Déclaration de M. le juge Salam

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164-20230330-JUD-01-08-EN
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164-20230330-JUD-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE SALAM
[Texte original en français]
Désaccord avec la conclusion de la Cour sur la qualification de la banque Markazi au sens du traité d’amitié  Interprétation contestable de l’arrêt de 2019  Application problématique du critère de la finalité poursuivie par la banque Markazi  Utilité pour la Cour de s’inspirer du droit international des immunités  Recours à la pratique des Etats-Unis pour la qualification des activités de la banque Markazi.
1. A mon grand regret, je ne suis pas en mesure de souscrire à la conclusion à laquelle parvient la majorité de mes collègues sur la question de savoir si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires signé entre les deux Parties à la présente instance le 15 août 1955 (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité»). Sur cette question, je me sépare de la majorité principalement sur la méthodologie et le raisonnement suivis pour arriver à la conclusion qui est la sienne, à savoir que la banque Markazi ne saurait être caractérisée comme une «société» au sens du traité d’amitié et que, en conséquence, la Cour n’est pas compétente pour connaître des demandes de l’Iran se rapportant à des violations alléguées du traité relatives au traitement réservé à la banque Markazi. J’estime que la Cour, en s’appuyant sur son arrêt concernant les exceptions préliminaires rendu le 13 février 2019 (ci-après l’«arrêt de 2019») et sur les solutions connues du droit international relatives à la distinction «activités commerciales»/«activités souveraines» concernant les entités publiques, aurait dû arriver à une conclusion différente pour ce qui est de la qualification de la banque Markazi.
2. Le raisonnement de la Cour sur le statut de la banque Markazi est exposé aux paragraphes 40 à 54 de l’arrêt. Il s’inscrit, suivant ses termes, «dans la continuité des motifs qu’elle a retenus dans son arrêt de 2019» (arrêt, par. 47). Ainsi que le rappelle l’arrêt, l’exception d’incompétence ratione materiae relative à la banque Markazi a été initialement soulevée par les Etats-Unis dans le cadre de ses exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité qui ont conduit à l’arrêt de 2019. Sur cette question, la Cour a estimé, sur la base des arguments échangés devant elle et des informations qui lui avaient été présentées, qu’elle ne disposait pas de tous les éléments nécessaires pour trancher la question et a conclu que l’exception n’avait pas, dans les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 40, par. 97, et p. 45, par. 126, point 3). Et la Cour de rappeler que, bien que dans son arrêt de 2019 elle «se soit abstenue de statuer sur l’exception d’incompétence présentement examinée, … cet arrêt comporte cependant, dans sa motivation, plusieurs indications importantes concernant la notion de «société» telle qu’elle est employée aux articles III, IV et V du traité d’amitié» (arrêt, par. 40).
3. De fait, dans l’arrêt de 2019, la Cour a mis en exergue
«deux points [qui] ne sont pas douteux, et [qui] ne donnent d’ailleurs pas lieu à divergence entre les Parties.
D’une part, une entité ne peut être qualifiée de «société» au sens du traité que si elle possède une personnalité juridique propre que lui confère le droit de l’Etat où elle a été créée, lequel détermine son statut juridique. …
D’autre part, une entité qui est en tout ou en partie la propriété d’un Etat peut constituer une «société» au sens du traité. La définition de la «société» que donne le paragraphe 1 de l’article III ne fait aucune différence entre entreprises privées et entreprises publiques. La possibilité pour une entreprise publique de constituer une
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«société» au sens du traité est confirmée par le paragraphe 4 de l’article XI, qui exclut toute immunité pour une entreprise de l’une des parties contractantes «qui est propriété publique ou sous contrôle public» lorsqu’elle exerce sur le territoire de l’autre partie une activité commerciale ou industrielle, et ce afin d’éviter de placer une telle entreprise en position avantageuse par rapport aux entreprises privées avec lesquelles elle peut se trouver en concurrence» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 37, par. 87).
4. La Cour y a également clairement établi que
«rien ne permet d’exclure a priori qu’une même entité exerce à la fois des activités de nature commerciale (ou, plus largement, des activités d’affaires) et des activités souveraines.
En pareil cas, puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne morale dont il s’agit devrait être regardée comme une «société» au sens du traité dans la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre principal.» (Ibid., p. 38-39, par. 92.)
5. Pour ce qui est de la première condition énoncée au paragraphe 87 de l’arrêt de 2019, les Parties sont d’accord sur le fait que la banque Markazi possède une personnalité juridique propre qui lui est conférée par le droit de l’Etat où elle a été créée. De même, elles conviennent que le fait que cette entité soit la propriété de l’Etat ne l’empêche pas d’être une société au sens du traité d’amitié. Les deux Parties conviennent également que, en dépit du fait que la banque soit investie d’une mission souveraine, elle peut être qualifiée de «société» au sens du traité d’amitié si elle satisfait à la deuxième condition indiquée dans l’arrêt sur les exceptions préliminaires, à savoir si «elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre principal». En fait, leur divergence porte sur la qualification des opérations menées par la banque Markazi, en particulier celles relatives à l’achat de 22 titres de créance et d’autres opérations financières. L’Iran estime que, par leur nature, ces activités sont commerciales et doivent donc être qualifiées comme telles, tandis que les Etats-Unis considèrent que ces opérations ont été menées dans le cadre des fonctions souveraines de la banque dont elles ne peuvent être détachées.
6. La solution, de mon point de vue, devrait découler du paragraphe 92 de l’arrêt de 2019, cité ci-dessus. La Cour y a indiqué sans ambiguïté que, ce qui est important pour la qualification de la banque Markazi au sens du traité, c’est la nature des activités visées et exercées sur le territoire des Etats-Unis. J’insiste sur le fait que, afin de savoir si la banque Markazi est une société au sens du traité d’amitié, l’appréciation devrait porter non pas sur les activités générales de la banque, mais uniquement sur celles que la Cour a désignées dans son arrêt de 2019 comme «les activités que cette [banque] exerçait sur le territoire des Etats-Unis lorsqu’ont été prises les mesures dont l’Iran all[éguait] qu’elles [avaie]nt violé les droits dont, selon lui, la banque Markazi [aurait] bénéfici[é] en vertu des articles III, IV et V du traité» (ibid., p. 39, par. 93). Il ne s’agit aucunement ici de contester que la banque Markazi, étant la banque centrale de l’Iran, remplit à ce titre essentiellement une fonction souveraine. Mais, ainsi que la Cour l’a clairement indiqué dans son arrêt de 2019, cela n’empêche nullement cette entité de pouvoir être qualifiée de «société» au sens du traité quant à ses activités commerciales. Il s’agissait par conséquent pour la Cour, dans la présente phase de l’affaire, de déterminer sur cette seule base si les activités menées par la banque Markazi sur le territoire des Etats-Unis, et ici visées, étaient ou non de nature commerciale.
