Résumé de l'arrêt du 31 janvier 2024

Document Number
166-20240131-SUM-01-00-EN
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
2024/2
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Non officiel
Résumé 2024/2
Le 31 janvier 2024
Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie) Résumé de l’arrêt du 31 janvier 2024
I. CONTEXTE GÉNÉRAL (PAR. 28-31)
La Cour commence par rappeler que la présente instance a été introduite par l’Ukraine comme suite aux événements qui se sont produits en Ukraine orientale et dans la péninsule de Crimée à partir du début de l’année 2014. La situation en Ukraine est aujourd’hui fort différente de celle qui prévalait au moment où cet État a introduit sa requête, en janvier 2017. Les Parties sont actuellement engagées dans un intense conflit armé qui a causé d’épouvantables pertes en vies humaines et de grandes souffrances. Néanmoins, s’agissant de la situation en Ukraine orientale et dans la péninsule de Crimée, l’affaire soumise est d’une portée limitée, la Cour n’étant saisie que sur le fondement des dispositions de la CIRFT et de la CIEDR. La Cour n’est pas appelée à se prononcer en la présente espèce sur une quelconque autre question en litige entre les Parties.
En ce qui a trait à la CIRFT, la demanderesse a saisi la Cour à propos des événements en Ukraine orientale, alléguant que la Fédération de Russie n’avait pas pris les mesures voulues pour prévenir et réprimer la commission d’infractions de financement du terrorisme. En particulier, elle fait référence à des actes et activités armées en Ukraine orientale qu’elle impute à des groupes armés liés à deux entités se désignant comme la « République populaire de Donetsk » (RPD) et comme la « République populaire de Louhansk » (RPL). Elle renvoie également à des actes qu’auraient commis des individus et des groupes armés dans d’autres parties du territoire ukrainien. En ce qui a trait à la CIEDR, la demanderesse se réfère aux événements qui se sont produits en Crimée après que la Fédération de Russie eut pris le contrôle de la péninsule au début de l’année 2014, alléguant que la défenderesse s’est lancée dans une campagne de discrimination raciale qui prive les Tatars de Crimée et les personnes d’origine ethnique ukrainienne en Crimée de leurs droits politiques, civils, économiques, sociaux et culturels, en violation des obligations que lui impose ladite convention.
La Cour rappelle qu’elle a considéré, dans son arrêt du 8 novembre 2019 sur les exceptions préliminaires (ci-après l’« arrêt de 2019 »), que le différend comprenait deux aspects, dont le premier était relatif à la CIRFT et le second, à la CIEDR. Elle a en conséquence défini comme suit l’objet du différend opposant les Parties :
« [L]’objet du différend réside, en ce qui concerne son premier aspect, dans la question de savoir si la Fédération de Russie avait l’obligation, en application de la CIRFT, de prendre des mesures et de coopérer pour prévenir et réprimer le financement allégué du terrorisme dans le contexte des événements en Ukraine orientale, et si, le cas
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échéant, la Fédération de Russie a manqué à une telle obligation. L’objet du différend réside, en ce qui concerne son second aspect, dans la question de savoir si la Fédération de Russie a manqué à ses obligations découlant de la CIEDR à raison de mesures discriminatoires qu’elle aurait prises à l’encontre des communautés ukrainienne et tatare de Crimée, comme le prétend l’Ukraine. » (Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 577, par. 32.)
La Cour a également précisé qu’en la présente espèce, l’Ukraine ne lui demandait pas de régler des questions concernant « l’agression » ou « l’occupation illicite » du territoire ukrainien dont se serait rendue responsable la Fédération de Russie, non plus que de se prononcer sur le statut de la péninsule de Crimée au regard du droit international. Ces questions ne constituent pas l’objet du différend soumis à la Cour (ibid., par. 29).
Dans le même arrêt, la Cour a dit qu’elle avait compétence sur la base du paragraphe 1 de l’article 24 de la CIRFT et de l’article 22 de la CIEDR pour connaître des demandes formulées par l’Ukraine sur le fondement de ces conventions. Sa compétence est ainsi limitée à la question de savoir si la Fédération de Russie a manqué aux obligations lui incombant en vertu des deux instruments invoqués par l’Ukraine, ainsi que le prétend celle-ci, et ne s’étend pas à celle de savoir si le comportement de la Fédération de Russie est conforme aux obligations qui sont les siennes en vertu d’autres règles de droit international.
II. LA CONVENTION INTERNATIONALE POUR LA RÉPRESSION DU FINANCEMENT DU TERRORISME (PAR. 32-150)
La Cour rappelle que l’Ukraine et la Fédération de Russie sont toutes deux parties à la CIRFT, qui est entrée en vigueur pour elles le 5 janvier 2003 et le 27 décembre 2002, respectivement. Aucune des Parties n’a formulé la moindre réserve à cet instrument.
A. Questions préliminaires (par. 33-85)
Avant de traiter des griefs avancés par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT, la Cour examine certaines questions préliminaires pertinentes pour trancher le différend, portant sur l’invocation par la Fédération de Russie de la doctrine des « mains propres », l’interprétation des dispositions applicables de la CIRFT et certaines questions de preuve.
1. Invocation de la doctrine des « mains propres » relativement à la CIRFT (par. 34-38)
La Cour rappelle que la Fédération de Russie lui demande de rejeter les demandes formulées par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT au motif que l’Ukraine se présente devant elle en n’ayant pas « les mains propres ».
À cet égard, la Cour relève que c’est dans sa duplique, déposée le 10 mars 2023, que la Fédération de Russie a pour la première fois soulevé l’objection tirée de la doctrine des « mains propres ». Cette objection n’ayant ainsi été soulevée qu’à un stade très tardif de la procédure, la Cour la considérera comme un moyen de défense au fond.
La Cour s’est jusqu’à présent montrée on ne peut plus circonspecte lorsque la doctrine des « mains propres » était invoquée. Elle n’a jamais accueilli cette doctrine ni ne l’a reconnue comme principe de droit international coutumier ou comme principe général de droit. De plus, la Cour a déjà rejeté l’invocation de la doctrine des « mains propres » en tant qu’exception d’irrecevabilité, précisant qu’elle « ne considère pas qu’une exception fondée sur [cette] doctrine … puisse en soi
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rendre irrecevable une requête reposant sur une base de compétence valable » (Jadhav (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 435, par. 61 ; Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 30 mars 2023, par. 81). De même, la Cour estime que la doctrine des « mains propres » ne peut être appliquée lorsque, dans un différend interétatique, sa compétence est établie et que la requête est recevable. En conséquence, le moyen de défense au fond que la Fédération de Russie entend tirer de la doctrine des « mains propres » doit être rejeté.
2. Interprétation de certaines dispositions de la CIRFT (par. 39-76)
Avant d’examiner les griefs avancés par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT, la Cour traite de l’interprétation de certaines dispositions de cette convention qui sont en litige entre les Parties.
a) Paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT (par. 40-53)
Les Parties sont en désaccord quant au sens du terme « fonds », tel qu’il est défini à l’article premier et employé au paragraphe 1 de l’article 2 ainsi que dans d’autres dispositions de la CIRFT.
Selon le paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT, la fourniture ou la collecte de fonds est un élément constitutif de l’infraction de financement du terrorisme (l’actus reus). Le terme « fonds » est défini au paragraphe 1 de l’article premier comme s’entendant
« des biens de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit, et des documents ou instruments juridiques sous quelque forme que ce soit, y compris sous forme électronique ou numérique, qui attestent un droit de propriété ou un intérêt sur ces biens, et notamment les crédits bancaires, les chèques de voyage, les chèques bancaires, les mandats, les actions, les titres, les obligations, les traites et les lettres de crédit, sans que cette énumération soit limitative ».
En premier lieu, la Cour s’intéresse au libellé du paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT. La définition du terme « fonds » donnée dans cette disposition commence par une référence générale à des « biens de toute nature, corporels ou incorporels, mobiliers ou immobiliers, acquis par quelque moyen que ce soit ». Le reste du paragraphe dresse une énumération non limitative de documents ou d’instruments susceptibles d’attester un droit de propriété ou un intérêt sur ces biens. Sont notamment visés les crédits bancaires, chèques de voyage, chèques bancaires, mandats, actions, titres, obligations, traites et lettres de crédit. En conséquence, si la formule « biens de toute nature » est d’acception large, les documents ou instruments énumérés dans la définition sont généralement utilisés pour attester un droit de propriété ou un intérêt uniquement à l’égard de certains types de biens, tels que les devises, les comptes bancaires, les actions ou les obligations.
La Cour relève que l’emploi du membre de phrase « sans que cette énumération soit limitative » au paragraphe 1 de l’article premier semble indiquer que le terme « fonds » couvre davantage que les biens financiers traditionnels. Ce terme s’étend également à un large éventail de biens qui sont échangeables ou utilisés pour leur valeur pécuniaire. Ainsi, les métaux ou minerais précieux tels que l’or ou les diamants, les oeuvres d’art, les ressources énergétiques telles que le pétrole, ou encore les biens numériques tels que les cryptodevises sont susceptibles de relever du sens ordinaire du terme « fonds » dans le contexte de la CIRFT, dès lors que ces biens sont fournis pour leur valeur pécuniaire ; tel n’est pas le cas des biens fournis en tant que moyens de commettre des actes de terrorisme. En outre, la définition figurant à l’article premier fait expressément mention de biens « immobiliers », ce qui semble indiquer que les « fonds » peuvent comprendre les biens fonciers ou immeubles.
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En deuxième lieu, la Cour prend en considération le contexte dans lequel le terme « fonds » est employé dans les autres dispositions de la CIRFT, notamment les articles 8, 12, 13 et 18. L’article 8, qui a trait à des mesures relatives à l’identification, à la détection et au gel ou à la saisie des fonds utilisés ou destinés à être utilisés pour commettre l’infraction de financement du terrorisme, accrédite l’idée que ce terme couvre différentes formes d’appui pécuniaire et financier. Au titre du paragraphe 2 de l’article 12, les États parties ne peuvent invoquer le secret bancaire pour refuser de faire droit à une demande d’entraide judiciaire, ce qui semble là encore indiquer que la CIRFT vise les opérations financières ou pécuniaires. L’article 13, qui dispose qu’aucune des infractions visées à l’article 2 ne peut être considérée, aux fins d’extradition ou d’entraide judiciaire, comme une « infraction fiscale », conduit lui aussi à le penser. Enfin, l’article 18, consacré à l’adoption de mesures concrètes de réglementation des opérations financières, notamment en ce qui concerne le transport physique transfrontière d’espèces et d’autres instruments négociables, va dans le même sens. Selon la Cour, il semble ressortir du contexte constitué par ces dispositions que le terme « fonds », tel qu’il est employé au paragraphe 1 de l’article premier de la CIRFT, se limite aux ressources qui possèdent une nature financière ou pécuniaire et ne s’étend pas aux moyens utilisés pour commettre des actes de terrorisme.
En troisième lieu, la Cour prend également en considération l’objet et le but de la CIRFT pour déterminer le sens du terme « fonds ». Le préambule de la CIRFT confirme que celle-ci visait le « financement » du terrorisme, et non le terrorisme de manière générale. Il y est par exemple précisé que « le financement du terrorisme est un sujet qui préoccupe gravement la communauté internationale tout entière ». Il y est également noté que « le nombre et la gravité des actes de terrorisme international sont fonction des ressources financières que les terroristes peuvent obtenir » et que « les instruments juridiques multilatéraux existants ne traitent pas expressément du financement du terrorisme » (les italiques sont de la Cour). À cet égard, la Cour rappelle que, dans son arrêt de 2019, elle a précisé que, « [a]insi qu’il [étai]t indiqué dans son préambule, la convention vis[ait] l’adoption de “mesures efficaces destinées à prévenir le financement du terrorisme ainsi qu’à le réprimer en en poursuivant et punissant les auteurs” » (C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 585, par. 59). Le titre de la CIRFT, qui fait référence à « la répression du financement du terrorisme », indique également que celle-ci vise expressément un aspect particulier du terrorisme, à savoir son financement. En conséquence, la CIRFT a pour objet de prévenir et de réprimer non pas l’appui au terrorisme de manière générale, mais une de ses formes spécifiques, à savoir le financement du terrorisme.
Les travaux préparatoires confirment l’interprétation qui précède du terme « fonds ».
Une interprétation de bonne foi de la CIRFT doit tenir compte de la question qui occupait les États parties au moment de la rédaction de cet instrument, et qui n’était pas celle des moyens ou ressources militaires dont les groupes terroristes étaient susceptibles de faire usage pour commettre des actes de terrorisme, mais celle de l’obtention de ressources financières qui leur permettraient, entre autres, d’acquérir ces moyens, y compris des armes et capacités d’entraînement. À cet égard, les travaux préparatoires révèlent que l’un des principaux problèmes mis en évidence par les États ayant négocié la CIRFT était le recours par des groupes terroristes à des institutions caritatives réelles ou fictives pour réunir des fonds à des fins en apparence légitimes.
À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le terme « fonds », tel qu’il est défini à l’article premier de la CIRFT et employé à l’article 2, désigne des ressources fournies ou réunies pour leur valeur pécuniaire et financière, et ne s’étend pas aux moyens utilisés pour commettre des actes de terrorisme, dont des armes ou des camps d’entraînement. En conséquence, la fourniture alléguée d’armes à divers groupes armés opérant en Ukraine et l’organisation alléguée d’entraînements à l’intention de membres de ces groupes ne relèvent pas du champ d’application ratione materiae de la CIRFT. Dans la présente affaire, seules les ressources pécuniaires ou financières fournies ou réunies aux fins de la commission d’actes de terrorisme peuvent donc constituer le fondement de l’infraction de financement du terrorisme, dès lors que les autres éléments de l’infraction visée au paragraphe 1 de l’article 2 sont également présents.
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b) L’infraction de « financement du terrorisme » au sens du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT (par. 54-64)
La Cour en vient ensuite à l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT, qui se lit comme suit :
« 1. Commet une infraction au sens de la présente Convention toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, illicitement et délibérément, fournit ou réunit des fonds dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre :
a) Un acte qui constitue une infraction au regard et selon la définition de l’un des traités énumérés en annexe ;
b) Tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. »
La Cour examine plusieurs questions pertinentes aux fins de la détermination de la portée de l’infraction définie au paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT (ci-après le « financement du terrorisme »).
i) La portée ratione personae de l’infraction de financement du terrorisme (par. 56)
La Cour rappelle la conclusion à laquelle elle est parvenue dans l’arrêt de 2019 à propos du champ d’application ratione personae de la CIRFT. S’agissant de l’expression « toute personne » figurant au paragraphe 1 de l’article 2, elle a exposé ce qui suit :
« [C]es termes visent les individus de manière générale. La convention ne contient aucun élément de nature à exclure quelque catégorie de personnes que ce soit. Elle s’applique tant aux personnes agissant à titre privé qu’à celles ayant le statut d’agent d’un État. Comme l’a relevé la Cour …, le financement étatique d’actes de terrorisme n’entre pas dans le champ d’application de la CIRFT ; partant, la commission par l’agent d’un État d’une infraction visée à l’article 2 n’engage pas par elle-même la responsabilité de l’État concerné au titre de la convention. Toutefois, les États parties à la CIRFT sont tenus de prendre les mesures nécessaires et de coopérer pour prévenir et réprimer les infractions de financement d’actes de terrorisme commises par quelque personne que ce soit. Dans l’éventualité où un État manquerait à cette obligation, sa responsabilité au titre de la convention se trouverait engagée. » (C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 585, par. 61.)
Bien que le financement étatique du terrorisme ne soit pas, en tant que tel, couvert par la CIRFT, celle-ci impose donc aux États d’agir en vue de prévenir et de réprimer la commission de l’infraction de financement du terrorisme par toutes personnes, en ce compris les représentants d’État.
ii) La portée ratione materiae de l’infraction de financement du terrorisme (par. 57-58)
La Cour relève que plusieurs dispositions de la CIRFT font référence à la commission d’« infractions visées à l’article 2 », notamment les articles 4, 8, 9, 12 et 18. La Cour relève que l’article 2 énonce deux types d’infractions : en premier lieu, l’infraction de financement du terrorisme, qui est traitée dans la partie liminaire du paragraphe 1 de l’article 2 et, en second lieu, les
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deux catégories d’infractions ou d’actes sous-jacents, qui sont précisées aux alinéas a) et b) du paragraphe 1 de l’article 2 (ci-après les « actes sous-jacents »).
De l’avis de la Cour, le membre de phrase « infractions visées à l’article 2 » doit être interprété comme renvoyant uniquement à l’infraction de financement du terrorisme énoncée dans la partie liminaire du paragraphe 1 de l’article 2. Les actes sous-jacents décrits aux alinéas a) et b) du paragraphe 1 ne sont pertinents qu’en tant qu’éléments constitutifs de ladite infraction de financement du terrorisme. Ils ne sont pas eux-mêmes des infractions relevant du champ d’application de la CIRFT. Si le membre de phrase « infractions visées à l’article 2 » était interprété comme incluant les actes sous-jacents visés aux alinéas a) et b) du paragraphe 1, les obligations incombant aux États parties à la CIRFT iraient bien au-delà de la prévention et de la répression du financement du terrorisme et s’appliqueraient entre autres à la prévention et à la répression de ces actes sous-jacents eux-mêmes. Une telle interprétation outrepasserait le champ d’application ratione materiae de la CIRFT.
iii) Les éléments moraux de l’infraction de financement du terrorisme (par. 59-64)
La Cour relève que l’article 2 de la CIRFT énonce deux éléments moraux de l’infraction de financement du terrorisme (mens rea). Selon cette disposition, la commission de l’infraction de financement du terrorisme suppose que la personne qui fournit ou réunit les fonds en question le fasse « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés » pour perpétrer les actes sous-jacents définis aux alinéas a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2. Comme l’indique l’emploi de la conjonction « ou », ces éléments d’intention et de connaissance sont des éléments moraux alternatifs. Il suffit dès lors, pour constituer l’infraction de financement du terrorisme, que l’un ou l’autre soit présent. À l’appui de ses allégations, l’Ukraine se fonde exclusivement sur l’élément moral de « connaissance ». En conséquence, la Cour se borne à interpréter le membre de phrase « en sachant qu’ils seront utilisés », les Parties ayant des vues divergentes sur l’élément de connaissance ainsi visé.
