DÉCLARATION DE M. LE JUGE NOLTE
[Traduction]
1. Les circonstances de la présente affaire sont tragiques. Le 7 octobre 2023, des personnes liées au Hamas ont attaqué Israël depuis la bande de Gaza. Elles ont commis des atrocités au cours desquelles plus de 1 000 Israéliens ont été tués et plus de 200, pris en otage. Des roquettes continuent d’être tirées sur Israël. Celui-ci a riposté en lançant dans la bande de Gaza une opération militaire qui a tué et blessé des milliers de civils palestiniens, causé le déplacement d’une grande partie de la population de la bande de Gaza, et détruit une proportion importante des bâtiments où résidaient quelque deux millions d’habitants (voir le paragraphe 13 de l’ordonnance)1. Cette situation apocalyptique s’inscrit dans un contexte politique et historique d’une grande complexité, et les opinions divergent grandement à travers le monde sur la question de savoir qui est responsable de la situation actuelle, ainsi que sur les différents aspects du conflit dans son ensemble et les solutions à y apporter.
I.
2. Le rôle de la Cour en l’espèce ne peut être que limité. L’Afrique du Sud a introduit sa requête contre Israël sur le seul fondement de la convention sur le génocide. Cela signifie que l’affaire non seulement ne concerne que des violations alléguées de la convention sur le génocide, mais encore qu’elle ne concerne que des violations de la convention imputées à Israël. La présente affaire ne porte donc pas sur d’éventuelles violations d’autres règles de droit international, tels des crimes de guerre, ni sur d’éventuelles violations de la convention sur le génocide commises par des personnes liées au Hamas. Si ces limites sont regrettables, la Cour est néanmoins tenue de les respecter. Cela dit, je tiens à rappeler que les personnes liées au Hamas demeurent responsables des actes de génocide qu’elles ont pu commettre. De même, Israël et les personnes liées au Hamas demeurent responsables, au regard du droit, de toute violation d’autres règles de droit international, notamment du droit international humanitaire, auxquelles ils se livreraient. Une telle responsabilité peut et doit être déterminée au moyen d’autres procédures judiciaires.
3. La convention sur le génocide de 1948 est un traité bien particulier. Elle a été conclue en 1948 au lendemain de l’Holocauste commis par l’Allemagne nazie en Europe. Son préambule énonce que « le génocide est un crime du droit des gens, en contradiction avec l’esprit et les fins des Nations Unies et que le monde civilisé condamne », et exprime l’engagement de « libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux ». À cette fin, l’article II de la convention définit juridiquement le crime de génocide comme un ensemble d’actes spécifiques « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Je conçois fort bien que l’État d’Israël, établi en 1948 comme une terre d’asile devant accueillir le peuple juif pour le protéger, notamment contre un nouveau génocide, s’oppose vivement aux allégations selon lesquelles il violerait aujourd’hui la convention.
1 Voir United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (OCHA), “Hostilities in the Gaza Strip and Israel reported impact, Day 107” (22 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.ochaopt.org/ content/hostilities-gaza-strip-and-israel-reported-impact-day-107. Il convient de noter que ce document de l’Organisation des Nations Unies comporte la note d’avertissement suivante :
« L’ONU n’a jusqu’à présent pas été en mesure d’établir un bilan indépendant, complet et vérifié des victimes ; les chiffres actuels sont fournis par le ministère de la santé ou le service de presse gouvernemental de Gaza et les autorités israéliennes, et nécessitent de plus amples vérifications. Des chiffres d’autres sources, qui doivent encore être vérifiés, sont également recueillis. »
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4. La Cour ne pouvait cependant rejeter la requête de l’Afrique du Sud sur ce fondement. En adhérant à la convention sur le génocide, Israël a accepté la compétence conférée à la Cour par l’article IX de celle-ci pour connaître des « différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ».