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7. Il est difficile, en se reposant sur ce critère, de ne pas admettre que les activités d’investissement et de gestion des titres appartenant à la banque Markazi, notamment le placement de 22 titres de créance consistant en des droits sur des obligations dématérialisées offertes sur le marché financier américain, sont des activités de nature commerciale. Peu importe ici, comme l’avancent les Etats-Unis, que ces transactions fassent partie de la gestion des réserves monétaires de l’Iran (arrêt, par. 39). Ce qui est important c’est que, comme l’ont souligné les juridictions des Etats-Unis elles-mêmes, ces opérations constituent des activités commerciales aux Etats-Unis. Ainsi, par exemple, sous l’intitulé «Les titres saisis sont détenus à New York et reflètent une activité commerciale aux Etats-Unis» («The restrained bonds are held in New York and reflect commercial activity in the United States»), le tribunal fédéral de première instance du district sud de New York affirme entre autres que,
«[p]our que [la banque] Markazi puisse acheter les obligations et recevoir les paiements d’intérêts et de capital liés à ces obligations, les banques mandataires défenderesses ont dû entreprendre des activités commerciales aux Etats-Unis en tant qu’agents de [la banque] Markazi et sous sa direction.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[La banque] Markazi a donné pour instructions à Citibank, par l’intermédiaire de Clearstream, d’entrer en communication, par différents moyens électroniques, avec les bureaux de Citibank à New York.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
En conséquence, l’Iran, [la banque] Markazi, Clearstream et UBAE … ont conclu un accord tacite ou verbal pour faire transiter les transactions de Markazi sur les obligations, y compris les obligations conservées aux États-Unis, vers le compte UBAE/Markazi ouvert à Clearstream exclusivement à des fins d’activités d’affaires de [la banque] Markazi» (Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., U.S. District Court, Southern District of New York, 7 December 2010, 10 CIV 4518).
8. Les remarques du juge Giorgio Gaja dans sa déclaration jointe à l’arrêt de 2019 me semblent à cet égard convaincantes :
«L’exercice de fonctions souveraines par la banque Markazi n’est pas régi par le traité, sauf en ce qui concerne les restrictions de change énoncées à l’article VII. Le fait que cette banque exerce des fonctions souveraines n’exclut cependant pas qu’elle agisse également en tant que banque commerciale lorsqu’elle effectue des transactions sur un marché financier étranger. La décision d’investir dans des valeurs mobilières peut s’inscrire dans le cadre des prérogatives souveraines d’une banque centrale, mais cela ne signifie pas que la réalisation d’un investissement est effectuée en exerçant un pouvoir souverain. L’achat ou la vente de valeurs mobilières par une banque centrale ne diffère pas de ces mêmes opérations exécutées par toute banque commerciale et devrait bénéficier de la même protection au titre du traité.» (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), déclaration du juge Gaja, p. 52-53, par. 3.)
9. C’est la conclusion à laquelle aurait dû parvenir la Cour si elle s’était véritablement placée dans la continuité de l’arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires, ainsi qu’elle l’indique au paragraphe 47 du présent arrêt. Cependant, la conclusion différente à laquelle elle parvient résulte à mon sens de l’interprétation inexacte que la majorité fait de cet arrêt. En effet, elle estime que,
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«[d]ans l’arrêt de 2019, la Cour s’est bornée à indiquer que ce qui était décisif était de savoir si la banque Markazi exerçait, à côté de ses activités de nature souveraine, d’autres activités, de nature commerciale. Elle n’a pas affirmé que pour déterminer si des activités données présentaient un caractère commercial il ne fallait pas tenir compte de leur lien éventuel avec une fonction souveraine. La Cour considère, au contraire, ce dernier critère comme pertinent.» (Arrêt, par. 51.)
10. Cette lecture de l’arrêt de 2019 par la majorité est à mon sens pour le moins discutable. La majorité introduit dans l’appréciation des activités de la banque Markazi un critère nouveau qui ne peut s’inscrire dans la continuité de l’arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires. Ainsi, en faisant du lien entre les activités éventuellement commerciales et l’activité souveraine un critère non seulement «pertinent» mais essentiel au regard de la place qu’il lui accorde, le présent arrêt ne clarifie pas celui de 2019, mais s’en écarte. En effet, dans cet arrêt, seule la nature intrinsèque de l’activité est considérée et appréciée, même si elle n’est pas exercée «à titre principal».
11. Cependant, dans le présent arrêt, la majorité choisit de ne pas apprécier per se la transaction, ou les séries de transactions effectuées par la banque Markazi, mais «de replacer cette transaction  ou série de transactions  dans son contexte, en tenant compte notamment de ses liens éventuels avec l’exercice d’une fonction souveraine» (arrêt, par. 51). Je ne suis pas convaincu qu’une telle approche soit judicieuse. La banque Markazi est la banque centrale iranienne et, comme toute banque centrale, elle poursuit toujours un intérêt général, même en menant des activités génératrices de revenus comme c’est le cas en l’espèce. Les revenus recherchés ou acquis ont bien entendu pour finalité la réalisation des missions régaliennes et souveraines. Il reste à savoir si une activité menée par une banque centrale, comme la banque Markazi, pourrait être totalement détachée de ses fonctions souveraines. La location d’un immeuble, l’achat de meubles et de matériel de bureau, par exemple, ne seraient-ils pas «réalisé[s] dans le cadre et pour les besoins de l’activité principale de la banque Markazi, dont [ils] ne sont pas séparables», pour reprendre la formule du paragraphe 50 de l’arrêt ?
