Arrêt du 2 février 2024

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182-20240202-JUD-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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2 FÉVRIER 2024
ARRÊT
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE (UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
___________
ALLEGATIONS OF GENOCIDE UNDER THE CONVENTION ON THE PREVENTION AND PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE (UKRAINE v. RUSSIAN FEDERATION: 32 STATES INTERVENING)
2 FEBRUARY 2024
JUDGMENT
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-28
I. CONTEXTE GÉNÉRAL 29-37
II. L’EXISTENCE ET L’OBJET DU DIFFÉREND 38-57
A. L’existence du différend (première exception préliminaire) 38-52
B. Les deux aspects du différend 53-57
III. LE PREMIER ASPECT DU DIFFÉREND : LE CHEF DE CONCLUSIONS DE L’UKRAINE SELON LEQUEL AUCUN GÉNOCIDE ATTRIBUABLE À LA DEMANDERESSE N’A ÉTÉ COMMIS DANS LA RÉGION DU DONBAS 58-118
A. Introduction de nouvelles demandes (troisième exception préliminaire) 60-72
B. Absence d’effet pratique de l’arrêt (quatrième exception préliminaire) 73-80
C. Irrecevabilité d’une demande tendant à ce qu’il soit déclaré que la demanderesse n’a pas manqué à ses obligations (cinquième exception préliminaire) 81-109
D. Abus de procédure (sixième exception préliminaire) 110-118
IV. LE SECOND ASPECT DU DIFFÉREND : LES CONCLUSIONS DE L’UKRAINE RELATIVES À LA COMPATIBILITÉ AVEC LA CONVENTION DES ACTIONS DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE 119-148
A. Introduction de demandes nouvelles (troisième exception préliminaire) 121-130
B. Compétence ratione materiae de la Cour au titre de la convention sur le génocide (deuxième exception préliminaire) 131-148
DISPOSITIF 151
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2024
2024
2 février
Rôle général
no 182
2 février 2024
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
Contexte général  Requête introduite par l’Ukraine le 26 février 2022  Article IX de la convention sur le génocide invoqué comme base de compétence  Fédération de Russie ayant soulevé six exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête.
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Première exception préliminaire  Existence d’un différend.
Déclarations d’organes de la Fédération de Russie selon lesquelles l’Ukraine aurait commis un génocide dont les victimes étaient les habitants russophones du Donbas  Accusations rejetées par l’Ukraine  Ukraine contestant également la licéité des actions entreprises par la Fédération de Russie sur la base de telles accusations  Différend existant à la date de la requête  Rejet de la première exception préliminaire.
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Différend comportant deux aspects  Premier aspect : demande de l’Ukraine tendant à ce qu’il soit déclaré qu’aucun génocide attribuable à la demanderesse n’a été commis dans la région du Donbas  Second aspect : compatibilité avec la convention sur le génocide des actions de la Fédération de Russie.
*
Premier aspect du différend.
Deuxième exception préliminaire  Compétence ratione materiae au titre de la convention sur le génocide  Exception ne concernant pas le premier aspect du différend et étant donc examinée en relation avec le second aspect de celui-ci  Absence de raison de mettre en cause la compétence de la Cour pour connaître du premier aspect du différend.
Troisième exception préliminaire  Introduction alléguée de nouvelles demandes  Demandes additionnelles ou modifiées étant irrecevables dès lors qu’elles transforment l’objet du différend énoncé dans la requête  Chef de conclusions modifié dans le mémoire ne faisant que préciser celui présenté dans la requête  Objet du différend n’étant pas transformé  Rejet de la troisième exception préliminaire.
Quatrième exception préliminaire  Absence alléguée d’effet pratique de l’arrêt  Premier aspect du différend entre les Parties impliquant un désaccord sur les faits ainsi que sur l’interprétation, l’application ou l’exécution de leurs droits et obligations au regard de la convention sur le génocide  Un jugement déclaratoire sur le premier aspect aurait pour effet d’établir clairement si l’Ukraine a agi conformément aux obligations auxquelles elle est tenue par la convention sur le génocide  Rejet de la quatrième exception préliminaire.
Cinquième exception préliminaire  Irrecevabilité alléguée d’une demande tendant à ce qu’il soit déclaré que l’Ukraine n’a pas manqué à ses obligations  Examen par la Cour des cinq arguments avancés par la Fédération de Russie :  1) Pratiques de l’OMC en matière de « demandes inversées en constatation de conformité » n’étant d’aucune aide pour cette question  2) Article IX de la convention sur le génocide n’excluant pas la possibilité d’une telle demande  3) Jurisprudence de la Cour n’apportant aucune réponse à cette question  4) Demande n’étant pas incompatible avec la fonction judiciaire de la Cour  5) Demande n’étant pas contraire aux principes d’« opportunité judiciaire » et d’égalité des parties  Aux fins de l’appréciation de la recevabilité de la demande de l’Ukraine, prise en compte par la Cour des circonstances suivantes :  1) Demande formulée dans le contexte d’un conflit armé  2) Fédération de Russie ayant prétendument pris des mesures en Ukraine et contre celle-ci dans le but de prévenir ou de punir un génocide dans la région du Donbas  Intérêt juridique de l’Ukraine de présenter la demande dans un contexte aussi particulier  Demande étant recevable dans les circonstances particulières de l’espèce  Rejet de la cinquième exception préliminaire.
Sixième exception préliminaire  Abus de procédure allégué  Absence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient de rejeter la demande pour abus de procédure  Rejet de la sixième exception préliminaire.
*
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Second aspect du différend.
Troisième exception préliminaire  Introduction alléguée de nouvelles demandes  Conclusions modifiées dans le mémoire ne faisant que clarifier les demandes présentées dans la requête  Objet du différend n’étant pas transformé  Rejet de la troisième exception préliminaire.
Deuxième exception préliminaire  Compétence ratione materiae au titre de la convention sur le génocide  Exigence selon laquelle les violations alléguées doivent entrer dans les prévisions du traité  Allégation de l’Ukraine selon laquelle la Fédération de Russie a violé les obligations énoncées aux articles premier et IV de la convention sur le génocide en formulant des accusations mensongères de génocide et en invoquant de mauvaise foi la convention afin de justifier des actions illicites, notamment des actions militaires  Avis de la Cour selon lequel les actes allégués par l’Ukraine ne peuvent emporter violation des articles premier et IV  Ukraine ne soutenant pas que la Fédération de Russie se serait abstenue de prendre des mesures pour prévenir ou punir un génocide  Dans ces conditions, comportement mis en cause pouvant difficilement constituer une méconnaissance des obligations de prévenir le génocide et d’en punir les auteurs  Mauvaise foi alléguée de la Fédération de Russie et abus qui aurait été commis par elle ne pouvant en soi constituer la violation d’obligations au titre des articles premier et IV  Allégation selon laquelle la Fédération de Russie a violé des règles du droit international en cherchant à s’acquitter des obligations énoncées aux articles premier et IV  Convention sur le génocide n’incorporant pas de règles du droit international qui lui sont étrangères, telles que celles relatives à l’emploi de la force  Violation d’autres règles ne pouvant constituer violation de la convention sur le génocide  Cour incompétente pour connaître du second aspect du différend  Deuxième exception préliminaire retenue.
Examen des autres exceptions préliminaires en relation avec le second aspect du différend n’étant pas nécessaire.
*
Cour ayant compétence, sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide, à l’égard du premier aspect du différend  Premier aspect du différend étant recevable.
ARRÊT
Présents : MME DONOGHUE, présidente ; M. GEVORGIAN, vice-président ; MM. TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA, YUSUF, MMES XUE, SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON, SALAM, IWASAWA, NOLTE, MME CHARLESWORTH, M. BRANT, juges ; M. DAUDET, juge ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
En l’affaire relative à des allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
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entre
l’Ukraine,
représentée par
S. Exc. M. Anton Korynevych, ambassadeur itinérant, ministère des affaires étrangères de l’Ukraine,
comme agent ;
Mme Oksana Zolotaryova, directrice générale du droit international, ministère des affaires étrangères de l’Ukraine,
comme coagente ;
Mme Marney L. Cheek, cabinet Covington & Burling LLP, membre des barreaux de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique et du district de Columbia,
M. Jonathan Gimblett, cabinet Covington & Burling LLP, membre des barreaux du district de Columbia et de l’État de Virginie, solicitor près les juridictions supérieures d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Harold Hongju Koh, professeur de droit international, titulaire de la chaire Sterling, faculté de droit de l’Université Yale, membre des barreaux de l’État de New York et du district de Columbia,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Paris Nanterre, secrétaire général de l’Académie de droit international de La Haye, membre associé de l’Institut de droit international, membre du barreau de Paris, cabinet Sygna Partners,
M. David M. Zionts, cabinet Covington & Burling LLP, membre des barreaux de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique et du district de Columbia,
comme conseils et avocats ;
S. Exc. M. Oleksandr Karasevych, ambassadeur d’Ukraine auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Oleksandr Braiko, département du droit international, ministère des affaires étrangères de l’Ukraine,
Mme Anastasiia Mochulska, département du droit international, ministère des affaires étrangères de l’Ukraine,
M. Dmytro Kutsenko, département du droit international, ministère des affaires étrangères de l’Ukraine,
Mme Mariia Bezdieniezhna, conseillère, ambassade d’Ukraine au Royaume des Pays-Bas,
Mme Paris Aboro, cabinet Covington & Burling LLP, membre du barreau de l’État de New York et du barreau d’Angleterre et du pays de Galles,
M. Volodymyr Shkilevych, cabinet Covington & Burling LLP, membre du barreau de l’État de New York,
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M. Paul Strauch, cabinet Covington & Burling LLP, membre des barreaux du district de Columbia et de l’État de Californie,
Mme Gaby Vasquez, cabinet Covington & Burling LLP, membre du barreau du district de Columbia,
Mme Jessica Joly Hébert, membre du barreau du Québec, doctorante au CEDIN, Université Paris Nanterre,
comme conseils ;
Mme Caroline Ennis, cabinet Covington & Burling LLP,
comme assistante,
et
la Fédération de Russie,
représentée par
S. Exc. M. Gennady Kuzmin, ambassadeur itinérant, ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie,
S. Exc. M. Alexander Shulgin, ambassadeur de la Fédération de Russie auprès du Royaume des Pays-Bas,
S. Exc. Mme Maria Zabolotskaya, représentante permanente adjointe de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies,
M. Maksim V. Musikhin, directeur adjoint du département juridique, ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie,
comme agents ;
M. Hadi Azari, professeur de droit international public à l’Université Kharazmi à Téhéran, conseiller juridique auprès du centre des affaires juridiques internationales de l’Iran,
M. Alfredo Crosato Neumann, Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, membre du barreau de Lima,
M. Jean-Charles Tchikaya, membre des barreaux de Paris et de Bordeaux,
M. Kirill Udovichenko, associé, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
M. Sienho Yee, professeur de droit international, titulaire de la chaire Changjiang Xuezhe, et directeur de l’Institut chinois de droit international, Université des affaires étrangères de Chine, Beijing, membre des barreaux de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique et de l’État de New York, membre de l’Institut de droit international,
comme conseils et avocats ;
M. Dmitry Andreev, conseil, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
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M. Konstantin Kosorukov, chef de division, département juridique, ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie,
comme conseils ;
M. Mikhail Abramov, collaborateur senior, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
M. Yury Andryushkin, premier secrétaire, département juridique, ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie,
Mme Victoria Goncharova, première secrétaire, représentation permanente de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques,
Mme Anastasia Khamenkova, experte, parquet général de la Fédération de Russie,
M. Stanislav Kovpak, conseiller principal, département de la coopération multilatérale pour les droits de l’homme, ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie,
Mme Marina Kulidobrova, collaboratrice, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
Mme Maria Kuzmina, cheffe de division au deuxième département des pays de la Communauté d’États indépendants, ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie,
M. Artem Lupandin, collaborateur, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
M. Aleksei Trofimenkov, conseiller, département juridique, ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie,
Mme Kata Varga, collaboratrice, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
M. Nikolay Zinovyev, collaborateur senior, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
comme conseillers ;
Mme Svetlana Poliakova, cabinet Monastyrsky, Zyuba, Stepanov & Partners,
comme assistante,
avec les États suivants, dont les déclarations d’intervention ont été jugées recevables par la Cour au stade des exceptions préliminaires :
la République fédérale d’Allemagne,
représentée par
Mme Tania von Uslar-Gleichen, directrice du département juridique, ministère des affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne,
comme agente ;
Mme Wiebke Rückert, directrice de la section de droit international public, ministère des affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne,
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S. Exc. M. Cyrill Jean Nunn, ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagents ;
M. Lukas Georg Wasielewski, ministère des affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne,
M. Caspar Sieveking, ambassade de la République fédérale d’Allemagne au Royaume des Pays-Bas,
M. Johannes Scharlau, ambassade de la République fédérale d’Allemagne au Royaume des Pays-Bas,
M. Marius Gappa, ambassade de la République fédérale d’Allemagne au Royaume des Pays-Bas,
l’Australie,
représentée par
M. Jesse Clarke, General Counsel (droit international), services de l’Attorney General d’Australie,
comme agent ;
S. Exc. M. Gregory Alan French, ambassadeur d’Australie auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Adam Justin McCarthy, juriste en chef, ministère des affaires étrangères et du commerce de l’Australie,
comme coagents ;
M. Stephen Donaghue, K.C., Solicitor General d’Australie,
Mme Kate Parlett, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Twenty Essex Chambers,
Mme Belinda McRae, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Twenty Essex Chambers,
Mme Emma Norton, juriste principale par intérim, services de l’Attorney General,
Mme Katherine Arditto, deuxième secrétaire (conseillère juridique et consule), ambassade d’Australie au Royaume des Pays-Bas,
M. Sam Gaunt, spécialiste des politiques multilatérales, ambassade d’Australie au Royaume des Pays-Bas,
la République d’Autriche,
représentée par
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S. Exc. M. Helmut Tichy, ambassadeur, ancien conseiller juridique, ministère fédéral des affaires européennes et internationales de la République d’Autriche,
comme agent ;
S. Exc. M. Konrad Bühler, ambassadeur, conseiller juridique, ministère fédéral des affaires européennes et internationales de la République d’Autriche,
comme coagent ;
Mme Katharina Kofler, conseillère juridique, ambassade de la République d’Autriche au Royaume des Pays-Bas,
M. Haris Huremagić, juriste, ministère fédéral des affaires européennes et internationales de la République d’Autriche,
Mme Viktoria Ritter, juriste, ministère fédéral des affaires européennes et internationales de la République d’Autriche,
Mme Céline Braumann, conseillère, professeure adjointe à l’Université d’Ottawa,
M. Gerhard Hafner, conseiller, professeur émérite à l’Université de Vienne, ancien membre de la Commission du droit international, membre de l’Institut de droit international,
Mme Karoline Schnabl, ambassade de la République d’Autriche au Royaume des Pays-Bas,
le Royaume de Belgique,
représenté par
M. Piet Heirbaut, jurisconsulte, directeur général des affaires juridiques, service public fédéral des affaires étrangères du Royaume de Belgique,
comme agent ;
S. Exc. M. Olivier Belle, représentant permanent du Royaume de Belgique auprès des institutions internationales à La Haye,
comme coagent ;
Mme Sabrina Heyvaert, conseillère générale, direction du droit international public,
Mme Pauline De Decker, attachée, représentation permanente du Royaume de Belgique auprès des institutions internationales à La Haye,
Mme Laurence Grandjean, attachée, direction du droit international public,
Mme Aurélie Debuisson, attachée, direction du droit international public,
la République de Bulgarie,
représentée par
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Mme Dimana Dramova, cheffe du département du droit international, direction du droit international et du droit européen, ministère des affaires étrangères de la République de Bulgarie,
comme agente ;
S. Exc. M. Konstantin Dimitrov, ambassadeur de la République de Bulgarie auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
Mme Raia Mantovska Vassileva, conseillère juridique, ambassade de la République de Bulgarie au Royaume des Pays-Bas,
Mme Monika Velkova, troisième secrétaire,
le Canada,
représenté par
M. Alan H. Kessel, sous-ministre adjoint et conseiller juridique, ministère des affaires mondiales du Canada,
comme agent ;
M. Louis-Martin Aumais, directeur général et conseiller juridique adjoint, ministère des affaires mondiales du Canada,
comme coagent ;
Mme Rebecca Netley, directrice exécutive, direction de la responsabilisation, des droits de la personne et du droit onusien, ministère des affaires mondiales du Canada,
Mme Teresa Crockett, directrice adjointe, direction de la responsabilisation, des droits de la personne et du droit onusien, ministère des affaires mondiales du Canada,
S. Exc. M. Hugh Adsett, ambassadeur du Canada auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Simon Collard-Wexler, conseiller, ambassade du Canada au Royaume des Pays-Bas,
M. Kristopher Yue, deuxième secrétaire, ambassade du Canada au Royaume des Pays-Bas,
la République de Chypre,
représentée par
M. George L. Savvides, Attorney General de la République de Chypre,
comme agent ;
Mme Mary-Ann Stavrinides, Attorney of the Republic, bureau de l’Attorney General de la République de Chypre,
comme coagente ;
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Mme Joanna Demetriou, Counsel of the Republic A’, bureau de l’Attorney General de la République de Chypre,
M. Antonios Tzanakopoulos, professeur de droit international public à l’Université d’Oxford,
la République de Croatie,
représentée par
Mme Gordana Vidović Mesarek, directrice générale chargée du droit européen et du droit international, ministère des affaires étrangères et européennes de la République de Croatie,
comme agente ;
Mme Anamarija Valković, cheffe du service de droit international, ministère des affaires étrangères et européennes de la République de Croatie,