5. Dans la présente phase de la procédure, la Cour n’était pas appelée à déterminer si les allégations de génocide formulées par l’Afrique du Sud étaient fondées. Elle ne pouvait, à ce stade, qu’apprécier si les circonstances de l’espèce, telles qu’elles lui étaient présentées, justifiaient d’ordonner (ou d’« indiquer ») des mesures conservatoires afin de protéger des droits découlant de la convention sur le génocide qui risquaient d’être violés avant qu’elle ne rende sa décision sur le fond. Elle n’avait pas, aux fins de cet examen, à s’intéresser à un certain nombre de questions bien connues et controversées, telles que celles relatives au droit de légitime défense et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ou encore au statut territorial. Il lui fallait garder à l’esprit que la convention sur le génocide n’a pas vocation à régir les conflits armés en tant que tels, même lorsqu’ils s’accompagnent d’un usage excessif de la force et entraînent un nombre considérable de victimes.
6. La portée limitée de la présente phase de la procédure exigeait une appréciation sommaire par la Cour de certaines des prétentions, très divergentes, formulées par l’une et l’autre des Parties. Ces dernières se sont malheureusement livrées à un dialogue de sourds lors des audiences. L’Afrique du Sud a à peine évoqué l’attaque du 7 octobre 2023 et le massacre qui a suivi, tandis qu’Israël a pratiquement passé sous silence les rapports de l’Organisation des Nations Unies sur la situation humanitaire dans la bande de Gaza. De même, l’Afrique du Sud n’a à peu près rien dit des efforts déployés par Israël pour évacuer la population civile des zones d’hostilités, et Israël n’a, quant à lui, pas véritablement traité les propos extrêmement problématiques tenus par certains de ses responsables, notamment au sein de ses forces armées.
7. Face aux présentations radicalement divergentes de l’une et l’autre des Parties, la Cour doit appliquer les normes juridiques existantes. Ce n’est pas la première fois qu’elle est priée par un État d’indiquer des mesures conservatoires sur le fondement de la convention sur le génocide, et elle a déjà, à plusieurs reprises, donné suite à une telle demande, notamment en 2020, en l’affaire qui a opposé la Gambie et le Myanmar. Aussi extraordinaire la présente affaire soit-elle, la Cour dispose des moyens nécessaires pour en connaître : sa propre jurisprudence. La présente ordonnance applique les normes élaborées dans le cadre de cette jurisprudence, sans toutefois établir les différences notables qui existent entre la présente affaire et celles dont a été saisie la Cour par le passé, ni préciser l’importance relative de certains facteurs. C’est pourquoi j’ai tenu à expliquer les raisons pour lesquelles j’ai voté en faveur des mesures indiquées.
II.
8. Il convient de garder à l’esprit que « la composante propre du génocide », qui distingue celui-ci d’autres actes criminels (par exemple, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre), est l’existence d’une « intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel »2. La Cour a établi des critères exigeants pour pouvoir conclure formellement, au stade du fond, à l’existence d’une intention génocidaire. En l’absence de « plan général tendant à cette fin », l’« intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe protégé » ne
2 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 62 et 64, par. 132 et 138-139.
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peut se déduire de la « ligne de conduite » que si c’est « la seule déduction raisonnable qui puisse être faite » des actes en question
3.
9. Au stade actuel de la procédure, la Cour n’était pas appelée à se prononcer de manière définitive sur l’existence de violations des droits découlant de la convention sur le génocide que l’Afrique du Sud souhaitait voir protégés, mais seulement sur le caractère « plausible » de ces droits et sur la question de savoir s’il y avait un « risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable » leur soit causé avant qu’elle ne rende sa décision au fond4.
10. La jurisprudence de la Cour ne définit pas de manière précise ce que recouvre la notion de « plausibilité »5. Des décisions récentes donnent à croire que toute demande en indication de mesures conservatoires doit satisfaire à un certain niveau de preuve, pour ce qui est des allégations qu’elle contient6, et notamment fournir des indices de la présence des éléments moraux essentiels7. Dans la présente ordonnance, la Cour a noté l’importance de l’intention génocidaire spécifique sans toutefois s’intéresser à la plausibilité de celle-ci en l’espèce (voir les paragraphes 44 et 78).