12. A travers cette approche, qui s’éloigne de et contredit l’arrêt de 2019 dans la suite duquel elle dit pourtant vouloir s’inscrire, la majorité rend difficile, voire impossible, l’éventualité pour une même entité d’exercer à la fois des activités de nature commerciale, ou plus largement des activités d’affaires, et des activités souveraines, ainsi que la Cour l’a pourtant souligné dans le paragraphe 92 de l’arrêt sur les exceptions préliminaires. Par contre, l’énoncé de la Cour en 2019 relatif à la prise en considération uniquement de la nature de l’activité concernée se justifie pleinement par la difficulté à détacher les activités d’une banque centrale des finalités souveraines qu’elle sert. Sur ce point, ce que soulignait le rapporteur spécial de la Commission du droit international (CDI) sur les immunités juridictionnelles des Etats et leurs biens, au sujet des Etats, est entièrement valable et applicable aux banques centrales en général, et à la banque Markazi en l’espèce :
«Aux fins de déterminer le caractère d’une activité ou comportement ou d’un acte particulier imputable à un Etat étranger, il n’y a pas lieu de se référer à son motif ou à son but. Un acte effectué au nom d’un Etat est inévitablement destiné à répondre à un but relevant d’un domaine étroitement lié à l’Etat lui-même ou à l’intérêt public d’une manière générale. En dernière analyse, il n’est donc pas utile de se référer au motif ou au but d’une activité donnée d’un gouvernement étranger pour savoir si l’on peut considérer cette activité comme ayant ou non un caractère commercial. … Si elle est de nature commerciale, l’activité peut être considérée comme une activité commerciale. Se référer au but auquel répond cette activité ne pourrait qu’obscurcir son véritable caractère. Il vaut mieux négliger le but d’une activité lorsqu’il s’agit de déterminer si elle a ou non un caractère commercial, en vue notamment de décider si l’immunité de l’Etat lui est applicable.» (Deuxième rapport sur les immunités juridictionnelles des
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Etats et de leurs biens, par M. Sompong Sucharitkul, rapporteur spécial, Annuaire de la Commission du droit international, 1980, vol. II, première partie, p. 207, par. 46.)
13. On relèvera sans doute que le rapporteur spécial menait sa réflexion dans le cadre des immunités des Etats et que la Cour a indiqué que sa compétence dans la présente affaire ne portait pas sur les immunités qui ne rentrent pas dans le cadre du traité d’amitié. Toutefois, il est difficile de comprendre pourquoi il faudrait définir et appliquer ici des critères différents pour la qualification d’une activité commerciale. Il serait manifestement illogique, voire absurde, de considérer qu’une activité de la banque Markazi pourrait être considérée comme souveraine et donc exclue du champ de protection du traité d’amitié tout en ayant été qualifiée par les juridictions nationales concernées de commerciale et ne pouvant, par conséquent, pas être couverte par les immunités en vertu du droit international.
14. Alors que je partage la conclusion de la Cour dans le présent arrêt suivant laquelle «[l]es règles relatives aux immunités souveraines et celles que définit le traité d’amitié en ce qui concerne le traitement applicable aux «sociétés» constituent deux corps de règles distincts» (arrêt, par. 48), il demeure que le fait que les immunités ne soient pas l’objet du différend dont elle est saisie ne prévient pas la Cour de s’inspirer de la pratique des Etats et des solutions adoptées dans ce domaine. Cette approche par analogie s’imposait par la nature même de la question posée.
15. Notons également que, aux termes du paragraphe 2 de l’article 2 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens (ci-après la «convention de 2004»), elle-même inspirée des travaux de la CDI,
«[p]our déterminer si un contrat ou une transaction est une «transaction commerciale» au sens de l’alinéa c) du paragraphe 1, il convient de tenir compte en premier lieu de la nature du contrat ou de la transaction, mais il faudrait aussi prendre en considération son but si les parties au contrat ou à la transaction en sont ainsi convenues, ou si, dans la pratique de l’Etat du for, ce but est pertinent pour déterminer la nature non commerciale du contrat ou de la transaction».
16. La convention prescrit ainsi de recourir d’abord au critère de la nature afin de déterminer la «commercialité» de l’activité ou de la transaction menée par une entité publique telle que la banque Markazi. C’est également la voie choisie par l’article 7 de la convention européenne sur l’immunité des Etats. Toutefois, le paragraphe 2 de l’article 2 de la convention de 2004 prévoit le recours, à titre subsidiaire, au critère du but si les parties au contrat ou à la transaction en sont ainsi convenues ou si tel est le critère utilisé dans la pratique de l’Etat du for.
17. En l’espèce, ni l’Iran ni les Etats-Unis n’invoquent un quelconque accord entre la banque Markazi et ses partenaires ou cocontractants visant à définir la qualification des activités de la banque. Le critère du but n’aurait pu, dès lors, s’appliquer que s’il avait été celui retenu dans l’ordre juridique des Etats-Unis, Etat du for en l’espèce, pour déterminer le caractère commercial ou non commercial des transactions d’une entité publique. Mais tel n’est pas le cas et, comme l’ont indiqué les Etats-Unis lors des débats sur les projets d’articles de la CDI sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, c’est le critère de la nature de l’acte qui est appliqué dans l’ordre juridique américain :
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«L’alinéa d) de l’article 1603 de la Loi sur l’immunité souveraine des Etats étrangers prévoit que le caractère commercial d’une activité est déterminé en fonction de la nature du comportement ou de la transaction ou de l’acte en cause plutôt qu’en fonction de sa finalité.» (CDI, Immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens  Informations et documents présentés par les gouvernements, Nations Unies, doc. A/CN.4/343, p. 43.)
