Exposé écrit du Guatemala

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186-20230725-WRI-33-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18859
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES
D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ,
Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DU GUATEMALA
Juillet 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
1. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la
résolution 77/2471, au paragraphe 18 de laquelle elle demande à la Cour internationale de Justice (ciaprès
la « Cour ») de donner un avis consultatif. Ce paragraphe est ainsi libellé :
« 18. Décide, conformément à l’Article 96 de la Charte des Nations Unies, de
demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’Article 65 du Statut
de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et
principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international
humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du
Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis
consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du
droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa
colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis
1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le
caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des
lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) cidessus
ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les
conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des
Nations Unies ? »
2. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies a transmis cette demande à la
Cour sous le couvert d’une lettre adressée à la présidente de celle-ci, datée du 17 janvier 2023 et
reçue au Greffe le 19 janvier 20232.
3. Par l’ordonnance du 3 février 20233, la Cour a décidé, conformément au paragraphe 2 de
l’article 66 de son Statut, que l’Organisation des Nations Unies et ses États Membres, ainsi que l’État
observateur de Palestine, étaient susceptibles de fournir des renseignements sur les questions qui lui
ont été soumises pour avis consultatif et a fixé au 25 juillet 2023 et au 25 octobre 2023 les dates
d’expiration des délais dans lesquels des exposés écrits et des observations écrites pouvaient
respectivement lui être présentés. La Cour a réservé la suite de la procédure.
4. Le greffier de la Cour a informé les États de la décision de celle-ci par une lettre datée du
6 février 2023, dont il a demandé qu’elle soit considérée comme constituant la communication
spéciale et directe requise par le Statut. Par la suite, les États ont également été informés que, statuant
1 Nations Unies, résolution 77/247 de l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière
(reprise), 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc
/UNDOC/GEN/N23/004/71/PDF/N2300471.pdf?OpenElement.
2 Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y
compris Jérusalem-Est, requête pour avis consultatif, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/
files/case-related/186/186-20230117-REQ-01-00-FR.pdf.
3 Ibid., ordonnance du 3 février 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/
default/files/case-related/186/186-20230203-ORD-01-00-FR.pdf.
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sur des demandes présentées par la Ligue des États arabes et l’Union africaine, la Cour avait décidé
que celles-ci étaient susceptibles de fournir des renseignements sur les questions posées.
5. En tant que Membre fondateur de l’Organisation des Nations Unies, la République du
Guatemala, qui a reçu la « communication spéciale et directe » prévue au paragraphe 2 de l’article 66
du Statut de la Cour, a décidé d’apporter son aide à la Cour et de soumettre le présent exposé écrit.
6. Si cet exposé porte principalement sur la compétence et le pouvoir discrétionnaire de la
Cour à l’égard de l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247 du
30 décembre 2022, il contient aussi certaines observations sur le fond des questions posées. La
République du Guatemala se réserve néanmoins le droit de faire part de ses vues sur celles-ci en
réaction à d’autres exposés écrits et de compléter le sien lors de la phase des observations écrites.
II. RÉSOLUTION 77/247
7. La résolution 77/247 fait suite à la présentation, à la 26e séance de la Quatrième
Commission, le 11 novembre 2022, d’un projet de résolution intitulé « Pratiques israéliennes
affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris
Jérusalem-Est ». La Commission a adopté ce texte en tant que projet de
résolution A/C.4/77/L.12/Rev.14 par 98 voix contre 17, avec 52 abstentions, au terme d’un vote
enregistré, et a recommandé son adoption à l’Assemblée générale. Le rapport de la Quatrième
Commission figure dans le document A/77/400*5.
8. L’Assemblée générale des Nations Unies a adopté ledit projet en tant que résolution 77/247
à la 56e séance de sa soixante-dix-septième session, le 30 décembre 20226.
9. L’adoption de la résolution 77/247 a nécessité un vote dont le résultat révèle que, sur les
193 États Membres, 27 n’y ont pas pris part, 53 ne se sont pas prononcés, 87 ont voté pour et
26 contre, parmi lesquels la République du Guatemala. À cet égard, il y a lieu de noter que, outre la
demande d’avis consultatif énoncée au paragraphe 18, plusieurs autres points sont traités dans la
résolution 77/247.
