Opinion dissidente de Mme la juge Charlesworth

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OPINION DISSIDENTE DE MME LA JUGE CHARLESWORTH
[Traduction]
Explication du vote contre — Distinction entre droits à des espaces maritimes et délimitation maritime — Facteurs pertinents pour la détermination des droits à des espaces maritimes — La première question en tant que question concernant le droit à un espace maritime.
Interprétation du droit international coutumier — Méthodologie.
Plateau continental étendu — Interprétation de la CNUDM.
Relation entre zone économique exclusive et plateau continental — Arrêt de la Cour en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte) — Affaires du Golfe du Bengale.
Pertinence de la pratique des États — Résumés des demandes adressées à la Commission des limites du plateau continental — Caractère général de la pratique — Opinio juris — Évaluation de la pratique — Conviction juridique et délimitation équitable.
I. INTRODUCTION
1. Dans le présent exposé de mon opinion, j’expliquerai pourquoi j’ai voté contre tous les alinéas du dispositif de l’arrêt de ce jour. Les questions que la Cour se proposait d’examiner au stade actuel de l’instance étaient formulées en termes abstraits, sans rapport avec les faits spécifiques de l’affaire dont elle est saisie (paragraphe 14 de l’arrêt). C’est pour cette raison que j’ai souscrit à l’ordonnance du 4 octobre 2022. Selon moi, cependant, le raisonnement suivi par la Cour dans son arrêt a permis que des considérations propres à l’espèce viennent troubler son examen de principes abstraits.
II. PREMIÈRE QUESTION
2. La première question était formulée comme suit :
« En droit international coutumier, le droit d’un État à un plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de sa mer territoriale peut-il s’étendre à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État ? » (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), ordonnance du 4 octobre 2022.)
A. Droits à des espaces maritimes et délimitation maritime
3. La première question porte sur la détermination du droit à un espace maritime — dans le cas d’espèce, le droit d’un État côtier à un plateau continental au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base (le « plateau continental étendu »)1. Cette question est à la fois distincte et
1 J’emploie le terme de « lignes de base » comme abréviation de « lignes de base à partir desquelles la largeur de la mer territoriale est mesurée » et j’en fais un synonyme de « côte ». J’emploie le terme de« plateau continental étendu » pour désigner le plateau continental qui se prolonge jusqu’à la limite extérieure de la marge continentale, lorsque cette limite extérieure se situe à plus de 200 milles marins des lignes de base de l’État côtier.
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complémentaire de la question de la délimitation maritime
2. Ces deux questions sont gouvernées par des régimes juridiques différents et peuvent donner naissance à des différends spécifiques3.
4. Comme il est dit au paragraphe 42 de l’arrêt, la première étape dans toute délimitation maritime consiste à déterminer s’il existe des droits. Pendant cette première étape, la question qui se pose est celle de savoir si, en droit international, un État côtier peut prétendre exercer sa juridiction sur un espace maritime donné. Or, dans les situations où plusieurs États côtiers peuvent prétendre exercer leur juridiction sur un même espace maritime, cette juridiction ne saurait être exercée concurremment par tous les États côtiers, du moins sans leur consentement. C’est dans de telles situations que l’on a recours à la délimitation maritime pour résoudre les problèmes de droits concurrents sur un même espace maritime. Le processus de délimitation maritime détermine l’étendue spatiale de la juridiction de chaque État côtier sur une partie de cet espace maritime commun4 et sanctionne de ce fait l’exercice de la juridiction de l’État côtier telle que le droit international la reconnaît.
5. Toute délimitation maritime a pour objet d’aboutir à une solution équitable5. Il s’ensuit que, dans une situation dans laquelle plusieurs États côtiers ont droit à des espaces maritimes dans un même espace, le processus de délimitation aura presque inévitablement pour résultat que chacun de ces États devra sacrifier une partie de son droit et exercer sa juridiction sur un espace maritime moins important que celui auquel il aurait théoriquement droit6. Par exemple, lorsque les côtes de deux États sont éloignées de 100 milles marins l’une de l’autre, chacun de ces États a théoriquement droit à un plateau continental qui s’étend jusqu’à la côte de l’autre État. Cela ne signifie pas pour autant que chacun desdits États puisse exercer sa juridiction sur l’intégralité du plateau continental en arguant de ce droit théorique. C’est au processus de délimitation maritime qu’il appartient de déterminer les espaces maritimes sur lesquels chacun des États côtiers pourra exercer la juridiction que lui reconnaît le droit international.
6. La question de savoir si un État côtier est admis, en droit international, à exercer des droits souverains sur le plateau continental aux fins de son exploration et de l’exploitation de ses ressources naturelles est une question de droit à des espaces maritimes. La question de savoir quelles parties du plateau continental sont censées relever de cet État côtier lorsqu’un autre État côtier a lui aussi des droits souverains sur le même plateau continental est une question de délimitation maritime et des effets que celle-ci produit.
2 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 30, par. 27.
3 Arbitrage entre la République des Philippines et la République populaire de Chine concernant la mer de Chine méridionale, sentence du 29 octobre 2015 sur la compétence et la recevabilité, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XXXIII, p. 65, par. 156.
4 Yoshifumi Tanaka, Predictability and Flexibility in the Law of Maritime Delimitation, Oxford, Hart, deuxième édition, 2019, p. 6 ; voir également Prosper Weil, Perspectives du droit de la délimitation maritime, Paris, Pedone, 1988.
5 Délimitation maritime dans la région située entre le Groenland et Jan Mayen (Danemark c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1993, p. 59, par. 48 ; voir également Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 59, par. 70 ; Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 67, par. 235.
6 Délimitation des espaces maritimes entre le Canada et la République française, décision du 10 juin 1992, Nations Unies, RSA, vol. XXI, p. 289, par. 67 ; ibid., opinion dissidente de M. Prosper Weil, p. 307, par. 17.
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B. La détermination des droits à des espaces maritimes dans la jurisprudence de la Cour
7. La Cour a développé une jurisprudence considérable sur la question des droits à des espaces maritimes. Dans l’affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), elle a expliqué que « [c]’est la terre qui confère à l’État riverain un droit sur les eaux qui baignent ses côtes »7. Ce principe a été confirmé, en ce qui concerne le droit d’un État à un plateau continental, par l’arrêt en l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire8. Le Tribunal international du droit de la mer y a souscrit lorsqu’il a conclu que « [l]e titre d’un État côtier sur le plateau continental est établi du fait de l’existence de la souveraineté sur le territoire terrestre »9. Cela ne veut pas nécessairement dire que le droit à des espaces maritimes dépende à perpétuité de la présence ou de l’intégrité du territoire terrestre. La conception juridique du droit à des espaces maritimes pourrait très bien être appelée à s’adapter aux défis modernes10. Cela veut simplement dire qu’en droit international coutumier, le droit à des espaces maritimes découle du droit sur le territoire terrestre.