comme coagente,
le Royaume du Danemark,
représenté par
S. Exc. Mme Vibeke Pasternak Jørgensen, ambassadrice, sous-secrétaire aux affaires juridiques (conseillère juridique), ministère des affaires étrangères du Royaume du Danemark,
comme agente ;
S. Exc. M. Jarl Frijs-Masden, ambassadeur du Royaume du Danemark auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
M. Martin Lolle Christensen, chef de section, ministère des affaires étrangères du Royaume du Danemark,
M. Victor Backer-Gonzalez, conseiller juridique, ambassade royale du Danemark au Royaume des Pays-Bas,
Mme Anna Sofie Leth Nymand, stagiaire à l’ambassade royale du Danemark au Royaume des Pays-Bas,
le Royaume d’Espagne,
représenté par
M. Santiago Ripol Carulla, professeur de droit international public, Universitat Pompeu Fabra, Barcelone,
comme agent ;
S. Exc. Mme Consuelo Femenía Guardiola, ambassadrice du Royaume d’Espagne auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagente ;
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M. Emilio Pin Godos, conseiller juridique pour le droit international, ministère des affaires étrangères du Royaume d’Espagne,
M. Juan Almazán Fuentes, conseiller juridique, ambassade du Royaume d’Espagne au Royaume des Pays-Bas,
la République d’Estonie,
représentée par
Mme Kerli Veski, directrice générale du département juridique, ministère des affaires étrangères de la République d’Estonie,
comme agente ;
S. Exc. M. Lauri Kuusing, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République d’Estonie auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
Mme Dea Hannust,
la République de Finlande,
représentée par
Mme Kaija Suvanto, directrice générale du service juridique, ministère des affaires étrangères de la République de Finlande,
comme agente ;
Mme Tarja Långström, directrice adjointe de la section de droit international public, ministère des affaires étrangères de la République de Finlande,
comme coagente ;
Mme Johanna Hossa, juriste, section de droit international public, ministère des affaires étrangères de la République de Finlande,
Mme Verna Adkins, deuxième secrétaire, ambassade de la République de Finlande au Royaume des Pays-Bas,
la République française,
représentée par
M. Diégo Colas, jurisconsulte, directeur des affaires juridiques, ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la République française,
comme agent ;
S. Exc. M. François Alabrune, ambassadeur de la République française auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
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M. Hervé Ascensio, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
M. Pierre Bodeau-Livinec, professeur à l’Université Paris Nanterre,
Mme Maryline Grange, maître de conférences en droit public à l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne, Université de Lyon,
Mme Anne-Thida Norodom, professeure à l’Université Paris Cité,
M. Nabil Hajjami, sous-directeur du droit international public, direction des affaires juridiques, ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la République française,
Mme Marion Esnault, consultante juridique, direction des affaires juridiques, ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la République française,
M. Stéphane Louhaur, conseiller juridique, ambassade de la République française au Royaume des Pays-Bas,
Mme Jade Frichitthavong, chargée de mission juridique, ambassade de la République française au Royaume des Pays-Bas,
Mme Emma Bongat, stagiaire au service juridique, ambassade de la République française au Royaume des Pays-Bas,
la République hellénique,
représentée par
Mme Zinovia Chaido Stavridi, conseillère juridique, cheffe du département juridique, ministère des affaires étrangères de la République hellénique,
comme agente ;
S. Exc. Mme Caterina Ghini, ambassadrice de la République hellénique auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagente ;
Mme Martha Papadopoulou, conseillère juridique principale, département juridique, ministère des affaires étrangères de la République hellénique,
Mme Evangelia Grammatika, ministre plénipotentiaire, cheffe de mission adjointe, ambassade de la République hellénique au Royaume des Pays-Bas,
M. Konstantinos Kalamvokidis, deuxième secrétaire, ambassade de la République hellénique au Royaume des Pays-Bas,
l’Irlande,
représentée par
M. Declan Smyth, conseiller juridique, ministère des affaires étrangères de l’Irlande,
comme agent ;
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M. Frank Groome, chef de mission adjoint, ambassade d’Irlande au Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
S. Exc. M. Brendan Rogers, ambassadeur d’Irlande auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Michelle Ryan, conseillère juridique adjointe, ministère des affaires étrangères de l’Irlande,
Mme Louise Hartigan, cheffe de mission adjointe, ambassade d’Irlande au Royaume des Pays-Bas,
la République italienne,
représentée par
M. Stefano Zanini, chef du service des affaires juridiques, des différends diplomatiques et des accords internationaux, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République italienne,
comme agent ;
S. Exc. M. Giorgio Novello, ambassadeur de la République italienne auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
M. Attila Massimiliano Tanzi, professeur de droit international à l’Université de Bologne, cabinet 3 Verulam Buildings,
M. Alessandro Sutera Sardo, attaché aux affaires juridiques, ambassade de la République italienne au Royaume des Pays-Bas,
M. Luigi Ripamonti, conseiller, service des affaires juridiques, des différends diplomatiques et des accords internationaux, ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République italienne,
Mme Ludovica Chiussi Curzi, professeure adjointe principale de droit international à l’Université de Bologne,
M. Gian Maria Farnelli, professeur associé de droit international à l’Université de Bologne,
la République de Lettonie,
représentée par
Mme Kristīne Līce, conseillère en législation et droit international auprès du président de la République de Lettonie,
comme agente ;
M. Edgars Trumkalns, chargé d’affaires par intérim de la République de Lettonie au Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
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M. Mārtiņš Paparinskis, professeur de droit international public, University College London, membre de la Commission du droit international, membre de la Cour permanente d’arbitrage,
M. Mamadou Hébié, professeur associé de droit international à l’Université de Leyde, membre du barreau de l’État de New York,
M. Vladyslav Lanovoy, professeur adjoint de droit international public à l’Université Laval de Québec,
M. Cameron Miles, membre du barreau d’Angleterre, cabinet 3 Verulam Buildings,
M. Joseph Crampin, chargé d’enseignement en droit international à l’Université de Glasgow,
M. Luis Felipe Viveros, doctorant, University College London,
Mme Elīna Luīze Vītola, agente adjointe du gouvernement, bureau du représentant de la République de Lettonie auprès des organisations internationales des droits de l’homme, ministère des affaires étrangères de la République de Lettonie,
M. Arnis Lauva, chef de la division du droit international, ministère des affaires étrangères de la République de Lettonie,
Mme Katrīna Kate Lazdine, jurisconsulte, division du droit international, ministère des affaires étrangères de la République de Lettonie,
la Principauté du Liechtenstein,
représentée par
S. Exc. M. Pascal Schafhauser, chef de mission, ambassadeur de la Principauté du Liechtenstein auprès du Royaume de Belgique,
comme agent ;
M. Sina Alavi, conseiller principal,
la République de Lituanie,
représentée par
Mme Gabija Grigaitė-Daugirdė, vice-ministre de la justice de la République de Lituanie, chargée d’enseignement à l’Université de Vilnius,
comme agente ;
M. Ričard Dzikovič, chef de la représentation juridique, ministère de la justice de la République de Lituanie, chargé d’enseignement à l’Université Mykolas Romeris,
Mme Ingrida Bačiulienė, cheffe de la section des traités internationaux, ministère des affaires étrangères de la République de Lituanie,
comme coagents ;
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M. Pierre d’Argent, professeur à l’Université de Louvain (U.C. Louvain), membre de l’Institut de droit international, membre du barreau de Bruxelles,
M. Gleider Hernández, professeur à l’Université de Louvain (K.U. Leuven),
Mme Inga Martinkutė, avocate au cabinet MMSP, membre du barreau de Lituanie, chargée d’enseignement à l’Université de Vilnius,
M. Christian J. Tams, professeur à l’Université de Glasgow et à l’Université Leuphana de Lunebourg,
S. Exc. M. Neilas Tankevičius, ambassadeur de la République de Lituanie auprès du Royaume des Pays-Bas,
M. Mindaugas Žičkus, chef de mission adjoint, ambassade de la République de Lituanie au Royaume des Pays-Bas,
le Grand-Duché de Luxembourg,
représenté par
M. Alain Germeaux, conseiller de légation adjoint, directeur des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères et européennes du Grand-Duché de Luxembourg,
comme agent ;
S. Exc. M. Jean-Marc Hoscheit, ambassadeur du Grand-Duché de Luxembourg auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent (jusqu’au 4 octobre 2023) ;
S. Exc. M. Mike Hentges, ambassadeur du Grand-Duché de Luxembourg auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent (à partir du 4 octobre 2023) ;
M. Thierry Ewert, conseiller juridique, ministère des affaires étrangères et européennes du Grand-Duché de Luxembourg,
Mme Léa Siffert, conseillère juridique à l’ambassade du Grand-Duché de Luxembourg au Royaume des Pays-Bas,
comme agents adjoints,
la République de Malte,
représentée par
M. Christopher Soler, avocat de l’État, République de Malte,
comme agent ;
S. Exc. M. Mark A. Pace, ambassadeur de la République de Malte auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
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Mme Ariana Rowela Falzon, avocate, bureau de l’avocat de l’État,
Mme Margot Ann Schembri Bajada, conseillère, section juridique, ministère des affaires étrangères et européennes et du commerce de la République de Malte,
Mme Marilyn Grech, juriste, section juridique, ministère des affaires étrangères et européennes et du commerce de la République de Malte,
M. Matthew Grima, chef de mission adjoint, conseiller, ambassade de la République de Malte au Royaume des Pays-Bas,
Mme Mary Jane Spiteri, attaché de recherche et d’administration, ambassade de la République de Malte au Royaume des Pays-Bas,
M. Clemens Baier, attaché de recherche et d’administration, ambassade de la République de Malte au Royaume des Pays-Bas,
le Royaume de Norvège,
représenté par
M. Kristian Jervell, directeur général du département des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères du Royaume de Norvège,
comme agent ;
M. Martin Sørby, directeur général adjoint du département des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères du Royaume de Norvège,
comme coagent ;
S. Exc. M. Bård Ivar Svendsen, ambassadeur du Royaume de Norvège auprès du Royaume des Pays-Bas et du Grand-Duché de Luxembourg,
Mme Kristin Hefre, ministre conseillère aux affaires juridiques, ambassade royale de Norvège au Royaume des Pays-Bas,
Mme Dagny Marie Ås Hovind, conseillère, département des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères du Royaume de Norvège,
Mme Frida Fostvedt, conseillère, département des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères du Royaume de Norvège,
M. Zaid Waran, stagiaire aux affaires juridiques, ambassade royale de Norvège au Royaume des Pays-Bas,
la Nouvelle-Zélande,
représentée par
Mme Victoria Hallum, secrétaire adjointe, ministère des affaires étrangères et du commerce de la Nouvelle-Zélande,
comme agente ;
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M. Andrew Williams, conseiller juridique en chef (par intérim) pour le droit international, ministère des affaires étrangères et du commerce de la Nouvelle-Zélande,
S. Exc. Mme Susannah Gordon, ambassadrice de Nouvelle-Zélande auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagents ;
Mme Elana Geddis, avocate, Kate Sheppard Chambers (Wellington),
M. Toby Fisher, avocat, Matrix Chambers (Londres),
Mme Jane Collins, conseillère juridique principale, ministère des affaires étrangères et du commerce de la Nouvelle-Zélande,
Mme Hannah Frost, cheffe de mission adjointe, ambassade de Nouvelle-Zélande au Royaume des Pays-Bas,
M. Bastiaan Grashof, conseiller politique, ambassade de Nouvelle-Zélande au Royaume des Pays-Bas,
le Royaume des Pays-Bas,
représenté par
M. René J.M. Lefeber, conseiller juridique, ministère des affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas,
comme agent ;
Mme Mireille Hector, conseillère juridique adjointe, ministère des affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas,
comme coagente ;
Mme Annemarieke Künzli, jurisconsulte, ministère des affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas,
Mme Marina Brilman, jurisconsulte, ministère des affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas,
Mme Robin Geraerts, juriste, ministère des affaires étrangères du Royaume des Pays-Bas,
la République de Pologne,
représentée par
M. Sławomir Majszyk, directeur par intérim du département du droit et des traités, ministère des affaires étrangères de la Pologne,
comme agent (jusqu’au 25 janvier 2024) ;
M. Artur Harazim, directeur du département du droit et des traités, ministère des affaires étrangères de la Pologne,
comme agent (à partir du 25 janvier 2024) ;
- 18 -
S. Exc. Mme Margareta Kassangana, ambassadrice de la République de Pologne auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagente ;
M. Łukasz Kułaga, conseiller, département du droit et des traités, ministère des affaires étrangères de la République de Pologne,
Mme Paulina Dudzik, première secrétaire et conseillère juridique, ambassade de la République de Pologne au Royaume des Pays-Bas,
comme agents adjoints,
la République portugaise,
représentée par
Mme Patrícia Galvão Teles, directrice du département des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères de la République portugaise, et membre de la Commission du droit international,
comme agente ;
S. Exc. Mme Clara Nunes dos Santos, ambassadrice de la République portugaise auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagente ;
M. Mateus Kowalski, directeur du droit international, ministère des affaires étrangères de la République portugaise,
M. Henrique Azevedo, chef de mission adjoint, ambassade de la République portugaise au Royaume des Pays-Bas,
Mme Ana Margarida Pinto de Seabra, stagiaire en droit, ambassade de la République portugaise au Royaume des Pays-Bas,
la Roumanie,
représentée par
S. Exc. M. Bogdan Aurescu, conseiller auprès du président de la Roumanie, ancien ministre des affaires étrangères de la Roumanie, membre de la Commission du droit international,
comme agent (jusqu’au 19 janvier 2024) ;
S. Exc. Mme Alina Orosan, ambassadrice, directrice générale des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères de la Roumanie,
comme agente (à partir du 19 janvier 2024, auparavant coagente) ;
S. Exc. M. Lucian Fătu, ambassadeur de Roumanie auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
- 19 -
M. Filip-Andrei Lariu, attaché, direction des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères de la Roumanie,
M. Eugen Mihuţ, ministre plénipotentiaire et conseiller juridique, ambassade de Roumanie au Royaume des Pays-Bas,
le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
représenté par
Mme Sally Langrish, conseillère juridique et directrice générale des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
comme agente ;
M. Paul McKell, directeur juridique, ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
comme coagent ;
la très honorable Mme Victoria Prentis, KC, MP, Attorney General,
M. Ben Juratowitch, KC, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles ainsi que des barreaux de Paris et du Belize, Essex Court Chambers,
Mme Philippa Webb, professeure de droit international public, King’s College London, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles ainsi que des barreaux de l’Etat de New York et du Belize, Twenty Essex Chambers,
Mme Naomi Hart, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, Essex Court Chambers,
Mme Susan Dickson, conseillère juridique et cheffe de l’équipe chargée de l’Europe et des droits de l’homme, direction des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
Mme Ruth Tomlinson, directrice adjointe et cheffe de la section de droit international, bureau de l’Attorney General,
M. Michael Boulton, conseiller juridique adjoint, équipe chargée de l’Europe et des droits de l’homme, direction des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères, du Commonwealth et du développement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
la République slovaque,
représentée par
M. Metod Špaček, chef de cabinet du bureau de la présidente de la République slovaque,
comme agent ;
- 20 -
M. Peter Klanduch, directeur du département du droit international, ministère des affaires étrangères et européennes de la République slovaque,
comme coagent ;
S. Exc. M. Juraj Macháč, ambassadeur de la République slovaque auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Zuzana Morháčová, conseillère juridique adjointe, ministère des affaires étrangères et européennes de la République slovaque,
M. Jozef Kušlita, premier secrétaire, ambassade de la République slovaque au Royaume des Pays-Bas,
M. Peter Nagy, deuxième secrétaire, ambassade de la République slovaque au Royaume des Pays-Bas,
la République de Slovénie,
représentée par
M. Marko Rakovec, directeur général du droit international et de la protection des intérêts, ministère des affaires étrangères et européennes de la République de Slovénie,
comme agent ;
S. Exc. M. Jožef Drofenik, ambassadeur de la République de Slovénie auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
M. Daniel Müller, avocat au cabinet FAR Avocats,
M. Andrej Svetličič, département du droit international, ministère des affaires étrangères et européennes de la République de Slovénie,
Mme Silvana Kovač, direction du droit international et de la protection des intérêts, ministère des affaires étrangères et européennes de la République de Slovénie,
Mme Maša Devinar Grošelj, ambassade de la République de Slovénie au Royaume des Pays-Bas,
le Royaume de Suède,
représenté par
Mme Elinor Hammarskjöld, directrice générale des affaires juridiques, ministère des affaires étrangères du Royaume de Suède,
comme agente ;
M. Daniel Gillgren, directeur adjoint du département du droit international, des droits de l’homme et du droit des traités, ministère des affaires étrangères du Royaume de Suède,
comme coagent ;
- 21 -
S. Exc. M. Johannes Oljelund, ambassadeur du Royaume de Suède auprès du Royaume des Pays-Bas,
Mme Dominika Brott, première secrétaire, ambassade du Royaume de Suède au Royaume des Pays-Bas,
la République tchèque,
représentée par
M. Emil Ruffer, directeur du département du droit international, ministère des affaires étrangères de la République tchèque,
comme agent ;
S. Exc. M. René Miko, ambassadeur de la République tchèque auprès du Royaume des Pays-Bas,
comme coagent ;
M. Pavel Caban, chef de section, département du droit international, ministère des affaires étrangères de la République tchèque,
Mme Martina Filippiová, conseillère juridique, ambassade de la République tchèque au Royaume des Pays-Bas,
M. Pavel Šturma, professeur de droit international public à l’Université Charles de Prague, ancien membre et président de la Commission du droit international, membre associé de l’Institut de droit international,
LA COUR,
ainsi composée,
après délibéré en chambre du conseil,
rend l’arrêt suivant :
1. Le 26 février 2022, l’Ukraine a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre la Fédération de Russie au sujet d’« un différend … concernant l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide » (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »).
