. 40 : « Considérant que, parmi les mesures … que le demandeur prie maintenant la Cour d’indiquer, il en est certaines … qui s’adresseraient à des États ou entités qui ne sont pas parties à l’instance ; que le demandeur a expliqué qu’il ne demande pas une ordonnance qui lierait un État autre que les Parties, mais demande une clarification de ses droits, dont il pourra ensuite “se prévaloir au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale, et ailleurs” ; que l’arrêt rendu dans une affaire donnée par lequel la Cour peut reconnaître au demandeur ou au défendeur certains droits contestés n’est, en vertu de l’article 59 du Statut de la Cour, “obligatoire que pour les parties en litige” ; que, par voie de conséquence, la Cour peut, pour la sauvegarde de ces droits, indiquer des mesures conservatoires à prendre par les parties, mais non par des États tiers ou d’autres entités alors que ceux-ci ne seraient pas tenus de reconnaître et respecter ces droits par application de l’arrêt qui sera en définitive rendu ; considérant que, par suite, la Cour ne peut, dans l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires, indiquer à titre de “clarification” que ces États ou entités doivent prendre, ou s’abstenir de prendre, des mesures spécifiques à l’égard des actes de génocide qui, selon le demandeur, sont actuellement commis en Bosnie-Herzégovine. »
80 Requête introductive d’instance de l’Afrique du Sud, par. 144 1).
81 CR 2024/2, p. 55-64, par. 4-38 (Staker).
82 CR 2024/2, p. 57, par. 13 (Staker), où il est fait référence à Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 19, par. 35 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 346, par. 43.
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67. La mesure conservatoire que demande aujourd’hui l’Afrique du Sud imposerait en outre à l’ensemble des participants au conflit d’« assurer … la libération immédiate de tous les otages et détenus »83. Étant donné que cette mesure ne lierait pas le Hamas pour les raisons exposées plus haut, l’obligation d’« assurer … la libération immédiate de tous les otages et détenus » ne s’appliquerait, elle aussi, qu’à Israël. C’est impensable.
68. Plus déconcertantes encore sont les deuxième et troisième mesures conservatoires que demande à présent l’Afrique du Sud, lesquelles seraient adressées à l’ensemble des Parties à la convention sur le génocide. La deuxième mesure conservatoire sollicitée par elle disposerait en effet que « [t]outes les parties à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide doivent, sans délai, prendre toutes les mesures nécessaires pour se conformer à l’ensemble des obligations qui leur incombent au regard de cet instrument »84 et la troisième, que « [t]outes les parties à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide doivent, sans délai, s’abstenir d’entreprendre toute action, notamment toute action armée ou toute activité visant à soutenir une telle action, qui porterait atteinte au droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes, ou à tous autres droits au regard de tout arrêt que la Cour pourrait rendre en l’affaire, ou risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend porté devant elle ou d’en rendre la solution plus difficile »85.
69. Or, comme cela a déjà été noté, il ne relève évidemment pas du pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires imposant des obligations juridiques à des États qui ne sont pas parties à l’affaire. La Cour ne peut donc le faire86. L’Afrique du Sud en ayant certainement conscience, ces mesures ne s’appliqueraient par conséquent qu’à Israël. Or, elles n’ajouteraient rien à celles que la Cour a déjà indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024. Les trois premières de ces mesures conservatoires imposent d’ores et déjà à Israël de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention sur le génocide, de veiller à ce que son armée ne commette aucun acte de ce type, et de prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide87.
70. L’Afrique du Sud n’explique pas quelle est la différence entre le libellé des mesures conservatoires déjà indiquées par la Cour et celui des mesures conservatoires qu’elle propose maintenant. Elle n’explique pas non plus quel effet concret cette différence de formulation est censée avoir. Israël ne peut que se perdre en conjectures quant aux motifs qui pourraient avoir conduit l’Afrique du Sud à demander ces mesures conservatoires, encore qu’elles semblent être destinées à influer sur des procédures distinctes devant la Cour auxquelles ne participent ni Israël ni l’Afrique du Sud. Que cela soit ou non effectivement l’intention de l’Afrique du Sud, il serait vain d’indiquer ces mesures, puisque, indépendamment de toute autre considération, elles ne seraient pas contraignantes pour une quelconque partie à la convention sur le génocide autre qu’Israël. L’Afrique du Sud n’ayant en tout état de cause fourni aucune justification à l’appui desdites mesures, Israël propose de ne pas développer plus avant les raisons pour lesquelles la Cour ne peut et ne doit pas indiquer des mesures conservatoires ayant cet effet.
