DÉCLARATION DE M. LE JUGE IWASAWA
[Traduction]
Exception du Venezuela, de même que d’autres exceptions fondées sur le principe de l’Or monétaire examinées par la Cour dans de précédentes affaires, étant une exception d’irrecevabilité et non d’incompétence.
1. En la présente affaire, la Cour a estimé que l’autorité de la chose jugée de l’arrêt de 2020 sur la compétence ne faisait pas obstacle à l’exception préliminaire du Venezuela voulant que le Royaume-Uni fût une tierce partie indispensable, et conclu que cette exception était recevable (arrêt, par. 70 et 74). Elle a expliqué que sa jurisprudence relative au principe de l’Or monétaire reposait sur une distinction entre l’existence et l’exercice de sa compétence, et que l’exception du Venezuela portait sur la seconde de ces deux notions et ne constituait pas une exception d’incompétence (ibid., par. 64).
2. Le Venezuela a soutenu que son exception était une exception d’irrecevabilité de la requête et non d’incompétence de la Cour (exceptions préliminaires du Venezuela, par. 12 ; CR 2022/21, p. 24-25, par. 16-18 (Zimmermann) ; CR 2022/23, p. 21-26, par. 2-28 (Zimmermann)), le Guyana alléguant, au contraire, qu’il s’agissait d’une exception d’incompétence et non d’incompatibilité. La Cour a rejeté cette allégation du Guyana.
3. La Cour considère que les exceptions fondées sur le principe de l’Or monétaire concernent la recevabilité et non la compétence. Dans l’affaire de l’Or monétaire, elle a dit que, bien que les parties lui eussent conféré une compétence, elle ne pouvait « exercer cette compétence » (Or monétaire pris à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et États-Unis d’Amérique), question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 33 ; les italiques sont de moi). En l’affaire de Nauru, la Cour a tout d’abord examiné l’exception d’incompétence soulevée par l’Australie et s’est ensuite penchée sur l’exception que celle-ci tirait du principe de l’Or monétaire. Elle a rejeté cette seconde exception, soulignant qu’elle ne pouvait refuser « d’exercer sa juridiction » (Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 262, par. 55 ; les italiques sont de moi). En l’affaire relative au Timor oriental, la Cour, ayant déterminé qu’elle avait compétence, a conclu qu’elle ne saurait « exercer la compétence qu’elle [tenait] » (Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 105, par. 35 ; les italiques sont de moi).
4. La Cour a précisé le caractère des exceptions d’irrecevabilité en soulignant que,
« [n]ormalement, une exception à la recevabilité consiste à affirmer que, quand bien même la Cour serait compétente et les faits exposés par l’État demandeur seraient tenus pour exacts, il n’en existe pas moins des raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu pour la Cour de statuer au fond » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 456, par. 120, citant Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 177, par. 29).
Une exception fondée sur le principe de l’Or monétaire appelle la Cour à ne pas exercer sa compétence et à ne pas procéder à l’examen au fond. En l’affaire des Activités militaires et paramilitaires, la Cour a expressément indiqué que l’exception soulevée par les États-Unis sur le fondement du principe de l’Or monétaire concernait la recevabilité de la requête (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), compétence
298
DECLARATION OF JUDGE IWASAWA
Like other objections based on the Monetary Gold principle considered by
the Court in previous cases, Venezuela’s objection is not an objection to the
Court’s jurisdiction but an objection to admissibility.
1. In the present case, the Court considers that Venezuela’s preliminary
objection that the United Kingdom is an indispensable third party is not
barred by the force of res judicata of the 2020 Judgment on jurisdiction and
concludes that it is admissible (Judgment, paras. 70 and 74). The Court
explains that its jurisprudence on the Monetary Gold principle is premised
on a distinction between the existence and the exercise of its jurisdiction,
and that Venezuela’s objection is an objection to the exercise of its
jurisdiction and does not constitute an objection to jurisdiction (ibid.,
para. 64).
2. Venezuela contends that its objection is an objection to the admissibility
of the Application and not to the Court’s jurisdiction (Preliminary
Objections of Venezuela, para. 12; CR 2022/21, pp. 24-25, paras. 16-18
(Zimmermann); CR 2022/23, pp. 21-26, paras. 2-28 (Zimmermann)). By
contrast, Guyana argues that it is an objection to jurisdiction and not to
admissibility. The Court rejects this argument of Guyana.