18. Cette préconisation de la nature de l’acte pour la qualification des activités des entités publiques est ainsi assise sur une disposition légale, le paragraphe d) de l’article 1603 de la Foreign Sovereign Immunities Act (ci-après la «FSIA»). Cette qualification sur la seule base de la nature de l’activité ou de la transaction, indifféremment du but poursuivi, a été confirmée par les juridictions des Etats-Unis et notamment la Cour suprême. En effet, cette dernière a énoncé en 1992 ce qui est dénommé «Weltover commercial activity test», qui est suivi par les juridictions du pays à cet effet :
«[W]e conclude that when a foreign government acts, not as regulator of a market, but in the manner of a private player within it, the foreign sovereign’s actions are “commercial” within the meaning of the FSIA. Moreover, because the Act provides that the commercial character of an act is to be determined by reference to its “nature” rather than its “purpose,” … the question is not whether the foreign government is acting with a profit motive or instead with the aim of fulfilling uniquely sovereign objectives. Rather, the issue is whether the particular actions that the foreign state performs (whatever the motive behind them) are the type of actions by which a private party engages in “trade and traffic or commerce”» (United States Supreme Court, Republic of Argentina v. Weltover Inc., 12 June 1992, 504 U.S. 607 (2d. Cir. 1992), p. 614).
19. Dans l’affaire Saudi Arabia v. Nelson, la Cour suprême a confirmé et clarifié cette position, levant toute ambiguïté :
«We explained in Weltover, … that a state engages in commercial activity under the restrictive theory where it exercises “‘only those powers that can also be exercised by private citizens,’” as distinct from those “‘powers peculiar to sovereigns.’” Put differently, a foreign state engages in commercial activity for purposes of the restrictive theory only where it acts “in the manner of a private player within” the market. …
We emphasized in Weltover that whether a state acts “in the manner of” a private party is a question of behavior, not motivation» (United State Supreme Court, Saudi Arabia v. Nelson, 23 March 1993, 507 U.S. 349 (1993), p. 360).
20. Il faut sans doute rappeler ici que les tribunaux des Etats-Unis qui se sont penchés sur la question ont considéré, sur la base de ces critères, que certaines des activités de la banque Markazi n’étaient pas différentes de celles d’un acteur privé et que, par conséquent, elles devaient être qualifiées de commerciales (voir notamment Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., U.S. District Court for the Southern District of New York, 28 February 2013, 2013 U.S. Dist. LEXIS 40470 (S.D.N.Y. 2013), p. 53 ; Peterson et al. v. Iran, Bank Markazi, Banca UBAE, Clearstream, JP Morgan Chase Bank, U.S. District Court for the Southern District of New York, Amended Complaint, 25 April 2014, No. 13-cv-9195-KBF, p. 3, par. 6 ; Peterson et al. v. Iran, Bank Markazi, Banca UBAE, Clearstream, JP Morgan Chase Bank, U.S. District Court for the Southern District of New York, Amended Complaint, 25 April 2014, No. 13-cv-9195-KBF, p. 6, par. 20).
21. Bien que ces décisions et la FSIA soient développées spécifiquement dans le cadre des immunités des Etats étrangers, je ne vois aucune raison qu’elles ne soient pas appliquées en l’espèce,
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notamment pour établir la pratique de l’Etat du for suivant les directives de la convention de 2004. Il m’appert en effet incohérent qu’une partie adopte le critère de la nature de l’acte pour refuser les immunités aux Etats étrangers et à leurs organes, puis refuse de l’appliquer lorsqu’il s’agit de faire bénéficier à ces derniers de la protection d’un accord comme le traité d’amitié.
22. Je voudrais conclure par un autre point qui me semble problématique dans le raisonnement de la Cour pour ce qui concerne la détermination du statut de la banque Markazi au sens du traité d’amitié. Il s’agit de la fin du paragraphe 52 de l’arrêt. La Cour y affirme notamment que «les déclarations faites par la banque Markazi dans le cadre de la procédure judiciaire dans l’affaire Peterson, citées plus haut, reflètent correctement la réalité des activités de la banque».
23. Ainsi que cela a déjà été relevé, la présente affaire a connu une phase devant les juridictions nationales des Etats-Unis. Au cours de ladite phase, et notamment dans le cadre de l’affaire Peterson, portée devant le tribunal fédéral du district sud de l’Etat de New York et dont le jugement a été confirmé par la Cour suprême des Etats-Unis, la nature des activités de la banque Markazi qui sont en cause dans la présente procédure a été débattue par les Parties, aux fins notamment de savoir si ces activités étaient couvertes par des immunités. Fait notable, chacune des Parties défendait la position contraire à celle défendue devant la Cour dans la présente procédure. Cela s’explique sans doute par des considérations de stratégie et de tactique judiciaires. Ainsi, la banque Markazi a présenté les activités en cause comme une composante de l’exercice de sa fonction souveraine de banque centrale, et non comme étant de nature commerciale (voir arrêt, par. 39), tandis que les autorités américaines ont estimé que les activités de la banque Markazi visées avaient une nature commerciale, raison pour laquelle les Etats-Unis ont considéré que la banque n’était pas fondée à invoquer son immunité à l’encontre des mesures tendant au gel et à la saisie des avoirs en cause (arrêt, par. 38).
24. La Cour a commencé par noter, fort judicieusement à mon avis, ne pas devoir attacher «une importance décisive aux déclarations faites dans les procédures judiciaires américaines par les conseils de la banque Markazi et dont les Etats-Unis se sont prévalus» (arrêt, par. 52). Elle indique justement, à cet égard, que ces déclarations de la banque «ne sont pas opposables à l’Iran» et peuvent s’expliquer par le contexte spécifique de la procédure devant les juridictions des Etats-Unis où la banque Markazi recherchait l’immunité. La Cour, de façon surprenante, finit cependant par s’appuyer sur ces déclarations dans la dernière phrase du paragraphe. Ainsi, elle fait exactement ce qu’elle excluait quelques lignes plus tôt. Au-delà de la contradiction manifeste, cela ne me semble ni justifié ni défendable dans le cadre de la présente affaire.
(Signé) Nawaf SALAM.
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Bilingual Content

201
DECLARATION OF JUDGE SALAM
[Original English text]
Disagreement with the Court’s conclusion on the characterization of
Bank Markazi under the Treaty of Amity — Questionable interpretation of
the 2019 Judgment — Problematic application of the criterion of the
purpose
pursued by Bank Markazi — Usefulness for the Court of being
guided by the international law of immunities — Resort to the practice of
the United States in characterizing Bank Markazi’s activities.