8. Il s’ensuit que lorsque la Cour détermine le droit d’un État côtier à des espaces maritimes, elle examine uniquement la question de savoir si cet État détient la souveraineté sur le territoire terrestre pertinent, ainsi que les caractéristiques de ce territoire (parce que, par exemple, toutes les formations maritimes ne sont pas génératrices d’un droit à un plateau continental)11. Il est établi qu’aucun autre facteur n’informe la question du droit d’un État côtier à un espace maritime — en tout cas aucun facteur touchant aux droits des autres États côtiers de la région à des espaces maritimes. La logique qui préside au fait que les droits de chaque État à des espaces maritimes sont déterminés séparément transparaît également dans les contraintes applicables à la détermination du rebord externe de la marge continentale selon l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après la « CNUDM » ou la « convention »), abstraction faite de la question de savoir si ces contraintes font partie du droit international coutumier. Aucune de ces contraintes n’a trait à la présence d’autres États.
9. Les droits d’autres États à des espaces maritimes informent cependant et évidemment la question de la délimitation. La Cour a illustré ce point dans son arrêt en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) en ce qui concerne les rapports entre le droit d’un État à une mer territoriale et le droit d’un autre État à un plateau continental12. Dans cet arrêt, elle a examiné le « chevauchement de la mer territoriale revendiquée par la Colombie autour de chacune de ses îles avec le plateau continental et la zone économique exclusive auxquels peut prétendre le
7 Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 133.
8 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 89, par. 77 : « Le titre d’un État sur le plateau continental et la zone économique exclusive est fondé sur le principe selon lequel la terre domine la mer du fait de la projection des côtes ou des façades côtières. » Cet arrêt cite également les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays Bas) : « la terre est la source juridique du pouvoir qu’un État peut exercer dans les prolongements maritimes » (arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96). Voir également Plateau continental de la mer Égée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 36, par. 86 : « les droits sur le plateau continental sont, du point de vue juridique, à la fois une émanation de la souveraineté territoriale de l’État riverain et un accessoire automatique de celle-ci ».
9 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 107, par. 409.
10 Voir, par exemple, « Élévation du niveau de la mer au regard du droit international : Note complémentaire à la première note thématique établie en 2020 par Bogdan Aurescu et Nilüfer Oral, coprésidents du groupe d’étude sur l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international », Nations Unies, doc. A/CN.4/761, 13 février 2023, par. 155 ; voir également « Resolution 5/2018: Committee on International law and sea level rise », International Law Association Reports of Conferences, Vol. 78 (2018), p. 29.
11 Paragraphe 3 de l’article 121 de la CNUDM, qui fait partie du droit international coutumier : Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 674, par. 139.
12 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 690, par. 177-178.
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Nicaragua »
13. La Cour a pris pour point de départ le fait que le droit d’un État (le Nicaragua en l’espèce) à un plateau continental peut empiéter sur la mer territoriale à laquelle un autre État (la Colombie en l’espèce) peut prétendre, avec pour résultat un chevauchement de leurs droits. Elle a toutefois précisé que, dans une telle situation, il ne serait pas donné effet au droit du premier État, à savoir que ce premier État ne serait pas admis à exercer sa juridiction sur un plateau continental qui se prolongerait jusque dans la mer territoriale de l’autre État14.
10. De son côté, l’arrêt de ce jour soutient que, dans un espace maritime particulier (l’espace en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un État côtier), un type particulier de droit concurrent à des espaces maritimes (le droit à un plateau continental étendu) est exclu (paragraphe 79 de l’arrêt). Les autres droits à des espaces maritimes dans ce même espace — le droit d’un État tiers à une zone économique exclusive, par exemple, ou le droit d’un quatrième État à une mer territoriale — restent légalement opposables, et les chevauchements qui s’ensuivent doivent être résolus par voie de délimitation maritime. Ce n’est toutefois pas le cas du droit à un plateau continental étendu. C’est sur ce fondement que la Cour ne procède pas à une délimitation maritime (paragraphes 86 et 91 de l’arrêt).
C. Méthodologie
11. La tâche qui incombe à la Cour en l’espèce est de caractère essentiellement interprétatif : il s’agit d’identifier les caractéristiques du droit à un plateau continental étendu en droit international coutumier. Il ne fait aucun doute que la CNUDM reflète de nombreux aspects du droit international coutumier de la mer : certaines de ses dispositions codifient des règles du droit international coutumier qui existaient avant elle, d’autres ont cristallisé des règles émergentes, tandis que d’autres encore ont donné naissance à une pratique générale acceptée comme étant le droit, et de ce fait génératrice de nouvelles règles coutumières15. Pour cette raison, je partage l’avis de la Cour selon lequel la convention peut faciliter l’interprétation des règles de droit international coutumier qui y sont reflétées. Cela étant, les méthodes d’interprétation des traités ne peuvent pas être transportées telles quelles dans le contexte de l’interprétation du droit international coutumier, et toutes les méthodes d’interprétation ne s’appliquent pas avec une égale force sur les deux plans conventionnel et coutumier16. L’interprète doit garder à l’esprit que les modes de création, de modification et d’extinction de la coutume sont différents de ceux d’un traité.
12. La majorité fonde sa conclusion sur deux séries de considérations : premièrement, des considérations touchant la relation entre le régime de la zone économique exclusive et celui du plateau continental, et, deuxièmement, des considérations touchant le régime du plateau continental étendu (paragraphes 68 et 74 de l’arrêt ; voir aussi ibid., paragraphe 78). Dans les sections D à F qui suivent, j’expliquerai pourquoi, selon moi, ces facteurs n’étayent pas le raisonnement de la Cour. Je commencerai par la notion de plateau continental étendu (section D), avant d’examiner sa relation
13 Ibid., p. 690, par. 177 (les italiques sont de nous).
14 Ibid., p. 691-692, par. 178-180 ; voir également Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 51, par. 169, qui renvoie à un procédé consistant à « accorder davantage de poids » au droit d’un État côtier qu’à celui de l’autre.
