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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST.
Requête pour Avis Consultatif.
OBSERVATIONS COMPLÉMENTAIRES présentées par
L'ORGANISATION DE LA COOPÉRATION ISLAMIQUE
OCTOBRE 2023
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INTRODUCTION
1. Conformément aux possibilités ouvertes par la procédure engagée devant la Cour Internationale de Justice, l'Organisation de la Coopération Islamique a l'honneur de présenter ici des observations complémentaires relativement à la demande d'avis consultatif adressée à la Cour internationale de justice par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 20 décembre 2022 au sujet des conséquences découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.
2. L’Assemblée générale sollicite l’avis de la Cour sur la double question suivante :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci- dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »1.
3. Parmi les 57 États ou Organisations intergouvernementales ayant déposé des observations écrites relatives à ces questions, il s’en est trouvé quelques-uns pour demander à la Cour qu’elle décline sa compétence. Par ailleurs, si aucun des participants à cette procédure n’a contesté qu’il y ait de graves violations du droit international de la part d’Israël dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, il s’en est trouvé deux pour considérer que l’occupation militaire prolongée était justifiée. L’Organisation de la Coopération islamique entend ici revenir brièvement sur ces questions.
1 Assemblée générale des Nations unies, Résolution 77/247, 30 décembre 2022.
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I.
L’avis attendu est d’une importance particulière et il y a une nécessité impérative à ce que la Cour se déclare compétente.
4. Il est d’une importance capitale que la Cour, en répondant aux questions que lui a adressées l’Assemblée générale, éclaire celle-ci et remplisse par-là la fonction consultative qui est prévue par l'article 65, paragraphe 1 de son statut qui dispose :
« [l]a Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique à la demande de tout organe autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à celle-ci à formuler une telle demande ».
Dans la présente affaire, c’est l'Assemblée générale des Nations unies qui a saisi la Cour internationale de justice par la résolution ci-dessus mentionnée. L’Assemblée générale a ainsi utilisé la possibilité qui lui est ouverte de demander un avis consultatif par les dispositions de l'article 96, paragraphe 1, de la Charte :
« L'Assemblée générale peut demander à la Cour internationale de justice de donner un avis consultatif sur toute question juridique ».
5. L’Organisation de la Coopération Islamique tient à souligner qu’aucun des arguments avancés dans cette procédure pour convaincre la Cour de décliner sa compétence dans cette affaire, n’a de pertinence, et qu’il serait désastreux qu’en renonçant à exercer sa fonction consultative dans la présente affaire, la Cour laisse les questions capitales qui lui sont posées sans réponse.
1)
L'Assemblée générale est parfaitement fondée à demander un avis consultatif sur les questions posées, sur lesquelles elle détient une responsabilité qui lui est attribuée par la Charte.
6. L’Assemblée générale est en effet investie des pouvoirs et des responsabilités des Nations unies dans les questions relatives à la paix et à la sécurité internationales. Or, l’Organisation des Nations unies :
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« (…) est investie d’une responsabilité permanente en ce qui concerne la question de Palestine jusqu'à ce que celle-ci soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale »2,
C’est sur ces bases que la Cour a estimé, lorsqu’elle a été précédemment saisie d’une demande d’avis consultatif sur la question du mur édifié par Israël dans le Territoire palestinien occupé, que l'objet de la requête qui lui était soumise était d'obtenir un avis que l'Assemblée générale juge utile pour le bon exercice de ses fonctions3.
7. À cet égard, la Cour estime qu'il ne lui appartient pas de déterminer l'utilité de sa réponse à l'organe requérant. C’est à cet organe requérant, ici l'Assemblée générale, qu’il revient de déterminer :
« s'il a besoin de l'avis pour s'acquitter convenablement de ses fonctions » 4.
Car :
« La Cour a toujours considéré que ce n’était pas à elle, mais à l’organe demandant l’avis qu’il appartenait de déterminer si celui-ci était nécessaire au bon exercice des fonctions de cet organe »5.