La Cour fait observer que, dans son sens ordinaire, le terme « connaissance » renvoie à la conscience d’un fait ou d’une circonstance. Pour constituer l’élément moral de « connaissance », il doit être établi que, au moment de réunir ou de fournir les fonds, le commanditaire avait conscience que ceux-ci seraient utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre un acte sous-jacent visé aux alinéas a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT.
Le paragraphe 3 de l’article 2 précise que, « [p]our qu’un acte constitue une infraction au sens du paragraphe 1, il n’est pas nécessaire que les fonds aient été effectivement utilisés pour commettre une infraction visée aux alinéas a) ou b) du paragraphe 1 du présent article ». Ainsi, la connaissance du commanditaire peut être établie même si les fonds réunis ou fournis ne sont pas, en définitive, utilisés en vue de commettre un acte sous-jacent.
C’est sur la base de circonstances factuelles objectives qu’il convient de déterminer si l’élément de « connaissance » est présent. Cet élément peut être établi s’il existe des preuves que le commanditaire savait que les fonds réunis ou fournis seraient affectés à la commission d’un acte sous-jacent. À cet égard, il peut être utile de se référer aux actes antérieurs du groupe bénéficiaire des fonds, afin de déterminer s’il s’agit d’un groupe qui est l’auteur notoire d’actes sous-jacents, notamment lorsqu’un groupe a été précédemment qualifié de terroriste par un organe de l’Organisation des Nations Unies. L’existence de l’élément de « connaissance » peut être inférée de telles circonstances. En revanche, le fait qu’un seul État désigne comme « terroriste » une organisation ou un groupe ne suffira pas, en soi, à éliminer la nécessité de prouver que le commanditaire savait que les fonds en question seraient utilisés en vue de commettre un acte sous-jacent visé aux alinéas a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2.
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c) Alinéas a) et b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT (par. 65-69)
Pour que l’infraction de financement du terrorisme soit constituée, le commanditaire doit, selon le paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT, agir dans l’intention de voir les fonds qu’il réunit ou fournit utilisés, ou en sachant qu’ils seront utilisés, en vue de commettre un acte défini aux alinéas a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2. Les Parties ont des vues divergentes sur la portée et l’interprétation de ces actes sous-jacents.
La Cour rappelle qu’elle a conclu plus haut que les actes sous-jacents définis aux alinéas a) et b) du paragraphe 1 de l’article 2 n’étaient pas eux-mêmes des infractions relevant du champ d’application de la CIRFT et n’avaient de pertinence qu’en tant qu’éléments constitutifs de l’infraction de financement du terrorisme. De fait, pour que l’infraction de financement du terrorisme soit constituée, il n’est pas nécessaire que l’acte sous-jacent ait été commis. Aussi la Cour n’interprète-t-elle la portée des alinéas a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2 que dans la mesure nécessaire aux fins de ses conclusions relatives aux manquements allégués aux obligations s’imposant à la Fédération de Russie en matière de coopération à la prévention et la répression de l’infraction de financement du terrorisme.
La Cour note que les Parties conviennent que la catégorie des actes sous-jacents définie à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 l’est par renvoi aux traités énumérés en annexe de la CIRFT. S’agissant de la catégorie des actes sous-jacents définie à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 2, la Cour note qu’il ne suffit pas que des civils aient été délibérément tués ou grièvement blessés. Il est aussi essentiel de démontrer que l’acte commis, « par sa nature ou son contexte, … vis[ait] à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».
d) Preuve de la commission d’actes sous-jacents visés aux alinéas a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT (par. 70-76)
La question qu’il échet à la Cour d’examiner est celle de savoir si la défenderesse a manqué aux obligations que lui impose cet instrument d’oeuvrer et de coopérer à la prévention et à la répression du financement du terrorisme, y compris en prenant des mesures pour geler les comptes de commanditaires présumés, collaborant à toute enquête relative aux auteurs présumés de telles infractions, engageant des poursuites pénales ou prenant toutes autres mesures possibles pour prévenir le financement du terrorisme. Afin d’y répondre, la Cour doit interpréter et appliquer un ensemble d’obligations invoquées par l’Ukraine, qui sont énoncées aux articles 8, 9, 10, 12 et 18 de la CIRFT. Si la Cour n’examine les allégations d’infractions de financement de terrorisme que dans la mesure nécessaire pour pouvoir se prononcer sur les demandes de l’Ukraine, son interprétation et son analyse des obligations incombant aux Parties en vertu des articles 8, 9, 10, 12 et 18 de la CIRFT sont guidées par son interprétation des articles premier et 2 de celle-ci, et en particulier son interprétation du terme « fonds », tel que défini à l’article premier. Il est par conséquent inutile que la Cour examine des actes sous-jacents allégués dont la commission ne résulte que de la fourniture d’armes ou d’autres moyens de commettre lesdits actes.
La Cour rappelle en outre que l’infraction de financement du terrorisme est à distinguer de la commission des actes sous-jacents. Pour se prononcer sur un éventuel manquement de la Fédération de Russie aux obligations invoquées par l’Ukraine, point n’est besoin pour elle de déterminer d’abord si les faits particuliers mis en avant par la demanderesse constituent des actes sous-jacents.
Enfin, la Cour note qu’elle ne dispose pas des éléments de preuve suffisants pour conclure que l’un quelconque des groupes armés qui sont, selon l’Ukraine, impliqués dans la commission des actes sous-jacents allégués, commet notoirement de tels actes. Dans ces circonstances, il ne peut être inféré du caractère du groupe bénéficiaire des fonds que le commanditaire savait que ceux-ci seraient utilisés en vue de commettre un acte sous-jacent visé à l’article 2 de la CIRFT. Pour établir l’élément
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de connaissance, il doit être démontré que le commanditaire présumé savait, au moment de la collecte ou de la fourniture alléguées des fonds, que ceux-ci seraient utilisés pour commettre des actes sous-jacents.
3. Questions de preuve (par. 77-85)
Abordant les questions de preuve, la Cour relève qu’il est constant que, en règle générale, il appartient à la partie qui allègue un fait au soutien de ses prétentions de faire la preuve de l’existence de ce fait. La Cour rappelle qu’il lui est arrivé de permettre qu’il soit recouru plus largement aux présomptions de fait, aux indices ou aux preuves circonstancielles lorsqu’un État n’exerce pas de contrôle effectif sur le territoire où se trouvent des éléments de preuve. Cette pratique peut être pertinente dans le cas de certaines des allégations formulées en l’espèce concernant des faits qui se sont produits dans des zones sur lesquelles l’Ukraine n’exerce pas de contrôle effectif.
La Cour rappelle en outre que le critère d’établissement de la preuve peut varier d’un cas à l’autre en fonction, notamment, de la gravité de l’allégation. À cet égard, elle a observé que les accusations d’une exceptionnelle gravité telles que celle de génocide doivent être prouvées avec un degré élevé de certitude. Dans d’autres affaires ne faisant pas intervenir des allégations d’une telle gravité, la Cour a toutefois appliqué un critère d’établissement de la preuve moins rigoureux.
Les griefs de l’Ukraine concernent les manquements allégués de la Fédération de Russie à des obligations découlant des articles 8, 9, 10, 12 et 18 de la CIRFT. Ces obligations ont trait à l’adoption de mesures spécifiques et à l’exercice d’une coopération en vue de prévenir et de réprimer le financement du terrorisme. Selon la Cour, ces griefs, s’ils sont assurément loin d’être anodins, ne revêtent toutefois pas le même degré de gravité que des allégations de génocide, et ne requièrent pas l’application d’un critère d’établissement de la preuve plus rigoureux.
Ainsi, la Cour, pour se prononcer sur les griefs de l’Ukraine, en sus d’évaluer la pertinence et la valeur probante des éléments produits par celle-ci, recherche si ces éléments sont convaincants.
La Cour note également que chacune des dispositions de la CIRFT invoquées par la demanderesse impose aux États parties à cette convention une obligation distincte. Il lui faudra déterminer d’abord, dans chaque cas, le niveau de preuve d’un financement du terrorisme requis pour que naisse une obligation au titre de la disposition à l’examen. Ce niveau pourra varier en fonction du texte de ladite disposition et de la nature de l’obligation que celle-ci prescrit. Si elle conclut que, dans le cas de telle disposition de la CIRFT, l’obligation en cause s’imposait effectivement à la Fédération de Russie, la Cour devra ensuite rechercher si celle-ci y a manqué.
B. Manquements allégués à des obligations découlant de la CIRFT (par. 86-147)
1. Violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 8 (par. 86-98)
La Cour relève que l’ article 8 de la CIRFT impose aux États parties diverses obligations, dont celles d’identifier, de détecter, de geler ou de saisir les fonds utilisés ou destinés à être utilisés pour commettre les infractions visées à l’article 2. Elle commence par examiner le niveau de preuve requis pour que naisse une obligation au titre de l’article 8. De l’avis de la Cour, le seuil applicable, dans le cas de l’article 8 de la CIRFT, pourra varier en fonction de la portée et de la nature de l’obligation précisément considérée. Ainsi, pour l’obligation d’identifier et de détecter les fonds destinés à être utilisés à des fins de financement de terrorisme, le niveau d’exigence en matière de preuve sera moindre que lorsqu’il s’agira de l’obligation de geler des fonds. De même, la décision de geler des fonds pourra nécessiter l’application d’un niveau de preuve différent de celui requis dans le cas de la décision, plus grave, d’en saisir. L’Ukraine n’a pas désigné de fonds ou de comptes spécifiques que
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la Fédération de Russie aurait manqué d’identifier ou de détecter. La Cour note que le grief de l’Ukraine porte principalement sur le manquement allégué de la Fédération de Russie à son obligation de geler certains fonds appartenant à des individus et organisations qui seraient impliqués dans des activités de financement du terrorisme. Il est par conséquent nécessaire de déterminer le niveau de preuve au-delà duquel un État partie à la CIRFT sera tenu de geler des fonds dont il est allégué qu’ils sont utilisés ou destinés à être utilisés à des fins de financement du terrorisme.
La Cour estime que le gel de fonds est une mesure de prévention qui ne requiert pas que soit établie la matérialité de l’infraction de financement du terrorisme visée à l’article 2 de la CIRFT. Cela étant, elle a conscience qu’il s’agit d’une mesure lourde de conséquences qui peut limiter considérablement la capacité d’une personne à user et à disposer de fonds qui lui appartiennent. Compte tenu de ce qui précède, la Cour est d’avis que l’obligation de geler des fonds au titre de l’article 8 ne devient applicable que lorsque l’État partie concerné a des motifs raisonnables de soupçonner que ces fonds sont destinés à être utilisés à des fins de financement du terrorisme.
La Cour observe que ce critère des motifs raisonnables de soupçonner correspond à celui que préconise le Groupe d’action financière dans ses recommandations spéciales en matière de lutte contre le financement du terrorisme. Le Groupe d’action financière est un organisme intergouvernemental qui lutte, entre autres, contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, notamment en formulant des recommandations destinées à aider les États à mettre en oeuvre et se conformer aux obligations qui leur incombent en vertu des instruments internationaux applicables, tels que la CIRFT. La Cour fait également observer que l’application de l’article 8 suppose, aux termes de celui-ci, que « [c]haque État Partie adopte, conformément aux principes de son droit interne, les mesures nécessaires ». À cet égard, il est utile de relever que le droit interne russe prévoit le gel de biens lorsqu’il existe « des motifs suffisants de soupçonner » que ces biens servent à financer le terrorisme. La Cour considère que le critère ainsi appliqué dans le droit interne russe est analogue à celui des « motifs raisonnables de soupçonner ».
La Cour cherche ensuite à déterminer si les informations dont disposait la défenderesse étaient suffisantes pour placer celle-ci dans l’obligation d’ordonner le gel de fonds particuliers. Pour que les obligations prévues à l’article 8 trouvent à s’appliquer, il n’est pas, aux termes dudit article, indispensable qu’un État partie ait reçu de telles informations d’un autre État partie. Par conséquent, un État partie peut être tenu de prendre des mesures au titre de cet article indépendamment du moyen par lequel il aura pris connaissance de ce que des fonds donnés sont utilisés ou destinés à être utilisés pour commettre des infractions visées à l’article 2 de la CIRFT. En l’espèce, les arguments de l’Ukraine se rapportent essentiellement aux informations que celle-ci a communiquées à la Fédération de Russie quant à l’utilisation alléguée de certains fonds et comptes bancaires à cet effet. La Cour concentre donc son examen sur ces communications.
Ayant examiné les allégations et les éléments de preuve, la Cour conclut que ces derniers n’étaient pas suffisamment précis et détaillés pour donner à la Fédération de Russie des motifs raisonnables de soupçonner que les comptes, cartes bancaires et autres instruments financiers qui y sont énumérés étaient utilisés ou destinés à être utilisés pour commettre les infractions visées à l’article 2 de la CIRFT. En particulier, les documents n’offrent que des descriptions vagues et très générales des actes qui auraient été commis par des membres de la RPD et de la RPL et dont il a été allégué qu’ils présentaient les caractéristiques requises pour constituer des actes sous-jacents au regard des alinéas a) ou b) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIRFT. Par conséquent, les éléments de preuve ne démontrent pas que les commanditaires présumés « sa[vaie]nt » que les fonds qu’ils fournissaient seraient utilisés pour commettre des actes constitutifs d’actes sous-jacents. L’Ukraine n’a pas non plus établi que la Fédération de Russie aurait dû avoir connaissance de ces informations grâce à une autre source. En l’absence d’éléments de preuve convaincants, la Fédération de Russie n’avait pas de motifs raisonnables de soupçonner que les fonds en question seraient utilisés à des fins de financement du terrorisme et, partant, elle n’était pas dans l’obligation de les geler.
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Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 8 de la CIRFT. En conséquence, la demande soumise par l’Ukraine sur le fondement de l’article 8 ne peut être accueillie.
2. Violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 9 (par. 99-111)
L’article 9 de la CIRFT concerne l’obligation qu’a un État partie d’enquêter sur les allégations de commission d’infractions de financement du terrorisme dont les auteurs présumés se trouveraient sur son territoire.
La Cour commence de nouveau par examiner le niveau de preuve requis pour que naisse l’obligation d’enquêter sur des faits allégués susceptibles de constituer une infraction de financement du terrorisme. Le seuil fixé en la matière par le paragraphe 1 de l’article 9 est relativement peu élevé. S’agissant de l’obligation d’enquêter, ledit paragraphe exige seulement qu’un État partie soit informé que l’auteur ou l’auteur « présumé » d’une infraction de financement du terrorisme pourrait se trouver sur son territoire. Lorsque les informations communiquées font seulement état de « présomptions » relatives à la commission d’une infraction visée à l’article 2, il n’est pas nécessaire que celle-ci soit avérée. C’est en effet précisément le but de l’enquête que de mettre au jour les faits indispensables pour déterminer si une infraction pénale a été commise. Tous les détails relatifs à l’infraction peuvent ne pas encore être connus et les faits portés à la connaissance de l’État partie peuvent donc être de nature générale. Qui plus est, aux fins de l’obligation d’enquêter, l’article 9 n’exige pas qu’un État partie reçoive des informations d’un autre État partie. Toute information crédible provenant d’une autre source peut faire naître une telle obligation.
Cela étant, la Cour considère que l’article 9 n’impose pas l’ouverture d’une enquête dans le cas d’allégations de financement du terrorisme que rien ne viendrait étayer. Exiger des États parties qu’ils entament des enquêtes dans de telles circonstances ne serait pas conforme à l’objet et au but de la CIRFT.
Si un État partie a reçu suffisamment d’informations indiquant qu’une infraction de financement du terrorisme aurait été commise par une personne se trouvant sur son territoire, il a l’obligation d’enquêter sérieusement sur les faits allégués dans le respect des lois et procédures auxquelles il a pour pratique de se conformer lorsque des informations sur la perpétration d’un crime grave sont portées à sa connaissance. Lorsqu’il s’acquitte de cette obligation, il doit en outre s’efforcer de coopérer avec tous autres États parties intéressés et leur communiquer rapidement les résultats de son enquête (voir le paragraphe 6 de l’article 9 de la CIRFT). Cette obligation de coopérer aux fins d’enquêtes sur des infractions de financement de terrorisme découle aussi de l’objet et du but de la CIRFT, laquelle vise, ainsi qu’énoncé en son préambule, à « renforcer la coopération internationale entre les États » en matière de prévention et de répression du financement du terrorisme.
La Cour examine ensuite si la Fédération de Russie a reçu des informations suffisantes pour mettre à sa charge une obligation d’enquêter sur des allégations d’infractions visées par l’article 2 de la CIRFT. L’Ukraine a évoqué plusieurs notes verbales adressées au ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie par son propre ministère des affaires étrangères, contenant selon elle des allégations crédibles de financement du terrorisme par des personnes se trouvant sur le territoire de la Fédération de Russie. La Cour s’intéresse à trois d’entre elles. Elle observe que les autres notes verbales versées au dossier ne portent que sur la fourniture alléguée de moyens de commettre des actes sous-jacents, dont celle d’armes, de munitions ou d’équipements militaires. Les faits qui y sont allégués n’entrent donc pas dans le champ d’application de l’article 2 de la CIRFT.
De l’avis de la Cour, trois notes verbales contenaient des allégations suffisamment détaillées pour placer la Fédération de Russie dans l’obligation d’enquêter sur les faits qui y étaient rapportés.
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Les informations reçues comprenaient un résumé des types de comportement que l’Ukraine imputait à des membres de groupes armés associés à la RPD et à la RPL et jugeait constitutifs d’actes sous-jacents relevant de la CIRFT, les noms de plusieurs individus soupçonnés de financement du terrorisme et des renseignements sur les comptes utilisés et les types de biens achetés avec les fonds transférés. La Cour considère que ces informations satisfaisaient au niveau d’exigence relativement peu élevé que fixe l’article 9 et imposaient donc à la défenderesse d’enquêter.