15 Au sujet de la convention sur le plateau continental, voir les arrêts Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 37, par. 60 ; voir aussi « Projets de conclusions sur la détermination du droit international coutumier et commentaires y relatifs », rapport de la Commission du droit international, soixante-dixième session, Nations Unies, doc. A/73/10, paragraphe 1 du projet de conclusion 11, p. 151-152.
16 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 95, par. 178.
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avec la zone économique exclusive (section E). J’exposerai ensuite mes doutes sur l’examen que fait la Cour de la pratique des États (section F).
D. La notion de plateau continental étendu en droit international coutumier
13. Selon moi, les termes de la définition du plateau continental en droit international coutumier telle qu’elle est reflétée dans le paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM ne corroborent pas la conclusion à laquelle aboutit l’arrêt17. Cette disposition propose deux méthodes permettant de déterminer la limite du droit à un plateau continental : le rebord extérieur de la marge continentale ou la distance de 200 milles marins lorsque ce rebord se trouve à une distance inférieure. Elle n’oblige aucun État côtier à utiliser l’une de ces deux méthodes plutôt que l’autre pour déterminer la limite de son plateau continental. Le droit international coutumier prévoit que le droit de l’État côtier à un plateau continental s’étend au minimum jusqu’à 200 milles marins de ses lignes de base18, et il admet un plateau continental plus vaste lorsque le rebord de la marge continentale se trouve à une distance supérieure19.
14. La règle que reflète le paragraphe 1 de l’article 76 de la convention vise le droit à des espaces maritimes et, partant, est indifférente aux droits à des espaces maritimes d’autres États côtiers ou à la méthode permettant de déterminer les limites extérieures de ces droits. Il s’ensuit que cette règle permet un chevauchement ou une concurrence de droits dans le même espace maritime lorsque deux États côtiers ont utilisé des méthodes différentes de détermination des limites de leurs droits à des espaces maritimes. Cela n’est nullement entaché par le fait qu’une seule des deux méthodes requiert l’application de « critères scientifiques et techniques » (paragraphe 75 de l’arrêt). Certes, ces critères sont, en pratique sinon en théorie, plus difficiles à appliquer que le critère de la distance. Il ne s’ensuit néanmoins pas que la difficulté de satisfaire à ces critères scientifiques et techniques vicierait en quelque façon le droit à un espace maritime qu’ils auraient servi à déterminer, comparé au droit à un espace maritime déterminé par référence à la distance.
15. Des dispositions conventionnelles qui ne sont pas réputées refléter le droit international coutumier peuvent-elles être invoquées à titre de contexte pour l’interprétation de dispositions qui, elles, reflètent ce droit ? L’arrêt invoque le paragraphe 1 de l’article 82 de la CNUDM, soit une disposition dont le statut en droit international coutumier est douteux. La Cour s’appuie essentiellement sur la formulation générale de cette disposition, qui ne prévoit ni exceptions ni tempéraments, pour en donner une interprétation qui empêche de l’appliquer à des situations où le plateau continental d’un État empiéterait sur la zone des 200 milles marins d’un autre État. Cette interprétation lui sert alors de contexte pour interpréter à son tour la définition du plateau continental selon le paragraphe 1 de l’article 76 de la convention. J’ai des réserves sur l’interprétation que propose la Cour de l’article 82. La question de savoir si le but visé par cette disposition peut être atteint dans la situation envisagée par la Cour dépend en partie de l’interprétation des « critères de partage équitables » qui encadreront la distribution des contributions dans cette situation, conformément au paragraphe 4 de l’article 82 de la convention.
16. De plus, je répugne à attacher une quelconque importance au fait que les conditions de fond et de procédure qui entrent en ligne de compte pour la détermination des limites extérieures du
17 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118.
18 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33, par. 34 : « le prolongement naturel … se définit en partie par la distance du rivage ».
19 À cela s’ajoute que, au moins selon la CNUDM, le rebord extérieur de la marge continentale doit respecter une limite maximale ; voir les paragraphes 5-6 de l’article 76 de la CNUDM.
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plateau continental étendu — à savoir celles qui sont consacrées dans les paragraphes 4 à 9 de l’article 76 — sont le résultat d’un compromis (paragraphe 76 de l’arrêt). Laissant de côté la définition du plateau continental, la Cour s’est abstenue de se prononcer sur le statut de l’article 76 de la CNUDM en droit international coutumier (paragraphe 82 de l’arrêt)
20. Si les critères servant à déterminer les limites extérieures du plateau continental reflètent la coutume, le fait qu’ils soient le résultat d’un compromis semble indifférent. S’ils ne la reflètent pas, la pertinence du compromis semble encore plus limitée.
17. L’arrêt de ce jour accorde de l’importance aux travaux préparatoires de la CNUDM. Or, comme il le reconnaît lui-même, la question dont est saisie la Cour n’a pas été débattue pendant la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (paragraphe 76 de l’arrêt). Dans d’autres affaires, lorsque les travaux préparatoires faisaient ressortir qu’une question n’avait pas ou guère été débattue, la Cour évitait de s’appuyer sur eux aux fins d’interprétation d’un traité21. Il m’est d’avis que la Cour devrait procéder avec encore plus de prudence lorsqu’il est question de droit international coutumier.
E. Importance de la zone économique exclusive
18. Dans son arrêt, la Cour accorde un poids certain au caractère intégré des institutions que sont la zone économique exclusive et le plateau continental (paragraphe 49 de l’arrêt) et au fait qu’elles sont reliées entre elles (paragraphe 70 de l’arrêt). Là-dessus, deux points méritent d’être soulignés.
19. Premièrement, s’il est vrai qu’elles sont liées, les deux institutions de la zone économique exclusive et du plateau continental n’en restent pas moins juridiquement distinctes, et la notion de plateau continental jusqu’à une distance de 200 milles marins n’a pas été recouverte par celle de zone économique exclusive22. Le caractère distinct de ces deux institutions est encore illustré par le fait que, dans un contexte de délimitation, la Cour maintient la distinction entre délimitation de la zone économique exclusive et délimitation du plateau continental, même lorsqu’elle trace une frontière maritime unique, et ceci en dépit du fait que les droits qui s’attachent au plateau continental sont en grande partie compris parmi ceux qui s’attachent à la zone économique exclusive23. Le droit d’un État côtier à une zone économique exclusive est distinct de son droit à un plateau continental (même si ce dernier ne s’étend que jusqu’à 200 milles marins), et d’ailleurs un État peut jouir de droits souverains sur un plateau continental jusqu’à 200 milles marins même s’il n’a pas déclaré de zone économique exclusive ou si sa zone économique exclusive ne s’étend pas jusqu’à 200 milles marins24.