2. Dans sa requête, l’Ukraine entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et sur l’article IX de la convention sur le génocide.
3. En même temps que la requête, l’Ukraine, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement, a présenté une demande en indication de mesures conservatoires.
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4. Le greffier a immédiatement donné communication à la Fédération de Russie de la requête, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, et de la demande en indication de mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement de la Cour. Il a également informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt par l’Ukraine de cette requête et de cette demande.
5. En outre, par lettre en date du 2 mars 2022, le greffier a informé tous les États admis à ester devant la Cour du dépôt de la requête et de la demande en indication de mesures conservatoires.
6. En application du paragraphe 3 de l’article 40 du Statut de la Cour, le greffier a par la suite informé les États Membres de l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise du Secrétaire général, ainsi que tout autre État admis à ester devant la Cour, du dépôt de la requête par transmission du texte bilingue imprimé de celle-ci.
7. La Cour ne comptant sur le siège aucun juge de nationalité ukrainienne, l’Ukraine s’est prévalue du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 31 du Statut de la Cour de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire ; elle a désigné M. Yves Daudet.
8. Par lettres en date du 1er mars 2022, le greffier a fait connaître aux Parties que la Cour, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, avait fixé aux 7 et 8 mars 2022 les dates de la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires. Par lettre en date du 5 mars 2022, l’ambassadeur de la Fédération de Russie auprès du Royaume des Pays-Bas a indiqué que son gouvernement avait décidé de ne pas participer à la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires.
9. Une audience publique, à laquelle la Fédération de Russie n’a pas participé, s’est tenue le 7 mars 2022. Par lettre en date du même jour, reçue au Greffe peu après la clôture de l’audience, l’ambassadeur de la Fédération de Russie auprès du Royaume des Pays-Bas a transmis un document exposant « la position de la Fédération de Russie en ce qui concerne l’incompétence de la Cour en l[’]affaire ».
10. Par ordonnance en date du 16 mars 2022, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« 1) La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
2) La Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées au point 1 ci-dessus ;
3) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile. »
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11. Sur les instructions données par la Cour conformément au paragraphe 1 de l’article 43 de son Règlement, le greffier a adressé aux États parties à la convention sur le génocide la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour. En outre, en application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement de la Cour, il a adressé la notification prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut à l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise de son Secrétaire général.
12. Par ordonnance en date du 23 mars 2022, la Cour a fixé au 23 septembre 2022 et au 23 mars 2023, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de l’Ukraine et du contre-mémoire de la Fédération de Russie. L’Ukraine a déposé son mémoire le 1er juillet 2022.
13. Le 3 octobre 2022, dans le délai prescrit par le paragraphe 1 de l’article 79bis du Règlement de la Cour, la Fédération de Russie a soulevé des exceptions préliminaires d’incompétence de la Cour et d’irrecevabilité de la requête. En conséquence, par ordonnance du 7 octobre 2022, la Cour, ayant noté que la procédure sur le fond était suspendue en vertu des dispositions du paragraphe 3 de l’article 79bis de son Règlement, a fixé au 3 février 2023 la date d’expiration du délai dans lequel l’Ukraine pourrait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie. L’Ukraine a déposé son exposé écrit dans le délai ainsi fixé.
14. Entre le 21 juillet et le 15 décembre 2022, 33 États ont déposé des déclarations d’intervention fondées sur le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour. Ces déclarations ont été déposées par la République de Lettonie (ci-après la « Lettonie ») le 21 juillet 2022, la République de Lituanie (ci-après la « Lituanie ») le 22 juillet 2022, la Nouvelle-Zélande le 28 juillet 2022, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après le « Royaume-Uni ») le 5 août 2022, la République fédérale d’Allemagne (ci-après l’« Allemagne ») le 5 septembre 2022, les États-Unis d’Amérique (ci-après les « États-Unis ») le 7 septembre 2022, le Royaume de Suède (ci-après la « Suède ») le 9 septembre 2022, la Roumanie le 13 septembre 2022, la République française (ci-après la « France ») le 13 septembre 2022, la République de Pologne (ci-après la « Pologne ») le 15 septembre 2022, la République italienne (ci-après l’« Italie ») le 15 septembre 2022, le Royaume du Danemark (ci-après le « Danemark ») le 16 septembre 2022, l’Irlande le 19 septembre 2022, la République de Finlande (ci-après la « Finlande ») le 21 septembre 2022, la République d’Estonie (ci-après l’« Estonie ») le 22 septembre 2022, le Royaume d’Espagne (ci-après l’« Espagne ») le 29 septembre 2022, l’Australie le 30 septembre 2022, la République portugaise (ci-après le « Portugal ») le 7 octobre 2022, la République d’Autriche (ci-après l’« Autriche ») le 12 octobre 2022, le Grand-Duché de Luxembourg (ci-après le « Luxembourg ») le 13 octobre 2022, la République hellénique (ci-après la « Grèce ») le 13 octobre 2022, la République de Croatie (ci-après la « Croatie ») le 19 octobre 2022, la République tchèque (ci-après la « Tchéquie ») le 31 octobre 2022, la République de Bulgarie (ci-après la « Bulgarie ») le 18 novembre 2022, la République de Malte (ci-après « Malte ») le 24 novembre 2022, le Royaume de Norvège (ci-après la « Norvège ») le 24 novembre 2022, le Royaume de Belgique (ci-après la « Belgique ») le 6 décembre 2022, le Canada et le Royaume des Pays-Bas (ci-après les « Pays-Bas »), conjointement, le 7 décembre 2022, la République slovaque (ci-après la « Slovaquie ») le 7 décembre 2022, la République de Slovénie (ci-après la « Slovénie ») le 7 décembre 2022, la République de Chypre (ci-après « Chypre ») le 13 décembre 2022, et la Principauté du Liechtenstein (ci-après le « Liechtenstein ») le 15 décembre 2022.
15. Le 17 août 2022, l’Union européenne, se référant au paragraphe 2 de l’article 34 du Statut de la Cour et au paragraphe 2 de l’article 69 de son Règlement, a fourni de sa propre initiative des renseignements qui lui paraissaient pertinents dans le cadre de l’affaire. Le greffier a immédiatement
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transmis copie du document aux Gouvernements de l’Ukraine et de la Fédération de Russie, qui ont été informés que cette transmission ne préjugeait aucune décision que la Cour pourrait prendre au sujet des renseignements ainsi fournis.
16. Conformément au paragraphe 1 de l’article 83 du Règlement de la Cour, les Parties ont été invitées à présenter des observations écrites sur les déclarations d’intervention déposées par des États tiers (voir le paragraphe 14 ci-dessus). Les Parties ont toutes deux présenté des observations écrites le 17 octobre 2022 (observations écrites sur les déclarations d’intervention de la Lettonie, de la Lituanie, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, des États-Unis, de la Suède, de la Roumanie, de la France, de la Pologne et de l’Italie), le 15 novembre 2022 (observations écrites sur les déclarations d’intervention du Danemark, de l’Irlande, de la Finlande, de l’Estonie, de l’Espagne, de l’Australie, du Portugal, de l’Autriche, du Luxembourg et de la Grèce), le 16 décembre 2022 (observations écrites sur les déclarations d’intervention de la Croatie et de la Tchéquie) et le 30 janvier 2023 (observations écrites sur les déclarations d’intervention de la Bulgarie, de Malte, de la Norvège, de la Belgique, du Canada et des Pays-Bas, de la Slovaquie, de la Slovénie, de Chypre et du Liechtenstein). Compte tenu des objections soulevées par la Fédération de Russie relativement à la recevabilité des déclarations d’intervention, la Cour a décidé, en application du paragraphe 2 de l’article 84 de son Règlement, d’inviter les États désireux d’intervenir ainsi que les Parties à soumettre par écrit leurs vues sur la recevabilité des déclarations d’intervention. Les 10 et 13 février 2023, les États désireux d’intervenir ont donc présenté leurs observations écrites sur la recevabilité des déclarations d’intervention, qui ont été suivies par les observations écrites des Parties sur ce même sujet le 24 mars 2023.
17. Par lettre en date du 21 mars 2023, le greffier, en application du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement de la Cour, a transmis au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des exemplaires des écritures déposées jusqu’alors en l’affaire, en le priant de lui faire savoir si l’Organisation entendait présenter, en vertu de cette disposition, des observations écrites concernant les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie. Par lettre en date du 23 mars 2023, le sous-secrétaire général aux affaires juridiques a indiqué que l’Organisation n’entendait pas présenter d’observations écrites au sens du paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement.
18. Par ordonnance en date du 5 juin 2023, la Cour a dit que les déclarations d’intervention présentées au titre de l’article 63 du Statut par 32 États (l’Allemagne, l’Australie, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Canada et les Pays-Bas (conjointement), Chypre, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède et la Tchéquie) étaient recevables au stade des exceptions préliminaires en ce qu’elles avaient trait à l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes aux fins de la détermination de la compétence de la Cour. La Cour a également jugé que la déclaration d’intervention présentée au titre de l’article 63 du Statut par les États-Unis était irrecevable dans la mesure où elle avait trait au stade des exceptions préliminaires. La Cour a en outre fixé au 5 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt, par les États dont les déclarations d’intervention avaient été jugées recevables au stade des exceptions préliminaires, des observations écrites prévues au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement de la Cour.
19. Par suite de l’ordonnance du 5 juin 2023 et conformément au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement de la Cour, les États dont les déclarations d’intervention avaient été jugées recevables au stade des exceptions préliminaires ont reçu copie du mémoire de l’Ukraine, des exceptions préliminaires de la Fédération de Russie et de l’exposé écrit de l’Ukraine sur lesdites exceptions.
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20. Par lettres en date du 9 et du 12 juin 2023, les Parties et les États intervenants ont été respectivement informés que la Cour avait fixé au 18 septembre 2023 la date de l’ouverture de la procédure orale sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie.
21. Les États intervenants, à l’exception du Liechtenstein, ont déposé leurs observations écrites sur l’objet de leur intervention dans le délai fixé par l’ordonnance du 5 juin 2023.
22. Après avoir recueilli l’avis des Parties, la Cour a décidé, conformément au paragraphe 2 de l’article 53 de son Règlement, que des exemplaires des pièces de procédure et des documents y annexés seraient rendus accessibles au public à l’ouverture de la procédure orale. En outre, après avoir consulté les Parties et les États ayant déposé une déclaration d’intervention, la Cour a décidé de rendre également accessibles au public les observations écrites des Parties sur les déclarations d’intervention, prévues au paragraphe 1 de l’article 83 de son Règlement, les observations écrites des États désireux d’intervenir et celles des Parties sur la recevabilité des déclarations d’intervention, présentées conformément au paragraphe 2 de l’article 84 de son Règlement, ainsi que les observations écrites des États intervenants sur l’objet de leur intervention, visées au paragraphe 1 de l’article 86 de son Règlement.
23. Des audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie ont été tenues les 18, 19, 20, 25 et 27 septembre 2023, au cours desquelles ont été entendus en leurs plaidoiries, réponses et observations :
Pour la Fédération de Russie : S. Exc. M. Gennady Kuzmin,
M. Hadi Azari,
M. Alfred Crosato Neumann,
M. Sienho Yee,
M. Kirill Udovichenko,
S. Exc. Mme Maria Zabolotskaya,
M. Jean-Charles Tchikaya,
S. Exc. M. Alexander Shulgin.
Pour l’Ukraine : S. Exc. M. Anton Korynevych,
M. Harold Hongju Koh,
Mme Marney L. Cheek,
M. Jean-Marc Thouvenin,
M. David M. Zionts,
M. Jonathan Gimblett,
S. Exc. Mme Oksana Zolotaryova.
Pour les États intervenants :
Pour l’Allemagne : Mme Wiebke Rückert.
Pour l’Australie : M. Stephen Donaghue.
Pour l’Autriche, le Liechtenstein,
la Slovaquie et la Tchéquie : M. Emil Ruffer.
Pour la Belgique, la Croatie,
le Danemark, l’Estonie, la Finlande,
l’Irlande, le Luxembourg,
la Roumanie et la Suède : Mme Kerli Veski,
M. Piet Heirbaut.
- 26 -
Pour la Bulgarie : Mme Dimana Dramova.
Pour le Canada et
les Pays-Bas : M. Alan H. Kessel,
M. René J.M. Lefeber.
Pour Chypre : Mme Mary-Ann Stavrinides,
M. Antonios Tzanakopoulos.
Pour l’Espagne : M. Santiago Ripol Carulla.
Pour la France : S. Exc. M. François Alabrune.
Pour la Grèce : Mme Zinovia Chaido Stavridi.
Pour l’Italie : M. Stefano Zanini,
M. Attila M. Tanzi.
Pour la Lettonie : M. Mārtiņš Paparinskis.
Pour la Lituanie : Mme Gabija Grigaitė-Daugirdė.
Pour Malte : M. Christopher Soler.
Pour la Norvège : M. Kristian Jervell.
Pour la Nouvelle-Zélande : M. Andrew Williams.
Pour la Pologne : S. Exc. Mme Margareta Kassangana.
Pour le Portugal : Mme Patrícia Galvão Teles.
Pour le Royaume-Uni : la très honorable Mme Victoria Prentis.
Pour la Slovénie : M. Marko Rakovec.
*
24. Dans la requête, les demandes ci-après ont été présentées par l’Ukraine :
« 30. L’Ukraine prie respectueusement la Cour :
a) de dire et juger que, contrairement à ce que prétend la Fédération de Russie, aucun acte de génocide, tel que défini à l’article III de la convention sur le génocide, n’a été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk ;
b) de dire et juger que la Fédération de Russie ne saurait licitement prendre, au titre de la convention sur le génocide, quelque action que ce soit en Ukraine ou contre celle-ci visant à prévenir ou à punir un prétendu génocide, sous le prétexte fallacieux qu’un génocide aurait été perpétré dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk ;
- 27 -
c) de dire et juger que la reconnaissance, par la Fédération de Russie, de l’indépendance des prétendues “République populaire de Donetsk” et “République populaire de Louhansk”, le 22 février 2022, est fondée sur une allégation mensongère de génocide et ne trouve donc aucune justification dans la convention sur le génocide ;
d) de dire et juger que l’“opération militaire spéciale” annoncée et mise en oeuvre par la Fédération de Russie à compter du 24 février 2022 est fondée sur une allégation mensongère de génocide et ne trouve donc aucune justification dans la convention sur le génocide ;
e) d’exiger de la Fédération de Russie qu’elle fournisse des assurances et garanties de non-répétition en ce qui concerne la prise par elle de toute mesure illicite en Ukraine et contre celle-ci, notamment l’emploi de la force, en se fondant sur son allégation mensongère de génocide ;
f) d’ordonner la réparation intégrale de tout dommage causé par la Fédération de Russie par suite de toute action fondée sur son allégation mensongère de génocide. »
25. Au cours de la procédure écrite sur le fond, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de l’Ukraine dans le mémoire :
« 178. Pour les motifs exposés dans le présent mémoire, l’Ukraine prie respectueusement la Cour :
a) de dire et juger qu’elle a compétence pour connaître du présent différend ;
b) de dire et juger qu’il n’y a pas d’élément crédible prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide en violation de la convention sur le génocide dans les oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk ;
c) de dire et juger que l’emploi de la force auquel la Fédération de Russie recourt depuis le 24 février 2022 en Ukraine et contre celle-ci emporte violation des articles premier et IV de la convention sur le génocide ;
d) de dire et juger que la reconnaissance, par la Fédération de Russie, de l’indépendance des prétendues “République populaire de Donetsk” et “République populaire de Louhansk”, le 21 février 2022, emporte violation des articles premier et IV de la convention sur le génocide ;
e) de dire et juger que, en ne suspendant pas immédiatement les opérations militaires commencées le 24 février 2022 sur le territoire ukrainien, et en ne veillant pas à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction ne prenne de mesures tendant à la poursuite de ces opérations militaires, la Fédération de Russie a manqué aux obligations indépendantes que lui imposait l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 16 mars 2022.
179. En conséquence, la Cour est respectueusement priée d’ordonner à la Fédération de Russie :
a) de mettre immédiatement fin à l’emploi de la force auquel elle recourt depuis le 24 février 2022 en Ukraine et contre celle-ci ;
- 28 -
b) de retirer immédiatement ses unités militaires du territoire ukrainien, y compris la région du Donbas ;
c) de veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui (y compris, sans s’y limiter, celles de la [République populaire de Donetsk] et de la [République populaire de Louhansk]), ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction, ne prenne d’autres mesures en faveur de l’emploi de la force auquel elle recourt depuis le 24 février 2022 en Ukraine et contre celle-ci ;
d) de revenir sur sa reconnaissance de la [République populaire de Donetsk] et de la [République populaire de Louhansk] ;
e) de fournir des assurances qu’elle ne recourra plus à l’emploi de la force en Ukraine et contre celle-ci ;
f) de réparer intégralement le préjudice subi par l’Ukraine du fait de l’emploi de la force auquel la Fédération de Russie recourt depuis le 24 février 2022 sur le territoire ukrainien, préjudice dont le montant sera déterminé à une phase distincte de la présente procédure ;
g) de réparer intégralement le préjudice subi par l’Ukraine du fait des manquements de la Fédération de Russie à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 16 mars 2022, préjudice dont le montant sera déterminé à une phase distincte de la présente procédure. »
26. Dans les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de la Fédération de Russie :
« Compte tenu de ce qui précède, la Fédération de Russie prie respectueusement la Cour de dire et juger qu’elle n’a pas compétence pour connaître des demandes formulées par l’Ukraine dans sa requête du 26 février 2022 et son mémoire du 1er juillet 2022 ou que ces demandes sont irrecevables.
