Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU BELIZE
25 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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INTRODUCTION ................................................................................................................................... 1
A. Processus ayant mené à la demande d’avis consultatif ............................................................ 1
B. Importance de la demande ....................................................................................................... 1
C. Structure de l’exposé écrit du Belize ....................................................................................... 2
CHAPITRE 1. LA PREMIÈRE QUESTION ................................................................................................ 3
A. Autodétermination ................................................................................................................... 4
B. Occupation, colonisation et annexion prolongées .................................................................. 11
1. Occupation prolongée ....................................................................................................... 11
a) L’occupation de Gaza ................................................................................................. 12
b) L’illicéité de l’occupation dans son ensemble ............................................................ 14
2. Implantation de colonies ................................................................................................... 15
3. Annexion........................................................................................................................... 20
a) L’interdiction de l’annexion du territoire palestinien ................................................ 20
b) L’annexion de Jérusalem-Est ..................................................................................... 22
c) L’annexion de facto du reste de la Cisjordanie et de Gaza ........................................ 23
C. Lois et mesures discriminatoires connexes ............................................................................ 25
1. Le système de discrimination institutionnalisée d’Israël .................................................. 25
2. Le déni par Israël du « droit au retour » du peuple palestinien ......................................... 35
3. Les pratiques d’Israël à l’égard du peuple palestinien sont constitutives d’apartheid ...... 39
D. Conséquences juridiques ........................................................................................................ 44
1. Conséquences juridiques pour Israël ................................................................................ 45
2. Conséquences juridiques pour les autres États ................................................................. 48
a) Violations de normes impératives ............................................................................... 48
b) Violations d’obligations erga omnes .......................................................................... 50
c) Violations du droit international humanitaire ............................................................ 50
d) Violations engageant la responsabilité pénale individuelle ....................................... 54
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3. Conséquences juridiques pour l’Organisation des Nations Unies .................................... 54
CHAPITRE 2. LA DEUXIÈME QUESTION ............................................................................................. 55
A. Statut juridique de l’occupation ............................................................................................. 55
1. Le comportement d’Israël n’a aucune validité juridique et ne génère aucun droit pour Israël au regard du droit international ............................................................................... 55
2. Présence illicite ................................................................................................................. 57
B. Conséquences juridiques ........................................................................................................ 58
INTRODUCTION
A. Processus ayant mené à la demande d’avis consultatif
1. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 77/247 concernant les pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. Dans cette résolution, elle a décidé, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner un avis consultatif sur les questions suivantes :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »1
2. Le 17 janvier 2023, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a transmis la requête pour avis consultatif à la Cour2. Le 3 février 2023, celle-ci a, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut, fixé le délai dans lequel « l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres, ainsi que l’État observateur de Palestine », pouvaient fournir des renseignements sur les questions qui lui étaient soumises3. Le 6 février 2023, le greffier de la Cour a informé le Belize qu’il pouvait présenter un exposé écrit dans la procédure4. Le Belize dépose le présent exposé en réponse à cette invitation.
B. Importance de la demande
3. Le Belize est vivement préoccupé par l’occupation, la colonisation et l’annexion illicites du territoire de l’État palestinien auxquelles se livre Israël depuis des décennies5, le régime discriminatoire systématique et institutionnalisé d’oppression violente et d’apartheid qu’il a mis en place, ainsi que les conséquences graves et durables qu’ont ces mesures sur les droits du peuple palestinien6. En tant que membre de la communauté internationale telle qu’incarnée par l’Organisation des Nations Unies, le Belize a soutenu la Palestine en appelant continuellement au
1 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247 (ci-après « doc. A/RES/77/247 de 2022 »), par. 18.
2 Lettre en date du 17 janvier 2023 adressée à la présidente de la Cour internationale de Justice par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
3 Ordonnance rendue par la Cour le 3 février 2023.
4 Lettre en date du 6 février 2023 adressée à l’ambassadeur du Belize auprès du Royaume des Pays-Bas par le greffier de la Cour.
5 Le Belize a reconnu l’État de Palestine en 2011 : Press Release of the Ministry of Foreign Affairs and Foreign Trade of Belize, « The Government of Belize Recognizes the State of Palestine », 9 September 2011 (accessible à l’adresse suivante : https://www.pressoffice.gov.bz/wp-content/uploads/2023/05/Press-Release-on-Palestine.pdf).
6 « Belize House of Representatives Resolution on Palestine Motion », 26 October 2021 (accessible à l’adresse suivante : https://www.nationalassembly.gov.bz/wp-content/uploads/2023/07/Belize-House-of-Representatives-Resolu tion-on-Palestine-Motion-2021.pdf).
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respect du droit international et à l’abolition des pratiques et politiques d’Israël, qui bafouent les règles les plus fondamentales du droit international et les droits du peuple palestinien.
4. L’un de ces droits, à l’égard duquel le Belize a, de longue date, un intérêt particulier, est le droit à l’autodétermination. Le Belize participe à la présente procédure, comme il l’a fait dans la demande d’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé et celle sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, eu égard à l’importance cruciale que revêt la défense du libre et plein exercice du droit à l’autodétermination.
5. On a récemment observé une intensification des attaques violentes contre les Palestiniens et une augmentation du nombre de projets d’extension des colonies de peuplement israéliennes illicites, qui sont directement liées aux dernières politiques en date d’Israël, qui visent à poursuivre et à officialiser l’annexion du territoire palestinien7. Ces actes sont le signe d’une détérioration des conditions déjà particulièrement inhumaines dans lesquelles vivent les Palestiniens. Le Belize a voté en faveur de la résolution 77/247 par laquelle la Cour a été saisie des questions en cause, car il estime que des conclusions juridiques claires et faisant autorité sur les conséquences du comportement illicite persistant d’Israël viendront utilement appuyer les efforts visant à mettre un terme définitif à ces violations et à leurs effets.
C. Structure de l’exposé écrit du Belize
6. Après cette introduction, l’exposé du Belize se divise en deux chapitres. Le chapitre 1 porte sur la première question soumise à la Cour, qui concerne essentiellement les violations du droit international commises par Israël à l’égard du peuple et du territoire palestiniens, et les conséquences de ces violations. Le chapitre 2 traite de la seconde question soumise à la Cour, qui a trait au statut juridique de l’occupation dans son ensemble et aux conséquences qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies.
7. Selon le Belize, il est évident que la Cour a compétence pour donner l’avis demandé en vertu du paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, et qu’elle doit exercer sa compétence et répondre à toutes les questions qui lui ont été posées. En conséquence, dans le présent exposé, le Belize ne se penchera pas plus avant sur la compétence de la Cour ou le pouvoir discrétionnaire qu’a celle-ci de l’exercer, et traitera exclusivement du fond des questions posées.
8. Aux fins de la présente procédure, l’expression « territoire palestinien » employée par le Belize dans ses écritures désigne les territoires qui faisaient partie de l’ancienne Palestine sous mandat et sont occupés par Israël depuis 1967. Il s’agit de la totalité des territoires de Gaza et de la
7 End-of-Mission Statement of the UN Special Committee to Investigate Israeli Practices, 16 June 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/statements/2023/06/end-mission-statement-un-special-committee- investigate-israeli-practices) ; European Union, « 2022 Report on Israeli settlements in the occupied West Bank, including East Jerusalem », 15 May 2023 (ci-après « Report on Israeli settlements (2023) ») (accessible à l’adresse suivante : https:// www.eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/2023/One-Year%20Report%20on%20Israeli%20Settlements%20in%20the%20occupied%20West%20Bank%2C%20including%20East%20Jerusalem%20%28Reporting%20period%20January%20-%20December%202022%29.pdf), qui indique que le nombre de projets et d’appels d’offres concernant des implantations déposés en 2022 a augmenté de près de 30 % par rapport à l’année précédente. Voir également par. 51 ci-après.
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Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, tels qu’ils ont été délimités par les conventions d’armistice de 1949 ou la « Ligne verte »8.
CHAPITRE 1 LA PREMIÈRE QUESTION
9. La première question posée à la Cour est la suivante :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ? »
10. Il a été demandé à la Cour d’examiner les conséquences juridiques qui découlent de trois catégories de comportement :
a) la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ;
b) l’occupation, la colonisation et l’annexion prolongées par Israël du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment à travers des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ;
c) l’adoption par Israël de lois et de mesures discriminatoires connexes.
11. Ainsi que la Cour l’a noté dans l’avis consultatif sur le mur, l’examen de la question de savoir « quelles sont en droit les conséquences » d’un comportement « implique nécessairement » de déterminer tout d’abord si ce comportement viole le droit international9. En conséquence, le Belize, dans le présent chapitre, se penchera sur les trois catégories de comportements qui, dans la question posée à la Cour, sont désignés comme constituant des violations du droit international, et examinera les conséquences juridiques qui découlent de ces violations.
12. Le présent chapitre comporte quatre parties : a) la violation du droit du peuple palestinien à l’autodétermination (A) ; b) les violations du droit international découlant de « l’occupation, de la colonisation et de l’annexion » du territoire palestinien (B) ; c) les violations du droit international découlant des lois et mesures discriminatoires connexes adoptées par Israël (C) ; et d) les conséquences juridiques des violations qu’Israël a commises et continue de commettre (D).
8 Voir, par exemple, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I) (ci-après l’« avis consultatif sur le mur »), p. 167, par. 78 ; et p. 177, par. 101 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 67/19 du 29 novembre 2012, intitulée « Statut de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies », doc. A/RES/67/19 (ci-après la « résolution 67/19 de 2012 »), par. 1 (où l’Assemblée générale « [r]éaffirme le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à l’indépendance dans un État de Palestine situé sur le territoire palestinien occupé depuis 1967 ») ; Cour pénale internationale, Chambre préliminaire I, décision relative à la demande présentée par l’accusation en vertu de l’article 19-3 du Statut pour que la Cour se prononce sur sa compétence territoriale en Palestine, no ICC-01/18-143-tFRA, 5 février 2021 (ci-après la « décision rendue en 2021 par la CPI sur sa compétence territoriale en Palestine »), par. 117.
9 Avis consultatif sur le mur, p. 154, par. 39.
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A. Autodétermination
13. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est une condition préalable à la pleine jouissance des droits fondamentaux de la personne10. Le déni systématique par Israël des droits civils et politiques du peuple palestinien, ainsi que de ses droits économiques, sociaux et culturels, est examiné dans la partie C ci-dessous. En ce qui concerne, plus précisément, le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, la Cour a, dans l’avis consultatif sur le mur, conclu que ce comportement particulier d’Israël — à savoir, la construction du mur et les mesures s’y rapportant — constituait un manquement à l’obligation incombant à celui-ci de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination11. Elle a en outre conclu qu’Israël avait l’obligation de mettre un terme à cette violation et, par conséquent, de démanteler le mur12. Or il n’en a, à ce jour, rien fait13. Il s’ensuit nécessairement qu’Israël continue de violer son obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. La présente section examine, au-delà de cette violation particulière, le comportement d’Israël dans son ensemble, qui porte atteinte au droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
14. Comme la Cour l’a fait observer dans l’avis consultatif sur le mur, l’existence d’un peuple palestinien doté du droit de disposer de lui-même ne saurait plus faire débat14. Dans l’article 22 du Pacte de la Société des Nations, cette dernière a reconnu que certaines communautés avaient le droit d’exister en tant qu’État15. Aux termes de cet article,
« [c]ertaines communautés, qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, [avaie]nt atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes p[ouvai]t être reconnue provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un Mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles ser[aie]nt capables de se conduire seules ».
La Palestine était l’une des communautés visées par cette disposition, ayant été placée sous mandat de la catégorie « A » en 192216. Comme la Cour l’a précisé, l’objectif ultime de ce régime était l’indépendance des peuples en cause17.
10 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 637 (VII) A du 16 décembre 1952, relative au droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, doc. A/RES/637 (VII), préambule et par. 1 ; 1514 (XV) du 14 décembre 1960, portant sur la déclaration de l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, doc. A/RES/1514 (XV) (ci-après « doc. A/RES/1514 (XV) de 1960 »), par. 1.
11 Avis consultatif sur le mur, p. 184, par. 122.
12 Ibid., p. 197-198, par. 150-151.
13 Ainsi que le confirme la résolution par laquelle est sollicité l’avis consultatif : doc. A/RES/77/247 de 2022, préambule, 28e alinéa et par. 6 et 11. Au contraire, Israël a commencé à remplacer des portions de « mur » actuellement constituées de clôtures de barbelés par des structures de béton : « Israel plans 60-mile concrete wall in northern West Bank », Al-Monitor, 28 November 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.al-monitor.com/originals/2022/11/ israel-plans-60-mile-concrete-wall-northern-west-bank).
14 Avis consultatif sur le mur, p. 182-183, par. 118.
15 Voir également Gerson, « Trustee-Occupant: The Legal Status of Israel’s Presence in the West Bank », Harvard International Law Journal (1973), vol. 14, no 1, p. 27 : « Le droit du peuple d’exercer in fine sa souveraineté a ainsi été immédiatement reconnu. »
16 Mandat pour la Palestine, 24 juillet 1922, Société des Nations, Journal officiel, 1922, p. 1007.
17 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971 (ci-après l’« avis consultatif au sujet de la Namibie »), p. 31-32, par. 53-54. Voir également Nations Unies, Commission ad hoc chargée de la question palestinienne, rapport de la Sous-Commission 2, 11 novembre 1947, doc. A/AC.14/32, p. 16, par. 15 a) :
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15. Outre la reconnaissance de ce droit de devenir un État, un « statut international » a été conféré aux territoires sous mandat18. Lorsqu’il était mis fin à un mandat, si le peuple concerné n’avait pas encore accédé à la qualité d’État, le statut particulier du territoire perdurait19. Lorsque le mandat pour la Palestine a pris fin en 1948, le peuple palestinien n’avait pas accédé à la qualité d’État20. Ainsi, le statut conféré au territoire de la Palestine sous mandat et le droit connexe du peuple palestinien à un État ont perduré.
16. Dès 1960 et l’adoption par l’Assemblée générale des Nations Unies de la résolution 1514 (XV) intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », le droit à l’autodétermination s’est cristallisé en tant que règle coutumière pour les peuples coloniaux21. Il était entendu que le droit énoncé dans cette résolution s’appliquait au peuple palestinien, qui était un peuple colonial eu égard au mandat qui lui avait été imposé22. En dehors du contexte colonial, le droit à l’autodétermination des peuples assujettis à une occupation étrangère s’est cristallisé en tant que règle coutumière au plus tard en 1970, avec l’adoption de la déclaration relative aux relations amicales23.
17. Les droits associés aux territoires sous mandat, notamment le droit à un État, que possède le peuple palestinien en tant que peuple soumis à un mandat de catégorie « A », préfiguraient le droit à l’autodétermination qui s’est par la suite cristallisé en tant que règle de droit international
« On se rappellera que le but de la création des mandats de la catégorie A, comme celui de la Palestine, était, aux termes de l’Article 22 du Pacte, de constituer un régime temporaire de tutelle exercé par la Puissance mandataire, dont l’une des responsabilités fondamentales était d’aider les peuples des territoires sous mandat à attribuer aussi rapidement que possible l’autonomie complète et l’indépendance. »
En 1955, tous les territoires sous mandat de type « A » de la Société des Nations étaient devenus des États indépendants et membres de l’Organisation des Nations Unies, à l’exception de la Palestine. Voir Crawford, The Creation of States in International Law (2e édition, 2006), p. 741-742 (Irak, Jordanie, Syrie, Liban et Israël).
18 Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 132 ; avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 31, par. 52. Voir aussi infra, par. 46.
19 Ce statut a continué de s’appliquer à la Namibie après la cessation du mandat sur le Sud-Ouest africain. Voir avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 31, par. 52.
20 Le Conseil national palestinien a proclamé l’établissement de l’État de Palestine en 1988. Voir Nations Unies, lettre datée du 18 novembre 1988 adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de la Jordanie auprès de l’Organisation des Nations Unies, 18 novembre 1988, doc. A/43/827-S/20278.
21 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I) (ci-après l’« avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos »), p. 131-132, par. 148-152. Voir aussi p. 131, par. 144 (« [la Cour] se limitera, dans le cadre du présent avis consultatif, à l’analyse du droit à l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation »).
22 Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, quinzième session, 937e séance plénière, 6 décembre 1960, doc. A/PV.937, par. 125-126 (Iraq) :
« Je ne crois pas exagérer en affirmant que peu de nations ont autant souffert que le monde arabe de la domination coloniale … la Syrie, [le] Liban, … la Palestine, … la Jordanie et … l’Irak … tombèrent sous la domination française ou britannique pendant et après la première guerre mondiale. … Dans notre région du Moyen-Orient, la domination européenne s’est longtemps perpétuée sous le masque du régime des mandats, imposé à des peuples contre leur gré par les puissances coloniales après la conquête de leur pays pendant la première guerre mondiale. Les peuples de l’Irak, de la Syrie, du Liban, de la Palestine et de la Jordanie n’ont jamais accepté ce régime des mandats et ils ont mené une lutte sans merci contre cette nouvelle forme de colonialisme. »
Voir également, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, quinzième session, 935e séance, 5 décembre 1960, doc. A/PV.935, par. 35 (Soudan).
23 Voir Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, doc. A/RES/2625 (XXV), annexe intitulée : « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies » (ci-après la « déclaration relative aux relations amicales »), cinquième principe, deuxième paragraphe. Voir également Cassese, Self-Determination of Peoples: A Legal Reappraisal (1995), p. 90.
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coutumier. Les territoires sous mandat ont, de fait, été considérés comme la « première catégorie distincte de territoires auxquels s’appliquait le droit à l’autodétermination »
24 et, comme la Cour l’a expliqué dans l’avis consultatif au sujet de la Namibie, l’évolution ultérieure du droit international a fait de l’autodétermination, qui était applicable aux territoires sous mandat, un principe applicable à tous les territoires non autonomes25. Lorsque le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes s’est cristallisé en tant que norme de droit international coutumier, le droit du peuple palestinien à exister en tant qu’État, qui avait été reconnu par la Société des Nations, a été englobé dans ce droit plus large du droit international coutumier26.
18. La Palestine a déjà accédé à la qualité d’État. Le Belize l’a reconnue en tant qu’État en 201127. Depuis, l’Assemblée générale a accordé à la Palestine le statut d’État non membre observateur28, et 138 autres États Membres de l’Organisation des Nations Unies la reconnaissent aujourd’hui en tant qu’État29. La Palestine a en outre été autorisée à adhérer à de nombreux traités internationaux par les autres États parties, les organes dépositaires et les institutions internationales, et notamment à de nombreux traités administrés sous les auspices de l’ONU30. Le droit d’un peuple à l’autodétermination peut perdurer même après l’accession de celui-ci à la qualité d’État indépendant. Cela a été reconnu dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos : bien que Maurice soit un État, le droit de son peuple à l’autodétermination perdure31.
19. Les politiques et pratiques d’Israël dans leur ensemble violent le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même principalement de trois manières32. Premièrement, Israël nie l’existence du peuple palestinien et son droit à l’autodétermination. Deuxièmement, il refuse à ce peuple son droit
24 Crawford, The Creation of States in International Law (2e édition, 2006), p. 567.
25 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 31, par. 52.
26 Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination a été reconnu dans de nombreuses résolutions de l’ONU. Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 2649 (XXV) du 30 novembre 1970, doc. A/RES/2649 (XXV), par. 5 ; 77/208 du 15 décembre 2022, concernant le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, doc. A/RES/77/208.
27 Voir Press Release of the Ministry of Foreign Affairs and Foreign Trade of Belize, « The Government of Belize Recognizes the State of Palestine », 9 September 2011 (accessible à l’adresse suivante : https://www.pressoffice.gov.bz/ wp-content/uploads/2023/05/Press-Release-on-Palestine.pdf).
28 Doc. A/RES/67/19 de 2012, par. 2.
29 Voir Permanent Observer Mission of the State of Palestine to the United Nations, New York, « Diplomatic Relations » (accessible à l’adresse suivante : http://palestineun.org/about-palestine/diplomatic-relations/).
30 Dans la base de données du Recueil des traités des Nations Unies, la Palestine figure en tant que partie à 108 traités enregistrés (accessible à l’adresse suivante : https://treaties.un.org/pages/UNTSOnline.aspx?id=3&clang=_fr). Voir également bureau des affaires juridiques de l’Organisation des Nations Unies, mémorandum intérieur, Issues related to General Assembly resolution 67/19 on the status of Palestine in the United Nations, 21 décembre 2012, par. 15 ; décision rendue en 2021 par la CPI sur sa compétence territoriale en Palestine, par. 100.
31 Dans la procédure consultative au sujet de l’archipel des Chagos, la Cour a conclu que la décolonisation de Maurice n’était pas achevée, que le comportement du Royaume-Uni à cet égard constituait un fait illicite persistant en violation du droit du peuple de Maurice à l’autodétermination et qu’il devait être permis à Maurice d’achever la décolonisation de son territoire dans le respect du droit des peuples à l’autodétermination. Voir, par exemple, avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 137, par. 174 ; et p. 138-139, par. 177-178.
32 Même si on adopte son point de vue, selon lequel la Palestine n’est pas un État, Israël manque à son obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. Dans une telle hypothèse, le peuple palestinien se serait vu empêcher, en raison du comportement d’Israël, d’accéder pleinement à la qualité d’État et aurait donc été privé du droit de déterminer librement son statut politique. Voir résolution 1514 (XV) de 1960, par. 2 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976, Recueil des traités des Nations Unies (RTNU), vol. 999, p. 171, paragraphe 1 de l’article premier ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, entré en vigueur le 3 janvier 1976, RTNU, vol. 993, p. 3, paragraphe 1 de l’article premier ; déclaration relative aux relations amicales, cinquième principe, premier et quatrième paragraphes.
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à l’intégrité territoriale. Troisièmement, il a recours à des mesures de coercition pour priver le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance
33.
20. S’agissant du premier point, la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale énonce que « [t]ous les peuples ont le droit de libre détermination »34. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adoptés l’un et l’autre en 1966, auxquels Israël est partie, de même que la déclaration relative aux relations amicales de 1970, évoquent le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes et énoncent explicitement, pour les premiers, que les États « sont tenus … de respecter ce droit »35 et pour la seconde, que « tout État a le devoir de respecter ce droit »36. En violation de l’obligation qui lui incombe de respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, Israël nie l’existence d’un peuple palestinien ayant le droit de disposer de lui-même. Par exemple, en mars 2023, le ministre israélien des finances, qui est également chargé du transfert entre forces de défense et autorités civiles israéliennes des pouvoirs administratifs relatifs à la Cisjordanie37, a affirmé que « le peuple palestinien, ça n’exist[ait] pas »38. La Knesset avait auparavant, en 2018, adopté la loi fondamentale « Israël — État-nation du peuple juif », qui dispose que « la réalisation du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservée au peuple juif »39. En droit israélien, l’« État d’Israël » comprend une partie du territoire palestinien, soit Jérusalem-Est40. Ainsi, en application de la loi fondamentale, Israël non seulement pratique une discrimination contre les non-Juifs en Israël, mais encore prive le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination sur le territoire palestinien.
21. Deuxièmement, le comportement d’Israël dans son ensemble, viole le droit du peuple palestinien à l’autodétermination en refusant à celui-ci le droit à l’intégrité territoriale. Ainsi que l’a confirmé la Cour dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, au regard du droit international coutumier, l’un des corollaires du droit à l’autodétermination est le droit à l’intégrité
33 Les actes d’Israël violent également le droit du peuple palestinien à la souveraineté permanente sur ses ressources naturelles, qui fait partie intégrante du droit à l’autodétermination. Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/187 du 14 décembre 2022, concernant la souveraineté permanente du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe dans le Golan syrien occupé sur leurs ressources naturelles, doc. A/RES/77/187 (ci-après «doc. A/RES/77/187 de 2022 ») ; Nations Unies, rapport de la rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese, 21 septembre 2022, doc. A/77/356, (ci-après « doc. A/77/356 de 2022 »), par. 47-52 et 73 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, paragraphe 2 de l’article premier ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, paragraphe 2 de l’article premier.
34 Doc. A/RES/1514 (XV) de 1960, par. 2.
35 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, paragraphes 1 et 3 de l’article premier ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, paragraphes 1 et 3 de l’article premier. Israël a ratifié ces deux instruments le 3 octobre 1991 (voir RTNU, respectivement aux adresses suivantes : https://treaties.un.org/Pages/View Details.aspx?src=IND&mtdsg_no=IV-4&chapter=4&clang=_fr et https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src= IND&mtdsg_no=IV-3&chapter=4&clang=_fr).
36 Déclaration relative aux relations amicales, cinquième principe, premier paragraphe.
37 Voir infra, par. 51.
38 « Far-right Minister Smotrich: There’s No Such Thing as the Palestinians, White House Must Hear the Truth », Haaretz, 20 March 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.haaretz.com/israel-news/2023-03-20/ty-article/. premium/israels-smotrich-theres-no-such-thing-as-palestinians-white-house-must-hear-the-truth/00000186-fd95-db5a-a787-ffddb9550000). Voir également « Israeli minister condemned for claiming “no such thing” as a Palestinian people », The Guardian, 21 March 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.theguardian.com/world/2023/mar/20/israeli- minister-condemned-claiming-no-such-thing-as-a-palestinian-people-bezalel-smotrich) ; « The mixed legacy of Golda Meir, Israel’s first female PM », Al Jazeera, 18 March 2019 (accessible à l’adresse suivante : https://www.aljazeera.com/ features/2019/3/18/the-mixed-legacy-of-golda-meir-israels-first-female-pm).
39 Basic Law: Israel — the Nation State of the Jewish People (2018) (accessible à l’adresse suivante : https://main. knesset.gov.il/en/activity/pages/basiclaws.aspx), art. 1 c).
40 Voir infra, par. 47.
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territoriale
41. Dans sa résolution 1514 (XV), l’Assemblée générale prévoyait ainsi qu’ « [i]l sera[it] mis fin … à toutes mesures de répression, de quelque sorte qu’elles soient, dirigées contre les peuples dépendants » et que« l’intégrité de leur territoire national sera[it] respectée »42. Il était ensuite souligné que « [t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays [était] incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies »43, ce qu’énonce aussi la déclaration relative aux relations amicales, où il est dit que « toute tentative visant à rompre partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un État ou d’un pays ou à porter atteinte à son indépendance est incompatible avec les buts et principes de la Charte »44. Ladite déclaration indique encore que « [t]out État doit s’abstenir de toute action visant à rompre partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un autre État ou d’un autre pays »45. Ainsi que l’a noté la Cour dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, les peuples sont « habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit être respectée »46.
22. Israël a violé son obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’intégrité territoriale à différents égards :
a) en annexant le territoire palestinien (voir point B.3 ci-dessous), Israël a violé le droit du peuple palestinien à l’intégrité territoriale47.
b) Israël viole également ce droit à travers ses politiques et ses pratiques qui excluent les Palestiniens de certaines parties du territoire palestinien. Parmi celles-ci, notons, en particulier, ses actes persistants concernant i) l’implantation et l’extension des colonies dans le territoire palestinien en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, ainsi que la construction d’un mur de séparation (et la mise en place du régime qui lui est associé) autour de ces colonies afin d’imposer des restrictions aux Palestiniens dans ces zones, de les exclure de celles-ci et de les forcer à quitter leur maison48 ; ii) la désignation de zones fermées et d’accès restreint en Cisjordanie (bases militaires israéliennes, zones de tir à balles réelles, réserves naturelles et autres zones fermées) dans lesquelles les Palestiniens ne sont pas autorisés à entrer librement, ces interdictions et restrictions
41 Avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 134, par. 160.
42 Doc. A/RES/1514 (XV) de 1960, par. 4. Voir également 11e alinéa du préambule.
43 Ibid., par. 6. Voir également par. 7.
44 Déclaration relative aux relations amicales, 14e alinéa du préambule.
45 Ibid., cinquième principe, huitième alinéa.
46 Avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 134, par. 160.
47 Voir infra, par. 47-48. Ce comportement est comparable à celui du Royaume-Uni, qui a détaché l’archipel des Chagos de Maurice avant que celui-ci n’accède à l’indépendance et l’a traité comme un territoire britannique (l’archipel a d’abord été transformé en une nouvelle colonie, puis considéré comme un territoire britannique d’outre-mer), ce que la Cour, dans son avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, a jugé contraire au droit à l’autodétermination : avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 134, par. 160.
48 Voir avis consultatif sur le mur, p. 189-191, par. 133 ; Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 52/34 du 4 avril 2023, doc. A/HRC/RES/52/34, (ci-après « doc. A/HRC/RES/52/34 de 2023 »), par. 5 ; Nations Unies, résolution 52/35 du Conseil des droits de l’homme, 4 avril 2023, doc. A/HRC/RES/52/35 (ci-après « doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023 »), 16e alinéa du préambule : « Sachant à cet égard que les colonies israéliennes morcellent la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, en enclaves isolées, ce qui compromet gravement l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. » Voir également infra, point B.2.
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d’accès empêchant ces derniers d’exercer leurs droits sur cette terre
49 ; et iii) la création, à l’intérieur de Gaza, de zones d’exclusion militaires et de zones tampons, qui longent la clôture d’enceinte et couvrent l’ensemble du territoire à l’exception de minuscules espaces maritimes (soit environ 17 % de la superficie totale des terres de Gaza, 35 % de ses terres agricoles et jusqu’à 85 % de ses eaux de pêche)50. Ces politiques et pratiques privent le peuple palestinien de l’accès à certaines parties de son territoire, ce qui entraîne une rupture de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale de la Palestine et empêche le peuple d’exercer son droit à l’autodétermination à l’égard de l’ensemble de son territoire51.
c) Israël viole également le droit du peuple palestinien à l’intégrité territoriale en raison du blocus52 qu’il impose à Gaza depuis 2007 et de ses autres politiques et pratiques qui isolent et séparent Gaza de la Cisjordanie. Par ces politiques et ces pratiques, Israël contrôle et restreint la circulation des personnes entre Gaza et la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est)53. De fait, il tente de diviser
49 Voir avis consultatif sur le mur, p. 170-171, par. 85 ; Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, 12 août 2022, doc. A/HRC/49/87 (ci-après « doc. A/HRC/49/87 de 2022 »), par. 43 ; Nations Unies, rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, 3 octobre 2022, doc. A/77/501 (ci-après « doc. A/77/501 de 2022 »), par. 13-14 ; Nations Unies, rapport du Secrétaire général concernant les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 août 2014, doc. A/69/348 (ci-après « doc. A/69/348 de 2014 »), par. 14 ; Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (UNOCHA), « West Bank, Area C: Key Humanitarian Concerns » (non daté, accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/sites/default/files/area_c_key_ humanitarian_concerns.pdf) ; UNOCHA, « West Bank Access Restrictions », May 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/west-bank-access-restrictions-may-2023) ; doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, par. 6 b).