20 Voir également Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 666, par. 118.
21 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 129-130, par. 147 ; Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 323, par. 70 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 22, par. 41.
22 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33-34, par. 33-34.
23 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 719, par. 251, point 4 ; Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 760-763, par. 321, points 2-3.
24 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33, par. 34.
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20. Deuxièmement, le fait que les institutions de la zone économique exclusive et du plateau continental sont liées peut être pertinent lorsqu’elles relèvent l’une et l’autre du même État côtier. Telle était la situation en l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte). Dans cette affaire, la Libye avait fait valoir que la discontinuité qui affectait le prolongement naturel de Malte annulait le droit qu’avait Malte au plateau continental sur la base de la distance25. La Libye prétendait que Malte n’avait pas droit à un plateau continental jusqu’à 200 milles marins, sauf à prouver que ce plateau était le prolongement naturel de son territoire terrestre. Soulignant l’importance du critère de la distance, la Cour a rejeté l’argument de la Libye voulant que l’absence de prolongement naturel au sens géomorphologique du terme interrompe en quelque sorte le plateau continental relevant de Malte26. En revanche, elle n’a pas abordé la question de savoir si le droit de Malte à un plateau continental pouvait, d’une façon ou d’une autre, annuler le droit de la Libye à un plateau continental. Cette question, comme nous l’avons vu, est une question de délimitation.
21. Le fait que le droit d’un État côtier à une zone économique exclusive n’annule pas a priori le droit d’un autre État côtier à un plateau continental se vérifie également dans la jurisprudence internationale en matière de délimitation maritime au-delà de 200 milles marins. Cette jurisprudence comprend notamment les deux affaires du Golfe du Bengale27 et l’affaire relative à la Délimitation maritime dans l’océan Indien28. Dans ces trois affaires, au moins un État côtier revendiquait un droit à un plateau continental étendu qui se situait en deçà de la limite des 200 milles marins d’un autre État. Dans ces affaires, trois cours et tribunaux internationaux ont procédé à la délimitation de l’espace maritime et ont conclu qu’il fallait accorder un certain effet au droit à un plateau continental étendu en créant une « zone grise »29. Sans doute les modalités peuvent-elles varier d’une zone grise à une autre, mais le résultat est que l’État côtier qui a droit à un plateau continental étendu et l’État côtier qui a droit à des espaces maritimes jusqu’à 200 milles marins exercent tous les deux un certain degré de juridiction à l’intérieur d’un même espace maritime. Si l’on suit le raisonnement de la Cour en la présente espèce, la prétention de l’État côtier à un plateau continental étendu aurait dû être déclarée irrecevable dans la mesure où elle se prolongeait jusqu’à moins de 200 milles marins des lignes de base de l’autre État, et aucune délimitation n’aurait été possible dans cette zone (paragraphes 86 et 91 de l’arrêt). Or les trois cours et tribunaux n’ont pas déclaré les prétentions du Bangladesh ou du Kenya irrecevables dans la mesure où elles s’étendaient en deçà des 200 milles marins du Myanmar, de l’Inde ou de la Somalie. Ils n’ont pas non plus ajusté la ligne de délimitation
25 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 34, par. 36 :
« la thèse libyenne est que le prolongement naturel, au sens physique, du territoire terrestre dans et sous la mer demeure une base essentielle du titre sur le plateau continental. Selon la Libye, chacune des Parties doit, en premier lieu, prouver que le prolongement naturel de son territoire terrestre avance dans la zone où la délimitation doit s’opérer ; s’il existe une discontinuité fondamentale entre la zone de plateau adjacente à une Partie et celle adjacente à l’autre, alors, soutient-elle, la limite doit se situer sur la ligne générale de cette discontinuité fondamentale. »
26 Ibid., p. 35, par. 39 :
« Il s’ensuit que, comme la distance entre les côtes des Parties n’atteint pas 400 milles, de sorte qu’aucune particularité géophysique ne peut se trouver à plus de 200 milles de chaque côte, la caractéristique appelée “zone d’effondrement” ne constitue pas une discontinuité fondamentale interrompant, comme une sorte de frontière naturelle, l’extension du plateau continental maltais vers le sud et celle du plateau continental libyen vers le nord. » (Les italiques sont de nous.)
27 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 4 ; Arbitrage entre la République populaire du Bangladesh et la République de l’Inde concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale, sentence du 7 juillet 2014, Nations Unies, RSA, vol. XXXII, p. 1.
28 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 206.
29 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 120, par. 471 ; Arbitrage entre la République populaire du Bangladesh et la République de l’Inde concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale, sentence du 7 juillet 2014, Nations Unies, RSA, vol. XXXII, p. 147, par. 498 ; Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 277, par. 197.
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au-delà de 200 milles marins du Bangladesh ou du Kenya de façon qu’elle respecte la limite des 200 milles marins du Myanmar, de l’Inde ou de la Somalie.
22. Dans son arrêt de ce jour, la Cour observe que, dans ces affaires, les zones grises étaient de taille limitée et qu’elles étaient le résultat ou la conséquence fortuite d’une délimitation maritime (paragraphes 71 et 72 de l’arrêt). Cette observation, cependant, néglige la valeur de précédent qu’ont ces affaires dans un contexte où se pose la question de la détermination d’espaces maritimes. Aux fins de la réponse à donner à la question abstraite dont est saisie la Cour, ce qui importe est que la présence de zones grises à l’issue d’une délimitation maritime présuppose l’existence, avant le processus de délimitation, d’un espace maritime où le droit d’un État à un plateau continental étendu entre en concurrence avec le droit d’un autre État à des espaces maritimes jusqu’à 200 milles marins de ses côtes. Si le droit à des espaces maritimes de ce deuxième État évinçait le droit à un plateau continental du premier, il aurait été exclu de procéder à la délimitation maritime au-delà de 200 milles marins dans ces affaires et il n’y aurait eu aucune possibilité de zone grise. Les questions de savoir si les zones grises — au sens de zones de chevauchement de juridictions — ne devraient être reconnues qu’avec parcimonie, si elles devraient être de taille modeste ou s’il faudrait les éviter complètement ne se poseraient qu’au stade de la délimitation.