3. The Court has considered objections based on the Monetary Gold principle
as concerned with admissibility and not the Court’s jurisdiction. In the
Monetary Gold case, the Court found that although the parties had conferred
jurisdiction upon the Court, it could not “exercise this jurisdiction”
(Monetary Gold Removed from Rome in 1943 (Italy v. France, United
Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, and United States of
America), Preliminary Question, Judgment, I.C.J. Reports 1954, p. 33;
emphasis added). In the Nauru case, the Court first examined Australia’s
objection to jurisdiction and only subsequently considered its objection
based on the Monetary Gold principle. The Court rejected the latter objection,
stating that it could not decline to “exercise its jurisdiction” (Certain
Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 1992, p. 262, para. 55; emphasis added). In the
East Timor case, after determining that it had jurisdiction, the Court
concluded that it could not “exercise the jurisdiction it has” (East Timor
(Portugal v. A ustralia), J udgment, I .C.J. R eports 1 995, p. 105, para. 35;
emphasis added).
4. The Court has elucidated the character of objections to admissibility
in the following terms:
298
DÉCLARATION DE M. LE JUGE IWASAWA
[Traduction]
Exception du Venezuela, de même que d’autres exceptions fondées sur le
principe de l’Or monétaire examinées par la Cour dans de précédentes
affaires, étant une exception d’irrecevabilité et non d’incompétence.
1. En la présente affaire, la Cour a estimé que l’autorité de la chose jugée
de l’arrêt de 2020 sur la compétence ne faisait pas obstacle à l’exception
préliminaire du Venezuela voulant que le Royaume-Uni fût une tierce partie
indispensable, et a conclu que cette exception était recevable (arrêt, par. 70
et 74). Elle a expliqué que sa jurisprudence relative au principe de l’Or monétaire
reposait sur une distinction entre l’existence et l’exercice de sa
compétence, et que l’exception du Venezuela portait sur la seconde de ces
deux notions et ne constituait pas une exception d’incompétence (ibid.,
par. 64).
2. Le Venezuela a soutenu que son exception était une exception d’irrecevabilité
de la requête et non d’incompétence de la Cour (exceptions
préliminaires du Venezuela, par. 12 ; CR 2022/21, p. 24-25, par. 16-18
(Zimmermann) ; CR 2022/23, p. 21-26, par. 2-28 (Zimmermann)), le Guyana
alléguant, au contraire, qu’il s’agissait d’une exception d’incompétence et
non d’incompatibilité. La Cour a rejeté cette allégation du Guyana.
3. La Cour considère que les exceptions fondées sur le principe de l’Or
monétaire concernent la recevabilité et non la compétence. Dans l’affaire de
l’Or monétaire, elle a dit que, bien que les parties lui eussent conféré une
compétence, elle ne pouvait « exercer cette compétence » (Or monétaire pris
à Rome en 1943 (Italie c. France, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et États-Unis d’Amérique), question préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1954, p. 33 ; les italiques sont de moi). En l’affaire de Nauru,
la Cour a tout d’abord examiné l’exception d’incompétence soulevée par
l’Australie et s’est ensuite penchée sur l’exception que celle-ci tirait du principe
de l’Or monétaire. Elle a rejeté cette seconde exception, soulignant
qu’elle ne pouvait refuser d’« exercer sa juridiction » (Certaines terres
à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 262, par. 55 ; les italiques sont de moi). En l’affaire
relative au Timor oriental, la Cour, ayant déterminé qu’elle avait compétence,
a conclu qu’elle ne saurait « exercer la compétence qu’elle t[enai]t »
(Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 105,
par. 35 ; les italiques sont de moi).
4. La Cour a précisé le caractère des exceptions d’irrecevabilité en soulignant
que,
299 arbitral award of 3 october 1899 (decl. iwasawa)
“Objections to admissibility normally take the form of an assertion
that, even if the Court has jurisdiction and the facts stated by the applicant
State are assumed to be correct, nonetheless there are reasons why
the Court should not proceed to an examination of the merits.” (Application
of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime
of Genocide (Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2008, p. 456, para. 120, citing Oil Platforms (Islamic
Republic of Iran v. United States of America), Judgment, I.C.J. Reports
2003, p. 177, para. 29.)
