Observations écrites du Guatemala

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186-20231025-WRI-11-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18894
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA
Octobre 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
1. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 77/2471, au paragraphe 18 de laquelle elle demande à la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour ») de donner un avis consultatif. Ce paragraphe est ainsi libellé :
« 18. Décide, conformément à l’Article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’Article 65 du Statut de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
2. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a transmis cette demande à la Cour sous le couvert d’une lettre adressée à la présidente de celle-ci, datée du 17 janvier 2023 et reçue au Greffe le 19 janvier 20232.
3. Par une ordonnance du 3 février 20233, la Cour a décidé, conformément au paragraphe 2 de l’article 66 de son Statut, que l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres, ainsi que l’État observateur de Palestine, étaient susceptibles de fournir des renseignements sur les questions qui lui ont été soumises pour avis consultatif et a fixé au 25 juillet 2023 et au 25 octobre 2023 les dates d’expiration des délais dans lesquels des exposés écrits et des observations écrites pouvaient respectivement lui être présentés. La Cour a réservé la suite de la procédure.
4. Le greffier de la Cour a informé les États de la décision de celle-ci par une lettre datée du 6 février 2023, dont il a demandé qu’elle soit considérée comme constituant la communication spéciale et directe requise par le Statut. Par la suite, les États ont également été informés que, statuant
1 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière (reprise), doc. A/RES/77/247, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un. org/doc/UNDOC/GEN/N23/004/71/PDF/N2300471.pdf?OpenElement.
2 Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, requête pour avis consultatif, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/ default/files/case-related/186/186-20230117-REQ-01-00-FR.pdf.
3 Ibid., ordonnance du 3 février 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/ files/case-related/186/186-20230203-ORD-01-00-FR.pdf.
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sur des demandes présentées par la Ligue des États arabes et l’Union africaine, la Cour avait décidé que celles-ci étaient susceptibles de fournir des renseignements sur les questions posées.
5. En tant que Membre fondateur de l’Organisation des Nations Unies, la République du Guatemala, qui a reçu la « communication spéciale et directe » prévue au paragraphe 2 de l’article 66 du Statut de la Cour, a décidé d’apporter son aide à la Cour et de soumettre un exposé écrit.
6. Outre le Guatemala, 51 États ont déposé des exposés écrits dans le délai imparti, ainsi que trois organisations autorisées par la Cour à le faire. Deux autres États ont présenté des exposés écrits après la date d’expiration du délai.
7. L’exposé écrit présenté par la République du Guatemala portait principalement sur la compétence et le pouvoir discrétionnaire de la Cour à l’égard de l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022 et contenait aussi certaines observations sur le fond des questions posées. Dans cet exposé, la République du Guatemala se réservait le droit de faire part de ses vues sur celles-ci en réaction à d’autres exposés écrits et de compléter le sien lors de la phase des observations écrites.
8. Cependant, après les événements survenus le 7 octobre 2023, puis ceux qui ont suivi et sont toujours en cours, la République du Guatemala a conclu que les seuls points sur lesquels elle souhaite formuler des observations sont ceux qui sont énoncés ci-dessous, qui viennent renforcer certains des arguments présentés dans son exposé écrit.
II. OBSERVATIONS FAISANT SUITE AUX ÉVÉNEMENTS DU 7 OCTOBRE 2023
9. La République du Guatemala déclare d’emblée qu’il n’existe aucune justification possible pour les attaques qui ont eu lieu le 7 octobre 2023 et qui visaient en premier lieu des civils, de manière indiscriminée. Le monde entier a constaté la brutalité des actions de l’organisation et des individus responsables de ces attaques puisque, ajoutant au caractère déjà inhumain de ces actions, la plupart d’entre elles ont été enregistrées, diffusées, rendues publiques et partagées via les médias sociaux. Le degré de sadisme et l’absence de respect pour toute notion de dignité humaine et de droit dont ont fait preuve l’organisation en question et les individus ayant commis chacun de ces crimes resteront, pour la postérité, des preuves indéniables de la menace qu’ils représentent, non seulement pour Israël et sa population, mais pour tout un chacun, n’importe où dans le monde.
10. Ces preuves concrètes et incontestables jettent une lumière nouvelle sur ce qui a été dit précédemment, à savoir qu’Israël est confronté en permanence à une menace réelle, imminente et grave pesant sur sa sécurité et sur la vie et le bien-être de ses citoyens. Cette menace n’est pas seulement un risque : elle est réelle, constante, et une décision de loi niant la nécessité pour Israël de se protéger et de protéger sa population d’une manière concrète et significative ne la fera pas disparaître.
11. Comme le sait la Cour, Israël s’est unilatéralement retiré de Gaza, d’où les attaques ont été lancées et où, à la date à laquelle sont rédigées les présentes observations, un très grand nombre d’otages sont encore détenus dans les pires conditions possibles.
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12. La bande de Gaza et le rôle central qu’elle a joué dans les événements du 7 octobre 2023 et ceux qui ont suivi pourraient être considérés comme un exemple de ce qui pourrait se produire si Israël devait mettre fin unilatéralement à sa présence dans d’autres territoires, ainsi que le suggèrent les questions contenues dans la demande d’avis consultatif et un nombre significatif d’exposés écrits soumis à la Cour avant le 25 juillet 2023 ou peu après cette date.