1. To my great regret, I am unable to support the conclusion reached by the
majority of my colleagues on the question whether Bank Markazi is a

company” within the meaning of the Treaty of Amity, Economic Relations,
and Consular Rights signed by the two States to the present proceedings on
15 August 1955 (hereinafter the “Treaty of Amity” or the “Treaty”). On this
matter, I disagree with the majority primarily on the methodology and
reasoning
followed in reaching its conclusion that Bank Markazi cannot be
characterized as a “company” within the meaning of the Treaty of Amity
and that, consequently, the Court does not have jurisdiction to entertain
Iran’s claims concerning alleged breaches of the Treaty relating to the treatment
of that bank. I consider that the Court, in relying on its Judgment on the
preliminary objections of 13 February 2019 (hereinafter the “2019 Judgment”)
and on the known solutions of international law regarding the
distinction between the “commercial activities” and “sovereign activities” of
a public entity, should have come to a different conclusion on the characterization
of Bank Markazi.
2. The Court’s reasoning on the status of Bank Markazi is set out in paragraphs
40 to 54 of the present Judgment. According to the Court, this
reasoning “follow[s] the line of reasoning it adopted in its 2019 Judgment”
(Judgment, para. 47). As the present Judgment recalls, the objection to jurisdiction
ratione materiae relating to Bank Markazi was initially raised by the
United States in the context of its objections to jurisdiction and admissibility
which led to the 2019 Judgment. In this regard, the Court considered, on the
basis of the arguments exchanged before it and the information presented to
it, that it did not have all the facts necessary to decide the question and concluded
that the objection did not possess, in the circumstances of the case, an
exclusively preliminary character (Certain Iranian Assets (Islamic Republic
of Iran v. United States of America), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2019 (I), p. 40, para. 97, and p. 45, para. 126 (3)). The Court
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE SALAM
[Texte original en français]
Désaccord avec la conclusion de la Cour sur la qualification de la banque
Markazi au sens du traité d’amitié — Interprétation contestable de l’arrêt de
2019 — Application problématique du critère de la finalité poursuivie par la
banque Markazi — Utilité pour la Cour de s’inspirer du droit international
des immunités — Recours à la pratique des États-Unis pour la qualification
des activités de la banque Markazi.
1. À mon grand regret, je ne suis pas en mesure de souscrire à la conclusion
à laquelle parvient la majorité de mes collègues sur la question de savoir
si la banque Markazi est une « société » au sens du traité d’amitié, de
commerce et de droits consulaires signé entre les deux Parties à la présente
instance le 15 août 1955 (ci-après le « traité d’amitié » ou le « traité »). Sur
cette question, je me sépare de la majorité principalement sur la méthodologie
et le raisonnement suivis pour arriver à la conclusion qui est la sienne,
à savoir que la banque Markazi ne saurait être caractérisée comme une
« société » au sens du traité d’amitié et que, en conséquence, la Cour n’est
pas compétente pour connaître des demandes de l’Iran se rapportant à des
violations alléguées du traité relatives au traitement réservé à la banque
Markazi. J’estime que la Cour, en s’appuyant sur son arrêt concernant les
exceptions préliminaires rendu le 13 février 2019 (ci-après l’« arrêt de 2019 »)
et sur les solutions connues du droit international relatives à la distinction
« activités commerciales »/« activités souveraines » concernant les entités
publiques, aurait dû arriver à une conclusion différente pour ce qui est de la
qualification de la banque Markazi.
2. Le raisonnement de la Cour sur le statut de la banque Markazi est
exposé aux paragraphes 40 à 54 de l’arrêt. Il s’inscrit, suivant ses termes,
« dans la continuité des motifs qu’elle a retenus dans son arrêt de 2019 »
(arrêt, par. 47). Ainsi que le rappelle l’arrêt, l’exception d’incompétence
ratione materiae relative à la banque Markazi a été initialement soulevée par
les États-Unis dans le cadre de ses exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité
qui ont conduit à l’arrêt de 2019. Sur cette question, la Cour a estimé,
sur la base des arguments échangés devant elle et des informations qui lui
avaient été présentées, qu’elle ne disposait pas de tous les éléments nécessaires
pour trancher la question et a conclu que l’exception n’avait pas, dans
les circonstances de l’espèce, un caractère exclusivement préliminaire
(Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 40, par. 97,
202 certain iranian assets (decl. salam)
recalls that, although in its 2019 Judgment it “refrained from ruling on the
objection to jurisdiction now under consideration, . . . that Judgment nevertheless
contains, in its reasoning, a number of significant indications
regarding the concept of ‘company’ as it is used in Articles III, IV and V of
the Treaty of Amity” (Judgment, para. 40).
3. In its 2019 Judgment, the Court drew attention to
“two points [which] are not in doubt and [which], moreover, give no
cause for disagreement between the Parties.
First, an entity may only be characterized as a ‘company’ within the
meaning of the Treaty if it has its own legal personality, conferred on it
by the law of the State where it was created, which establishes its legal
status . . .
Secondly, an entity which is wholly or partly owned by a State may
constitute a ‘company’ within the meaning of the Treaty. The definition
of ‘companies’ provided by Article III, paragraph 1, makes no distinction
between private and public enterprises. The possibility of a public
enterprise constituting a ‘company’ within the meaning of the Treaty is
confirmed by Article XI, paragraph 4, which deprives of immunity any
enterprise of either Contracting Party ‘which is publicly owned or controlled’
when it engages in commercial or industrial activities within
the territory of the other Party, so as to avoid placing such an enterprise
in an advantageous position in relation to private enterprises with which
it may be competing” (Certain Iranian Assets (Islamic Republic of
Iran v. United States of America), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2019 (I), p. 37, para. 87).
4. The Court also made it clear therein that
“there is nothing to preclude, a priori, a single entity from engaging
both in activities of a commercial nature (or, more broadly, business
activities) and in sovereign activities.
In such a case, since it is the nature of the activity actually carried out
which determines the characterization of the entity engaged in it, the
legal person in question should be regarded as a ‘company’ within the
meaning of the Treaty to the extent that it is engaged in activities of a
commercial nature, even if they do not constitute its principal activities.”
(Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States
of America), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I),
pp. 38-39, para. 92.)
5. As regards the first condition set out in paragraph 87 of the 2019 Judgment,
the Parties agree that Bank Markazi has its own legal personality
conferred on it by the law of the State where it was created. Similarly, they
agree that the fact that this entity is owned by the State does not prevent
202
certains actifs iraniens (décl. salam)
et p. 45, par. 126, point 3). Et la Cour de rappeler que, bien que dans son arrêt
de 2019 elle « se soit abstenue de statuer sur l’exception d’incompétence
présentement examinée, … cet arrêt comporte cependant, dans sa motivation,
plusieurs indications importantes concernant la notion de “société”
telle qu’elle est employée aux articles III, IV et V du traité d’amitié » (arrêt,
par. 40).
3. De fait, dans l’arrêt de 2019, la Cour a mis en exergue
« deux points [qui] ne sont pas douteux, et [qui] ne donnent d’ailleurs pas
lieu à divergence entre les Parties.
D’une part, une entité ne peut être qualifiée de “société” au sens du
traité que si elle possède une personnalité juridique propre que lui
confère le droit de l’État où elle a été créée, lequel détermine son statut
juridique …
D’autre part, une entité qui est en tout ou en partie la propriété d’un
État peut constituer une “société” au sens du traité. La définition de la
“société” que donne le paragraphe 1 de l’article III ne fait aucune différence
entre entreprises privées et entreprises publiques. La possibilité
pour une entreprise publique de constituer une “société” au sens du
traité est confirmée par le paragraphe 4 de l’article XI, qui exclut toute
immunité pour une entreprise de l’une des parties contractantes “qui est
propriété publique ou sous contrôle public” lorsqu’elle exerce sur le territoire
de l’autre partie une activité commerciale ou industrielle, et ce
afin d’éviter de placer une telle entreprise en position avantageuse par
rapport aux entreprises privées avec lesquelles elle peut se trouver en
concurrence » (Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran
c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2019 (I), p. 37, par. 87).
4. La Cour y a également clairement établi que
« rien ne permet d’exclure a priori qu’une même entité exerce à la fois
des activités de nature commerciale (ou, plus largement, des activités
d’affaires) et des activités souveraines.
En pareil cas, puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée
qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne
morale dont il s’agit devrait être regardée comme une “société” au sens
du traité dans la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale,
même si ce n’est pas à titre principal. » (Certains actifs iraniens
(République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38-39, par. 92.)
5. Pour ce qui est de la première condition énoncée au paragraphe 87 de
l’arrêt de 2019, les Parties sont d’accord sur le fait que la banque Markazi
possède une personnalité juridique propre qui lui est conférée par le droit de
l’État où elle a été créée. De même, elles conviennent que le fait que cette
203 certain iranian assets (decl. salam)
it from being a company within the meaning of the Treaty of Amity. Both
Parties also agree that, even though the bank has a sovereign function, it
may be characterized as a “company” within the meaning of the Treaty of
Amity if it fulfils the second condition set out in the Judgment on preliminary
objections, namely if “it is engaged in activities of a commercial nature,
even if they do not constitute its principal activities”. As a matter of fact,
they disagree about the characterization of the operations carried out by
Bank Markazi, in particular those relating to the purchase of 22 security
entitlements and other financial transactions. Iran holds that, by their nature,
these activities are commercial and should therefore be characterized as
such, while the United States considers that these operations were carried
out as part of the bank’s sovereign functions from which they cannot be
separated.
6. The solution, in my view, should derive from paragraph 92 of the
2019 Judgment, quoted above. In that paragraph, the Court stated without
ambiguity that what is important in determining the characterization of
Bank Markazi within the meaning of the Treaty is the nature of the activities
concerned and carried out within the territory of the United States. I would
emphasize that, in order to ascertain whether Bank Markazi is a company
within the meaning of the Treaty of Amity, an assessment should be made
not of the bank’s general activities, rather, an assessment should be made
only of those activities of Bank Markazi referred to by the Court in its
2019 Judgment that were carried out “within the territory of the United States
at the time of the measures which Iran claims violated Bank Markazi’s
alleged rights under Articles III, IV and V of the Treaty” (Certain Iranian
Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I), p. 39, para. 93). This is not to
dispute that Bank Markazi as the central bank of Iran, performs as such an
essentially sovereign function. But as the Court made clear in its 2019 Judgment,
this in no way precludes that entity from being characterized as a
“company” within the meaning of the Treaty as far as its commercial activities
are concerned. It was thus for the Court, at this stage of the proceedings,
to determine on that basis alone whether or not the activities carried out by
Bank Markazi within the territory of the United States and referred to here
were commercial in nature.
7. It is difficult on the basis of this criterion not to accept that Bank
Markazi’s investment and securities management activities, including the
investment of 22 security entitlements in dematerialized bonds issued on
the United States financial market, are activities of a commercial nature. It
does not matter whether, as the United States argues, these transactions were
part of the management of Iran’s currency reserves (Judgment, para. 39).
What is important is that, as the United States courts have themselves
pointed out, these transactions constitute commercial activities in the
United States. Thus, for example, under the heading “The restrained bonds
are held in New York and reflect commercial activity in the United States”,
certains actifs iraniens (décl. salam) 203
entité soit la propriété de l’État ne l’empêche pas d’être une société au sens
du traité d’amitié. Les deux Parties conviennent également que, en dépit du
fait que la banque soit investie d’une mission souveraine, elle peut être qualifiée
de « société » au sens du traité d’amitié si elle satisfait à la deuxième
condition indiquée dans l’arrêt sur les exceptions préliminaires, à savoir si
« elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre
principal ». En fait, leur divergence porte sur la qualification des opérations
menées par la banque Markazi, en particulier celles relatives à l’achat de
22 titres de créance et d’autres opérations financières. L’Iran estime que, par
leur nature, ces activités sont commerciales et doivent donc être qualifiées
comme telles, tandis que les États-Unis considèrent que ces opérations ont
été menées dans le cadre des fonctions souveraines de la banque dont elles
ne peuvent être détachées.