8. Ainsi, l’Assemblée générale en votant la Résolution 77/247 du 30 décembre 2022 par laquelle elle a saisi la Cour de la présente demande d’avis consultatif, a-t-elle agi dans l’exercice de ses responsabilités et il n’y a rien dans cette demande qui puisse amener la Cour à décliner sa compétence.
2 Résolution 75/23 de l'Assemblée générale des Nations unies du 2 décembre 2020.
3 C.I.J. Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, Rec. 2004, par. 50.
4 CIJ, Avis consultatif relatif à la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo du 10 juillet 2008, Rec. 2008, par. 34 ; CIJ, Conséquences juridiques de la séparation de l'archipel des Chagos de l'île Maurice en 1965, avis consultatif, 25 février 2019, Rec. 2019, par. 76.
5 CIJ, Avis consultatif relatif à la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo du 10 juillet 2008, Rec. 2008, par. 34.
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2) Les questions soumises à la Cour par l'Assemblée générale sont des questions juridiques
9. Les participants à la présente procédure opposés à la compétence de la Cour prennent argument du fait que les questions soulevées par la demande d’avis auraient un caractère politique pour demander à la Cour de décliner sa compétence. Il est vrai que la Cour doit s’assurer que toute demande d'avis consultatif visant à examiner une situation au regard du droit international porte effectivement sur une question juridique.
10. Il ne fait aucun doute ici que les questions soumises à la Cour sont de nature principalement juridique. Elles portent en effet sur les conséquences juridiques de violations bien établies du droit international qui ont été reconnues comme telles par le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale, le Conseil des droits de l'homme, l'écrasante majorité des États et la Cour elle-même, ainsi que sur le statut juridique de l'occupation au regard de ces violations et sur les conséquences juridiques de son illégalité. Ce sont donc bien des points de droit sur lesquels la Cour doit éclairer l’Assemblée générale. Et la Cour a eu l’occasion de souligner que :
« (…) des questions libellées en termes juridiques et soulevant des problèmes de droit international [...] sont, par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit »6.
Ainsi,
« (…) une question qui invite expressément la Cour à dire si une certaine action est conforme ou non au droit international est assurément une question juridique »7.
11. Il est vrai que ces questions proprement juridiques, ont de toute évidence des incidences politiques. Cependant, la jurisprudence constante de la Cour est claire à ce sujet. Elle considère que les aspects politiques que peut comporter une question juridique ne doivent pas la conduire à décliner sa compétence. Elle a précisé à ce sujet :
6 CIJ, Sahara occidental, avis consultatif du 16 octobre 1975, Rec. 1975, par. 15 et Avis consultatif relatif à la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo du 22 juillet 2010, Rec. 2010, par. 25.
7 CIJ, Avis consultatif relatif à la déclaration unilatérale d'indépendance du Kosovo du 22 juillet 2010, Rec. 2010, par. 25.
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« Que cette question revête par ailleurs des aspects politiques, comme c'est, par la nature des choses, le cas de bon nombre de questions qui viennent à se poser dans la vie internationale, ne suffit pas à la priver de son caractère de question juridique et à enlever à la Cour une compétence qui lui est expressément conférée par son Statut (Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 172, par. 14) »8.
12. La Cour a en outre souligné que :
« En fait, lorsque des considérations politiques jouent un rôle marquant il peut être particulièrement nécessaire à une organisation internationale d'obtenir un avis consultatif de la Cour sur les principes juridiques applicables à la matière en discussion (...) »9.
Ou encore que :
« la nature politique des motifs dont on peut dire qu'ils ont inspiré la demande et les implications politiques que l'avis donné pourrait avoir n'entrent pas en ligne de compte dans l'établissement de sa compétence pour donner un tel avis »10.