Compte tenu de la conclusion qui précède, la Cour doit ensuite déterminer si la Fédération de Russie s’est acquittée de son obligation d’enquêter sérieusement sur les faits allégués dans les notes verbales. Le ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie a d’abord répondu aux communications de l’Ukraine par une note verbale datée du 14 octobre 2014. Il y informait l’Ukraine de la « nécessité de fournir à la partie russe des éléments de preuve sur la substance des points évoqués » dans ses notes verbales. La Fédération de Russie n’a cependant donné aucun éclaircissement quant aux informations complémentaires qui étaient précisément requises.
Subséquemment, le 31 juillet 2015, comme suite aux informations reçues de l’Ukraine, le ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie a adressé à celle-ci une note verbale détaillant les mesures qui avaient été prises par les autorités russes compétentes. Y étaient notamment mentionnés les résultats des enquêtes menées sur deux des auteurs présumés d’infractions désignés par l’Ukraine. La Fédération de Russie concluait qu’aucun de ceux-ci n’était impliqué dans l’apport de soutien financier à la RPD et la RPL. Elle ne donnait toutefois aucune information claire au sujet des autres personnes mises en cause dont l’Ukraine avait affirmé dans ses communications qu’elles se trouvaient sur le territoire de la Fédération de Russie. Dans un cas, elle déclarait avoir donné les instructions nécessaires pour obtenir les données personnelles des intéressés et des informations sur leurs comptes bancaires. Dans plusieurs autres, elle affirmait qu’il « n’exist[ait] aucune trace de ces personnes en Fédération de Russie » ou qu’il n’avait pas été possible de déterminer où elles se trouvaient. Enfin, pour toute réaction aux informations figurant dans la note verbale de l’Ukraine en date du 29 août 2014, le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie s’est contenté d’indiquer que « les résultats des mesures opérationnelles d’investigation visant à identifier les personnes nommées [dans cette] note … [étaie]nt en cours d’examen ».
La Cour prend note du temps qui s’est écoulé avant que la Fédération de Russie ne communique les réponses susmentionnées aux notes verbales de l’Ukraine. À cet égard, elle observe que, dans son rapport d’évaluation mutuelle concernant les mesures prises par la Fédération de Russie pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, le Groupe d’action financière indique que la Fédération de Russie répond généralement aux demandes d’entraide judiciaire « dans un délai d’un à deux mois ». Il est donc remarquable que, près d’un an après avoir reçu les communications contenant les allégations de l’Ukraine, la Fédération de Russie n’ait apparemment pas même identifié plusieurs des auteurs présumés d’infractions de financement du terrorisme. Qui plus est, en cas de difficultés à déterminer où se trouvaient ou qui étaient certaines des personnes nommément désignées dans les communications de l’Ukraine, la défenderesse se devait de rechercher la coopération de cette dernière pour mener les enquêtes nécessaires et lui préciser quelles autres informations auraient pu être requises.
À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la Fédération de Russie a manqué aux obligations lui incombant au titre du paragraphe 1 de l’article 9 de la CIRFT.
3. Violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 10 (par. 112-120)
Le paragraphe 1 de l’article 10 exige des États parties à la CIRFT qu’ils poursuivent ou extradent les auteurs présumés d’infractions de financement du terrorisme au sens de l’article 2. La Cour constate que la demanderesse n’a pas porté à son attention la moindre demande d’extradition visant les auteurs présumés de telles infractions et que son argumentation semble par conséquent
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exclusivement axée sur une allégation de manquement par la Fédération de Russie à son obligation de poursuivre.
La Cour commence par relever que la formulation du paragraphe 1 de l’article 10 ressemble fort à celle employée dans de nombreuses autres conventions internationales et, en particulier, au paragraphe 1 de l’article 7 de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée le 10 décembre 1984 (ci-après la « convention contre la torture »).
De même que l’obligation de poursuivre ou d’extrader énoncée dans la convention contre la torture, les obligations visées au paragraphe 1 de l’article 10 de la CIRFT sont normalement mises en oeuvre après que l’État partie concerné s’est acquitté d’autres obligations que lui impose la CIRFT, notamment celle, énoncée à l’article 9, d’enquêter sur les faits allégués de financement du terrorisme. Ce n’est, généralement, qu’au terme d’une enquête qu’il peut être décidé de saisir de tels faits les autorités compétentes à des fins de poursuites. L’obligation aut dedere aut judicare figurant à l’article 10 de la CIRFT ne constitue pas une obligation absolue de poursuivre. Les autorités compétentes des États parties à la CIRFT conservent la responsabilité de déterminer s’il convient d’engager des poursuites en fonction des éléments de preuve disponibles et selon les règles de droit applicables, étant entendu qu’elles prennent leur décision dans les mêmes conditions que pour d’autres infractions graves en vertu du droit de ces États.
La Cour note que la décision de saisir les autorités compétentes à des fins de poursuites est une décision lourde de conséquences qui requiert, à tout le moins, qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une infraction a été commise. Elle rappelle qu’elle a conclu que les informations communiquées par l’Ukraine à la Fédération de Russie ne fournissaient pas de tels motifs de soupçonner que des infractions de financement du terrorisme au sens de l’article 2 de la CIRFT avaient été commises. Au vu de cette conclusion, la Cour ne considère pas que la Fédération de Russie était dans l’obligation, au titre de l’article 10 de la CIRFT, de saisir dans tel ou tel cas précis les autorités compétentes à des fins de poursuites.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 10 de la CIRFT. En conséquence, la demande soumise par l’Ukraine sur le fondement de l’article 10 ne peut être accueillie.
4. Violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 12 (par. 121-131)
L’article 12 de la CIRFT exige des États parties qu’ils s’entraident dans leurs enquêtes portant sur le financement du terrorisme. Dans ses plaidoiries, la demanderesse a indiqué que, selon les données en sa possession, elle avait soumis 91 demandes d’entraide judiciaire à la Fédération de Russie entre 2014 et 2020, dont 29 seulement ont été exécutées. La défenderesse, pour sa part, fait valoir que, pendant la même période, les autorités russes ont en fait reçu de l’Ukraine 814 demandes d’entraide judiciaire, dont 777 ont été entièrement exécutées. La Cour n’est pas en mesure, au vu des éléments de preuve dont elle dispose, de vérifier les assertions de l’une ou l’autre des Parties. Elle ne peut se prononcer que sur les demandes d’entraide judiciaire qui lui ont été communiquées, soit les 12 demandes présentées entre septembre 2014 et novembre 2017.
La Cour commence par rechercher si les éléments de preuve démontrent que la Fédération de Russie a manqué de se conformer aux obligations lui incombant en vertu de l’article 12 en ce qui concerne ces 12 demandes d’entraide judiciaire. À cette fin, elle doit déterminer si celles-ci entrent dans le champ d’application de l’article en question. À cet égard, elle constate que les États disposent d’une latitude non négligeable en matière de mise en oeuvre de la CIRFT dans leur droit interne. Pour relever de l’article 12, il suffit qu’une enquête ait pour objet des infractions visées à l’article 2 de cet instrument. La Cour ne considère donc pas que la CIRFT elle-même doive être spécifiquement
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mentionnée dans une demande d’entraide judiciaire pour que l’obligation prévue par l’article 12 devienne applicable.
Trois seulement des 12 demandes d’entraide judiciaire communiquées par l’Ukraine concernaient des enquêtes menées sur l’apport de fonds à des personnes ou organisations qui se seraient livrées à la commission d’actes sous-jacents. Il s’agit des demandes que l’Ukraine a adressées aux autorités compétentes russes les 11 novembre 2014, 3 décembre 2014 et 28 juillet 2015, alléguant dans chaque cas que des citoyens de la Fédération de Russie étaient impliqués dans la collecte de fonds au profit de la RPD ou de la RPL. Les neuf autres demandes d’entraide judiciaire portaient sur des allégations qui concernaient soit la commission d’actes susceptibles de constituer des actes sous-jacents, soit la fourniture de moyens  armes, munitions et équipements militaires notamment  de commettre de tels actes. Conformément à l’interprétation que la Cour a faite de l’article premier de la CIRFT, de tels comportements n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 2 et, partant, les demandes contenant pareilles allégations ne peuvent donner lieu à un manquement par la Fédération de Russie aux obligations que lui impose l’article 12. La Cour limite donc son analyse à la question de savoir si la défenderesse a honoré les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 12 s’agissant des trois demandes d’entraide judiciaire susmentionnées.
La Cour observe que, selon le paragraphe 5 de l’article 12, les États parties concernés doivent s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu du paragraphe 1 de ce même article en conformité avec les autres traités d’entraide judiciaire en vigueur entre eux. Les traités applicables en la présente espèce sont notamment la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale adoptée le 20 avril 1959 et la convention relative à l’entraide judiciaire et aux relations judiciaires en matière civile, familiale et pénale adoptée le 22 janvier 1993.
Les demandes d’entraide judiciaire en date des 11 novembre et 3 décembre 2014 comprenaient toutes deux des allégations indiquant que des membres de la Douma d’État russe collectaient des fonds destinés à la RPL et avaient diffusé des déclarations publiques en ligne à cette fin. La demande en date du 28 juillet 2015 faisait état de l’implication du chef d’état-major des forces armées russes dans le financement de « groupes armés extrajudiciaires » actifs en Ukraine orientale ainsi que dans la création de la RPD et de la RPL. Aucune de ces trois demandes ne contenait toutefois de description détaillée des actes sous-jacents qu’auraient commis les bénéficiaires des fonds fournis, ni d’éléments indiquant que les commanditaires présumés savaient que ces fonds seraient utilisés pour commettre de tels actes. En conséquence, la Cour estime que les demandes d’entraide judiciaire mentionnées par l’Ukraine n’ont pas mis à la charge de la Fédération de Russie une obligation d’accorder à la demanderesse, au titre de l’article 12 de la CIRFT, « l’entraide judiciaire la plus large possible » pour les enquêtes pénales en question. Compte tenu de ce qui précède, la Cour n’est pas tenue de déterminer si le rejet par la Fédération de Russie de ces demandes d’entraide judiciaire était fondé sur les motifs légitimes prévus à cet égard par les traités d’entraide judiciaire en vigueur entre les Parties.
Pour les raisons mentionnées ci-dessus, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 12 de la CIRFT. En conséquence, la demande soumise par l’Ukraine sur le fondement de l’article 12 de la CIRFT ne peut être accueillie.
5. Violation alléguée du paragraphe 1 de l’article 18 (par. 132-146)
La Cour commence par examiner la portée de l’obligation imposée par le paragraphe 1 de l’article 18. Aux termes de cette disposition, les États parties sont tenus de
« coop[érer] pour prévenir les infractions visées à l’article 2 en prenant toutes les mesures possibles, notamment en adaptant si nécessaire leur législation interne, afin
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d'empêcher et de contrecarrer la préparation sur leurs territoires respectifs d’infractions devant être commises à l’intérieur ou à l’extérieur de ceux-ci ».
La Cour fait observer que le paragraphe 1 de l’article 18 a pour objet de favoriser la coopération en vue de prévenir les infractions visées à l’article 2, et non de prévenir directement la commission de ces infractions. En conséquence, elle estime qu’il n’est pas nécessaire de constater que l’infraction de financement du terrorisme a été commise pour conclure au manquement par un État partie aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de l’article 18 de la CIRFT
La Cour examine ensuite les types de mesures visées au paragraphe 1 de l’article 18. Elle considère que le sens ordinaire des mots « toutes les mesures possibles » vient à l’appui d’une interprétation de la disposition plus large que celle que propose la défenderesse. Cette disposition, de par ses termes, recouvre toutes les mesures raisonnables et réalisables qu’un État peut prendre pour empêcher la commission d’infractions de financement du terrorisme au sens de l’article 2 de la CIRFT. Il peut s’agir notamment, mais pas seulement, de l’adoption d’un cadre réglementaire permettant de surveiller et d’empêcher les transactions avec des organisations terroristes.
La Cour constate que le paragraphe 1 de l’article 18 mentionne expressément la nécessité pour les États parties à la CIRFT d’« adapt[er] … leur législation interne ». Cette référence à des mesures législatives est cependant précédée de l’adverbe « notamment », ce qui montre que son inclusion visait uniquement à illustrer le type de mesures que les États sont tenus de prendre, et non à définir précisément l’étendue des obligations imposées par l’article 18. La Cour relève également que ce dernier est le seul article de la CIRFT qui mentionne expressément la « prévention » des infractions de financement du terrorisme. Ce contexte tend à indiquer qu’il faut éviter de donner des mots « toutes les mesures possibles » une interprétation trop restrictive. Par conséquent, la Cour considère que le paragraphe 1 de l’article 18 vise un éventail de mesures qu’il est possible de prendre pour prévenir le financement du terrorisme, comprenant, mais sans s’y limiter, des mesures législatives et réglementaires.
La Cour en vient ensuite à la thèse de l’Ukraine voulant que la Fédération de Russie ait failli aux obligations lui incombant en vertu du paragraphe 1 de l’article 18.
La Cour rappelle que, dans son arrêt de 2019, elle a conclu que « les États parties à la CIRFT [étaie]nt tenus de prendre les mesures nécessaires et de coopérer pour prévenir et réprimer les infractions de financement d’actes de terrorisme commises par quelque personne que ce soit » (C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 585, par. 61). Cette obligation inclut l’adoption de mesures aux fins de la prévention du financement du terrorisme par des représentants de l’État. Cependant, la Cour rappelle qu’elle a aussi conclu que « [l]e financement par un État d’actes de terrorisme n’[étai]t pas visé par la CIRFT » et par conséquent « n’entr[ait] pas dans le champ d’application de cet instrument » (ibid., p. 585, par. 59). Or, en substance, l’Ukraine demande à la Cour de conclure que la Fédération de Russie a manqué aux obligations que lui impose la CIRFT à raison non pas de mesures prises par certains de ses représentants à titre personnel, mais d’une politique qui aurait consisté à financer des groupes armés dans l’est de l’Ukraine. Cette demande n’entre pas dans le champ d’application de l’article 18 de la CIRFT et, en conséquence, elle ne peut être accueillie.
En ce qui concerne l’absence d’enquête sur le financement du terrorisme reprochée à la Fédération de Russie, elle considère que ce grief ne relève pas du champ d’application de l’article 18 mais se rapporte à la violation des articles 9, 10 et 12 alléguée par l’Ukraine, dont elle a déjà traité. Quant au grief que l’Ukraine fait à la Fédération de Russie de n’avoir pris aucune mesure pour mener des enquêtes sur des acteurs privés qui finançaient ouvertement le terrorisme, la Cour considère que l’Ukraine n’en a pas établi le bien-fondé. L’Ukraine n’a pas davantage précisé quelles mesures la Fédération de Russie aurait manqué de prendre pour prévenir la commission d’infractions de financement du terrorisme. En conséquence, rien ne permet à la Cour de conclure à une violation de l’article 18 en ce qui a trait au manquement allégué de la Fédération de Russie à son obligation d’enquêter et de prévenir le financement du terrorisme par des personnes privées.
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S’agissant de la question de la surveillance de la frontière entre les Parties, la Cour observe que les éléments de preuve produits par l’Ukraine au sujet de l’aide continue qui aurait été apportée à travers la frontière à des groupes armés actifs sur son territoire se limitent à des allégations relatives à la fourniture d’armes et de munitions. La Cour rappelle qu’elle a conclu que la fourniture d’armes et de munitions en tant que moyens de commettre des actes sous-jacents n’entrait pas dans le champ d’application ratione materiae de la CIRFT. Dans ces circonstances, elle ne considère pas qu’il ait été prouvé de manière convaincante que la Fédération de Russie aurait manqué à son obligation de prendre les mesures requises pour empêcher les mouvements, vers le territoire ukrainien, de « fonds » destinés à financer le terrorisme.
Enfin, la Cour se demande si la Fédération de Russie a manqué aux obligations que lui impose l’article 18 en s’abstenant de surveiller et de démanteler certains réseaux de collecte de fonds opérant sur son territoire, ainsi qu’en refusant de reconnaître le caractère extrémiste ou terroriste de la RPD et la RPL. S’agissant du premier volet de cet argument, la Cour rappelle qu’elle a conclu que la Fédération de Russie n’avait pas de motifs raisonnables de soupçonner que les fonds en question seraient utilisés à des fins de financement du terrorisme et, partant, qu’elle n’était pas dans l’obligation de geler ces fonds. En l’absence de soupçon raisonnable en ce sens, la Fédération de Russie n’était pas non plus tenue, au titre de l’article 18, d’empêcher tout financement destiné à la RPD et à la RPL. Pour ce qui est du second volet de l’argument, qui porte sur la décision de la Fédération de Russie de ne pas faire figurer la RPD et la RPL sur sa liste de groupes extrémistes ou terroristes notoires, la Cour observe que, dans les circonstances de l’espèce, la Fédération de Russie n’était pas tenue, à titre préventif, de désigner tel ou tel groupe comme une entité terroriste dans son droit interne.
À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 18 de la CIRFT. En conséquence, la demande soumise par l’Ukraine sur le fondement de l’article 18 ne peut être accueillie.
6. Conclusions générales sur les manquements allégués à des obligations découlant de la CIRFT (par. 147)
Au vu de toutes les considérations et constatations qui précèdent, la Cour conclut que la Fédération de Russie a manqué à ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 9 de la CIRFT.
C. Remèdes (par. 148-150)
La Cour rappelle que, s’agissant des demandes formulées sur le fondement de la CIRFT, l’Ukraine souhaite obtenir, outre un jugement déclaratoire, la cessation des violations persistantes qu’elle impute à la Fédération de Russie, des garanties et des assurances de non-répétition, ainsi qu’une indemnisation et des dommages-intérêts à raison du préjudice matériel et moral subi.
La Cour déclare, par le présent arrêt, que la Fédération de Russie a manqué aux obligations que lui impose le paragraphe 1 de l’article 9 de la CIRFT et qu’elle continue d’être tenue, en vertu de cette disposition, d’enquêter sur les allégations d’actes de financement du terrorisme dans l’est de l’Ukraine dès lors que ces allégations sont suffisamment étayées.