10. Quant à la validité de l’adoption de la résolution 77/247, il est utile de rappeler ce que la
Cour a précisé en 1971, à savoir que « [t]oute résolution émanant d’un organe des Nations Unies
régulièrement constitué, prise conformément à son règlement et déclarée adoptée par son président,
4 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, Quatrième
Commission, 2022, projet de résolution intitulé « Pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple
palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est », doc. A/C.4/77/L.12/Rev.1, accessible à
l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/N22/685/48/pdf/N2268548.pdf?OpenElement.
5 Nations Unies, rapport de la Quatrième Commission sur les pratiques et activités d’implantation israéliennes
affectant les droits du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés, 2022, Documents officiels de
l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, doc. A/77/400*, accessible à l’adresse suivante : https://documentsdds-
ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/690/21/pdf/N2269021.pdf?OpenElement.
6 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 56e séance plénière,
30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1), accessible à l’adresse suivante : https://documents-ddsny.
un.org/doc/UNDOC/GEN/N22/771/51/pdf/N2277151.pdf?OpenElement, p. 4-5.
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d[eva]it être présumée valable »7. Il ressort du procès-verbal8 que ces conditions étaient réunies lors
de l’adoption de la résolution.
III. COMPÉTENCE
11. La Cour tient sa compétence consultative du paragraphe 1 de l’article 65 du Statut : « 1. La
Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou
institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions
à demander cet avis. »
12. En ce qui concerne l’« organe » qui peut présenter une requête à la Cour, l’article 96 de la
Charte des Nations Unies prévoit expressément que l’Assemblée générale a le droit de demander un
avis consultatif sur toute question juridique : « 1. L’Assemblée générale ou le Conseil de sécurité
peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique. »
13. S’agissant de la nature juridique des questions, la Cour a jugé que celles qui étaient
« libellées en termes juridiques et soul[evai]ent des problèmes de droit international … [étaie]nt, par
leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit »9.
14. Les deux questions énoncées au paragraphe 18 de la résolution 77/247 sont prima facie de
nature juridique. Elles sont libellées en termes juridiques et la Cour  pour reprendre ses propres
termes  « considère qu’une demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale tendant à ce
qu’elle examine une situation à l’aune du droit international concerne une question juridique »10.
Certaines précisions contenues dans les questions posées à la Cour soulèvent cependant des
interrogations, telles que les étapes que celle-ci devrait s’appliquer à suivre afin d’y répondre
pleinement ou le point de savoir si, dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs inhérents, elle peut
décider de les interpréter ou d’en définir la portée et le sens. Ces points seront examinés plus en détail
dans la section suivante.
15. Le Guatemala estime que l’objet de la demande d’avis consultatif est du ressort de
l’Assemblée générale, compte tenu, en particulier, du champ de compétence étendu de celle-ci et du
fait qu’elle a maintenu ce sujet à son ordre du jour des années durant avant de formuler sa demande.
Dans le même ordre d’idées, d’éminents auteurs ont jugé qu’« il [était] à peine imaginable que des
questions juridiques puissent échapper à l’action de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité
tant l’éventail des compétences de ces deux organes est large »11. Le Guatemala a souhaité clarifier
ce point, même si le paragraphe 1 de l’article 96 n’assortit d’aucune restriction la faculté de
l’Assemblée générale de solliciter un avis consultatif, ce qu’elle peut faire sur « toute » question
juridique.
7 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 22, par. 20.
8 Voir note 6 ci-dessus.
9 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 18, par. 15.
10 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 112, par. 58.
11 A. Zimmermann, C. Tams et al., The Statute of the International Court of Justice: A Commentary, 2nd ed.,
“Oxford Commentaries on International Law”, Oxford University Press, 2012, p. 212.
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16. En outre, l’Assemblée générale a indiqué que l’Organisation des Nations Unies avait « une
responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle
soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité
internationale »12.
17. Enfin, la Cour ayant précisé la manière dont il convenait d’interpréter l’article 12 de la
Charte des Nations Unies et son incidence sur toute demande d’avis consultatif que l’Assemblée
générale pourrait présenter13, il ne paraît pas nécessaire d’examiner cette disposition.
18. Compte tenu de ce qui précède, le Guatemala soutient que la Cour internationale de Justice
a compétence pour connaître de la demande d’avis consultatif telle que formulée par l’Assemblée
générale au paragraphe 18 de sa résolution 77/247.
IV. OPPORTUNITÉ
19. La Cour a toujours estimé que le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut lui reconnaissait un
pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis consultatif même lorsque les conditions de sa
compétence étaient remplies14 et que ce pouvoir discrétionnaire visait à protéger l’intégrité de sa
fonction judiciaire et sa nature en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies15.