13. Deuxièmement, et en conséquence de ce qui précède, la République du Guatemala croit fermement que la seule solution possible à ce qui semble être un conflit sans issue est une solution négociée entre les parties avec l’appui de la communauté internationale, notamment des Nations Unies.
14. À cet égard, la République du Guatemala réaffirme qu’un cadre international négocié existe, qui demeure contraignant pour Israël et pour la Palestine, est reconnu par la communauté internationale et est approuvé par le Conseil de sécurité, entre autres nombreuses instances et acteurs.
15. Dans ce cadre, le Conseil de sécurité a invité « les États et … les organisations internationales à contribuer à une atmosphère propice aux négociations »4. À n’en pas douter, l’expression « organisations internationales » doit englober les Nations Unies, y compris son principal organe judiciaire.
16. Cependant, de larges pans de ce cadre ont été soit complètement ignorés, soit dépréciés dans un grand nombre d’exposés écrits, dont celui qu’a déposé la Palestine.
17. En conséquence, la République du Guatemala invite très respectueusement la Cour à prendre en considération ce cadre international juridiquement contraignant dans son analyse de l’objet de la demande d’avis consultatif, ainsi que la manière dont ce cadre prévoit déjà une solution à la situation qui sous-tend la demande d’avis.
18. Troisièmement, les événements actuels ont également démontré que les faits et les informations concernant l’objet de la demande ne sont pas pleinement reflétés dans le dossier que la Cour a reçu des Nations Unies, ni dans les informations supplémentaires fournies par les États participants et les autres organisations.
19. Si elle ne dispose pas de suffisamment d’éléments factuels, la Cour fait face à la tâche quasi impossible de donner un avis consultatif portant sur l’ensemble des éléments que comportent les questions posées (sous leur forme actuelle) dans la demande d’avis consultatif. Comme le Guatemala l’a rappelé dans son exposé écrit, la Cour doit déterminer si elle « dispose de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter un jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui faudrait établir pour se prononcer d’une manière conforme à son caractère judiciaire »5.
4 Nations Unies, Conseil de sécurité, résolution 1850 du 16 décembre 2008, 6045e séance, doc. S/RES/1850 (2008), par. 4.
5 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 28-29, par. 46.
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20. De l’analyse qui précède découle le quatrième point des observations écrites de la République du Guatemala : les deux questions faisant l’objet de la demande d’avis consultatif, telles que transmises à la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 65, présentent pour elle un défi majeur, notamment en ce qui concerne la manière d’apprécier toutes les informations pertinentes et de parvenir à se prononcer sur la situation d’ensemble, cette dernière étant qui plus est en train d’évoluer et surveillée avec attention par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations Unies.
21. Comme indiqué précédemment, les questions sont porteuses d’allégations contre un État qui comprennent des accusations d’une exceptionnelle gravité. Bien que la Cour ait reconnu que, en pareil cas, lesdites accusations devaient être prouvées par des éléments ayant pleine force probante, la procédure consultative n’est peut-être pas le cadre le plus approprié pour qu’il soit satisfait à ce niveau de preuve élevé, contrairement à la procédure contentieuse qui exige des parties en cause qu’elles aient clairement donné leur consentement à un règlement judiciaire.
22. En conséquence, dans l’hypothèse où il serait décidé de poursuivre la procédure et de donner un avis consultatif, le Guatemala invite de nouveau la Cour à exercer ses pouvoirs inhérents d’interpréter, de circonscrire ou de reformuler les questions qui lui sont soumises dans la demande d’avis consultatif en cause. Par souci de clarté, il le fait étant entendu qu’« un manque de clarté dans le libellé d’une question ne saurait priver la Cour de sa compétence. Tout au plus, du fait de ces incertitudes, la Cour devra-t-elle préciser l’interprétation à donner à la question, ce qu’elle a souvent fait »6. Le Guatemala est d’avis que la Cour pourrait souhaiter user de ses pouvoirs inhérents pour interpréter, circonscrire ou modifier les deux questions qui lui sont posées afin de protéger sa fonction judiciaire.
III. CONCLUSION
23. Réaffirmant ce qu’il a dit dans son exposé écrit soumis à la Cour le 25 juillet 2023 et dans les paragraphes ci-dessus, et sans vouloir mettre en doute la valeur et l’utilité de l’avis que la Cour pourrait donner, le Guatemala soutient en outre, une nouvelle fois, que seules des négociations bilatérales permettront d’aboutir à un règlement définitif du différend israélo-palestinien, comme la Cour l’a d’ailleurs précisé elle-même dans son avis sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé7.
24. À cet égard, le Guatemala souhaite rappeler à la Cour que, même si les avis consultatifs ne sont pas juridiquement contraignants en ce qu’ils ne sont pas destinés à des États mais à l’entité qui en a fait la demande, l’autorité juridique des avis qu’elle donne est indéniable et elle ne saurait faire fi de l’effet et des conséquences éventuelles que ses conclusions pourraient avoir, que celles-ci soient ou non intentionnelles, ni des (mauvais) usages qui pourraient en être ultérieurement faits.
6 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 153-154, par. 38.
7 Ibid. p. 200, par. 162.
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25. La République du Guatemala se réserve le droit d’exposer plus avant ses arguments pendant la procédure orale dont la Cour a fixé la date d’ouverture au 19 février 2024, compte tenu en particulier de la situation qui continue d’évoluer en Israël et à Gaza, et maintient que tous les arguments avancés dans les présentes observations écrites ne le sont qu’aux fins de la procédure.
La Haye, octobre 2023.
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