La Cour n’estime pas qu’il soit nécessaire ou approprié d’adjuger l’un quelconque des autres remèdes demandés par l’Ukraine.
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III. LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE (PAR. 151-374)
Ayant traité des demandes formulées par l’Ukraine sur le fondement la CIRFT, la Cour en vient ensuite à celles que cet État a présentées au titre de la CIEDR. La Cour rappelle que l’Ukraine et la Fédération de Russie sont toutes deux parties à la CIEDR.
A. Questions préliminaires concernant la CIEDR (par. 152-200)
Avant de traiter des griefs avancés par l’Ukraine sur le fondement de la CIEDR, la Cour examine certaines questions préliminaires pertinentes pour trancher cet aspect du différend.
1. Invocation de la doctrine des « mains propres » relativement à la CIEDR (par. 153-155)
La Fédération de Russie avance que la doctrine des « mains propres » empêche l’Ukraine d’invoquer la CIEDR.
Comme il a été indiqué plus tôt, la Cour ne considère pas que la doctrine des « mains propres » soit applicable lorsque, dans un différend interétatique, la compétence de la Cour est établie et la requête est recevable. En conséquence, elle ne peut faire droit au moyen de défense que la Fédération de Russie entend tirer de la doctrine des « mains propres » en ce qui concerne les demandes que l’Ukraine a formulées sur le fondement de la CIEDR.
2. Nature et étendue des violations alléguées (par. 156-161)
Les Parties sont en désaccord sur la nature et l’étendue des violations alléguées que doit examiner la Cour en l’espèce. La Cour considère que ce désaccord qui oppose les Parties quant à la nature et à la portée des violations alléguées soumises à son examen est plus apparent que réel. Toutes deux conviennent que l’arrêt de 2019 est décisoire. La Cour y a rejeté l’exception préliminaire d’irrecevabilité de la demande de l’Ukraine soulevée par la Fédération de Russie sur le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes. Elle a dit que cette règle ne s’appliquait pas à la demande soumise par l’Ukraine pour le motif que
« l’Ukraine n[e prenait] pas fait et cause pour un ou plusieurs de ses ressortissants, mais reproch[ait] à la Fédération de Russie, sur le fondement de la CIEDR, le comportement systématique que celle-ci aurait adopté s’agissant du traitement réservé aux communautés ukrainienne et tatare de Crimée » (C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 606, par. 130).
En même temps, la Cour a relevé que « si l’Ukraine [avait] cit[é] des cas individuels dans ses exposés, c’[étai]t à titre d’exemples des actes par lesquels la Fédération de Russie aurait mené une campagne de discrimination raciale » (C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 606, par. 130).
Par conséquent, la Cour n’est pas appelée à se prononcer, dans le dispositif du présent arrêt, sur la question de savoir s’il y a eu des manquements à des obligations découlant de la CIEDR dans des cas particuliers, ce qui ne l’empêche pas d’examiner, « à titre d’exemples », tous « actes par lesquels la Fédération de Russie aurait mené une campagne de discrimination raciale ». À cet égard, elle relève que l’expression « campagne de discrimination raciale » est employée par l’Ukraine pour caractériser la « ligne de conduite générale » de la Fédération de Russie. Dans son arrêt de 2019, la Cour a jugé recevable la demande de l’Ukraine tendant à faire constater l’existence d’une « ligne de conduite » de la Fédération de Russie relevant de la discrimination raciale. Cela peut concerner chacune des catégories de violations alléguées par l’Ukraine. Pour pouvoir conclure à l’existence d’une pratique généralisée de discrimination raciale, la Cour doit avoir constaté, d’abord, qu’un
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nombre considérable d’actes individuels de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR ont eu lieu et, ensuite, que ceux-ci constituent collectivement une pratique généralisée de discrimination raciale.
3. Questions de preuve (par. 162-178)
Ayant défini la nature et la portée des violations alléguées soumises à son examen en l’espèce, la Cour relève que les Parties sont en désaccord sur un certain nombre de faits. Elle remarque que leurs divergences concernent moins l’existence de certaines situations factuelles que d’éventuelles inférences à en tirer pour prouver la commission d’actes de discrimination raciale et l’existence d’une « pratique généralisée » de discrimination raciale.
La Cour observe que les Parties s’opposent sur diverses questions de preuve. Elle traite donc la question du critère d’établissement de la preuve et des modes de preuve, ainsi que celle du poids à accorder à certains types de preuve, avant de procéder à l’application des règles de droit international pertinentes.
a) Charge et critère d’établissement de la preuve (par. 164-171)
La Cour rappelle le principe général suivant lequel c’est à la partie qui allègue un fait qu’il appartient d’en démontrer l’existence. En conséquence, c’est à l’Ukraine qu’il incombe de démontrer l’existence des faits qu’elle invoque à l’appui de ses demandes.
Si la charge de la preuve pèse, en principe, sur la partie qui allègue un fait, cela ne relève pas pour autant l’autre partie de son devoir de coopérer en produisant tout élément de preuve en sa possession susceptible d’aider la Cour à régler le différend dont elle est saisie. La Cour a également reconnu qu’un État qui n’est pas en mesure d’apporter la preuve directe de certains faits doit pouvoir recourir plus largement aux présomptions de fait, aux indices ou preuves circonstancielles (circumstantial evidence). Gardant à l’esprit certaines des obligations en cause et les circonstances de la présente espèce, notamment l’impossibilité pour l’Ukraine d’avoir accès à la Crimée, la Cour considère que la charge de la preuve varie en fonction de la nature des faits qu’il est nécessaire d’établir.
La Cour observe que les Parties sont en désaccord sur le critère de la preuve à l’aune duquel sera établie l’existence d’une « pratique généralisée » de discrimination raciale. Elle rappelle que le critère applicable peut varier d’un cas à l’autre en fonction, notamment, de la gravité de l’allégation. S’agissant d’allégations de violations massives des droits de l’homme, la Cour a dans le passé exigé des éléments de preuve « convaincants ». En l’espèce, elle vérifie s’il existe des éléments de preuve convaincants lorsqu’elle examine les griefs avancés par l’Ukraine sur le fondement de la CIEDR.
La Cour recherche donc s’il existe des éléments convaincants permettant d’établir que des actes individuels de discrimination raciale ont eu lieu et, dans l’affirmative si, pris ensemble, ceux-ci constituent une « pratique généralisée » de discrimination raciale.
b) Modes de preuve (par. 172-178)
Pour se prononcer sur les allégations de l’Ukraine, la Cour doit évaluer la pertinence et la valeur probante des éléments produits par chacune des Parties à l’appui de sa version des faits relativement aux différentes demandes. Elle rappelle qu’elle a appliqué divers critères pour apprécier les éléments de preuve. La Cour considère que la discrimination raciale peut être prouvée au moyen de données statistiques fiables et significatives ou par tout autre mode de preuve fiable.
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S’agissant du poids à accorder à certains types de preuves, la Cour rappelle qu’elle traitera avec prudence les éléments de preuve spécialement établis aux fins de l’affaire ainsi que ceux provenant d’une source unique. Elle leur préférera des informations fournies à l’époque des événements par des personnes ayant eu de ceux-ci une connaissance directe. Elle prêtera une attention toute particulière aux éléments de preuve dignes de foi attestant de faits ou de comportements défavorables à l’État que représente celui dont émanent lesdits éléments. La Cour accordera également du poids à des éléments de preuve dont l’exactitude n’a pas, même avant le présent différend, été contestée par des sources impartiales.
La Cour a également déjà dit que la valeur probante des rapports émanant d’organes officiels ou indépendants.
« dépend[ait], entre autres, 1) de la source de l’élément de preuve (par exemple, la source étai[t]-elle partiale ou neutre ?), 2) de la manière dont il a[vait] été obtenu (par exemple, étai[t]-il tiré d’un rapport de presse anonyme ou résult[ait]-il d’une procédure judiciaire ou quasi judiciaire minutieuse ?) et 3) de sa nature ou de son caractère (s’agi[ssai]t-il de déclarations contraires aux intérêts de leurs auteurs, de faits admis ou incontestés ?) » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 76, par. 190 ; voir aussi Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 56, par. 122).
La Cour examine au cas par cas, à l’aune de ces critères, la valeur probante de tels rapports.
En ce qui concerne les déclarations de témoins, la Cour rappelle que « les dépositions … recueillies de nombreuses années après les événements en cause, en particulier lorsqu’elles ne sont pas étayées par d’autres éléments d’information, doivent être traitées avec prudence » (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 63, par. 147).
De plus, elle a fait observer que « ce qui, dans les témoignages reçus, ne correspondait pas à l’énoncé de faits, mais à de simples opinions sur le caractère vraisemblable ou non de l’existence de ces faits, dont le témoin n’avait aucune connaissance directe, … ne saurai[]t tenir lieu de preuves » (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 42, par. 68).
Aux fins de la détermination de la valeur probante des éléments de preuve fournis par une partie, la Cour traite également avec prudence les dépositions de témoins qui ne sont pas désintéressés quant à l’issue de l’affaire, surtout lorsqu’elles ne sont pas étayées par d’autres éléments d’information. Elle tiendra compte de ces considérations au moment de déterminer la valeur probante à accorder à toute déposition.
Enfin, la Cour a déjà dit qu’elle considérait certains éléments, tels que les articles de presse et extraits de monographies, non pas comme la preuve des faits, mais comme des éléments qui peuvent contribuer, dans certaines conditions, à corroborer leur existence, c’est-à-dire à titre d’indices venant s’ajouter à d’autres moyens de preuve, notamment lorsqu’ils sont d’une cohérence et d’une concordance totales en ce qui concerne les principaux faits et circonstances de l’affaire. Elle ne voit aucune raison de déroger à cette position au moment d’apprécier la valeur probante de pareils éléments.
4. Paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR (par. 179-197)
Les Parties sont en désaccord sur la signification de l’expression « discrimination raciale » qui figure au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, ainsi que sur la question de savoir si un
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quelconque comportement de la Fédération de Russie est constitutif de discrimination raciale au sens de cette disposition. La Cour commence par interpréter l’expression « discrimination raciale » telle qu’employée au paragraphe 1 de l’article premier de la convention, dans la mesure nécessaire pour décider si la Fédération de Russie a manqué aux obligations substantielles ou procédurales que lui impose la CIEDR.
La Cour relève que le paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR énonce que
« l’expression “discrimination raciale” vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique ».
La convention interdit la discrimination raciale sous toutes les formes et manifestations mentionnées dans cette définition. En conséquence, toute différence de traitement qui est « fondée sur » l’un des motifs prohibés  la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique  est discriminatoire au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la convention, dès lors qu’une atteinte à la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales découle de son but ou de son effet.
Toute mesure visant à opérer une différence de traitement fondée sur un motif prohibé au paragraphe 1 de l’article premier est constitutive de discrimination raciale au sens de la convention. Une mesure dont le but déclaré est sans rapport avec les motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier n’est pas, en soi, constitutive de discrimination raciale du seul fait qu’elle est appliquée à un groupe ou à une personne de telle ou telle race, couleur, ascendance ou origine nationale ou ethnique. Cependant, une discrimination raciale peut découler d’une mesure d’apparence neutre mais dont les effets montrent qu’elle est « fondée sur » un motif prohibé. Tel est le cas lorsqu’il est démontré de manière convaincante qu’une mesure, malgré son apparence neutre, produit un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits d’une personne ou d’un groupe distingué par la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, à moins que cet effet puisse s’expliquer par des considérations qui ne se rapportent pas aux motifs énumérés au paragraphe 1 de l’article premier. Les simples effets collatéraux ou secondaires sur des personnes distinguées sur le fondement d’un des motifs prohibés n’emportent pas en eux-mêmes discrimination raciale au sens de la convention.
5. Les Tatars de Crimée et les personnes d’origine ethnique ukrainienne en tant que groupes protégés (par. 198-200)
S’agissant de la question des groupes protégés par la CIEDR, la Cour rappelle que les Parties conviennent que les Tatars de Crimée et les personnes d’origine ethnique ukrainienne sont des groupes ethniques protégés au titre de cette convention. Elle ne voit aucune raison de remettre en question cette qualification. Elle rappelle dans ce contexte que la définition de la discrimination raciale figurant dans la convention inclut l’origine nationale ou ethnique et que ces références à l’origine désignent, respectivement, le rattachement de la personne à un groupe national ou ethnique à sa naissance, comme le font aussi les autres éléments de la définition de la discrimination raciale, à savoir la race, la couleur et l’ascendance. En conséquence, l’identité politique ou la position politique d’une personne ou d’un groupe ne sont pas des facteurs pertinents pour la détermination de son origine ethnique au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
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B. Violations alléguées des articles 2 et 4 à 7 de la CIEDR (par. 201-370)
Avant d’en venir aux violations alléguées des obligations découlant de la CIEDR, la Cour rappelle que, au titre de l’article 22 de cet instrument, sa compétence se limite aux demandes présentées par l’Ukraine sur le fondement de la convention. En la présente instance, elle n’a pas compétence pour se prononcer sur des manquements allégués à d’autres obligations imposées par le droit international, notamment celles qui découlent d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Cependant, le fait qu’une cour ou un tribunal n’ait pas compétence pour se prononcer sur des violations alléguées de ces obligations ne signifie pas que celles-ci n’existent pas. Ces dernières conservent leur validité et leur force juridique. Les États sont tenus de s’acquitter des obligations qui leur incombent au titre du droit international, et demeurent responsables des actes contraires au droit international qui leur sont attribuables.
1. Faits de disparition, de meurtre, d’enlèvement et de torture subis par des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne (par. 202-221)
La Cour en vient ensuite aux allégations spécifiques de manquements à des obligations prévues par la CIEDR, commençant par celles relatives aux faits de disparition, de meurtre, d’enlèvement et de torture subis par des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne. Elle recherche tout d’abord si les violences physiques alléguées par l’Ukraine sont constitutives d’épisodes de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la convention.
La Cour note que l’Ukraine s’appuie sur deux arguments principaux pour soutenir que les actes de violence physique allégués étaient motivés par l’origine ethnique des personnes ciblées. En premier lieu, l’Ukraine affirme que certaines victimes étaient des militants tatars de Crimée et d’origine ethnique ukrainienne bien connus et, en second lieu, elle invoque des rapports d’organisations internationales et non gouvernementales pour montrer que les violences physiques en Crimée visaient de manière disproportionnée les personnes d’origine ethnique ukrainienne ou tatare de Crimée.
S’agissant du premier argument de l’Ukraine, la Cour observe que les rapports du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (ci-après le « HCDH ») confirment que plusieurs des victimes étaient des militants pro-ukrainiens, ainsi que des membres et collaborateurs du Majlis. Les rapports d’organisations intergouvernementales et autres publications invoqués par l’Ukraine indiquent en outre que les victimes ont été ciblées en raison de leurs convictions politiques et idéologiques, en particulier leur opposition au référendum tenu en mars 2014 en Crimée et leur appui au Gouvernement ukrainien. La Cour rappelle que l’identité ou les positions politiques d’une personne ou d’un groupe ne sont pas des facteurs pertinents aux fins de la détermination de son origine ethnique au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. En conséquence, elle considère que les opinions politiques des victimes et le rôle politique important que celles-ci jouaient au sein de leurs communautés respectives ne prouvent pas, en soi, que ces personnes ont été prises pour cible en raison de leur origine ethnique.
S’agissant du second argument de l’Ukraine, la Cour fait observer que les preuves statistiques limitées que l’Ukraine a fournies proviennent principalement de rapports d’organisations intergouvernementales. Bien que la Cour accorde généralement un poids particulier aux rapports des organisations internationales spécifiquement chargées de surveiller la situation dans une région donnée, elle doit aussi tenir compte de l’absence d’accès à la Crimée de la mission de surveillance des droits de l’homme en Ukraine, dont les observations ont servi de base aux rapports en question.
Eu égard à ces considérations, la Cour observe que les rapports susmentionnés confirment que, dans la péninsule, des violences physiques ont été infligées non seulement à des Tatars de Crimée et
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à des personnes d’origine ethnique ukrainienne, mais également à des personnes originaires de Russie et d’Asie centrale.
La Cour reconnaît que l’absence d’accès à la Crimée empêche l’Ukraine de produire davantage d’éléments de preuves. Toutefois, même en admettant pour cette raison un recours plus large aux présomptions de fait, aux indices ou aux preuves circonstancielles, elle n’est pas convaincue, au vu des éléments qui lui ont été présentés, que des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne ont été victimes de violences physiques en raison de leur origine ethnique. En réalité, un quelconque effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits de Tatars de Crimée et de personnes d’origine ethnique ukrainienne peut s’expliquer par leur opposition politique au comportement de la Fédération de Russie en Crimée, et non par des considérations qui se rapportent aux motifs prohibés par la CIEDR. Les conditions prévues au paragraphe 1 de l’article premier de la convention n’étant pas réunies, il n’est pas nécessaire que la Cour examine si l’un ou l’autre des actes incriminés est imputable à la Fédération de Russie, ni qu’elle détermine la date précise à laquelle la Fédération de Russie a commencé à exercer un contrôle territorial sur la Crimée.
Pour ce qui est du grief que l’Ukraine fait à la Fédération de Russie de ne pas avoir effectivement enquêté sur les violences visant des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne, la Cour rappelle que l’article 6 énonce que
« [l]es États parties assureront à toute personne soumise à leur juridiction une protection et une voie de recours effectives, devant les tribunaux nationaux et autres organismes d’État compétents, contre tous actes de discrimination raciale qui, contrairement à la présente Convention, violeraient ses droits individuels et ses libertés fondamentales ».
La Cour fait observer que l’article 6 assortit l’interdiction de la discrimination raciale d’un mécanisme de garantie procédurale en obligeant les États à assurer, par l’intermédiaire de leurs organes, notamment judiciaires, une protection et une voie de recours effectives contre tous actes de discrimination raciale. Cette obligation comporte un devoir d’enquêter sur toute allégation de discrimination raciale dès lors qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une telle discrimination a été exercée. À cet égard, il n’est pas nécessaire, pour qu’il y ait violation de l’article 6, qu’il y ait eu manquement à une quelconque garantie substantielle prévue par la CIEDR. L’article 6 peut également avoir été violé s’il existait, dans une situation donnée, des motifs raisonnables de soupçonner qu’une discrimination raciale a été exercée et qu’aucune mesure n’a été prise au moment voulu pour enquêter effectivement sur l’incident en question, même si ces suspicions se révèlent infondées à un stade ultérieur.