11. Compte tenu du rôle crucial de l’intention génocidaire aux fins des droits découlant de la convention sur le génocide et de la distinction entre les actes génocidaires et les autres crimes, la plausibilité de cet élément moral constitue, selon moi, un aspect indispensable au stade des mesures conservatoires dans les affaires relatives à des allégations de génocide. C’est ce que confirme l’ordonnance rendue par la Cour le 23 janvier 2020 en l’affaire Gambie c. Myanmar. Il est vrai que celle-ci a, au paragraphe 56 de cette ordonnance, indiqué ce qui suit :
« Compte tenu de la fonction des mesures conservatoires, qui est de protéger les droits de chacune des parties en attendant qu’elle rende sa décision définitive, la Cour ne considère pas que l’exceptionnelle gravité des allégations formulées soit un élément décisif justifiant, comme le soutient le Myanmar, d’établir, à ce stade de la procédure, l’existence d’une intention génocidaire. De l’avis de la Cour, l’ensemble des faits et circonstances mentionnés ci-dessus (voir les paragraphes 53-55) suffisent pour conclure que les droits … sont plausibles. »
12. Cela ne change toutefois rien au fait que la plausibilité d’une telle intention doit être démontrée dans les circonstances de l’espèce. En effet, ce même paragraphe 56 confirme que l’ordonnance doit se lire à la lumière des faits et des circonstances dont il est question aux paragraphes précédents, dans lesquels la Cour a pris en considération des rapports détaillés de la
3 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 67, par. 148 ; voir également Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 196-197, par. 373.
4 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 27-28, par. 74-75.
5 K. Oellers-Frahm and A. Zimmermann, “Article 41”, in A. Zimmermann et al., The Statute of the International Court of Justice: A Commentary (3e éd.), (OUP 2019), p. 1157-1158.
6 Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures conservatoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 242-243, par. 45 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 427, par. 54.
7 Voir Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 19 avril 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 131-132, par. 75-76.
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mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar
8. Dans chacun de ces rapports, la mission a longuement examiné et a, in fine, déclaré plausible — l’existence d’une intention génocidaire9. Au paragraphe 55 de l’ordonnance précitée, la Cour note explicitement que, dans ses rapports, la mission a conclu qu’elle avait « des motifs raisonnables de penser que les éléments permettant de déduire l’existence d’une intention génocidaire [étaient] réunis ». C’est sur la base de cette conclusion concernant l’intention génocidaire que la Cour a considéré que les droits revendiqués au titre de la convention sur le génocide étaient plausibles. L’ordonnance du 23 janvier 2020 confirme donc que l’existence de l’intention génocidaire doit être plausible pour que des mesures conservatoires sollicitées sur le fondement de la convention sur le génocide puissent être indiquées.
13. Compte tenu de ce qui précède, je ne suis pas persuadé que l’Afrique du Sud ait démontré de façon plausible que l’opération militaire mise en oeuvre par Israël était, en tant que telle, sous-tendue par une intention génocidaire. Les éléments de preuve qu’elle a produits concernant cette opération militaire diffèrent fondamentalement de ceux contenus dans les rapports de la mission internationale indépendante d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies relative à l’opération dite « de nettoyage » menée en 2016 et 2017, sur lesquels la Cour s’est appuyée pour rendre son ordonnance du 23 janvier 2020 en l’affaire Gambie c. Myanmar. Ces rapports fournissaient des indications détaillées sur le rôle joué par les forces militaires et de sécurité dans les atrocités commises contre le groupe des Rohingya10. Ayant examiné différentes autres déductions raisonnables qui pouvaient être faites des informations présentées, en particulier des considérations de sécurité11, la mission a constaté, dans son rapport, que « [c]eux qui [avaient] orchestré les attaques contre les Rohingya sembl[ai]ent avoir agi en suivant scrupuleusement une liste préétablie [concernant l’intention génocidaire] », concluant qu’elle avait « des motifs raisonnables de penser que les éléments permettant de déduire l’existence d’une intention génocidaire [étaient] réunis »12. Sur la base de ces informations, la Cour a estimé que, au vu des circonstances, les droits du groupe des Rohingya découlant des litterae a) à d) de l’article II de la convention sur le génocide, tels qu’allégués par la Gambie, étaient plausibles.