La Fédération de Russie se réserve le droit de soulever d’autres exceptions préliminaires, s’il y a lieu, au cours de la suite de la procédure. »
27. Dans l’exposé écrit sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées au nom du Gouvernement de l’Ukraine :
« En conséquence, pour les raisons exposées ci-dessus, l’Ukraine formule les conclusions suivantes et prie respectueusement la Cour :
a) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie le 3 octobre 2022 ;
b) de dire et juger qu’elle est compétente pour connaître des demandes présentées par l’Ukraine dans sa requête et son mémoire et que lesdites demandes sont recevables ; et
c) de procéder à l’examen au fond de ces demandes. »
- 29 -
28. Lors de la procédure orale sur les exceptions préliminaires, les conclusions ci-après ont été présentées par les Parties :
Au nom du Gouvernement de la Fédération de Russie :
« Eu égard aux arguments exposés dans les objections préliminaires de la Fédération de Russie et au cours des audiences, la Fédération de Russie prie respectueusement la Cour de bien vouloir dire et juger que cette dernière n’a pas compétence pour connaître des demandes présentées par l’Ukraine contre la Fédération de Russie dans le cadre de la présente procédure, ou que ces demandes de l’Ukraine sont irrecevables. »
Au nom du Gouvernement de l’Ukraine :
« Se fondant sur les faits et les moyens de droit exposés dans ses écritures et dans ses plaidoiries, l’Ukraine prie respectueusement la Cour :
a) de rejeter les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie le 3 octobre 2022 ;
b) de dire et juger qu’elle est compétente pour connaître des demandes présentées par l’Ukraine dans sa requête et son mémoire et que lesdites demandes sont recevables ; et
c) de procéder à l’examen au fond de ces demandes. »
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I. CONTEXTE GÉNÉRAL
29. Au printemps 2014, un conflit armé a éclaté dans la région du Donbas, en Ukraine orientale, entre les forces armées ukrainiennes et des forces liées à deux entités se désignant comme la « République populaire de Donetsk » (RPD) et la « République populaire de Louhansk » (RPL). Malgré les efforts déployés pour parvenir à un règlement pacifique, le conflit armé s’est poursuivi entre 2014 et 2022.
30. Le 21 février 2022, la Fédération de Russie, par décrets de son président, M. Vladimir Poutine, a officiellement reconnu la RPD et la RPL comme États indépendants. Dans une allocution prononcée le même jour, le président de la Fédération de Russie a notamment déclaré que cette décision avait été prise eu égard à des attaques persistantes menées contre les communautés du Donbas et au « meurtre de civils, [au] blocus, [et aux] mauvais traitements [qui étaient] infligés à la population, y compris aux enfants, aux femmes et aux personnes âgées », tandis que « le monde soi-disant civilisé, dont [se]s collègues occidentaux s[’étaie]nt autoproclamés les seuls représentants, préf[érait] détourner le regard, comme si cette horreur et ce génocide, auxquels d[evai]ent faire face près de 4 millions de personnes, n’existaient pas ».
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31. Le 22 février 2022, la Fédération de Russie a conclu ce qu’elle présente comme deux « traités d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle », l’un avec la RPD et l’autre avec la RPL. Le même jour, celles-ci ont demandé l’assistance militaire de la Fédération de Russie au titre de ces « traités ». Le 24 février 2022, à 6 heures (heure de Moscou), le président de la Fédération de Russie a déclaré avoir pris la décision de mener une « opération militaire spéciale » en Ukraine. Dans son allocution, il a affirmé :
« [E]n application de l’Article 51 du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, avec l’aval du Conseil de la Fédération de Russie et conformément aux traités d’amitié et d’assistance mutuelle conclus avec les Républiques Populaires de Donetsk et de Lougansk et ratifiés par l’Assemblée fédérale le 22 février de cette année, j’ai pris la décision de mener une opération militaire spéciale.
Son objectif est de protéger les gens qui, huit années durant, ont subi les outrages du régime de Kiev et le génocide orchestré par lui. Aussi, à cette fin, nous oeuvrerons à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine et traduirons en justice les auteurs des nombreux crimes sanglants perpétrés contre des civils, dont des citoyens de la Fédération de Russie. » (Allocution du président de la Fédération de Russie, annexe à la lettre datée du 24 février 2022, adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. S/2022/154 (24 février 2022), p. 6-7.)
32. L’« opération militaire spéciale » a été lancée tôt dans la matinée de ce même jour.
33. Par lettre en date du 24 février 2022, le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies a transmis au Secrétaire général le texte de l’allocution du président de la Fédération de Russie, datée du même jour, en précisant que celle-ci informait les citoyens russes « des mesures prises en application de l’Article 51 de la Charte des Nations Unies dans l’exercice du droit de légitime défense » (lettre datée du 24 février 2022, adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. S/2022/154 (24 février 2022)).
34. Le 26 février 2022, le ministère des affaires étrangères de l’Ukraine a publié une déclaration dénonçant « les allégations fausses et insultantes de génocide invoquées par la Russie comme prétexte pour son agression militaire illégale contre l’Ukraine ». Le ministère affirmait en particulier :
« L’Ukraine réfute résolument les allégations de génocide portées par la Russie et rejette toute tentative de recourir à de telles manipulations pour justifier son agression illégale. Le crime de génocide est défini dans la convention sur le génocide et, au regard de cette convention, les assertions de la Russie sont absurdes et infondées. » (Déclaration du 26 février 2022, subséquemment distribuée comme document de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité en annexe à la lettre datée du 26 février 2022, adressée au Secrétaire général par le représentant permanent de l’Ukraine auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, doc. A/76/727-S/2022/161 (28 février 2022).) [Traduction de la Cour.]
35. Le même jour, quelques heures après la publication de cette déclaration, l’Ukraine a déposé sa requête devant la Cour, assortie d’une demande en indication de mesures conservatoires (voir les paragraphes 1 et 3 ci-dessus). Le 16 mars 2022, la Cour a indiqué des mesures conservatoires,
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ordonnant en particulier à la Fédération de Russie de suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle avait commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine (voir le paragraphe 10 ci-dessus). Le conflit armé entre la Fédération de Russie et l’Ukraine se poursuit jusqu’à ce jour.
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36. L’Ukraine invoque l’article IX de la convention sur le génocide comme base de compétence de la Cour. Cette disposition se lit comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend. »
37. La Fédération de Russie a soulevé six exceptions préliminaires, faisant valoir que : 1) la Cour n’a pas compétence car, au moment du dépôt de la requête, aucun différend n’opposait les Parties en ce qui concerne la convention sur le génocide (première exception préliminaire) ; 2) la Cour n’est pas compétente ratione materiae (deuxième exception préliminaire) ; 3) l’Ukraine a formulé des demandes nouvelles dans son mémoire et celles-ci devraient être jugées irrecevables (troisième exception préliminaire) ; 4) les demandes de l’Ukraine sont irrecevables, car l’arrêt éventuel de la Cour n’aurait aucun effet pratique (quatrième exception préliminaire) ; 5) la demande de l’Ukraine tendant à ce qu’il soit déclaré que celle-ci n’a pas violé les obligations qui lui incombent au titre de la convention est irrecevable (cinquième exception préliminaire) ; et 6) la requête de l’Ukraine est irrecevable au motif qu’elle constitue un abus de procédure (sixième exception préliminaire).
II. L’EXISTENCE ET L’OBJET DU DIFFÉREND
A. L’existence du différend (première exception préliminaire)
38. Au paragraphe 30 de la requête qu’elle a introduite le 26 février 2022 contre la Fédération de Russie, l’Ukraine a présenté les conclusions qui sont reproduites au paragraphe 24 ci-dessus.
En substance, l’Ukraine soutient que la Fédération de Russie a formulé des allégations mensongères au sujet d’un prétendu génocide que la demanderesse aurait commis dans les oblasts (circonscriptions territoriales) de Louhansk et de Donetsk, et que la défenderesse ne peut pas prendre licitement, sur la base de telles allégations, quelque action que ce soit à l’encontre de l’Ukraine fondée sur la convention sur le génocide, tout particulièrement la reconnaissance de l’indépendance de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Louhansk » et le déclenchement de l’« opération militaire spéciale ».
39. Les conclusions figurant au paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine, déposé le 1er juillet de la même année, sont formulées en des termes différents de ceux de la requête (voir le paragraphe 25 ci-dessus). La question de savoir si cette différence emporte des effets juridiques, et si oui lesquels, sera examinée plus loin, en réponse à la troisième exception préliminaire soulevée
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par la Fédération de Russie, qui conteste la recevabilité des conclusions figurant dans le mémoire au motif que les demandes qui y sont exposées sont manifestement différentes de celles qui figuraient dans la requête (voir les paragraphes 60 et 121 ci-dessous).
40. Il appartient d’abord à la Cour de rechercher s’il existait, à la date d’introduction de la requête, un différend entre les Parties correspondant à l’objet de la requête qui lui a été soumise.
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41. Par sa première exception préliminaire, la Fédération de Russie soutient qu’à cette date aucun différend n’opposait les Parties en ce qui concerne la convention sur le génocide, qui est la seule base de compétence invoquée par l’Ukraine. Elle fait valoir que, selon la jurisprudence de la Cour, le demandeur doit démontrer qu’il existait, à la date du dépôt de la requête, un différend relativement aux prétentions formulées par lui, et que les parties avaient connaissance, ou ne pouvaient pas ne pas avoir connaissance, qu’elles avaient des points de vue nettement opposés quant aux obligations en cause. La Fédération de Russie considère que ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. Selon la défenderesse, rien ne prouve que, à la date du dépôt de la requête, l’Ukraine l’avait clairement accusée d’avoir agi d’une manière incompatible avec la convention sur le génocide, la déclaration publiée le 26 février 2022 par le ministère ukrainien des affaires étrangères (voir le paragraphe 34 ci-dessus) étant vague et imprécise et n’ayant au surplus été publiée sur le site Internet du ministère que très peu de temps avant l’introduction de la requête, de sorte que la Fédération de Russie, à cet instant, n’en avait pas connaissance, et ne pouvait pas en avoir connaissance. En outre, la Fédération de Russie soutient qu’avant la date critique du 26 février 2022 l’Ukraine n’avait fait aucune déclaration ou communication par laquelle elle aurait allégué un prétendu usage « abusif » ou « dévoyé » de la convention. Enfin, selon la Fédération de Russie, il n’existait aucun différend entre les Parties portant sur la responsabilité de l’Ukraine en raison d’une violation, par celle-ci, de ses obligations au titre de la convention sur le génocide. Elle relève, à cet égard, qu’elle n’a jamais cherché à invoquer la responsabilité internationale de l’Ukraine au titre de la convention, et que l’Ukraine n’a pas fait état d’un différend à ce sujet. Elle souligne que l’emploi du terme « génocide » dans certaines déclarations publiques de responsables russes ne peut à lui seul être considéré comme une invocation de la responsabilité de la demanderesse au regard de la convention, ou comme attestant l’existence d’un différend relatif à une telle responsabilité.
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42. L’Ukraine répond que, au moment du dépôt de la requête, il existait bien entre les Parties un différend ayant pour objet la commission d’un génocide et les mesures de prévention et de répression qu’il convenait de prendre à cet égard. Elle relève que depuis 2014 la Fédération de Russie allègue de façon mensongère que la demanderesse et ses agents auraient commis des actes de génocide dans les oblasts de Louhansk et de Donetsk, dans la partie orientale de son territoire. Le « comité d’enquête » de la Fédération de Russie a été le premier à formuler de telles allégations. Celles-ci ont été reprises par des responsables politiques russes au plus haut niveau, y compris par le président Poutine dans son discours du 24 février 2022 annonçant le déclenchement de l’« opération militaire spéciale » contre l’Ukraine.
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43. La demanderesse ajoute qu’elle a rejeté clairement, par plusieurs déclarations de ses représentants officiels faites avant le dépôt de la requête, les allégations en cause. Elle a dénoncé publiquement, le 26 février 2022, l’utilisation par la Fédération de Russie des allégations mensongères de génocide « pour justifier son agression illégale ». Enfin, elle soutient qu’elle a ouvertement démontré par ses actes qu’elle rejetait la prétention de la Fédération de Russie à se prévaloir de la convention sur le génocide pour employer la force afin de prévenir, de punir et de faire cesser des actes de génocide supposés : elle n’a pas autorisé la Fédération de Russie à pénétrer sur son territoire à cet effet, et a même riposté militairement.
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44. Comme la Cour l’a indiqué récemment, « [l]’existence d’un différend entre les parties est une condition pour qu[’elle] ait compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 502, par. 63). Conformément à une jurisprudence constante, un différend est « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre les parties (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11). Pour qu’un différend existe, « [i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre » (Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328). S’agissant de différends relatifs à la violation alléguée d’une obligation, « “les points de vue des deux parties, quant à l’exécution ou à la non-exécution” de certaines obligations internationales, “[doivent être] nettement opposés” » (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). Il importe peu de savoir « laquelle [des parties] est à l’origine de la réclamation, et laquelle s’y oppose » (ibid.).
45. La détermination par la Cour de l’existence d’un différend est une question de fond, et non de forme ou de procédure (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30). La date à laquelle doit être appréciée l’existence du différend est en principe celle du dépôt de la requête (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 27, par. 52). À cette date, il doit être démontré que le défendeur avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses vues se heurtaient à l’opposition manifeste du demandeur (Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 271, par. 38 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 32, par. 73 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 100, par. 63). Cependant il n’est pas nécessaire qu’un État mentionne expressément, dans ses échanges avec l’autre État, un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer ledit traité devant la Cour (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30).
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Il n’est pas non plus toujours nécessaire que le défendeur se soit expressément opposé aux réclamations du demandeur, le silence du défendeur pouvant dans certaines circonstances suffire pour que la Cour en infère l’existence d’un différend (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 505, par. 71).
46. Les Parties s’accordent, pour l’essentiel, sur les critères à appliquer pour établir l’existence d’un différend, mais elles divergent sur l’application de ces critères au cas d’espèce ; c’est à cela que la Cour va procéder à présent.
47. La Cour constate qu’il existait, à la date de l’introduction de la requête, un désaccord sur la question de savoir si un génocide attribuable à l’Ukraine avait été commis, ou était en cours, dans la partie orientale de son territoire. Plusieurs organes de la Fédération de Russie, ayant qualité pour représenter cet État dans les relations internationales, ont été les auteurs de déclarations selon lesquelles des actes de l’Ukraine étaient constitutifs d’un génocide dont les victimes étaient les habitants russophones du Donbas. C’est ainsi que le président de la Fédération de Russie a déclaré, dans son allocution du 21 février 2022 concomitante à la reconnaissance par cet État des « républiques » de Donetsk et de Louhansk, que « 4 millions de personnes » habitant la région orientale de l’Ukraine étaient victimes d’un « génocide » (voir le paragraphe 30 ci-dessus). Le représentant permanent de la Fédération de Russie auprès des Nations Unies, défendant le 23 février 2022 devant l’Assemblée générale la reconnaissance des deux « républiques » en cause, a affirmé que les habitants de la région du Donbas étaient victimes d’un « génocide manifeste » (Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/76/PV.58 (23 février 2022), p. 15). Dans son discours du 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a affirmé que l’objectif de l’« opération militaire spéciale » était « de protéger les gens qui, huit années durant, ont subi les outrages du régime de Kiev et le génocide orchestré par lui » (voir le paragraphe 31 ci-dessus).
48. L’Ukraine a constamment rejeté les accusations selon lesquelles un génocide serait commis sur son territoire. Les autorités ukrainiennes avaient déjà, dans les années précédant le déclenchement de l’« opération militaire spéciale », dénoncé les activités du « comité d’enquête » de la Fédération de Russie chargé notamment d’enquêter sur des actes allégués de génocide qui auraient été commis dans la région du Donbas, comme ne reposant sur aucune base sérieuse. Dans ce contexte, le procureur général de l’Ukraine a engagé, dès 2014, des poursuites pénales à l’encontre de certains responsables russes membres de ce comité.
À la suite du déclenchement de l’« opération militaire spéciale » le 24 février 2022, le ministère des affaires étrangères de l’Ukraine a publié une déclaration dénonçant « les allégations fausses et insultantes de génocide invoquées par la Russie » (déclaration du 26 février 2022 ; voir le paragraphe 34 ci-dessus). La Fédération de Russie ne pouvait donc pas ignorer que le demandeur rejetait catégoriquement les allégations selon lesquelles il aurait commis un génocide.