Ainsi la dimension politique indéniable des questions soumises à la Cour, ne leur enlève pas leur caractère juridique et c’est en droit que la Cour aura à se prononcer.
8 CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1966, Rec. 1966, par. 13.
9 C.I.J. Interprétation de l'accord du 25 mars 1951 entre l'OMS et l’Égypte, Rec. 1980, par. 33.
10 CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, avis consultatif du 8 juillet 1966, Rec. 1966, par. 13.
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3) Les questions soulevées ne sont pas liées à un différend bilatéral sur lequel la Cour ne pourrait statuer en l’absence du consentement des Parties
13. Quant à l’argument selon lequel la Cour doit refuser de donner un avis car celui-ci aurait pour effet de contourner le principe du consentement à un règlement judiciaire, il n’aurait de portée que si les questions posées à la Cour ne concernaient qu’une relation bilatérale sans incidence plus générale. Or, si les questions posées à la Cour touchent en première analyse la relation entre Israël et la Palestine, en réalité l’enjeu du débat est dans la manière dont le processus de décolonisation de la Palestine entravé dès la fin du Mandat britannique, a été remis en cause et gravement compromis par l’occupation israélienne à partir de 1967. Relevant donc du droit de la décolonisation, ces questions ont toujours été considérées comme d’intérêt général pour la communauté internationale et comme ne pouvant être considérées comme relevant du domaine national d’un État.
14. Le conflit entre un colonisateur et le peuple colonisé déborde leur relation qui est, par nature, inégale, et son règlement relève des responsabilités des institutions internationales. Dès les années 60, l’Assemblée générale des Nations unies a fixé sa ligne à ce sujet, notamment à l’occasion de la décolonisation de l’Algérie. Contre la France qui prétendait qu’il s’agissait d’une affaire de sa compétence nationale et qu’à ce titre, selon les dispositions de l’article 2, par. 7 de la Charte, l’Assemblée ne devait pas être saisie, cette dernière a opposé un démenti par sa résolution 1573 du 19 décembre 196011. Les Nations unies n’ont jamais dévié de cette ligne et sont concernées au premier chef par le conflit israélo-palestinien.
15. Dans son avis de 2004 sur Les conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, la Cour a estimé que l'objet de la demande de l'Assemblée générale ne pouvait être considéré comme une simple question bilatérale entre Israël et la Palestine. En conséquence, elle a décidé d’exercer sa compétence12. Il en va de même de la présente question. Plus large il est vrai que celle qui avait été soumise à la Cour en 2004, elle revêt un intérêt général encore plus grand pour la communauté des États et la Cour ne peut se
11 Par cette résolution l’Assemblée générale : « Reconnait le droit du peuple algérien a la libre détermination et a l'indépendance ; (…) Reconnait (…) que l’Organisation des Nations Unies a la responsabilité de contribuer à ce que ce droit soit mis en oeuvre avec succès et avec justice ».
12 CIJ, Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, Rec. 2004, par.49-50.
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soustraire à sa fonction consultative au prétexte qu’Israël n’aurait pas donné son consentement à la compétence de la Cour.
4) La Cour n’a pas de raison de refuser de donner un avis consultatif au prétexte que celui-ci perturberait des négociations qui sont inactives depuis de nombreuses années.
16. La Cour a toujours souligné que, bien qu'elle dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour refuser de donner un avis consultatif, sa réponse à une demande d'avis consultatif
« représente sa participation aux activités de l'Organisation et, en principe, ne devrait pas être refusée (CIJ, Interprétation des traités de paix avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, Avis consultatif, 30 mars 1950, p.71 ; CIJ, Différend relatif à l'immunité de juridiction d'un rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme, Avis consultatif, 29 avril 1999, PP.78-79, Para.29 ; CIJ, Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, Avis consultatif, 09 juillet 2004, p.156, Para.44 ; »13.