La Cour prend note de ce que la Fédération de Russie prétend avoir enquêté sur les épisodes de violence physique dénoncés par l’Ukraine. Parallèlement, elle observe que des doutes au sujet de l’efficacité des investigations menées ont été exprimés dans les rapports d’organisations intergouvernementales. Cependant, les éléments de preuve ne permettent pas d’établir que la Fédération de Russie a manqué de rechercher effectivement si les actes dénoncés par l’Ukraine étaient constitutifs de discrimination raciale. L’Ukraine n’a pas démontré qu’il existait, à l’époque considérée, des motifs raisonnables de soupçonner qu’une discrimination raciale avait été exercée, motifs qui auraient dû inciter les autorités russes à enquêter. En conséquence, l’Ukraine n’a pas prouvé que, comme elle l’alléguait, la Fédération de Russie avait manqué à l’obligation d’enquêter que lui imposait l’article 6 de la CIEDR.
La Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué aux obligations substantielles ou procédurales que lui imposait la CIEDR à raison des épisodes de violence physique allégués par l’Ukraine.
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2. Fouilles, détentions, poursuites et autres mesures de répression (par. 222-251)
La Cour traite ensuite des allégations relatives au comportement de la défenderesse en matière de fouilles, détentions, poursuites et autres mesures de répression. Elle cherche d’abord à déterminer si les mesures de répression prises par la Fédération de Russie sont constitutives de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR avant de décider si la défenderesse a manqué aux obligations de prévention, de protection et de réparation qui lui incombent au titre de la convention.
En conséquence, la Cour commence par examiner la question de savoir si la législation adoptée par la Fédération de Russie est en elle-même constitutive de discrimination raciale.
La Cour relève que la conformité des lois russes dont il est question, en particulier les dispositions sur les « activités extrémistes », aux obligations en matière de droits de l’homme incombant à la Fédération de Russie a été mise en doute par d’autres juridictions internationales et organes internationaux de contrôle. À ce propos, elle relève que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la commission de Venise du Conseil de l’Europe se sont toutes deux inquiétées de ce que la législation antiextrémisme de la Fédération de Russie soit formulée de manière extrêmement générale, conférant ainsi un large pouvoir discrétionnaire aux fins de son interprétation et son application, ce qui ouvrait la voie à l’arbitraire et exposait les personnes et les organisations non gouvernementales à de possibles dangers.
La Cour fait observer qu’elle n’est pas appelée à contrôler la conformité du droit interne des États parties à la CIEDR à leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme en général. Son rôle se limite en effet à examiner la question de savoir si une loi interne a pour but d’imposer un traitement différencié à des personnes ou à des groupes de personnes distingués sur le fondement d’un des motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la convention, ou si elle est susceptible de produire un effet préjudiciable particulièrement marqué, en l’espèce, sur les droits de Tatars de Crimée ou de personnes d’origine ethnique ukrainienne.
À cet égard, il n’a été présenté à la Cour aucun élément de preuve tendant à montrer que la loi interne dont il s’agissait avait pour but d’opérer une distinction entre des personnes en fonction d’un des motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. En réalité, le régime de droit interne dont il est question régit la prévention, la poursuite et la punition de certaines infractions pénales définies largement. En outre, l’Ukraine n’a pas prouvé que ce régime était susceptible de produire un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits de Tatars de Crimée ou de personnes d’origine ethnique ukrainienne. En conséquence, la Cour est d’avis que le régime interne n’emporte pas, en soi, violation de la CIEDR. Cette conclusion est toutefois sans préjudice de la question de savoir si l’application de cette législation interne emporte manquement à des obligations énoncées par la convention. La Cour relève que les deux Parties font une distinction entre l’application des lois internes à la population tatare de Crimée dans son ensemble et aux dirigeants tatars de Crimée en particulier. Elle traite donc tour à tour ces deux cas de figure.
a) Mesures prises contre les personnes d’origine tatare de Crimée (par. 230-244)
La Cour souligne d’abord que les mesures de répression qui sont appliquées à des personnes ou à des groupes sur le simple fondement de la présomption qu’ils seraient susceptibles de commettre certains types d’infractions pénales en raison de leur origine ethnique sont injustifiables sous l’empire de la CIEDR. En la présente espèce, l’Ukraine a produit des éléments de preuve qui semblent indiquer que des personnes d’origine tatare de Crimée ont été particulièrement exposées aux mesures de répression prises par la Fédération de Russie. La Cour doit donc rechercher si ces mesures avaient pour but de cibler les Tatars de Crimée ou si elles ont eu un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits de membres de ce groupe.
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À cet égard, la Cour accorde un poids considérable aux rapports établis par plusieurs organismes et organes de contrôle des Nations Unies selon lesquels les mesures en question ont touché de manière disproportionnée des Tatars de Crimée. À la lumière de ces documents, la Cour conclut que l’Ukraine a suffisamment démontré que les mesures de répression concernées produisaient un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits de personnes d’origine tatare de Crimée. Il est donc nécessaire de se demander si un tel effet peut s’expliquer par des considérations qui ne se rapportent pas aux motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
La Cour relève que le but déclaré de certaines mesures semble avoir servi de prétexte à la Fédération de Russie pour s’en prendre à des personnes qu’elle considère comme une menace pour sa sécurité nationale en raison de leur appartenance religieuse ou politique. La Cour estime cependant que l’Ukraine n’a pas présenté d’éléments de preuve convaincants permettant d’établir que des personnes d’origine tatare de Crimée ont fait l’objet de telles mesures de répression en raison de leur origine ethnique. Elle conclut donc que ces mesures ne sont pas fondées sur les motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
S’agissant du grief que l’Ukraine fait à la Fédération de Russie d’avoir violé l’article 4 de la CIEDR, la Cour note que les alinéas a) et b) de cet article exigent des États parties qu’ils adoptent immédiatement des mesures effectives aux fins de la prévention, de l’élimination et de la répression des propos qui visent à encourager ou justifier la haine raciale ou à inciter à la discrimination sur le fondement d’un ou plusieurs des motifs prohibés. De plus, l’alinéa c) de cet article dispose spécifiquement que les États parties ne permettront pas « aux autorités publiques [et] aux institutions publiques, nationales ou locales, d’inciter à la discrimination raciale ou de l’encourager ». En l’espèce, cependant, la Cour n’est pas persuadée que l’Ukraine ait présenté des éléments convaincants montrant que des représentants de l’État de la Fédération de Russie ont fait des déclarations hostiles aux Tatars de Crimée sur le fondement de leur origine ethnique ou nationale. L’Ukraine n’a pas non plus prouvé le grief qu’elle fait à la Fédération de Russie d’avoir manqué à son obligation de prévenir, d’éliminer et de réprimer tout propos tenu par un particulier en vue d’encourager ou de justifier la haine raciale à l’égard des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne en raison de leur origine nationale ou ethnique.
S’agissant du grief que l’Ukraine fait à la Fédération de Russie d’avoir violé l’article 6 de la convention en manquant d’enquêter effectivement sur des allégations d’application de mesures de répression discriminatoires prises contre des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne, la Cour estime que l’Ukraine n’a pas démontré qu’il existait, à l’époque considérée, des motifs raisonnables de soupçonner qu’une discrimination raciale avait été exercée, motifs qui aurait dû inciter les autorités russes à enquêter. La Cour n’est donc pas persuadée que l’Ukraine ait établi que la Fédération de Russie avait manqué à son obligation d’enquêter.
Pour ces raisons, la Cour n’est pas convaincue que la Fédération de Russie ait pris des mesures de répression constitutives de discrimination à l’égard de personnes d’origine tatare de Crimée en raison de leur origine ethnique.
b) Mesures prises contre le Majlis (par. 245-251)
Abordant ensuite les mesures adoptées contre des membres des instances dirigeantes des Tatars de Crimée, la Cour relève que la Fédération de Russie ne conteste pas que les mesures alléguées ont été prises contre les dirigeants de la communauté tatare de Crimée et le Majlis avant l’interdiction de ce dernier, mais conteste qu’elles constituent des actes de discrimination raciale au sens de la CIEDR.
La Cour rappelle que l’appartenance de personnes visées aux instances dirigeantes d’un groupe ethnique ne suffit pas, en soi, à établir que les mesures ayant sur elles un effet préjudiciable relèvent
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de la discrimination raciale. Il faudrait également que l’Ukraine démontre que les mesures en cause étaient « fondées sur » l’origine ethnique des personnes ou le caractère ethniquement représentatif des institutions assujetties à ces mesures. Selon la Cour, il ressort du contexte dans lequel elles ont été prises que les mesures visaient à faire face à l’opposition politique manifestée par les personnes et institutions concernées contre le contrôle territorial que la Fédération de Russie exerçait en Crimée.
De l’avis de la Cour, l’Ukraine n’a pas prouvé que, ainsi qu’elle l’affirme, les dirigeants de la communauté tatare de Crimée qui s’opposaient politiquement au contrôle de la Crimée par la Fédération de Russie avaient été touchés de manière disproportionnée par des mesures de répression par rapport à d’autres personnes aux positions politiques similaires. La Cour estime par conséquent que les mesures concernées n’étaient pas fondées sur l’origine ethnique des personnes visées et ne relèvent donc pas du champ d’application du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
La Cour note que l’Ukraine a affirmé que les mesures prises contre les dirigeants de la communauté tatare de Crimée avaient pour but d’intimider et de déstabiliser l’ensemble de la population tatare de Crimée. L’Ukraine invoque à l’appui de cette allégation des dépositions de témoins et des rapports établis par des organisations intergouvernementales et non gouvernementales. La Cour rappelle qu’elle a fait observer que les dépositions recueillies de nombreuses années après les événements en cause, en particulier lorsqu’elles n’étaient pas étayées par d’autres éléments d’information, devaient être traitées avec prudence. Elle estime que les rapports invoqués par l’Ukraine, étant donné qu’ils ne contiennent aucune information spécifique en lien avec l’allégation en question, ne sont guère utiles pour confirmer que les mesures en cause relèvent de la discrimination raciale.
Compte tenu de toutes ces considérations, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que les mesures prises par la Fédération de Russie contre les membres du Majlis étaient fondées sur l’origine ethnique des personnes concernées.
3. Interdiction visant le Majlis (par. 252-275)
La Cour traite ensuite des arguments des Parties relatifs à l’interdiction visant le Majlis. Elle relève tout d’abord que plusieurs organisations intergouvernementales et organes internationaux de contrôle ont invité la Fédération de Russie à lever cette interdiction parce qu’elle portait atteinte aux droits civils et politiques. Toutefois, la Cour n’a pas compétence, en l’espèce, pour rechercher si l’interdiction visant le Majlis est conforme aux obligations internationales qui incombent à la Fédération de Russie en matière de droits de l’homme en général. En réalité, l’article 22 de la CIEDR ne lui confère compétence que pour apprécier la conformité de l’interdiction aux obligations de la Fédération de Russie découlant de cet instrument.
La Cour doit déterminer si un acte de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la convention a été commis avant de pouvoir décider si la Fédération de Russie a manqué à ses obligations découlant des alinéas a) et b) du paragraphe 1 de l’article 2 et des alinéas a) et c) de l’article 5 de la CIEDR. Il lui faut donc rechercher si l’interdiction visant le Majlis constitue un acte de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. À cette fin, la Cour examine si cette interdiction relève d’une différence de traitement fondée sur un motif prohibé et si elle avait pour but ou a eu pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales des Tatars de Crimée.
L’interdiction emporte exclusion du Majlis de la vie publique en Crimée. Toutefois, pour que l’interdiction constitue un acte de discrimination raciale, l’Ukraine doit également démontrer que cette exclusion était fondée sur l’origine ethnique des Tatars de Crimée en tant que groupe ou sur celle des membres du Majlis et qu’elle avait pour but ou a eu pour effet de détruire ou de compromettre la jouissance de leurs droits.
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La Cour reconnaît que le Majlis a joué un rôle historique important dans la représentation des intérêts de la communauté tatare de Crimée depuis que cette communauté, déportée en Asie centrale en 1944, s’est réinstallée dans la péninsule en 1991. La Cour estime cependant que le Majlis n’est ni la seule ni la principale institution représentant la communauté tatare de Crimée. Il n’est pas nécessaire qu’elle détermine si les institutions tatares de Crimée qui ont été créées après 2014 contribuent aussi véritablement à la représentation du peuple tatar de Crimée. La Cour se bornera à faire observer que le Majlis est l’organe exécutif du Qurultay et que ses membres sont élus par ce dernier et responsables devant lui. Le Qurultay, quant à lui, est élu directement par le peuple tatar de Crimée. Le Qurultay n’a pas été interdit et la Cour ne dispose pas de preuves suffisantes démontrant que les autorités de la Fédération de Russie l’ont empêché concrètement de jouer son rôle dans la représentation de la communauté tatare de Crimée. Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue que l’Ukraine ait établi que, comme elle l’affirme, l’interdiction visant le Majlis privait l’ensemble de la population tatare de Crimée de sa représentation. Il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce que la Cour détermine les circonstances dans lesquelles le traitement appliqué à des institutions représentant des groupes qui sont distingués par leur origine nationale ou ethnique peut constituer un manquement à des obligations découlant de la CIEDR.
L’interdiction visant le Majlis, du fait de sa nature même, produit également un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits de personnes d’origine tatare de Crimée, les membres du Majlis étant sans exception d’origine tatare de Crimée. Toutefois, la Cour doit vérifier si cet effet peut s’expliquer par des considérations qui ne se rapportent pas aux motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier.
Au vu des éléments de preuve dont elle dispose, il apparaît à la Cour que le Majlis a été frappé d’interdiction en raison des activités politiques menées par certains de ses dirigeants opposés à la Fédération de Russie, et non en raison de l’origine ethnique des intéressés.
La Cour en conclut que l’Ukraine n’a pas apporté de preuves convaincantes pour établir que l’interdiction visant le Majlis était fondée sur l’origine ethnique de ses membres, et non sur ses positions et activités politiques, et qu’elle constituait donc un acte de discrimination au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
En ce qui concerne le grief fait par l’Ukraine à la Fédération de Russie d’avoir violé l’article 4 de la CIEDR, la Cour ne considère pas que l’Ukraine ait établi de manière convaincante que, en adoptant l’interdiction visant le Majlis, les autorités ou les institutions de la Fédération de Russie ont incité à la discrimination raciale ou l’ont encouragée. La Cour n’est donc pas persuadée que la Fédération de Russie ait violé ses obligations découlant de cette disposition.
Quant au grief fait par l’Ukraine à la Fédération de Russie d’avoir manqué à ses obligations découlant de l’article 6 de la CIEDR en n’offrant pas de voies de recours utile permettant de contester l’interdiction visant le Majlis, la Cour fait observer que l’Ukraine n’a pas établi que la Fédération de Russie s’était abstenue d’offrir de tels recours.
Pour ces raisons, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant de la CIEDR en interdisant le Majlis.
4. Mesures relatives à la citoyenneté (par. 276-288)
La Cour en vient ensuite aux griefs concernant les mesures relatives à la citoyenneté. En particulier, elle doit déterminer si le régime de citoyenneté mis en place par la Fédération de Russie en Crimée et les mesures prises sur son fondement entrent dans le champ d’application de l’article premier de la CIEDR.
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La Cour relève que les traitements différenciés appliqués selon qu’il s’agit de ressortissants ou de non-ressortissants et les dispositions législatives des États parties concernant la nationalité, la citoyenneté ou la naturalisation sont en soi exclus du champ d’application de la convention. Il découle de ces paragraphes que la CIEDR ne s’applique ni aux motifs, ni aux modalités d’octroi de la nationalité. Toutefois, les dispositions en question ne peuvent être interprétées comme excluant du champ de la convention l’application de lois relatives à la citoyenneté ayant pour but ou pour effet de donner lieu à des actes de discrimination fondés sur l’origine nationale ou ethnique.
En l’espèce, la Cour n’estime pas que l’Ukraine ait établi de manière convaincante que l’application du régime de citoyenneté russe en vigueur en Crimée aboutissait à une différence de traitement fondée sur l’origine ethnique. Pour établir que les Tatars de Crimée et les personnes d’origine ethnique ukrainienne ont été victimes de discrimination en raison de leur origine ethnique, l’Ukraine s’appuie principalement sur la difficulté face à laquelle se trouvaient les personnes concernées, contraintes de choisir entre les conséquences juridiques de l’adoption de la citoyenneté russe et celles de la conservation de la citoyenneté ukrainienne. La Cour considère cependant que ces conséquences juridiques découlent de la possession du statut de ressortissant russe ou d’étranger. Ce statut s’applique à toutes les personnes sur lesquelles la Fédération de Russie exerce sa juridiction, quelle que soit leur origine ethnique. Si les mesures en cause peuvent avoir des effets sur un nombre important de Tatars de Crimée ou de personnes d’origine ethnique ukrainienne résidant en Crimée, cela ne constitue pas pour autant une discrimination raciale au sens de la convention.
Pour ces raisons, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant de la CIEDR en adoptant et en appliquant son régime de citoyenneté en Crimée.
5. Mesures relatives aux rassemblements revêtant une importance culturelle (par. 289-306)
S’agissant des mesures relatives aux rassemblements revêtant une importance culturelle, la Cour fait observer que, pour conclure que la Fédération de Russie a manqué aux obligations que lui impose la CIEDR, il faut que les restrictions aux rassemblements des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne constituent des actes de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de cet instrument.
À cet égard, la Cour prend note du moyen tiré par l’Ukraine de ce que les mesures adoptées par la Fédération de Russie étaient fondées sur une législation susceptible d’être détournée à des fins de traitement discriminatoire. Elle fait observer que la conformité des lois de la Fédération de Russie en cause, notamment les dispositions relatives à l’« extrémisme », aux obligations qui incombent à cet État en matière de droits de l’homme a été remise en question par des organes judiciaires ou organes d’experts internationaux en raison du risque d’interprétation arbitraire et d’abus que ces lois comportent.
