Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18724
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES
D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ,
Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU GOUVERNEMENT DU CANADA
14 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
INTRODUCTION
1. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 77/247,
dans laquelle elle a décidé de demander à la Cour internationale de Justice de donner un avis consultatif
sur les questions ci-après :
« compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des
Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de
l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de
l’homme et [de l’Assemblée générale], et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet
2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit
du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et
de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment
des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut
de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures
discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées [à l’alinéa] a) ci-dessus
ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences
juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
2. Le 19 janvier 2023, le greffier a notifié la requête pour avis consultatif à tous les États admis
à ester devant la Cour conformément au paragraphe 1 de l’article 66 du Statut de la Cour internationale
de Justice (ci-après le « Statut »), dont le Canada.
3. Le 3 février 2023, la Cour a noté que tous les États Membres étaient jugés susceptibles de lui
fournir des renseignements utiles pour répondre à la demande d’avis consultatif, et fixé au 25 juillet
2023 la date d’expiration du délai dans lequel ceux qui le souhaitaient pourraient le faire.
4. En réponse à l’invitation du greffier, et conformément au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut,
le Gouvernement du Canada souhaite présenter des observations relatives à la demande d’avis
consultatif sur la question des « Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël
dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ».
LA NÉGOCIATION COMME MOYEN APPROPRIÉ DE RÈGLEMENT DU DIFFÉREND
5. Le Canada reste pleinement attaché à l’objectif d’une paix globale, juste et durable au
Moyen-Orient, y compris la création d’un État palestinien vivant côte à côte avec Israël dans la paix et
la sécurité. Il continue de soutenir la solution à deux États comme étant le seul moyen viable de parvenir
à la réalisation de cet objectif.
6. Le Canada considère depuis longtemps que seule une négociation directe entre les parties
permettra de parvenir à une paix durable. À cette fin, il continue de reconnaître que les résolutions 242
et 338 du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies constituent la base de négociations
de paix en vue d’un règlement global du conflit.
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7. Le Canada soutient sans réserve tous les efforts visant à encourager Israël et les Palestiniens à
retourner à la table des négociations, notamment les démarches en vue d’amener les parties à entamer
un dialogue direct et à prendre l’engagement de s’abstenir d’actes unilatéraux. Il importe que les efforts
supplémentaires destinés à résoudre le différend soient axés sur le processus de négociation prescrit par
le Conseil de sécurité.
COMPÉTENCE ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
8. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 65 du Statut, « [l]a Cour peut donner un avis
consultatif » (les italiques sont de nous). Elle dispose donc du pouvoir discrétionnaire de donner ou non
un avis.
9. C’est ce qu’a confirmé la Cour dans l’avis qu’elle a rendu sur les Conséquences juridiques de
l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, dans lequel elle a relevé ce qui suit :
« La Cour a maintes fois eu par le passé l’occasion de rappeler que le paragraphe 1
de l’article 65 de son Statut, selon lequel “[l]a Cour peut donner un avis consultatif …” …,
devait être interprété comme reconnaissant à la Cour le pouvoir discrétionnaire de refuser
de donner un avis consultatif même lorsque les conditions pour qu’elle soit compétente
sont remplies »1.
10. Dans son avis sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice
en 1965, la Cour a confirmé que, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’avis consultatif, elle « doit
commencer par déterminer si elle a compétence pour donner l’avis demandé et, dans l’affirmative,
examiner s’il existe une quelconque raison pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser
de répondre à la demande »2. « Que la Cour ait compétence ne signifie pas, cependant, qu’elle soit tenue
de l’exercer »3, a-t-elle a souligné, expliquant que « [l]e pouvoir discrétionnaire de répondre ou non à
une demande d’avis consultatif vise à protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour en tant
qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies »4. La Cour a ensuite rappelé que,
lorsqu’elle s’assure de l’opportunité d’exercer sa fonction judiciaire, elle « examine[] attentivement s’il
existe des raisons décisives devant la conduire à refuser de répondre à [une] demande de l’Assemblée
générale »5.
11. S’il est vrai qu’il n’a pas voté en faveur de la résolution demandant l’avis consultatif en
question, le Canada ne conteste pour autant pas que l’Assemblée générale des Nations Unies soit
habilitée à demander un avis consultatif à la Cour sur des questions de nature juridique, ni que la Cour
ait compétence pour examiner cette demande. Selon lui, cependant, la Cour devrait exercer son pouvoir
discrétionnaire de ne pas donner suite à la demande formulée par l’Assemblée générale des
Nations Unies, des raisons décisives existant en l’espèce.
1 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. [111], par. 44.
2 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019 (I), p. [111], par. 54.
3 Ibid., p. [113], par. 63.
4 Ibid., p. [113], par. 64.
5 Ibid., p. [113], par. 66.
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12. Pour le Canada, deux raisons décisives sont présentes en l’espèce, la première étant l’absence
de consentement à la compétence de la Cour de la part d’un État intéressé au différend qui est à l’origine
de la demande d’avis consultatif, et la seconde étant que la question principale relève au premier chef
de la responsabilité du Conseil de sécurité, et non de celle de l’Assemblée générale.