14. Les renseignements fournis par l’Afrique du Sud au sujet de l’opération militaire d’Israël ne sont pas comparables aux éléments de preuve présentés à la Cour en 2020 en l’affaire Gambie c. Myanmar. Si l’on ne devait pas s’attendre à ce qu’elle fournisse dès à présent à la Cour des rapports détaillés émanant d’une mission internationale d’établissement des faits, l’Afrique du Sud ne pouvait, pour autant, se contenter d’invoquer l’horreur des pertes en vies humaines et des destructions qui avaient été causées par l’opération militaire d’Israël et continuaient de l’être. Elle aurait dû traiter non seulement l’objectif annoncé de l’opération, à savoir la « destruction du Hamas » et la libération des otages, mais aussi d’autres faits manifestes, tels les alertes invitant la population civile à évacuer, la politique officielle et les ordres adressés aux soldats consistant à ne pas cibler les civils, la manière
8 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 22, par. 55, citant Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, 12 septembre 2018, doc. A/HRC/39/64 ; UN Human Rights Council, “Report of the Detailed Findings of the Independent International Fact-Finding Mission on Myanmar”, doc. A/HRC/39/CRP.2, 17 September 2018 ; et Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, 8 août 2019, doc. A/HRC/42/50.
9 Voir A/HRC/39/64, 12 septembre 2018, par. 84-87 ; A/HRC/39/CRP.2, 17 September 2018, par. 1411-1441 ; A/HRC/42/50, 8 août 2019, par. 90. Voir autre rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits (UN doc. A/HRC/42/CRP.5, 16 September 2019), par. 220-225 et 238, auquel il est fait référence dans d’autres paragraphes de l’ordonnance.
10 UN doc. A/HRC/39/CRP.2, 17 September 2018, par. 1394-1395 et 1406.
11 Ibid., par. 1434-1438.
12 Ibid., par. 1440-1441.
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dont les forces en présence s’affrontaient sur le terrain, ou encore le fait de permettre l’acheminement d’une certaine quantité d’aide humanitaire, autant d’éléments qui pouvaient conduire à faire de la « ligne de conduite » alléguée d’autres déductions plausibles que l’intention génocidaire. En effet, ces mesures mises en oeuvre par Israël, bien qu’elles ne soient pas déterminantes, rendaient au moins plausible l’idée que l’opération militaire n’était pas sous-tendue par une intention génocidaire. L’Afrique du Sud n’a pas pris en considération ces circonstances sous-jacentes et ne s’est, selon moi, pas suffisamment penchée sur ce qui en découle pour la plausibilité des droits des Palestiniens de la bande de Gaza au regard de la convention sur le génocide.