Le régime juridique interne considéré réglemente la prévention, la poursuite et la répression de certaines infractions pénales définies en termes généraux. Rien ne porte à croire que la législation interne en cause a pour but d’établir une différenciation fondée sur l’un des motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. De plus, l’Ukraine n’a pas apporté la preuve que ce régime juridique était susceptible de produire un effet préjudiciable particulier sur les droits des personnes d’origine ethnique tatare de Crimée ou ukrainienne. Par conséquent, la Cour est d’avis que le régime juridique interne en cause ne constitue pas, en soi, un manquement à une obligation prévue par la CIEDR. Toutefois, cette constatation ne préjuge en rien de la question de savoir si l’application de la législation interne en cause constitue, par son effet, un acte de discrimination fondé sur l’un des motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
La Cour fait observer qu’il ressort de rapports d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales que les interdictions et les autres restrictions imposées à l’égard des
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rassemblements visant à commémorer certains événements produisaient un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits des Tatars de Crimée.
En ce qui concerne les restrictions imposées aux rassemblements revêtant une importance culturelle organisés par les personnes d’origine ethnique ukrainienne, la Cour juge établi que la Fédération de Russie a mis en place des mesures restrictives concernant la célébration de la Journée du drapeau ukrainien et de l’anniversaire de Taras Chevtchenko, et que ces mesures ont produit un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits des personnes d’origine ethnique ukrainienne qui organisaient des manifestations revêtant une importance culturelle ou souhaitaient y participer.
La Cour retient cependant que la Fédération de Russie a justifié ces restrictions par des considérations qui ne se rapportent pas à l’un des motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la convention. Il est établi que certaines organisations de personnes d’origine ethnique ukrainienne et de Tatars de Crimée ont en fait réussi à obtenir l’autorisation d’organiser des manifestations et que de multiples manifestations organisées par des personnes d’origine ethnique russe ont été interdites. En outre, compte tenu du contexte de ces restrictions et du fait que la CEDH a confirmé dans plusieurs décisions que la Fédération de Russie imposait généralement des restrictions en matière de rassemblements publics, l’Ukraine n’a pas, de l’avis de la Cour, suffisamment prouvé le bien-fondé du moyen qu’elle tire de ce que les restrictions étaient fondées sur un ou plusieurs des motifs prohibés visés au paragraphe 1 de l’article premier. Par conséquent, la Cour n’est pas convaincue que l’Ukraine ait suffisamment établi que des Tatars de Crimée et des personnes d’origine ethnique ukrainienne avaient été victimes de discrimination en raison de leur origine ethnique.
Pour ces raisons, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant de la CIEDR en imposant des restrictions à la tenue de rassemblements revêtant une importance culturelle pour la communauté tatare de Crimée et la communauté d’origine ethnique ukrainienne.
6. Mesures relatives aux médias (par. 307-323)
S’agissant des mesures imposées par la défenderesse relativement aux médias tatars de Crimée et ukrainiens, la Cour fait observer que, pour déterminer qu’il y a eu manquement aux obligations incombant à la Fédération de Russie au titre de la CIEDR, il faut que les restrictions concernées constituent des actes de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de cet instrument.
La Cour rappelle que les restrictions imposées aux sociétés de médias n’entrent dans le champ d’application de la CIEDR que dans la mesure où celles-ci sont des organes collectifs ou des associations, qui représentent des individus ou des groupes d’individus et où ces restrictions sont fondées, par leur but ou leur effet, sur l’origine nationale ou ethnique. Il n’est cependant pas nécessaire de déterminer si les sociétés de médias concernées représentent des individus ou des groupes d’individus dès lors que les mesures imposées à ces sociétés ne sont pas fondées sur l’origine nationale ou ethnique.
Le régime de droit interne en cause réglemente les activités des médias de masse et vise à prévenir, à poursuivre et à punir certaines infractions pénales définies largement. La Cour observe qu’il n’existe aucun élément de preuve convaincant qui semble indiquer que son but soit d’établir une distinction entre des médias associés à des personnes d’origine ethnique ukrainienne ou tatare de Crimée et d’autres médias sur la base de l’un des motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. L’Ukraine n’a pas non plus apporté de preuve que ce régime soit susceptible de produire un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits de personnes d’origine ethnique ukrainienne ou tatare de Crimée. Par conséquent, la Cour considère que le régime
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de droit interne ne constitue pas, en soi, un manquement aux obligations incombant à la Fédération de Russie au titre de la CIEDR. Cette conclusion est toutefois sans préjudice de la question de savoir si son application est constitutive, par son effet, d’un acte de discrimination fondé sur l’un des motifs prohibés visés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
La Cour est d’avis que les rapports des organisations internationales auxquels l’Ukraine fait référence viennent dans une certaine mesure étayer son grief tiré de ce que les médias ukrainiens et tatars de Crimée ont sérieusement pâti de l’application et de la mise en oeuvre des lois russes relatives aux médias de masse et à la répression de l’extrémisme.
La Cour observe également que certains de ces rapports d’organisations internationales et non gouvernementales suggèrent l’existence d’un lien entre les mesures visant les médias tatars de Crimée et l’origine ethnique de leurs propriétaires ou des personnes concernées. Parallèlement, elle relève que les déclarations qui y figurent sont vagues et ne sont pas étayées par d’autres éléments de preuve pour ce qui est de l’existence d’une discrimination raciale.
Sur la base des éléments de preuve soumis par l’Ukraine, la Cour n’est pas en mesure de conclure que les mesures prises contre les médias ukrainiens et tatars de Crimée étaient fondées sur l’origine ethnique des personnes associées à ces médias. Elle estime qu’il ressort des explications avancées par la Fédération de Russie, en particulier la comparaison, étayée par des statistiques, entre les fermetures de médias en Crimée et celles dans d’autres parties du territoire, que les restrictions imposées n’étaient pas fondées sur l’origine nationale ou ethnique. Pour la même raison, elle n’est pas convaincue que l’Ukraine ait établi que les mesures prises contre des personnes associées à des médias tatars de Crimée l’ont été sur le fondement de l’origine nationale ou ethnique de ces personnes.
Pour ces raisons, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant de la CIEDR en imposant des restrictions aux médias ukrainiens et tatars de Crimée et en prenant des mesures contre des personnes associées à des sociétés de médias ukrainiennes et tatares de Crimée.
7. Mesures relatives au patrimoine culturel et aux institutions culturelles (par. 324-337)
La Cour en vient ensuite aux griefs concernant les mesures relatives au patrimoine culturel et aux institutions culturelles. Elle prend note de ce que, le 1er juin 2023, le comité de la CIEDR s’est déclaré préoccupé par des allégations de destruction et de détérioration du patrimoine culturel des Tatars de Crimée, par exemple des pierres tombales, des monuments et des lieux saints.
La Cour observe cependant que le comité de la CIEDR ne se prononce pas sur la question de savoir si les allégations en question sont véridiques, et qu’il ne s’appuie pas sur des preuves de première main. Elle estime en outre que l’Ukraine n’a pas suffisamment étayé ses griefs concernant la dégradation alléguée de sites culturels tatars de Crimée. Pour ces raisons, elle n’est pas convaincue, sur la base des éléments de preuve fournis par l’Ukraine, que les mesures adoptées par la Fédération de Russie à l’égard des sites en question emportaient discrimination à l’égard des Tatars de Crimée en tant que groupe.
La Cour est d’avis que l’Ukraine, s’agissant de ses allégations concernant la dégradation de certains aspects du patrimoine culturel de personnes d’origine ethnique ukrainienne, n’a pas établi qu’un traitement différencié avait été réservé, en raison de leur origine ethnique, à des personnes associées à des institutions culturelles en Crimée. Elle relève que la Fédération de Russie a fourni, pour justifier les mesures prises contre les personnes en question, des explications qui n’ont aucun rapport avec les motifs prohibés énoncés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. Elle relève également que la Fédération de Russie a apporté des preuves montrant qu’elle avait tenté de préserver ce patrimoine et a donné des explications pour justifier les mesures adoptées à l’égard de
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celui-ci. L’Ukraine n’a, quant à elle, pas produit d’éléments montrant en quoi la fermeture de certaines institutions procéderait d’une discrimination fondée sur l’origine ethnique.
Pour ces raisons, la Cour conclut qu’il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations au regard de la CIEDR en adoptant des mesures à l’égard du patrimoine culturel des communautés d’origine ethnique ukrainienne et tatare de Crimée.
8. Mesures relatives à l’éducation (par. 338-370)
La Cour examine ensuite si le comportement de la Fédération de Russie en matière d’éducation en Crimée est constitutif de discrimination raciale et emporte manquement aux obligations énoncées à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2, au point v) de l’alinéa e) de l’article 5 et à l’article 7.
Au titre de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2, chaque État partie s’engage à ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions et à faire en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales, se conforment à cette obligation. Au titre du point v) de l’alinéa e) de l’article 5, les États parties s’engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale et à garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits relevant de certaines catégories. Dans celle des droits économiques, sociaux et culturels, les personnes ont droit à 1’éducation et à la formation professionnelle.
La Cour considère que, bien que le point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la CIEDR ne prévoie pas de droit général à un enseignement scolaire dans une langue minoritaire, l’interdiction de la discrimination raciale énoncée à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 et la protection du droit à l’éducation consacrée au point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la convention peuvent, dans certaines circonstances, fixer certaines limites à la modification de l’enseignement scolaire dispensé dans la langue d’une minorité nationale ou ethnique. Pour déterminer si ces dispositions s’appliquent, la Cour doit d’abord rechercher si le comportement en question est constitutif de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
La plupart des mesures dont l’Ukraine tire grief concernent des restrictions à la disponibilité de l’ukrainien ou du tatar de Crimée en tant que langues d’enseignement dans les écoles primaires. La langue est souvent un lien social essentiel pour les membres d’un groupe ethnique. Les mesures de restriction de l’utilisation d’une langue prises par un État partie peuvent donc, dans certaines situations, constituer une distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR.
La CIEDR laisse une grande discrétion aux États parties en ce qui concerne les programmes scolaires et la langue principale d’enseignement. Cependant, lorsqu’il conçoit et met en oeuvre un programme scolaire, un État partie ne doit pas opérer de discrimination à l’égard d’un groupe national ou ethnique. Le fait qu’un État choisisse de proposer un enseignement dans une seule langue n’est pas en soi discriminatoire, au sens de la CIEDR, envers une minorité nationale ou ethnique dont les membres souhaitent que leurs enfants suivent un enseignement dans leur propre langue.
Les modifications structurelles concernant la disponibilité d’une langue d’enseignement dans les écoles peuvent emporter discrimination au sens de la CIEDR si, par la manière dont elles sont mises en oeuvre, elles produisent un effet préjudiciable particulièrement marqué sur les droits d’une personne ou d’un groupe distingués sur le fondement des motifs énumérés au paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR, à moins que cet effet puisse s’expliquer par des considérations qui ne se rapportent pas aux motifs prohibés énoncés dans cet article . Cela serait notamment le cas si, en raison de la façon dont un changement était mis en oeuvre dans l’enseignement d’une langue minoritaire disponible dans le système d’éducation public, par exemple au moyen d’une pression
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informelle, il devenait trop difficile pour les membres d’un groupe national ou ethnique de s’assurer que leurs enfants, dans le cadre du droit général à l’éducation dont ils jouissaient, ne subissent pas d’interruptions indûment contraignantes de l’enseignement dans leur langue principale.
a) Accès à l’enseignement en langue ukrainienne (par. 358-363)
En ce qui concerne l’enseignement en ukrainien, la Cour observe et les Parties conviennent que le nombre d’élèves étudiant dans cette langue a fortement diminué entre 2014 et 2016.
Selon des données émanant du HCDH, le nombre d’élèves recevant un enseignement en langue ukrainienne a diminué de 80 % la première année, et de 50 % supplémentaires l’année suivante. Il est incontesté qu’aucune diminution de cet ordre ne s’est produite en ce qui concerne l’enseignement scolaire dans d’autres langues, notamment en tatar de Crimée. Une baisse aussi brutale et importante a produit un effet préjudiciable particulièrement marqué sur des droits d’enfants d’origine ethnique ukrainienne et de leurs parents.
La Fédération de Russie exerce un contrôle total sur le système d’éducation public en Crimée, en particulier sur la langue d’enseignement et les conditions que doivent remplir parents et enfants pour y avoir accès. Cependant, elle n’a pas fourni d’explication convaincante justifiant les changements soudains et radicaux apportés à l’usage de l’ukrainien en tant que langue d’instruction, changements qui produisent un effet préjudiciable particulièrement marqué sur des droits de personnes d’origine ethnique ukrainienne. Sur ce point, les Parties sont en désaccord quant aux raisons de la baisse, à partir de 2014, du nombre d’élèves recevant un enseignement scolaire en ukrainien.
Les explications proposées par la Fédération de Russie pour expliquer cette baisse ne sont pas entièrement convaincantes. Il est vrai que, selon le HCDH, les principaux facteurs qui expliquent cette diminution sont notamment l’environnement culturel russe dominant et le départ de milliers de résidents criméens pro-ukrainiens en Ukraine continentale. Cependant, même en tenant compte du fait que de nombreuses familles d’origine ethnique ukrainienne ont quitté la Crimée après 2014, la Cour n’est pas convaincue que ces départs, associés à une réorientation du système d’éducation criméen vers la Russie, expliquent à eux seuls une réduction de plus de 90 % de la demande réelle d’enseignement scolaire en langue ukrainienne en Crimée.
Les deux Parties ont présenté à la Cour des éléments de preuve concernant la mesure dans laquelle les parents sont libres de choisir l’ukrainien comme langue principale d’enseignement pour leurs enfants.
La Cour observe que les déclarations de témoin produites par les deux Parties ont été faites par des personnes qui ne sont pas désintéressées quant à l’issue de l’affaire. Ces déclarations ne sont en outre pas étayées par des documents fiables. Bien qu’elle ne soit pas en mesure de conclure, sur la base des éléments de preuve produits, que des parents ont été victimes de harcèlement et de manipulations visant à les faire renoncer à exprimer leur préférence, la Cour estime que la Fédération de Russie n’a pas démontré qu’elle s’était acquittée de son obligation de protéger les droits de personnes d’origine ethnique ukrainienne d’un effet préjudiciable particulièrement marqué lié à leur origine ethnique en prenant des mesures pour atténuer la pression que la réorientation du système d’éducation criméen avait fait peser sur les parents dont les enfants avaient reçu jusqu’en 2014 un enseignement scolaire en ukrainien.
b) Accès à l’enseignement en langue tatare de Crimée (par. 364-368)
S’agissant de l’éducation scolaire en langue tatare de Crimée, la Cour observe que les allégations de l’Ukraine portent sur la qualité de l’enseignement proposé dans cette langue, et non
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sur sa disponibilité effective ou sur une évolution notable du nombre d’élèves. Elle n’est pas en mesure de conclure, sur la base des éléments de preuve soumis par les Parties, que la qualité de l’enseignement en tatar de Crimée s’est considérablement dégradée depuis 2014.
En ce qui concerne le manquement allégué à l’obligation imposée par l’article 7 de la CIEDR, la Cour rappelle que, aux termes de cette disposition, les États parties s’engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces, notamment dans les domaines de l’enseignement, de l’éducation, de la culture et de l’information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale. Les éléments de preuve dont la Cour dispose ne démontrent pas que la Fédération de Russie ait manqué d’adopter des mesures immédiates et efficaces contre la discrimination raciale. La Cour conclut qu’il n’est pas établi que la Fédération de Russie avait manqué à ses obligations découlant de l’article 7 de la CIEDR.
c) Existence d’une pratique généralisée de discrimination raciale (par. 369)
Pour déterminer si la Fédération de Russie a manqué aux obligations que lui impose la CIEDR en la présente espèce, la Cour doit rechercher si les violations constatées relèvent d’une pratique généralisée de discrimination raciale. Les mesures législatives et autres prises par la Fédération de Russie en matière d’enseignement en langue ukrainienne en Crimée s’appliquaient à tous les enfants d’origine ethnique ukrainienne dont les parents souhaitaient qu’ils étudient en ukrainien, et ne concernaient donc pas seulement des cas individuels. Il appert ainsi que ces mesures étaient destinées à amener un changement structurel du système d’éducation. La Cour est donc d’avis que le comportement en question relève d’une pratique généralisée de discrimination raciale. En revanche, elle n’est pas convaincue, au vu des éléments de preuve dont elle dispose, que les épisodes relatifs à l’enseignement scolaire en langue tatare de Crimée relèvent d’une telle pratique.
d) Conclusion (par. 370)
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la Fédération de Russie a manqué à ses obligations découlant de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 et du point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la CIEDR par la manière dont elle a mis en place son système d’éducation en Crimée après 2014 pour ce qui est de l’enseignement scolaire en langue ukrainienne.
C. Remèdes (par. 371-374)
Ayant établi que la Fédération de Russie a manqué à ses obligations découlant de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de la CIEDR et du point v) de l’alinéa e) de son article 5, la Cour détermine maintenant les remèdes qu’appelle ce comportement internationalement illicite.
La Cour rappelle que, s’agissant des demandes formulées sur le fondement de la CIEDR, l’Ukraine souhaite obtenir, outre une déclaration de violations, la cessation des violations persistantes qu’elle impute à la Fédération de Russie, des garanties et des assurances de non-répétition, ainsi qu’une indemnisation et des dommages-intérêts à raison du préjudice matériel et moral subi.
Par le présent arrêt, la Cour déclare que la Fédération de Russie a manqué aux obligations que lui imposent l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 et le point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la CIEDR. Elle considère que la Fédération de Russie demeure dans l’obligation de veiller à ce que le système d’enseignement en langue ukrainienne tienne dûment compte des besoins et des attentes raisonnables des enfants et des parents d’origine ethnique ukrainienne.
La Cour n’estime pas qu’il soit nécessaire ou approprié d’adjuger l’un quelconque des autres remèdes demandés par l’Ukraine.