23. L’insistance avec laquelle la Cour veut établir une distinction entre les affaires du Golfe du Bengale et la présente espèce (paragraphe 72 de l’arrêt) illustre, selon moi, son balancement entre les questions juridiques abstraites et les circonstances de l’espèce. La seule différence entre ces affaires et la présente espèce qui puisse éventuellement aider à répondre à la question abstraite dont est saisie la Cour a trait à la configuration des côtes des États en cause. Comme le note la Cour dans son arrêt, les affaires du Golfe du Bengale concernaient deux États adjacents (paragraphes 71 et 72 de l’arrêt). Cela n’ôte cependant rien à leur pertinence pour l’espèce. La distinction entre côtes qui se font face et côtes adjacentes30 n’est pas toujours évidente. Il arrive fréquemment que, dans une même espèce, la Cour conclue soit que les côtes des parties en litige passent du statut de côtes adjacentes à celui de côtes se faisant face ou inversement, indépendamment du fait que les États côtiers intéressés partagent une frontière terrestre commune ou non31, soit qu’elles appartiennent simultanément à l’une et à l’autre catégorie32, soit qu’elles n’appartiennent ni à l’une ni à l’autre33. Cela dit, même si le critère de l’adjacence se prêtait à une application suffisamment prévisible, on voit mal comment il pourrait informer les droits de l’État côtier à des espaces maritimes, sachant que ces droits sont déterminés selon la règle reflétée au paragraphe 1 de l’article 76 de la CNUDM.
F. La pratique des États
24. La pratique des États est l’élément le plus solide sur lequel s’appuie la conclusion de la Cour (paragraphe 77 de l’arrêt).
30 Organisation hydrographique internationale, « Guide sur les aspects techniques de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer — 1982 (TALOS) », sixième édition, 2020, appendice 1 (glossaire), par. 1 : « Côtes adjacentes : côtes situées de part et d’autre de la frontière terrestre entre deux États contigus ». Voir également ibid., par. 69 : « Côtes qui se font face : relation géographique entre les côtes de deux États qui se font face ».
31 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 91, par. 170.
32 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 93, par. 88.
33 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 28, par. 36.
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1. Détermination de la pratique
25. Il existe une large pratique constituée par les États qui se sont abstenus de faire valoir leurs droits à un plateau continental étendu dans des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État34. Cette pratique ressort essentiellement des résumés des demandes adressées à la Commission des limites du plateau continental (ci-après la « Commission des limites ») par les États parties à la CNUDM en application du paragraphe 8 de l’article 76 de cette convention.
26. Cette pratique semble générale. Le caractère général d’une pratique ne doit pas nécessairement s’apprécier au regard de la totalité des États, mais plutôt de ceux d’entre eux qui sont concernés par la règle putative ou qui sont en situation de contribuer à sa formation35. Les États pertinents dans notre contexte sont ceux qui, sur le plan géomorphologique, peuvent revendiquer un plateau continental se prolongeant dans des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’un autre État. Parmi ces États pertinents, il semble s’être dégagé une tendance manifeste émanant d’États appartenant à plusieurs régions différentes. Cela signifie que, selon les
34 Par exemple, France, « Demande partielle à la Commission des limites du plateau continental conformément à l’article 76, paragraphe 8, de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer concernant les zones de la Guyane française et de la Nouvelle-Calédonie », partie 1 : résumé (mai 2007), p. 3, par. 2.2.1, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/fra07/fra_resume_2007.pdf (page consultée le 30 juin 2023), par. 2.2.1 : « L’extension du plateau continental … est limitée à l’ouest par l’espace sous juridiction (ZEE) de l’Australie » ; Ghana, « Submission for the Establishment of the Outer Limits of the Continental Shelf of Ghana pursuant to Article 76, paragraph 8 of the United Nations Convention on the Law of the Sea: Executive Summary » (avril 2009), p. 5, par. 6.2, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/gha26_09/gha_2009execsummary.pdf (page consultée le 30 juin 2023) : « Le point 1 (OL-GHA-5) [marquant la limite extérieure] est un point où la limite extérieure rejoint la ligne des 200 [milles marins] mesurée à partir des lignes de base de la mer territoriale du Nigéria » [traduction du Greffe] ; États fédérés de Micronésie, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Îles Salomon, « Joint submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf concerning the Ontong Java Plateau: Executive Summary » (mai 2009), p. 11, par. 6.5, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/fmpgsb32_09/exsumdocs/fmpgsb2009executive summary.pdf (page consultée le 30 juin 2023) : « Le point 1 (OJP-ECS-004) [marquant la limite extérieure du plateau continental] est situé à l’intersection de la ligne tracée selon la formule des 60 [milles marins] (litt. a), al. ii), du paragraphe 4 de l’article 76 de la convention) qui fixe la limite extérieure du plateau continental étendu et de la ligne des 200 [milles marins] mesurée à partir des lignes de base de la mer territoriale de Nauru » [traduction du Greffe] ; Mozambique, « Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf of the Outer Limits of the Extended Continental Shelf of the Republic of Mozambique under the Provisions of Article 76 of the United Nations Convention on the Law of the Sea, 1982: Executive Summary » (juin 2010), p. 6, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/ submissions_files/moz52_10/moz_2010_es.pdf (page consultée le 30 juin 2023) : « Le point MOZ-OL-92 [marquant la limite extérieure] est situé sur la ligne des 200 [milles marins] mesurée à partir des lignes de base de la mer territoriale de l’Afrique du Sud » [traduction du Greffe] ; Kiribati, « Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf: Executive Summary » (décembre 2012), p. 5, par. 6.3, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/ submissions_files/kir64_2012/kir_es_doc.pdf (page consultée le 30 juin 2023) : « La zone de la plate-forme occidentale (Western Platform Area) (point fixe 001 à point fixe 081), définie par 78 points fixes sur la ligne Hedberg, un point fixe sur la ligne des 200 [milles marins] mesurée à partir des lignes de base de la mer territoriale de Kiribati et un point fixe sur la ligne des 200 [milles marins] d’un autre État » [traduction du Greffe] ; Canada, « Demande partielle du Canada à la Commission des limites du plateau continental concernant son plateau continental dans l’océan Atlantique », résumé (décembre 2013), p. 7, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/can70_13/es_can_fr.pdf (page consultée le 30 juin 2023) :
« Les limites extérieures du plateau continental dans la région de la mer du Labrador sont définies par 47 points fixes (LS-ECS-001 à LS-ECS-047). Ces points fixes sont soit des points établis à l’aide d’une formule, conformément aux sous-alinéas 76(4)(a)(i) ou (ii), soit des points situés sur une ligne représentant la contrainte de distance ou celle de profondeur, ou un point situé à l’intersection de la ligne qui définit le rebord externe de la marge continentale et de la limite de 200 milles marins du Royaume du Danemark. »
35 « Projets de conclusion sur la détermination du droit international coutumier et commentaires y relatifs », rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa soixante-dixième session, 2018, Nations Unies, doc. A/73/10, p. 144-145, paragraphe 4 du commentaire de la conclusion 8.