50 En ce qui concerne les zones tampons et d’exclusion militaire et les zones d’interdiction de la pêche à Gaza, voir infra, par. 56 e) i) et 56 e) ii). En ce qui concerne la déclaration de la Palestine au sujet de ses zones maritimes, voir Declaration of the State of Palestine regarding its maritime boundaries in accordance with UNCLOS, 24 September 2019 (accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/PSE_ Deposit_09-2019.pdf). En ce qui concerne les « eaux de pêche », voir infra, note 192.
51 Voir également Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolutions 49/29 du 1er avril 2022, doc. A/HRC/RES/49/29, (ci-après « doc. A/HRC/RES/49/29 de 2022 »), 16e alinéa du préambule (« Sachant … que les colonies israéliennes morcellent la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, en enclaves isolées, ce qui compromet gravement l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ») ; et 49/28 du 1er avril 2022, doc. A/HRC/RES/49/28, par. 5
(« Se déclare aussi profondément préoccupé par la fragmentation du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et par les changements intervenus dans sa composition démographique en raison de la poursuite de la construction et de l’extension des colonies de peuplement, du transfert forcé de Palestiniens et de la construction du mur par Israël, souligne que cette fragmentation, qui compromet la possibilité pour le peuple palestinien de réaliser son droit à l’autodétermination, est incompatible avec les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies »).
Avis consultatif sur le mur, p. 184, par. 122 (et par. 133, auquel il renvoie), où la Cour conclut que le tracé du mur et ses effets — notamment le risque de nouvelles modifications dans la composition démographique du territoire palestinien engendrées par le mur, les zones fermées et les enclaves ainsi créées, ainsi que le départ de Palestiniens de certaines zones — « dresse[nt] … un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et viole[nt] de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit ».
52 Sauf indication contraire, le terme « blocus » est employé dans le présent exposé pour désigner le régime de bouclage imposé par Israël à Gaza par le contrôle de ses frontières terrestres et des points de passage ainsi que les mesures connexes visant à restreindre la circulation des personnes et des biens (datant de 2007), conjugué au blocus naval imposé en mer (en 2009). Voir, à cet égard, Nations Unies, rapport de la mission internationale d’établissement des faits chargée d’enquêter sur les violations du droit international, notamment du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, auxquelles ont donné lieu les attaques israéliennes contre la flottille d’aide humanitaire, 27 septembre 2010, doc. A/HRC/15/21 (ci-après « doc. A/HRC/15/21 de 2010 »), par. 59 (où le régime de bouclage et le blocus maritime sont considérés comme faisant partie d’une mesure unique). Voir également infra, par. 56 e) concernant plus précisément le blocus.
53 Voir, par exemple, Report of the detailed findings of the independent international Commission of inquiry on the protests in the Occupied Palestinian Territory, UN Doc. A/HRC/40/CRP.2, 18 March 2019 (ci-après « doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019 »), par. 162-170
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le territoire palestinien en territoires séparés et isolés les uns des autres
54. Ces politiques et pratiques s’inscrivent dans une tentative inadmissible « visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité »55 du territoire palestinien, en violation du droit du peuple palestinien à l’intégrité de son territoire.
23. Troisièmement, les politiques et pratiques d’Israël dans leur ensemble équivalent à une mesure de coercition qui prive le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance. Ainsi que cela est énoncé dans la déclaration relative aux relations amicales de 1970, les États ont « le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait les peuples … de leur droit à disposer d’eux-mêmes, de leur liberté et de leur indépendance »56. Le droit à l’autodétermination comprend le droit d’un peuple de « déterminer [son] statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre [son] développement économique, social et culturel »57. S’agissant de ce dernier élément, comme il a été expliqué pendant l’élaboration du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, « [t]ous les peuples et toutes les nations doivent être libres de déterminer eux-mêmes leurs institutions politiques, d’exploiter eux-mêmes leurs ressources économiques et d’orienter eux-mêmes leur évolution sociale et culturelle, à l’abri de toute ingérence de la part d’autres peuples ou d’autres nations »58. En résumé, un « peuple doit être exempt … de toute ingérence de la part d’autres peuples ou États »59. Un État ne peut recourir à des mesures de coercition pour priver un peuple de son droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance, y compris son droit d’établir librement ses propres institutions politiques et de poursuivre en toute liberté son développement économique, social et culturel.
« La politique d’Israël visant à imposer des restrictions à la circulation des personnes entre Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, accentue la séparation entre les deux parties du territoire palestinien. … La grande majorité des habitants de Gaza ne sont pas autorisés à demander un permis de sortie. … Cette politique a exacerbé l’isolement de Gaza du reste du Territoire palestinien occupé … Tout au long de 2018, les entrées et sorties sont demeurées soumises à d’importantes restrictions à Gaza, dont les habitants ne pouvant quitter la zone qu’à titre exceptionnel. … Même dans l’hypothèse où le passage de Rafah [vers l’Égypte] serait régulièrement ouvert, les Palestiniens continueront pour la plupart de dépendre d’Israël pour leurs déplacements dans les autres parties du Territoire palestinien occupé en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est » ;
Nations Unies, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022, doc. A/77/328 (ci-après « doc. A/77/328 de 2022 »), par. 20 ; Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 20 septembre 2021, doc. A/76/333, (ci-après « doc. A/76/333 de 2021 »), par. 36.
54 De plus, Jérusalem-Est est également séparé du reste de la Cisjordanie en raison du mur et du régime de permis, et des préoccupations ont récemment été soulevées quant aux nouvelles colonies qui auraient pour effet d’isoler complètement Jérusalem-Est de tout le reste de la Cisjordanie : voir doc. A/77/328 de 2022, par. 15 ; doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, 18e alinéa du préambule.
55 Doc. A/RES/1514 (XV) de 1960, par. 6 ; déclaration relative aux relations amicales, 14e alinéa.
56 Déclaration relative aux relations amicales, cinquième principe, cinquième alinéa. Voir également doc. A/RES/1514 (XV) de 1960, par. 4.
57 Déclaration relative aux relations amicales, cinquième principe, premier alinéa. Voir également doc. A/RES/1514 (XV) de 1960, par. 2 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, paragraphe 1 de l’article premier ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, paragraphe 1 de l’article premier.
58 Projets de pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme : commentaire préparé par le Secrétaire général, 1er juillet 1955, doc. A/2929, p. 46, par. 12.
59 Sohn, « The New International Law: Protection of the Rights of Individuals Rather Than States », American University Law Review (1982), vol. 32, no 1, p. 50.
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24. Or Israël prive, par des mesures de coercition, le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance. Comme l’a expliqué M. Cassese, les mesures de coercition interdites englobent le cas où un État
« met en place des mécanismes institutionnels coercitifs visant à empêcher l’application de l’autodétermination ou, dans le cadre de l’occupation militaire d’un pays étranger, établit des procédures et prend des mesures visant à contrecarrer toute tentative du peuple occupé d’exercer son droit à l’autodétermination »60.
Israël a mis en place des « mécanismes institutionnels coercitifs », et a établi des procédures et pris des mesures qui contrecarrent l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination. Les politiques et pratiques d’Israël dans leur ensemble — et, en particulier, celles liées à l’exercice de l’autorité israélienne sur la Cisjordanie et Gaza (voir partie B ci-dessous) et le système de discrimination et d’apartheid institutionnalisés d’Israël contre les Palestiniens (voir partie C ci-après) — contrecarrent l’exercice de ce droit à l’autodétermination. Cette absence de liberté et ces obstacles posés à l’exercice du droit à l’autodétermination sont particulièrement prononcés en ce qui concerne Gaza, où plus de deux millions de Palestiniens sont confinés dans ce qui a été qualifié à maintes reprises de plus grande « prison à ciel ouvert » au monde, et intégralement soumis à l’autorité et au contrôle d’Israël, pour ce qui est des frontières, de l’espace aérien et des zones maritimes, ainsi que de la fourniture d’infrastructures civiles61. La mainmise d’Israël sur le peuple palestinien empêche celui-ci de poursuivre librement son développement économique, social et culturel ; telle est la situation grave qui a entraîné une régression du développement, ou « dé-développement » pour reprendre le terme employé par les organismes de l’ONU et la Banque mondiale62.
B. Occupation, colonisation et annexion prolongées
25. La présente partie traite des violations du droit international résultant des actes suivants auxquels se livre Israël : a) occupation du territoire palestinien (point 1) ; b) implantation de colonies dans ce territoire (point 2) ; et c) annexion de ce territoire (point 3).
1. Occupation prolongée
26. Dans son avis consultatif de 2004 sur le mur, la Cour a reconnu que la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, était occupée par Israël63. Ce dernier continue à occuper ce territoire. La présente partie traite de deux questions connexes : a) l’occupation de Gaza à laquelle Israël a continué de se livrer après son soi-disant « désengagement » en 2005 (point a)) ; et b) le cas d’une occupation devenue illicite au regard du droit international (point b)).
60 Cassese, Self-Determination of Peoples: A Legal Reappraisal (1995), p. 194-195.
61 Voir, par exemple, doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 9. En ce qui concerne Gaza plus précisément, voir infra, par. 27-30 et 56 e).
62 Voir, par exemple, doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 40 et 45. Voir également doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, par. 6 , alinéa c) :
« Se déclare profondément préoccupé par les faits suivants, dont il demande la cessation : … Les mesures qu’Israël a prises, sous la forme de politiques, de lois ou de pratiques, pour empêcher les Palestiniens de participer pleinement à la vie politique, sociale, économique et culturelle du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et faire obstacle à leur plein développement en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. »
63 Avis consultatif sur le mur, p. 167, par. 78. La demande d’avis consultatif soumise dans cette procédure ne requérait pas l’examen par la Cour de la situation à Gaza.
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a) L’occupation de Gaza
27. Israël semble considérer que, depuis ce qu’il appelle son « désengagement » de Gaza en 2005 — à savoir le retrait de ses colonies et l’évacuation de ses troupes de Gaza —, il n’occupe plus ce territoire64. Telle n’est cependant pas la position adoptée par l’Assemblée générale, d’autres organes de l’ONU, les procédures spéciales, ou encore le Comité international de la Croix-Rouge65. Bien qu’Israël n’ait plus de présence militaire permanente dans Gaza, il conserve le « contrôle effectif » de ce territoire et occupe celui-ci.
28. À sa soixante-dix-septième session tenue en 2022-2023, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté différentes résolutions qualifiant Gaza de territoire occupé66 ou Israël de puissance occupante en se référant à Gaza, en particulier, dont la résolution en vertu de laquelle a été soumise la présente demande d’avis consultatif67. Divers autres organes et procédures spéciales de l’Organisation des Nations Unies considèrent eux aussi que Gaza est occupée, notamment : a) le Conseil des droits de l’homme68 ; b) la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël69 ; c) la Commission d’enquête internationale indépendante sur les manifestations dans le Territoire palestinien occupé70 ; d) la Commission d’enquête internationale indépendante créée en vertu de la résolution S-21/1 du Conseil des droits de l’homme71 ; e) la mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza72 ; et f) le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 196773. De plus, le Comité international de la Croix-Rouge considère que « Gaza reste un territoire occupé du fait qu’Israël continue d’exercer des éléments essentiels de son autorité sur la bande de Gaza, notamment sur ses frontières (espace aérien, maritime et terrestre — à l’exception de la frontière avec l’Égypte) »74.
64 Voir, par exemple, doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019, par. 64.
65 Voir les informations plus détaillées figurant au paragraphe 28 ci-après.
66 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/30 du 6 décembre 2022, doc. A/RES/77/30, quatrième alinéa du préambule : « dans tout le territoire palestinien occupé, particulièrement dans la bande de Gaza ».
67 Doc. A/RES/77/247 de 2022, par. 8 (« tout emploi de la force par les forces d’occupation israéliennes contre des civils palestiniens en violation du droit international, en particulier dans la bande de Gaza ») et par. 13 (« Demande à Israël, Puissance occupante, de mettre un terme aux bouclages prolongés et aux autres restrictions à l’activité économique et à la liberté de circulation, y compris celles qui correspondent de fait à un blocus de la bande de Gaza »). Voir également, par exemple, doc. A/RES/77/187, 14e alinéa du préambule et par. 8.
68 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolutions 52/3 du 3 avril 2023, doc. A/HRC/RES/52/3 (ci-après « doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023 »), par. 19 (« toutes les zones occupées, y compris la bande de Gaza ») ; et 49/4 du 31 mars 2022, doc. A/HRC/RES/49/4 (ci-après « doc. A/HRC/RES/49/4 de 2022 »), par. 18.
69 Doc. A/77/328 de 2022, par. 19 ; Nations Unies, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 9 mai 2022, doc. A/HRC/50/21, (ci-après « doc. A/HRC/50/21 de 2022 »), par. 16.
70 Doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019, par. 64-67.
71 Report of the detailed findings of the Independent Commission of Inquiry established pursuant to Human Rights Council Resolution S-21/1, UN Doc. A/HRC/29/CRP.4, 24 June 2015 (ci-après « doc. A/HRC/29/CRP.4 de 2015 »), par. 26-31.
72 Nations Unies, rapport de la mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza, 25 septembre 2009, doc. A/HRC/12/48, (ci-après « doc. A/HRC/12/48 de 2009 »), par. 276-279.
73 Voir, par exemple, Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, John Dugard, 21 janvier 2008, doc. A/HRC/7/17 (ci-après « doc. A/HRC/7/17 de 2008 »), par. 11.
74 Comité international de la Croix-Rouge (CICR), « Que dit le droit des responsabilités de la Puissance occupante dans le territoire palestinien occupé ? », 28 mars 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/document/ dih-et-responsabilites-de-la-puissance-occupante-dans-territoire-palestinien).
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29. Selon le droit international coutumier, tel qu’il est reflété à l’article 42 du règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention de La Haye, un territoire est considéré comme occupé « lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie » et l’occupation « ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer »75. Un territoire est occupé lorsque des forces étrangères ont le « contrôle effectif » de celui-ci76. Telle est bien la situation de Gaza, où Israël contrôle notamment l’espace aérien et les zones maritimes, les points de passages terrestres du territoire, les infrastructures civiles dont l’approvisionnement en eau et en électricité et les fonctions gouvernementales essentielles, telles que la gestion du registre de la population palestinienne, ce à quoi s’ajoutent une surveillance constante au moyen de drones (aussi utilisés pour lancer des attaques qui tuent et blessent des civils) et le maintien d’une zone tampon ou zone d’exclusion militaire s’étendant sur 1,5 kilomètre vers l’intérieur de Gaza77.
30. Israël exerce un contrôle effectif malgré son soi-disant « désengagement » de Gaza. Un territoire peut rester occupé, alors même que les forces étrangères s’en sont retirées78. Pour qu’une telle situation existe, il suffit que les celles-ci « p[uiss]ent à tout moment de leur choix prendre le contrôle physique de n’importe quelle partie du pays »79, que la puissance occupante soit « en mesure de substituer sa propre autorité à celle de la puissance occupée » et que, « pour imposer son autorité, … elle p[uisse] … envoyer [des forces] dans un délai raisonnable »80. Telle est la position dans laquelle Israël se trouve à l’égard de Gaza. Il est en mesure d’y redéployer des troupes si et quand il le veut, ce qu’il a fait pendant des opérations militaires, ainsi que, de manière continue, afin de détruire les terres et les infrastructures agricoles dans la zone tampon81. Pour se « désengager » de Gaza, Israël s’est contenté de changer les moyens par lesquels il y exerce son contrôle. Celui-ci, qui consistait auparavant en une présence dans Gaza, s’exerce désormais, notamment, à travers
75 Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre annexé à la quatrième convention de La Haye du 18 octobre 1907 (ci-après le « règlement de La Haye »), art. 42 ; avis consultatif sur le mur, p. 167, par. 78.
76 Voir Lieblich et Benvenisti, Occupation in International Law (2022), p. 9.
77 Voir doc. A/77/328 de 2022, par. 19 ; doc. A/HRC/29/CRP.4 de 2015, par. 29 ; doc. A/HRC/12/48 de 2009, par. 278 ; doc. A/HRC/7/17 de 2008, par. 11 ; doc. A/HRC/15/21 de 2010, par. 64 ; Nations Unies, rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, 8 juin 2007, doc. A/61/500/Add.1, par. 22 ; rapport du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, 24 septembre 2007, doc. A/62/360, par. 44 ; « “Worry and fear”: Incessant Israeli drones heighten Gaza anxiety », Al-Monitor, 30 septembre 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.al-monitor.com/originals/2022/09/ worry-and-fear-incessant-israeli-drones-heighten-gaza-anxiety). En ce qui concerne les zones tampon ou d’exclusion militaire et les zones d’interdiction de la pêche à Gaza, voir infra, par. 56 e) i) et 56 e) ii).
78 Voir Dinstein, The International Law of Belligerent Occupation (2e édition, 2019), p. 298-302, par. 851-858 ; doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019, par. 64 ; doc. A/HRC/29/CRP.4 de 2015, par. 26-27.
79 The United States of America v. Wilhelm List and others (“The Hostage Case”), Judgment, 19 February 1948, in Trials of War Criminals before the Nuernberg Military Tribunals under Control Council Law No. 10, vol. XI (1950), p. 1243.
80 TPIY, Le Procureur c/ Naletilić et Martinović, IT-98-34-T, Chambre de première instance, Jugement, 31 mars 2003, par. 217.
81 En ce qui concerne les opérations militaires, voir, par exemple, doc. A/HRC/12/48 de 2009, par. 29 ; doc. A/HRC/29/CRP.4 de 2015, par. 58. En ce qui concerne les incursions continues des forces israéliennes dans la zone tampon pour détruire les terres et les infrastructures agricoles, voir, par exemple, Al Mezan Center for Human Rights, « The Gaza Bantustan — Israeli Apartheid in the Gaza Strip » (2021) (ci-après « Al Mezan, “The Gaza Bantustan” (2021) ») (accessible à l’adresse suivante : https://www.mezan.org/uploads/files/16381763051929.pdf), p. 24-25 (où il est fait mention de 886 incursions menées entre 2010 et 2021) ; Nations Unies, note du Secrétaire général concernant les répercussions économiques et sociales de l’occupation israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe du Golan syrien occupé, 8 juin 2022, doc. A/77/90-E/2022/66 (ci-après « doc. A/77/90-E/2022/66 de 2022 »), par. 50 ; doc. A/76/333 de 2021, par. 46.
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l’encerclement et le confinement physiques du territoire et de ses habitants, et le recours à la violence pour faire respecter ce confinement
82.
b) L’illicéité de l’occupation dans son ensemble
31. C’est au regard du jus ad bellum que l’illicéité d’une occupation en droit international s’apprécie. Comme l’a affirmé le CICR, la « légalité de toute occupation est régie par la Charte des Nations Unies et la branche du droit connue sous le nom de jus ad bellum »83. Le jus ad bellum permet de déterminer si l’établissement initial d’une occupation est licite. Il permet également d’établir quand une occupation initialement licite devient illicite.
32. Au regard du jus ad bellum, une occupation constitue, prima facie, un emploi illicite de la force et un acte d’agression84. Une occupation n’est licite que si une justification, telle que la légitime défense, est établie85. L’État qui cherche à invoquer la légitime défense doit, pour établir celle-ci, démontrer que son emploi de la force est une riposte à la fois nécessaire et proportionnée à l’attaque armée subie86. Même s’il est à l’origine nécessaire et proportionné, un usage de la force cesse d’être justifié par la légitime défense dès lors que l’une de ces deux conditions n’est plus remplie. Le fait qu’un emploi initialement licite de la force puisse se prolonger de manière excessive et ne plus remplir les conditions de la légitime défense découle de l’énoncé formulé par la Cour en l’affaire des affaires militaires et paramilitaires, selon lequel « la réaction des Etats-Unis, dans le cadre de ce que ce pays considère comme l’exercice d’une légitime défense collective, s’est poursuivie longtemps après la période durant laquelle toute agression armée supposée de la part du Nicaragua pourrait raisonnablement être envisagée »87. Il s’agissait là de l’une des raisons pour lesquelles le comportement des États-Unis ne pouvait se justifier comme étant l’exercice de la légitime défense collective. Il peut, de même, arriver qu’une occupation se poursuive trop longtemps et cesse de remplir les conditions de la légitime défense. Même si une occupation constitue initialement un emploi nécessaire et proportionné de la force à des fins de légitime défense, dès lors que l’une de ces deux conditions n’est plus remplie, la puissance occupante est tenue de prendre des mesures visant à mettre fin à son occupation et in fine d’y mettre fin , puis de quitter le territoire qu’elle occupe88. Si elle ne le fait pas et poursuit au contraire son occupation, celle-ci devient illicite.
82 Voir infra, par. 56 e) i)-56 e) ii) s’agissant de l’emploi excessif de la force, dont la force meurtrière, contre des civils à Gaza.
83 CICR, « L’occupation et le droit international humanitaire : questions et réponses », 13 août 2004 (accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/doc/resources/documents/misc/63td88.htm). Voir également Lieblich et Benvenisti, Occupation in International Law (2022), p. 32-33.
84 Voir Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, entrée en vigueur le 24 octobre 1945 (ci-après la « Charte des Nations Unies »), art. 2, par. 4 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974, doc. A/RES/3314 (XXIX) (ci-après « doc. A/RES/3314 (XXIX) de 1974 »), annexe : « Définition de l’agression », art. 3, al. a).
85 Voir Charte des Nations Unies, art. 51.
86 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 94, par. 176 ; et p. 122-123, par. 237 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 245, par. 41 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 198-199, par. 76-77 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 223, par. 147.
87 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 122-123, par. 237 (les italiques sont de nous).
88 Voir également Gray, International Law and the Use of Force (4e édition, 2018), p. 164 ; Wilde, « Using the Master’s Tools to Dismantle the Master’s House: International Law and Palestinian Liberation », The Palestine Yearbook of International Law (2021), vol. 22, no 1, p. 25-26 ; Lieblich et Benvenisti, Occupation in International Law (2022), p. 32-33.
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33. L’occupation du territoire palestinien par Israël en juin 1967 est intervenue en conséquence d’un emploi de la force contre l’Égypte et la Jordanie89, qui occupaient alors ledit territoire. En octobre 1977, l’Assemblée générale a adopté la position selon laquelle l’occupation du territoire palestinien par Israël avait été illicite dès le début. Dans sa résolution 32/20, elle se disait « [p]rofondément préoccupée de ce que les territoires arabes occupés depuis 1967 demeur[ai]ent depuis plus de dix ans sous l’occupation illégale d’Israël »90. Ainsi, l’occupation était, dès l’origine, illicite et continue de l’être. Même si la Cour devait décider de ne pas se prononcer sur la licéité de l’emploi initial de la force par Israël, en tout état de cause, l’occupation est aujourd’hui illicite : les conditions de nécessité et de proportionnalité ne sont plus réunies depuis bien longtemps91. Elles ont cessé d’être remplies, au plus tard, lorsqu’Israël a conclu des traités de paix avec l’Égypte et la Jordanie92, respectivement en 1979 et en 199493. Israël a donc, depuis fort longtemps, l’obligation de mettre fin à son occupation, mais il n’en a rien fait. Son occupation prolongée, dans son ensemble, est en conséquence illicite et constitue un acte d’agression.
34. En outre, le blocus maritime de Gaza imposé par Israël constitue lui aussi un emploi illicite de la force et un acte d’agression94. À cet égard, le blocus revêt le même caractère que l’occupation dans son ensemble, celui d’un acte illicite contraire au jus ad bellum.
2. Implantation de colonies
35. La pratique d’Israël consistant à installer ses propres ressortissants dans la Cisjordanie occupée (y compris Jérusalem-Est)95, le déplacement forcé généralisé des Palestiniens ainsi que l’appropriation et la destruction de leurs biens afin d’établir et d’étendre ces colonies constituent des violations manifestes du droit international. D’après un rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de 2023, près de 700 000 colons israéliens vivent en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, dans 279 colonies96. Les propositions visant à étendre ces
89 Voir également avis consultatif sur le mur, p. 167, par. 78 ; et p. 177, par. 101.
90 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 32/20 du 25 novembre 1977, doc. A/RES/32/20 (ci-après « doc. A/RES/32/20 de 1977 »), quatrième alinéa du préambule (les italiques sont de nous). Voir également Assemblée générale, résolutions 33/29 du 7 décembre 1978, doc. A/RES/33/29, quatrième alinéa du préambule ; 34/70 du 6 décembre 1979, doc. A/RES/34/70, cinquième alinéa du préambule ; 35/122 E du 11 décembre 1980, doc. A/RES/35/122 E, deuxième alinéa du préambule ; et 35/207 du 16 décembre 1980, doc. A/RES/35/207, troisième alinéa du préambule.
91 En 1980, le Conseil de sécurité a reconnu la nécessité qu’Israël mette fin à son occupation du territoire palestinien. Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 471 du 5 juin 1980, doc. S/RES/471 (ci-après « doc. S/RES/471 (1980) »), par. 6 (« Réaffirme la nécessité primordiale de mettre fin à l’occupation prolongée des territoires arabes occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem ») ; 476 du 30 juin 1980, doc. S/RES/476 (ci-après « doc. S/RES/476 (1980) »), par. 1. Voir également A/HRC/RES/49/4 de 2022, par. 1 (« Exige qu’Israël, Puissance occupante, se retire des territoires palestiniens occupés depuis 1967, y compris Jérusalem-Est ») ; doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 1 (« Exige qu’Israël, Puissance occupante, mette un terme à son occupation des territoires palestiniens occupés depuis 1967, y compris Jérusalem-Est »).
92 Voir également Benvenisti, The International Law of Occupation (2e édition, 2012), p. 245-246.
93 Traité de paix entre la République arabe d’Égypte et l’État d’Israël, 26 mars 1979, RTNU, vol. 1136, p. 101 ; traité de paix entre l’État d’Israël et le Royaume hachémite de Jordanie, 26 octobre 1994, RTNU, vol. 2042, p. 351.
94 Voir Charte des Nations Unies, art. 2, par. 4 ; « Définition de l’agression », alinéa c) de l’article 3, joint en annexe à la résolution A/RES/3314 (XXIX) de 1974. Voir également infra, note 189 sur le blocus maritime.
95 Israël a retiré ses colons de Gaza en 2005. Voir supra, par. 27.
96 Nations Unies, rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme concernant les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 mars 2023, doc. A/HRC/52/76 (ci-après « doc. A/HRC/52/76 de 2023 »), par. 5 (où sont citées des sources qui fournissent des données se rapportant à la période 2019-2021).
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activités de colonisation se multiplient à un rythme sans précédent, le nombre de projets et d’appels d’offres ayant augmenté de près de 30 % en 2022 par rapport à l’année précédente
97.
36. De nombreux organes de l’ONU, dont le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme, ont, de manière répétée et constante, déclaré que ces colonies n’avaient « aucune validité en droit », étaient « illégales » et constituaient une « violation flagrante » du droit international98. En particulier, le transfert par une puissance occupante d’une partie de sa propre population civile dans le territoire qu’elle occupe emporte clairement violation du sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève et du droit international coutumier, et constitue un crime de guerre99. Cette violation, reconnue comme telle de longue date par l’Organisation des Nations Unies, a été confirmée par la Cour dans l’avis consultatif de 2004 sur le mur, où celle-ci a conclu, sur cette base, que de telles colonies « [avaie]nt été [installées] en méconnaissance du droit international »100.
37. Le déplacement forcé de Palestiniens à l’intérieur du Territoire palestinien occupé — dans lequel Israël prend des mesures afin de faciliter l’établissement et l’expansion des colonies et d’assurer son contrôle sur les terres et les autres ressources naturelles palestiniennes — constitue aussi une violation du premier alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève et du droit
97 Union européenne, « Report on Israeli settlements » (2023) (accessible à l’adresse suivante : https://www. eeas.europa.eu/sites/default/files/documents/2023/One-Year%20Report%20on%20Israeli%20Settlements%20in%20the%20occupied%20West%20Bank%2C%20including%20East%20Jerusalem%20%28Reporting%20period%20January%20-%20December%202022%29.pdf).
98 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 446 du 22 mars 1979, doc. S/RES/446 (ci-après « doc. S/RES/446 (1979) »), par. 1 ; 452 du 20 juillet 1979, doc. S/RES/452, (ci-après « doc. S/RES/452 (1979) »), troisième alinéa du préambule ; 465 du 1er mars 1980, doc. S/RES/465 (ci-après « doc. S/RES/465 (1980) »), par. 5 ; et 2334 du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334 (ci-après « doc. S/RES/2334 (2016) »), par. 1 ; Assemblée générale, résolutions 34/90 C du 12 décembre 1979, doc. A/RES/34/90 (ci-après « doc. A/RES/34/90 C de 1979 »), par. 1-2 ; et 77/126 du 12 décembre 2022, doc. A/RES/77/126 (ci-après « doc. A/RES/77/126 de 2022 »), par. 1 et 13-14 ; voir également doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 4 et 7 ; et doc. A/HRC/RES/49/29 de 2022, par. 1.