Ainsi, seules des « raisons impérieuses » peuvent amener la Cour à refuser de donner un avis en réponse à une demande relevant de sa compétence. En appliquant ce critère, la Cour n'a jamais refusé d'émettre un avis consultatif. Et dans la présente situation, il n'existe aucune raison impérieuse de refuser d'émettre l’avis demandé.
17. On soulignera particulièrement ici l’inconsistance de l’argument avancé par certains des États participants à la présente procédure, selon lequel des négociations étant en cours entre Israël et la Palestine, la procédure ouverte par cette demande d’avis viendrait perturber ces négociations.
18. Il est vrai que depuis les origines de ce conflit et sous les auspices des Nations unies, et parfois de certains États engagés diplomatiquement pour tenter de le régler, un cadre de négociations a été établi avec des termes de référence visant à garantir le respect du droit international et des résolutions des Nations unies à la base du processus de paix. Ces termes de
13 CIJ, Conséquences juridiques de la séparation de l'archipel des Chagos de l'île Maurice en 1965, Avis consultatif du 25 février 2019, Rec. 2019, par. 65.
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référence sont les résolutions pertinentes des Nations unies, les termes de référence de Madrid, y compris le principe de l'échange de territoires contre la paix, l'initiative de paix arabe et la feuille de route du Quartet. Le droit du peuple palestinien à l'autodétermination, le droit au retour des réfugiés palestiniens à la fin de l'occupation israélienne et la réalisation de la solution de deux États sur la base des frontières d'avant 1967, avec un État de Palestine indépendant, souverain et d'un seul tenant, vivant côte-à-côte avec Israël dans la paix et la sécurité, forment la substance de ces termes de référence. Ils rappellent aussi l'inadmissibilité de l'acquisition de territoires par la force, y compris l'illégalité des activités de colonisation et de toutes les mesures d'annexion de jure ou de facto du territoire palestinien.
19. L'objectif des négociations est donc de parvenir à un règlement pacifique conforme au droit international ainsi précisé et aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies. La Palestine a pour sa part, constamment réaffirmé sa volonté de négocier la paix conformément au droit international et, sur la base de ce mandat, d'assurer la réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien en vertu du droit international, notamment le droit à l'autodétermination et au retour, et de réaliser l'indépendance et la souveraineté de son État sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, en vivant côte à côte avec Israël dans la paix et la sécurité, conformément aux résolutions pertinentes des Nations unies. C’est dans cet esprit qu’elle s’est engagée dans les négociations ouvertes à Madrid dans les années 90, lesquelles ont abouti aux accords d’Oslo de 1993 et 1995.
20. Mais il y a quelque chose de dérisoire à invoquer aujourd’hui un processus de négociations qui serait actif et que l’avis de la Cour pourrait perturber alors que ce processus s’est enlisé depuis de longues années. L’Organisation de la Coopération Islamique a rappelé dans ses observations écrites (para.154 et suivants) comment après l’occupation israélienne en 1967, aucune négociation vers un juste règlement de la question n’a eu lieu jusqu’à la première Intifada en 1987. Et si une certaine dynamique est apparue alors permettant les Accords d’Oslo en 1993 et un nouvel accord intérimaire en 1995, le processus s’est enrayé depuis par étapes. Son point final, fixé à 1999 n’a pas été atteint à la date où nous sommes en 2023. Comment parler de négociations qu’il ne faudrait pas perturber, alors que les derniers épisodes positifs remontent à près de trente ans ?
21. L’autonomie accordé à l’Autorité palestinienne, étape sur la voie de l’auto-détermination, s’est figée et dégradée sans aucune ouverture vers quelque progrès que ce soit. Sans doute y a-
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t-il eu quelques rencontres depuis le début des années 2000, mais elles ont toutes échoué à avancer vers le but annoncé, la création d’un État de Palestine. Sans doute, les deux parties ont-elles à ces occasions réitéré leur volonté de négocier sur les termes de référence sans cesse répétés. Mais il ne s’agit plus que de rencontres rituelles dénuées de contenu.