49. En outre, l’Ukraine a dénoncé l’utilisation par la Fédération de Russie des allégations de génocide à son encontre comme un prétexte pour justifier une « agression illégale », déclarant que ces allégations infondées étaient « une insulte à la convention sur le génocide elle-même, ainsi qu’aux efforts inlassables déployés par la communauté internationale pour prévenir et punir le crime le plus abominable qui soit » (déclaration susmentionnée du ministère des affaires étrangères de l’Ukraine).
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50. Même si cette déclaration précédait de peu l’introduction de l’instance, il est clair que la Fédération de Russie savait au moment de cette introduction que l’Ukraine s’opposait manifestement à ses vues et lui reprochait d’agir illégalement en utilisant la convention comme prétexte pour justifier ses actions à l’encontre de l’Ukraine. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour estime que l’Ukraine pouvait la saisir sans attendre davantage.
51. La Cour conclut donc qu’il existait, à la date de la requête, un différend entre les Parties, portant sur la question de savoir si un génocide attribuable à l’Ukraine avait été commis dans la région du Donbas et sur la licéité des actions que la Fédération de Russie aurait entreprises sur la base d’une telle accusation.
La première exception préliminaire de la Fédération de Russie doit donc être rejetée.
52. En parvenant à la conclusion qui précède, la Cour ne préjuge pas la question de savoir si et dans quelle mesure le différend en cause entre dans les prévisions de la convention sur le génocide et, par suite, dans le champ d’application de la clause compromissoire figurant à l’article IX. Cette question sera examinée plus loin dans le présent arrêt.
B. Les deux aspects du différend
53. Le différend soumis à la Cour par l’Ukraine comporte deux aspects qui se distinguent par des caractéristiques essentielles, et que la Cour estime, en conséquence, devoir examiner séparément et successivement.
54. Le premier aspect du différend est constitué par la demande de l’Ukraine tendant à ce que la Cour déclare que la demanderesse n’a pas commis de génocide, contrairement aux allégations de la défenderesse. Cette demande est formulée au point a) du paragraphe 30 de la requête (« dire et juger que, contrairement à ce que prétend la Fédération de Russie, aucun acte de génocide … n’a été commis dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk ») ; elle est reprise en des termes différents au point b) du paragraphe 178 du mémoire (« dire et juger qu’il n’y a pas d’élément crédible prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide … dans les oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk »).
Par une telle demande, l’Ukraine ne cherche pas à invoquer la responsabilité internationale de la Fédération de Russie à raison d’un fait internationalement illicite qui serait attribuable à cette dernière ; elle cherche à faire constater judiciairement qu’elle n’a pas commis elle-même les actes illicites que la Fédération de Russie, de façon mensongère selon elle, lui a imputés par des déclarations publiques.
55. Le second aspect du différend est constitué par les demandes de l’Ukraine visant à faire constater par la Cour que la Fédération de Russie s’est comportée de manière illicite au regard de la convention sur le génocide. Il correspond aux conclusions présentées aux points b), c) et d) du paragraphe 30 de la requête et aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire. Dans sa requête, l’Ukraine demande à la Cour de dire et juger « que la Fédération de Russie ne saurait licitement prendre, au titre de la convention sur le génocide, quelque action que ce soit en Ukraine ou contre celle-ci » sous le prétexte fallacieux qu’un génocide a été commis (paragraphe 30, point b)) ; que la reconnaissance par la Fédération de Russie de l’indépendance des deux « républiques » de Donetsk et de Louhansk ne trouve aucune justification dans la convention (paragraphe 30, point c)) ; enfin que l’« opération militaire spéciale » mise en oeuvre par la Fédération de Russie ne trouve, elle non plus, « aucune justification dans la convention sur le génocide », étant fondée sur une allégation
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mensongère (paragraphe 30, point d)). Dans le mémoire, l’Ukraine demande à la Cour de dire et juger que « l’emploi de la force auquel la Fédération de Russie recourt depuis le 24 février 2022 … emporte violation des articles premier et IV de la convention » (paragraphe 178, point c)), de même que la reconnaissance des deux prétendues « républiques » (paragraphe 178, point d)).
56. Force est pour la Cour de constater que ce second aspect du différend est d’une nature fondamentalement distincte de celle du premier. Il s’agit en effet de conclusions par lesquelles l’Ukraine vise à invoquer la responsabilité internationale de la Fédération de Russie, en lui imputant des comportements internationalement illicites. C’est de ce second aspect du différend que relèvent les demandes de réparation qu’a présentées l’Ukraine aux points e) et f) du paragraphe 30 de la requête et au paragraphe 179 du mémoire.
57. Compte tenu de ce qui précède, la Cour abordera ci-après successivement les deux aspects du différend tel qu’elle vient de les décrire, et pour chacun d’entre eux examinera, en tant que de besoin, les questions de compétence et de recevabilité que soulèvent les exceptions préliminaires de la Fédération de Russie.
III. LE PREMIER ASPECT DU DIFFÉREND : LE CHEF DE CONCLUSIONS DE L’UKRAINE SELON LEQUEL AUCUN GÉNOCIDE ATTRIBUABLE À LA DEMANDERESSE N’A ÉTÉ COMMIS DANS LA RÉGION DU DONBAS
58. La Cour a conclu qu’il existait un différend entre les Parties et que la première exception préliminaire devait par conséquent être rejetée (voir le paragraphe 51 ci-dessus). Au cours de la procédure orale, la Fédération de Russie a déclaré que sa deuxième exception préliminaire, par laquelle elle soutient que les demandes de l’Ukraine doivent être rejetées car la Cour n’est pas compétente ratione materiae au titre de l’article IX de la convention sur le génocide, portait sur les conclusions c) et d) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine. Étant donné que la deuxième exception préliminaire ne concerne pas le premier aspect du différend, la Cour l’examinera en relation avec le second aspect de celui-ci, dans la partie IV du présent arrêt. La Cour n’aperçoit aucune raison de mettre en cause sa compétence pour connaître du premier aspect du différend.
59. La Cour en vient donc aux quatre dernières exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, qui concernent la recevabilité des demandes de l’Ukraine. La défenderesse y fait valoir que : A) l’Ukraine a modifié de manière inappropriée, dans son mémoire, le fond des demandes qu’elle avait formulées dans sa requête (troisième exception préliminaire) ; B) tout arrêt éventuel que rendrait la Cour sur le fondement de la convention serait dénué d’effet pratique (quatrième exception préliminaire) ; C) la demande de l’Ukraine tendant à obtenir une déclaration de la Cour selon laquelle la demanderesse n’a pas manqué à ses obligations au regard de la convention va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour et est préjudiciable à la fonction judiciaire de cette dernière (cinquième exception préliminaire) ; et D) la requête de l’Ukraine constitue un abus de procédure (sixième exception préliminaire). Étant donné que cette partie de l’arrêt traite du premier aspect du différend, la Cour examinera à présent ces exceptions uniquement en relation avec celui-ci.
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A. Introduction de nouvelles demandes (troisième exception préliminaire)
60. Par sa troisième exception préliminaire, la Fédération de Russie soutient que l’Ukraine a modifié de manière inappropriée, dans le mémoire, le fond de la demande qu’elle avait formulée dans la requête. Selon elle, la demande présentée par l’Ukraine dans le mémoire diffère manifestement de celle exposée dans la requête, de sorte qu’elle est irrecevable.
61. La Fédération de Russie avance que l’État demandeur doit, dans sa requête, exposer la nature précise et le fondement de ses demandes, qui peuvent être « précisées dans des écritures ultérieures, mais pas transformées ». Selon la défenderesse, l’État demandeur ne peut pas modifier ses demandes ni introduire de demandes nouvelles en cours d’instance de telle sorte que l’objet du différend s’en trouve modifié par rapport à ce qui avait été initialement énoncé dans la requête. La Fédération de Russie soutient que la Cour devrait suivre l’approche adoptée dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), puis confirmée dans des affaires ultérieures. Elle souligne que, pour être recevable, une demande présentée pour la première fois dans le mémoire doit être implicitement contenue dans la requête ou découler directement de la question qui fait l’objet de cette requête.
62. S’agissant du chef de conclusions b) que la demanderesse formule au paragraphe 178 de son mémoire, la Fédération de Russie affirme que l’Ukraine a changé la nature de ses demandes en ce qui concerne les actes de génocide. Elle fait observer que l’Ukraine, dans sa requête, demandait à la Cour de conclure qu’aucun acte de génocide, tel que défini à l’article III de la convention, n’avait été commis dans la région du Donbas. Or, dans son mémoire, l’Ukraine se borne à chercher à obtenir auprès de la Cour la confirmation qu’« il n’y a pas d’élément crédible prouvant qu[’elle] est responsable » de pareils actes. Cette évolution du chef de conclusions susvisé indique que le but que poursuivait l’Ukraine lorsqu’elle a introduit l’instance devant la Cour a changé puisque, après avoir cherché à faire confirmer qu’aucun acte de génocide n’avait été commis, elle tente à présent de se soustraire à toute responsabilité pour de tels actes. De l’avis de la défenderesse, c’est une chose de prétendre qu’il n’y a pas eu de génocide dans la région du Donbas, et c’en est une autre de soutenir que de tels actes ne sont pas attribuables à l’Ukraine. Ainsi, la demande nouvelle que l’Ukraine présente dans son mémoire exige de la Cour qu’elle examine des questions étrangères à la demande originelle ; elle n’est pas implicite dans sa requête et ne découle pas directement de la question qui fait l’objet de celle-ci. La défenderesse soutient que la demande nouvelle ou modifiée de l’Ukraine change sensiblement celle qui avait été initialement présentée par elle dans sa requête et la transforme au point qu’elle en est devenue méconnaissable.
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63. L’Ukraine, pour sa part, avance que, au cours de la procédure, il est habituel qu’une partie développe et détaille ses conclusions, lesquelles peuvent donc évoluer.
64. L’Ukraine ne conteste pas la pertinence des critères énoncés par la Cour dans l’affaire de Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie) et soutient que la question clé en cette affaire était de savoir si l’objet du différend originellement soumis à la Cour se trouverait transformé si elle connaissait de la demande. Selon elle, ce qui importe, c’est que les demandes remaniées s’inscrivent dans le cadre de l’objet du différend dont la Cour a été saisie.
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65. Concernant le chef de conclusions b) au paragraphe 178 de son mémoire, l’Ukraine soutient avec insistance qu’elle n’a pas transformé le différend en demandant à la Cour de conclure qu’il n’y a pas d’élément crédible prouvant qu’elle a commis des actes de génocide dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk. La demanderesse souligne qu’elle a simplement précisé sa demande, ainsi qu’il est autorisé par le Règlement de la Cour. Les formulations figurant dans la requête et le mémoire ont trait au même différend et au même objet. L’Ukraine estime que la Cour, pour trancher le différend porté devant elle, devra déterminer s’il existe des éléments crédibles prouvant que la demanderesse a engagé sa responsabilité à raison d’actes de génocide. Elle affirme qu’un jugement déclaratoire constatant l’absence d’actes de génocide, ou l’absence d’éléments crédibles prouvant de tels actes, faciliterait tout autant la résolution du différend en l’espèce, qui concerne la responsabilité alléguée de l’Ukraine pour génocide.
66. L’Ukraine soutient par conséquent que le différend n’a nullement été transformé du fait qu’elle a ajusté les termes précis de la déclaration qu’elle sollicite à présent, et que toutes ses demandes ont trait à l’objet du différend dont la Cour est saisie.
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67. La Cour rappelle sa jurisprudence bien établie en matière de demandes additionnelles ou modifiées formulées en cours d’instance, qui est fondée sur le paragraphe 1 de l’article 40 de son Statut, ainsi que sur le paragraphe 2 de l’article 38 et les paragraphes 1 et 4 de l’article 49 de son Règlement.
Selon le paragraphe 1 de l’article 40 du Statut, « l’objet du différend … doi[]t être indiqué[] » dans la requête. Le paragraphe 2 de l’article 38 du Règlement se lit ainsi :
« La requête indique autant que possible les moyens de droit sur lesquels le demandeur prétend fonder la compétence de la Cour ; elle indique en outre la nature précise de la demande et contient un exposé succinct des faits et moyens sur lesquels cette demande repose. »
Le paragraphe 1 de l’article 49 du Règlement dispose, quant à lui, que « [l]e mémoire contient un exposé des faits sur lesquels la demande est fondée, un exposé de droit et les conclusions ». Le paragraphe 4 de ce même article précise que « [t]oute pièce de procédure énonce les conclusions de la partie qui la dépose, au stade de la procédure dont il s’agit, … ou confirme les conclusions déjà présentées ». La Cour a considéré ces dispositions comme « essentielles au regard de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice » (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 267, par. 69).
68. Se fondant sur les dispositions susmentionnées, la Cour a jugé que les demandes additionnelles ou modifiées formulées en cours d’instance étaient irrecevables dès lors qu’elles étaient de nature à « modifier “l’objet du différend initialement porté devant [la Cour] selon les termes de la requête” » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 656, par. 39, citant Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 695, par. 108 ; voir aussi Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 78, p. 173). À cet égard, le mémoire, « tout en pouvant éclaircir les termes de la requête, ne peut pas dépasser les limites de la demande qu’elle contient » (Certaines terres à phosphates
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à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 267, par. 69, citant Administration du prince von Pless, ordonnance du 4 février 1933, C.P.J.I. série A/B no 52, p. 14).
69. Une demande additionnelle ou modifiée n’est pas irrecevable ipso facto ; ce qui est décisif, c’est la nature du lien entre la demande présentée dans le mémoire et celle qui est formulée dans la requête (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 656-657, par. 40-41). Un lien de nature générale ne suffit pas (voir Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 695-696, par. 110). La Cour a défini deux critères pour déterminer si le lien requis existe : il faut soit que les demandes additionnelles ou modifiées « soi[en]t implicitement contenue[s] dans la requête », soit qu’elles « découle[nt] directement de la question qui fait l’objet de la requête » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 657, par. 41, citant Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 266, par. 67). Ces critères permettent en définitive de déterminer si les demandes additionnelles ou modifiées auraient pour effet de transformer l’objet du différend initialement porté devant la Cour selon les termes de la requête.
70. La Cour observe que l’Ukraine reconnaît avoir apporté des « ajustements » à ses demandes dans le mémoire. La Fédération de Russie relève que l’Ukraine admet avoir agi ainsi, et soutient que les demandes exposées dans le mémoire sont « nouvelles » et donc irrecevables. La Cour n’estime pas qu’une différence dans la formulation d’une demande rende celle-ci, de ce seul fait, irrecevable (voir le paragraphe 69 ci-dessus).
71. La Cour a reconnu que des demandes formulées après le dépôt de la requête pouvaient préciser la portée du différend (Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 855, par. 54). En l’espèce, tant le chef de conclusions que l’Ukraine formule au point a) de sa requête que celui, modifié, qu’elle présente au point b) de son mémoire concernent les mêmes allégations de génocide avancées par la défenderesse. La Cour est d’avis que le chef de conclusions modifié que l’Ukraine formule au point b) du mémoire ne fait que préciser celui présenté dans sa requête et ne transforme donc pas l’objet du différend initialement porté devant elle selon les termes de la requête. En conséquence, la Cour estime que le premier aspect du différend est défini ci-après selon les termes du chef de conclusions formulé au point b) du mémoire de l’Ukraine : la question est de savoir s’il y a « d[es ]élément[s] crédible[s] prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide en violation de la convention sur le génocide dans les oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk ».
72. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la troisième exception préliminaire de la Fédération de Russie, visant à contester la recevabilité du chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) du paragraphe 178 du mémoire en raison de l’introduction de demandes additionnelles ou modifiées, doit être rejetée.
B. Absence d’effet pratique de l’arrêt (quatrième exception préliminaire)
73. Par sa quatrième exception préliminaire, la Fédération de Russie soutient qu’un arrêt éventuel de la Cour sur les conclusions de l’Ukraine serait dépourvu de tout effet pratique. Citant l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), la défenderesse fait valoir que
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la Cour peut uniquement rendre des arrêts au fond qui « [ont] des conséquences pratiques en ce sens qu’il[s] doi[ven]t pouvoir affecter les droits ou obligations juridiques existants des parties » et sont « effectivement applicable[s] » ou « susceptible[s] d’application ou d’exécution ».
74. La Fédération de Russie affirme que les demandes exposées par l’Ukraine dans son mémoire sont fondées sur des règles de droit international extérieures à la convention sur le génocide. La défenderesse considère qu’un arrêt rendu sur le fondement de la convention sur le génocide serait dépourvu de tout effet pratique, car il ne saurait affecter les droits et obligations des Parties ni dissiper l’incertitude dans leurs relations juridiques.
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75. L’Ukraine, pour sa part, fait valoir qu’un arrêt éventuel de la Cour déterminera les droits et responsabilités de chaque Partie au regard de la convention sur le génocide, que la Fédération de Russie avance ou non une justification distincte de ses actions au titre d’autres règles de droit international. Selon la demanderesse, la Fédération de Russie n’a pas établi qu’« il était impossible qu’un arrêt ait le moindre effet ». L’Ukraine soutient qu’un jugement déclaratoire par lequel la Cour conclurait qu’il n’y a pas d’élément crédible prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide aurait un effet pratique, car la situation juridique ainsi fixée ne pourrait plus être mise en discussion.
76. Selon l’Ukraine, les circonstances de l’espèce ne ressemblent pas à celles de l’affaire du Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), dans laquelle le demandeur cherchait à obtenir une déclaration relative aux obligations du défendeur au regard d’un accord qui n’était plus en vigueur.