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termes de la Commission du droit international, leur pratique est « suffisamment répandue et représentative, ainsi que constante » pour être réputée générale
36.
27. Je suis également disposée à admettre que cette pratique est corroborée par l’acceptation comme étant le droit (opinio juris). Déterminer l’élément subjectif d’une coutume peut se révéler délicat quand la pratique pertinente consiste en l’abstention, comme c’était le cas dans l’affaire du Lotus37. En l’espèce, cependant, la Cour se voit présenter un grand nombre d’États qui ont expressément arrêté leurs prétentions à la ligne des 200 milles marins tracée à partir des lignes de base d’un autre État. De plus, le domaine en question — qui est celui du droit à des espaces maritimes — est régi par le droit international coutumier, en ce sens que le droit international coutumier réglemente manifestement le comportement des États dans ce domaine, même si les contours exacts de cette réglementation ont peut-être besoin d’être précisés. En présence d’un comportement si manifeste et constant des États, on peut raisonnablement en déduire que lesdits États ont le sentiment de se conformer à une règle de droit international coutumier. Dans des situations similaires, la Cour a admis que la pratique générale s’accompagnait de l’opinio juris38.
28. Cette pratique ne saurait être récusée au simple motif qu’elle est celle d’États parties à la CNUDM. Le comportement des États qui ressort des résumés de leurs demandes à la Commission des limites pourrait certes être attribué à leur volonté de s’acquitter d’obligations conventionnelles plutôt que d’obligations de droit international coutumier39. Mais il ne se trouve rien dans ces résumés et dans les dispositions pertinentes de la convention, qui donne à penser que ce comportement soit singulier ou qu’il soit déterminé par les termes exprès desdites dispositions. En fait, certains États parties à la CNUDM s’abstiennent de revendiquer un droit à des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des lignes de base d’États tiers qui ne sont pas parties à la CNUDM et qui ne peuvent donc invoquer les dispositions que du droit international coutumier et non de la CNUDM40.
2. Appréciation de la pratique
29. Il est plus difficile de déterminer la teneur de la règle putative de droit international coutumier à laquelle la pratique se conforme. Dans ce domaine parmi d’autres, l’opinio juris se manifeste d’une manière partielle. Dans leurs documents publics, la plupart des États se contentent de tracer le long de la ligne des 200 milles marins la limite extérieure du plateau continental étendu
36 Ibid., p. 143 (paragraphe 1 de la conclusion 8).
37 Lotus, arrêt no 9, 1927, C.P.J.I Recueil, série A no 10, p. 28.
38 Voir, par exemple, Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 40.
39 Voir les « Projets de conclusion sur la détermination du droit international coutumier et commentaires y relatifs », rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa soixante-dixièmesession, 2018, Nations Unies, doc. A/73/10, p. 147-148, paragraphe 4 du commentaire de la conclusion 9.
40 Voir, par exemple, Costa Rica et Équateur, « Joint Partial Submission of Data and Information on the Outer Limits of the Continental Shelf in Panama Basin pursuant to Part VI of and Annex II to the United Nations Convention on the Law of the Sea: Part I: Executive Summary » (décembre 2020), p. 18, par. 6, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/ submissions_files/criecu_86_2020/PART-I%20(secured).pdf (page consultée le 30 juin 2023), concernant la Colombie ; Équateur, « A Partial Submission of Data and Information on the Outer Limits of the Continental Shelf in the Southern Region of the Carnegie Ridge pursuant to Part VI of and Annex II to the United Nations Convention on the Law of the Sea: Part I: Executive Summary » (mars 2022), p. 16, par. 6, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/ecu90_ 2022/PartI.pdf (page consultée le 30 juin 2023), concernant le Pérou.
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auquel ils prétendent, sans publier le raisonnement sur lequel s’appuie ce choix
41. De même, on dispose de peu d’informations sur les motifs juridiques avancés par les États qui élèvent une objection aux prétentions d’un autre État à un plateau continental étendu dans des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins de leurs lignes de base42. Compte tenu de ce silence des États, il appartient à la Cour de définir la règle juridique à laquelle se conforme la pratique générale. La pratique se prête inévitablement à de multiples interprétations ; en l’espèce, il existe plusieurs règles possibles qui sont susceptibles d’expliquer la pratique. La Cour devrait donc identifier une règle générale qui embrasse la pratique la plus large et la plus variée, qui respecte les principes établis applicables au domaine juridique pertinent (qui est ici celui du droit à des espaces maritimes) et qui soit en harmonie avec la jurisprudence internationale, y compris la jurisprudence de la Cour.
30. Compte tenu de cette analyse, on peut difficilement conclure que les États qui, dans leurs demandes à la Commission des limites, arrêtent leurs prétentions à la limite des 200 milles marins, soient convaincus que leur droit à un plateau continental étendu serait en quelque sorte limité par le droit d’un État voisin à son propre espace maritime. Une conviction juridique de ce genre serait en tension avec les principes régissant l’établissement des droits à des espaces maritimes, parmi lesquels le droit à un plateau continental étendu, ainsi qu’avec la pratique internationale en matière de délimitations maritimes impliquant un plateau continental étendu d’un côté et une zone maritime de 200 milles marins de l’autre.