83 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 17 1).
84 Ibid., par. 17 2).
85 Ibid., par. 17 3).
86 Voir également Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 344, par. 40.
87 Ordonnance en indication de mesures conservatoires, points 1-3 du dispositif (par. 86).
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71. La quatrième des mesures conservatoires que sollicite aujourd’hui l’Afrique du Sud se lirait comme suit :
« L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier à la famine et à la privation de nourriture ainsi qu’aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza, et notamment :
a) suspendre immédiatement ses opérations militaires à Gaza ;
b) lever le blocus qu’il impose à Gaza ;
c) abolir toutes les autres mesures et pratiques existantes qui ont pour effet direct ou indirect d’entraver l’accès des Palestiniens de Gaza à l’aide humanitaire et aux services de base ; et
d) veiller à ce que soit assuré un accès adéquat et suffisant à la nourriture, à l’eau, au combustible, aux abris, aux vêtements, aux produits et installations d’hygiène et d’assainissement, ainsi qu’aux soins, à l’assistance et au matériel médicaux. »88
72. Tout comme la première des mesures conservatoires aujourd’hui demandées par l’Afrique du Sud, cette mesure impose également à Israël, à l’alinéa a), de suspendre ses opérations militaires à Gaza. Ainsi qu’il a été relevé plus haut, cela serait tout à fait inapproprié et totalement injustifié. L’alinéa b) de la mesure conservatoire proposée semble avoir trait au blocus maritime de Gaza, qui constitue là encore une mesure qu’Israël a prise conformément au droit international humanitaire afin d’empêcher l’acheminement d’armes et de renforts destinés à des groupes armés organisés opérant à Gaza89. Ce blocus était déjà en place lorsque la Cour a rendu son ordonnance en indication de mesures conservatoires, le 26 janvier 2024. Il convient de rappeler une nouvelle fois que des fournitures humanitaires sont entrées dans Gaza, et continuent d’y entrer, par voies terrestre et aérienne, mais aussi maritime. L’alinéa c) de cette mesure conservatoire proposée est analogue au cinquième alinéa des mesures conservatoires demandées par l’Afrique du Sud à l’audience du 11 janvier 202490. Dans son ordonnance, la Cour a refusé d’indiquer une mesure ainsi libellée, qui est contestable pour les raisons qu’Israël a déjà exposées à l’audience au sujet de la cinquième mesure conservatoire initialement sollicitée par l’Afrique du Sud. Indépendamment de toute autre considération, pareille mesure vise à obtenir que la Cour conclue implicitement au fond qu’Israël a mis en place et maintient de manière illicite des mesures ayant pour effet direct ou indirect d’entraver l’accès des Palestiniens de Gaza à l’aide humanitaire et aux services de base.
73. Qui plus est, la quatrième des mesures conservatoires existantes impose déjà à Israël de « prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ». La partie liminaire de la mesure conservatoire proposée, de même que ses alinéas c) et d), ne semble rien ajouter, sur le fond, à cette quatrième mesure. Même si l’Afrique du Sud pouvait établir qu’un changement s’est produit dans la
88 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 17 4).
89 Report of the Secretary-General’s Panel of Inquiry on the 31 May 2010 Gaza Flotilla Incident (September 2011), accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/720841?v=pdf, p. 4 (« Le blocus maritime a été imposé en tant que mesure de sécurité légitime afin d’empêcher que des armes pénètrent dans Gaza par la mer, et sa mise en oeuvre était conforme aux exigences du droit international »). Voir également p. 38-45 ; The Public Commission to Examine the Maritime Incident of 31 May 2010 (“Turkel Commission Report”), Report (6 February 2013), p. 111, accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/BlobFolder/generalpage/downloads_eng1/en/ENG_turkel_eng_a.pdf.