99 Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 12 août 1949, entrée en vigueur le 21 octobre 1950, RTNU, vol. 75, p. 287 (ci-après la « quatrième convention de Genève »), sixième alinéa de l’article 49 : « La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle. » Voir également le protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I), 8 juin 1977, entré en vigueur le 7 décembre 1978, RTNU, vol. 1125, p. 3 (ci-après le « protocole I »), alinéa a) du paragraphe 4 de l’article 85) ; et Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, entré en vigueur le 1er juillet 2002, RTNU, vol. 2187, p. 3 (ci-après le « Statut de Rome »), par. 2 b) viii) de l’article 8, qui revêtent l’un et l’autre un caractère coutumier : CICR, « Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles » (2005) (ci-après « CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005) »), règle 129. Le droit international humanitaire s’applique dans le Territoire palestinien occupé : avis consultatif sur le mur, p. 172-177, par. 89-101 ; doc. S/RES/465 (1980), quatrième alinéa du préambule ; doc. A/RES/77/126 de 2022, septième alinéa du préambule et par. 2 ; doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, sixième et huitième alinéas du préambule. Israël est partie à la quatrième convention de Genève (qu’il a ratifiée le 6 juillet 1951, voir https://treaties.un.org/Pages/showDetails.aspx?objid=0800000280158b1a&clang=_fr). Le règlement de La Haye revêt un caractère coutumier : avis consultatif sur le mur, p. 172, par. 89.
100 Avis consultatif sur le mur, p. 183-184, par. 120 ; et p. 192, par. 134.
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international, ainsi qu’un crime de guerre
101. Un tel déplacement interne forcé relève en outre du crime contre l’humanité (à raison duquel la responsabilité internationale des États et des individus peut être engagée) que constituent la déportation ou le transfert forcé ainsi que la persécution102. Sur ce point, la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a indiqué ce qui suit :
« Israël a créé et maintient un environnement coercitif complexe, caractérisé notamment par la destruction d’habitations et de biens, l’emploi excessif de la force par les forces de sécurité, l’incarcération massive, les violences des colons, la restriction des déplacements aux points de contrôle et sur les routes, et les contraintes qui réduisent l’accès aux moyens de subsistance, aux produits de première nécessité, aux services et à l’aide humanitaire. … Lorsque des personnes quittent leur domicile du fait de cette coercition, celle-ci peut constituer un élément du crime de déportation ou de transfert forcé de population, crime contre l’humanité visé au paragraphe 1 d) de l’article 7 du Statut de Rome. »103
Elle a conclu en ces termes :
« [L]es politiques examinées dans le présent rapport, lesquelles ont contribué au déplacement forcé de la population palestinienne qui vivait dans certaines zones, modifié la composition démographique du Territoire palestinien occupé et abouti à l’encerclement presque total des communautés palestiniennes par des colonies israéliennes, sont susceptibles de constituer le crime de déportation ou de transfert forcé
101 Quatrième convention de Genève, premier alinéa de l’article 49 : « Les transferts forcés, en masse ou individuels … sont interdits, quel qu’en soit le motif. » Cette interdiction de transfert de la population d’un territoire occupé est assortie d’une seule exception, énoncée au deuxième alinéa de l’article 49, soit « si la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent », cas de figure qui ne s’applique pas aux transferts forcés de Palestiniens qui visent à faciliter la construction et l’expansion des colonies. Voir également CICR, « Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre — Commentaire de 1958 » (ci-après « CICR, quatrième convention de Genève — Commentaire de 1958) »), p. 279. Voir en outre quatrième convention de Genève, art. 147 ; protocole I, alinéa a) du paragraphe 4 de l’article 85 (« la déportation ou le transfert à l’intérieur … du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire, en violation de l’article 49 de la IVe Convention » constitue une infraction grave), lequel revêt un caractère coutumier (CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 129) ; Statut de Rome, par. 2 a) vii) et 2 b) viii) de l’article 8 ; Zimmermann in Sandoz et al. (sous la dir. de), « Commentaire sur les Protocoles additionnels » (1987), p. 1024 (note 28) (« l’alinéa 1 [de l’article 49] exclut aussi les transferts forcés à l’intérieur du territoire occupé ») ; Dörmann in Triffterer et Ambos (sous la dir. de), Rome Statute of the International Criminal Court: A Commentary (3e édition, 2016), p. 347 (« L’article 49 de la quatrième convention de Genève interdit tout transfert forcé, y compris à l’intérieur de territoires occupés »). Voir également doc. A/77/501 de 2022, par. 12 ; doc. A/HRC/52/76 de 2023, par. 49 ; Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, 19 octobre 2016, doc. A/71/554, par. 34 ; rapport du Secrétaire général concernant les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 25 août 2014, doc. A/69/348, (ci-après « doc. A/69/348 de 2014 »), par. 16. Voir aussi doc. A/HRC/52/35 de 2023, par. 6, al. b).
102 Voir, par exemple, Projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2019, vol. II, deuxième partie (ci-après « CDI, Projet d’articles sur les crimes contre l’humanité »), paragraphes 1 d) et 2 d) de l’article 2, qui mentionnent la notion de « [d]éportation ou [de] transfert forcé de population » parmi les éléments définis comme constitutifs de crime contre l’humanité, reprenant la définition donnée par les paragraphes 1 d) et 2 d) de l’article 7 du Statut de Rome. En ce qui concerne la responsabilité des États pour des actes constitutifs de crimes contre l’humanité, voir ibid., paragraphe 1 de l’article 3 : « Tout État a l’obligation de ne pas se livrer à des actes constitutifs de crimes contre l’humanité. »
103 Doc. A/77/328 de 2022, par. 55 et 57 (références omises). Voir aussi les nombreux rapports de l’ONU où ont été formulées à maintes reprises des préoccupations concernant la pratique du déplacement forcé de Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé : voir, par exemple, doc. A/HRC/52/76 de 2023, par. 49-55, qui évoque des cas concrets de transfert forcé et renvoie à d’autres rapports de l’ONU. Des organisations non gouvernementales adoptent également la position selon laquelle le transfert forcé constitue un crime contre l’humanité : voir, par exemple, Amnesty International, « Israël : L’apartheid israélien envers le peuple palestinien » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https:// www.amnesty.org/fr/documents/mde15/5141/2022/fr/), p. 23 ; Written Statement submitted by Badil Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights to the Human Rights Council Sixth Session, 30 November 2007 (accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-189041/).
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de population, crime contre l’humanité visé au paragraphe 1 d) de l’article 7 du Statut de Rome. Ces politiques semblent relever d’une action intentionnelle, généralisée et systématique dirigée contre la population palestinienne pour la contraindre à quitter certaines parties de la Cisjordanie de façon à en modifier la composition démographique. Ces actes peuvent également constituer le crime de persécution, crime contre l’humanité visé au paragraphe 1 h) de l’article 7 du Statut de Rome. »
104
38. De même, le rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard a fait état du « régime institutionnalisé d’oppression raciale et de discrimination systématique qui a[vait] conduit à la destruction de logements palestiniens » et souligné que « le déni intentionnel et grave du droit fondamental au logement, en violation du droit international, en raison du transfert forcé de population, p[ouvai]t également répondre à la définition de la persécution donnée à l’article 7 (alinéa g) du paragraphe 2 » du Statut de Rome105.
39. L’appropriation et la destruction des biens palestiniens publics et privés auxquelles se livre actuellement Israël en exécution de ses politiques et pratiques de colonisation contreviennent à l’article 53 de la quatrième convention de Genève (qui interdit la destruction de biens privés ou publics sauf dans les cas où ces destructions « seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires ») et aux articles 46 et 52 du règlement de La Haye (interdisant la confiscation de la propriété privée et limitant les réquisitions), qui reflètent le droit international coutumier106. Lorsqu’ils ne sont pas justifiés par des nécessités militaires et sont exécutés sur une grande échelle, de façon illicite et arbitraire, de tels actes constituent un crime de guerre107. Dans l’avis consultatif sur le mur, la Cour a constaté des violations de ces dispositions à raison des actes de « destruction ou [de] réquisition de propriétés » liés à la construction du mur de séparation — mesure visant à soutenir et à maintenir les colonies — et a conclu qu’Israël était tenu de restituer les biens ou, au cas où une telle restitution s’avérerait matériellement impossible, de procéder à une indemnisation pour tout préjudice matériel108. Des violations similaires continuent d’être commises à raison de l’établissement et de l’extension par Israël des colonies proprement dites, et de son autorisation rétroactive d’avant-postes établis par des particuliers israéliens109.
104 Doc. A/77/328 de 2022, par. 86.
105 Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard, Balakrishnan Rajagopal, 19 juillet 2022, doc. A/77/190 (ci-après « doc. A/77/190 de 2022 »), par. 45.
106 Quatrième convention de Genève, art. 53 (« Il est interdit à la Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’état ou à des collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires ») ; règlement de La Haye, art. 46 (« la propriété privée … doi[]t être respecté[e]. La propriété privée ne peut pas être confisquée »), et art. 52 (« Des réquisitions en nature et des services ne pourront être réclamés des communes ou des habitants, que pour les besoins de l’armée d’occupation »). Voir aussi art. 55 (qui oblige la Puissance occupante, en tant qu’« administrateur et usufruitier », à sauvegarder certains biens immobiliers publics se trouvant dans le territoire occupé et à les administrer « conformément aux règles de l’usufruit ») ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 51. En ce qui concerne la destruction de biens par des civils (colons israéliens), y compris lorsqu’elle est facilitée par les forces israéliennes, voir infra, par. 56 b) (attaques par des colons), par. 86 et note 303 (obligation de faire respecter le droit international humanitaire), et la règle coutumière reflétée à l’article 43 du règlement de La Haye (qui oblige une puissance occupante à rétablir et à assurer l’ordre et la vie publics dans le territoire occupé) ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 231, par. 178 ; p. 243, par. 217 ; et p. 244, par. 219.
107 Quatrième convention de Genève, art. 147 ; Statut de Rome, paragraphe 2 a) iv) de l’article 8.
108 Avis consultatif sur le mur, p. 189, par. 132 ; et p. 198, par. 152-153.
109 En ce qui concerne les avant-postes en particulier, voir doc. A/77/328 de 2022, par. 26-30 ; Nations Unies, Conseil de sécurité, déclaration de sa présidente en date du 20 février 2023, doc. S/PRST/2023/1, par. 3 et 5.
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40. Les pratiques israéliennes de colonisation consistent également à autoriser et à encourager, y compris à l’aide de mesures d’incitation, des entreprises privées à exercer leurs activités en Cisjordanie110. L’appropriation et l’extraction des ressources naturelles de la Cisjordanie par des entreprises privées à des fins lucratives constituent un pillage111, acte que prohibent le deuxième alinéa de l’article 33 de la quatrième convention de Genève et le droit international coutumier (tel que reflété à l’article 47 du règlement de La Haye), ainsi qu’un crime de guerre112. Israël agit au mépris de l’obligation qui lui est faite de prendre des mesures appropriées pour prévenir le pillage des ressources naturelles par des particuliers, et ce, en autorisant et en encourageant, y compris à l’aide de mesures d’incitation, de telles activités et en percevant des redevances au titre de celles-ci113. Un tel comportement constitue en outre un manquement de la part d’Israël à l’obligation qui lui incombe en tant que puissance occupante au regard du droit international coutumier d’agir uniquement en tant qu’administrateur et usufruitier des biens immobiliers publics se trouvant dans le territoire occupé114.
41. Ces pratiques et politiques de colonisation s’inscrivent dans une série plus vaste de mesures et de dispositions administratives et législatives adoptées par Israël afin de modifier la composition démographique de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est115. Ces mesures et dispositions ont été à plusieurs reprises considérées par différents organes de l’ONU — notamment le Conseil de sécurité, dans des décisions obligatoires — comme étant « nulles et non avenues », n’ayant « aucune validité
110 Doc. A/77/328 de 2022, par. 36-37.
111 Ibid., par. 37 et 87 ; The State of Palestine, « It is Apartheid: The Reality of Israel’s Colonial Occupation of Palestine » (2020) (ci-après « The State of Palestine, “It is Apartheid” (2020) ») (accessible à l’adresse suivante : http:// www.dci.plo.ps/files/It%20is%20Apartheid%20%20NAD-PLO.pdf), p. 26.
112 Quatrième convention de Genève, deuxième alinéa de l’article 33 (« Le pillage est interdit ») ; règlement de La Haye, art. 47 (« Le pillage est formellement interdit ») ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 52. Voir également Statut du Tribunal militaire international (tribunal de Nuremberg) (accessible à l’adresse suivante : https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%2082/v82.pdf), art. 6, al. b) (où « le pillage des biens publics ou privés » figure en tant que crime de guerre) ; Statut de Rome, paragraphe 2 b) xvi) de l’article 8. Le pillage désigne l’appropriation ou l’obtention de biens publics ou privés par une personne (« le fait de combattants ou de civils ») pour un usage privé sans le consentement du propriétaire et lorsque cela n’est pas justifié par le droit international humanitaire : CICR, commentaire de la première convention de Genève (2e édition, 2016), art. 15, par. 1494-1496.
113 Voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 252-253, par. 245 et 248-250, s’agissant de la responsabilité de l’Ouganda pour n’avoir pas empêché le pillage des ressources naturelles par des personnes privées dans le district occupé de l’Ituri (RDC) et pour avoir favorisé de tels actes par le biais d’entités commerciales. La Cour a fondé la responsabilité de l’Ouganda sur l’obligation qui incombe aux puissances occupantes en vertu de l’article 43 du règlement de La Haye de rétablir et d’assurer l’ordre et la vie publics dans le territoire occupé. La mise en oeuvre de mesures appropriées pour empêcher le pillage par des personnes privées dans le territoire occupé est également requise au regard de l’obligation, prévue par l’article premier commun aux quatre conventions de Genève et par le droit international coutumier, de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire en toutes circonstances (sur ce point, voir infra, par. 86). Voir également CICR, quatrième convention de Genève — Commentaire de 1958, p. 226-227, où il est indiqué que l’article 33 de la quatrième convention de Genève interdit expressément de donner l’autorisation de piller en disposant comme suit : « Les Hautes Parties contractantes s’interdisent d’ordonner aussi bien que d’autoriser le pillage. Elles s’obligent de surcroît à empêcher et, le cas échéant, à réprimer le pillage individuel. … [Cette interdiction] garantit toutes les catégories de biens, les propriétés de personnes privées comme celles des collectivités ou de l’État. »
114 Règlement de La Haye, art. 55 ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 51 b) (« la propriété publique immobilière doit être administrée conformément à la règle de l’usufruit ») ; doc. A/77/328 de 2022, par. 40.
115 En ce qui concerne d’autres mesures israéliennes de même nature, voir point B.3 ci-après sur l’annexion, et partie C sur les mesures discriminatoires connexes.
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en droit » et constituant une « violation flagrante » de la quatrième convention de Genève
116. De la même manière, la Cour, dans son avis consultatif sur le mur, a confirmé que, en contribuant aux changements démographiques, le mur et le régime qui lui est associé, dont les colonies et les mesures connexes ayant entraîné le déplacement de Palestiniens, constituaient une violation du droit international humanitaire et des résolutions obligatoires du Conseil de sécurité117.
42. En outre, les politiques et pratiques connexes mises en place par Israël pour maintenir et renforcer l’expansion des colonies illicites sont discriminatoires et portent atteinte à un grand nombre de droits humains fondamentaux du peuple palestinien, tel que cela est exposé en détail dans la partie C ci-dessous.
3. Annexion
43. Cette partie présente l’interdiction de l’annexion (voir le point a)), avant de traiter de la question de savoir si Jérusalem-Est, le reste de la Cisjordanie et Gaza ont été annexés par Israël (voir les points b) et c)).
a) L’interdiction de l’annexion du territoire palestinien
44. L’interdiction de l’annexion au regard du droit international découle du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, qui énonce que « [l]es Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. » Le corollaire de cette disposition est que l’acquisition de territoire résultant de l’emploi de la force est illicite118. Les principes relatifs à l’emploi de la force énoncés au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte autant que l’interdiction corollaire de l’acquisition de territoire par la force reflètent le droit international coutumier119. Dans la déclaration relative aux relations amicales de 1970, les États ont réaffirmé que « [n]ulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera[it] reconnue comme légale »120. Contrairement à la position qui prévalait par le passé, selon les principes énoncés au paragraphe 4 de
116 Voir, par exemple, Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/RES/446 (1979), par. 1 et 3 ; doc. S/RES/465 (1980), par. 5-6 ; doc. S/RES/471 (1980), quatrième alinéa du préambule, et voir également par. 4 ; note de son président en date du 17 novembre 1976, doc. S/12233 (ci-après « doc. S/12233 (1976) »), par. 3-4 ; doc. S/RES/2334 (2016), quatrième alinéa du préambule et par. 1 ; Assemblée générale, doc. A/RES/34/90 C de 1979, deuxième alinéa du préambule et par. 1 et 4 ; résolutions ES-7/6 du 19 août 1982, doc. A/RES/ES-7/6 (ci-après « doc. A/RES/ES-7/6 de 1982 »), par. 4 a) ; ES-10/14 du 8 décembre 2003, doc. A/RES/ES-10/14 (ci-après « doc. A/RES/ES-10/14 de 2003 »), 13e alinéa du préambule. Voir aussi doc. A/HRC/52/76 de 2023, par. 5.
117 Avis consultatif sur le mur, p. 192, par. 134, où la Cour, se référant au paragraphe 120, p. 183-184 (colonies), et au paragraphe 133, p. 189-191 (restrictions à la liberté de circulation et autres conséquences contraignant les Palestiniens à quitter certaines zones), a conclu que les mesures ayant contribué aux changements démographiques étaient contraires au sixième alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève et aux résolutions obligatoires S/RES/446 (1979), S/RES/452 (1979) et S/RES/465 (1980) adoptées par le Conseil de sécurité.
118 Ibid., p. 171, par. 87.
119 Ibid.
120 Déclaration relative aux relations amicales, cinquième principe, dixième paragraphe.
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l’article 2 de la Charte, un État ne peut acquérir un titre par la conquête, c’est-à-dire par l’occupation, la subjugation et l’annexion
121. L’annexion est, de fait, un acte d’agression122.
45. L’annexion peut être effectuée au moyen d’une déclaration formelle à cet effet. Toutefois, elle peut aussi intervenir en l’absence d’une telle déclaration. Un territoire est annexé lorsqu’un État a « clairement manifesté son intention de maintenir ledit territoire, de façon permanente, sous son autorité »123. Une telle intention peut « se manifester implicitement, par exemple par l’exercice sur une longue période continue, sans interruption, des fonctions qui sont habituellement assumées par un souverain »124. Ainsi que la Cour l’a indiqué dans l’avis consultatif sur le mur, la permanence des mesures prises par la puissance occupante est susceptible de prouver cette intention125. Une annexion attestée par de telles mesures, contrairement à celle résultant d’une déclaration officielle, peut être qualifiée d’« annexion de facto »126.
46. Israël n’a évidemment pas acquis la souveraineté sur la Cisjordanie ou Gaza lorsqu’il a envahi le territoire palestinien en 1967. Compte tenu des modes d’acquisition qui étaient alors admis, il n’existe aucune base sur laquelle Israël aurait pu acquérir la souveraineté sur ce territoire127. De plus, ladite acquisition était impossible eu égard au « statut international » du territoire concerné128. En 1967, la souveraineté sur le territoire palestinien, en tant qu’ancien territoire sous mandat, était « en suspens »129. Ce n’était que « si les habitants du territoire obt[enai]ent que ce territoire [fût] reconnu comme un État indépendant » — l’État de Palestine — « et quand cette reconnaissance a[vait] lieu, [que] la souveraineté revi[vai]t et … [était] confiée au nouvel État »130. Dans l’avis
121 Voir Jennings, Acquisition of Territory in International Law (1963), p. 52-56 ; Phillipson, Termination of War and Treaties of Peace (1916), p. 9-10. L’annexion est également interdite au regard du jus in bello. Voir CICR, quatrième convention de Genève — Commentaire de 1958, commentaire sur l’article 47, p. 275 ; Dinstein, War, Aggression and Self-Defence (6e édition, 2017), p. 190, par. 511.
122 « Définition de l’agression », alinéa a) de l’article 3, joint en annexe à la résolution A/RES/3314 (XXIX) de 1974.
123 Phillipson, Termination of War and Treaties of Peace (1916), p. 9. Voir également Jennings, Acquisition of Territory in International Law (1963), p. 52 : « au-delà de la simple prise de possession physique du territoire, il faut aussi qu’il y ait une intention de l’annexer ».
124 Ibid.
125 Avis consultatif sur le mur, p. 184, par. 121.
126 Voir ibid. En ce qui concerne la distinction entre une annexion de jure et une annexion de facto, voir doc. A/77/328 de 2022, par. 12-13
(« L’annexion de jure est l’extension formelle de la souveraineté d’un État sur un territoire reconnue dans son droit interne (mais pas nécessairement en droit international). … L’annexion de facto résulte d’un processus graduel ou progressif, et il n’est pas toujours évident de déterminer à quel moment le seuil a été franchi. La transition passe par des “faits sur le terrain” qui sont destinés à être irréversibles et permanents, mais qui sont accomplis de manière à éviter toute déclaration formelle et à échapper à toute répercussion diplomatique ou politique. »)
Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Michael Lynk, 22 octobre 2018, doc. A/73/447 (ci-après « doc. A/73/447 de 2018 »), par. 29-30.
127 Ces modes d’acquisition sont a) l’occupation d’une terra nullius, b) la prescription (acquiescement du souverain existant à des actes accomplis à titre de souverain par un autre État) ; c) la cession ; et d) l’accrétion. Même s’il avait agi en état de légitime défense, Israël n’aurait pu acquérir le territoire palestinien. Voir Jennings, Acquisition of Territory in International Law (1963), p. 53-56.
128 Voir supra, par. 15.
129 Statut international du Sud-Ouest africain, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, opinion individuelle de Sir Arnold McNair, p. 150.
130 Ibid.
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consultatif sur le mur, la Cour est partie du principe qu’Israël n’avait pas acquis la souveraineté sur le territoire palestinien, considérant que la Cisjordanie avait été « occupé[e] par Israël en 1967 »
131.
b) L’annexion de Jérusalem-Est
47. Il ne fait aucun doute qu’Israël a par la suite procédé à l’annexion de Jérusalem-Est en violation du droit international132. En juin 1967, Israël a étendu ses lois, sa juridiction et son administration pour couvrir Jérusalem-Est et les villages environnants, repoussant le périmètre de la municipalité israélienne de Jérusalem afin d’y inclure ces zones133. L’illicéité de l’annexion de Jérusalem-Est par Israël a été reconnue par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité de l’ONU. Dans sa résolution 2253 (ES-V), l’Assemblée générale considérait que les mesures prises par Israël pour modifier le statut de Jérusalem étaient « non valides » et lui demandait de les rapporter134. Dans la résolution 242 (1967), le Conseil de sécurité a pour sa part « [s]oulign[é] l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre » et « [s]oulign[é] en outre que tous les Etats Membres, en acceptant la Charte des Nations Unies, [avaie]nt contracté l’engagement d’agir conformément à l’Article 2 de la Charte »135.
48. Loi fondamentale de 1980 intitulée « Jérusalem, capitale d’Israël », proclame que « Jérusalem, entière et unifiée » est la capitale d’Israël136. L’illicéité de cet acte a une fois de plus été relevée par le Conseil de sécurité. Dans sa résolution 478 (1980), celui-ci a « [r]éaffirm[é] de nouveau que l’acquisition de territoire par la force [était] inadmissible »137. Il a ajouté que la loi fondamentale « constitu[ait] une violation du droit international » et qu’elle « n’affect[ait] pas le maintien en application de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre »138. Cette loi fondamentale, quels qu’en soient la teneur et les effets au regard du droit interne israélien, n’a en rien changé la qualité de puissance occupante qui est celle d’Israël au regard du droit international. Le Conseil de sécurité a lui aussi
« [c]onsidér[é] que toutes les mesures et dispositions législatives et administratives prises par Israël, la Puissance occupante, qui [avaie]nt modifié ou vis[ai]ent à modifier le caractère et le statut de la Ville sainte de Jérusalem, et en particulier la récente “loi
131 Avis consultatif sur le mur, p. 167, par. 78 (les italiques sont de nous).
132 Voir également doc. A/73/447 de 2018, par. 34-47.
133 Nations Unies, rapport du Secrétaire général présenté en application de la résolution 2254 (ES-V) de l’Assemblée générale relative à Jérusalem, 12 septembre 1967, doc. A/6793-S/8146, par. 39-40 ; doc. A/73/447 de 2018, par. 34. Pour une carte montrant la portion du territoire palestinien ayant été incorporée dans la municipalité israélienne de Jérusalem en 1967, voir « Le statut de Jérusalem : étude établie à l’intention et sous la direction du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien », 1997, p. 17, carte no 4 (accessible à l’adresse suivante : https://unispal.un.org/pdfs/97-24262f.pdf) ; Palestinian Academic Society for the Study of International Affairs (PASSIA), « Jerusalem after the 1967 War » (accessible à l’adresse suivante : http://passia.org/maps/view/60).
134 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2253 (ES-V) du 4 juillet 1967, doc. A/RES/2253 (ES-V) (ci-après « doc. A/RES/2253 (ES-V) de 1967 »), par. 1-2.
135 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 242 du 22 novembre 1967, doc. S/RES/242, deuxième et troisième alinéas du préambule.
136 Basic Law: Jerusalem, the Capital of Israel (1980) (accessible à l’adresse suivante : https://main.knesset.gov.il/ en/activity/pages/basiclaws.aspx), art. 1.
137 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 478 du 20 août 1980, doc. S/RES/478 (ci-après « doc. S/RES/478 (1980) »), deuxième alinéa du préambule.
138 Doc. S/RES/478 (1980), par. 2.
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fondamentale” sur Jérusalem, [étaient] nulles et non avenues et d[evai]ent être rapportées immédiatement »
139.
c) L’annexion de facto du reste de la Cisjordanie et de Gaza
49. Dans l’avis consultatif sur le mur, la Cour a fait observer que, si le mur et le régime qui lui était associé devenaient permanents, cette situation « équivaudrait à une annexion de facto »140. Le mur et le régime ayant été maintenus au cours des vingt années qui ont suivi, ces mesures sont devenues permanentes et, en conséquence, la partie de la Cisjordanie située entre la Ligne verte et le mur a fait l’objet d’une annexion de facto141.
50. En ce qui concerne le reste de la Cisjordanie, plusieurs organes et procédures spéciales de l’Organisation des Nations Unies considèrent que l’intégralité de la Cisjordanie a fait l’objet d’une annexion de facto. Le Conseil des droits de l’homme, par exemple, a maintes fois « [r]éaffirm[é] le principe de l’inadmissibilité de l’acquisition d’un territoire par la force » et exprimé ses préoccupations à l’égard de la fragmentation du territoire palestinien, notamment « du fait d’activités de colonisation et d’autres mesures qui équival[ai]ent à une annexion de facto »142. De même, la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël a désigné comme étant constitutives d’une annexion de facto de la Cisjordanie les mesures suivantes :
« l’expropriation de terres et de ressources naturelles, l’établissement de colonies et d’avant-postes, l’application aux Palestiniens d’un régime d’aménagement et de construction restrictif et discriminatoire et l’application extraterritoriale de la législation israélienne aux colons israéliens en Cisjordanie »143.
Elle a également constaté
« l’existence de preuves à première vue crédibles qui indiqu[ai]ent de manière convaincante qu’Israël n’a[vait] aucune intention de mettre un terme à l’occupation, qu’il appliqu[ait] des politiques claires en vue de prendre le contrôle total du Territoire palestinien occupé et qu’il s’emplo[yait] à en modifier la démographie en maintenant un environnement répressif pour les Palestiniens et un climat favorable aux colons israéliens »144.
De même, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a indiqué que, « [t]out au long des années d’occupation, depuis la guerre de juin 1967, Israël n’a cessé de consolider son annexion de facto de la Cisjordanie en imposant
139 Ibid., par. 3.
140 Avis consultatif sur le mur, p. 184, par. 121.
141 Israël prévoit également de remplacer par des structures de béton certaines parties du mur faites de clôtures. Voir « Israel plans 60-mile concrete wall in northern West Bank », Al-Monitor, 28 novembre 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.al-monitor.com/originals/2022/11/israel-plans-60-mile-concrete-wall-northern-west-bank#ixzz85 KFk5cV9).
142 Doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, 14e alinéa du préambule ; doc. A/HRC/RES/49/4 de 2022, 14e alinéa du préambule. Voir également doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, 15e alinéa du préambule (« les politiques et pratiques [israéliennes] d’implantation … constituent une tentative d’acquisition de souveraineté sur un territoire ») ; et 17e alinéa du préambule (« profondément préoccupé par l’ampleur, la persistance et la nature de l’entreprise de colonisation, qui portent à croire que l’intention est de pérenniser cette occupation, en violation de l’interdiction de toute acquisition de territoire résultant de l’emploi de la force »).
143 Doc. A/77/328 de 2022, par. 76.
144 Doc. A/HRC/50/21 de 2022, par. 70.
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sciemment aux territoires occupés des changements irréversibles, qui sont proscrits au regard du droit international humanitaire ». À cet égard, il fait notamment référence à l’établissement, en Cisjordanie, d’un grand nombre de colonies abritant des centaines de milliers de colons israéliens, et aux « appels explicites, de la part d’un large cercle de dirigeants politiques israéliens de haut rang, à l’annexion officielle de la Cisjordanie, en partie ou en totalité »
145. Comme il est précisé plus haut, d’après le rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme de 2023, près de 700 000 colons israéliens vivent dans 279 colonies146.