31. L’explication la plus plausible de cette abondante pratique des États est, à mon avis, la conviction juridique que, selon les règles applicables de la délimitation maritime, il ne sera pas donné effet au principe du droit au plateau continental dans la mesure où il entre en concurrence avec le droit d’un autre État à une zone de 200 milles marins. On peut y voir une manifestation de l’objectif qui consiste à aboutir à une « solution équitable » et qui est, comme nous l’avons rappelé, la première
41 Par exemple, Îles Cook, « Revised Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf concerning the Manihiki Plateau: Executive Summary » (décembre 2021), p. 6, par. 21, https://www.un.org/depts/los/clcs_ new/submissions_files/cok23_09/CKI_REV_ES_DOC.pdf (page consultée le 30 juin 2023): « 5 points fixes sont des points [marquant la limite du plateau continental étendu] situés sur la ligne des 200 [milles marins] d’un État côtier adjacent ou dont les côtes font face [à celles des Îles Cook] » [traduction du Greffe] ; Danemark, « Partial Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf: The Continental Shelf North of the Faroe Islands: Executive Summary » (avril 2009), p. 12, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/dnk28_09/dnk2009executive summary.pdf (consulté le 30 juin 2023) : « À l’ouest, au nord-ouest et au sud-est, la limite extérieure du plateau continental est définie, respectivement, par les limites des 200 milles marins de l’Islande, de Jan Mayen et de la Norvège continentale » [traduction du Greffe] ; Sri Lanka, « Submission made in accordance with the Statement of Understanding adopted by the Third United Nations Conference on the Law of the Sea, on 29 August 1980, contained in Annex II to the Final Act of the Conference, and under paragraph 8 of article 76 of the United Nations Convention of the Law of the Sea and article 3 of Annex II of the Convention: Part I: Executive Summary » (mai 2009), p. 9, par. 4.1, https://www.un.org/depts/los/ clcs_new/submissions_files/lka43_09/lka2009executivesummary.pdf (page consultée le 30 juin 2023) : « Le point B … [marquant la limite extérieure du plateau continental étendu] est situé à l’endroit où la limite extérieure du plateau continental étendu rejoint la position approximative de la ligne des 200 [milles marins] d’un autre État côtier » [traduction du Greffe] ; Bahamas, « Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf: Executive Summary » (février 2014), p. 4, par. 6.3, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/bhs71_14/BHS-ES- DOC.pdf (page consultée le 30 juin 2023) : « Le point FP 1 [marquant la limite extérieure du plateau continental étendu] est situé à l’intersection de la ligne des 350 [milles marins] et de la ligne des 200 [milles marins] mesurée à partir des lignes de base de la mer territoriale des Etats-Unis d’Amérique » [traduction du Greffe] ; Oman, « Submission to the Commission on the Limits of the Continental Shelf pursuant to article 76 (8) of the United Nations Convention on the Law of the Sea: Executive Summary » (octobre 2017), p. 6, par. 7.0.2, https://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/omn78_ 17/omn_es.pdf (page consultée le 30 juin 2023) : « 1 point [fixe marquant la limite extérieure du plateau continental] situé sur la ligne des 200 milles marins mesurée à partir des lignes de base de la mer territoriale de l’Inde » [traduction du Greffe].
42 Voir, par exemple, Japon, lettre adressée au Secrétaire général de l’ONU (28 décembre 2012), https://www.un. org/depts/los/clcs_new/submissions_files/chn63_12/jpn_re_chn_28_12_2012.pdf (page consultée le 30 juin 2023) ; Colombie, Costa Rica et Panama, lettre adressée au Secrétaire général de l’ONU (5 février 2014), https://www.un.org/ depts/los/clcs_new/submissions_files/nic66_13/col_cri_pan_re_nic_2014_02_05_e.pdf (page consultée le 30 juin 2023).
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considération à laquelle doit répondre une délimitation maritime
43. La Cour a récemment réaffirmé qu’« afin d’aboutir à une solution équitable, la ligne de délimitation d[evai]t, autant que faire se peut, permettre aux côtes des Parties de produire leurs effets, en matière de droits à des espaces maritimes, d’une manière raisonnable et équilibrée pour chacune d’entre elles »44.
32. L’objectif qui consiste à aboutir à une solution équitable s’est traduit dans ce que la Cour appelle sa méthode « habituelle » en trois étapes45. Bien qu’elle ne soit pas obligatoire, cette méthode, qui est basée sur des critères géographiques objectifs, a permis d’apporter de la prévisibilité et de la cohérence au processus de délimitation maritime46.
33. Selon la méthode en trois étapes pour aboutir à une solution équitable, la première étape consiste à tracer une ligne d’équidistance provisoire. On a pu écrire que l’immense majorité des accords de délimitation entre États dont les côtes se font face ou présentent un caractère hybride ont recours à la ligne d’équidistance47. Dans l’affaire du Différend territorial et maritime, cette ligne est définie comme « une ligne dont chaque point se trouve à égale distance des points les plus proches des deux côtes pertinentes » des parties48. Appliquée à des États dont les côtes se font face et sont séparées par une distance de plus de 400 milles marins, la ligne d’équidistance provisoire garantit que chaque État se verra reconnaître un plateau continental d’au moins 200 milles marins. On ne voit pas pourquoi la ligne d’équidistance provisoire devrait être tracée autrement dans une situation impliquant des droits à un plateau continental étendu49, y compris lorsque les côtes des États intéressés se font face. Même si la ligne d’équidistance provisoire est tracée par rapport aux limites extérieures des droits respectifs au plateau continental des États côtiers en cause50, le fait que l’un d’eux peut prétendre à une zone de 200 milles marins dans l’espace pertinent à délimiter peut constituer une circonstance pertinente justifiant un ajustement de la ligne d’équidistance provisoire à la limite des 200 milles marins51. Dans un cas comme dans l’autre, à la fin du processus de délimitation, la partie du plateau continental s’étendant jusqu’à 200 milles marins d’un État côtier sera en principe réputée relever de cet État côtier et non d’un autre État qui pourrait prétendre à un plateau continental étendu dans le même espace. Bien que, dans l’abstrait, le droit d’un État à un plateau continental étendu reste entier, dans la pratique il sera vraisemblablement subordonné au
43 Voir plus haut le paragraphe 5.
44 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 250, par. 124, citant le Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 703, par. 215 ; voir également Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 53, par. 101, al. C, point 1 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 43, par. 37 ; et Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 127, par. 201.
45 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 252, par. 131.
46 Ibid., p. 251, par. 128.
47 Yoshifumi Tanaka, Predictability and Flexibility in the Law of Maritime Delimitation, Oxford, Hart, deuxième édition, 2019, p. 191, où l’on trouvera des références supplémentaires.