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IV. MANQUEMENT ALLÉGUÉ AUX OBLIGATIONS IMPOSÉES PAR L’ORDONNANCE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES DU 19 AVRIL 2017 (PAR. 375-403)
A. Exécution des mesures conservatoires (par. 375-398)
Ayant traité des griefs avancés par l’Ukraine sur le fondement de la CIRFT et de la CIEDR, la Cour en vient maintenant à la demande formulée par cet État dans ses conclusions finales la priant de dire et juger que la Fédération de Russie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 19 avril 2017.
La Cour rappelle que, dans cette ordonnance, elle a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« 1) En ce qui concerne la situation en Crimée, la Fédération de Russie doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,
a) S’abstenir de maintenir ou d’imposer des limitations à la capacité de la communauté des Tatars de Crimée de conserver ses instances représentatives, y compris le Majlis ;
b) Faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue ukrainienne ;
2) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile. »
S’agissant de la première mesure conservatoire, l’Ukraine affirme que la Fédération de Russie a violé cette mesure en s’abstenant de lever l’interdiction visant le Majlis qu’elle avait imposée. Les Parties ne contestent pas que la Fédération de Russie n’a ni suspendu ni levé cette interdiction. Cependant, elles sont en désaccord sur la question de savoir si la partie liminaire de la mesure conservatoire, en faisant référence à la CIEDR, peut être interprétée comme laissant à la Fédération de Russie une marge de discrétion quant à la manière dont elle doit s’acquitter des obligations découlant de cette mesure.
La Cour rappelle que les obligations découlant de mesures conservatoires sont contraignantes pour les parties indépendamment de la situation factuelle ou juridique que ces mesures cherchent à préserver. Elle est d’avis que, dans l’ordonnance du 19 avril 2017, la référence aux obligations imposées par la CIEDR à la Fédération de Russie n’offre nullement la possibilité à celle-ci de s’arroger le droit de déterminer si l’interdiction visant le Majlis et la confirmation de cette interdiction par les juridictions russes étaient et demeurent justifiées. La formule « conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale » que contient la partie liminaire renvoie à la source des droits que la mesure indiquée vise à préserver et ne restreint pas la portée de cette mesure ni ne confère à la Partie concernée le pouvoir de décider de l’exécuter ou non.
La Cour conclut en conséquence que la Fédération de Russie, en maintenant l’interdiction visant le Majlis, a violé l’ordonnance en indication de mesures conservatoires. Elle fait observer que cette conclusion est indépendante de celle exposée ci-dessus selon laquelle cette interdiction n’emporte pas manquement aux obligations incombant à la Fédération de Russie au titre de la CIEDR.
S’agissant de la deuxième mesure conservatoire, la Cour note que l’ordonnance du 19 avril 2017 imposait à la Fédération de Russie de faire en sorte qu’un enseignement en langue ukrainienne demeure « disponible ». À cet égard, elle prend note d’un rapport du HCDH selon lequel « un
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enseignement en ukrainien était dispensé dans une école ukrainienne et 13 cours d’ukrainien donnés dans des écoles russes étaient fréquentés par 318 enfants », ce qui confirme que ledit enseignement était disponible après l’adoption de l’ordonnance. Bien que l’Ukraine ait montré que l’offre en la matière avait fortement baissé après 2014, il n’a pas été établi que la Fédération de Russie avait manqué de se conformer à l’obligation, énoncée dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires, de faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue ukrainienne.
La Cour conclut en conséquence que la Fédération de Russie n’a pas violé l’ordonnance en ce que celle-ci imposait à la défenderesse de faire en sorte de rendre disponible un enseignement en langue ukrainienne.
Dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour a en outre déclaré que « [l]es deux Parties d[evai]ent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour [étai]t saisie ou d’en rendre la solution plus difficile ».
La Cour observe que, après que l’ordonnance en indication de mesures conservatoires a été rendue, la Fédération de Russie a reconnu la RPD et la RPL en tant qu’États indépendants et a lancé une « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine. Elle estime que ces actes ont gravement fragilisé le socle de confiance mutuelle et de coopération et ainsi rendu la solution du différend plus difficile.
Pour ces raisons, la Cour conclut que la Fédération de Russie a violé l’obligation que lui imposait l’ordonnance de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour était saisie ou d’en rendre la solution plus difficile.
B. Remèdes (par. 399-403)
La Cour rappelle que les ordonnances en indication de mesures conservatoires imposent une obligation juridique aux États concernés et qu’il est bien établi en droit international que la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate.
La Cour considère qu’une déclaration de sa part portant que la Fédération de Russie a violé l’ordonnance en indication de mesures conservatoires en maintenant l’interdiction visant le Majlis et a manqué aux obligations que lui imposait la mesure de non-aggravation contenue dans la même ordonnance constitue pour l’Ukraine une satisfaction appropriée.
En ce qui concerne les demandes de restitution de l’Ukraine s’agissant du Majlis, la Cour constate que, dès lors qu’elle a conclu que l’interdiction visant ce dernier n’emportait pas manquement par la Fédération de Russie aux obligations découlant de la CIEDR, une restitution ne peut plus être due, l’appréciation faite au stade des mesures conservatoires n’ayant pas été confirmée au fond.
La Cour n’estime pas qu’il soit nécessaire ou approprié d’adjuger l’un quelconque des autres remèdes demandés par l’Ukraine.
DISPOSITIF (PAR. 404)
Par ces motifs,
La Cour,
1) Par treize voix contre deux,
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Dit que la Fédération de Russie, en s’abstenant de prendre des mesures pour enquêter sur les faits portés à sa connaissance par l’Ukraine concernant les auteurs présumés d’une infraction visée à l’article 2 de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, a manqué à l’obligation que lui impose le paragraphe 1 de l’article 9 de ladite convention ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Pocar, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Xue, juge ; M. Tuzmukhamedov, juge ad hoc ;
2) Par dix voix contre cinq,
Rejette le surplus des conclusions présentées par l’Ukraine en ce qui a trait à la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme ;
POUR : MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Salam, Iwasawa, Nolte, Brant, juges ; M. Tuzmukhamedov, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, présidente ; Mme Sebutinde, M. Bhandari, Mme Charlesworth, juges ; M. Pocar, juge ad hoc ;
3) Par treize voix contre deux,
Dit que la Fédération de Russie, par la manière dont elle a mis en place son système d’éducation en Crimée après 2014 pour ce qui est de l’enseignement scolaire en langue ukrainienne, a manqué aux obligations que lui imposent l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 et le point v) de l’alinéa e) de l’article 5 de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Mmes Xue, Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Pocar, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Yusuf, juge ; M. Tuzmukhamedov, juge ad hoc ;
4) Par dix voix contre cinq,
Rejette le surplus des conclusions présentées par l’Ukraine en ce qui a trait à la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;
POUR : MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Salam, Iwasawa, Nolte, Brant, juges ; M. Tuzmukhamedov, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Donoghue, présidente ; Mme Sebutinde, M. Bhandari, Mme Charlesworth, juges ; M. Pocar, juge ad hoc ;
5) Par onze voix contre quatre,
Dit que la Fédération de Russie, en maintenant l’imposition de limitations au Majlis, a manqué à l’obligation que lui imposait le point 1 a) du dispositif (paragraphe 106) de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 19 avril 2017 ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, juges ; M. Pocar, juge ad hoc ;
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CONTRE : M. Tomka, Mme Xue, M. Brant, juges ; M. Tuzmukhamedov, juge ad hoc ;
6) Par dix voix contre cinq,
Dit que la Fédération de Russie a manqué à l’obligation que lui imposait le paragraphe 2 du dispositif (paragraphe 106) de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 19 avril 2017 de s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend entre les Parties, ou d’en rendre la solution plus difficile ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Pocar, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, juges ; M. Tuzmukhamedov, juge ad hoc ;
7) Par onze voix contre quatre,
Rejette le surplus des conclusions présentées par l’Ukraine en ce qui a trait à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 19 avril 2017.
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Salam, Iwasawa, M. Brant, juges ; M. Tuzmukhamedov, juge ad hoc ;
CONTRE : Mme Sebutinde, M. Nolte, Mme Charlesworth, juges ; M. Pocar, juge ad hoc.
Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le trente-et-un janvier deux mille vingt-quatre, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de l’Ukraine et au Gouvernement de la Fédération de Russie.
La présidente,
Joan E. DONOGHUE.
Le greffier,
Philippe GAUTIER.
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Mme la juge DONOGHUE, présidente, joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges TOMKA, ABRAHAM, BENNOUNA et YUSUF joignent des déclarations à l’arrêt ; Mme la juge SEBUTINDE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges BHANDARI et IWASAWA, et Mme la juge CHARLESWORTH, joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; M. le juge BRANT joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc POCAR joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ad hoc TUZMUKHAMEDOV joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle, en partie concordante et en partie dissidente.
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Annexe au résumé 2024/2
Separate opinion of President Donoghue
In her separate opinion, President Donoghue explains why she considers that, by banning the Mejlis, the Russian Federation violated its obligations under the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination. She also believes that the Russian Federation violated its obligations under Article 12 of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism. In addition, President Donoghue comments on the Court’s decisions regarding the alleged violations of obligations created by the provisional measures Order of 19 April 2017, with which she agrees.
Declaration of Judge Tomka
Judge Tomka explains that he has been unable to support the Court’s finding that the Russian Federation, by maintaining limitations on the Mejlis, has violated its obligation under paragraph 106 (1) (a) of the Court’s Order of 19 April 2017 indicating provisional measures. He begins by recalling that he did not support the indication of that provisional measure in 2017, for the reasons provided in his declaration appended to the Court’s Order. He continues to believe that the Court went too far when it required the Russian Federation to refrain from maintaining limitations on the ability of the Crimean Tatar community to conserve the Mejlis. Be that as it may, in today’s Judgment the Court concludes that the Mejlis was banned by the Russian Federation due to the political activities carried out by some of its leaders, and not because of their ethnic origin. Accordingly, the Court concludes that it has not been established that the Russian Federation has violated its obligations under CERD by imposing a ban on the Mejlis. Judge Tomka notes that, despite this finding on the merits, the Court goes on to conclude in the present Judgment that the Russian Federation has violated its obligation under paragraph 106 (1) (a) of the Court’s Order of 19 April 2017 not to impose limitations on the Mejlis. Judge Tomka wonders whether this finding, which is somewhat surprising, is in harmony with the Court’s declaration that the Russian Federation has not violated its obligations under CERD.
Judge Tomka observes that the Court in today’s Judgment provides an interpretation of the term “funds” as defined in the ICSFT. The Court holds that the term “funds” refers to resources provided or collected for their monetary and financial value and does not include the means used to commit acts of terrorism, including the supply of weapons or training camps. The Court then concludes that the alleged supply of weapons by the Russian Federation to various armed groups operating in Ukraine falls outside the material scope of the ICSFT, meaning that the Court has no jurisdiction ratione materiae to deal with Ukraine’s claims concerning this alleged supply of weapons. Judge Tomka agrees with this conclusion. He recalls that he had reached the same conclusion in his separate opinion appended to the Court’s 2019 Judgment on preliminary objections. Judge Tomka regrets that the Court refrained from interpreting the term “funds” in its 2019 Judgment, leaving the issue to be determined in the present Judgment. Had the Court interpreted the term “funds” in 2019, this would have spared the Parties unnecessary submissions, including extremely voluminous evidence, on claims which are now declared to fall outside the scope of the ICSFT. For Judge Tomka, the Court adopted an approach that was not in keeping with the principle of procedural economy.
Déclaration de M. le juge Abraham
Dans sa déclaration, le juge Abraham explique les raisons l’ayant conduit à voter contre le point 6 du dispositif. Selon lui, la reconnaissance des deux entités dites « république populaire de Donetsk » et « république populaire de Louhansk » comme des États indépendants et l’« opération militaire spéciale » lancée contre l’Ukraine par la Fédération de Russie sont totalement étrangères au différend soumis à la Cour dans la présente affaire et n’ont aucun effet sur celui-ci. Il estime, par
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conséquent, que la solution judiciaire du différend soumis à la Cour n’a pas été rendue plus difficile par ces événements. Il ajoute que les motifs retenus par la Cour à cet égard introduisent une regrettable ambiguïté sur la question de la licéité des actions de la Fédération de Russie.
Déclaration de M. le juge Bennouna
Le juge Bennouna indique son désaccord quant à la décision de la Cour selon laquelle la Fédération de Russie a violé la mesure conservatoire de non-aggravation que la Cour avait indiquée le 19 avril 2017. Il indique par ailleurs que la Cour a toujours considéré qu’elle ne pouvait pas ordonner la non-aggravation en tant que mesure conservatoire unique, puisque celle-ci est destinée à accompagner des mesures concrètes ou spécifiques de préservation de certains droits. Il est d’avis que cette mesure n’a pas le même caractère obligatoire qui s’attache aux mesures spécifiques destinées à préserver les droits des parties.
Declaration of Judge Yusuf
Judge Yusuf does not agree with the Court’s conclusion that the Russian Federation violated the obligation on non-aggravation under the Order of 19 April 2017 to refrain from any action which might aggravate or extend the dispute before the Court or make it more difficult to resolve.
The Court made clear, in the present Judgment and in its Judgment of 8 November 2019, that its jurisdiction is limited to the dispute between the Parties, which concerns only Ukraine’s claims under the ICSFT and CERD. Moreover, in its Order, the Court found that the conditions for indicating measures in respect of Ukraine’s claims under the ICSFT, relating to events in eastern Ukraine, were not met. It only indicated measures relating to claims under CERD, in respect of events in Crimea.
For Judge Yusuf, non-aggravation clauses are subordinate to substantive provisional measures and their function is to avoid escalation and extension of the dispute so that the Court can settle it through the law. The Court has never indicated a measure of non-aggravation other than as an addendum to measures aimed at preserving specific rights of parties. Such an auxiliary measure cannot be used to extend the scope of the Order or the obligations prescribed by it.
In this Judgment, the Court refers to the Russian Federation’s recognition of the LPR and DPR as independent States and to the launching of a “special military operation” as the basis for finding a violation of the non-aggravation measure. Judge Yusuf, however, recalls that the non-aggravation clause was connected to two measures indicated by the Court in relation to alleged violations of CERD in Crimea. The jurisdictional basis for those measures was CERD and a non-aggravation clause could not, in the view of Judge Yusuf, extend such jurisdiction to the recognition of territorial entities as States or to the armed conflict between Ukraine and the Russian Federation. However, the Court has now applied the non-aggravation measure as having created obligations for the Russian Federation with regard to the DPR and LPR in eastern Ukraine and the armed conflict between the two States. As a result, for Judge Yusuf, the Court has mistaken the legal basis and scope of the non-aggravation measure it indicated in the Order of 19 April 2017.
Judge Yusuf observes that Ukraine has instituted separate proceedings relating to a dispute with the Russian Federation concerning the events of February 2022 between Ukraine and the Russian Federation. Those proceedings are still under consideration by the Court and are distinct and separate from the present case. They also have no relationship whatsoever to the non-aggravation clause in the provisional measures indicated by the Court in this case.
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Dissenting opinion of Judge Sebutinde
In her dissenting opinion, Judge Sebutinde explains why she disagrees with some of the Court’s findings. In her opinion, the Russian Federation has violated its obligations under Articles 12 and 18 of the ICSFT. The Russian Federation is also in violation of its obligations under the CERD with respect to measures taken against the Mejlis and in relation to the law enforcement measures directed at members of the Crimean Tatar population. Judge Sebutinde also elaborates upon the Court’s interpretation and conclusion with respect to the measure of non-aggravation indicated in the Court’s provisional measures Order.
In Judge Sebutinde’s view, the evidentiary threshold applied by the Court under Article 12 is unnecessarily stringent and imposes an impracticable burden upon States requesting mutual assistance. In her view, when making a request for legal assistance, it is not necessary for a State to demonstrate that the alleged funders “knew” what the funds provided were to be used for. The Russian Federation, by failing to provide Ukraine with any assistance at all in relation to Ukraine’s investigation of possible terrorism financing offences, acted in violation of its obligation under Article 12 of the ICSFT.
Judge Sebutinde also finds that with respect to Article 18, the Russian Federation failed to take “all practicable measures” that were within its disposal to prevent and counter preparations for the commission of terrorism financing offences. By endorsing the fundraising activities of officials and private persons under its jurisdiction, for the benefit of the DPR and LPR and failing to take “practicable measures” that were at its disposal to prevent, restrict or limit such fundraising activities, the Russian Federation acted in violation of its obligation under Article 18.
With respect to CERD, Judge Sebutinde finds that the Russian Federation has violated its obligations in relation to its law enforcement measures taken against persons of Crimean Tatar origin and in relation to the measures taken against the Mejlis. In her opinion, the Russian Federation’s indiscriminate enforcement of its anti-extremism legislation against members of the Crimean Tatar community had the effect of discriminating against Crimean Tatars on the basis of their ethnic or national origin. The Russian Federation’s actions taken under this legislation impaired the rights of members of this ethnic minority protected under Articles 2 and 5 (d) (viii) and (ix) of CERD.
Furthermore, the ban against the Mejlis constituted an act of racial discrimination. The representative role uniquely played by the Mejlis as the executive body of the Crimean Tatar people is neither equivalent to that played by the Qurultay, nor can it be replaced by that of any other representative body in Crimea, including the “Qurultay of the Muslims of Crimea” and the “Shura”. Therefore, the ban had the effect of impairing not only the civil rights of the individual members of the Mejlis, but also the civil and cultural rights of the Crimean Tatar community to determine their cultural leaders, in violation of the CERD.
Finally, Judge Sebutinde agrees with the conclusion that the Russian Federation has violated its obligations under the provisional measures indicated by the Court by failing to refrain from action that might aggravate or extend the dispute before the Court or render it more difficult to resolve.
Separate opinion of Judge Bhandari
In his separate opinion, Judge Bhandari expresses his disagreement with the Court’s interpretation of Article 1, paragraph 1, of the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism (“ICSFT”). In his opinion, the term “funds”, as defined in that provision, includes weapons, and the Court errs in holding otherwise.