22. Il est vrai qu’à diverses occasions, les Palestiniens n’ont cessé de réaffirmer leur volonté de parvenir à une solution politique fondée sur les résolutions des Nations unies et sur le principe de deux États vivant en paix côte à côte. Mais tel n’est pas le cas pour Israël. Venant les mains vides à chaque rencontre, cet État a poursuivi et même accéléré une politique de destruction des possibilités de réalisation d’un État palestinien. Ainsi ces décennies de rencontres infructueuses, mascarade destinée à duper la communauté internationale, n’ont pas été des années de gel de la situation. Elles ont été des années de mise en oeuvre par l’une des Parties de tous les obstacles possibles à la reprise de négociations de bonne foi. Elles ont permis des avancées dramatiques dans la liquidation des bases de ce que devrait être un État de Palestine.
23. Ainsi n’y-a-t-il pas de prétendues « négociations en cours » qu’il faudrait préserver de toute intervention d’un tiers. Il y a une situation de violations persistantes des règles les plus fondamentales du droit international sur lesquelles la Cour est priée de donner un avis juridique. C'est son rôle, en tant qu'organe judiciaire des Nations unies, d'énoncer le droit, lorsque l'Assemblée générale ou d'autres organes compétents des Nations unies lui demandent de le faire. En clarifiant les droits et obligations juridiques des parties, ainsi que les obligations de tous les États et de l'ONU, la Cour apportera des éléments très attendus sur les questions juridiques soulevées par la situation de fait et, ce faisant, elle contribuera au règlement pacifique de ce conflit sur la base du droit international.
5) La Cour est pleinement en mesure de traiter les aspects factuels de l'affaire
24. Certaines observations écrites soumises à la Cour ont prétendu que celle-ci devrait décliner sa compétence au motif qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir des éléments de preuve solidement établis sur les faits controversés qui sont à l’origine de la demande d’avis. Et un avis consultatif rendu par la Cour permanente de justice internationale en 1923 est cité à l’appui. Mais la citation complète est la suivante :
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« La Cour ne saurait aller jusqu'à dire qu'en règle générale une requête pour avis consultatif ne puisse impliquer une vérification de faits ; mais, dans des circonstances ordinaires, il serait certainement utile que les faits sur lesquels l'avis de la Cour est demandé fussent constants : le soin de les déterminer ne devrait pas être laissé à la Cour elle-même. »14.
25. Les faits en jeu dans la présente affaire méritent sans doute une vérification. Mais ce sont des faits « constants » et parfaitement documentés par des organes des Nations unies ou des organisations non gouvernementales faisant autorité. Ces enquêtes et investigations sont de longue date, cohérentes et actualisées et elles fournissent à la Cour une base factuelle solide pour rendre l’avis juridique pour lequel elle est sollicitée. Les faits essentiels sont incontestés, y compris en ce qui concerne les violations des normes impératives du droit international. Ils ont fait l’objet de déclarations de responsables politiques ou de décisions administratives d’Israël parfaitement officielles.
26. La volonté d'annexion du territoire palestinien découle pour ce qui est de Jérusalem des lois édictées publiquement par Israël (loi du 23 janvier 1950 pour Jérusalem Ouest et loi du 30 juillet 1980 pour l’ensemble de la ville réunifiée) et de ses politiques et pratiques, ainsi que des déclarations de ses plus hauts responsables, pour ce qui est de l’annexion de facto de la Cisjordanie, ou de grandes parties de celle-ci.
27. Les pratiques de discrimination raciale et d’apartheid sont attestées par les lois, politiques et pratiques d'Israël, notamment par l’existence de juridictions distinctes pour les Palestiniens et les Israéliens juifs dans le Territoire palestinien occupé. La discrimination institutionnelle et structurelle à l'encontre du peuple palestinien dans son ensemble, qui s'apparente à de l'apartheid est confirmée par la loi sur la propriété des absents15 (1950), la loi sur le retour (1950), la loi fondamentale d’Israël - État-nation du peuple juif (2018)16.