48 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 695, par. 191 ; voir également le paragraphe 1 de l’article 6 de la convention sur le plateau continental conclue le 29 avril 1958 et entrée en vigueur le 10 juin 1964, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 499, p. 311.
49 Voir Délimitation de la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh/Myanmar), arrêt, TIDM Recueil 2012, p. 117, par. 455 ; Arbitrage entre la République populaire du Bangladesh et la République de l’Inde concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale, sentence du 7 juillet 2014, Nations Unies, RSA, vol. XXXII, p. 38, par. 77 ; Délimitation de la frontière maritime dans l’océan Atlantique (Ghana/Côte d’Ivoire), arrêt, TIDM Recueil 2017, p. 142, par. 526 ; Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 276-277, par. 195.
50 Comme l’a fait valoir le Nicaragua : voir le paragraphe 29 de l’arrêt.
51 Voir Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 33, par. 33 : « [L]’une des circonstances pertinentes à prendre en compte pour la délimitation du plateau continental d’un État est l’étendue légalement autorisée de la zone économique exclusive relevant de ce même État ».
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droit de l’État voisin à une zone de 200 milles marins, au nom de l’objectif consistant à aboutir à une solution équitable.
34. C’est par rapport à ce contexte juridique qu’il convient d’appréhender les résumés des demandes déposées par les États à la Commission des limites. Il devient alors évident que si les États côtiers s’abstiennent de revendiquer un plateau continental étendu dans des espaces maritimes en deçà de 200 milles marins des côtes de leurs voisins, c’est parce qu’ils ont la conviction juridique que les principes de la délimitation maritime finiraient de toute façon par les empêcher d’exercer leurs droits souverains sur cet espace maritime. Bien entendu, un État ne peut pas effectuer unilatéralement une délimitation en se contentant de déposer sa demande à la Commission des limites52, et celle-ci n’a par ailleurs aucun rôle à jouer dans le processus de délimitation53. On comprendra néanmoins qu’un État considère comme vain — voire inéquitable — de revendiquer devant la Commission des limites un espace sur lequel, conformément aux principes fondamentaux de la délimitation qui seront de toute façon appliqués, il n’exercera jamais les droits qui s’attachent au plateau continental. Il n’a guère de raisons de se lancer dans le long et coûteux processus visant à faire reconnaître ses droits dans un espace sur lequel il n’a aucune chance de ne jamais exercer sa juridiction.
35. Il va de soi que des situations exceptionnelles peuvent conduire à adopter un résultat différent. Les circonstances pertinentes d’un cas particulier pourraient justifier une ligne de délimitation qui ne s’arrêterait pas simplement à la limite des 200 milles marins, mais qui la dépasserait. On peut imaginer une situation, par exemple, où un État A a une façade côtière particulièrement étroite mais a droit à un plateau continental étendu, alors qu’un État B, dont les côtes lui font face, a une façade côtière exceptionnellement large, mais qui ne lui donne droit à un plateau continental que jusqu’à 200 milles marins. Dans une telle situation, on peut concevoir que, dans le cadre d’une délimitation, il soit permis à la projection de l’étroite façade côtière de l’État A sur le plateau continental de pénétrer dans le plateau continental relevant de l’État B. Il se pourrait aussi que des circonstances exceptionnelles justifient la position adoptée par les rares États dont les demandes à la Commission des limites tranchent sur les autres.
*
36. Pour résumer, le droit d’un État côtier à un plateau continental étendu n’est pas diminué par le fait qu’un autre État côtier a droit à une zone de 200 milles marins dans le même espace maritime. Il s’ensuit que le chevauchement éventuel de ces deux droits doit être réglé dans le cadre d’un processus de délimitation maritime. Dans ce contexte, je suis convaincue que le droit d’un État côtier à un plateau continental étendu sera sacrifié, en principe, pour donner effet au droit d’un autre État côtier à une zone de 200 milles marins. Cette règle devrait s’appliquer en fonction des faits particuliers de chaque espèce, y compris celle dont est saisie la Cour.
52 Voir Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 299, par. 112, point 1.
53 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 137, par. 112.
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III. CONCLUSION
37. Pour les motifs exposés ci-dessus, je considère que la Cour n’est pas aujourd’hui en état de rejeter les conclusions formulées par le Nicaragua dans ses écritures. Selon moi, la Cour aurait dû répondre aux deux questions qu’elle a posées dans son ordonnance du 4 octobre 2022 et organiser ensuite des audiences pour statuer sur le reste des questions qui opposent les Parties. En votant contre le rejet des lignes de délimitation proposées par le Nicaragua, je ne souscris pas nécessairement à la position nicaraguayenne sur la question de la délimitation maritime. Ce que je fais, c’est exprimer les réserves que m’inspire le fait que la Cour ait rejeté, sans échange de plaidoiries orales, la position du Nicaragua sur la question de la délimitation maritime.
38. Mes réserves sont indépendantes de la réponse de la Cour à la première question. Comme le terme lui-même le suggère et comme il ressort du paragraphe 2 de l’article 60 du Règlement, les conclusions finales d’une partie constituent son dernier mot dans une affaire. En revanche, chaque partie a la faculté de modifier les conclusions qu’elle a formulées dans ses écritures, à condition de ne pas dépasser les limites du différend tel qu’elle l’a décrit dans sa requête54. Le Nicaragua s’est réservé formellement le droit de compléter ses conclusions finales55.
39. L’arrêt, d’abord concentré sur les conclusions finales présentées par le Nicaragua à l’audience, change ensuite d’orientation pour se concentrer sur les conclusions finales que celui-ci a présentées dans ses écritures. Or ces conclusions écrites ont été formulées à une époque antérieure à la décision de la Cour de poser des questions spécifiques aux Parties, et elles portent sur des questions qui n’entrent pas dans le champ d’intérêt de la Cour au stade actuel de l’instance. Ce fait en lui-même justifie de donner aux Parties la faculté de réviser leurs positions sur ces questions à la lumière de l’arrêt de ce jour.
(Signé) Hilary CHARLESWORTH.
54 Sur ce dernier point, voir Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 267, par. 69, citant Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I., série A/B no 78, p. 173 ; voir également Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 21 avril 2022, par. 44.
55 CR 2022/27, p. 39, par. 29 (Argüello Gómez).

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Opinion dissidente de Mme la juge Charlesworth

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