90 Voir ordonnance du 26 janvier 2024, par. 11 5).
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situation depuis que la Cour a rendu son ordonnance (ce qu’elle n’a pas fait), il lui appartiendrait encore de préciser pourquoi les nouvelles circonstances et les faits nouveaux exigent que la mesure conservatoire soit reformulée comme elle le propose à présent.
74. Ainsi que cela a été relevé dans la section 2, Israël déploie d’ores et déjà des efforts importants et continus pour permettre que davantage de secours humanitaires soient apportés à la population civile de Gaza. Il poursuit et accroît même ces efforts, comme on a pu le constater en particulier ces derniers jours, qui ont vu l’instauration de plusieurs nouveaux moyens et procédés visant à fournir et à distribuer à Gaza davantage d’aide par voies terrestre, maritime et aérienne. Ainsi qu’il l’a précisé à de multiples reprises, Israël n’impose aucune limite à la quantité d’aide humanitaire qui peut être transférée dans la bande de Gaza.
75. La cinquième mesure conservatoire que demande à présent l’Afrique du Sud disposerait que « [l]’État d’Israël doit, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, soumettre à la Cour un rapport public sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à toutes les mesures conservatoires indiquées par la Cour à ce jour »91. Cette mesure est, elle aussi, injustifiée. Premièrement, si la Cour n’indique pas les autres mesures que sollicite aujourd’hui l’Afrique du Sud, elle deviendra caduque.
76. Deuxièmement, le libellé des nouvelles mesures proposées prête à de sérieuses objections, notamment parce qu’un rapport « public » est sollicité. Cela va à rebours de la pratique établie de la Cour, qui s’est abstenue de publier les rapports de ce type qui lui ont été soumis. Cette exigence de l’Afrique du Sud vise de nouveau à obtenir qu’un critère différent soit retenu pour Israël et soulève des questions quant aux motivations de la demanderesse, qui cherche dans une large mesure à poser pour la galerie.
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77. La dernière demande en date de l’Afrique du Sud tendant à compléter ou à modifier les mesures conservatoires indiquées dans l’ordonnance que la Cour a rendue le 26 janvier 202[4] procède d’une fausse représentation de la réalité et d’une tentative sensationnaliste et obsessionnelle d’accuser Israël des crimes les plus odieux sans tenir compte du droit ou des faits. L’Afrique du Sud cherche à faire rejuger des questions que la Cour a déjà tranchées et à obtenir que celle-ci s’ingère dans les détails de la conduite des hostilités à Gaza, non pas parce que cela se justifierait ou s’imposerait pour quelque motif juridique, mais pour attirer continuellement sur elle l’attention politique et démontrer qu’elle reste solidaire de son allié le Hamas.
78. Israël réaffirme qu’il s’engage à agir conformément aux obligations que lui impose le droit international, y compris celles prescrites par la convention sur le génocide, le droit international humanitaire et celles reflétées dans l’ordonnance rendue le 26 janvier 2024 par la Cour, et ce, au beau
91 Demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024, par. 17 5).
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milieu d’un conflit armé déclenché par l’attaque — et les atrocités — commise par le Hamas et les groupes associés à celui-ci sur son territoire.
79. Israël est parfaitement conscient des problèmes que cette situation pose aux civils dans la bande de Gaza et il continuera de tout mettre en oeuvre pour les atténuer, en dépit du conflit qui fait rage. Il appelle toujours de ses voeux un avenir meilleur pour tous, Palestiniens comme Israéliens.
80. À la lumière de l’ensemble de ces considérations, Israël prie respectueusement la Cour de rejeter la dernière demande en date de l’Afrique du Sud et de ne pas indiquer de nouvelle mesure conservatoire.
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Observations de l'État d'Israël sur la demande de l'Afrique du Sud du 6 mars 2024 en indication de mesures conservatoires additionnelles et de la modification des décisions antérieures de la Cour relatives aux mesures conservatoires.

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