6. La solution, de mon point de vue, devrait découler du paragraphe 92 de
l’arrêt de 2019, cité ci-dessus. La Cour y a indiqué sans ambiguïté que, ce qui
est important pour la qualification de la banque Markazi au sens du traité,
c’est la nature des activités visées et exercées sur le territoire des États-Unis.
J’insiste sur le fait que, afin de savoir si la banque Markazi est une société au
sens du traité d’amitié, l’appréciation devrait porter non pas sur les activités
générales de la banque, mais uniquement sur celles que la Cour a désignées
dans son arrêt de 2019 comme « les activités que cette [banque] exerçait
sur le territoire des États-Unis lorsqu’ont été prises les mesures dont l’Iran
all[éguait] qu’elles [avaie]nt violé les droits dont, selon lui, la banque Markazi
[aurait] bénéfici[é] en vertu des articles III, IV et V du traité » (République
islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 39, par. 93). Il ne s’agit aucunement ici de contester
que la banque Markazi, étant la banque centrale de l’Iran, remplit à ce titre
essentiellement une fonction souveraine. Mais, ainsi que la Cour l’a clairement
indiqué dans son arrêt de 2019, cela n’empêche nullement cette entité
de pouvoir être qualifiée de « société » au sens du traité quant à ses activités
commerciales. Il s’agissait par conséquent pour la Cour, dans la présente
phase de l’affaire, de déterminer sur cette seule base si les activités menées
par la banque Markazi sur le territoire des États-Unis, et ici visées, étaient ou
non de nature commerciale.
7. Il est difficile, en se reposant sur ce critère, de ne pas admettre que les
activités d’investissement et de gestion des titres appartenant à la banque
Markazi, notamment le placement de 22 titres de créance consistant en des
droits sur des obligations dématérialisées offertes sur le marché financier
américain, sont des activités de nature commerciale. Peu importe ici, comme
l’avancent les États-Unis, que ces transactions fassent partie de la gestion
des réserves monétaires de l’Iran (arrêt, par. 39). Ce qui est important c’est
que, comme l’ont souligné les juridictions des États-Unis elles-mêmes, ces
opérations constituent des activités commerciales aux États-Unis. Ainsi, par
exemple, sous l’intitulé « Les titres saisis sont détenus à New York et reflètent
204 certain iranian assets (decl. salam)
the United States District Court for the Southern District of New York
asserts, inter alia, that,
“[i]n order for [Bank] Markazi to purchase the Restrained Bonds
and receive interest and principal payments related to those bonds, the
Defendant Agent Banks had to undertake substantial commercial
activity
in the United States as the agents for, and under the direction of,
Markazi.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[Bank] Markazi delivered its instructions to Citibank by causing
Clearstream to engage in various methods of electronic communication
with Citibank’s New York operations.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Accordingly, Iran, Markazi, Clearstream and UBAE . . . entered a
tacit or spoken agreement to funnel Markazi’s transactions in bonds,
including bonds kept for safekeeping in the United States, through the
UBAE/Markazi Account that UBAE opened at Clearstream exclusively
for the purpose of conducting Markazi’s business” (Peterson et al. v.
Islamic Republic of Iran et al., United States District Court, Southern
District of New York, 7 December 2010, 10 CIV 4518).
8. In my view, the remarks made by Judge Giorgio Gaja in his declaration
appended to the 2019 Judgment are convincing in this regard:
“The exercise of sovereign functions by Bank Markazi is not regulated
by the Treaty, except with regard to exchange restrictions in
Article VII. However, the fact that Bank Markazi exercises sovereign
functions does not exclude that it also operates as a commercial bank
when it engages in transactions in a foreign financial market. The decision
to invest in securities may be part of a sovereign prerogative of a
central bank, but that does not mean that the implementation of an
investment is carried out through the exercise of a sovereign power.
The acquisition or sale of securities is not different from that executed
by any commercial bank and should enjoy the same protection under the
Treaty as that of a commercial bank.” (Certain Iranian Assets (Islamic
Republic of Iran v. United States of America), Preliminary Objections,
Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I), declaration of Judge Gaja, pp. 52-53,
para. 3.)
9. This is the conclusion the Court should have reached if it were truly
following the line of the 2019 Judgment on preliminary objections, as it
states in paragraph 47 of the present Judgment. That it, however, reaches a
certains actifs iraniens (décl. salam) 204
une activité commerciale aux États-Unis » (« The restrained bonds are held
in New York and reflect commercial activity in the United States »), le tribunal
fédéral de première instance du district sud de New York affirme entre
autres que,
« [p]our que [la banque] Markazi puisse acheter les obligations et recevoir
les paiements d’intérêts et de capital liés à ces obligations, les
banques mandataires défenderesses ont dû entreprendre des activités
commerciales aux États-Unis en tant qu’agents de [la banque] Markazi
et sous sa direction.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
[La banque] Markazi a donné pour instructions à Citibank, par l’intermédiaire
de Clearstream, d’entrer en communication, par différents
moyens électroniques, avec les bureaux de Citibank à New York.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
En conséquence, l’Iran, [la banque] Markazi, Clearstream et
UBAE … ont conclu un accord tacite ou verbal pour faire transiter les
transactions de Markazi sur les obligations, y compris les obligations
conservées aux États-Unis, vers le compte UBAE/Markazi ouvert à
Clearstream exclusivement à des fins d’activités d’affaires de [la banque]
Markazi » (Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., United States
District Court, Southern District of New York, 7 December 2010,
10 CIV 4518).
8. Les remarques du juge Giorgio Gaja dans sa déclaration jointe à l’arrêt
de 2019 me semblent à cet égard convaincantes :
« L’exercice de fonctions souveraines par la banque Markazi n’est pas
régi par le traité, sauf en ce qui concerne les restrictions de change énoncées
à l’article VII. Le fait que cette banque exerce des fonctions
souveraines n’exclut cependant pas qu’elle agisse également en tant que
banque commerciale lorsqu’elle effectue des transactions sur un marché
financier étranger. La décision d’investir dans des valeurs mobilières
peut s’inscrire dans le cadre des prérogatives souveraines d’une banque
centrale, mais cela ne signifie pas que la réalisation d’un investissement
est effectuée en exerçant un pouvoir souverain. L’achat ou la vente de
valeurs mobilières par une banque centrale ne diffère pas de ces mêmes
opérations exécutées par toute banque commerciale et devrait bénéficier
de la même protection au titre du traité. » (Certains actifs iraniens
(République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), déclaration du juge Gaja,
p. 52-53, par. 3.)