20. Même si elle a jugé que sa réponse à une demande d’avis consultatif constituait sa
participation à l’action de l’Organisation et que, en principe, elle ne devait pas être refusée16, la Cour
doit s’assurer, chaque fois qu’elle est saisie d’une demande d’avis, de l’opportunité d’exercer sa
fonction judiciaire17, en ayant présent à l’esprit sa conclusion selon laquelle seules des « raisons
décisives » pourraient la conduire à opposer un refus à une demande d’avis relevant de sa
compétence18.
21. Certains des points pouvant donner lieu à discussion en ce qui concerne l’opportunité pour
la Cour d’exercer sa fonction judiciaire dans la présente procédure consultative sont énumérés
ci-après :
a) La question sous-jacente est-elle d’ordre politique et non de nature juridique ?
b) La réponse de la Cour aidera-t-elle l’Assemblée générale dans l’exercice de ses fonctions ?
12 Nations Unies, résolution 57/107 de l’Assemblée générale, cinquante-septième session, 66e séance plénière,
3 décembre 2002, doc. A/RES/57/107, accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/
UNDOC/GEN/N02/544/93/pdf/N0254493.pdf?OpenElement.
13 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif (ci-après
l’«avis consultatif sur le “mur” »), C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 148-150, par. 25-28.
14 Ibid., p. 156-157, par. 44.
15 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-416, par. 29.
16 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
17 Avis consultatif sur le « mur », C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 157, par. 45.
18 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’UNESCO, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1956, p. 86.
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c) La Cour s’est-elle vu communiquer suffisamment de renseignements et d’éléments de preuve
pour se prononcer ?
d) La situation dont est saisie la Cour constitue-t-elle un différend bilatéral opposant des parties qui
n’ont pas consenti à ce que celui-ci soit réglé par elle ?
e) Les questions posées soulèvent-elles des points de fait complexes et controversés qu’il n’est pas
approprié de trancher dans le cadre d’une procédure consultative ?
f) Les questions sont-elles obscures, floues ou trop abstraites pour que la Cour puisse y répondre ?
g) La réponse que la Cour pourrait donner portera-t-elle atteinte au processus de négociation entre
les parties au différend sous-jacent ?
Le Guatemala examinera ces différents points et exposera ses vues sur chacun d’eux afin d’aider la
Cour à décider de l’opportunité d’exercer sa fonction judiciaire.
1. Point de savoir si la question sous-jacente est d’ordre politique
et non de nature juridique
22. Le Guatemala sait que la Cour ne se dérobe pas à une question simplement parce que la
situation qui la sous-tend peut avoir une dimension politique ; la jurisprudence de la Cour en matière
consultative le démontre, puisque celle-ci s’est penchée sur certaines des situations les plus marquées
politiquement sur le plan international.
23. La Cour a maintes fois indiqué que le fait qu’une question juridique présente également
des aspects politiques « ne suffi[sai]t pas à la priver de son caractère de “question juridique” et à
“enlever à la Cour une compétence qui lui [étai]t expressément conférée par son Statut” » et que,
« [q]uels que [fuss]ent les aspects politiques de la question posée, la Cour ne saurait refuser un
caractère juridique à une question … l’invit[ant] à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire,
à savoir l’appréciation de la licéité de la conduite éventuelle d’États au regard des obligations que le
droit international leur impose »19.
24. Ce nonobstant, le fait de répondre à une question juridique malgré la dimension politique
qu’elle comporte ne saurait signifier qu’elle puisse être envisagée de la même façon dans tous les
cas, quelle que soit l’importance que revêt sa dimension politique, ni que la Cour puisse la traiter
hors de tout contexte, en faisant totalement abstraction de la réalité sur le terrain. C’est dans toute sa
complexité que la question doit être appréhendée.
25. La Cour, qui est l’un des six organes principaux de l’Organisation des Nations Unies,
n’aura pas manqué de relever les très nombreuses positions politiques que les autres organes
principaux de l’Organisation ont exprimées, en particulier celles du Conseil de sécurité, qui a
notamment invité tous les États et toutes les organisations internationales à contribuer à une
atmosphère propice aux négociations20 et demandé instamment une intensification des efforts
diplomatiques en vue de promouvoir, parallèlement aux progrès réalisés dans le processus bilatéral,
19 Avis consultatif sur le « mur », C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 155, par. 41.
20 Nations Unies, résolution 1850 du Conseil de sécurité, 6045e séance, 16 décembre 2008, doc. S/RES/1850
(2008), accessible à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N08/653/60/PDF/
N0865360.pdf?OpenElement, par. 4.