14 Statut de la Carélie oriental, Avis consultatif, 21 avril 1923, C.P.J.I., Séries B, No. 5, p. 28.
15 Assemblée générale des Nations Unies, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022, A/77/328, par. 33 (Annexe 40).
16 BasicBasic--Law IsraLaw Israël : « Israël, The Nationël : « Israël, The Nation--State of the Jewish People », 19 july 2018, English translation by State of the Jewish People », 19 july 2018, English translation by the Knesset (Annexe 4).the Knesset (Annexe 4).
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28. Le déni d'autodétermination du peuple palestinien est constitutif de la politique d’Israël dès ses origines comme l’Organisation de la Coopération islamique l’a montré dans ses Observations écrites. Ce déni de longue date est incontestable et est attesté par l’occupation coloniale de la terre palestinienne et par la discrimination raciale assimilable à de l'apartheid qui est pratiquée à l'encontre du peuple palestinien.
29. Ainsi la Cour se trouve-t-elle devant des faits pour lesquels il n’est pas nécessaire de se livrer à des investigations spécifiques dans la mesure où ils sont de notoriété publique. Ils n’ont d’ailleurs été contestés comme faits, par aucun des États ayant soumis des observations écrites à la Cour.
II – L’occupation militaire par Israël du Territoire palestinien occupé ne saurait être justifiée en droit car elle est le prétexte à des violations massives du droit international, et par sa durée, elle dévoile le projet d’annexion mis en oeuvre par Israël.
30. Certains participants à la présente procédure ont considéré que l’occupation par Israël du Territoire palestinien résultait d’un droit reconnu par les accords passés entre les Parties dans l’attente de l’aboutissement des négociations et que dans cette attente, Israël était fondé à maintenir une administration militaire et une administration civile dans le Territoire palestinien.
31. Cet argument ne saurait être accepté dès lors qu’il est avéré que l’occupation sert de prétexte à une politique de discrimination raciale assimilable à de l’apartheid et à une annexion de facto pour la Cisjordanie et de jure pour Jérusalem, lesquelles sont les instruments de la négation du droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
1)
Une politique de discrimination raciale assimilable à l'apartheid.
32. Contrairement à ce qu’ont soutenu deux des participants à la présente procédure, l’occupation du territoire palestinien par Israël n’est pas l’application de bonne foi d’accords en attente d’une solution négociée. Comme on l’a dit plus haut, la négociation est gelée depuis de nombreuses années. Cette occupation sert de couverture à un projet précis qui est mené à travers des violations massives du droit international. Parmi celles-ci se trouvent des violations du droit humanitaire en cas de conflit armé et des droits de l’homme. Dans leur très grande majorité, les participants à la présente procédure ont rappelé dans leurs observations écrites,
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l'applicabilité simultanée de ces deux branches du droit international à la situation en Palestine, comme la Cour l’avait affirmé dans son avis consultatif de 200417. Et ils soulignent le fait qu'Israël a systématiquement violé des normes de ces branches du droit international notamment en persécutant et en discriminant le peuple palestinien et en colonisant les terres palestiniennes.
33. Il a été reconnu que cette discrimination raciale est pratiquée à l'encontre des Palestiniens des deux côtés de la ligne verte, aussi bien à l'encontre des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui sont pour beaucoup réfugiés dans leur propre pays, que des Arabes israéliens. Cette discrimination dans le Territoire palestinien occupé relève de la même logique que celle qui a présidé à la promulgation de la "loi sur l'État-nation juif". De même a-t-il été relevé qu’un double système a été mis en place par Israël dans le territoire palestinien occupé pour assurer la suprématie des colons israéliens au détriment des droits fondamentaux du peuple palestinien dans ce territoire.