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77. La Cour rappelle que, même lorsqu’elle estime qu’elle a compétence, elle n’est pas obligée dans tous les cas d’exercer cette compétence puisqu’« [i]l y a des limitations inhérentes à l’exercice de la fonction judiciaire dont la Cour, en tant que tribunal, doit toujours tenir compte » (Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 29). La Cour a dit que « [son] arrêt … d[eva]it avoir des conséquences pratiques en ce sens qu’il d[eva]it pouvoir affecter les droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs relations juridiques » (ibid., p. 34). La Cour n’a pas pour fonction de fournir une base d’action politique alors qu’aucune question juridique concernant des droits effectifs n’est en jeu (ibid., p. 37). En conséquence, la Cour « ne peut statuer au fond sur la demande » si elle considère que « [t]out arrêt qu’elle pourrait prononcer serait sans objet » (ibid., p. 38).
78. La demanderesse prie la Cour de « dire et juger qu’il n’y a pas d’élément crédible prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide en violation de la convention sur le génocide dans les oblasts ukrainiens de Donetsk et de Louhansk ». La Cour relève qu’il ressort clairement de sa jurisprudence et de celle de sa devancière, qu’elle peut, dans des cas appropriés, prononcer un jugement déclaratoire (Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995
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(ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 662, par. 49, citant Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 37). Un jugement déclaratoire est destiné à « faire reconnaître une situation de droit une fois pour toutes et avec effet obligatoire entre les [p]arties, en sorte que la situation juridique ainsi fixée ne puisse plus être mise en discussion, pour ce qui est des conséquences juridiques qui en découlent » (Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 20).
79. La Cour observe que le premier aspect du différend entre les Parties implique un désaccord sur un point de fait ainsi que sur l’interprétation, l’application ou l’exécution de leurs droits et obligations au regard de la convention sur le génocide. Un jugement déclaratoire sur la question de savoir s’il existe des éléments crédibles prouvant que l’Ukraine est responsable de la commission d’un génocide en violation des obligations lui incombant au titre de la convention aurait pour effet d’établir clairement si la demanderesse a agi conformément aux obligations auxquelles elle est tenue par l’article premier de cet instrument.
80. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la quatrième exception préliminaire de la Fédération de Russie, visant à contester la recevabilité du chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) du paragraphe 178 du mémoire au motif que l’arrêt au fond serait dépourvu d’effet pratique, doit être rejetée.
C. Irrecevabilité d’une demande tendant à ce qu’il soit déclaré que la demanderesse n’a pas manqué à ses obligations (cinquième exception préliminaire)
81. Par sa cinquième exception préliminaire, la Fédération de Russie soutient que le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) du paragraphe 178 du mémoire, qu’elle qualifie de « demande inversée en constatation de conformité » (reverse compliance request), est irrecevable. La défenderesse a avancé cinq arguments à l’appui de cette exception.
82. Premièrement, selon la Fédération de Russie, les « demandes inversées en constatation de conformité » sont extrêmement rares dans le domaine du règlement des différends interétatiques, car le cours normal d’un différend consiste en ce qu’un État invoque la responsabilité internationale d’un autre État à raison d’un acte internationalement illicite de ce dernier. Les « demandes inversées en constatation de conformité » sont actuellement réservées à l’Organisation mondiale du commerce (ci-après l’« OMC »), dont les pratiques ne sont pas directement transposables à la Cour.
83. Deuxièmement, la Fédération de Russie avance que l’article IX de la convention sur le génocide n’a jamais eu pour objet de déterminer si un État défendeur a formulé contre un État demandeur une allégation fondée de génocide. Elle fait valoir que rien dans le texte de la convention n’autorise la Cour à connaître d’une telle demande. S’appuyant sur les travaux préparatoires, elle affirme que les rédacteurs de la convention n’attachaient pas un sens particulier à l’expression « une partie au différend » employée à l’article IX et considéraient cet ajout comme d’ordre purement rédactionnel. Au regard de la convention sur le génocide, le chef de conclusions formulé au point b) ne pourrait être examiné de manière valable que dans le cadre d’une requête présentée contre l’Ukraine, et non par celle-ci.
84. Troisièmement, la Fédération de Russie soutient que la jurisprudence de la Cour montre que celle-ci n’a jamais accueilli de « demande inversée en constatation de conformité ». Selon la Fédération de Russie, la nature de la demande et les circonstances de la présente espèce sont
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totalement différentes de celles de l’affaire des Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), où, en particulier, la France ne sollicitait aucun remède et posait à la Cour une question de nature purement juridique qui ne reposait nullement sur l’examen d’éléments de preuve. Dans l’affaire relative aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), la demande de la Libye était différente de celle présentée par l’Ukraine en l’espèce, la première visant à obtenir la preuve d’un « fait positif », à savoir que toutes les mesures nécessaires avaient été prises, tandis que la seconde demande un constat négatif. La défenderesse souligne en outre que la Cour s’est contentée de dire qu’un différend existait et s’est abstenue de prendre en considération la demande de déclaration de non-violation formulée par la Libye.
85. Quatrièmement, la Fédération de Russie soutient que la « demande inversée en constatation de conformité » présentée par l’Ukraine est incompatible avec la fonction judiciaire de la Cour, laquelle a pour mission de régler les différends juridiques et n’agit pas en tant qu’organe d’établissement des faits. La défenderesse souligne que, en formulant cette demande alors que les autorités compétentes russes mènent actuellement des enquêtes pénales, l’Ukraine essaie de se servir de la Cour comme d’un organe provisoire d’établissement des faits. La Fédération de Russie affirme que la Cour n’a pas pour mission de collecter et d’évaluer les faits sur le terrain.
86. Cinquièmement, la Fédération de Russie soutient que le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) est contraire aux principes d’« opportunité judiciaire » et d’égalité des parties. Une décision sur la demande de l’Ukraine pourrait empêcher la Fédération de Russie d’exercer ultérieurement son droit d’invoquer la responsabilité de l’Ukraine au regard de la convention sur le génocide, dans l’éventualité où elle jugerait bon de le faire. La défenderesse considère qu’une « demande inversée en constatation de conformité » présentée prématurément peut avoir pour effet inopportun non seulement d’exonérer le demandeur de toute responsabilité avant que d’autres États aient eu la possibilité de préparer leurs réclamations et d’invoquer sa responsabilité, mais aussi de faire obstacle à toute enquête nationale ou internationale. S’il était permis à un État d’obtenir préventivement une décision en sa faveur sur la base d’éléments de preuve incomplets, celui-ci se trouverait protégé contre toute action intentée contre lui par la suite, et ce, même si de nouvelles preuves irréfutables venaient à se faire jour. Elle estime que l’Ukraine pourrait obtenir un avantage indu en vertu de l’article 60 du Statut de la Cour, car l’arrêt qui serait rendu revêtirait l’autorité de la chose jugée.
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87. L’Ukraine soutient pour sa part qu’un différend l’oppose à la défenderesse sur la question de savoir si la demanderesse est responsable de la commission d’un génocide en violation de la convention sur le génocide, et que, en tant que partie à ce différend, elle peut demander à la Cour de résoudre celui-ci. L’Ukraine estime qu’il est plus exact de décrire sa demande comme tendant à obtenir une déclaration de conformité plutôt que comme une « demande inversée en constatation de conformité ».
88. L’Ukraine fait valoir que, suivant le sens ordinaire de l’article IX de la convention sur le génocide, en cas de différend relatif à la responsabilité d’un État en matière de génocide, « une partie » à ce différend, et pas uniquement l’État qui formule l’allégation de génocide, est fondée
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à demander le règlement de celui-ci. La demanderesse soutient que les travaux préparatoires de la convention confirment cette interprétation de l’article IX. Au surplus, elle affirme qu’il s’agit d’un différend relatif à l’« exécution » de la convention sur le génocide, terme qui concerne la question de savoir si une partie satisfait ou non aux dispositions de la convention.
89. Selon l’Ukraine, la Cour a déjà accepté des demandes de déclarations de conformité. Dans l’affaire des Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), la demande de la France tendant à ce que la Cour constate que ses actes étaient conformes au traité en cause a été jugée recevable. Les différences factuelles entre cette affaire et la présente espèce sont sans pertinence. Dans l’affaire relative aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), la Cour n’a pas rejeté la demande de la Libye tendant à ce qu’elle déclare que celle-ci avait pleinement satisfait à la convention de Montréal.
Pour l’Ukraine, le silence de la Cour à l’égard des demandes de déclarations de conformité formulées dans ces affaires confirme qu’il n’y a rien de judiciairement inapproprié à ce que la Cour déclare qu’un État respecte bien ses obligations. Même si la Cour devait considérer que ces affaires n’offrent pas un précédent direct, le caractère prétendument inédit d’un certain type de demande n’est pas un motif juridique pour que la Cour refuse d’exercer sa compétence.
90. En outre, l’Ukraine affirme que sa demande est compatible avec la fonction judiciaire de la Cour. Elle soutient que la fonction d’organe d’établissement des faits afin de résoudre un différend dans lequel ceux-ci sont contestés est inhérente à celle qu’assume la Cour en sa qualité d’organe judiciaire.
91. Enfin, l’Ukraine estime que sa demande n’est pas contraire aux principes d’« opportunité judiciaire » et d’égalité des parties. Il n’y a rien de « prématuré » dans sa demande. Pour l’Ukraine, dès lors que la Cour rend un arrêt fondé sur les meilleurs éléments factuels disponibles, il n’y a rien de problématique à ce que celui-ci ait l’autorité de la chose jugée entre la défenderesse et la demanderesse.
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92. En interprétant l’article IX de la convention, les États intervenants soutiennent de manière générale que rien dans le texte de l’article IX n’empêche la Cour de juger recevable une demande la priant de déclarer qu’un État demandeur s’est acquitté des obligations que lui impose la convention sur le génocide ou qu’il n’a pas manqué à ces obligations. Ils affirment en outre que le libellé de l’article IX, notamment le terme « exécution » et le membre de phrase « à la requête d’une partie au différend », indique que la Cour peut faire une déclaration de cette nature.
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93. La Cour relève une variation importante dans les termes employés par les Parties et par certains États intervenants pour qualifier le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) du paragraphe 178 du mémoire. S’appuyant en partie sur les pratiques de l’OMC, la Fédération
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de Russie qualifie ce type de demande de « demande inversée en constatation de conformité » (reverse compliance request). L’Ukraine, quant à elle, les qualifie de demandes de « déclaration de conformité » (declaration of conformity ou declaration of compliance) ou de « déclaration de non-violation » (non-violation declaration). Les États intervenants ont utilisé des termes tels que « revendications de non-violation » (non-violation complaints) et demandes de « jugements déclaratoires négatifs » (negative declarations). La Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la portée juridique des différents termes employés par les Parties et les États intervenants. Il lui suffit de relever que le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) est une demande tendant à faire constater que la demanderesse n’a pas violé ses obligations au titre de la convention.
94. La Cour examinera à présent les cinq arguments avancés par la Fédération de Russie à l’appui de sa cinquième exception préliminaire.
95. Premièrement, la défenderesse soutient que les pratiques de l’OMC ne sont pas directement transposables à la Cour. La Cour considère que ces pratiques ne lui sont d’aucune aide pour apprécier la recevabilité de la demande de l’Ukraine, étant donné qu’elles sont fondées sur des dispositions particulières de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du Commerce.
96. Deuxièmement, la Fédération de Russie avance que l’article IX n’était pas destiné à générer des « demandes inversées en constatation de conformité ».
97. L’article IX de la convention sur le génocide est ainsi libellé :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend. »
L’article IX autorise clairement un État qui invoque la responsabilité d’un autre État en matière de génocide à soumettre le différend à la Cour. La question que cette dernière doit trancher est celle de savoir si l’article IX exclut la possibilité pour un État de chercher à faire déclarer qu’il n’est pas responsable de la commission d’un génocide en violation de ses obligations au titre de la convention.
98. La Cour a considéré que le membre de phrase « y compris [les différends] relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide » était une « particularité de l’article IX », soulignant que « [c]onformément au texte anglais de la Convention, la responsabilité visée [étai]t la responsabilité pour “génocide” (le texte français se lisant “responsabilité en matière de génocide”), et non la simple responsabilité pour “ne pas avoir prévenu ou puni le génocide” » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169). La Cour a également relevé l’inclusion exceptionnelle du terme supplémentaire « exécution » à l’article IX (voir ibid., par. 168). En outre, l’article IX précise que les différends « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention comprennent ceux « relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide » et prévoit qu’« une partie au différend » peut soumettre celui-ci à la Cour (les italiques sont de la Cour).
99. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’article IX n’exclut pas la possibilité pour un État de chercher à faire déclarer qu’il n’est pas responsable de la commission d’un génocide en violation de la convention.
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100. Troisièmement, la défenderesse avance que la jurisprudence de la Cour montre que celle-ci n’a jamais jugé recevable de « demande inversée en constatation de conformité ». Les vues des Parties divergent sur le point de savoir si les décisions rendues par la Cour dans l’affaire des Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique) et celle relative aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni) militent en faveur de la recevabilité du chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b).
101. Dans l’affaire des Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), la France demandait à la Cour de déclarer que « l’arrêté du 30 décembre 1948 [étai]t conforme aux dispositions conventionnelles applicables au Maroc et liant la France et les États-Unis » (arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 182). Les États-Unis n’ont pas soulevé d’exception préliminaire relativement à cette demande, mais ont présenté un chef de conclusions priant la Cour de dire que « [l’arrêté du 30 décembre 1948] contrev[enai]t directement aux droits conventionnels des États-Unis par lesquels toute prohibition des importations d’Amérique est interdite » (ibid.). Compte tenu de ces circonstances particulières, la Cour estime que cette affaire ne démontre pas qu’une demande de déclaration de conformité ait été admise dans sa jurisprudence.
Dans l’affaire relative aux Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), la Libye priait la Cour de dire qu’elle « a[vait] pleinement satisfait à toutes ses obligations au regard de la convention de Montréal » et qu’elle était par conséquent « fondée à exercer la compétence pénale prévue par cette convention » (exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 14, par. 14). La Cour observe que la nature de la demande formulée par la Libye diffère de celle présentée par l’Ukraine en l’espèce. La Libye cherchait à faire constater qu’elle s’était acquittée des obligations qui lui incombaient en vertu de la convention de Montréal afin de faire valoir son droit d’exercer la compétence pénale, comme le prévoit cet instrument ; elle n’a pas introduit une instance pour répondre à des allégations du défendeur selon lesquelles elle avait violé la convention (voir ibid., p. 14, par. 14 b) et p. 18, par. 26 b)). Cette affaire n’est donc pas comparable à la présente espèce.
En conséquence, la Cour considère que ces deux affaires ne permettent pas de conclure qu’elle ait jamais accueilli ou rejeté, dans sa jurisprudence, une demande tendant à ce qu’il fût déclaré que le demandeur n’avait pas violé les obligations qui lui incombaient au titre d’un traité.
102. Quatrièmement, la défenderesse avance que le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) est incompatible avec la fonction judiciaire de la Cour. La Fédération de Russie soutient que, en statuant sur ledit chef, la Cour agirait comme un organisme provisoire d’établissement des faits alors que des enquêtes pénales sont en cours.
103. Selon la Cour, pour répondre au chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b), il lui faudrait établir les faits au vu des éléments de preuve présentés par les Parties, avant d’appliquer les dispositions de la convention sur le génocide aux faits qu’elle aura jugés établis. Comme elle l’a dit dans les affaires relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica),
« [i]l incombe à la Cour, au terme d’un examen attentif de l’ensemble des éléments versés au dossier, d’en apprécier la valeur probante, de déterminer quels faits sont à prendre en considération et d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Ainsi, fidèle à sa
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pratique, la Cour se prononcera sur les faits, en se fondant sur l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés, puis appliquera les règles du droit international à ceux qu’elle aura jugés avérés » (arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 726, par. 176).
La Cour ne tranchera des questions de fait que dans la mesure où cela lui paraîtra nécessaire pour statuer sur le chef de conclusions de l’Ukraine (voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 200, par. 57). Pour ce faire, elle doit « évaluer la pertinence et la valeur probante des éléments de preuve fournis par les [p]arties à l’appui de leurs versions respectives des[] faits » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 74, par. 180). La Cour considère que l’établissement des faits au vu des éléments de preuve présentés et l’application des dispositions de la convention sur le génocide à ceux qu’elle juge avérés fait partie intégrante de sa fonction judiciaire. En conséquence, la Cour conclut que les raisons avancées par la défenderesse ne peuvent étayer son argument selon lequel le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) est incompatible avec la fonction judiciaire de la Cour.
104. Cinquièmement, la défenderesse avance que le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) est contraire aux principes d’« opportunité judiciaire » et d’égalité des parties. À l’appui de cet argument, la Fédération de Russie, se référant au principe de l’autorité de la chose jugée, soutient que, si la Cour y fait droit, la demande de l’Ukraine peut exonérer cette dernière de toute responsabilité en empêchant la défenderesse et d’autres États d’exercer ultérieurement leur droit d’invoquer la responsabilité de la demanderesse au regard de la convention sur le génocide.
105. La Cour n’a pas à examiner des questions qui pourraient se poser dans l’hypothèse où, après qu’un arrêt sur le fond aurait été rendu en l’espèce, la Fédération de Russie déciderait d’introduire une instance contre l’Ukraine invoquant la responsabilité de celle-ci pour la commission d’un génocide en violation de ses obligations au titre de la convention sur le génocide. Le contenu de l’arrêt au fond n’est pas connu à l’avance, de même que la teneur des demandes que la Fédération de Russie pourrait formuler si elle décidait de saisir la Cour. Il n’appartient pas à la Cour de se perdre en conjectures sur ces questions. Il lui suffit de faire observer que, dès lors qu’un différend est réglé par elle sous la forme d’un arrêt, il est possible qu’une demande ultérieure soit couverte par l’effet de chose jugée de cet arrêt. En soi, cette éventualité ne permet toutefois pas de conclure que le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) est contraire aux principes d’« opportunité judiciaire » et d’égalité des parties.