51. Avec ces mesures et, en particulier, les activités de colonisation qu’il mène de longue date dans toute la Cisjordanie147, Israël manifeste l’intention de maintenir de façon permanente l’ensemble de ce territoire sous son autorité. Comme l’a noté le rapporteur spécial, « [a]ucun pays ne crée d’implantations civiles dans un territoire occupé sans avoir de visées annexionnistes »148. Récemment, l’intention d’Israël de maintenir la Cisjordanie sous son autorité de façon permanente est apparue plus clairement encore. Dans l’accord de coalition gouvernementale de 2022 actuellement en vigueur, il est précisé que « le premier ministre s’attachera à l’élaboration et à la promotion d’une politique visant à appliquer la souveraineté en Judée-Samarie » (nom biblique de la Cisjordanie)149. Dans une lettre du 19 juin 2023, le secrétaire du cabinet a affirmé qu’Israël avait « le droit d’imposer sa souveraineté sur ces zones », qui constituent« une partie indissociable de la terre d’Israël »150. De plus, en 2023, Israël a commencé à procéder au transfert, entre ses forces de défense et les autorités civiles israéliennes, des pouvoirs administratifs concernant la Cisjordanie151, et le ministre compétent a fait une déclaration publique devant une carte du « Grand Israël » qui englobait le territoire palestinien152.
52. Israël a également montré son intention d’exercer sur Gaza un contrôle permanent équivalent à celui qu’il exerce sur n’importe quelle partie de son propre territoire, et de garder ainsi
145 Doc. A/73/447 de 2018, par. 25. Voir également par. 48-59.
146 Voir supra, par. 35 (chiffres tirés de sources ayant utilisé des données de 2019-2021).
147 En ce qui concerne l’emplacement des activités de colonisation menées par Israël en Cisjordanie et celui des nouvelles portions de mur actuellement en construction, voir les cartes d’UNOCHA accessibles aux adresses suivantes : https://www.un.org/unispal/document/west-bank-access-restrictions-ocha-map/ (2018) et https://www.ochaopt.org/ content/west-bank-access-restrictions-may-2023 (2023). S’agissant des activités de colonisation menées par Israël en général, voir en outre partie B.2 plus haut.
148 Doc. A/73/447 de 2018, par. 49.
149 Voir End-of-Mission Statement of the UN Special Committee to Investigate Israeli Practices, 16 June 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/statements/2023/06/end-mission-statement-un-special- committee-investigate-israeli-practices). Voir également doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, 13e alinéa du préambule : « Exprimant également sa vive inquiétude devant les appels lancés par des responsables israéliens en faveur de l’annexion de tout ou partie du territoire palestinien, et rappelant que de telles mesures sont internationalement illicites et ne doivent être ni reconnues, ni aidées, ni favorisées ».
150 Letter from Cabinet Secretary to Adalah — The Legal Center for Arab Minority Rights in Israel, 19 June 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.adalah.org/en/content/view/10843).
151 Voir End-of-Mission Statement of the UN Special Committee to Investigate Israeli Practices, 16 June 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/statements/2023/06/end-mission-statement-un-special- committee-investigate-israeli-practices). Ces mesures emportent clairement violation du droit international humanitaire. Voir règlement de La Haye, art. 42 (qui définit l’occupation par référence à une domination militaire étrangère) ; quatrième convention de Genève, art. 47 (la population sous occupation « ne ser[a] privée[] en aucun cas … du bénéfice de la … Convention, soit en vertu d’un changement quelconque intervenu … dans les institutions ou le gouvernement du territoire en question … soit encore en raison de l’annexion »).
152 Voir, par exemple, « Bezalel Smotrich, ministre ultranationaliste israélien, poursuit ses diatribes antipalestiniennes depuis Paris », Le Monde, 20 mars 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.lemonde.fr/ international/article/2023/03/20/bezalel-smotrich-ministre-ultranationaliste-israelien-s-offre-une-harangue-antipalestinienne-a-paris_6166253_3210.html).
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indéfiniment la mainmise sur ce territoire, ce qui constitue une annexion de facto
153. Le blocus de Gaza imposé par Israël a été mis en place en 2007 et se poursuit à ce jour, soit 16 ans plus tard. Lorsqu’il a annoncé cette mesure en 2007, le comité ministériel chargé des questions de sécurité nationale d’Israël a expliqué que le blocus était imposé en réaction à la prise de contrôle de Gaza par le Hamas et n’a assorti les dispositions envisagées d’aucune limite dans le temps154. Il a, depuis, précisé son objectif, qui consiste à « transformer la bande de Gaza en un territoire complètement démilitarisé »155, ce qui semble supposer, notamment, l’éradication complète du Hamas — qualifié d’organisation terroriste par Israël —, alors même qu’il s’agit d’un parti politique représentant près de la moitié de la population de Palestine156. Israël ne peut exiger la démilitarisation de Gaza, laquelle est, par ailleurs, impossible. Il serait irréaliste d’espérer parvenir à une telle situation, alors qu’Israël maintient son blocus et ses politiques répressives, discriminatoires et illicites à l’égard de Gaza. En exprimant l’intention de garder le contrôle de Gaza jusqu’à la réalisation de cet objectif, Israël manifeste, en réalité, son intention de garder le contrôle de ce territoire de façon permanente. De surcroît, les mesures qu’il a prises à l’égard de Gaza vont clairement au-delà de simples mesures visant à démilitariser le territoire, et reflètent plutôt l’intention d’établir un contrôle et une domination permanents sur le peuple palestinien157.
C. Lois et mesures discriminatoires connexes
53. L’occupation, la colonisation et l’annexion illicites du territoire palestinien par Israël sont soutenues et renforcées par l’adoption de lois et d’autres mesures qui soumettent le peuple palestinien à une discrimination systématique et le privent de ses droits fondamentaux, et qui sont utilisées pour institutionnaliser l’oppression. Les parties ci-après présentent le système israélien de discrimination d’un point de vue général, notamment en évoquant un certain nombre de violations de droits de l’homme et du droit humanitaire qui découlent de ces mesures (point 1), en examinant la violation du droit au retour des Palestiniens (point 2) et en expliquant comment les politiques et pratiques d’Israël sont constitutives d’apartheid (point 3).
1. Le système de discrimination institutionnalisée d’Israël
54. Israël a imposé un système de discrimination institutionnalisée contre les Palestiniens, en violation manifeste du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, afin de maintenir et de renforcer ses politiques et pratiques d’occupation, de colonisation et d’annexion illicites ainsi que son refus de reconnaître au peuple palestinien le droit à l’autodétermination. En 2022, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 a constaté ce qui suit :
153 Voir supra, par. 45.
154 Ministry of Foreign Affairs of Israel, « Security Cabinet declares Gaza hostile territory », 19 September 2007 (accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/en/Departments/General/security-cabinet-declares-gaza-hostile- territory). Le volet maritime du blocus a été mis en place en 2009 : voir infra, note 189. S’agissant de la définition du terme « blocus » employé dans le présent exposé, voir supra, note 52.
155 The State of Israel, « The 2014 Gaza Conflict, 7 July-26 August 2014, Factual and Legal Aspects », May 2015 (accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/BlobFolder/generalpage/operation-protective-edge-full-report/en/ English_Terrorism_DOCS_2014GazaConflictFullReport.pdf), par. 77.
156 Selon les estimations avancées par la Palestine, la population de Gaza représente environ 40 % de la population totale du territoire palestinien, soit Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est : « Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS) Presents the Conditions of Palestinian Populations on the Occasion of the International Population Day », 11 July 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.pcbs.gov.ps/portals/_pcbs/PressRelease/Press_En_InterPop Day2022E.pdf).
157 Voir l’exposé de ces mesures aux paragraphes 29-30 plus haut et 56 e) ci-après, et les sources qui y sont citées. En ce qui concerne les conséquences de l’annexion du territoire palestinien par Israël, voir partie D ci-après.
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« [C]e système de discrimination institutionnalisée visant à exercer une domination permanente a été imposé en recourant régulièrement à des actes cruels et inhumains, des exécutions arbitraires et extrajudiciaires et des actes de torture, en acceptant que des enfants meurent de mort violente, en privant des personnes de leurs droits humains fondamentaux, en mettant en place un système de tribunaux militaires fondamentalement défectueux et en ne respectant pas les garanties d’une procédure pénale régulière, en procédant à des détentions arbitraires, et en imposant des punitions collectives. La répétition de tels actes sur de longues périodes, et le fait que la Knesset et le système judiciaire israélien les cautionnent, montrent qu’ils ne sont pas le fruit du hasard et n’ont rien de faits isolés mais font partie intégrante du système de domination mis en place par Israël. »158
55. De même, le Conseil des droits de l’homme a reconnu que les
« politiques et pratiques israéliennes liées aux activités de colonisation dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, constitu[ai]ent une discrimination flagrante, notamment par la création d’un système privilégiant les colonies de peuplement et les colons israéliens au détriment des Palestiniens et en violation de leurs droits humains »159.
Il a demandé à Israël :
« De prendre immédiatement des mesures pour interdire et abolir toutes les politiques et pratiques qui sont discriminatoires à l’égard de la population palestinienne du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et touchent de façon disproportionnée cette population, notamment en mettant un terme au système de routes séparées à l’usage exclusif des colons israéliens, qui résident illégalement dans ledit territoire, à la combinaison complexe de restrictions à la liberté de circulation, à savoir le mur, les barrages routiers et le régime de permis qui ne s’applique qu’à la population palestinienne, à l’application de deux systèmes juridiques distincts, qui a facilité la création et la consolidation des colonies, et à d’autres violations et formes de discrimination institutionnalisée »160.
56. Les conséquences des politiques et mesures discriminatoires et coercitives imposées au peuple palestinien sont immenses et profondes, et privent gravement les Palestiniens de leurs droits
158 Doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 55.
159 Doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, 21e alinéa du préambule ; doc. A/HRC/RES/49/29 de 2022, 21e alinéa du préambule.
160 Doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, alinéa c) du paragraphe 7 ; doc. A/HRC/RES/49/29 de 2022, alinéa c) du paragraphe 7.
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fondamentaux
161. Ce système discriminatoire repose notamment sur les éléments suivants (sans s’y limiter) :
a) Politiques discriminatoires de zonage, d’aménagement et d’utilisation des terres, et accès discriminatoire aux ressources naturelles : en plus d’être déplacés et de voir leurs biens confisqués et détruits et leurs ressources naturelles pillées (comme indiqué au point B.2 plus haut), les Palestiniens de Cisjordanie sont soumis à un régime de zonage et d’aménagement urbain discriminatoire. Dans la zone C en Cisjordanie162, 70 % des terres ont été classées terres de l’État israélien et seulement 1 % est attribué aux Palestiniens163. À Jérusalem-Est, Israël a procédé à des expropriations sur une surface correspondant à au moins 35 % de la ville en vue de la construction de colonies, et réduit à moins de 13 % les terres attribuées aux Palestiniens164. Les permis de construction sont excessivement difficiles à obtenir pour les Palestiniens, qui ont vu moins de 1 % de leurs demandes de permis de construire dans la zone C acceptées entre 2016 et 2020, contre 98 % pour les demandes déposées par des Israéliens165. Les demandes présentées par des Palestiniens portent notamment sur la construction de logements, d’écoles, de centres de santé et d’autres établissements publics (y compris à la suite de la destruction par Israël de tels bâtiments lorsqu’ils ont été construits sans permis)166. Les démolitions d’habitations, expulsions et déplacements forcés ont été considérés comme violant les droits des Palestiniens à un logement
161 Israël est tenu de respecter et de faire respecter les droits de l’homme de toutes les personnes se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence, à savoir quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 2, par. 1 ; Comité des droits de l’homme de l’ONU (ci-après le « Comité des droits de l’homme »), observation générale no 31, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 26 mai 2004, par. 10). Cela comprend les personnes qui se trouvent en Israël et sur le territoire qu’il occupe, c’est-à-dire tout le territoire palestinien : voir avis consultatif sur le mur, p. 178-181, par. 107-113. Israël doit également respecter le droit international humanitaire à l’égard du territoire palestinien (voir supra, note 99). Ces régimes concordent dans une large mesure et s’appliquent conjointement mais, en cas de conflit, le droit international humanitaire en tant que lex specialis l’emporte sur les dispositions incompatibles pour déterminer l’admissibilité du comportement visé (Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 240, par. 25 ; avis consultatif sur le mur, p. 177-178, par. 105-106).
162 Selon les accords d’Oslo de 1993 et 1995, la Cisjordanie a été divisée entre, d’une part, des enclaves palestiniennes (zones A et B), dans lesquelles l’Autorité palestinienne dispose de divers degrés d’autorité administrative, et, d’autre part, la zone C, placée sous administration et contrôle exclusifs d’Israël. Cette zone C, qui représente environ 60 % de la Cisjordanie, englobe toutes les colonies israéliennes ainsi que la majorité des terres agricoles, des sources d’approvisionnement en eau et des réservoirs souterrains du territoire. Voir Nations Unies, rapport de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, répartition des ressources en eau dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est, 23 septembre 2021, doc. A/HRC/48/43 (ci-après « doc. A/HRC/48/43 de 2021 »), par. 21.
163 A/77/328 de 2022, par. 41-42 ; UNOCHA, « West Bank Area C: Key Humanitarian Concerns », undated (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/sites/default/files/area_c_key_humanitarian_concerns.pdf).
164 UNOCHA, « East Jerusalem: Key Humanitarian Concerns », August 2014 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/sites/default/files/ocha_opt_Jerusalem_FactSheet_August2014_english.pdf). La proportion d’habitants de Jérusalem-Est aujourd’hui expropriés est vraisemblablement plus élevée : voir, en général, Union européenne, « Report on Israeli settlements » (2023) (accessible à l’adresse suivante : https://www.eeas.europa.eu/sites/ default/files/documents/2023/One-Year%20Report%20on%20Israeli%20Settlements%20in%20the%20occupied%20West%20Bank%2C%20including%20East%20Jerusalem%20%28Reporting%20period%20January%20-%20December%202022%29.pdf), où est présentée l’évolution de l’expansion des colonies sur plusieurs années.
165 Doc. A/77/501 de 2022, par. 27 ; doc. A/77/328 de 2022, par. 42.
166 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observations finales concernant le cinquième rapport périodique d’Israël, 5 mai 2022, doc. CCPR/C/ISR/CO/5 (ci-après « doc. CCPR/C/ISR/CO/5 de 2022 »), par. 42 ; doc. A/77/328 de 2022, par. 44 et 62 ; doc. A/77/501 de 2022, par. 15 ; Human Rights Watch, Submission to the United Nations Committee on the Rights of the Child, Review of Israel, novembre 2022 (ci-après « HRW, Submission to UNCRC (2022) ») (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2022/12/HRW%20submission%20to%20the%20 Committee%20on%20the%20Rights%20of%20the%20Child%20Review%20of%20Israel.pdf), p. 7-8.
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adéquat et à la vie privée
167. Les destructions expressément présentées comme ayant un caractère punitif — par exemple, la démolition de logements de proches de personnes soupçonnées d’avoir attaqué des colons israéliens ou Israël — constituent des punitions collectives interdites par le droit international humanitaire168. Israël a également pris le contrôle de toutes les ressources en eau de Cisjordanie, qu’il utilise principalement pour ses propres besoins et ceux de ses ressortissants, et a interdit aux Palestiniens de construire de nouvelles installations hydriques et d’entretenir les installations existantes sans autorisation169. Même les citernes de collecte d’eau de pluie appartenant à des Palestiniens sont souvent détruites par les forces armées israéliennes170. En conséquence, des centaines de communautés palestiniennes en Cisjordanie n’ont pas accès à l’eau courante, et même dans les villages raccordés au réseau d’approvisionnement, l’eau est souvent coupée, ne laissant d’autre choix aux Palestiniens que d’acheter, à un prix élevé, de l’eau amenée par camion, système qui, en substance, oblige les Palestiniens à racheter une eau qui leur appartient et a été accaparée par Israël et les entreprises israéliennes171. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU a reconnu que de telles mesures constituaient une répartition discriminatoire des terres et de l’eau dans le territoire palestinien172.
b) Violation systématique du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, des garanties d’un procès équitable et de l’égalité devant la loi : les Palestiniens sont régulièrement la cible et l’objet d’un usage excessif de la force et d’exécutions arbitraires auxquels se livrent des responsables israéliens des services de sécurité et autres, notamment au moyen de drones, et y compris pendant des manifestations pacifiques organisées pour protester contre le déni de leurs droits173. Un exemple récent d’usage totalement disproportionné de la force par les forces israéliennes dont sont victimes les Palestiniens est l’attaque de juillet 2023 contre le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie, où 12 Palestiniens ont été tués et au moins 120 autres, blessés. Cette attaque a été immédiatement et vivement condamnée par de nombreux hauts-représentants
167 Nations Unies, rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 15 février 2021, doc. A/HRC/46/65 (ci-après « doc. A/HRC/46/65 de 2021 »), par. 53 ; doc. A/69/348 de 2014, par. 16 ; rapport du Secrétaire général sur les colonies de peuplement israéliennes dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et dans le Golan syrien occupé, 12 février 2014, doc. A/HRC/25/38, par. 15-16 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 11, par. 1 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 17.
168 Quatrième convention de Genève, art. 33 ; A/RES/77/247 de 2022, par. 2 ; A/77/328 de 2022, par. 80. Pour des données sur le déplacement et les démolitions depuis 2009, voir UNOCHA, « Data on Demolition and Displacement in the West Bank », 19 juillet 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/data/demolition).
169 Doc. A/77/328 de 2022, par. 35 ; doc. A/HRC/48/43 de 2021, par. 18. Voir également Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, intitulé « Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », l’accent étant mis sur l’accès à l’eau et la dégradation de l’environnement, 30 mai 2019, doc. A/HRC/40/73. Voir, en outre, en ce qui concerne le rôle joué par les entreprises israéliennes dans le contrôle de l’eau dans le territoire palestinien : Al-Haq, « Corporate Liability: The Right to Water and the War Crime of Pillage » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/cached_uploads/download/2022/12/12/al-haq-report-2-1670826325.pdf).
170 Amnesty International, « L’occupation de l’eau », 29 novembre 2017 (accessible à l’adresse suivante : https:// www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2017/11/the-occupation-of-water/).
171 Ibid. ; « Palestine runs dry: “Our water they steal and sell to us” », Al Jazeera, 15 July 2021 (accessible à l’adresse suivante : https://www.aljazeera.com/news/2021/7/15/water-war-palestinians-demand-more-water-access-from- israel). Voir également doc. A/HRC/48/43 de 2021, par. 18, où il est indiqué que la propriété du réseau d’alimentation en eau de toute la Cisjordanie a, en 1982, été transférée à une entreprise israélienne relevant du ministère de l’énergie et du service des eaux.
172 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales sur le rapport d’Israël valant dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques, 27 janvier 2020, doc. CERD/C/ISR/CO/17-19 (ci-après « doc. CERD/C/ISR/CO/17-19 de 2020 »), par. 22 ; convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 7 mars 1966, entrée en vigueur le 4 janvier 1969, RTNU, vol. 660, p. 195, art. 3.
173 Voir, par exemple, doc. A/77/501 de 2022, par. 10 ; doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 15 ; doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 55 ; doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019, par. 183 et 691-694 ; et voir en outre supra, par. 29 sur l’utilisation de drones. Concernant le fait de prendre pour cible et de tuer délibérément des civils, ce qui est une violation du droit à la vie et du principe de distinction et constitue un crime de guerre, voir infra, note 191.
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de l’ONU, dont le Secrétaire général
174. Les Palestiniens, ainsi que leurs habitations et leurs biens, font également l’objet d’attaques de plus en plus nombreuses de la part de colons israéliens qui agissent « en toute impunité » et dont les actes de violence sont bien souvent facilités directement par les forces de sécurité israéliennes ou commis avec la participation de ces dernières175. Un tel comportement constitue un manquement à l’obligation qui incombe à Israël de ne pas violer les droits dus aux Palestiniens en vertu du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, ainsi qu’à son obligation de faire preuve de la diligence requise en vue de prévenir la commission de telles violations par des personnes privées176. Les Palestiniens arrêtés sont souvent transférés illégalement en Israël177 et détenus arbitrairement, notamment au titre de détentions administratives de longue durée sans inculpation ni procès178. Ceux qui sont jugés dans certains cas, des enfants le sont par des tribunaux militaires discriminatoires n’offrant pas les garanties d’un procès équitable, les Israéliens étant, quant à eux, soumis à la justice civile et pénale pour les actes commis dans le territoire palestinien179.
c) Déni persistant du droit à la liberté de circulation, du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion et du droit de prendre part à la direction des affaires publiques ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels : les colonies et le régime associé de ségrégation, dont le mur de séparation, les zones fermées, les routes séparées de Cisjordanie et le régime contraignant de permis nécessaires pour circuler entre les différentes zones de la Cisjordanie ainsi que pour entrer à Gaza et en sortir, limitent grandement la liberté de circulation des Palestiniens, qui se trouvent coupés de leurs terres, de leurs lieux de travail et des services essentiels, comme la santé et l’éducation, ce qui constitue une violation de leur liberté de circulation et de leurs
174 « UN News: Israel-Palestine: UN chief strongly condemns mounting violence, acts of terror », 6 July 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2023/07/1138427) ; « Israeli air strikes and ground operations in Jenin may constitute war crime: UN experts », 5 July 2023 (accessible à l’adresse suivante : https:// www.ohchr.org/en/press-releases/2023/07/israeli-air-strikes-and-ground-operations-jenin-may-constitute-war-crime-un) ; « Comment by the UN Human Rights Chief Volker Türk on Israeli-Palestinian violence », 4 July 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/statements/2023/07/comment-un-human-rights-chief-volker-turk-israeli- palestinian-violence).
175 Voir, par exemple, doc. A/77/501 de 2022, par. 22-26 et 31-32 ; End-of-Mission Statement of the UN Special Committee to Investigate Israeli Practices, 16 June 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr. org/en/statements/2023/06/end-mission-statement-un-special-committee-investigate-israeli-practices) ; doc. A/HRC/RES/ 52/35 de 2023, 19e alinéa du préambule et par. 7, alinéa f) ; doc. A/77/126 de 2022, 26e alinéa du préambule.
176 Voir, en particulier, règlement de La Haye, art. 43 (obligation d’assurer l’ordre et la vie publics), art. 46 (respect de la propriété privée et de la vie de famille) et art. 47 (interdiction de pillage) ; quatrième convention de Genève, article premier (obligation de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire), art. 27 (protection des personnes protégées), alinéa 2 de l’article 33 (interdiction du pillage) ; protocole I, paragraphes 1 et 2 de l’article 51 (protection de la population civile) et paragraphes 1 et 2 a) de l’article 75 (protection des personnes occupées ou détenues contre les atteintes portées à la vie, à la santé ou au bien-être physique ou mental) ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règles 1, 7, 87 et 88 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, paragraphe 1 de l’article 2 et art. 17.
177 Ce qui est contraire au premier alinéa de l’article 49 de la quatrième convention de Genève, dont la violation constitue une infraction grave (voir quatrième convention de Genève, art. 147) ; protocole I, paragraphe 4 a) de l’article 85, qui reflète la coutume : CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 129.
178 Voir, par exemple, doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, 24e alinéa du préambule et par. 23.
179 Voir, par exemple, doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 41 ; « UN experts condemn Israel’s arbitrary detention and conviction of Palestinian aid worker », 16 June 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/press- releases/2022/06/un-experts-condemn-israels-arbitrary-detention-and-conviction-palestinian) ; Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967, Francesca Albanese, UN Doc. A/HRC/53/59 (ci-après « doc. A/HRC/53/59 de 2023 »), 9 June 2023, par. 56-59. La privation du droit à un procès équitable est un crime de guerre : quatrième convention de Genève, art. 147 ; protocole I, paragraphe 4 e) de l’article 85 ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 100.
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droits au travail, à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant
180. De plus, l’imposition de restrictions qui empêchent les Palestiniens de se rendre dans les mosquées et lieux de culte ainsi que les attaques lancées contre ces lieux portent atteinte à leur liberté de manifester leur religion181. Des organes de l’Organisation des Nations Unies ont, de surcroît, signalé que les restrictions imposées par Israël à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique avaient « atteint des niveaux sans précédent », soulignant en particulier l’utilisation qui est faite de la législation antiterroriste et des ordonnances militaires en vue de faire cesser, de restreindre ou d’ériger en infraction des activités légitimes ayant trait aux droits de l’homme et à l’aide humanitaire, et que ces restrictions « entrav[ai]ent gravement » les droits à la liberté d’association, d’opinion et d’expression et le droit à la participation aux affaires publiques182. Parmi les mesures constitutives de restrictions du droit de participer aux affaires publiques figurent aussi, notamment, l’arrestation par les autorités israéliennes de parlementaires palestiniens, la révocation de permis de résidence de personnes se présentant aux élections législatives palestiniennes, la fermeture de locaux utilisés par des partis politiques et le fait d’ériger en infraction, passible d’une peine de 10 ans d’emprisonnement, la participation à un rassemblement de 10 personnes ou plus sans permis sur un sujet « susceptible d’être interprété comme politique »183.
d) Violation flagrante des droits des enfants : des enfants sont souvent tués de façon arbitraire par les forces de sécurité israéliennes, ou sont arrêtés et détenus arbitrairement, soumis à des sévices physiques, privés de leurs droits procéduraux et régulièrement poursuivis devant des tribunaux militaires qui n’offrent aucune garantie de procédure équitable et retiennent la culpabilité dans
180 Avis consultatif sur le mur, p. 189-192, par. 133-134 ; et p. 192-193, par. 136 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 12 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 7, 11-12 et 13. Voir également doc. A/77/328 de2022, par. 60-63, s’agissant des autres aspects des activités de colonisation liés à la démolition d’habitations, au refus de délivrer des permis et aux transferts forcés, lesquels emportent violation du droit à un niveau de vie suffisant (où sont également relevées les violations du droit international humanitaire exposées au point B.2 plus haut). En ce qui concerne les routes à circulation séparée en Cisjordanie, voir doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 42, et doc. A/HRC/53/59 de 2023, par. 83. S’agissant d’autres violations de droits concernant Gaza en particulier, voir infra, par. 56 e).
181 Doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 10 ; « Israel: UN expert condemns brutal attacks on Palestinians at Al-Asqa Mosque », 6 avril 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2023/04/ israel-un-expert-condemns-brutal-attacks-palestinians-al-aqsa-mosque#:~:text=) ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 18.
182 Doc. A/77/501 de 2022, par. 38-39 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 19, 21-22 et 25. Voir également doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 21-22. Voir aussi supra, note 173 concernant l’usage de la force lors de manifestations pacifiques en violation du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique (Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 19 et 21 ; convention relative aux droits de l’enfant, art. 13 : doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019, par. 702-703.
183 Voir Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 25 ; Amnesty International, « L’apartheid israélien envers le peuple palestinien : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/fr/), p. 14 ; Al-Haq, « Al-Haq Sends Letters to EU Member States Calling for Immediate and Effective Measures to Ensure that Israel Respects the Democratic Process of the Palestinian Elections », 24 April 2021 (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/advocacy/ 18237.html) ; Addameer Prisoner Support and Human Rights Association, « Statistics », 11 July 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://www.addameer.org/statistics), où figurent, dans la liste des détenus en Israël, quatre membres du Conseil législatif palestinien ; HaMoked Center for the Defence of the Individual, « Israeli human rights organizations: New Israeli law that lets interior minister revoke Palestinian residency in Jerusalem for “breach of loyalty” is illegal », 8 March 2018 (accessible à l’adresse suivante : https://hamoked.org/document.php?dID=Updates1961), où il est indiqué que quatre parlementaires palestiniens de Jérusalem-Est se sont vu révoquer leur permis de résidence ; « Israel extends closure of Palestinian institutions in East Jerusalem », The Times of Israel, 31 January 2019 (accessible à l’adresse suivante : https://www.timesofisrael.com/israel-extends-closure-of-palestinian-institutions-in-east-jerusalem/), où il est noté que le siège de l’Organisation de libération de la Palestine a été fermé. Voir également, s’agissant du fait que les restrictions portant sur la participation des Palestiniens aux affaires publiques en Israël semblent également soulever des questions au titre de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : doc. CCPR/C/ISR/CO/5 de 2022, par. 50-51.
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plus de 99 % des cas
184. Le chef d’accusation le plus courant est le jet de pierre, acte passible d’une peine de 10 ans d’emprisonnement, ou de 20 ans d’emprisonnement s’il est dirigé contre un véhicule en circulation, les peines minimales obligatoires étant respectivement de deux et de quatre ans185. Les enfants (dont certains âgés de 10 ans à peine) sont aussi utilisés comme ouvriers agricoles dans des colonies illégales, où ils sont exploités et soumis à des conditions de travail dangereuses, notamment en raison de l’exposition aux pesticides, du maniement de matériels dangereux, d’un nombre excessif d’heures de travail et de la chaleur extrême186. Les enfants se voient en outre lésés de leur droit d’accès à l’éducation en conséquence, notamment, du fait qu’Israël démolit des écoles, sans les reconstruire, refuse de délivrer des permis pour la construction ou la rénovation d’écoles et révoque les autorisations de fonctionnement des établissements scolaires palestiniens de Jérusalem-Est qui refusent de modifier le programme scolaire palestinien au sujet du comportement d’Israël à l’égard de l’occupation du territoire palestinien187.
e) Blocus de Gaza : le blocus188 de Gaza a des répercussions extrêmes sur les droits des Palestiniens. Il a été imposé en 2007 après que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza à l’issue de sa victoire aux élections législatives de 2006189. Le blocus se caractérise par un contrôle total d’Israël sur les frontières terrestres, les zones maritimes et l’espace aérien de Gaza, ainsi que par des restrictions importantes à la circulation des biens et des personnes.
i) S’agissant de la frontière terrestre, le contrôle d’Israël est représenté physiquement par la clôture d’enceinte entourant Gaza, renforcée par une zone tampon ou d’exclusion militaire
184 Nations Unies, Comité des droits de l’enfant, observations finales concernant les deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques d’Israël soumis en un seul document, 4 juillet 2013, doc. CRC/C/ISR/CO/2-4, par. 25 et 36 (convention relative aux droits de l’enfant, art. 6 et art. 37 a), et voir art. 38, à propos des violations des principes de proportionnalité et de distinction au regard du droit international humanitaire) ; doc. CCPR/C/ISR/CO/5 de 2022, par. 34-35 ; HRW, Submission to UNCRC (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/sites/default/files/ media_2022/12/HRW%20submission%20to%20the%20Committee%20on%20the%20Rights%20of%20the%20Child%20Review%20of%20Israel.pdf), p. 2-6 (convention relative aux droits de l’enfant, articles 2, 6, 9, 37, 38 et 40) ; Defence for Children International, « Arbitrary by Default », 31 May 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://assets.nationbuilder.com/dcipalestine/pages/5323/attachments/original/1685539867/Arbitrary_by_Default.pdf) (en général, et voir p. 1 concernant le taux de déclaration de culpabilité). Voir également supra, note 179 concernant le non-respect des garanties d’un procès équitable en tant que crime de guerre. Voir infra, note 191 concernant le droit à la vie, le principe de distinction et l’homicide intentionnel en tant que crime de guerre.