34. La Cour sera amenée à reconnaître, à l’instar de plusieurs participants qu’une telle discrimination raciale est constitutive d’un régime d'apartheid. Les observations écrites des États qui ont été confrontés eux-mêmes à ces politiques constituent des évaluations autorisées de l'apartheid pratiqué par Israël à l'encontre du peuple palestinien.
35. L'interdiction de la discrimination raciale et de l'apartheid a valeur de norme impérative du droit international. Aussi les violations de cette interdiction par Israël sont-elles des faits internationalement illicites engageant sa responsabilité. Cet État a l'obligation de mettre fin immédiatement à ces actes, notamment en abrogeant toutes les lois, politiques et pratiques qui s'y rapportent, de fournir des assurances et des garanties de non-répétition et d'assurer une réparation complète à ceux qui ont été victimes de ces politiques.
36. Les États, les organisations internationales et les Nations unies ont l'obligation de faire respecter l'interdiction de la discrimination raciale et de l'apartheid, notamment en demandant des comptes à ceux qui en sont responsables. Ils doivent faire en sorte de ne pas reconnaître ces actes illégaux et de ne pas prêter aide ou assistance à leur perpétuation. Les obligations qui leur
17 C.I.J., Avis consultatif du 9 février 2004 sur Les conséquences juridiques de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé, Rec. 2004, par. 89 à 113.
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incombent incluent leur contribution à la cessation de ces actes. Cette obligation s'applique aux acteurs étatiques et à tous les acteurs relevant de la juridiction de l'État, y compris les sociétés, les entreprises, les entités et les particuliers.
2) Une politique d’annexion officielle ou rampante en vue de s’approprier le Territoire palestinien, laquelle doit être fermement condamnée.
37. L'interdiction de recourir à la menace ou à l'emploi de la force en vertu de l'article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations unies, et l'illégalité de l'acquisition de territoires par la force, qui en est le corollaire, sont les règles les plus fondamentales du régime juridique présidant aux relations internationales de l'après-Seconde Guerre mondiale.
38. La grande majorité des participants à la présente procédure considère qu'Israël a pour objectif d’annexer illégalement Jérusalem et le reste du territoire palestinien occupé, ou de grandes parties de celui-ci. Israël réalise cet objectif à travers l’occupation prolongée du territoire palestinien, la colonisation intense qui y est déployée et le régime qui y est associé, y compris le mur, ainsi qu'à travers ses lois, ordonnances, politiques et pratiques. Par sa durée (plus de 56 ans) et l’usage illégal de la force qui y est déployée, cette occupation ne correspond plus au régime militaire temporaire qui avait été acté dans des accords datés de plus de trente ans. Aussi est-elle frappée d’illégalité par cette durée démesurée, l’inertie des négociations et les moyens déployés à l’occasion de cette occupation qui sont constitutifs de violations massives de normes impératives du droit international, qui sont parmi les normes les plus importantes inscrites dans la Charte des Nations unies : l'illégalité de l'annexion, le droit à l'autodétermination et l’interdiction de la discrimination raciale et de l'apartheid.
39. La constatation de cette illégalité ne prive en aucun cas les personnes civiles de la protection à laquelle elles ont droit en vertu du droit international humanitaire et notamment de la quatrième convention de Genève, conformément à son article 47. En ne tenant compte d’aucune des normes de ce droit humanitaire, Israël ajoute aux violations sus-mentionnées, des crimes de guerre d’une particulière gravité.
40. Israël a l'obligation de mettre fin immédiatement, inconditionnellement et totalement à son projet d’annexion de la Palestine et aux instruments de ce projet, à savoir l’occupation, et la colonisation du territoire palestinien. Cet État a l’obligation d’abroger toutes les lois, politiques
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et pratiques pertinentes, de démanteler les infrastructures coloniales, de retirer ses forces d'occupation et d’évacuer ses colons du territoire. Il a également l'obligation de fournir des garanties et des assurances de non-répétition et de réparation intégrale de tous les dommages causés par son occupation illégale du territoire et l'exploitation des ressources naturelles qui s'y trouvent.