106. Pour ces raisons, la Cour ne peut pas accueillir le cinquième argument de la défenderesse selon lequel le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) est contraire aux principes d’« opportunité judiciaire » et d’égalité des parties.
107. La Cour a conclu que l’article IX n’excluait pas la possibilité pour un État de chercher à faire déclarer qu’il n’est pas responsable de la commission d’un génocide en violation de la convention (voir le paragraphe 99 ci-dessus). Pour apprécier la recevabilité de la demande contenue dans le chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) de son mémoire, la Cour tient compte des circonstances dans lesquelles une telle demande a été formulée.
108. En l’espèce, l’Ukraine cherche à faire constater qu’elle n’a pas violé ses obligations au titre de la convention dans le contexte d’un conflit armé entre les Parties. Les mesures, illicites selon la demanderesse, que la défenderesse a prises en Ukraine et contre celle-ci l’ont été dans le but déclaré de prévenir ou de punir un génocide qui aurait été commis dans la région du Donbas.
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Dans un contexte aussi particulier, la Cour reconnaît l’intérêt juridique que l’Ukraine a, au regard de la convention sur le génocide, de régler le différend relatif au chef de conclusions qu’elle a formulé au point b). Le 16 mars 2022, la Cour a déclaré que,
« [d]epuis [le 24 février 2022], d’âpres combats f[aisaie]nt rage sur le territoire ukrainien, lesquels ont coûté la vie à de nombreuses personnes, causé d’importants déplacements de populations et provoqué des dommages étendus [et qu’elle] a bien conscience de l’ampleur de la tragédie humaine qui se déroule en Ukraine » (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 216, par. 17).
Le conflit armé entre la demanderesse et la défenderesse se poursuit encore jusqu’à ce jour. Un arrêt de la Cour ayant trait au chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) clarifiera les droits et obligations que les Parties tiennent de la convention sur le génocide, notamment la question de savoir si l’Ukraine a agi conformément aux obligations qui lui incombent au regard de l’article premier de la convention. La Cour a conscience des responsabilités que lui confèrent la Charte des Nations Unies et son Statut en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales, ainsi que le règlement pacifique des différends.
109. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour considère que la demande de l’Ukraine tendant à faire constater qu’elle n’a pas violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention est recevable. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la cinquième exception préliminaire de la Fédération de Russie doit être rejetée.
D. Abus de procédure (sixième exception préliminaire)
110. Par sa sixième exception préliminaire, la Fédération de Russie soutient que la requête de l’Ukraine est irrecevable car elle constitue un abus de procédure. Elle affirme que « les demandes et le comportement de l’Ukraine dans cette affaire constituent un abus de procédure si grave que celle-ci doit être considérée comme un cas exceptionnel dans lequel la Cour doit rejeter lesdites demandes pour abus de procédure ».
111. La Fédération de Russie avance trois arguments à l’appui de son affirmation. Premièrement, la défenderesse allègue que l’Ukraine, au fil de l’instance, a modifié de manière abusive son action en justice. Elle explique que l’Ukraine, dans son mémoire, a formulé des demandes nouvelles et invoqué des dispositions de la convention dont elle n’avait pas fait état dans sa requête. Deuxièmement, la Fédération de Russie avance que le moment choisi pour le dépôt de la requête est constitutif d’un abus, car l’Ukraine n’a pas déposé celle-ci avant 2022, alors qu’elle allègue qu’un différend l’oppose à la défenderesse depuis 2014. Troisièmement, la défenderesse affirme que l’Ukraine, cherchant à faire pression sur la Cour, a rallié des États afin d’organiser une intervention massive constitutive d’abus. La Fédération de Russie soutient que, dans son ordonnance du 5 juin 2023, la Cour ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la manière dont l’Ukraine a rallié des États afin d’organiser une intervention massive constituait un abus de procédure.
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112. L’Ukraine prie la Cour de rejeter cette exception de la Fédération de Russie. S’agissant du premier argument avancé par la défenderesse, l’Ukraine estime que celle-ci se contente de répéter sa troisième exception sous la dénomination d’un abus de procédure. La Fédération de Russie ne peut pas prétendre qu’il y a abus de procédure en feignant la confusion quant à l’argumentation simple et cohérente de l’Ukraine. S’agissant du deuxième argument de la défenderesse, l’Ukraine affirme que le désaccord qui oppose les Parties sur sa responsabilité alléguée en matière de génocide a pris une nouvelle ampleur lorsque la Fédération de Russie a tiré prétexte de ses allégations mensongères de génocide pour reconnaître la RPD et la RPL et envahir l’Ukraine. S’agissant du troisième argument de la défenderesse, l’Ukraine souligne que la Fédération de Russie se borne à répéter un argument que la Cour a déjà rejeté dans son ordonnance du 5 juin 2023. Elle ajoute que les États intervenants ont accepté d’être liés par l’interprétation que donnera la Cour de la convention sur le génocide et que leurs plaidoiries se sont concentrées sur les questions d’interprétation soumises à la Cour.
* *
113. La Cour rappelle que « [s]eules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier qu[’elle] rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable » (Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150). La Cour a précisé qu’il devait y avoir des « éléments attestant clairement » que le comportement du demandeur procédait d’un abus de procédure (Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 36, par. 93). Un abus de procédure « se rapporte à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal » et a trait à la question de savoir si un État a détourné la procédure à un tel point que sa demande devrait être rejetée dès la phase préliminaire (voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 335-336, par. 146-150).
114. Le premier argument de la défenderesse selon lequel l’Ukraine a introduit de nouvelles demandes dans son mémoire est identique à celui avancé dans sa troisième exception préliminaire. La Cour a déjà conclu que celle-ci devait être rejetée relativement au premier aspect du différend (voir le paragraphe 72 ci-dessus). En conséquence, la Cour ne saurait accueillir le premier argument avancé par la défenderesse.
115. La Cour rappelle qu’elle « n’a pas à s’interroger sur les motivations d’ordre politique qui peuvent amener un État, à un moment donné ou dans des circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire » (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91, par. 52). La Cour n’est donc pas convaincue par le deuxième argument avancé par la défenderesse concernant le moment choisi pour le dépôt de la requête de l’Ukraine.
116. La Cour observe que, dans son ordonnance du 5 juin 2023, elle n’a pas traité le troisième argument de la défenderesse selon lequel la manière dont l’Ukraine aurait rallié des États afin d’organiser une intervention massive constituait un abus de procédure. Son analyse était circonscrite à la question de savoir si les déclarations d’intervention étaient irrecevables sur le fondement
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de l’abus de procédure (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 59).
117. La Cour relève que, à l’appui du troisième argument, la défenderesse invoque exclusivement le comportement et les déclarations des États intervenants. La Fédération de Russie n’a produit aucun élément de preuve relatif à l’abus de procédure prétendument commis par l’Ukraine. La Cour ne considère pas que l’Ukraine, qui a établi une base de compétence valable, devrait voir sa demande rejetée à ce stade préliminaire sans qu’il soit clairement démontré que son comportement en rapport avec les interventions procède d’un abus de procédure (voir Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 336, par. 150). Pour cette raison, la Cour ne juge pas convaincant le troisième argument avancé par la défenderesse.
118. La défenderesse n’a donc pas démontré qu’il existait des circonstances exceptionnelles qui justifieraient de rejeter la demande de l’Ukraine pour abus de procédure. En conséquence, la Cour conclut que la sixième exception préliminaire de la Fédération de Russie, visant à contester la recevabilité du chef de conclusions formulé par l’Ukraine au point b) du paragraphe 178 du mémoire pour abus de procédure, doit être rejetée.
IV. LE SECOND ASPECT DU DIFFÉREND : LES CONCLUSIONS DE L’UKRAINE RELATIVES À LA COMPATIBILITÉ AVEC LA CONVENTION DES ACTIONS DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIE
119. Aux points c) et d) du paragraphe 178 de son mémoire, l’Ukraine demande à la Cour « c) de dire et juger que l’emploi de la force auquel la Fédération de Russie recourt depuis le 24 février 2022 en Ukraine et contre celle-ci emporte violation des articles premier et IV de la convention sur le génocide », et « d) de dire et juger que la reconnaissance, par la Fédération de Russie, de l’indépendance des prétendues “République populaire de Donetsk” et “République populaire de Louhansk”, le 21 février 2022, emporte violation des articles premier et IV de la convention sur le génocide » (voir le paragraphe 25 ci-dessus). Ces conclusions diffèrent dans leur formulation de celles qui figurent dans la requête, dans laquelle l’Ukraine demandait à la Cour de dire « que la Fédération de Russie ne saurait licitement prendre, au titre de la convention sur le génocide, quelque action que ce soit en Ukraine ou contre celle-ci visant à prévenir ou à punir un prétendu génocide, sous le prétexte fallacieux qu’un génocide aurait été perpétré dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk », de déclarer que la reconnaissance, par la Fédération de Russie, des deux « prétendues » républiques était « fondée sur une allégation mensongère de génocide et ne trouv[ait] donc aucune justification dans la convention sur le génocide », et de faire une déclaration similaire à propos de l’« opération militaire spéciale » mise en oeuvre par la Fédération de Russie à partir du 24 février 2022 (points b), c) et d) du paragraphe 30 de la requête, voir le paragraphe 24 ci-dessus).
120. La Fédération de Russie oppose en particulier deux objections à ces conclusions. D’une part, selon la défenderesse, les conclusions présentées dans le mémoire sont des conclusions nouvelles ayant pour effet de transformer l’objet du différend tel qu’il a été formulé dans la requête, et par suite irrecevables. Cette objection figure dans la troisième des exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie. D’autre part, les conclusions en cause se situent hors du champ d’application ratione materiae de la convention, et par suite elles ne relèvent pas de la clause compromissoire figurant à l’article IX. Cette objection fait partie de la deuxième des exceptions préliminaires. La Cour doit d’abord examiner la question de la recevabilité des conclusions figurant
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dans le mémoire. À la lumière de la réponse à cette question, la Cour examinera ensuite si les conclusions qui relèvent du second aspect du différend, tel que décrit au paragraphe 55 ci-dessus, ressortissent à sa compétence ratione materiae.
A. Introduction de demandes nouvelles (troisième exception préliminaire)
121. Selon la Fédération de Russie, les conclusions figurant aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine sont irrecevables, car elles diffèrent des demandes contenues dans la requête au point de les rendre méconnaissables et de modifier la nature du différend soumis à la Cour. La défenderesse relève, à cet égard, que les nouvelles conclusions sont fondées sur des dispositions de la convention qui n’étaient pas mentionnées dans les conclusions de la requête et qu’elles contiennent des allégations de violation d’obligations au titre de la convention par la Fédération de Russie qui ne se trouvaient pas dans la requête, dans laquelle la demanderesse se bornait à soutenir que les actions de la Fédération de Russie « ne trouv[ai]ent aucune justification dans la convention sur le génocide », ce qui est une idée tout à fait différente.
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122. L’Ukraine soutient au contraire que toutes les demandes qu’elle a formulées dans son mémoire se rapportent à l’objet du différend présenté dans sa requête, à savoir les allégations de la Fédération de Russie selon lesquelles l’Ukraine commettrait un génocide, et l’invocation de telles allégations mensongères pour agir unilatéralement contre la demanderesse et sur son territoire. Elle relève que, contrairement à ce que prétend la défenderesse, il était déjà allégué dans la requête que les actes de la Fédération de Russie étaient incompatibles avec la convention et constituaient une violation des droits de l’Ukraine. Selon la demanderesse, les conclusions présentées à la fin du mémoire ne font que préciser les fondements juridiques de ses demandes initiales, à savoir la violation par la Fédération de Russie des articles premier et IV de la convention. Elle relève à cet égard que si l’article IV de la convention n’était pas mentionné dans la requête, cet article est directement lié à l’article premier, auquel il était fait explicitement référence.
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123. La Cour a examiné plus haut dans le présent arrêt (voir les paragraphes 60-72 ci-dessus) la même exception d’irrecevabilité soulevée par la Fédération de Russie à l’encontre du chef de conclusions figurant au point b) du paragraphe 178 du mémoire.
Elle a rappelé sa jurisprudence bien établie sur la question des demandes additionnelles ou modifiées (voir les paragraphes 68 et 69 ci-dessus). Une demande additionnelle ou modifiée formulée en cours d’instance est irrecevable si elle a pour effet de transformer l’objet du différend initialement porté devant la Cour selon les termes de la requête ; elle est recevable, en revanche, si elle est implicitement contenue dans la requête ou si elle découle directement de la question qui fait l’objet de la requête (voir en ce sens Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 266, par. 67 ; voir aussi Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 656-657, par. 39-41).
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Ce sont ces critères que la Cour, après les avoir appliqués au point b) du paragraphe 178 du mémoire (voir les paragraphes 70 et 71 ci-dessus), appliquera à présent aux points c) et d).
124. Il est certain qu’il n’y a pas identité entre le libellé des demandes présentées par l’Ukraine dans sa requête et de celles qui sont formulées dans le mémoire (voir le paragraphe 119 ci-dessus).
125. Il est exact que, comme le relève la Fédération de Russie, aucune des demandes contenues dans la requête ne se réfère spécifiquement aux articles premier et IV de la convention. On n’y trouve pas non plus l’affirmation explicite que la Fédération de Russie aurait violé ses obligations au titre de la convention. En revanche, les conclusions figurant à la fin du mémoire (voir le paragraphe 25 ci-dessus) contiennent l’allégation explicite que les actions de la Fédération de Russie « emportent violation » de la convention et précisent que, selon le point de vue de l’Ukraine, les dispositions violées sont celles des articles premier et IV de la convention.
126. Cependant, une différence de formulation n’est pas par elle-même décisive. Ce qu’il convient de rechercher, c’est si la demande telle qu’elle est nouvellement formulée a pour effet de transformer l’objet du différend initialement porté devant la Cour selon les termes de la requête (voir le paragraphe 69 ci-dessus).
127. À cet égard, la Cour relève qu’au point b) du paragraphe 30 de la requête l’Ukraine soutenait que la Fédération de Russie ne pouvait « licitement » entreprendre quelque action que ce soit sous le prétexte fallacieux qu’un génocide aurait été commis. En outre, au paragraphe 26 de la requête l’Ukraine soutenait que
« l’annonce et la mise en oeuvre, par la Fédération de Russie, de mesures à son encontre et sur son territoire sous la forme d’une “opération militaire spéciale” lancée le 24 février 2022 sur le fondement d’un prétendu génocide, ainsi que la reconnaissance qui a précédé cette opération, sont incompatibles avec la convention ».
Cette allégation est répétée au paragraphe 29, aux termes duquel les actions de la Fédération de Russie, accomplies « sur le fondement d’une allégation mensongère de génocide, sont incompatibles avec la convention sur le génocide et violent les droits de l’Ukraine ».
En affirmant que la Fédération de Russie avait agi de manière illicite en mettant en oeuvre des actions incompatibles avec la convention qui violaient les droits de l’Ukraine, la demanderesse mettait en cause, dès la requête introductive, la conformité du comportement de la Fédération de Russie aux obligations découlant de la convention et soulevait la question de la responsabilité de la défenderesse à l’égard de la demanderesse dont les droits avaient été prétendument violés.
Enfin, en présentant aux points e) et f) des conclusions de sa requête (voir le paragraphe 24 ci-dessus) des demandes de réparation, l’Ukraine mettait nécessairement en cause la licéité des actions entreprises par la Fédération de Russie.
128. Ainsi, il résulte de ce qui précède que dès l’introduction de l’instance l’Ukraine ne se bornait pas à demander à la Cour de déclarer qu’elle n’avait pas commis de génocide, mais cherchait aussi à obtenir le constat que les actions de la Fédération de Russie étaient incompatibles avec ses obligations au titre de la convention. Il est vrai que les conclusions figurant à la fin de la requête n’étaient pas dépourvues d’une certaine ambiguïté. Il est vrai aussi que, si l’article premier de la convention était mentionné dans la requête à plusieurs reprises, l’article IV ne l’était pas. Mais, de l’avis de la Cour, les conclusions du mémoire précisent et clarifient les demandes de l’Ukraine sans dénaturer l’objet du différend tel qu’il était soumis à la Cour par la requête introductive d’instance.
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129. La Cour conclut que les conclusions formulées aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire sont recevables, et que, à cet égard, la troisième exception préliminaire soulevée par la défenderesse n’est pas fondée et doit être rejetée.
130. En conséquence, la Cour examinera la question de sa compétence ratione materiae pour connaître du second aspect du différend sur la base des conclusions de la demanderesse telles que formulées aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire.