185 Defence for Children International, « Arbitrary by Default », 31 May 2023 (accessible à l’adresse suivante : https://assets.nationbuilder.com/dcipalestine/pages/5323/attachments/original/1685539867/Arbitrary_by_Default.pdf), p. 12 ; Adalah (Legal Centre for Arab Minority Rights in Israel), « Mandatory minimum sentences for convicted stone throwers — Amendment No. 120 of the Israeli Penal Code » (accessible à l’adresse suivante : https://www.adalah.org/en/ law/view/593).
186 Human Rights Watch, « Ripe for Abuse: Palestinian Child Labor in Israeli Agricultural Settlements in the West Bank » (2015) (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/report/2015/04/13/ripe-abuse/palestinian-child- labor-israeli-agricultural-settlements-west-bank#:~:text=Hundreds%20of%20Palestinian%20children%20work,in%20the%20settlement%20agricultural%20industry.) ; HRW, Submission to UNCRC (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2022/12/HRW%20submission%20to%20the%20Committee%20on%20the%20Rights%20of%20the%20Child%20Review%20of%20Israel.pdf), p. 11 ; doc. A/77/328 de 2022, par. 58.
187 Nations Unies, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, 12 novembre 2019, doc. E/C.12/ISR/CO/4, par. 64, al. a) ; HRW, Submission to UNCRC (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2022/12/HRW% 20submission%20to%20the%20Committee%20on%20the%20Rights%20of%20the%20Child%20Review%20of%20Israel.pdf), p. 7-8 ; « Israel revokes licenses of six schools in East Jerusalem », Al-Monitor, 12 August 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.al-monitor.com/originals/2022/08/israel-revokes-licenses-six-schools-east-jerusalem).
188 Voir supra, note 52 concernant la définition du terme « blocus » employé aux fins du présent exposé.
189 Israël a imposé ce bouclage de la bande de Gaza lorsque le Hamas a pris le contrôle du territoire en juin 2007. Le blocus maritime a été mis en place à partir du 3 janvier 2009. Voir doc. A/HRC/15/21 de 2010, par. 30 et 32 ; doc. A/77/328 de 2022, par. 20. Voir également Ministry of Foreign Affairs of Israel, « Security Cabinet declares Gaza hostile territory », 19 September 2007 (accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/en/Departments/ General/security-cabinet-declares-gaza-hostile-territory).
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d’une largeur allant jusqu’à 1,5 kilomètre vers l’intérieur de Gaza, qui s’étend tout le long de sa frontière terrestre avec Israël (et couvre, comme il est précisé plus haut, environ 17 % de la superficie totale de Gaza et 35 % de ses terres agricoles)
190. Dans cette zone tampon, l’emploi excessif de la force, y compris de la force meurtrière, contre des civils n’est pas rare (notamment contre ceux qui manifestent pacifiquement contre le blocus), et ce, dans des situations où ils ne représentent pas de menace de mort et ne participent pas directement aux hostilités, ce qui est contraire au droit international des droits de l’homme et au droit international humanitaire191.
ii) S’agissant des espaces maritimes, le contrôle d’Israël se manifeste par des zones d’exclusion et d’interdiction de la pêche s’étendant jusqu’aux frontières maritimes septentrionale et méridionale de Gaza et jusqu’à la projection de sa côte vers le large, ce qui couvre 85 % des eaux de pêche de Gaza192. Israël modifie régulièrement les limites de pêche du territoire, notamment en les réduisant ou en fermant complètement des zones en réponse directe à des actes d’hostilité dirigés contre lui de l’intérieur de Gaza193. Pour l’heure, la pêche est autorisée sur une distance de 3, 6, 12 ou 15 milles marins à partir des côtes de Gaza, selon
190 Voir Al Mezan, « The Gaza Bantustan » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/uploads/ upload_center/kLAkShfIAra2.pdf), p. 19-20 et 45, et voir carte à la page v) ainsi que p. 24-25 concernant les incursions incessantes d’Israël visant à détruire les terres agricoles dans la zone tampon ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/ en/), p. 145 (où il est aussi expliqué qu’Israël a, dès le milieu de l’année 2006, démoli des habitations et nivelé le sol pour créer la zone tampon) et voir p. 184 (concernant l’utilisation de pesticides par Israël dans la zone tampon à l’intérieur de Gaza pour empêcher les activités agricoles) ; UNOCHA, « Access restricted areas in the Gaza Strip », July 2013 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/sites/default/files/ocha_opt_gaza_ara_factsheet_july_2013_english.pdf). Israël a commencé à imposer la zone tampon après la mise en oeuvre de son plan de désengagement en septembre 2005 : Al Mezan Centre for Human Rights, « Factsheet: The Access-Restricted Area (‘Buffer Zone’) in the Gaza Strip » (accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/uploads/files/14951.pdf).
191 Al Mezan, « The Gaza Bantustan » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/uploads/upload_ center/kLAkShfIAra2.pdf), p. 24-25 ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/), p. 145 ; doc. CCPR/C/ISR/CO/5 de 2022, par. 36 ; doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019, par. 691-694 (où il est fait état d’attaques d’Israël contre des manifestants pacifiques à Gaza en 2018, et où il est indiqué que « des manifestants, qui se trouvaient à des centaines de mètres des forces israéliennes et participaient de toute évidence à des activités civiles », notamment des journalistes, des professionnels de la santé, des enfants, des femmes et des personnes handicapées, « ont été intentionnellement visés par des tirs » en violation de leur droit à la vie et du principe de distinction consacré par le droit international humanitaire). S’agissant du droit à la vie, voir : Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 6. En ce qui concerne le droit international humanitaire, le fait de prendre pour cible des civils qui ne participent pas directement à des hostilités constitue une violation du principe de distinction du droit international coutumier : Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 78 ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 1 ; protocole I, art. 51, par. 2. Un tel comportement est également constitutif du crime de guerre qu’est l’homicide intentionnel : quatrième convention de Genève, art. 147 ; protocole I, paragraphe 3 a) de l’article 85 ; Statut de Rome, paragraphe 2) b) i) de l’article 8. Voir également Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 19 et 21-22.
192 UNOCHA, « Access restricted areas in the Gaza Strip », July 2013 (accessible à l’adresse suivante : https:// www.ochaopt.org/sites/default/files/ocha_opt_gaza_ara_factsheet_july_2013_english.pdf) ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/ documents/mde15/5141/2022/en/), p. 145 et 185. Le pourcentage de 85 % semble être calculé en fonction de la limite de pêche de 20 milles marins convenue dans les accords d’Oslo. S’il était calculé conformément au droit international de la mer, le pourcentage des eaux de pêche de Gaza auxquelles Israël interdit l’accès serait plus élevé. La Palestine a déclaré ses espaces maritimes, y compris une ZEE de 200 milles marins : Declaration of the State of Palestine regarding its maritime boundaries in accordance with UNCLOS, 24 September 2019 (accessible à l’adresse suivante : https://www.un. org/Depts/los/LEGISLATIONANDTREATIES/PDFFILES/PSE_Deposit_09-2019.pdf).
193 UNOCHA, « Gaza’s fisheries: record expansion of fishing limit and relative increase in fish catch; shooting and detention incidents at sea continue », 19 November 2019 (ci-après « UNOCHA, “Gaza’s fisheries” (2019) ») (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/gaza-s-fisheries-record-expansion-fishing-limit-and-relative- increase-fish-catch-shooting) ; B’Tselem, « Lift the restrictions on the Gaza fishing range », 24 March 2013 (accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem.org/gaza_strip/20130324_restrictions_on_fishing_should_be_lifted) ; doc. A/76/333 de 2021, par. 36-37.
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les endroits
194. Ces restrictions ont des effets néfastes sur les ressources halieutiques et des conséquences dévastatrices sur les moyens de subsistance des communautés vivant de la pêche195. La marine israélienne fait respecter les limites de pêche, notamment en ouvrant le feu sur les bateaux de pêche, ce qui entraîne des pertes humaines et matérielles196, en violation du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire197. Israël empêche en outre les Palestiniens d’accéder aux ressources naturelles des espaces maritimes de Gaza, tout en délivrant des permis à des entreprises israéliennes et étrangères qui exercent des activités dans ces zones, ce qui viole l’interdiction de pillage consacrée en droit international humanitaire et les obligations qui incombent à Israël, en tant que puissance occupante, à l’égard des ressources naturelles du territoire occupé198.
iii) S’agissant de l’espace aérien de Gaza, Israël prévoyait dans son plan de désengagement de 2005 qu’« [il] conservera[it] le contrôle exclusif de l’espace aérien de Gaza », et il conserve effectivement ce contrôle, notamment par l’utilisation constante de drones aux fins d’activités de surveillance et de frappes militaires199.
iv) La circulation des personnes et des biens en provenance et à destination de Gaza, aussi bien par voie terrestre que maritime, est soumise à de sévères restrictions sous la forme de permis obligatoires d’entrée et de sortie, d’une interdiction d’accès aux biens à double usage soit des biens dont Israël estime qu’ils peuvent avoir un usage militaire comme civil, ce qui englobe certains articles de première nécessité utilisés à des fins civiles, dont du matériel de
194 UNOCHA, « Gaza’s fisheries » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/ gaza-s-fisheries-record-expansion-fishing-limit-and-relative-increase-fish-catch-shooting) ; UNOCHA, « Gaza Strip access and movement map », July 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/gaza-strip- access-and-movement-july-2022).
195 Al Mezan, « The Gaza Bantustan » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/uploads/upload_ center/kLAkShfIAra2.pdf), p. 46 ; UNOCHA, « Gaza’s fisheries » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www. ochaopt.org/content/gaza-s-fisheries-record-expansion-fishing-limit-and-relative-increase-fish-catch-shooting) (mentionnant la présence de différentes espèces de poissons en fonction de la profondeur de l’eau) ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/ documents/mde15/5141/2022/en/), p. 186 (où il est indiqué que, en 2018, environ 95 % des pêcheurs de Gaza vivaient sous le seuil de pauvreté).
196 Doc. CCPR/C/ISR/CO/5 de 2022, par. 36 ; A/76/333 de 2021, par. 47 ; UNOCHA, « Gaza’s fisheries » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/gaza-s-fisheries-record-expansion-fishing-limit-and- relative-increase-fish-catch-shooting) (faisant état de 248 cas de tirs réels ayant eu lieu entre janvier et octobre 2019 pour faire respecter les limites de pêche) ; Al Mezan, « The Gaza Bantustan » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https:// mezan.org/uploads/upload_center/kLAkShfIAra2.pdf), p. 25 (où il est fait mention de 2 265 attaques survenues dans les eaux territoriales palestiniennes entre 2007 et 2021) ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/), p. 185.
197 En ce qui concerne le droit à la vie au sens du droit international des droits de l’homme et le principe de distinction prescrit par le droit international humanitaire, voir supra, note 191. Ces mesures enfreignent également le droit au travail, qui comprend le droit à la sécurité et à l’hygiène du travail : Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 7 (auquel Israël est partie : voir supra, note 35) et Al Mezan, « The Gaza Bantustan » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/uploads/upload_center/kLAkShfIAra2.pdf), p. 25 et 29-30 (où il est également fait mention d’arrestation et de détention arbitraires ainsi que du droit de ne pas subir de mauvais traitements et d’actes de torture).
198 S’agissant des principes pertinents du droit international humanitaire se rapportant au pillage, voir supra, par. 40. En ce qui concerne le fait qu’Israël bloque l’accès des Palestiniens aux ressources maritimes de Gaza et donne des droits à des entreprises israéliennes et étrangères : doc. A/77/90-E/2022/66 de 2022, par. 70 ; The State of Palestine, « It is Apartheid » (2020) (accessible à l’adresse suivante : http://www.dci.plo.ps/files/It%20is%20Apartheid%20%20NAD- PLO.pdf), p. 26 ; Al-Haq, « Annexing Energy: Exploiting and Preventing the Development of Oil and Gas in the Occupied Palestinian Territory », August 2015 (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/cached_uploads/download/ alhaq_files/publications/Annexing.Energy.pdf) ; Al-Haq, « Al-Haq Welcomes the State of Palestine’s Maritime Coordinates of Delimitation and Warns Companies Against Illegal Activities in the Sea off the Coast of Gaza », 25 October 2019 (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/advocacy/16128.html).
199 B’Tselem, « Israel’s control of the airspace and the territorial waters of the Gaza Strip », 1 January 2011 (accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem.org/gaza_strip/control_on_air_space_and_territorial_waters) ; et voir supra, par. 29 et sources citées sur l’utilisation des drones aux fins de surveillance et de frappes.
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communications, des équipements médicaux, des matériaux de construction, des technologies et des produits chimiques) et de périodes de fermeture complète imposée par Israël
200. À travers ces restrictions, Israël exerce un contrôle total sur la circulation des personnes et des biens entre Gaza et l’extérieur, y compris pour ce qui est de la fourniture d’infrastructures civiles, notamment aux fins de l’approvisionnement en eau et en électricité201. Ces mesures emportent violation du droit des Palestiniens de Gaza à la liberté de circulation — y compris le droit de quitter leur propre pays et d’y entrer — et entravent l’accès aux services de base, notamment à l’eau potable202.
v) Les mesures susmentionnées ont entraîné des pénuries de logement, d’eau potable, d’électricité, de nourriture, de matériel scolaire, de matériaux de construction et de médicaments essentiels, ainsi qu’une restriction de l’accès aux soins médicaux (notamment en raison de la difficulté pour les Palestiniens de rejoindre les hôpitaux situés à l’extérieur de Gaza) et ont provoqué des taux de chômage élevés203. De plus, depuis le début du blocus, Israël a lancé quatre offensives militaires prolongées contre Gaza (en 2008, 2012, 2014 et 2021), qui, s’ajoutant aux attaques lancées contre des civils participant à des manifestations pacifiques en 2018, ont chacune causé la mort de civils et endommagé des infrastructures et des biens de caractère civil, empirant la situation déjà désastreuse204. Le blocus porte atteinte aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens à Gaza205, et
200 Doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019, par. 157-170 ; doc. A/76/333 de 2021, par. 36-37 ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/ documents/mde15/5141/2022/en/), p. 145 (où il est noté que la politique d’importation de biens à double usage s’applique, de la même manière, aux importateurs palestiniens en Cisjordanie, mais pas aux Israéliens vivant en Israël ni aux colons installés en Cisjordanie). Pour une traduction en anglais de la législation israélienne pertinente, voir : Gisha — Legal Centre for Freedom of Movement, « Controlled dual-use items — in English », undated (accessible à l’adresse suivante : https:// gisha.org/UserFiles/File/LegalDocuments/procedures/merchandise/170_2_EN.pdf).
201 Voir également supra, par. 29.
202 Doc. CERD/C/ISR/CO/17-19 de 2020, par. 44 ; doc. CCPR/C/ISR/CO/5 de 2022, par. 36 et 38 (renvoyant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 1, 2, 6, 7, 12 et 26). L’accès à l’eau est particulièrement problématique : l’aquifère côtier, qui est la seule source d’eau souterraine à Gaza, est contaminé par des eaux usées, rendant plus de 95 % de l’eau douce disponible à Gaza impropre à la consommation humaine : UNOCHA, « Study warns water sanitation crisis in Gaza may cause disease outbreak and possible epidemic » (2018) (accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/content/study-warns-water-sanitation-crisis-gaza-may-cause-disease-outbreak-and-possible-epidemic#ftn1) ; doc. A/77/90-E/2022/66 de 2022, par. 61.
203 Voir, par exemple, Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/), p. 170.
204 Voir les enquêtes de l’ONU sur les offensives de 2008 (doc. A/HRC/12/48 de 2009), de 2012 (Nations Unies, rapport de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur l’application des résolutions S-9/1 et S-12/1 du Conseil des droits de l’homme, 4 juillet 2013, doc. A/HRC/22/35/Add.1), de 2014 (Nations Unies, rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante créée en vertu de la résolution S-21/1 du Conseil des droits de l’homme, 24 juin 2015, doc. A/HRC/29/52), et les manifestations de 2018 (doc. A/HRC/40/CRP.2 de 2019). La commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme chargée d’enquêter sur l’offensive de 2021 (voir doc. A/HRC/RES/S-30/1) n’a pas encore rendu son rapport. Pour un rapport de mission sur les violations de 2021, voir Al-Haq, « Field Report on Human Rights Violations in 2021 » (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/cached_uploads/ download/2022/03/02/2021-field-report-final-1646218191.pdf). Voir également procureur de la CPI, « Situation en Palestine », résumé des résultats de l’examen préliminaire, décembre 2019 (accessible à l’adresse suivante : https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/itemsDocuments/210303-office-of-the-prosecutor-palestine-summary-findings- fra.pdf), par. 2 (s’agissant des hostilités de 2014).
205 Doc. A/77/90-E/2022/66 de 2022, par. 47 ; Nations Unies, rapport du Secrétaire général sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 10 octobre 2018, doc. A/73/420, par. 9.
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touche de manière disproportionnée les enfants, qui représentent 47 % de la population de ce territoire
206.
vi) Des organes de l’ONU ont fait part à maintes reprises de leurs préoccupations concernant les conséquences du blocus de Gaza sur la population civile et ont constaté que cette mesure portait atteinte aux civils de manière disproportionnée en violation du principe de proportionnalité prescrit par le droit international humanitaire207, et constituait une punition collective interdite par celui-ci208. Le fait qu’un État encercle complètement, enclave et coupe du reste du monde une partie d’un autre État, notamment par le contrôle et la fermeture de ses espaces maritimes, est sans précédent dans le monde moderne et, comme on l’a vu plus haut, cela est illicite. Ces mesures, qui font de Gaza la plus grande prison de la planète, s’inscrivent dans la politique d’Israël consistant à mettre en place une domination et une subjugation permanentes du peuple palestinien, au mépris des droits de l’homme fondamentaux et du droit à l’autodétermination de celui-ci209.
2. Le déni par Israël du « droit au retour » du peuple palestinien
57. Les Palestiniens (et leurs descendants) qui ont été chassés de leur foyer dans le territoire qui allait devenir Israël en 1948, ou qui ont été, et sont encore, chassés de leur foyer dans le territoire palestinien (à savoir dans les zones de colonie ou d’autres zones soumises à restrictions), ont un droit internationalement reconnu au retour.
58. Le droit de chacun de ne pas être arbitrairement privé de la possibilité de retourner dans son propre pays est bien établi en droit international. Il est consacré par différents traités, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au paragraphe 4 de son article 12210, la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, à
206 Palestinian Central Bureau of Statistics, « H.E. Dr. Awad, highlights the Palestinian children’s situation on the Occasion of the Palestinian Child Day », 5 April 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://pcbs.gov.ps/post.aspx?lang= en&ItemID=4213) ; « UN expert highlights “disproportionate effect on children of the prolonged Israeli occupation” », 3 May 2011 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/press-releases/2011/05/un-expert-highlights- disproportionate-effect-children-prolonged-israeli).
207 Protocole I, paragraphe 5 b) de l’article 51 ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 14 ; doc. A/HRC/15/21 de 2010, par. 59 ; doc. A/HRC/12/48 de 2009, par. 1944.
208 Quatrième convention de Genève, art. 33 ; protocole I, paragraphe 2 d) de l’article 75 ; CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 103 ; doc. CCPR/C/ISR/CO/5 de 2022, par. 38 ; Nations Unies, rapport du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et l’obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, 13 février 2023, doc. A/HRC/52/75, par. 13, 69 et 72 d) ; rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, 15 juillet 2020, doc. A/HRC/44/60, par. 60 ; rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Richard Falk, 10 janvier 2011, doc. A/HRC/16/72 (ci-après « doc. A/HRC/16/72 de 2011 »), par. 23-25, où il est également conclu que le blocus est illicite sur la base du « refus de répondre aux besoins matériels essentiels d’une population civile vivant sous occupation, en violation du droit international humanitaire » ; doc. A/HRC/15/21 de 2010, par. 60 ; doc. A/HRC/12/48 de 2009, par. 1934. Comme précisé plus haut, au regard du jus ad bellum, un blocus maritime constitue également un emploi illicite de la force et un acte d’agression (doc. A/RES/3314 (XXIX) de 1974) contraire au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte.
209 Voir supra, par. 24 et point C.3 ci-après.
210 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, paragraphe 4 de l’article 12 : « Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays. » Contrairement aux autres éléments de l’article 12, le droit au retour n’est pas soumis aux restrictions fondées sur la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Voir également art. 2, par. 1, qui interdit la discrimination dans le cadre de l’engagement de l’État de respecter et de garantir les droits reconnus dans le Pacte.
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l’alinéa d) ii) de son article 5
211, et la convention relative aux droits de l’enfant212, au paragraphe 2 de son article 10, autant de traités auxquels Israël est partie213. Ce droit est aussi énoncé à l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme214. Revenir dans son propre « pays » a un sens plus large que le fait d’entrer dans son État de nationalité, comme l’a précisé le Comité des droits de l’homme :
« La signification des termes “son propre pays” est plus vaste que celle du “pays de sa nationalité”. Elle n’est pas limitée à la nationalité au sens strict du terme, à savoir la nationalité conférée à la naissance ou acquise par la suite; l’expression s’applique pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l’égard d’un pays, ne peut être considérée dans ce même pays comme un simple étranger. Tel serait par exemple le cas de nationaux d’un pays auxquels la nationalité aurait été retirée en violation du droit international et de personnes dont le pays de nationalité aurait été intégré ou assimilé à une autre entité nationale dont elles se verraient refuser la nationalité. »215
59. Ce droit au retour a été maintes fois reconnu par des organes de l’ONU216, notamment dans le contexte du retour des Palestiniens, l’Assemblée générale ayant fait, de nombreuses fois, référence au « droit inaliénable » des Palestiniens déplacés de « rentrer dans leurs foyers et de reprendre possession de leurs biens »217. Il s’applique aussi bien aux Palestiniens qui ont été effectivement
211 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 5, al. d) ii) : « les États parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance d[u] … [d]roit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Voir également Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, recommandation générale XXII : art. 5 et réfugiés et personnes déplacées, 24 août 1996, doc. A/51/18, annexe VIII C) (où il est énoncé que tous les « réfugiés et personnes déplacées … ont le droit de retourner librement dans leurs foyers d’origine » et de se voir restituer leurs biens ou d’être indemnisés pour ceux qui ne peuvent leur être restitués). Voir également art. 5, al. d) v) : « Droit de toute personne, aussi bien seule qu’en association, à la propriété ».
212 Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990, RTNU, vol. 1577, p. 3, paragraphe 2 de l’article 10 : « [L]es États parties respectent le droit qu’ont l’enfant et ses parents de quitter tout pays, y compris le leur, et de revenir dans leur propre pays. »
213 Voir Nations Unies, Collection des traités, États des traités pour les trois traités concernés (accessible à l’adresse suivante : https://treaties.un.org/Pages/Treaties.aspx?id=4&subid=A&clang=_fr). Israël a ratifié la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale le 3 janvier 1979 ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la convention relative aux droits de l’enfant le 3 octobre 1991. Il n’a déposé aucune dérogation, réserve ou déclaration interprétative pertinente concernant le droit au retour prévu par ces instruments.
214 Déclaration universelle des droits de l’homme, 10 décembre 1948, art. 13 : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »
215 Nations Unies, observations générales adoptées par le Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, observation générale no 27 — Liberté de circulation (art. 12), 2 novembre 1999, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.9 (ci-après le « Comité des droits de l’homme, observation générale no 27 (art. 12) (1999) »), par. 20. Voir également par. 21.
216 Voir, en ce qui concerne la reconnaissance du droit au retour en général, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 39/5 du 30 octobre 1984, doc. A/RES/39/5, paragraphe 9 du préambule (Kampuchea) ; 49/10 du 3 novembre 1994, doc. A/RES/49/10, par. 9 (ex-Yougoslavie) ; 62/243 du 14 mars 2008, doc. A/RES/62/243, par. 3 (Azerbaïdjan) ; et 74/246 du 27 décembre 2019, doc. A/RES/74/246, paragraphe 22 du préambule (Myanmar).
217 Voir, en particulier, Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 194 (III) du 11 décembre 1948, doc. A/RES/194 (III), par. 11,
(« il y a lieu de permettre aux réfugiés [palestiniens] qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et … des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les Gouvernements ou autorités responsables ») ;
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déplacés qu’à leurs descendants
218. En particulier, l’Assemblée générale a déclaré, s’agissant de la situation des Palestiniens déplacés, que « toute tentative visant à restreindre l’exercice du droit de retour qu’a toute personne déplacée ou à y imposer des conditions [était] incompatible avec ce droit inaliénable et [était] inadmissible » et que « les mesures visant à réinstaller les réfugiés palestiniens de la bande de Gaza loin des foyers et des biens dont ils [avaie]nt été évincés constitu[ai]ent une violation du droit inaliénable de retour »219.
60. Le fait qu’Israël viole ce droit inaliénable a été reconnu à de nombreuses reprises par des organes de l’ONU220. Les lois israéliennes discriminatoires constituent un aspect essentiel de l’exclusion dont sont victimes les Palestiniens. Après avoir été forcés, en 1948, de quitter leur foyer, les Palestiniens se sont vu interdire de revenir dans le territoire dont ils avaient été chassés, lequel avait entretemps été proclamé comme faisant partie de l’État d’Israël, les Juifs étant, quant à eux, autorisés à entrer librement (soit pour revenir en Israël, soit pour immigrer en provenance de tout
3089 (XXVIII) D du 7 décembre 1973, doc. A/RES/3089 (XXVIII), par. 3,
(« la jouissance par les réfugiés arabes de Palestine de leur droit de rentrer dans leurs foyers et de reprendre possession de leurs biens, reconnu par l’Assemblée générale dans sa résolution 194 (III) du 11 décembre 1948, qui depuis lors a été réaffirmée à de nombreuses reprises par l’Assemblée, est indispensable pour aboutir à un règlement juste du problème des réfugiés et pour permettre au peuple de Palestine d’exercer son droit à disposer de lui-même ») ; et
3236 (XXIX) du 22 novembre 1974, doc. A/RES/3236 (XXIX), par. 2 (« Réaffirme également le droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs foyers et vers leurs biens, d’où ils ont été déplacés et déracinés, et demande leur retour »). Voir également Nations Unies, Commission des droits de l’homme, résolution 1987/4 du 19 février 1987, doc. E/CN.4/RES/1987/4, par. 2 : « Réaffirme le droit inaliénable des Palestiniens à retrouver leur patrie, la Palestine, et leurs biens, auxquels ils ont été arrachés par la force ».
218 Nations Unies, Comité des droits de l’homme, observation générale no 27 (art. 12) (1999), par. 19 : « [Ce droit] peut également signifier le droit d’une personne d’y entrer pour la première fois si celle-ci est née en dehors du pays considéré. » Cela est conforme au but du droit au retour, car interdire le retour aux descendants constituerait un moyen détourné de l’interdire de manière générale. Dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, lorsque la Cour s’est penchée sur la question du retour, elle ne s’est pas limitée aux personnes qui avaient été effectivement déplacées. Après avoir noté que « l’ensemble de la population de l’archipel des Chagos [avait été] soit empêchée de revenir, soit déplacée de force et empêchée de revenir » (p. 110, par. 43), la Cour s’est référée, globalement, à la réinstallation des nationaux mauriciens, y compris ceux d’origine chagossienne, comme étant une question relative à la protection des droits humains des personnes concernées (p. 136, par. 181). Le Comité des droits de l’homme a souligné que le Royaume-Uni devait faire en sorte que les « anciens habitants de l’archipel des Chagos » pussent exercer leur droit au retour et les indemniser pour la privation de ce droit durant une longue période : Nations Unies, examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte, observations finales du Comité des droits de l’homme : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, 30 juillet 2008, doc. CCPR/C/GBR/CO/6, par. 22. De plus, des organes de l’ONU considèrent que le groupe des réfugiés palestiniens ayant un droit de rapatriement comprend les descendants : voir, par exemple, Assemblée générale, résolution 76/77 du 9 décembre 2021, doc. A/RES/76/77, quatrième alinéa du préambule et par. 1 et 3 ; rapport du commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, 1er juillet 1976-30 juin 1977, doc. A/32/13, par. 2.
219 Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 34/52 E du 23 novembre 1979, doc. A/RES/34/52, par. 1 ; 34/52 F du 23 novembre 1979, doc. A/RES/34/52, quatrième alinéa du préambule.
220 Nations Unies, Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales sur l’examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la convention, 14 juin 2007, doc. CERD/C/ISR/CO/13, par. 18 ; ibid., conclusions sur l’examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la convention, 30 mars 1998, doc. CERD/C/304/Add.45, par. 18 ; Assemblée générale, quarante-deuxième session, rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, 1987, doc. A/42/18, par. 593 ; examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 40 du Pacte, observations finales du Comité des droits de l’homme : Israël, 18 août 1998, doc. CCPR/C/79/Add.93, par. 22.