15. Même s’il ne me semblait pas plausible que l’opération militaire fût sous-tendue par une intention génocidaire, j’ai voté en faveur des mesures indiquées par la Cour. Celle-ci n’était nullement tenue, pour indiquer ces mesures, de conclure que l’opération militaire mettait en question, en tant que telle, des droits plausibles des Palestiniens de la bande de Gaza. Ma décision de voter en faveur des mesures indiquées repose sur l’affirmation plausible de l’Afrique du Sud selon laquelle certaines déclarations émanant de représentants de l’État israélien, dont des membres de son armée, donnaient lieu à un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable fût causé aux droits garantis aux Palestiniens par la convention sur le génocide (voir les paragraphes 50 à 52 de l’ordonnance). À ce stade de la procédure, il n’était pas nécessaire de déterminer si de telles déclarations devaient être qualifiées d’« incitation directe et publique à commettre le génocide » au sens de la littera c) de l’article III de la convention sur le génocide. Ces déclarations, si elles peuvent effectivement, pour certaines d’entre elles, s’interpréter comme renvoyant exclusivement au Hamas et à d’autres groupes armés de la bande de Gaza, sont toutefois au moins extrêmement ambiguës dans l’utilisation qui y est faite de termes déshumanisants et indifférenciés à l’égard des Palestiniens de la bande de Gaza en tant que groupe. Étant donné qu’elles émanaient de hauts responsables et s’adressaient donc aussi aux soldats participant aux hostilités dans la bande de Gaza, je ne peux exclure de manière plausible qu’elles aient pu s’inscrire dans un possible manquement d’Israël à l’obligation qu’il avait de prévenir et de punir des actes d’incitation directe et publique à commettre le génocide. En effet, l’Afrique du Sud a produit des éléments, qu’Israël n’a pas contestés, prouvant que des passages incendiaires de ces déclarations avaient été repris sous forme de menaces par des membres des forces armées israéliennes13. Cela confirme que de telles déclarations pouvaient contribuer à un « risque grave » que fussent commis d’autres actes de génocide que l’incitation directe et publique, mettant en jeu l’obligation d’Israël de prévenir le génocide14.
16. Les déclarations d’Israël et des organismes de l’ONU concernant l’accès adéquat des Palestiniens de la bande de Gaza à l’eau et à la nourriture et à d’autres formes d’aide humanitaire diffèrent sensiblement15. Les organismes de l’ONU ont affirmé que la nourriture et les autres biens nécessaires à la survie de la population faisaient cruellement défaut16, ce qui soulève la question de savoir si les autorités israéliennes entravent de manière injustifiée la fourniture de la nourriture et d’autres biens nécessaires à la population civile de Gaza dans son ensemble, ou au moins à une partie
13 CR 2024/1, p. 36, par. 21 (Ngcukaitobi).
14 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221-222, par. 431.
15 CR 2024/2, p. 32, par. 41 (Shaw) ; p. 46-49, par. 51-77 (Raguan) ; p. 50-52, par. 9-13 (Sender) ; Under-Secretary-General for Humanitarian Affairs and Emergency Relief Co-ordinator, Mr Martin Griffiths’ briefing to the UN Security Council on the humanitarian situation in Israel and the Occupied Palestinian Territory, 12 January 2024 ; UN News, “Humanitarian aid”, 11 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/ 2024/01/11454.
16 Letter from the Secretary-General to the President of Security Council invoking Article 99 of the United Nations Charter, 6 December 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/sites/un2.un.org/files/ sg_letter_of_6_december_gaza.pdf.
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importante de celle-ci
17. Dans ce contexte et au stade des mesures conservatoires, il y avait lieu, selon moi, d’accorder du poids à l’appréciation faite par les divers organismes de l’ONU concernant les circonstances menaçant l’existence du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza. En conséquence, j’ai aussi voté en faveur de la quatrième mesure.
III.
17. Je suis d’avis que l’Afrique du Sud a démontré la plausibilité, à ce stade préliminaire de la procédure, d’une partie, et non de la totalité, des droits qu’elle alléguait (voir le paragraphe 54 de l’ordonnance). Par les mesures qu’elle a indiquées, la Cour a aujourd’hui, selon moi, répondu à certains risques plausibles qui pesaient sur les droits des Palestiniens de la bande de Gaza au titre de la convention sur le génocide, et rappelé à Israël ses obligations au regard de cet instrument.
(Signé) Georg NOLTE.
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17 Under-Secretary-General for Humanitarian Affairs and Emergency Relief Co-ordinator, Mr Martin Griffiths’ briefing to the UN Security Council on the humanitarian situation in Israel and the Occupied Palestinian Territory, 12 January 2024 ; UN News, “Humanitarian aid”, 11 January 2024, accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2024/01/1145422.
Déclaration de M. le juge Nolte