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la reconnaissance mutuelle et la coexistence pacifique de tous les États de la région, afin de parvenir
à une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient21.
26. Le Guatemala ne doute pas que la Cour ait pleinement conscience de l’importance que
revêt le volet politique du sujet à l’examen et des nombreux autres aspects que celui-ci englobe, et
qu’elle agira en conséquence tout en préservant son caractère judiciaire.
2. Point de savoir si la réponse de la Cour aidera l’Assemblée générale
dans l’exercice de ses fonctions
27. Dans plusieurs procédures consultatives antérieures, la Cour s’est vu opposer l’argument
selon lequel l’avis consultatif sollicité n’aiderait pas l’Assemblée générale dans l’exercice de ses
fonctions. Elle a répondu « qu’elle n’a[vait] pas à apprécier elle-même l’utilité de sa réponse pour
l’organe qui la sollicit[ait] » mais que c’était à ce dernier qu’il appartenait de déterminer «si [l’avis]
était nécessaire au bon exercice d[e ses] fonctions ». Tout aussi importante est sa conclusion selon
laquelle « il n’appartient pas à la Cour de prétendre décider si l’Assemblée a ou non besoin d’un avis
consultatif pour s’acquitter de ses fonctions. L’Assemblée générale est habilitée à décider elle-même
de l’utilité d’un avis au regard de ses besoins propres. »22.
28. La Cour pourrait souhaiter établir une nette distinction entre l’avis qu’elle a donné sur les
Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (ci-après le
« mur ») et celui qui conclura la présente procédure pour bien montrer que ce dernier apportera
quelque chose de plus au débat et viendra confirmer sa position selon laquelle, « lorsque des
considérations politiques jouent un rôle marquant il peut être particulièrement nécessaire à une
organisation internationale d’obtenir un avis consultatif de la Cour sur les principes juridiques
applicables à la matière en discussion »23.
29. Sans vouloir mettre en doute la valeur et l’utilité de l’avis que la Cour pourrait donner, le
Guatemala soutient que seules des négociations bilatérales permettront d’aboutir à un règlement
définitif du différend israélo-palestinien, comme la Cour l’a d’ailleurs précisé elle-même dans son
avis sur le « mur »24.
3. Point de savoir si la Cour s’est vu communiquer suffisamment de renseignements
et d’éléments de preuve pour se prononcer
30. Il est fort probable que cet argument sera avancé pour que la Cour refuse de donner un avis
consultatif, en raison, notamment, de préoccupations spécifiques en matière de sécurité qui ne
ressortent peut-être pas des documents fournis par l’Organisation des Nations Unies, les États
participants et d’autres organisations internationales ou qui n’y sont peut-être pas exposées.
31. La République du Guatemala, qui a examiné l’abondant dossier fourni par l’Organisation
des Nations Unies, est en mesure de confirmer que celui-ci est riche et contient un large éventail de
sources, d’analyses datant de différentes périodes et représentant les points de vue de divers organes,
21 Ibid., par. 5.
22 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16.
23 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 87,
par. 33.
24 Avis consultatif sur le « mur », C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200-201, par. 162.
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agences et acteurs. Reste à voir quelles informations supplémentaires auront été fournies par les États
et organisations participant à la procédure, notamment les plus touchés, puisque, comme l’a dit la
Cour, « la question de savoir si les éléments de preuve dont elle dispose sont suffisants pour donner
un avis consultatif doit être tranchée dans chaque cas particulier »25, le point décisif étant de savoir
« si la Cour dispose de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter
un jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui faudrait établir pour se prononcer d’une
manière conforme à son caractère judiciaire »26.
32. Les deux questions faisant l’objet de la demande d’avis consultatif, telles que transmises à
la Cour conformément au paragraphe 2 de l’article 65, peuvent présenter pour elle un défi majeur,
notamment en ce qui concerne la manière d’apprécier toutes les informations pertinentes et de
parvenir à se prononcer sur la situation d’ensemble. Aussi la Cour pourrait-elle être amenée à
interpréter, circonscrire ou reformuler l’une ou l’autre question, voire les deux, afin que sa tâche
s’accorde avec la portée d’un avis consultatif et les informations dont elle dispose.