B. Compétence ratione materiae de la Cour au titre de la convention sur le génocide (deuxième exception préliminaire)
131. La Fédération de Russie soutient que la Cour n’est pas compétente ratione materiae pour connaître des demandes figurant aux points c) et d) des conclusions présentées par l’Ukraine au terme de son mémoire. En effet, selon la défenderesse, ces demandes échappent au champ d’application ratione materiae de la convention sur le génocide et, par suite, elles ne relèvent pas de sa clause compromissoire. La Fédération de Russie considère que l’Ukraine n’attend pas vraiment de la Cour qu’elle déclare que la défenderesse a manqué aux obligations découlant des articles premier et IV de la convention, mais plutôt qu’elle déclare que la reconnaissance de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Louhansk » ainsi que l’« opération militaire spéciale » sont illicites au regard de la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier. Or, selon la Fédération de Russie, les règles du droit international relatives à la reconnaissance des États et à l’emploi de la force ne sont aucunement incorporées à la convention, notamment à ses articles premier et IV. C’est à tort, selon la défenderesse, que l’Ukraine tente de trouver dans la convention certaines obligations implicites, telles que celle, pour un État partie, d’agir dans les limites de la légalité internationale, et celle de s’abstenir de toute « application fautive » ou de tout usage « abusif » de la convention. Une telle démarche aurait pour effet d’incorporer à la convention un nombre indéterminé d’autres règles de droit international et d’élargir démesurément la compétence ratione materiae de la Cour en vertu de l’article IX. Selon la défenderesse, il ne serait pas conforme à l’article IX d’englober dans la compétence de la Cour fondée sur cette disposition des questions qui ne sont pas régies par la convention, comme tente de le faire l’Ukraine.
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132. L’Ukraine soutient, au contraire, que la Cour est compétente pour connaître des griefs selon lesquels la Fédération de Russie a violé les articles premier et IV de la convention. Selon la demanderesse, ces dispositions ne donnent pas l’autorisation, mais au contraire interdisent, à une partie contractante de causer un préjudice à une autre sous le prétexte de prévenir et de punir un génocide qu’elle a allégué de manière infondée. La demanderesse ajoute qu’un État partie à la convention qui agit pour prévenir et punir le crime de génocide est tenu de le faire de bonne foi et sans commettre d’abus. Elle en déduit qu’un usage abusif de la convention emporte violation de cet instrument, et non pas seulement d’un principe général de droit extérieur à celui-ci.
133. L’Ukraine soutient qu’en l’espèce, la Fédération de Russie est intervenue au motif déclaré de mettre fin à un génocide et d’en punir les auteurs ; mais qu’elle ne l’a pas fait de bonne foi, qu’elle l’a fait de manière abusive et en outrepassant les limites de la légalité internationale. En conséquence, selon la demanderesse, la Fédération de Russie a violé les engagements qu’elle avait pris au titre de la convention, puisque ces engagements impliquaient une obligation de prendre des mesures pour prévenir et punir le génocide de bonne foi, sans commettre d’abus et dans les limites de la légalité
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internationale. L’Ukraine en conclut que le différend qui en résulte entre les Parties relève pleinement de la compétence de la Cour au titre de la clause compromissoire ; il importe peu que les Parties entretiennent ou non, par ailleurs, un autre différend au regard de la Charte des Nations Unies.
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134. En interprétant l’article IX de la convention sur le génocide, les États intervenants soutiennent de manière générale que tout différend ayant trait à la convention entre dans les prévisions de l’article IX, indépendamment de la question de savoir si un différend oppose également les parties au sujet de droits et d’obligations énoncés dans d’autres règles de droit international. Ils font valoir qu’un différend ayant trait à la teneur ou à la mise en oeuvre de l’obligation de prévenir ou de punir le génocide est nécessairement un différend relatif à « l’interprétation, l’application ou l’exécution » des articles premier et IV de la convention et qu’il relève par conséquent de la compétence de la Cour au titre de l’article IX.
* *
135. Selon sa jurisprudence bien établie, lorsque la Cour est saisie, sur la base d’une clause compromissoire d’un traité, par un État qui invoque la responsabilité internationale d’un autre État partie en raison de la méconnaissance par ce dernier des obligations résultant du traité, il ne suffit pas, pour que la Cour soit compétente, que le demandeur allègue la violation du traité tandis que le défendeur la conteste. Il faut aussi « rechercher si les violations du traité … alléguées … entrent ou non dans les prévisions de ce traité et si, par suite, le différend est de ceux dont la Cour est compétente pour connaître ratione materiae par application » de la clause compromissoire (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 810, par. 16 ; voir aussi Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 308, par. 46). Dans certaines de ses décisions, notamment parmi les plus récentes, la Cour a formulé cette même condition en des termes un peu différents, en indiquant qu’elle n’était compétente que « si les actes dont le demandeur tire grief entrent dans les prévisions du traité contenant la clause compromissoire » (Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 31-32, par. 75 ; voir aussi Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 584, par. 57 ; Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 23, par. 36 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414, par. 18 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2016, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 1159, par. 47). Il est aussi arrivé à la Cour de rechercher « si les demandes … entrent dans le champ d’application de la convention » (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 94, par. 72).
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136. Toutes les formules précitées ont le même sens. Il s’agit de rechercher si les actions ou les omissions dont le demandeur fait grief au défendeur entrent dans le champ d’application du traité dont la violation est alléguée, c’est-à-dire si les faits en cause, à les supposer établis, sont susceptibles de constituer des violations des obligations découlant du traité.
Une telle recherche peut impliquer, dans une certaine mesure, que la Cour procède à une interprétation des dispositions dont la violation est alléguée, et qui définissent le champ d’application du traité (Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 32, par. 75).
137. En l’espèce, les actes dont l’Ukraine tire grief consistent, en substance, en ce que la Fédération de Russie aurait accusé mensongèrement la demanderesse de commettre un génocide et invoqué de mauvaise foi la convention afin de justifier, de manière abusive, ses actions, notamment militaires, qui outrepassent les limites de la légalité internationale. Ces actes constituent, selon l’Ukraine, des violations d’obligations découlant de la convention. Plus précisément, les obligations prétendument violées sont celles énoncées aux articles premier et IV de la convention.
138. L’article premier de la convention est ainsi rédigé : « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir. »
L’article IV dispose quant à lui que « [l]es personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers ».
139. La Cour considère que, à supposer même que les actes dont l’Ukraine tire grief à l’égard de la Fédération de Russie soient complètement établis  ce qu’il ne lui appartient pas de décider à ce stade , ils ne constitueraient pas une violation des obligations au titre des articles premier et IV précités.
140. L’Ukraine ne soutient pas que la Fédération de Russie se serait abstenue de prendre quelque mesure que ce soit qui aurait eu pour objet de prévenir un génocide ou de punir les personnes qui auraient commis un tel génocide. Tout au contraire, la demanderesse soutient que le génocide invoqué par la Fédération de Russie n’a pas eu lieu et que son invocation a été faite de mauvaise foi. C’est l’objet du premier aspect de son action judiciaire que de demander à la Cour de constater qu’il n’existe aucun élément crédible prouvant qu’elle aurait commis un tel génocide (voir ci-dessus la partie III du présent arrêt). Dans ces conditions, on ne voit pas comment le comportement de la Fédération de Russie mis en cause par l’Ukraine pourrait constituer une méconnaissance, par la défenderesse, de ses obligations de prévenir le génocide et d’en punir les auteurs.
141. Il est vrai que l’Ukraine tente de démontrer que les actes de la Fédération de Russie qu’elle incrimine constitueraient des violations des obligations découlant des articles premier et IV de la convention en s’appuyant sur deux motifs : le premier est que la Fédération de Russie invoque la convention de mauvaise foi et met en oeuvre ses obligations au titre de la convention de manière abusive ; le second est que les mesures qu’elle a adoptées en invoquant la convention outrepassent les limites permises par la légalité internationale. La plupart des États intervenants ont défendu l’opinion selon laquelle dans les deux cas envisagés la convention serait violée et, par suite, une demande fondée sur de telles violations alléguées entrerait dans la compétence ratione materiae de la Cour en vertu de l’article IX.
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La Cour examinera ci-après les deux arguments présentés par l’Ukraine.
142. Il n’est pas contestable que « [t]out traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi » (article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités, reflétant le droit international coutumier). Plus généralement, la Cour a eu l’occasion de rappeler à plusieurs reprises que le principe de la bonne foi est « un principe bien établi du droit international » (Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 296, par. 38) et « l’un des principes de base qui président à la création et à l’exécution d’obligations juridiques » (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 105, par. 94, citant Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 268, par. 46 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 473, par. 49).
Toutefois, elle a aussi indiqué que le principe de la bonne foi « n’est pas en soi une source d’obligation quand il n’en existerait pas autrement » (Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 105, par. 94). Ce qui importe aux fins d’établir la compétence ratione materiae de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une requête alléguant la violation par le défendeur d’une obligation découlant d’un traité, c’est de savoir si l’État défendeur peut avoir méconnu une obligation spécifique s’imposant à lui et si la violation alléguée entre dans le champ de la compétence de la Cour. En l’espèce, quand bien même la Fédération de Russie aurait été de mauvaise foi en alléguant un génocide que l’Ukraine n’a pas commis et en prenant certaines mesures contre l’Ukraine sur la base d’un tel prétexte  ce que la défenderesse conteste  cela ne constituerait pas en soi la violation d’obligations au titre des articles premier et IV de la convention.
143. Il n’est pas plus convaincant de tirer argument de l’« abus de droit » ou, comme l’a dit parfois l’Ukraine, de l’« abus de la convention » qui caractériserait le comportement de la défenderesse. Il n’est certainement pas conforme au principe de la bonne foi d’invoquer de manière abusive un traité, en prétendant qu’il existe une situation concrète entrant dans son champ d’application quand ce n’est manifestement pas le cas, ou en en donnant une interprétation volontairement incorrecte à seule fin de justifier une action déterminée. Toutefois, si une telle invocation abusive a pour conséquence que les arguments qui s’appuient sur elle devront être écartés, il n’en résulte pas pour autant qu’elle constitue par elle-même une violation du traité. En l’espèce, même s’il était démontré que la Fédération de Russie a invoqué de manière abusive la convention (ce qui n’est pas établi à ce stade), il n’en résulterait pas qu’elle ait violé ses obligations au titre de la convention, et en particulier qu’elle ait méconnu les obligations de prévenir et de punir découlant des articles premier et IV.
144. Quant à l’argument de la demanderesse tiré de ce que les actions entreprises par la Fédération de Russie sur la base de son allégation fallacieuse de génocide outrepasseraient les limites de la légalité internationale, il soulève des questions qui, de l’avis de la Cour, n’entrent pas dans le champ d’application ratione materiae de la convention.
145. L’Ukraine et certains des États intervenants s’appuient à cet égard sur le dictum figurant au paragraphe 430 de l’arrêt au fond rendu en l’affaire de l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) précité. La Cour y a indiqué que l’obligation de prévenir le génocide impose aux États parties de « mettre en oeuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide », tout en ajoutant qu’« il est clair que chaque État ne peut déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité internationale » (arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430).
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146. Mais il ne résulte pas de ce qui précède que, si un État entend mettre en oeuvre l’obligation de prévention que lui impose la convention au moyen d’une action qui méconnaît la légalité internationale, cette action constitue par elle-même une violation de la convention. La Cour n’a pas entendu, par son prononcé de 2007, interpréter la convention comme incorporant des règles de droit international qui lui sont étrangères, notamment celles qui régissent le recours à la force. Elle a entendu préciser qu’un État ne saurait être tenu, en vertu de la convention, d’agir en méconnaissance d’autres règles de droit international. Pas davantage un État ne saurait se prévaloir de l’obligation de prévention que lui impose la convention pour outrepasser les limites que fixe à son action, par ailleurs, le droit international. Les limites dont il s’agit ne sont pas définies par la convention elle-même, mais par d’autres règles du droit international.
Ainsi, en l’espèce, à supposer — pour les besoins du raisonnement — qu’en reconnaissant la RPD et la RPL et en déclenchant l’« opération militaire spéciale », la Fédération de Russie ait entendu mettre en oeuvre ses obligations au titre de la convention, et que les actions en cause soient contraires au droit international, ce n’est pas la convention que la Fédération de Russie aurait violée, ce sont les règles pertinentes du droit international applicables à la reconnaissance des États et à l’emploi de la force. Ces questions ne sont pas régies par la convention sur le génocide, et la Cour n’est pas compétente pour en connaître dans la présente affaire.
147. En conclusion, les actes dont l’Ukraine tire grief aux points c) et d) des conclusions du mémoire, de quelque point de vue qu’on les considère, ne sont pas susceptibles de constituer des violations des dispositions de la convention qui sont invoquées par l’Ukraine. Ces actes n’entrent pas dans les prévisions de la convention, et par suite les conclusions c) et d), qui constituent le second aspect du différend porté devant la Cour par l’Ukraine, ne relèvent pas de la clause compromissoire de l’article IX.
Il suit de là que la deuxième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie doit être accueillie.
148. Compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas nécessaire pour la Cour d’examiner les autres exceptions soulevées par la défenderesse en tant qu’elles se rapportent au second aspect du différend.
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* *
149. En résumé, la Cour considère que la deuxième exception préliminaire de la Fédération de Russie, selon laquelle les conclusions figurant aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine ne relèvent pas de la compétence ratione materiae de la Cour, doit être accueillie.
En revanche, la Cour estime devoir rejeter : la première exception préliminaire, tirée de ce que la Cour ne serait pas compétente pour connaître de l’ensemble des conclusions de l’Ukraine en raison de la prétendue inexistence d’un différend ; la troisième exception préliminaire, tirée de l’irrecevabilité des conclusions présentées dans le mémoire au motif que ces conclusions seraient nouvelles et transformeraient l’objet du différend ; la quatrième exception préliminaire, fondée sur l’irrecevabilité des conclusions de l’Ukraine en raison de la prétendue absence d’effet pratique d’un arrêt au fond ; la cinquième exception préliminaire, fondée sur l’irrecevabilité d’une demande
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tendant à ce qu’il soit déclaré que la demanderesse n’a pas violé ses obligations au titre de la convention ; la sixième exception préliminaire, fondée sur l’irrecevabilité de la requête au motif qu’elle constituerait un abus de procédure.
Il résulte de ce qui précède que les conclusions figurant aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine échappent à la compétence de la Cour et que celle-ci ne saurait en connaître au fond, tandis que le chef de conclusions présenté au point b) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine ressortit à la compétence de la Cour et que la demande y figurant est recevable. Au prochain stade de la procédure, la Cour examinera donc cette demande sur le fond.
150. La Cour rappelle, comme elle a eu à plusieurs reprises l’occasion de le faire dans le passé, qu’il existe une distinction fondamentale entre la question de l’acceptation de sa juridiction par les États et la conformité des actes de ceux-ci au droit international. Les États sont toujours tenus de se conformer aux obligations qui sont les leurs en vertu de la Charte des Nations Unies et des autres règles du droit international. Qu’ils aient ou non consenti à la juridiction de la Cour, les États demeurent responsables des actes contraires au droit international qui pourraient leur être attribués (voir, par exemple, Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 328, par. 128 ; voir aussi Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 52-53, par. 127).
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151. Par ces motifs,
LA COUR,
1) Par quinze voix contre une,
Rejette la première exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ;
2) Par douze voix contre quatre,
Retient la deuxième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie qui se rapporte aux conclusions figurant aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine ;
POUR : M. Gevorgian, vice-président ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, présidente ; Mme Sebutinde, M. Robinson, Mme Charlesworth, juges ;
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3) Par quinze voix contre une,
Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie relativement au chef de conclusions figurant au point b) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ;
4) Par quatorze voix contre deux,
Rejette la troisième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie relativement aux conclusions figurant aux points c) et d) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine ;
POUR : MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, présidente ; M. Gevorgian, vice-président ;
5) Par quatorze voix contre deux,
Rejette la quatrième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ; M. Bennouna, juge ;
6) Par treize voix contre trois,
Rejette la cinquième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ; MM. Abraham, Bennouna, juges ;
7) Par quinze voix contre une,
Rejette la sixième exception préliminaire soulevée par la Fédération de Russie ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ;
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8) Par quinze voix contre une,
Dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article IX de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, pour connaître du chef de conclusions figurant au point b) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ;
9) Par treize voix contre trois,
Dit que le chef de conclusions figurant au point b) du paragraphe 178 du mémoire de l’Ukraine est recevable.
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Yusuf, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Daudet, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ; MM. Abraham, Bennouna, juges.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le deux février deux mille vingt-quatre, en trente-cinq exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de l’Ukraine, au Gouvernement de la Fédération de Russie et aux Gouvernements de la République fédérale d’Allemagne, de l’Australie, de la République d’Autriche, du Royaume de Belgique, de la République de Bulgarie, du Canada, de la République de Chypre, de la République de Croatie, du Royaume du Danemark, du Royaume d’Espagne, de la République d’Estonie, de la République de Finlande, de la République française, de la République hellénique, de l’Irlande, de la République italienne, de la République de Lettonie, de la Principauté du Liechtenstein, de la République de Lituanie, du Grand-Duché de Luxembourg, de la République de Malte, du Royaume de Norvège, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume des Pays-Bas, de la République de Pologne, de la République portugaise, de la Roumanie, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, de la République slovaque, de la République de Slovénie, du Royaume de Suède et de la République tchèque.
La présidente,
(Signé) Joan E. DONOGHUE.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
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Mme la juge DONOGHUE, présidente, joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge GEVORGIAN, vice-président, joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge TOMKA joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ABRAHAM joint à l’arrêt l’exposé de son opinion partiellement dissidente ; M. le juge BENNOUNA joint une déclaration à l’arrêt ; Mme la juge SEBUTINDE et M. le juge ROBINSON joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ; M. le juge IWASAWA et Mme la juge CHARLESWORTH joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; M. le juge BRANT joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc DAUDET joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.
(Paraphé) J.E.D.
(Paraphé) Ph.G.
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Exceptions préliminaires

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Arrêt du 2 février 2024

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