Absence de consentement à la compétence
13. Selon un principe fondamental de la Cour internationale de Justice, le règlement des affaires
contentieuses par la Cour requiert le consentement des États concernés. Le Canada est fermement
convaincu que ce principe est garant de l’efficacité et de la crédibilité de la Cour. C’est un principe que
la Cour a affirmé dans son avis consultatif au sujet du Sahara occidental :
« [L]e défaut de consentement d’un État intéressé peut … rendre le prononcé d’un
avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les
faits montraient qu’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon
lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est
pas consentant. Si une telle situation devait se produire, le pouvoir discrétionnaire que la
Cour tient de l’article 65, paragraphe 1, du Statut fournirait des moyens juridiques
suffisants pour assurer le respect du principe fondamental du consentement à la
juridiction. »6
14. Dans son avis sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice
en 1965, la Cour a fait observer qu’« il existerait pour elle une raison décisive de refuser de donner un
avis consultatif »7 si celui-ci avait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu
de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant. La Cour a jugé que la
demande dont elle était saisie ne concernait pas le différend bilatéral opposant les parties, mais plutôt
des questions liées à la décolonisation de Maurice, dont l’examen pourrait être utile à l’Assemblée
générale des Nations Unies pour exercer ses fonctions relatives à la décolonisation8. Il n’existait par
conséquent pas de raisons décisives devant la conduire à refuser d’exercer sa compétence.
15. Dans le cas d’espèce, en revanche, il est évident que, bien qu’elles visent théoriquement à
faire la lumière sur l’ensemble des conséquences juridiques qui découlent « pour tous les États et
l’Organisation des Nations Unies » des politiques et pratiques d’Israël dans les territoires palestiniens
occupés, les questions posées à la Cour sont au coeur des problèmes qui doivent être réglés entre Israël
et les Palestiniens.
16. Le Canada croit savoir qu’Israël, qui a un intérêt direct dans la présente procédure, n’a pas
consenti à ce que la Cour soit saisie de cette question.
Responsabilité incombant au premier chef au Conseil de sécurité
de l’Organisation des Nations Unies
17. Dans la procédure relative aux Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de
Maurice en 1965, la Cour a examiné un argument qui l’invitait à exercer son pouvoir discrétionnaire
pour refuser de donner un avis consultatif au motif que celui-ci n’aiderait pas l’Assemblée générale des
6 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33.
7 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019 (I), p. [117], par. 85.
8 Ibid., p. [118], par. 86.
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Nations Unies dans l’exercice de ses fonctions. Rappelant que c’était à l’organe qui le sollicitait, et non
à elle, qu’il appartenait de déterminer l’utilité de son avis consultatif9, c’est au vu des fonctions de
l’Assemblée générale et du fait que les questions posées correspondaient à ces fonctions qu’elle a décidé
de ne pas refuser d’exercer sa compétence.
18. Dans la même procédure, la Cour a estimé que les questions qui lui étaient posées
concernaient le problème plus large de la décolonisation et a souligné à cet égard que l’Assemblée
générale s’était « toujours employée sans relâche » à mettre un terme au colonialisme10. Elle a conclu
que :
« [L]’avis est demandé sur la question de la décolonisation, qui intéresse
particulièrement les Nations Unies. Les interrogations soulevées par la demande
s’inscrivent dans le cadre plus large de la décolonisation, et notamment du rôle de
l’Assemblée générale en la matière, un cadre dont elles ne peuvent être dissociées »11.
19. Or, en l’espèce, ce n’est pas à l’Assemblée générale qu’incombe la responsabilité première
de la question en cause, mais plutôt au Conseil de sécurité, qui a mis en place un cadre pour permettre
le règlement du différend par voie de négociations entre les parties.
20. Cette question s’était aussi posée dans le cadre de l’avis consultatif sur les Conséquences
juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, où la Cour a choisi d’exercer
sa compétence pour se prononcer sur une mesure distincte prise par Israël, tout en faisant observer que
les questions concernant l’« ensemble » du différend devaient être laissées à la négociation des parties12.
CONCLUSION
21. Le Canada estime qu’en dépit des difficultés rencontrées, le dialogue direct entre les parties
elles-mêmes est le meilleur moyen de créer les conditions de la paix. Il craint qu’un avis consultatif sur
les pratiques israéliennes dans les territoires occupés ne contribue à une polarisation des positions qui
risquerait d’éloigner davantage les parties d’un règlement juste et durable du conflit. Bien qu’il ne soit
pas juridiquement contraignant, un avis consultatif pourrait néanmoins avoir une incidence sur l’issue
des négociations menées dans le cadre mis en place par le Conseil de sécurité.
22. Compte tenu du fait que les questions posées portent sur le règlement d’un différend bilatéral
dans lequel un État intéressé n’a pas accepté la compétence de la Cour, et que le Conseil de sécurité a
mis en place un cadre permettant aux parties de régler ce différend par voie de négociations, le Canada
est d’avis qu’il existe des raisons décisives pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de
refuser de donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies sur les
questions posées dans sa résolution 77/247 en date du 30 décembre 2022.
9 Ibid., p. [115-116], par. 75-78.
10 Ibid., p. [118], par. 87.
11 Ibid., p. [118], par. 88.
12 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 160, par. 52, et p. 200, par. 162.
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Respectueusement,
L’agent du Gouvernement du Canada,
(Signé) Alan H. KESSEL.
Sous-ministre adjoint et conseiller juridique
Affaires mondiales Canada
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Exposé écrit du Canada