33. Contrairement à la demande d’avis consultatif sur le « mur », qui ne portait manifestement
que sur une « partie d’un ensemble », la présente demande peut être considérée comme soumettant
l’intégralité de la question palestinienne à l’examen de la Cour. Dans l’avis précité, celle-ci avait
précisé qu’elle prendrait soigneusement en considération cette circonstance dans tout avis qu’elle
pourrait rendre27. Le Guatemala ne doute pas que la Cour fera preuve de la même prudence dans la
présente procédure.
4. Point de savoir si la situation dont est saisie la Cour constitue un différend bilatéral
opposant des parties qui n’ont pas consenti à ce que celui-ci soit réglé par elle
34. La Cour a l’habitude des demandes d’avis consultatifs qui ont trait ou sont liées à un
différend entre deux ou plusieurs parties. Il lui a déjà été demandé de veiller à ne pas contourner le
principe du consentement des États à ce que leurs différends fassent l’objet d’une décision judiciaire.
35. Des arguments invitant la Cour à user de son pouvoir discrétionnaire pour ne pas donner
d’avis consultatif ont par le passé été rejetés principalement au motif que, même s’il existait un
différend sous-jacent, la demande avait été présentée par un organe qui n’était pas l’une des parties
à ce différend et que c’était à cet organe que l’avis serait donné. La Cour a également souligné qu’un
avis consultatif n’avait pas d’effet obligatoire à l’égard des parties à un différend sous-tendant la
situation qui lui était soumise.
36. Même si, d’une manière générale, le Guatemala souscrit aux affirmations ci-dessus, la
prudence est de mise dans la présente procédure principalement à cause de la manière dont sont
rédigées les questions soumises à la Cour.
37. Premièrement, les questions sont porteuses d’allégations contre un État qui comprennent
des accusations d’une exceptionnelle gravité. Bien que la Cour ait reconnu que, en pareil cas, lesdites
accusations devaient être prouvées par des éléments ayant pleine force probante, la procédure
consultative n’est peut-être pas le cadre le plus approprié pour qu’il soit satisfait à ce niveau de preuve
25 Ibid., p. 161, par. 56.
26 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 28-29, par. 46.
27 Avis consultatif sur le « mur », C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 160, par. 54.
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élevé, contrairement à la procédure contentieuse qui exige des parties en cause qu’elles aient
clairement donné leur consentement à un règlement judiciaire.
38. Deuxièmement, les deux questions visent les mesures, lois, politiques et pratiques d’une
partie déterminée au différend sous-jacent à l’égard de l’autre, et y répondre supposera pour la Cour
d’apprécier le comportement de la première tout en étant privée de « la situation d’ensemble », dont
les raisons notamment les actes de l’autre partie au différend sous-jacent qui ont motivé nombre
de ces mesures, lois, politiques et pratiques, et sans analyser le comportement de la seconde.
39. Par conséquent, le Guatemala estime que la Cour devra s’assurer qu’il n’y a aucun
contournement du principe du consentement des États au règlement judiciaire, et qu’elle devrait
peut-être user de ses pouvoirs inhérents d’interpréter, de circonscrire et de reformuler les questions
qui lui sont posées afin que ses conclusions ne dépassent pas la portée d’un avis consultatif.
40. Enfin, même si les avis consultatifs ne sont pas juridiquement contraignants en ce qu’ils
ne sont pas destinés à des États mais à l’entité qui en a fait la demande, la Cour a parfaitement
conscience de l’importance des avis qu’elle donne et ne saurait faire fi de l’effet et des conséquences
éventuelles que ses conclusions pourraient avoir.
5. Point de savoir si les questions posées soulèvent des points de fait
complexes et controversés qu’il n’est pas approprié de trancher
dans le cadre d’une procédure consultative
41. Peu de questions sont aussi controversées, multiformes et anciennes que celle de la
Palestine. Dans les paragraphes précédents, le Guatemala a avancé plusieurs arguments pour engager
la Cour à la prudence, notamment en raison du grand nombre de parties touchées, y compris des
acteurs non étatiques, de la commission d’actes illicites des deux côtés, ainsi que de la multiplicité
des questions en jeu, telles que la souveraineté territoriale, les préoccupations en matière de sécurité
ou les considérations économiques, culturelles et sociales.