An objection based on the Monetary Gold principle is one such objection
calling for the Court not to exercise its jurisdiction and not to proceed to an
examination of the merits. In the Military and Paramilitary Activities case,
the Court expressly described the objection of the United States based on the
Monetary Gold principle as one concerning the admissibility of the application
(Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua
(Nicaragua v. United States of America), Jurisdiction and Admissibility,
Judgment, I.C.J. Reports 1984, p. 429, para. 84, and p. 431, para. 88)1. In
discussing an objection based on the Monetary Gold principle before the
Court, parties have likewise treated it as one concerned with admissibility2.
Venezuela’s objection that the United Kingdom is an indispensable third
party is not an objection to the Court’s jurisdiction but an objection to
admissibility.
(Signed) Iwasawa Yuji.
___________
1 See also Obligations concerning Negotiations relating to Cessation of the Nuclear Arms
Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v. United Kingdom), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (II), separate opinion of Judge Tomka, p. 899,
para. 41; dissenting opinion of Judge Crawford, p. 1107, para. 33.
2 E.g. Counter-Memorial of the United States (Jurisdiction and Admissibility), I.C.J.
Pleadings, Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua v.
United States of America), Vol. II, pp. 133-135, paras. 437-443; Oral arguments of Nicaragua
on jurisdiction and admissibility, ibid., Vol. III, p. 84 (Reichler); Preliminary Objections of
Australia, as reflected in Certain Phosphate Lands in Nauru (Nauru v. Australia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1992, p. 255, para. 39; Counter-Memorial of Australia,
I.C.J. Pleadings, East Timor (Portugal v. Australia), Vol. I, pp. 393-412, paras. 177-232; Reply
of Portugal, ibid., pp. 693-733, paras. 7.01-7.63; Preliminary Objections of Nigeria, as
reflected in Land and Maritime Boundary between Cameroon and Nigeria (Cameroon v.
Nigeria), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 1998, p. 286, para. 18.
sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (décl. iwasawa) 299
« [n]ormalement, une exception à la recevabilité consiste à affirmer que,
quand bien même la Cour serait compétente et les faits exposés par
l’État demandeur seraient tenus pour exacts, il n’en existe pas moins des
raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu pour la Cour de statuer au fond »
(Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 456, par. 120, citant Plates-formes pétrolières
(République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil 2003, p. 177, par. 29).
Une exception fondée sur le principe de l’Or monétaire appelle la Cour à ne
pas exercer sa compétence et à ne pas procéder à l’examen au fond. En l’affaire
des Activités militaires et paramilitaires, la Cour a expressément
indiqué que l’exception soulevée par les États-Unis sur le fondement du principe
de l’Or monétaire concernait la recevabilité de la requête (Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua
c. États-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J.
Recueil 1984, p. 429, par. 84, et p. 431, par. 88)1. De même, lorsqu’elles
examinent devant la Cour une exception fondée sur le principe de l’Or
monétaire, les parties l’envisagent comme une exception d’irrecevabilité2.
L’exception du Venezuela selon laquelle le Royaume-Uni est une
tierce partie indispensable est une exception d’irrecevabilité et non
d’incompétence.
(Signé) Iwasawa Yuji.
___________
1 Voir également Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la
course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), opinion individuelle du juge Tomka,
p. 899, par. 41 ; opinion dissidente du juge Crawford, p. 1107, par. 33.
2 Voir, par exemple, contre-mémoire des États-Unis d’Amérique (compétence et
recevabilité), C.I.J. Mémoires, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), vol. II, p. 133-135, par. 437-443 ; plaidoiries du
Nicaragua sur les questions de compétence et recevabilité, ibid., vol. III, p. 84 (Reichler) ;
exceptions préliminaires de l’Australie, telles que formulées en l’affaire de Certaines terres à
phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992,
p. 255, par. 39 ; contre-mémoire de l’Australie, C.I.J. Mémoires, Timor oriental (Portugal
c. Australie), vol. I, p. 393-412, par. 177-232 ; réplique du Portugal, ibid., p. 693-733, par. 7.01-
7.63 ; exceptions préliminaires du Nigéria, telles que formulées en l’affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 286, par. 18.
Déclaration de M. le juge Iwasawa