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autre pays)
221. Étant donné que l’entrée leur était interdite, les Palestiniens déplacés ne répondaient pas aux conditions requises pour acquérir la nationalité israélienne en vertu du droit interne222, et leur entrée en Israël a ensuite été expressément érigée en infraction223. Ces exclusions se poursuivent. Plus récemment, la loi de 2022 sur la citoyenneté et l’entrée en Israël (dispositions temporaires) a de nouveau prolongé les mesures temporaires prises de longue date, selon lesquelles les habitants de la Cisjordanie et de Gaza qui se marient avec des citoyens israéliens ne sont pas autorisés à bénéficier de l’octroi automatique de la citoyenneté israélienne et des permis de résidence habituellement acquis par le mariage224.
61. Empêcher les Palestiniens de retourner dans leur foyer en Israël ou dans le territoire palestinien est l’une des facettes d’un système plus vaste de contrôle de la population, de manipulation démographique et de ségrégation qui participe de la politique globale d’Israël visant à s’assurer une domination permanente sur le peuple palestinien. En empêchant ce retour d’une manière généralisée ou systématique, Israël commet le crime contre l’humanité que constituent la persécution et autres actes inhumains225.
221 Loi israélienne no 5710-1950 : loi sur le retour, 5 juillet 1950 (accessible à l’adresse suivante : https:// www.refworld.org/docid/3ae6b4ea1b.html), art. 1 (« Tout Juif a le droit d’immigrer en Israël »), art. 2 b) (« Un visa d’immigrant est délivré à tout Juif ayant exprimé le désir de s’établir en Israël ») et art. 4 (« Tout Juif ayant immigré dans ce pays avant l’entrée en vigueur de la présente loi et tout Juif né dans ce pays, que ce soit avant ou après l’entrée en vigueur de la présente loi, est considéré comme une personne ayant immigré dans ce pays en vertu de la présente loi »). S’agissant de l’interdiction d’entrée imposée aux Palestiniens depuis 1948, voir Quigley, « Prohibition of Palestine Arab Return to Israel as a Crime Against Humanity », Criminal Law Forum (2023), vol. 34, no 1, p. 14. En outre, Israël a eu recours à sa loi relative aux biens des absents de 1950 pour saisir les biens de Palestiniens considérés comme « absents » alors qu’il les empêchait de revenir : voir Relief Web, « Israeli Apartheid », 15 May 2023 (accessible à l’adresse suivante : https:// reliefweb.int/report/occupied-palestinian-territory/israeli-apartheid-legacy-ongoing-nakba-75-enar).
222 Loi israélienne no 5712-1952 : loi sur la nationalité, 14 juillet 1953 (accessible à l’adresse suivante : https:// www.refworld.org/docid/3ae6b4ea1b.html), art. 3, qui prévoyait que la nationalité israélienne n’était accordée aux « citoyens palestiniens » que s’ils i) étaient demeurés en Israël entre le moment où celui-ci était devenu un État (15 mai 1948) et l’entrée en vigueur de la loi sur la nationalité, ii) étaient enregistrés en tant que résidents au 1er mars 1952, et iii) étaient des résidents d’Israël à la date d’entrée en vigueur de la loi. Cela excluait tous les Palestiniens qui avaient été chassés de leur foyer et n’étaient pas autorisés à revenir. En revanche, cette loi accordait la nationalité israélienne à tout Juif qui entrait en Israël en vertu de la loi sur le retour ou avait immigré dans le pays après la création de l’État d’Israël (art. 2).
223 Loi israélienne no 5714-1954 : loi relative à la prévention de l’infiltration (infractions et compétence), 16 août 1954, art. 1, aux termes de laquelle a été désignée « élément infiltré » toute personne qui était entrée illégalement, en connaissance de cause, en Israël après le 29 novembre 1947 et était un « résident ou visiteur » dans une région de Palestine en dehors d’Israël, un citoyen palestinien ou un résident palestinien dépourvu de nationalité ou de citoyenneté ou dont la nationalité ou la citoyenneté était douteuse « et qui, au cours de ladite période, avait quitté son lieu de résidence habituelle situé dans une zone qui était devenue une partie d’Israël afin de se rendre dans un lieu situé en dehors d’Israël » (cité dans Quigley, « Prohibition of Palestine Arab Return to Israel as a Crime Against Humanity », Criminal Law Forum (2023), vol. 34, no 1, p. 25).
224 Loi israélienne no 5782-2022 : loi relative à la citoyenneté et à l’entrée en Israël (dispositions temporaires), 10 mars 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.adalah.org/uploads/uploads/The_Citizenship_and_Entry_ into_Israel_Law_Eng_150322.pdf), art. 1 (définissant une « zone » comme désignant toute partie la Cisjordanie et de Gaza) et art. 3 (interdisant l’octroi de la citoyenneté sur le fondement de la loi sur la citoyenneté — qui permet l’acquisition de la citoyenneté par le mariage — à un « résident d’une zone » si celui-ci est âgé de moins de 35 ans (pour un homme) ou de moins de 25 ans (pour une femme)). Ce sont, en substance, les mêmes mesures qui sont prolongées sous la forme de dispositions provisoires depuis 2003 : « Israel’s Knesset passes law barring Palestinian spouses », Reuters, 10 mars 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/world/middle-east/israels-knesset-passes-law-barring- palestinian-spouses-2022-03-10/).
225 Voir la décision par laquelle la CPI reconnaît que le déni du droit au retour peut constituer un crime contre l’humanité :
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62. Le droit des Palestiniens de revenir dans leur « pays », en Israël, est conforme au droit international relatif à la succession d’États : lorsqu’un territoire est transféré à un autre État ou devient partie d’un nouvel État, les ressortissants de l’ancien État souverain qui ont leur résidence habituelle sur le territoire concerné ont le droit d’acquérir la nationalité du nouvel État, et celui-ci ne peut refuser de manière arbitraire ou discriminatoire cette nationalité ou exclure ces personnes du territoire qu’il acquiert226. Il ne peut pas non plus refuser de respecter les droits de propriété acquis par les habitants du territoire transféré227.
3. Les pratiques d’Israël à l’égard du peuple palestinien sont constitutives d’apartheid
63. L’interdiction de l’apartheid est bien établie en droit international, tant conventionnel que coutumier228, et constitue une norme de jus cogens qui ne souffre aucune dérogation229. Parmi les
« empêcher le retour des membres du peuple rohingya tombe sous le coup de l’article 7-1-k du Statut de Rome [le crime contre l’humanité que sont les “[a]utres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale”]. Au regard du droit international des droits de l’homme, nul ne peut être arbitrairement privé de son droit d’entrer dans son propre pays. Un tel comportement serait donc de caractère analogue au crime contre l’humanité qu’est la persécution, à savoir “le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international” » (ICC, Pre-Trial Chamber I, « Decision on the ‘Prosecution’s Request for a Ruling on Jurisdiction under Article 19(3) of the Statute’ » (Bangladesh/Myanmar), ICC-RoC46(3)-01/18, 6 September 2018, par. 77).
Le procureur a ensuite conclu qu’il y avait « une base raisonnable pour croire » que d’« autres actes inhumains » et des actes de persécution, constitutifs de crimes contre l’humanité, étaient commis à raison de la violation du « droit au retour consacré par le droit international coutumier » qui était dû aux Rohingya (ICC, Pre-Trial Chamber III, « Request for authorisation of an investigation pursuant to article 15 » (Bangladesh/Myanmar), ICC-01/19-7, 4 July 2019, par. 124 et 172). Le fait que les Rohingya soient apatrides confirme que le droit au retour ne se limite pas à l’entrée dans l’État de nationalité. Voir aussi Quigley, « Prohibition of Palestine Arab Return to Israel as a Crime Against Humanity », Criminal Law Forum (2023), vol. 34, no 1 ; Kearney, « The Denial of the Right of Return as a Rome Statute Crime », JICJ (2020), vol. 18, p. 985.
226 Voir, par exemple, CDI, Projet d’articles sur la nationalité des personnes physiques en relation avec la succession d’États, et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 1999, vol. II, deuxième partie, projet d’article 1 (« Droit à une nationalité »), projet d’article 5 (« Présomption de nationalité »), projet d’article 14 (« Statut de résident habituel »), projet d’article 15 (« Non-discrimination ») et projet d’article 16 (« Proscription de l’arbitraire en matière de nationalité »). Voir, en particulier, projet d’article 14, par. 2 : « Un État concerné prend toutes les mesures nécessaires pour permettre aux personnes concernées qui, en raison d’événements liés à la succession d’États, ont été forcées de quitter leur résidence habituelle sur son territoire d’y retourner. » De nombreux juristes faisant autorité placent la barre encore plus haut, affirmant que le droit international prévoit l’acquisition automatique de la nationalité du nouvel État au moment de la succession, ce qui ne ferait que renforcer le droit des Palestiniens de retourner dans leur foyer en Israël. Voir, par exemple, Harvard Draft Convention on Nationality (1929), Supplement to the American Journal of International Law, vol. 23, numéro spécial, no 2, p. 15 (art. 18, par. 2) ; Mann, « The Effect of Changes of Sovereignty Upon Nationality », Modern Law Review (1941-1942), vol. 5, no 218, p. 221-222 ; Brownlie, « The Relations of Nationality in Public International Law », BYIL (1963), vol. 39, no 284, p. 319-326 ; Jennings and Watts, Oppenheim’s International Law (9e édition, 1996), p. 683-684, 700-701 et 877 ; Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (8e édition, 2019), p. 419-421.
227 Colons allemands en Pologne, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 6, p. 36 et 42 ; Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 22.
228 Voir, par exemple, convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 3 ; convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, 30 novembre 1973, entrée en vigueur le 18 juillet 1976, RTNU, vol. 1015, p. 243 (ci-après la « convention contre l’apartheid ») ; Statut de Rome, paragraphes 1 j) et 2 h) de l’article 7 ; protocole I, art. 85, par. 4, al. c) ; avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 57, par. 129-131 ; Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 473 du 13 juin 1980, doc. S/RES/473, par. 3 (« Réaffirme que la politique d’apartheid est un crime contre la conscience et la dignité de l’humanité et est incompatible avec les droits de l’homme et sa dignité, la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme, et porte gravement atteinte à la paix et à la sécurité internationales ») ; doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 21 (où est souligné le caractère coutumier de l’interdiction de l’apartheid).
229 CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie (ci-après la « CDI, articles sur la responsabilité de l’État »), commentaire relatif aux articles 40-41 ; CDI, Projet d’articles sur les crimes contre l’humanité, commentaire relatif au cinquième alinéa du préambule, et projet d’article 2, par. 1 k) et 2 h) ; CDI, Projet de conclusions
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obligations conventionnelles applicables figure, en particulier, l’engagement pris par les États partis à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale — dont Israël — de « condamne[r] … la ségrégation raciale et l’apartheid … [et de] prévenir, [d’]interdire et [d’]éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature »
230.
64. L’apartheid est un crime contre l’humanité, à raison duquel les États autant que les personnes peuvent voir leur responsabilité internationale engagée, consistant notamment en « des actes inhumains … commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime »231. Chaque régime d’oppression systématique et de domination est différent et doit être examiné en fonction des faits qui lui sont propres pour ce qui est de l’oppression et de la domination imposées par un groupe racial sur un autre.
65. L’article II de la convention contre l’apartheid énumère certains actes inhumains constitutifs d’apartheid lorsqu’ils sont commis dans le contexte et aux fins précisés. À cet égard, l’alinéa c) dudit article énonce :
« Prendre des mesures … destinées à empêcher un groupe racial … de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe …, en particulier en privant les membres d’un groupe racial … des libertés et droits fondamentaux de l’homme, notamment le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. »232
66. Il existe des éléments convaincants qui prouvent qu’Israël commet des actes constitutifs d’apartheid.
67. Premièrement, les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens sont des « groupes raciaux » distincts aux fins de la définition de l’apartheid. La notion de « race » en droit international s’entend au sens large, ainsi que cela ressort de la définition de la discrimination raciale donnée à l’article premier de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens) et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 2022, vol. II, deuxième partie, annexe (ci-après la « CDI, Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives »), conclusion 3 (définition d’une norme impérative) ; voir également commentaire relatif à la conclusion 23, par. 11, et annexe, par. e) (concernant l’apartheid).
230 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 3. Israël a ratifié cette convention le 3 janvier 1979 (voir https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-2& chapter=4&clang=_fr). L’obligation de prévention implique l’interdiction pour l’État de commettre l’apartheid : voir, par analogie, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) (ci-après l’« affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro »), p. 113, par. 166.
231 Voir l’examen qu’a fait la Commission du droit international de cette définition en 2019 dans Projet d’articles sur les crimes contre l’humanité, art. 2, al. h), adoptant la définition tirée du Statut de Rome ; doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 29-31, où il est expliqué que les légères différences entre la définition figurant dans le Statut de Rome et celle de la convention contre l’apartheid sont « mineures et compatibles entre elles ». Voir aussi convention contre l’apartheid, art II.
232 Ces actes sont analogues au crime contre l’humanité qu’est la persécution, à savoir « le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l’identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l’objet » : CDI, Projet d’articles sur les crimes contre l’humanité, art. 1, al. g), et art. 2, al. g). Voir Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https:// www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/), p. 263.
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discrimination raciale comme englobant, au-delà de la race et de la couleur, « l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Les Israéliens juifs et les Arabes palestiniens sont des groupes « se distinguant par leur nationalité, leur origine ethnique, leur religion, leur ascendance et leur descendance », et il est important de noter que c’est le fait qu’Israël considère les Arabes palestiniens comme un groupe racial distinct des Juifs qui sous-tend les mauvais traitements ciblés et discriminatoires qu’il leur inflige
233.
68. Deuxièmement, Israël a mis en oeuvre des mesures destinées à empêcher les Palestiniens de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle d’Israël et du territoire palestinien, et a délibérément créé des conditions visant à empêcher le plein développement du peuple palestinien. En effet, les lois, politiques et pratiques discriminatoires établies de longue date par Israël portent préjudice uniquement aux Palestiniens et sont conçues pour n'être bénéfiques qu’aux Juifs israéliens et maintenir la domination de ces derniers, notamment du point de vue des droits à la terre, des droits de propriété, du logement, de l’accès aux ressources naturelles, dont les ressources en eau, ainsi que de l’usage excessif de la force (notamment la force meurtrière)234, des arrestations et des détentions arbitraires235, du fait d’être jugé devant des tribunaux militaires iniques, des restrictions à la liberté de circulation (notamment en raison du mur de séparation, du régime strict d’autorisations de déplacement, des postes de contrôle, de la ségrégation appliquée au réseau routier en Cisjordanie, de l’exclusion des zones d’accès restreint et de l’imposition de périodes de bouclage total de Gaza236), des restrictions à l’accès aux soins de santé, à l’éducation, au travail, aux biens et services de première nécessité, des restrictions à la participation aux affaires publiques, des restrictions à la liberté d’opinion, d’expression, d’association et de réunion, des restrictions à la liberté de manifester sa religion, et du déni persistant, depuis 1948, du droit des Palestiniens et de leurs descendants de revenir dans leur pays et de retrouver leurs biens en Israël ou dans le territoire palestinien, déni maintenu au moyen des lois israéliennes discriminatoires relatives à l’entrée, à la nationalité et à la propriété237.
69. Ces mesures empêchent manifestement le peuple palestinien de prendre part à la vie politique, sociale, économique et culturelle d’Israël et du territoire palestinien, et font obstacle à son plein développement238. Il ne s’agit pas de mesures isolées ou de violations ponctuelles des droits fondamentaux de l’homme. Leur ampleur et leur persistance, dans le territoire palestinien et en Israël même, montrent qu’elles s’inscrivent dans un régime institutionnalisé et constituent des moyens utilisés par Israël pour contrôler, opprimer et dominer les Palestiniens et pour maintenir cette domination. Ce dispositif de contrôle, d’oppression et de domination est aussi renforcé par
233 Doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 33.
234 À cet égard, voir aussi convention contre l’apartheid, art. II, al. a) i) et ii) (droit à la vie et à la liberté de la personne).
235 À cet égard, voir également ibid., art. II, al. a) iii) (arrestation et détention arbitraires).
236 À cet égard, voir aussi ibid., art. II, al. d) (mesures visant à diviser la population selon des critères raciaux).
237 Voir supra, points B.2 et C.1-2.
238 Voir également Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Richard Falk, 13 janvier 2014, doc. A/HRC/25/67 (ci-après « doc. A/HRC/25/67 de 2014 »), par. 69 (« À l’évidence, les mesures prises par Israël, que ce soit sous la forme de politiques, de lois ou de pratiques, ont pour effet d’empêcher les Palestiniens de prendre pleinement part à la vie politique, sociale, économique et culturelle de la Palestine. On peut sans doute aussi considérer qu’elles font obstacle à leur plein développement en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. ») ; doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, par. 6 c) (« Se déclare profondément préoccupé par les faits suivants, dont il demande la cessation : … Les mesures qu’Israël a prises, sous la forme de politiques, de lois ou de pratiques, pour empêcher les Palestiniens de participer pleinement à la vie politique, sociale, économique et culturelle du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et faire obstacle à leur plein développement en Cisjordanie et dans la bande de Gaza »).
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l’occupation et l’annexion illicites prolongées du territoire palestinien par Israël
239, et vise à priver le peuple palestinien de son droit collectif à l’autodétermination240.
70. De plus, Israël a adopté des mesures visant à diviser le peuple palestinien en territoires et régimes administratifs séparés et isolés, dans le but de faire obstacle à son plein développement en tant que groupe. En particulier, différents régimes juridiques et administratifs s’appliquent aux Palestiniens, selon les catégories et zones territoriales dont ils relèvent — résidents « permanents » de Jérusalem-Est titulaires de permis de résidence révocables, population occupée soumise à un régime militaire dans le reste de la Cisjordanie, population du territoire « hostile » de Gaza, citoyens palestiniens d’Israël, ou encore réfugiés et exilés palestiniens, où qu’ils se trouvent —, et des restrictions importantes entravent la circulation, ayant pour effet de séparer, territorialement, les Palestiniens des différentes zones ou de les exclure complètement241. C’est essentiellement grâce à cette fragmentation juridique et à cette ségrégation du territoire, notamment sous forme de zones séparées et presque hermétiquement closes pour ce qui est de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, qu’ Israël met en oeuvre son oppression et sa domination à l’égard de l’ensemble des Palestiniens et qu’il la fait respecter. En effet, il peut ainsi les contrôler et les priver de leurs droits plus facilement, les séparer et les traiter différemment des Juifs israéliens, et isoler les différentes communautés palestiniennes les unes des autres afin d’affaiblir les liens qui les unissent et d’étouffer la contestation persistante à son encontre et à l’encontre de son système d’oppression242. Ces mesures entravent le plein développement du peuple palestinien en tant que groupe et contribuent en outre à priver celui-ci de son droit inaliénable d’exercer pleinement son droit collectif à l’autodétermination243.
239 Voir supra, points B.1 et B.3.
240 Voir supra, partie A, en particulier par. 24.
241 UN Economic and Social Commission for Western Asia, Israeli Practices towards the Palestinian People and the Question of Apartheid, UN doc. E/ESCWA/ECRI/2017/1, 2017, p. 37-48. S’agissant de la désignation de territoire « hostile » pour Gaza, voir : Ministry of Foreign Affairs of Israel, « Security Cabinet declares Gaza hostile territory », 19 September 2007 (accessible à l’adresse suivante : https://www.gov.il/en/Departments/General/security-cabinet- declares-gaza-hostile-territory).
242 Doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 42 ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/), p. 17, 27, 38 et 61 ; The State of Palestine, « It is Apartheid » (2020) (accessible à l’adresse suivante : http://www.dci.plo.ps/files/It%20is% 20Apartheid%20%20NAD-PLO.pdf), p. 23-25 ; Joint Submission to the United Nations Special Rapporteur on the Situation of Human Rights in the Palestinian Territories Occupied Since 1967, Mr. Michael Lynk submitted by Al-Haq, Habitat International Coalition and Addameer, janvier 2022 (ci-après « Joint Submission of Al-Haq, Habitat and Addameer, janvier 2022 ») (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/cached_uploads/download/2022/01/20/final-draft- lynk-s-apartheid-submission-1-1642656045.pdf), p. 3 et 7-9 ; Al-Haq, « Israeli Apartheid » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/cached_uploads/download/2022/12/22/israeli-apartheid-web-final-1-page-view-1671712 165.pdf), p. 111-112 ; B’Tselem, « A regime of Jewish supremacy from the Jordan River to the Mediterranean Sea: This is Apartheid » (2021) (ci-après « B’Tselem, “This is Apartheid” (2021) ») (accessible à l’adresse suivante : https://www. btselem.org/publications/fulltext/202101_this_is_apartheid), p. 2 ; Human Rights Watch, « A Threshold Crossed: Israeli Authorities and the Crimes of Apartheid and Persecution » (2021) (ci-après « HRW, “A Threshold Crossed” (2022) ») (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes- apartheid-and-persecution). En ce qui concerne l’affaiblissement des liens entre les communautés palestiniennes plus précisément, voir, par exemple, HRW, « A Threshold Crossed » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw. org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid-and-persecution), p. 15, où il est indiqué qu’Israël n’a approuvé aucune des demandes de réinstallation en Cisjordanie présentées par des résidents de Gaza entre 2009 et 2017 (hormis une poignée de personnes qui ont déposé des requêtes devant la Cour suprême) et n’a autorisé que quelques dizaines de résidents de Cisjordanie à se réinstaller à Gaza et ce, à la condition qu’ils s’engagent par écrit à ne pas retourner en Cisjordanie.
243 Voir, à cet égard, partie A, par. 22 c) et 24 plus haut. Voir aussi doc. A/HRC/RES/52/34 de 2023 : « Se déclare … profondément préoccupé par la fragmentation du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et par les changements intervenus dans sa composition démographique … [et] souligne que cette fragmentation, qui compromet la possibilité pour le peuple palestinien de réaliser son droit à l’autodétermination, est incompatible avec les buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies ».
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71. En conséquence, Israël commet des actes d’apartheid contre le peuple palestinien en violation du droit de ce dernier à l’autodétermination.
72. Les différents rapporteurs spéciaux sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 souscrivent à cette analyse et constatent depuis plus de dix ans que les pratiques et politiques d’Israël à l’égard du peuple palestinien sont constitutives d’apartheid244. Dans l’un de ces rapports récents, le rapporteur spécial a conclu que
« le système politique de gouvernement bien ancré dans le Territoire palestinien occupé, qui confère à un groupe racial, national et ethnique des droits, des avantages et des privilèges substantiels tout en contraignant intentionnellement un autre groupe à vivre derrière des murs et des points de contrôle et sous un régime militaire permanent, sans droits, sans égalité, sans dignité et sans liberté, satisfaisait aux normes de preuve généralement reconnues pour déterminer l’existence d’un apartheid.
Premièrement, un régime institutionnalisé d’oppression raciale systématique et de discrimination a bien été mis en place. Les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens de Jérusalem-Est et de Cisjordanie vivent sous un régime unique qui répartit différemment les droits et les avantages en fonction de l’identité nationale et ethnique, et qui organise la suprématie d’un groupe sur un autre et au détriment de l’autre.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Deuxièmement, ce système d’administration étrangère a été établi dans l’intention de maintenir la domination d’un groupe racial, national et ethnique sur un autre. Les dirigeants politiques israéliens d’hier et d’aujourd’hui ont à maintes reprises répété qu’ils avaient l’intention de conserver le contrôle de l’ensemble du territoire occupé afin d’étendre l’assise territoriale des parcelles des colonies juives actuelles et futures tout en maintenant les Palestiniens confinés dans des réserves de population.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Troisièmement, ce système de discrimination institutionnalisée visant à exercer une domination permanente a été imposé en recourant régulièrement à des actes cruels et inhumains, des exécutions arbitraires et extrajudiciaires et des actes de torture, en acceptant que des enfants meurent de mort violente, en privant des personnes de leurs droits humains fondamentaux, en mettant en place un système de tribunaux militaires fondamentalement défectueux et en ne respectant pas les garanties d’une procédure pénale régulière, en procédant à des détentions arbitraires, et en imposant des punitions collectives. La répétition de tels actes sur de longues périodes, et le fait que la Knesset et le système judiciaire israélien les cautionnent, montrent qu’ils ne sont pas le fruit du hasard et n’ont rien de faits isolés mais font partie intégrante du système de domination mis en place par Israël.
244 Voir Nations Unies, rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, John Dugard, 29 janvier 2007, doc. A/HRC/4/17, par. 50 (où il est indiqué que l’on ne peut « réellement nier que le but de tels actes soit d’instituer et d’entretenir la domination d’un groupe racial (les Juifs) sur un autre groupe racial (les Palestiniens) et d’opprimer systématiquement celui-ci ») ; doc. A/HRC/16/72 de 2011, par. 8 et 20 (où le rapporteur souligne que « la double structure discriminatoire de l’administration, de la sécurité, de la mobilité et du droit applicable aux colons par rapport à l’assujettissement des Palestiniens permet semble-t-il de qualifier de cas d’apartheid la longue occupation israélienne de la Cisjordanie », et se dit « fermement convaincu que l’infrastructure élargie de l’occupation, et en particulier le double système de routes, représente une violation croissante par Israël … et … l’apartheid en tant qu’exemple de crime contre l’humanité ») ; doc. A/HRC/25/67 de 2014, par. 78 (mentionnant l’« occupation prolongée, [ainsi que] ces pratiques et politiques qui apparaissent comme constitutives d’apartheid et de ségrégation ») ; doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 52-56 ; doc. A/77/356 de 2022, par. 42 et 70.
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Ces actes relèvent de l’apartheid. »245
73. Ces conclusions sont partagées par d’autres organes de l’ONU ainsi que des organisations de défense des droits de l’homme régionales et internationales de premier plan, qui ont publié des rapports détaillés dans lesquels sont analysées les politiques et les pratiques d’Israël à l’égard du peuple palestinien et où il est conclu que celles-ci sont constitutives d’apartheid246. Ces rapports portent sur les lois, les politiques et les pratiques discriminatoires d’Israël qui, considérées dans leur ensemble, régissent pratiquement tous les aspects de la vie des Palestiniens, violent systématiquement leurs droits et visent à maintenir l’oppression et la domination exercées sur le peuple palestinien au profit des Juifs israéliens. Ces conclusions concernent, à juste titre, l’entièreté du peuple palestinien et attestent que le traitement des Palestiniens à Gaza — où Israël a confiné et soumis à un blocus deux millions de Palestiniens dans ce qui est souvent qualifié de plus grande « prison à ciel ouvert »247 au monde et de « bantoustan »248 — fait partie intégrante de ce système de séparation et d’oppression249. En conséquence, Israël viole l’interdiction de l’apartheid à l’égard du peuple palestinien dans son ensemble.
D. Conséquences juridiques
74. La présente partie porte sur les conséquences juridiques des violations du droit international exposées plus haut, à l’exception des conséquences juridiques découlant de l’occupation du territoire palestinien par Israël, qui sont examinées au chapitre 2 plus loin. Dans la première question posée à la Cour, il n’est pas précisé à l’égard de qui ces conséquences doivent être précisées. Dans ces conditions, il appartient à la Cour de le déterminer250. Le Belize examinera
245 Doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 52-56. Voir aussi par. 58, où il est recommandé à la « communauté internationale d’accepter et d’adopter les conclusions des organisations palestiniennes, israéliennes et internationales de défense des droits de l’homme selon lesquelles l’apartheid est pratiqué par Israël dans le Territoire palestinien occupé et au-delà ».
246 Nations Unies, rapport de la rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, E. Tendayi Achiume, 25 octobre 2022, doc. A/77/549, par. 29 ; doc. A/77/190 de 2022, par. 45 ; Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales sur l’examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la convention, 3 avril 2012, doc. CERD/C/ISR/CO/14-16, par. 24 ; doc. CERD/C/ISR/CO/17-19 de 2020, par. 23 (où il est aussi indiqué que le comportement en question atteint la population palestinienne « en Israël proprement dit » et dans le territoire palestinien) ; Amnesty International, « Israel’s Apartheid against Palestinians » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.amnesty.org/en/documents/mde15/5141/2022/en/) ; HRW, « A Threshold Crossed » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/report/2021/04/27/threshold-crossed/israeli-authorities-and-crimes-apartheid- and-persecution) ; Al-Haq, « Israeli Apartheid » (2022) (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/cached_ uploads/download/2022/12/22/israeli-apartheid-web-final-1-page-view-1671712165.pdf) ; Al Mezan, « The Gaza Bantustan » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/uploads/upload_center/kLAkShfIAra2.pdf) ; Joint Submission of Al-Haq, Habitat and Addameer, janvier 2022 (accessible à l’adresse suivante : https://www.alhaq.org/ cached_uploads/download/2022/01/20/final-draft-lynk-s-apartheid-submission-1-1642656045.pdf) ; B’Tselem, « This is Apartheid » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem.org/publications/fulltext/202101_this_is_ apartheid). Voir également The State of Palestine, « It is Apartheid » (2020) (accessible à l’adresse suivante : http://www. dci.plo.ps/files/It%20is%20Apartheid%20%20NAD-PLO.pdf).
247 Doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 9 ; « Gaza as an Open-Air Prison », Middle East Research and Information Project (2015) (accessible à l’adresse suivante : https://merip.org/2015/06/gaza-as-an-open-air-prison/).
248 Al Mezan, « The Gaza Bantustan » (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://mezan.org/uploads/upload_ center/kLAkShfIAra2.pdf), p. 18. Le terme « bantoustan » était employé sous l’ancien régime d’apartheid dominé par les Blancs en Afrique du Sud pour désigner des territoires quasi autonomes attribués aux populations noires. Il s’agissait donc d’instruments politiques visant à exclure les Noirs de la société sud-africaine et faisaient partie intégrante de la ségrégation raciale, de la discrimination institutionnalisée et de l’oppression qui constituaient l’apartheid en Afrique du Sud.