42. De même, le Guatemala s’est demandé si une procédure consultative était le cadre
approprié pour que la Cour se prononce sur les graves accusations visant un État en particulier que
renferment les questions, et s’est dit préoccupé de ce que les informations dont la Cour disposera au
moment de formuler ses conclusions puissent se révéler insuffisantes.
43. Compte tenu de ce qui précède, le Guatemala invite la Cour à partir du principe qu’elle a
énoncé en 1971, à savoir que, « [p]our être à même de se prononcer sur des questions juridiques,
[elle] d[eva]it … avoir connaissance des faits correspondants, les prendre en considération et, le cas
échéant, statuer à leur sujet »28 de sa propre initiative, et non s’appuyer automatiquement sur des
expressions de volonté politique plutôt que sur des faits objectifs démontrés.
28 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 27, par. 40.
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6. Point de savoir si les questions sont obscures, floues ou trop abstraites
pour que la Cour puisse y répondre
44. Dans les paragraphes ci-dessus, le Guatemala a très clairement indiqué qu’il invitait la
Cour à exercer ses pouvoirs inhérents d’interpréter, de circonscrire ou de reformuler les questions
qui lui sont soumises dans la demande d’avis consultatif en cause, étant entendu que le « manque de
clarté dans le libellé d’une question ne saurait priver la Cour de sa compétence[, et que, t]out au plus,
du fait de ces incertitudes, la Cour devra … préciser l’interprétation à donner à la question, ce qu’elle
a souvent fait »29. Aussi est-il d’avis qu’un tel argument ne constituerait pas une « raison décisive »
pour que la Cour refuse de répondre à la demande si les questions étaient interprétées, circonscrites
ou reformulées en conséquence.
7. Point de savoir si la réponse que la Cour pourrait donner porterait atteinte
au processus de négociation entre les parties au différend sous-jacent
45. Dans son avis consultatif sur le « mur », la Cour a précisé qu’elle avait examiné des
arguments analogues plusieurs fois par le passé. Elle avait alors répondu que « l’effet qu’aurait cet
avis [étai]t une question d’appréciation »30 et que, « quelles que [fuss]ent les conclusions auxquelles
elle pou[v]ait parvenir dans l’avis qu’elle donnerait, ces conclusions seraient pertinentes au regard
du débat qui se poursui[vai]t à l’Assemblée générale, et apporteraient dans les négociations sur la
question un élément supplémentaire »31.
46. La Cour est bien évidemment au fait du cadre qui a été établi depuis lors pour parvenir à
une solution négociée de la question palestinienne et de sa présente applicabilité aux parties,
auxquelles il est notamment prescrit de régler la question dont elle est saisie au moyen de
négociations directes. Cette prescription a recueilli l’adhésion de la communauté internationale et du
Conseil de sécurité.
47. Le différend israélo-palestinien a depuis toujours un effet déstabilisateur sur la région du
Moyen-Orient et au-delà. Il avive et exacerbe les émotions dans le monde entier. Tout élément
nouveau ne manquera pas d’avoir un certain retentissement et de provoquer des réactions. Et il est
fort probable que l’avis de la Cour sera utilisé à des fins autres que celles envisagées par l’Assemblée
générale lorsqu’elle en a fait la demande. Si elle décide de donner un avis consultatif, la Cour devra
donc le faire de manière précise et dénuée d’ambiguïté afin de ne pas ajouter à l’incertitude.
48. Pour les raisons qu’il vient d’exposer, le Guatemala demande respectueusement à la Cour
que tout avis consultatif qu’elle déciderait de donner tienne dûment compte des négociations
bilatérales susmentionnées et contribue à leur mise en oeuvre rapide.
V. CONCLUSION
49. La République du Guatemala souhaite réaffirmer sa confiance totale et inconditionnelle
dans l’impartialité et l’équité de la Cour. À n’en pas douter, la présente procédure cimentera encore
la confiance que la communauté internationale dans son ensemble place en la Cour.
29 Avis consultatif sur le « mur », C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 153-154, par. 38.
30 [Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif], C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 17.
31 Ibid.
- 10 -
50. Comme elle l’a indiqué ci-dessus, la République du Guatemala se réserve le droit de
formuler, lors de la phase des observations écrites, d’autres réflexions concernant le fond des
questions et les exposés présentés par d’autres participants à la procédure et réitère que tous les
arguments avancés dans le présent exposé écrit ne le sont qu’aux fins présentes.
La Haye, juillet 2023.
Le représentant de la République du Guatemala,
Lesther Antonio ORTEGA LEMUS.
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Exposé écrit du Guatemala

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