41. Tous les États ont l'obligation de contribuer à mettre fin à ces actes internationalement illicites, de ne pas prêter aide ou assistance (par l'intermédiaire de leurs gouvernements, ou d'autres acteurs étatiques, ou d'acteurs sous leur juridiction, y compris des entreprises, des sociétés, des entités et des individus) à cette colonisation, moyen de l’annexion, y compris en ce qui concerne Jérusalem, de ne pas reconnaître cette annexion, y compris en ne transférant pas leurs ambassades en Israël à Jérusalem, ou en revenant sur ce transfert s’il a déjà eu lieu, et de demander des comptes aux responsables de ces violations du droit international, y compris en leur qualité de Hautes Parties contractantes à la Quatrième Convention de Genève. Les Nations unies, notamment le Conseil de sécurité, ont également la responsabilité d'adopter les mesures qui relèvent de leur compétence pour assurer la pleine mise en oeuvre des résolutions pertinentes des Nations unies et des obligations internationales, et de faire respecter la Charte des Nations unies.
3) Une entrave systématique au droit du peuple palestinien à l’autodétermination en violation des règles impératives du droit international.
42. Conformément à la Charte des Nations unies, aux résolutions de l'ONU et à l’avis consultatif rendu par la Cour en 2004, le peuple palestinien est titulaire du droit à disposer de lui-même et aucun des participants à la présente procédure ne lui a dénié ce droit. Ce droit s’exerce à travers l'indépendance et la souveraineté de l'État de Palestine. Il résulte d’une norme de jus cogens et, ainsi que la Cour l’a affirmé dans son avis consultatif de 2004 relatif au Mur, il a un caractère erga omnes18.
18 CIJ, Avis consultatif du 9 février 2004, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le Territoire palestinien occupé, Rec. 2004, par. 155.
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43. L’Organisation de la coopération islamique se permet d’insister auprès de la Cour sur les conséquences qu’il est indispensable de tirer de la violation longuement développée par Israël du droit des Palestiniens à leur autodétermination. Israël doit mettre fin à l’occupation en retirant ses contingents militaires ainsi que ses services civils du territoire palestien.et les colonies israéliennes présentes sur le territoire doivent être intégralement démantelées. Israël doit se conformer immédiatement à la nécessité de respecter l'unité territoriale, la contiguïté et l'intégrité de l'ensemble du territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, ainsi que le droit du peuple palestinien à la souveraineté permanente sur ses ressources naturelles.
44. Israël doit mettre fin immédiatement à toutes les mesures visant à modifier la composition démographique de la Palestine, le caractère et le statut du territoire, ainsi que celles de discrimination raciale assimilable à de l'apartheid à l'encontre du peuple palestinien.
45. Tous les États, ont l'obligation, dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international, de veiller à ce qu'il soit mis fin à tout obstacle à l'exercice par le peuple palestinien de son droit à l'autodétermination et d'aider le peuple palestinien à réaliser rapidement ce droit.
46. Les Nations Unies, leurs agences spécialisées et les organisations du système des Nations Unies doivent continuer à soutenir et à aider le peuple palestinien à réaliser rapidement son droit à l'autodétermination, notamment par l'adoption par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale des mesures nécessaires pour assurer le respect de ce droit par Israël.
47. L’Organisation de la coopération islamique prie respectueusement la Cour de se déclarer compétente pour rendre l’avis consultatif attendu et lui demande instamment de conclure sur le fond dans le sens de présentes observations.
20 octobre 2023
au nom de L'Organisation de la Coopération Islamique.
Hissein Brahim Taha
Secrétaire Général
Observations écrites de l'Organisation de la Coopération Islamique