249 C’est également le cas du rapport du rapporteur spécial cité ci-dessus, où Gaza est mentionné à plusieurs reprises dans l’analyse : voir doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 42 et 45, et en conclusion, voir par. 50, al. a)-c).
250 Avis consultatif sur le mur, p. 155, par. 40.
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ci-après les conséquences juridiques : a) pour Israël (point 1) ; b) pour les autres États (point 2) ; et c) pour l’Organisation des Nations Unies (point 3).
1. Conséquences juridiques pour Israël
75. Il y a trois conséquences importantes découlant des violations par Israël de ses obligations. Premièrement, Israël est tenu de respecter immédiatement et sans condition les obligations auxquelles il contrevient251. Deuxièmement, il est tenu de cesser immédiatement et sans condition le comportement illicite persistant auquel il se livre en violation de ces obligations252. Troisièmement, il est tenu de réparer intégralement, immédiatement et sans condition, le préjudice causé par son comportement illicite253. Outre ces conséquences, Israël a aussi, comme tout autre État, l’obligation de se conformer immédiatement et sans condition aux décisions pertinentes du Conseil de sécurité, en application de l’article 25 de la Charte des Nations Unies.
76. S’agissant de la violation de son obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, Israël est tenu de mettre fin au comportement emportant violation de cette obligation et de s’acquitter de celle-ci « dans les plus brefs délais »254 et doit, à cette fin, prendre des « mesures immédiates »255. Cela lui impose de reconnaître le droit des Palestiniens à l’autodétermination et de cesser de nier leur existence en tant que peuple pouvant se prévaloir dudit droit256. Cela lui impose également de cesser d’exercer son autorité sur la Cisjordanie et Gaza (notamment en abrogeant totalement l’ensemble des politiques, pratiques et mesures terrestres et maritimes qui relèvent du blocus), étant donné que cet exercice d’autorité constitue le comportement qui empêche le peuple palestinien de jouir de son droit à l’autodétermination257. L’ensemble des actes législatifs et réglementaires, des politiques et des pratiques adoptés par Israël en vue d’imposer son autorité sur le territoire palestinien, notamment pour confiner la bande de Gaza et la séparer de la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), doivent immédiatement être abrogés ou privés d’effet258.
77. S’agissant de ses pratiques d’implantation de colonies de peuplement, Israël est tenu de respecter, en particulier, les interdictions qui lui sont faites de transférer sa propre population civile dans le Territoire palestinien occupé, de soumettre les Palestiniens à des déplacements forcés à l’intérieur du territoire palestinien, ainsi que de se livrer à l’appropriation et à la destruction de leurs biens. À ce titre, il doit, entre autres choses, mettre fin immédiatement et complètement à ses pratiques de colonisation, notamment a) en retirant sa propre population civile et ses forces armées du territoire palestinien ; b) en cessant de déplacer de force les Palestiniens à l’intérieur de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ; c) en cessant de se livrer à l’appropriation et à la destruction de biens privés et publics en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ; et d) en abrogeant ou en privant d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires, des politiques et des pratiques adoptés qui facilitent ou soutiennent le transfert d’Israéliens en Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, qui visent à déplacer de force les Palestiniens à l’intérieur de ce territoire et qui permettent l’appropriation ou la destruction de biens palestiniens. Cette dernière mesure nécessite notamment qu’Israël i) arrête immédiatement la construction du mur de séparation dans le territoire palestinien, démantèle dès
251 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art.29 ; avis consultatif sur le mur, p. 197, par. 149.
252 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art. 30, al. a) ; avis consultatif sur le mur, p. 197, par. 150.
253 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art. 31 ; avis consultatif sur le mur, p. 198, par. 152.
254 Avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 139, par. 178.
255 Doc. A/RES/1514 (XV) de 1960, par. 5.
256 Voir supra, par. 20.
257 Voir supra, par. 22 et 24.
258 Voir aussi avis consultatif sur le mur, p. 198, par. 151.
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maintenant l’ouvrage situé dans ce territoire et abroge ou prive d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires qui s’y rapportent
259 ; ii) cesse immédiatement d’établir de nouvelles colonies et d’étendre les implantations existantes, notamment en mettant fin à leur croissance dite « naturelle » et aux activités connexes, et abandonne tout projet d’implantation de colons dans le territoire palestinien, y compris Jérusalem-Est, ainsi que toute politique visant à inciter les colons à s’y installer260 ; iii) cesse immédiatement d’exploiter les ressources naturelles du territoire palestinien, y compris en cessant d’encourager, d’aider ou d’assister des entreprises privées en vue du pillage des ressources naturelles de la Cisjordanie, et prenne les mesures voulues pour prévenir un tel pillage ; et iv) cesse immédiatement de faciliter les violences de colons contre les Palestiniens en Cisjordanie, prenne toutes les mesures voulues pour empêcher que de telles violences se poursuivent, et veiller à ce que les auteurs des attaques commises répondent de leurs actes261. Le Conseil de sécurité a lui aussi exigé d’Israël qu’il « arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement »262. Il s’agit d’une décision obligatoire à laquelle Israël est tenu de se conformer.
78. En ce qui concerne son annexion du territoire palestinien et sa violation de l’interdiction d’acquérir un territoire par la force, Israël doit mettre fin aux actes qu’il entreprend au mépris de cette interdiction. Le comportement illicite d’Israël consiste en l’exercice d’un contrôle effectif sur le territoire palestinien, conjugué à l’intention de s’en emparer de façon permanente. En conséquence, l’obligation qu’a Israël de mettre fin à son comportement illicite lui impose a) de se retirer complètement de Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est ; b) d’abroger ou de priver d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires ainsi que des politiques et des pratiques qui contribuent au contrôle effectif qu’il exerce sur Gaza, notamment à travers le blocus ; c) d’abroger ou de priver d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires ainsi que des politiques et des pratiques qu’il a adoptés pour annexer formellement Jérusalem-Est263 ; et d) d’abroger ou de priver d’effet les actes, politiques et pratiques qu’il a adoptés concernant le reste de la Cisjordanie et Gaza en vue de s’emparer de ces territoires de façon permanente. Même en faisant abstraction de l’illicéité de l’occupation par Israël du territoire palestinien, compte tenu de l’annexion et de la tentative d’acquisition par la force dudit territoire, le comportement même qui a conduit à cette occupation est, en tout état de cause, illicite, fût-ce sur un autre fondement, soit la violation de l’interdiction d’acquérir un territoire par la force. Le Conseil de sécurité a également affirmé qu’Israël devait rapporter toutes les mesures qui modifiaient ou visaient à modifier le statut de Jérusalem264. Il s’agit d’une décision obligatoire à laquelle Israël est tenu de se conformer.
79. En ce qui concerne ses pratiques discriminatoires connexes, Israël doit mettre fin à tout comportement emportant violation, en particulier, des obligations qui lui incombent au regard du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, notamment pour ce qui est du droit au retour et de l’interdiction de l’apartheid. Pour ce faire, Israël doit, entre autres obligations, a) abroger ou priver d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires, politiques et pratiques adoptés qui emportent violation de ses obligations en matière de droits de l’homme, y compris ceux dont l’application et les effets ont un caractère discriminatoire, et
259 Doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 8.
260 Doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, par. 7, al. a) et d).
261 Ibid., par. 7, al. f).
262 Doc. S/RES/2334 (2016), par. 2. Voir également doc. S/RES/465 (1980), par. 6, où il est demandé à Israël de rapporter les mesures qu’il a mises en oeuvre, de démanteler les colonies de peuplement et de cesser d’établir de nouvelles colonies.
263 Voir également doc. A/RES/2253(ES-V) de 1967, par. 2 : « Demande à Israël de rapporter toutes les mesures déjà prises et de s’abstenir immédiatement de toute action qui changerait le statut de Jérusalem ». Voir aussi références citées à la note 264.
264 Doc. S/RES/478 (1980), par. 3. Voir également Nations Unies, Conseil de sécurité, résolutions 252 du 21 mai 1968, doc. S/RES/252 (1968), par. 3 ; 267 du 3 juillet 1969, doc. S/RES/267 (1969), par. 5 ; doc. S/RES/476 (1980), par. 4.
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s’acquitter immédiatement de toutes ses obligations en matière de droits de l’homme ; b) abroger ou priver d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires, politiques et pratiques qui privent les Palestiniens déplacés et leurs descendants du droit de retourner chez eux et de recouvrer leurs biens en Israël ou dans le territoire palestinien ; et c) abroger ou priver d’effet l’ensemble des actes législatifs et réglementaires, politiques et pratiques adoptés qui sont constitutifs d’apartheid contre le peuple palestinien.
80. S’agissant de la réparation, Israël est tenu de réparer intégralement les préjudices causés par ses faits internationalement illicites265. Il a l’obligation de procéder à la restitution et, dans la mesure où le dommage causé par ses faits n’est pas réparé par la restitution, il est tenu de verser une indemnité266. Celle-ci couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner267. Elle comprend des intérêts dans la mesure nécessaire pour assurer la réparation intégrale268. Selon la CNUCED, en raison de l’occupation de la Cisjordanie par Israël entre 2000 et 2019 — période tout au long de laquelle l’occupation était illicite269 —, le peuple palestinien a cumulé une perte de 57,7 milliards de dollars des États-Unis270. Conformément à son obligation d’accorder une réparation intégrale, Israël doit également prendre les mesures suivantes : a) s’agissant de l’appropriation et de la destruction de biens palestiniens privés et publics auxquelles il s’est livré en exécution de ses politiques et pratiques de colonisation271, restituer les biens qu’il s’est appropriés (ou verser une indemnité lorsque cela est matériellement impossible) et verser une indemnité pour les biens qu’il a détruits272 ; b) s’agissant du pillage des ressources naturelles de Cisjordanie273 et de Gaza274, à tout le moins, payer à la Palestine les redevances qu’il a reçues, ainsi qu’une indemnité évaluée en fonction de la valeur des ressources naturelles extraites275 ; et c) s’agissant de sa violation du droit au retour276, restituer aux Palestiniens déplacés et à leurs descendants leurs habitations et leurs biens en Israël et dans le territoire palestinien (ou verser une indemnité lorsque cela est matériellement impossible).
81. Étant donné que le comportement d’Israël a enfreint certaines des normes les plus importantes du droit international, qu’il a persisté durant plus d’un demi-siècle et qu’il a eu des conséquences dévastatrices sur plusieurs générations de Palestiniens, la restitution et l’indemnisation ne suffisent pas, en la présente espèce, à réparer intégralement le préjudice subi, en particulier le
265 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art. 31 ; avis consultatif sur le mur, p. 198, par. 152.
266 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art. 35-36 ; avis consultatif sur le mur, p. 198, par. 153.
267 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art. 36, par. 2.
268 Voir ibid., art. 38.
269 Voir supra, par. 33.
270 Nations Unies, CNUCED, Les coûts économiques de l’occupation israélienne pour le peuple palestinien : arrêt du développement et pauvreté en Cisjordanie (2021) (accessible à l’adresse suivante : https://unctad.org/system/files/official-document/gdsapp2021d2_fr.pdf), p. v.
271 Voir supra, par. 39.
272 Ces biens comprennent « les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute personne physique ou morale en vue de l’édification du mur » : avis consultatif sur le mur, p. 198, par. 153.
273 Voir supra, par. 40.
274 Voir supra, par. 56 e) ii).
275 Voir, par exemple, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p. 104, par. 275 ; et p. 105-106, par. 278 (renvoyant à la méthode adoptée par l’expert décrite aux paragraphes 271-272, p. 102-103), par. 296, p. 110, par. 298, p. 111 ; et par. 366, p. 127 (lorsqu’elle a examiné la réparation due à raison du pillage des ressources naturelles dans le territoire occupé, y compris par des personnes privées, la Cour s’est fondée sur une méthode consistant à évaluer la valeur des ressources extraites dans le cadre de l’exploitation faite dans la zone visée pendant la période considérée).
276 Voir supra, par. 57-62.
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préjudice moral causé à la Palestine et à son peuple
277. La réparation sous forme de satisfaction est donc nécessaire278. En conséquence, Israël devrait reconnaître que son comportement emporte violation du droit international et présenter des excuses formelles au peuple palestinien.
2. Conséquences juridiques pour les autres États
82. Il y a quatre conséquences juridiques importantes pour les autres États, selon qu’il s’agit a) des violations par Israël de normes impératives (voir a)) ; b) des violations par Israël d’obligations erga omnes (voir b)) ; c) des violations par Israël du droit international humanitaire (voir c)) ; et d) des violations engageant la responsabilité pénale individuelle (voir d)). Outre ces conséquences, les États Membres de l’Organisation des Nations Unies sont tenus, au regard de l’article 25 de la Charte des Nations Unies, de se conformer aux décisions obligatoires du Conseil de sécurité.
a) Violations de normes impératives
83. La première conséquence juridique importante concerne les violations par Israël d’obligations ayant le caractère de normes impératives, à savoir a) l’obligation de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination279 ; b) l’interdiction de l’emploi de la force et de l’agression, qu’Israël a violée à raison de son occupation et de son annexion illicites de Jérusalem-Est, du reste de la Cisjordanie et de Gaza280 ; c) les règles fondamentales du droit international humanitaire281 ; et d) l’interdiction de la discrimination raciale et de l’apartheid282. Il s’agit de violations graves par Israël, car elles dénotent de sa part un manquement à la fois flagrant et systématique à l’exécution de ses obligations283. Du fait des violations graves par Israël de ces normes impératives, les autres États sont tenus a) de coopérer pour mettre fin auxdites violations ; b) de s’abstenir de reconnaître comme licites les situations créées par ces violations ; et c) de s’abstenir de prêter aide ou assistance au maintien de ces situations284.
277 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 2 de l’article 31 (l’obligation de réparer le préjudice comprend le préjudice moral).
278 Voir ibid., art. 37.
279 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29 ; CDI, articles sur la responsabilité de l’État, commentaire relatif à l’article 26, par. 5, et commentaire relatif à l’article 40, par. 5 ; CDI, Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives, annexe, par. h) ; Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (9e édition, 2019), p. 582.
280 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 100, par. 190 ; CDI, articles sur le droit des traités et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international, 1966, vol. II, commentaire relatif à l’article 50, par. 1 ; CDI, articles sur la responsabilité de l’État, commentaire relatif à l’article 26, par. 5, et commentaire relatif à l’article 40, par. 4 ; CDI, Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives, annexe, par. a) ; Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (9e édition, 2019), p. 581. Le blocus maritime de Gaza constitue aussi un acte d’agression : voir supra, note 84.
281 CDI, articles sur la responsabilité de l’État, commentaire relatif à l’article 40, par. 5 ; CDI, Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives, annexe, par. d) ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 257, par. 79 (« un grand nombre de règles du droit humanitaire … sont si fondamentales » que « la convention IV de La Haye et les conventions de Genève ont bénéficié d’une large adhésion des États » et « [c]es règles fondamentales … constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier » qui s’imposent à tous les États).
282 CDI, Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives, annexe, par. e) ; CDI, articles sur la responsabilité de l’État, commentaire relatif à l’article 26, par. 5, et commentaire relatif à l’article 40, par. 4 ; Crawford, Brownlie’s Principles of Public International Law (9e édition, 2019), p. 581-582.
283 CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art. 40.
284 Ibid., art. 41.
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84. En ce qui concerne ces obligations pour les autres États, les points suivants méritent d’être soulignés :
a) eu égard à l’obligation de coopérer, il s’agit d’un devoir positif (à la différence de l’obligation de de ne pas reconnaître et de celle de ne pas prêter assistance, qui sont des devoirs d’abstention)285. Ce qui est requis, c’est « un effort concerté et coordonné de tous les États … pour en contrecarrer les effets »286. Une telle coopération peut être organisée dans le cadre d’une organisation internationale compétente, notamment l’Organisation des Nations Unies287. Elle pourrait aboutir, notamment, à la suspension du droit d’Israël de siéger à certains organes de l’ONU288.
b) S’agissant de l’annexion du territoire palestinien par Israël, les États ont l’obligation de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par cette annexion. En d’autres termes, ils doivent s’abstenir de reconnaître, officiellement ou implicitement289, une quelconque partie du territoire palestinien comme relevant d’Israël. Cette obligation de ne pas reconnaître l’acquisition d’un territoire par l’usage de la force est énoncée dans la déclaration relative aux relations amicales : « Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale. »290 Pour ce qui est de la situation concernée en l’espèce, dans sa résolution 77/25, l’Assemblée générale, après avoir demandé à tous les États de « ne reconnaître aucune modification du tracé des frontières d’avant 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem », a précisé que cette obligation comprenait le fait de « veill[er] à ce que les accords avec Israël n’impliquent pas la reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur les territoires qu’il a occupés en 1967 »291. En ce qui concerne Jérusalem plus précisément, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 478 (1980), a, après avoir considéré que les mesures prises par Israël qui avaient modifié ou visaient à modifier le statut de Jérusalem étaient nulles et non avenues, et décidé de ne pas reconnaître les actions entreprises par Israël en vue de cet objectif, demandé aux États de s’abstenir d’établir des missions diplomatiques à Jérusalem ou de retirer celles qui s’y trouvaient292. De plus, dans sa résolution 2334 (2016), ayant souligné qu’il « ne reconnaîtra[it] aucune modification aux frontières du 4 juin 1967 », il a demandé aux États de « faire une distinction, dans leurs échanges en la matière, entre le territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 »293. Ce sont des décisions obligatoires auxquelles les États Membres de l’Organisation des Nations Unies sont tenus de se conformer294.
c) Pour ce qui est des pratiques d’Israël constitutives d’apartheid, les États sont tenus de ne pas reconnaître comme licites les situations créées par ce dernier en violation de l’interdiction de l’apartheid. Les États parties à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
285 Ibid., paragraphes 2 et 4 du commentaire relatif à l’article 41.
286 Ibid., paragraphe 3 du commentaire relatif à l’article 41.
287 Ibid., paragraphe 2 du commentaire relatif à l’article 41. Voir aussi avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 139-140, par. 182.
288 Voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution ES-11/3 du 7 avril 2022, doc. A/RES/ES-11/3 (concernant la Russie).
289 CDI, articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 5 du commentaire relatif à l’article 41.
290 Déclaration relative aux relations amicales, premier principe, dixième paragraphe. Voir aussi CDI, articles sur la responsabilité de l’État, paragraphes 6-7 du commentaire relatif à l’article 41.
291 Nations Unies, Assemblée générale, résolutions 77/25 du 30 novembre 2022, doc. A/RES/77/25 (ci-après « doc. A/RES/77/25 de 2022 »), par. 13, al. a) ; et ES-11/4 du 12 octobre 2022, doc. A/RES/ES-11/4 (concernant la Russie et l’Ukraine), par. 4. Voir également Conseil de sécurité, résolution 662 du 9 août 1990, doc. S/RES/662 (1990) (concernant l’Irak et le Koweït), par. 2.
292 Doc. S/RES/478 (1980), par. 3 et par. 5, al. b). Voir également Nations Unies, Assemblée générale, résolution ES-10/19 du 21 décembre 2017, doc. A/RES/ES-10/19, par. 1.
293 Doc. S/RES/2334 (2016), par. 3 et 5. Voir également doc. A/RES/77/25 de 2022, par. 13, al. b) ; doc. A/HRC/ RES/52/35 de 2023, par. 11, al. a).
294 Charte des Nations Unies, art. 25.
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de discrimination raciale ont le devoir positif de condamner les pratiques d’Israël assimilables à l’apartheid
295. La Chambre des représentants du Belize l’a fait en octobre 2021296.
d) En ce qui concerne l’obligation de ne pas prêter assistance, le Conseil de sécurité a à maintes reprises demandé aux États « de ne fournir à Israël aucune assistance qui serait utilisée spécifiquement pour les colonies de peuplement des territoires occupés », lesquelles constituent un aspect particulier du comportement d’Israël contraire aux normes impératives susmentionnées297. En octobre 2021, la Chambre des représentants du Belize a présenté des mesures que les États pouvaient prendre pour s’acquitter de cette obligation générale de ne pas prêter assistance, à savoir : l’adoption de sanctions ciblées, la cessation de tout type d’échange ou d’activité commerciale de nature militaire ou en matière de formation policière ou de la sécurité avec Israël et l’adoption de mesures visant à garantir que les entreprises exerçant des activités sur leur territoire ne prennent pas part aux violations des droits de l’homme commises par Israël contre le peuple palestinien et n’en tirent aucun profit298.
b) Violations d’obligations erga omnes
85. La deuxième conséquence juridique importante concerne les obligations des États relatives au droit à l’autodétermination. Le respect de ce droit est une obligation erga omnes299. Ainsi que l’énonce la déclaration relative aux relations amicales, « [t]out État a le devoir de favoriser, conjointement avec d’autres États ou séparément, la réalisation du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes »300. Les États sont tenus, non seulement conjointement mais aussi individuellement, de veiller à ce qu’il « soit mis fin aux entraves » qu’impose le comportement illicite d’Israël à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination301.
c) Violations du droit international humanitaire
86. La troisième conséquence importante concerne les violations par Israël des obligations qui lui incombent au regard du droit international humanitaire conventionnel et coutumier. L’article premier commun aux conventions de Genève et aux protocoles additionnels consacre l’obligation coutumière qu’ont tous les États de « faire respecter » le droit international humanitaire « en toutes
295 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 3.
296 « Belize House of Representatives Resolution on Palestine Motion », 26 octobre 2021 (accessible à l’adresse suivante : https://www.nationalassembly.gov.bz/wp-content/uploads/2023/07/Belize-House-of-Representatives-Resolu tion-on-Palestine-Motion-2021.pdf). Cette motion a également été adoptée par le Sénat du Belize le 28 octobre 2021.
297 Doc. S/RES/465 (1980), par. 7 ; doc. S/RES/471 (1980), par. 5. Voir également avis consultatif sur le mur, p. 191-192, par. 134 (et renvoyant au paragraphe 120, p. 183-184), où la résolution 465 du Conseil de sécurité est mentionnée comme une résolution obligatoire à laquelle les faits en question peuvent être « contraires ».
298 « Belize House of Representatives Resolution on Palestine Motion », 26 October 2021 (accessible à l’adresse suivante : https://www.nationalassembly.gov.bz/wp-content/uploads/2023/07/Belize-House-of-Representatives-Resolu tion-on-Palestine-Motion-2021.pdf), par. 5-7. Voir également, en ce qui concerne les mesures que les États devraient prendre, par exemple, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (2011) (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/ documents/publications/guidingprinciplesbusinesshr_fr.pdf).
299 Voir avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 139, par. 180 ; et avis consultatif sur le mur, p. 199, par. 155-156.
300 Déclaration relative aux relations amicales, cinquième principe, deuxième paragraphe.
301 Voir avis consultatif sur le mur, p. 199, par. 156 ; et p. 200, par. 159.
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circonstances »
302. Cette obligation comprend les obligations négatives a) de ne pas encourager les manquements ou les entraves à l’application des conventions ou des protocoles dans des circonstances telles qu’il est probable ou prévisible que de tels manquements ou entraves seront commis ; et b) de ne pas sciemment prêter aide ou assistance à la commission de telles violations et entraves303. Elle comprend également c) l’obligation positive de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les violations et les entraves au droit international humanitaire et y mettre fin304. Il s’agit d’une obligation de comportement, qui impose aux États de « mettre en oeuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition » en vue de faire cesser ou d’empêcher, dans la mesure du possible, les violations305. Une telle obligation devient applicable lorsque l’État a connaissance ou devrait normalement avoir connaissance de l’existence d’un risque sérieux de commission d’une violation ou d’une entrave306. Si ce qu’un État doit faire pour s’acquitter de cette obligation positive doit s’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce, certains paramètres entrent toutefois en ligne de compte aux fins de cette appréciation, et notamment la gravité de la violation, la capacité de l’État d’influencer l’auteur de la violation et les moyens dont il peut raisonnablement disposer307. Cette obligation se trouve violée lorsque l’État « a manqué manifestement de mettre en oeuvre les
302 L’article premier commun aux conventions de Genève et aux protocoles additionnels énonce l’obligation de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter [la présente Convention/le présent Protocole] en toutes circonstances. » La Cour a confirmé que ces dispositions revêtaient un caractère coutumier dans l’affaire relative aux Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 114, par. 220. Voir aussi CICR, étude sur le droit international humanitaire coutumier (2005), règle 139, qui confirme que l’obligation s’applique à l’ensemble du corpus de droit international humanitaire par lequel tout État est lié. Les commentaires formulés ici visent en particulier l’obligation de faire respecter. Voir, en outre, avis consultatif sur le mur, p. 200, par. 159.
303 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 114, par. 220 ; et p. 129-130, par. 255-256 ; CICR, commentaire de la première convention de Genève (2e édition, 2016), par. 158 du commentaire relatif à l’article 1. Ces obligations négatives ne portent pas seulement sur le fait de ne pas encourager des parties à un conflit à violer le droit international humanitaire et de ne pas leur prêter aide ou assistance à cet effet ; elles comprennent aussi le fait de ne pas encourager des personnes privées à commettre des actes interdits au regard du droit international humanitaire (ici désignés par le terme « entraves » en raison du fait que les personnes privées ne sont pas elles-mêmes directement liées par le droit international humanitaire conventionnel ou coutumier) et de ne pas leur prêter aide ou assistance à cet effet. Cela découle nécessairement de l’obligation de faire respecter le droit international humanitaire « en toutes circonstances » prévue à l’article premier commun aux conventions. De fait, il serait « paradoxal » que les États se voient interdire d’adopter un certain comportement et d’encourager des parties prenant part à un conflit à adopter un tel comportement ou de leur prêter aide ou assistance à cet effet, tout en demeurant libres d’encourager des personnes privées à adopter ce même comportement ou de leur prêter aide ou assistance à cet effet. Voir l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, p. 113, par. 166.
304 Rapport de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, « Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », 15 février 2021, doc. A/HRC/46/22 (ci-après « doc. A/HRC/46/22 de 2021 »), par. 37 ; rapport de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, intitulé « Intégrité de l’appareil judiciaire », 24 juillet 2020, doc. A/HRC/43/35, par. 34 ; CICR, XXXe conférence internationale, 2007, résolution 3 (accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/icrc_001_1108.pdf), par. 2.
305 Voir l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, p. 221, par. 430 (concernant l’obligation analogue d’exercer la diligence requise en vue de prévenir le génocide). La Cour a également noté que
« [p]eu importe … que l’État dont la responsabilité est recherchée allègue, voire qu’il démontre, que s’il avait mis en oeuvre les moyens dont il pouvait raisonnablement disposer, ceux-ci n’auraient pas suffi à empêcher la commission du génocide. Une telle circonstance, d’ailleurs généralement difficile à prouver, est sans pertinence au regard de la violation de l’obligation de comportement dont il s’agit. Il en va d’autant plus ainsi qu’on ne saurait exclure que les efforts conjugués de plusieurs États, dont chacun se serait conformé à son obligation de prévention, auraient pu atteindre le résultat — empêcher la commission d’un génocide — que les efforts d’un seul d’entre eux n’auraient pas suffi à obtenir. »
Le même raisonnement s’applique également aux violations du droit international humanitaire. Voir également Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 253, par. 248 : « prendre des mesures appropriées pour prévenir » le pillage des ressources naturelles dans le territoire occupé par des personnes privées.
306 Voir l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, p. 221-222, par. 431.
307 Ibid., p. 221, par. 430.
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mesures de prévention … qui étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à []empêcher » la violation du droit international humanitaire
308.
87. Tous les États ont connaissance de l’illicéité des pratiques de colonisation d’Israël en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est), de son blocus de Gaza et des dispositifs discriminatoires d’oppression qu’il a mis en place à l’appui de ces mesures. Celles-ci ont, depuis longtemps et à maintes reprises, été qualifiées de violations du droit international humanitaire par de nombreux organes et organismes de l’ONU. L’obligation de faire respecter le droit international humanitaire s’agissant de ces pratiques illicites est donc applicable à tous les États. En particulier, pour ce qui est de l’obligation positive d’adopter des mesures visant à mettre fin aux violations persistantes et à empêcher que d’autres se produisent dans la mesure du possible309, il y a lieu de réglementer le comportement d’acteurs privés qui, bien que licite dans d’autres circonstances, favorise et maintient les pratiques illicites d’Israël310. Dans bien des cas, le lien entre les États tiers et le comportement constitutif de violation du droit international humanitaire ou d’entrave à celui-ci est indirect. De même, le lien entre un acteur privé particulier et un tel comportement peut être indirect si, par exemple, l’intéressé fait partie d’une chaîne d’approvisionnement de biens ou de services. Il se peut qu’un État tiers n’ait d’influence que sur l’un des nombreux éléments d’une chaîne d’activités qui aboutit au comportement illicite ou le facilite. Exercer sa compétence pour réglementer ou interdire même un seul de ces éléments peut suffire à faire cesser ou à empêcher des violations du droit international humanitaire ou des entraves à celui-ci. Le fait pour un État de ne pas exercer sa compétence à cet égard ou de refuser de le faire peut être considéré comme un « manquement manifeste à l’obligation de mettre en oeuvre des mesures de prévention … qui étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à empêcher » des violations du droit international humanitaire311. Les États doivent donc i) s’informer avec diligence pour savoir quels acteurs privés menant des activités sur leur territoire ou relevant de leur compétence312 adoptent un comportement associé aux pratiques illicites d’Israël313 ; ii) prendre les mesures voulues pour réglementer ou interdire le comportement
308 Ibid.
309 Voir, pour des exemples de mesures que peuvent prendre les États, doc. A/HRC/46/22 de 2021, par. 39-45.
310 Les États ont connaissance de tels comportements d’acteurs privés. Voir la résolution où le Conseil des droits de l’homme reconnaît que des entreprises « ont permis et facilité, directement et indirectement, la création et l’extension de colonies israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, et en ont tiré profit » : doc. A/HRC/RES/52/35 de 2023, 23e alinéa du préambule. Voir aussi 25e alinéa du préambule :
« Préoccupé par les activités économiques qui facilitent l’extension et la consolidation des colonies, conscient que les conditions de culture et de production de produits dans les colonies supposent notamment l’exploitation des ressources naturelles du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et demandant à tous les États de respecter leurs obligations juridiques à cet égard, y compris celle de garantir le respect de la quatrième Convention de Genève » (les italiques sont de nous).