Judge Bhandari states that the parties to the ICSFT intended to give a special meaning to the term “funds” by providing a definition of that term in Article 1, paragraph 1, “for the purposes of
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this Convention”. That special meaning is the starting point for any interpretation of the term “funds”. The focus of interpretation must therefore be on the intended special meaning. The Court, however, collapses the term “funds” and the special meaning that the parties to the ICSFT give to that term.
As Judge Bhandari notes, Article 1, paragraph 1, provides that “funds means assets of every kind” without limitation. In his view, the Court’s interpretation departs from this ordinary meaning. In particular, Judge Bhandari disagrees with the Court’s conclusion that the definition of funds in Article 1, paragraph 1, only includes limited categories of assets and does not include weapons. According to him, the list of financial and other instruments listed in that provision offers examples of documents or instruments evidencing title to or interest in assets. These examples do not, by contrast, limit or determine the scope of the term “assets of any kind”.
Further, Judge Bhandari states that the Court’s interpretation, according to which the term “funds” also extends to a range of assets exchangeable or used for their monetary value, is self-defeating. Like other assets, weapons can be sold and thereby exchanged for their monetary value. It also strains the text to suggest that “funds”, as defined in Article 1, paragraph 1, cannot include weapons when the definition specifically includes “tangible” and “moveable” assets, terms that typically refer to chattel property. Moreover, Article 1, paragraph 1, also refers to “immovable” property. If “assets of any kind” can include real estate, it must also be capable of including weapons.
The phrase “where such assets are provided for their monetary value but not as means of committing acts of terrorism” in the Court’s Judgment introduces a new, unsupported dimension, according to Judge Bhandari. These words suggest that one and the same asset could either be “funds” or not be “funds”, depending on the intention of the providing party. That is in tension with the text of Article 1, paragraph 1, which provides an objective definition of “funds”, and with Article 2, paragraph 1, which treats funds and intention separately.
Finally, according to Judge Bhandari, neither the context of Article 1, paragraph 1, nor the object and purpose or the negotiating history of the ICSFT justify a departure from this reading of the definition of “funds”.
Separate opinion of Judge Iwasawa
In his opinion, Judge Iwasawa elaborates on two points on which the Court has made important decisions in the present case.
1. Judge Iwasawa recalls that the Court has previously not accepted arguments based on the clean hands doctrine either as a ground for the inadmissibility of a claim or as a defence on the merits. Nor has the Court denied the applicability of the clean hands doctrine before it entirely. In the present case, the Court rejects the clean hands doctrine as a defence on the merits in a situation where the respondent State argues in proceedings before the Court that the applicant State has engaged in unlawful conduct. Judge Iwasawa considers that the Court does not address the applicability of the clean hands doctrine in investment arbitration.
2. According to Judge Iwasawa, international human rights courts and treaty bodies have used similar frameworks for determining whether a differentiation of treatment constitutes discrimination. A differentiation of treatment is considered to constitute discrimination, unless the criteria for such a differentiation are reasonable and objective; in other words, unless the differentiation pursues a legitimate aim and there is a reasonable relationship of proportionality between the means employed and the aim sought to be achieved.
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He considers that a measure based on a prohibited ground listed in Article 1, paragraph 1, of CERD is inherently suspect. A State bears a very heavy burden of demonstrating that it is justified. The level of scrutiny must be most rigorous and the threshold must be especially high.
Judge Iwasawa then explains the notion of indirect discrimination under CERD. If a rule, measure or policy that appears on its face to be neutral has an unjustifiable disproportionate prejudicial impact on a group distinguished by race, colour, descent, or national or ethnic origin, it constitutes racial discrimination, even if it is not specifically aimed at that group. The analysis of disproportionate impact requires a comparison to be made between different groups. A disproportionate prejudicial impact on a group is unjustifiable, unless such an impact can be justified by a legitimate reason that does not implicate any of the prohibited grounds under Article 1, paragraph 1, of CERD. The context and circumstances in which the differentiation was introduced must be taken into account in determining whether it amounts to racial discrimination.
In the view of Judge Iwasawa, it is important that, even though the Court in the present case has refrained from using the term “indirect discrimination”, it has embraced the notion and laid down a framework for analysing indirect discrimination under CERD. The framework laid down by the Court is consistent with the notion of indirect discrimination adopted by other international human rights courts and treaty bodies.
After laying down the framework for indirect discrimination, the Court adds that “collateral and secondary effects” on persons who are distinguished by one of the prohibited grounds do not, in and of themselves, constitute racial discrimination. According to Judge Iwasawa, this addition is wholly unnecessary because the framework adopted by the Court can fully explain why “collateral and secondary effects” do not constitute racial discrimination.
Judge Iwasawa observes that, in the present case, the Russian Federation does not deny the notion of indirect discrimination as such. Rather, it challenges the “very broad notion” as put forward by Ukraine. He points out that, in accordance with the notion of indirect discrimination, equal treatment can also constitute racial discrimination if it has an unjustifiable disproportionate prejudicial impact on a protected group under CERD.
Separate opinion of Judge Charlesworth
While agreeing with much of the Court’s reasoning and many of its conclusions, Judge Charlesworth explains the points of her difference with the majority with respect to the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism (“ICSFT”), the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (“CERD”) and the Court’s Order of 19 April 2017 indicating provisional measures.
Judge Charlesworth thinks that non-financial assets are not excluded from the concept of “funds” under the ICSFT when they are used as means for the commission of offences under Article 2. Although she acknowledges that the ICSFT focuses on financial assets, she considers that its scope is broader and covers non-financial assets even where they are not used for their monetary or financial value. For Judge Charlesworth, the contrary conclusion is counter-intuitive and complicates the application of the ICSFT in practice, because it creates confusion as to the situations in which the parties are to take action under the Convention.
Judge Charlesworth also points to the similarities between Article 9 of the ICSFT, which the Court finds to have been violated in the present case, and Article 12. In her view, the Russian Federation was obliged to take action following Ukraine’s requests for legal assistance pursuant to Article 12. Judge Charlesworth observes that the Russian Federation’s response was delayed and unreasoned, and on that basis she thinks that Article 12 was violated.
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Turning to CERD, Judge Charlesworth notes that the Court’s enquiry was framed following Ukraine’s claims. She emphasizes that individual acts of racial discrimination are wrongful under CERD regardless of whether they form part of a pattern of racial discrimination, and she adds that a pattern of racial discrimination may emerge from a single measure affecting an undefined number of persons.
Judge Charlesworth then discusses the concept of racial discrimination. Relying on the practice of the Committee on the Elimination of Racial Discrimination and other international bodies, she explains that measures producing a disparate adverse effect must be explicable by an objective and reasonable justification. In this connection, she considers that this justification must be subjected to rigorous scrutiny and that, in particular, the measures in question ought to be applied pursuant to a legitimate aim and be proportional to the achievement of this aim.
Against this background, Judge Charlesworth considers that the Court’s assessment of Ukraine’s claims in the present case is not fully consistent. In relation to the Russian Federation’s application of law enforcement measures, which produce a disparate adverse effect on Crimean Tatars, she takes account of reports of the Office of the High Commissioner for Human Rights. In light of those reports, Judge Charlesworth thinks that the Russian Federation’s invocation of considerations of security and public health does not suffice to justify the disparate adverse effect of these measures. Judge Charlesworth also criticizes the finding that the ban on the Mejlis is owing to the political activities carried out by some of its leaders, rather than on grounds of their ethnic origin. In her view, a common feature of measures is that they rely on a variety of justifications, therefore a finding that differential treatment is based on political grounds does not preclude it being also based on prohibited grounds under CERD. For Judge Charlesworth, the Russian Federation has not successfully discharged its burden of establishing that the ban on the Mejlis is justified, because it has not convincingly explained why an outright ban of the entire institution was the appropriate measure in the circumstances.
Judge Charlesworth then offers her views on the Court’s finding of a violation of the provisional measure concerning the non-aggravation of the dispute. According to Judge Charlesworth, the obligation not to aggravate a dispute is an aspect of the obligation to use exclusively peaceful means for the settlement of disputes. Therefore, she argues, conduct that is incompatible with the obligation of peaceful dispute settlement, such as the use of force, is in principle likely to aggravate a dispute pending before the Court. Judge Charlesworth observes that the “special military operation” launched by the Russian Federation since the Court’s Order entails the use of force, and she concludes that this conduct is incompatible with the obligation of non-aggravation. Judge Charlesworth explains that this finding does not concern the compatibility of the Russian Federation’s use of force with international law in general, but rather with the very specific obligation imposed on it under the terms of the Court’s Order. She adds that this finding is without prejudice to the question as to whether Ukraine, to which the same measure was addressed, also failed to comply with it.
Finally, Judge Charlesworth considers that the Russian Federation has also breached the provisional measure relating to ensuring the availability of education in the Ukrainian language. In her view, this measure was aimed at mitigating the risk posed by documented restrictions that had been imposed on the use of Ukrainian as a language of instruction. Therefore, according to Judge Charlesworth, this measure obliges the Russian Federation to ensure that students in Crimea wishing to be educated in the Ukrainian language are able to do so. Relying on reports by the Secretary-General, Judge Charlesworth finds that the availability of instruction in Ukrainian has not always satisfied demand, and therefore she concludes that the Russian Federation has breached its obligation under the Court’s Order.
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Déclaration de M. le juge Brant
Dans sa déclaration, le juge Brant explique les raisons pour lesquelles il ne peut pas se rallier à la conclusion de la Cour selon laquelle la Fédération de Russie a violé l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 19 avril 2017 en raison de la mesure d’interdiction prise à l’encontre du Majlis. Il relève que la Cour est arrivée à la conclusion que les mesures prises par la Fédération de Russie à l’encontre du Majlis n’emportent pas violation des obligations découlant de la CIEDR. Il estime que la mesure telle qu’elle a été indiquée dans l’ordonnance du 19 avril 2017 s’en est trouvée dépourvue d’objet et qu’il n’y avait donc pas lieu pour la Cour d’accueillir la demande de l’Ukraine tendant à faire constater une violation de l’ordonnance par la Fédération de Russie.
Separate opinion of Judge ad hoc Pocar
In his partly dissenting opinion, Judge ad hoc Pocar disagrees with the Court’s methodological approach to the interpretation of the term “funds” in the International Convention for the Suppression of the Financing of Terrorism (hereinafter “ICSFT”). In particular, he criticizes the exclusion of weapons and other objects used operatively in terrorist acts from the definition of “funds” as “assets of every kind”. In his opinion, this exclusion creates an additional element of intent that has no basis in the Convention. As a result, the Court refused to evaluate predicate acts the commission of which was sustained solely by the supply of weapons, including the shooting down of MH17.
Judge ad hoc Pocar also criticizes the Court’s analysis of the co-operation obligations under Articles 10 and 12 of the ICSFT. He believes that the Russian Federation should have at least brought Ukraine’s requests to the attention of the relevant prosecutorial authorities in line with Article 10 of the ICFST, who should have then engaged in a preliminary inquiry into potential acts of terrorism financing. He also dissents from the Court’s decision that the relevant requests for legal assistance cited by Ukraine did not give rise to an obligation by the Russian Federation under Article 12 of the ICSFT to afford Ukraine “the greatest measure of assistance” in connection with the criminal investigations in question.
Moreover, Judge ad hoc Pocar disagrees with the Court’s definition of racial discrimination under the Convention for the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (hereinafter “CERD”) set out in paragraph 196 of the Judgment. This paragraph suggests that prohibited discrimination must always contain an intentional element, whether concealed or not. In Judge ad hoc Pocar’s view, requiring proof of discriminatory intent is inconsistent with the Convention’s prohibition of conduct having a discriminatory effect. His partly dissenting opinion also emphasises that once a prima facie case of discrimination is established by demonstrating the disparate adverse impact on a group protected by the CERD, it is up to the Respondent to demonstrate that the measure in question was taken for a legitimate aim and in a proportionate manner.
Judge ad hoc Pocar points out that the Court failed to apply these principles correctly to the ban of the Mejlis, which, in his opinion, created an unjustified disparate impact on the rights of Crimean Tatars and therefore constitutes a violation of the Russian Federation’s obligations under the CERD.
Finally, Judge ad hoc Pocar notes that the protection of minority language education under the CERD is broader than acknowledged by the Court in its Judgment. He dissents from the Judgment’s conclusion that the Russian Federation has not violated the Court’s provisional measures Order of 2017 in relation to the availability of Ukrainian language education. In his view, a State cannot escape an obligation to ensure the availability of language education by artificially reducing demand, including by displacement and intimidation.
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Separate opinion, partly concurring and partly dissenting, of Judge ad hoc Tuzmukhamedov
In his partly concurring and partly dissenting separate opinion, Judge ad hoc Tuzmukhamedov explains his reasons for dissenting and elaborates upon some of the issues not addressed in the Judgment.
Regarding the ICSFT, Judge ad hoc Tuzmukhamedov observes that the Court did not determine with certainty that the attacks which took place in Donbass were attributable to the Donbass forces. He also regrets that the Majority did not examine the incident involving the MH17 more deeply, as it could have found it was not the DPR responsible for it. However, Judge ad hoc Tuzmukhamedov concurs with the Majority’s view that there was a distinct lack of terrorist intent. The incidents that Ukraine cast as “acts of terrorism” occurred in the course of hostilities and involved military targets. There was no intent to harm civilians, spread terror and the intent or knowledge on behalf of an alleged financier that financing would go towards those goals was not present.
Judge ad hoc Tuzmukhamedov takes the view that the lack of proof of terrorism financing should have excluded violation of ancillary obligations to co-operate under Article 9 of the ICSFT. In his view, the Majority could not have found a breach of an obligation ancillary to the principal obligation to combat terrorism financing when it had not been proven that terrorism financing took place at all. Judge ad hoc Tuzmukhamedov is also of the opinion that the threshold adopted by the Court with regard to Article 9 of the ICSFT was far too low. He believes that Ukraine has presented nothing but mere “allegations” of the commission of the offence under Article 2 of the ICSFT. Finally, the Judge argues that, in any case, the Respondent did engage in adequate co-operation with the Applicant under Article 9.
Judge ad hoc Tuzmukhamedov believes that the Majority was correct in finding absence of violation of Article 12 as the Ukrainian MLA requests did not explicitly refer to terrorism financing offences or the ICSFT; Russia’s refusals to co-operate on several matters were legitimately based on sovereignty as well as national security; and the circumstances prevailing in relations between the Parties justified such refusals.
Regarding the meaning of “funds”, Judge ad hoc Tuzmukhamedov concurs with the view of the Majority. He believes that excluding weapons from the definition of “funds” is clear from the ordinary meaning of the term, the development history of the ICSFT, its structure and the context.
In the view of Judge ad hoc Tuzmukhamedov, all the requirements established in the Court’s previous jurisprudence were present for the Court to apply the “clean hands” doctrine with respect to the ICSFT case, which it had missed.
Turning to CERD, Judge ad hoc Tuzmukhamedov believes that the Court properly found no evidence of racial discrimination regarding the vast majority of Ukraine’s allegations. Moreover, he agrees with the Majority that political views do not constitute an element of “ethnic origin” which must be a “characteristic acquired at birth”.
Judge ad hoc Tuzmukhamedov also opines that the ban on “Mejlis” does not constitute racial discrimination. To him, the key factor of considering the ban lawful was its role in the blockade of Crimea. It is regrettable that the Court chose to neglect the United Nations OHCHR reports on the human rights situation in Crimea which called attention to the action of “Mejlis” leadership together with Ukrainian neo-Nazi armed groups in organizing the blockade of trade routes and other infrastructure vital to the livelihood of Crimeans.
According to Judge ad hoc Tuzmukhamedov, the Court rightfully dismissed Ukraine’s concept of “indirect discrimination”. In his view, Ukraine tried to advance a particularly broad interpretation of the concept, which is not rooted in CERD, nor supported by judicial practice.
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Judge ad hoc Tuzmukhamedov strongly disagrees with the Majority’s view with respect to school education in the Ukrainian language. Since CERD does not contain a general right to school education in a minority language and a State is free in choice and scope of offer of school education in minority languages, the Court should have concluded that there was no violation under CERD. In the absence of a protected right under CERD there cannot be racial discrimination with regard to the exercise of that right. Moreover, Judge ad hoc Tuzmukhamedov has a different view from that of the Majority that a decline in numbers of parents choosing Ukrainian as a language in which their children were to be educated could only result from a policy of racial discrimination imposed by Russia. To him, it has occurred as an objective consequence of the Crimean population — predominantly Russians and Russian speakers — choosing Russian as language of school education. In addition to that, Judge ad hoc Tuzmukhamedov observes that the Russian system of education already provides an opportunity to educate children in Ukrainian. For all these reasons, he believes that the Court reached a mistaken conclusion with regard to language of school education and, to make matters worse, the remedies formulated by the Court are too imprecise.
Like with the ICSFT, the circumstances were present for the Court to apply the doctrine of “clean hands” to the CERD case, according to Judge ad hoc Tuzmukhamedov. Ukraine has been systematically violating the rights of Russians and other ethnic groups. And yet the Majority opted for not engaging substantively with the facts cited by Russia.
Finally, Judge ad hoc Tuzmukhamedov concurs with the Majority’s opinion that there was no violation of the provisional measures Order with regard to education in the Ukrainian language, however, he disagrees with the decision regarding the ban on “Mejlis”. To him, from the very beginning the measure in respect of “Mejlis” was ill-founded, but especially since the Court eventually found the ban not to be in contravention of CERD, the Applicant had no right that needed to be protected and thus the Respondent could not have been found responsible for not protecting the non-existent or already successfully protected right. Regarding the measure on non-aggravation, in the opinion of Judge ad hoc Tuzmukhamedov, the events of 2022 are beyond the scope of the dispute brought to the Court in 2017 and the provisional measure of non-aggravation should have ceased to be operative upon conclusion of the case. There had been no “aggravation” of the ICSFT/CERD dispute. In addition to that, Judge ad hoc Tuzmukhamedov observes that the Court did not conform to the principle of impartiality and equal treatment of the Parties since it did not even attempt to examine Ukraine’s compliance with the provisional measure of non-aggravation, as prescribed by the Order of 19 April 2017 addressed to both Parties.
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Résumé de l'arrêt du 31 janvier 2024

Order
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