Voir, en outre, par. 6, al. a), et par. 9.
311 Voir l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, p. 221, par. 430.
312 Cela comprend les acteurs privés qui mènent des activités sur le territoire de l’État et ceux qui le font à l’étranger mais qui sont soumis à la compétence extraterritoriale de l’État.
313 Un certain nombre de sources d’information publiques recensent déjà diverses entreprises qui ont un lien, ou dont les activités ont un lien avec les colonies israéliennes illicites. La base de données établie en application de la résolution 31/36 de 2016 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies recense les entreprises impliquées dans des activités associées aux colonies de peuplement israéliennes illicites dans le territoire palestinien (voir rapport de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, base de données de toutes les entreprises impliquées dans les activités décrites au paragraphe 96 du rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 28 février 2020 et mise à jour de 2023, doc. A/HRC/43/71 (accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/ hrbodies/hrcouncil/sessions-regular/session31/database-hrc3136/23-06-30-Update-israeli-settlement-opt-database-hrc3136.pdf)). De même, Whoprofits.org a désigné des entreprises qui auraient tiré profit des activités de colonisation, d’exploitation économique et de contrôle de la population auxquelles se livre Israël concernant le territoire et le peuple palestiniens (accessible à l’adresse suivante : https://www.whoprofits.org/).
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qui favorise ou maintient ces pratiques ; et iii) imposer des conséquences opportunes, au regard du droit interne, en cas de violation de ces règlements ou interdictions.
88. Serait notamment souhaitable l’adoption de mesures ciblant des activités précises susceptibles d’entraîner un risque sérieux de violations du droit international humanitaire dans le territoire palestinien314, consistant par exemple à interdire ou à priver d’effet les contrats de fourniture de travaux de construction, de matériaux, d’équipements et de services financiers, d’assurance ou de réassurance ou d’autres services liés à la construction du mur de séparation ou encore à l’établissement ou au maintien des colonies illicites, ou à interdire l’achat ou la transformation de ressources naturelles extraites dans le territoire palestinien par Israël ou sous l’autorité dont il prétend être investi, et de produits fabriqués à partir de celles-ci. D’autres mesures pourraient consister à renforcer les exigences existantes en matière de déclaration ou à en imposer de nouvelles afin de contraindre les entreprises constituées ou exploitées sur le territoire d’un État à révéler tout comportement lié à l’occupation et à prendre des mesures visant à s’assurer qu’un tel comportement ne puisse maintenir ou faciliter les violations par Israël du droit international humanitaire315. En outre, les États devraient coopérer entre eux et avec les organisations internationales compétentes (dont la Cour pénale internationale) pour échanger des informations sur les acteurs privés ayant un lien avec l’occupation. Cet échange d’information revêt une importance particulière dans les situations mettant en jeu le comportement d’un groupe de sociétés dont les différentes entités ont été constituées dans différents États, et sont donc soumises à la réglementation de ces différents États. Étant donné que très peu d’obligations sont imposées directement aux acteurs privés sur le plan international, la charge qui incombe aux États de réglementer ces acteurs au moyen de dispositions législatives et de mesures d’application est d’une importance cruciale pour mettre fin aux incitations et aux relations commerciales qui sous-tendent et maintiennent les violations du droit international humanitaire dans le territoire palestinien316.
314 S’agissant du « risque sérieux », voir l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, p. 221-222, par. 431. Voir également, concernant le critère du « risque manifeste », doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 18 :
(« Prie instamment tous les États de s’abstenir de transférer des armes lorsqu’ils estiment, compte tenu de leurs procédures nationales applicables et des normes et obligations internationales, qu’il existe un risque manifeste que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations du droit international des droits de l’homme ou de graves atteintes à ce droit, ou de graves violations du droit international humanitaire »).
315 Certains États imposent déjà des obligations de déclaration d’informations non financières de nature similaire, pourraient être élargies de manière à comprendre les activités associées à une occupation, comme la loi sur les sociétés de 2006 (Royaume-Uni) et la directive de l’Union européenne concernant la publication d’informations non financières, qui exige que certaines grandes entreprises, banques ou compagnies d’assurances cotées déclarent annuellement des informations non financières précises, notamment en ce qui concerne les droits de l’homme et l’environnement (voir loi sur les sociétés de 2006 (Royaume-Uni), sect. 414A, 414C(7) et 414CB ; Union européenne, directive 2014/95/EU, art. 19 a). Voir également loi sur les sociétés de 2006 (Royaume-Uni), sect. 414A(3), qui prévoit que les rapports de la société mère doivent fournir des informations sur l’ensemble des entités du groupe, y compris les filiales étrangères. Voir aussi l’exigence de dénonciation prévue par la loi américaine selon laquelle les sociétés cotées en bourse qui achètent certains minerais de la République démocratique du Congo ou de ses voisins doivent présenter une déclaration annuelle précisant les mesures qu’elles ont mises en oeuvre au titre de la diligence requise pour empêcher l’achat de minerais provenant de zones de conflit (loi Dodd-Frank de 2010 (États-Unis), sect. 1502 et titre 17 du Code of Federal Regulations, sect. 240.13p-1). Cette loi vise toute société cotée en bourse aux États-Unis, quel que soit le lieu où elle est constituée ou celui où est établi son siège social. Un exemple analogue est la loi sur l’esclavage moderne de 2015 (Royaume-Uni), qui exige des organisations commerciales exploitées au Royaume-Uni ayant un chiffre d’affaires d’au moins 36 millions de livres sterling de publier une déclaration annuelle relative aux pratiques d’esclavage et de traite d’êtres humains présentant les mesures prises pour s’assurer que leurs chaînes d’activités et d’approvisionnement sont exemptes de toute forme d’esclavage moderne (loi sur l’esclavage moderne de 2015 (Royaume-Uni), sect. 54).
316 L’importance de tenir les entreprises pour responsables de leur participation à la commission de crimes internationaux est reconnue de longue date, notamment devant le Tribunal de Nuremberg : par exemple, U.S. v. Carl Krauch et al. (I.G.Farben), Tribunal militaire des États-Unis à Nuremberg, 30 juillet 1948, in Trials of War Criminals before the Nurenberg Military Tribunals under Control Council Law No. 10, Vol. VII (1953), p. 1081-1210 (l’entreprise chimique allemande qui fournissait le gaz utilisé dans les camps d’extermination nazis).
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d) Violations engageant la responsabilité pénale individuelle
89. La quatrième conséquence juridique importante concerne les violations qui engagent aussi la responsabilité pénale individuelle. Comme indiqué plus haut, Israël a commis des actes constitutifs d’infractions graves à la quatrième convention de Genève en se livrant à la déportation ou au transfert illicite des Palestiniens et à l’appropriation illicite de biens, non justifiée par des nécessités militaires et exécutée sur une grande échelle, ainsi qu’en commettant des homicides intentionnels de civils palestiniens et en privant les Palestiniens de leur droit d’être jugé impartialement317. Les États parties à la quatrième convention de Genève ont l’obligation de rechercher les personnes qui ont commis ou ordonné de telles infractions graves et de les poursuivre ou de les extrader318. Comme il est également indiqué plus haut, le comportement d’Israël comprend aussi des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et le crime d’agression, lesquels engagent la responsabilité pénale individuelle au regard du droit international coutumier319. Les États parties au Statut de Rome ont l’obligation de coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale dans les enquêtes qu’elle mène sur de tels crimes320. De surcroît, les États parties à la convention contre l’apartheid sont tenus de poursuivre les auteurs du crime contre l’humanité que constitue l’apartheid321.
3. Conséquences juridiques pour l’Organisation des Nations Unies
90. Il y a lieu que les organes de l’ONU, et en particulier l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, examinent quelles nouvelles mesures doivent être prises pour mettre fin à la situation illicite découlant des violations par Israël de ses obligations, en gardant à l’esprit que les mesures qui ont été prises à cet effet n’ont, jusqu’à présent, pas donné les résultats voulus ni garanti le respect des droits du peuple palestinien322.
91. Il conviendrait par exemple, en ce qui concerne la question de l’apartheid, de rétablir le Comité spécial contre l’apartheid de l’ONU et le Centre des Nations Unies contre l’apartheid. Ces organes pourraient assurer un examen régulier des pratiques d’apartheid mises en oeuvre par Israël contre le peuple palestinien et du comportement des États tiers à cet égard, rendre compte à l’Assemblée générale ou au Conseil de sécurité, et établir des rapports et des études visant à informer et sensibiliser au sujet l’apartheid323.
317 Quatrième convention de Genève, art. 147 et voir supra, par. 37, 39, 56 b), d), e) i)-ii).
318 Quatrième convention de Genève, art. 146, par. 2. Les actes susmentionnés sont également constitutifs d’infractions graves au protocole I (voir art. 85), et les États parties à ce traité ont l’obligation de les faire cesser et de les réprimer. Ils ont également l’obligation de coopérer entre eux et, dans le cas d’infractions graves, avec l’Organisation des Nations Unies, pour réprimer et faire cesser de telles infractions (art. 86, 88-89).
319 Voir supra, par. 33-34, 36-40, 44, 56 b), d), e) i)-ii), e) v), 61 et 64.
320 Statut de Rome, art. 86, 89 et 93. En ce qui concerne la compétence de la CPI pour juger le crime d’agression (et les conséquences de l’obligation de coopération avec la celle-ci prévue à l’article 86 à l’égard de crimes relevant de sa compétence), voir ibid., art. 15bis et 15ter.
321 Convention contre l’apartheid, art. IV, al. b). L’apartheid constitue en outre une infraction grave de l’article 85 du protocole I.
322 Voir avis consultatif sur le mur, p. 200, par. 160 ; et p. 202, par. 163 3) E).
323 Pour un résumé des activités menées dans le passé par ces organes à l’égard de l’Afrique du Sud et du rôle qu’ils pourraient jouer s’agissant de l’apartheid pratiqué par Israël en Palestine, voir Housing and Land Rights Network, « Tools to Remedy Israeli Apartheid: Reconstituting the UN Special Committee against Apartheid and the UN Centre against Apartheid », 4 August 2020 (accessible à l’adresse suivante : https://www.hlrn.org/img/documents/4.8.20%20Brief_% 20UN%20Apartheid%20Mechanisms_final.pdf). Voir aussi doc. A/HRC/49/87 de 2022, par. 59, où est formulée la même recommandation pour ce qui est du rétablissement du Comité spécial contre l’apartheid.
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CHAPITRE 2 LA DEUXIÈME QUESTION
92. La deuxième question posée à la Cour est la suivante :
« b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) … ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
93. Le présent chapitre porte sur a) l’incidence des violations du droit international exposées au chapitre 1 de cet exposé sur le statut juridique de l’occupation du territoire palestinien par Israël (partie A) ; et b) les conséquences juridiques découlant de ce statut (partie B).
A. Statut juridique de l’occupation
94. La présente section traite de deux aspects importants du statut juridique de l’occupation du territoire palestinien par Israël, soit, premièrement, le fait que le comportement qu’adopte Israël en violation du droit international, tel qu’examiné au chapitre 1, n’a aucune validité juridique et n’engendre aucun droit pour Israël au regard du droit international (point 1) et, deuxièmement, le fait que le statut juridique de l’occupation du territoire palestinien par Israël est celui d’une présence illicite (point 2).
1. Le comportement d’Israël n’a aucune validité juridique et ne génère aucun droit pour Israël au regard du droit international
95. Les politiques et pratiques adoptées par Israël en violation du droit international ne sauraient conférer à celui-ci aucun droit. Cette position reflète le principe général ex injuria jus non oritur (un droit ne peut découler d’un fait illicite)324. Elle est confirmée par des sources faisant autorité pour ce qui est de chaque aspect des politiques et pratiques examinées au chapitre 1 plus haut.
a) En ce qui concerne la violation du droit d’un peuple à l’autodétermination : dans l’avis consultatif au sujet de la Namibie, la Cour a reconnu que le droit international « rend[ai]t illégale erga omnes une situation qui se prolonge[ait] en violation du droit international » et a souligné l’obligation qui incombait à tous les États de ne pas reconnaître « la validité ou les effets » d’une telle situation dans leurs relations avec l’Afrique du Sud concernant la Namibie325. Cela s’applique de la même manière à la violation par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination326.
b) S’agissant de l’occupation prolongée : il existe un principe établi de longue date en droit international selon lequel l’emploi de la force non justifié par la légitime défense ou par une autorisation du Conseil de sécurité, notamment l’occupation, est illicite, continue d’être illicite
324 Voir Lauterpacht, qui mentionne l’hypothèse dans laquelle « l’acte censé porter création d’un nouveau droit est contraire à une règle existante du droit international conventionnel ou coutumier. Dans ce cas, l’acte en question est entaché de nullité et insusceptible de produire des effets juridiques en faveur de l’auteur du fait illicite, que ce soit sous la forme d’un nouveau titre ou autrement » : Lauterpacht (sous la dir. de), International Law, a Treatise (Oppenheim’s International Law), vol. 1 — Peace (8e édition, 1955), p. 141-142.
325 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 56, par. 126.
326 Voir également supra, par. 83 concernant l’obligation de non-reconnaissance qui incombe à tous les États ; CDI, articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 2 de l’article 41, et paragraphes 5 et 8 du commentaire relatif à l’article 41.
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tant qu’il persiste et ne peut donner naissance à un titre sur le territoire occupé opposable à d’autres États
327. Dès 1977, l’Assemblée générale a qualifié d’« illégale » l’occupation israélienne et déclaré que celle-ci emportait « violation de la Charte des Nations Unies, des principes du droit international et des résolutions répétées de l’Organisation des Nations Unies »328. En 1980, le Conseil de sécurité a reconnu la « nécessité primordiale » qu’Israël mette fin à son occupation329. En 2022 et 2023, le Conseil des droits de l’homme a exigé qu’Israël se retire du territoire palestinien et mette un terme à son occupation, et affirmé que toutes les mesures et décisions prises par Israël au mépris « des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, [étaie]nt illégales et n’[avaie]nt aucune validité »330.
c) S’agissant de l’établissement des colonies en Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et des mesures connexes qui contribuent aussi à la modification de la composition démographique du territoire occupé, plusieurs organes de l’ONU ont déclaré à maintes reprises que de telles mesures étaient « illégales », « nulles et non avenues », n’avaient « aucun fondement en droit » ou « aucune validité juridique » et ne pouvaient modifier le statut du territoire en question331. En particulier, ces colonies, et, plus largement, l’occupation par Israël, ne font naître aucun droit pour Israël à l’égard de la terre ou des ressources du territoire occupé332.
d) En ce qui concerne l’annexion : l’acquisition qu’Israël prétend faire du territoire par l’emploi de la force ne produit aucun effet juridique en droit international333 ; en outre, le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ont réaffirmé ce principe à maintes reprises dans le contexte de l’annexion de Jérusalem-Est par Israël, en déclarant que les mesures prises par ce dernier à cet égard étaient « nulles et non avenues » ou « non valides », qu’elles n’avaient « aucune validité en droit » et qu’elles ne pouvaient avoir aucune incidence sur l’application de la quatrième convention de Genève ni changer le statut de Jérusalem-Est334. Cette analyse s’applique également pour ce qui est de l’annexion de facto par Israël du reste de la Cisjordanie et de Gaza.
327 Déclaration relative aux relations amicales, premier principe, dixième paragraphe (« Nulle acquisition territoriale obtenue par la menace ou l’emploi de la force ne sera reconnue comme légale ») ; Brownlie, International Law and the Use of Force by States (1963), p. 410 (où il est indiqué que cette position constitue « une application évidente du principe ex iniuria jus non oritur ») ; CDI, articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 2 de l’article 41, et paragraphes 5-7 du commentaire relatif à l’article 41. L’emploi licite de la force ne crée pas davantage de titre sur un territoire : voir supra, par. 44 et 46.
328 Doc. A/RES/32/20 de 1977, quatrième alinéa du préambule et par. 1. Voir également références citées à la note 90 plus haut.
329 Doc. S/RES/471 (1980), par. 6 ; doc. S/RES/476 (1980), par. 1.
330 Doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 1 et 4 ; doc. A/HRC/RES/49/4 de 2022, par. 1 et 3.
331 Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/RES/446 (1979), par. 1 ; doc. S/RES/452 (1979), troisième alinéa du préambule ; doc. S/RES/465 (1980), par. 5 ; doc. S/RES/471 (1980), quatrième alinéa du préambule ; doc. S/RES/2334 (2016), par. 1 ; doc. S/12233 (1976), par. 3-4 ; Assemblée générale, résolutions 34/90 C du 12 décembre 1979, deuxième alinéa du préambule et par. 1-2, doc. A/RES/34/90 de 1979 ; doc. A/RES/ES-7/6 de 1982, par. 4, al. a) ; doc. A/RES/ES-10/14 de 2003, 13e alinéa du préambule ; doc. A/RES/77/126 de 2022, par. 1 ; Conseil des droits de l’homme, doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 7. Voir également, rapport de la Commission du Conseil de sécurité créée en application de la résolution 446 (1979), 25 novembre 1980, doc. S/14268, par. 235 (« [l]a Commission tient … à réaffirmer que la politique de colonisation pratiquée par Israël, en application de laquelle, par exemple, 33,3 p. 100 des terres sur la rive occidentale ont à ce jour été confisquées, est dépourvue de validité juridique ») ; rapport de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, 28 avril 2022, doc. A/HRC/49/85, par. 12.
332 Doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 4 (où il est déclaré que « toutes les mesures et décisions prises par Israël » dans le Territoire palestinien en violation de la quatrième convention de Genève « sont illégales et n’ont aucune validité »).
333 Voir sources citées à la note 327 plus haut.
334 Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/12233 (1976), par. 4 ; doc. S/RES/476 (1980), deuxième alinéa du préambule et par. 3-4 ; doc. S/RES/478 (1980), deuxième alinéa du préambule et par. 2-3 ; Assemblée générale, doc. A/RES/2253 (ES-V) de 1967, par. 1-2 ; doc. A/RES/ES-10/14 de 2003, 13e alinéa du préambule.
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e) En ce qui concerne les politiques et pratiques discriminatoires connexes d’Israël : de tels comportements i) emportent violation des principes fondamentaux du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, et ii) sont constitutifs, s’agissant de la privation du droit au retour et des actes relevant de l’apartheid, de crimes contre l’humanité335. Ces deux catégories de comportement entraînent de graves violations de normes impératives336, et le droit international interdit de reconnaître comme licite toute situation découlant d’une telle violation337. Étant donné qu’ils sont « illéga[ux] et n’ont aucune validité »338, ces comportements ne peuvent engendrer aucun droit pour Israël.
2. Présence illicite
96. Outre le fait que les politiques et les pratiques d’Israël n’ont aucune validité juridique et ne créent aucun droit pour Israël (voir chapitre 1), le statut juridique de l’occupation du territoire palestinien par ce dernier est celui d’une présence illicite. Cette conclusion s’impose par analogie avec la situation de la Namibie.
97. L’Afrique du Sud a continué d’occuper la Namibie après que l’Assemblée générale eut mis fin au mandat de catégorie « C » sur le Sud-Ouest africain en 1966. Dans sa résolution 276 (1970), le Conseil de sécurité a considéré que « l’occupation continue » de la Namibie par l’Afrique du Sud se faisait « au mépris … de la Charte des Nations Unies »339. Il n’y avait aucune justification juridique pour cette occupation continue après la cessation du mandat. Comme l’a fait observer la Cour, l’Afrique du Sud « occup[ait] le territoire sans titre »340. Dans ces conditions, cette occupation était illicite. Le Conseil de sécurité a « [d]éclar[é] que la présence continue des autorités sud-africaines en Namibie [étai]t illégale »341, et la Cour a conclu que l’occupation avait été « valablement déclarée illégale »342. L’occupation de la Namibie par l’Afrique du Sud avait donc le statut d’une « présente illégale »343.
98. Dans le cas de la Palestine, comme expliqué au chapitre 1 du présent exposé, même dans l’hypothèse où la Cour ne se prononcerait pas sur la licéité de l’emploi initial de la force par Israël contre l’Égypte et la Jordanie, qui a abouti à l’occupation du territoire palestinien, cette occupation est à présent illicite car les conditions de légitime défense qui auraient pu exister (ce qui est contesté) à l’égard de l’Égypte et de la Jordanie ne sont, depuis bien longtemps, plus réunies. Israël avait l’obligation de prendre des mesures visant à mettre un terme et in fine de mettre un terme à son occupation et de se retirer du territoire en cause. Il n’en a rien fait, continuant au contraire d’occuper le territoire palestinien. Cette occupation constitue, et ce, depuis fort longtemps, un emploi illicite de la force ainsi qu’une occupation illicite. À l’instar de la situation qui était celle de la Namibie, l’occupation continue du territoire palestinien par Israël est contraire à la Charte des
335 Voir supra, par. 61 et 64.
336 Voir supra, par. 83.
337 Voir CDI, articles sur la responsabilité de l’État, art. 41, par. 2.
338 Voir, par exemple, s’agissant des violations du droit international humanitaire, doc. A/HRC/RES/52/3 de 2023, par. 4 (où il est réaffirmé que « toutes les mesures et décisions prises par Israël » dans le territoire palestinien en violation de la quatrième convention de Genève « sont illégales et n’ont aucune validité »).
339 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 276 du 30 janvier 1970, doc. S/RES/276 (ci-après « doc. S/RES/276 (1970) »), par. 4.
340 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 54, par. 118.
341 Doc. S/RES/276 (1970), par. 2.
342 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 54, par. 118.
343 Voir, par exemple, ibid., p. 56, par. 127.
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Nations Unies et n’est aucunement justifiée sur le plan juridique. Ainsi, comme dans le cas de la Namibie, l’occupation continue du territoire palestinien par Israël et la présence de ce dernier dans le territoire visé sont illicites.
99. L’illicéité de la présence d’Israël dans le territoire palestinien découle aussi du fait que l’occupation est une violation flagrante des buts et principes de la Charte des Nations Unies. Ainsi qu’il est exposé au chapitre 1, depuis longtemps, Israël
a) viole l’obligation qui lui incombe de respecter le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même, respect qui figure parmi les buts des Nations Unies énoncés dans la Charte344 ;
b) occupe illicitement le territoire palestinien, en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ;
c) viole l’interdiction d’acquérir un territoire par la force qui ressort du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte ;
d) met en oeuvre, maintient et étend de manière illicite ses pratiques de colonisation et de discrimination systématique, en violation des droits fondamentaux du peuple palestinien. Le respect des droits de l’homme figure également parmi les buts des Nations Unies345, et il est reconnu que le fait d’imposer des « distinctions, exclusions, restrictions et limitations qui sont uniquement fondées sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique » est une violation flagrante des buts et principes de la Charte346.
100. Non seulement Israël est lié par la Charte des Nations Unies mais il a, lorsqu’il a présenté sa demande d’admission, déclaré qu’il « accept[ait] sans réserve aucune les obligations découlant de la Charte des Nations Unies et s’engage[ait] à les observer du jour où il deviendra[it] Membre des Nations Unies »347.
B. Conséquences juridiques
101. Les politiques et pratiques d’Israël qui constituent des violations du droit international ne peuvent, tel qu’il est précisé dans la partie A, engendrer aucun droit pour celui-ci et n’ont aucune validité au regard du droit international. Étant donné que de telles violations sont des violations graves de normes impératives, tous les États ont l’obligation de ne pas reconnaître comme licites les situations découlant d’une telle conduite, de n’ accorder aucune aide ou assistance en vue du maintien de ces situations et de coopérer afin de mettre un terme à ces violations348.
344 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 2. Voir également doc. A/RES/1514 (XV) de 1960, par. 1 (« La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères … est contraire à la Charte des Nations Unies ») ; déclaration relative aux relations amicales, cinquième principe, premier et deuxième paragraphes.
345 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 3.
346 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 57, par. 131.
347 Voir Nations Unies, Assemblée générale, résolution 273 (III) du 11 mai 1949, doc. A/RES/273, cinquième alinéa du préambule ; Conseil de sécurité, lettre adressée au Secrétaire général le 29 novembre 1948 par le ministre des affaires étrangères d’Israël et relative à la demande d’admission d’Israël comme membre des Nations Unies ; déclaration acceptant les obligations découlant de la Charte, 29 novembre 1948, doc. S/1093.
348 Voir supra, par. 83-84.
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102. La présence illicite d’Israël dans le territoire palestinien et l’exercice de son contrôle sur celui-ci, en violation flagrante de la Charte des Nations Unies (voir partie B), entraînent en outre des conséquences juridiques pour Israël, les autres États et l’Organisation des Nations Unies.
103. Dans l’avis consultatif au sujet de la Namibie, la Cour a conclu que l’Afrique du Sud avait « l’obligation de retirer son administration du territoire de la Namibie »349. En la présente espèce, et tel qu’il est indiqué plus haut, Israël a l’obligation de mettre un terme à son occupation et de se retirer du territoire occupé. Dans le droit fil de l’avis consultatif au sujet de la Namibie, il en résulte pour lui l’obligation de se retirer de Jérusalem-Est et du reste de la Cisjordanie et de révoquer l’ensemble des actes législatifs et réglementaires, des politiques et des pratiques adoptés qui contribuent au contrôle qu’il exerce sur le territoire palestinien, notamment Gaza350. Israël est ainsi tenu, en particulier, de supprimer totalement l’ensemble des politiques, pratiques et mesures relatives au blocus du territoire terrestre et maritime de Gaza.
104. Les autres États ont, tout d’abord, « l’obligation de reconnaître l’illégalité » de la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien et du contrôle qu’il exerce sur celui-ci351. Cette obligation va au-delà du devoir de non-reconnaissance susmentionné352. Elle impose aux États non seulement de s’abstenir de reconnaître la licéité de la présence d’Israël et de son contrôle, mais également de reconnaître formellement l’illicéité de cette présence et de ce contrôle. Les autres États ont, ensuite, l’obligation de « n’accorder … aucune aide ou aucune assistance quelle qu’en soit la forme » à Israël se rapportant à sa présence dans le territoire palestinien et au contrôle qu’il exerce sur celui-ci353. Dans son avis consultatif au sujet de la Namibie, la Cour a précisé les types de comportement que les États devaient adopter. Par analogie,
a) les États doivent s’abstenir d’établir avec Israël des relations conventionnelles dans les cas où ce dernier prétendrait agir en ce qui concerne le territoire palestinien dans son ensemble ou d’une partie de celui-ci354 ;
b) ils doivent s’abstenir d’invoquer ou d’appliquer des traités bilatéraux en vigueur conclus avec Israël en ce qui concerne le territoire palestinien355 ;
c) ils doivent s’abstenir d’accréditer auprès d’Israël des missions diplomatiques ou des missions spéciales dont la juridiction s’étendrait au territoire palestinien (y compris Jérusalem-Est)356 ;
349 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 54, par. 118.
350 Si l’occupation initiale du territoire palestinien par Israël a résulté de l’emploi de la force contre l’Égypte et la Jordanie, c’est toutefois à l’État de Palestine que le territoire revient. Ainsi qu’il est expliqué plus haut, lorsque le territoire était occupé par l’Égypte et la Jordanie en 1948, puis lorsqu’il est passé sous occupation israélienne en 1967, la question de la souveraineté sur ce territoire a été suspendue. Toutefois, la souveraineté a été réactivée et conférée à l’État de Palestine lorsqu’il a été créé. Voir supra, par. 46.
351 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 54, par. 119.
352 Voir supra, par. 83.
353 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 54, par. 119. Voir également supra, par. 83, où est examinée l’obligation de ne pas prêter assistance.
354 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 55, par. 122.
355 Ibid.
356 Ibid., p. 55, par. 123.
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d) ils doivent signifier aux autorités israéliennes qu’en entretenant des relations diplomatiques ou consulaires avec Israël, ils n’entendent pas reconnaître par là son autorité sur le territoire palestinien357 ;
e) ils doivent s’abstenir d’entretenir avec Israël, dans la mesure où celui-ci agit en ce qui concerne le territoire palestinien (ou les ressources extraites de ce territoire ou susceptibles de l’être), des rapports ou des relations de caractère économique ou autre qui seraient de nature à affermir l’autorité d’Israël dans le territoire358.
105. L’Organisation des Nations Unies, et tout spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, doivent examiner quelles nouvelles mesures sont nécessaires pour mettre fin à la présence illicite d’Israël359, compte tenu du fait que les mesures déjà prises n’ont à ce jour pas permis de mettre un terme à cette présence ni de garantir le respect des droits du peuple palestinien. Le Belize, en particulier, prie instamment ces organes d’agir d’urgence en vue d’obtenir la cessation immédiate, complète et sans condition des politiques et pratiques par lesquelles Israël entend asseoir son autorité sur le peuple et le territoire palestiniens, étant rappelé que ces mesures sont illicites et n’ont aucune validité au regard du droit international. Le Belize prie en outre l’Assemblée générale de porter une attention particulière au « droit inaliénable, permanent et absolu du peuple palestinien à disposer de lui-même »360 pour ce qui est de l’ensemble de son territoire, question à l’égard de laquelle celle-ci a des responsabilités particulières361.
Le 25 juillet 2023.
Le représentant du Belize,
Assad SHOMAN.
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357 Ibid.
358 Ibid., p. 55-56, par. 124.
359 Voir également avis consultatif sur le mur, p. 200, par. 160 ; et p. 202, par. 163 3) E).
360 Doc. A/HRC/RES/52/34 de 2023, par. 1.
361 Avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 131, par. 146 ; et p. 139, par. 179-180 (citant, pour ce qui est de ce dernier paragraphe, la déclaration relative aux relations amicales).
Exposé écrit du Bélize