9. C’est la conclusion à laquelle aurait dû parvenir la Cour si elle s’était
véritablement placée dans la continuité de l’arrêt de 2019 sur les exceptions
préliminaires, ainsi qu’elle l’indique au paragraphe 47 du présent arrêt.
205 certain iranian assets (decl. salam)
different conclusion stems, in my opinion, from the majority’s incorrect
interpretation of the 2019 Judgment. In fact, it considers that,
“[i]n its 2019 Judgment, the Court merely indicated that the decisive
question was whether Bank Markazi was carrying out, alongside its sovereign
activities, other activities, of a commercial nature. It did not state
that, in determining whether particular activities were of a commercial
nature, there was no need to take into account any link that they may
have with a sovereign function. On the contrary, the Court considers this
latter criterion to be relevant.” (Judgment, para. 51.)
10. This reading of the 2019 Judgment by the majority is, in my view, questionable
to say the least. The majority introduces into the assessment of Bank
Markazi’s activities a new criterion which cannot be regarded as following
the line of the 2019 Judgment on preliminary objections. Thus, in making the
link between any commercial activities and the sovereign activity a criterion
that is not only “relevant” but essential in view of the place given to it, the
present Judgment does not clarify the 2019 Judgment but deviates from it.
Indeed, in the latter, only the intrinsic nature of the activity is considered and
assessed, even if it “do[es] not constitute [the bank’s] principal activities”.
11. However, in the present Judgment, the majority chooses not to assess
per se the transaction or series of transactions carried out by Bank Markazi,
but to place “[t]hat transaction — or series of transactions — . . . in its context,
taking particular account of any links that it may have with the exercise
of a sovereign function” (Judgment, para. 51). I am not convinced that such
an approach is appropriate. Bank Markazi is the Iranian central bank and,
like any central bank, it always pursues a public interest, even when carrying
out revenue-generating activities as in the present case. Indeed, the revenues
sought or acquired are for the purpose of carrying out sovereign and
regalian activities. The question remains whether any activities carried out
by a central
bank such as Bank Markazi could be completely separated
from its sovereign functions. For example, would the rental of a building, or
the purchase of furniture and office equipment not be “carried out within
the framework and for the purposes of Bank Markazi’s principal activity,
from which they are inseparable”, to use the wording of paragraph 50 of
the Judgment?
12. Owing to this approach, which departs from and contradicts the
2019 Judgment that it claims yet to be following, the majority makes it difficult,
if not impossible, for the same entity to carry out both activities of a
commercial nature (or, more broadly, business activities) and sovereign
activities, as pointed out by the Court in paragraph 92 of the Judgment on
preliminary objections. In contrast, the Court’s 2019 pronouncement that
only the nature of the activity concerned should be taken into account is
well justified by the difficulty in separating the activities of a central bank
from the sovereign purposes it serves. In this respect, the comments about
certains actifs iraniens (décl. salam) 205
Cependant, la conclusion différente à laquelle elle parvient résulte à mon
sens de l’interprétation inexacte que la majorité fait de l’arrêt de 2019. En
effet, elle estime que,
« [d]ans l’arrêt de 2019, la Cour s’est bornée à indiquer que ce qui était
décisif était de savoir si la banque Markazi exerçait, à côté de ses activités
de nature souveraine, d’autres activités, de nature commerciale. Elle
n’a pas affirmé que pour déterminer si des activités données présentaient
un caractère commercial il ne fallait pas tenir compte de leur lien éventuel
avec une fonction souveraine. La Cour considère, au contraire, ce
dernier critère comme pertinent. » (Arrêt, par. 51.)
10. Cette lecture de l’arrêt de 2019 par la majorité est à mon sens pour le
moins discutable. La majorité introduit dans l’appréciation des activités de la
banque Markazi un critère nouveau qui ne peut s’inscrire dans la continuité
de l’arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires. Ainsi, en faisant du lien
entre les activités éventuellement commerciales et l’activité souveraine un
critère non seulement « pertinent » mais essentiel au regard de la place qu’il
lui accorde, le présent arrêt ne clarifie pas celui de 2019, mais s’en écarte.
En effet, dans cet arrêt, seule la nature intrinsèque de l’activité est considérée
et appréciée, même si elle n’est pas exercée « à titre principal ».
11. Cependant, dans le présent arrêt, la majorité choisit de ne pas apprécier
per se la transaction, ou les séries de transactions effectuées par la banque
Markazi, mais « de replacer cette transaction — ou série de transactions —
dans son contexte, en tenant compte notamment de ses liens éventuels avec
l’exercice d’une fonction souveraine » (arrêt, par. 51). Je ne suis pas convaincu
qu’une telle approche soit judicieuse. La banque Markazi est la banque centrale
iranienne et, comme toute banque centrale, elle poursuit toujours un
intérêt général, même en menant des activités génératrices de revenus
comme c’est le cas en l’espèce. Les revenus recherchés ou acquis ont bien
entendu pour finalité la réalisation des missions régaliennes et souveraines.
Il reste à savoir si une activité menée par une banque centrale, comme la
banque Markazi, pourrait être totalement détachée de ses fonctions souveraines.
La location d’un immeuble, l’achat de meubles et de matériel de
bureau, par exemple, ne seraient-ils pas « réalisé[s] dans le cadre et pour les
besoins de l’activité principale de la banque Markazi, dont [ils] ne sont pas
séparables », pour reprendre la formule du paragraphe 50 de l’arrêt ?
12. À travers cette approche, qui s’éloigne de et contredit l’arrêt de 2019
dans la suite duquel elle dit pourtant vouloir s’inscrire, la majorité rend difficile,
voire impossible, l’éventualité pour une même entité d’exercer à la fois
des activités de nature commerciale, ou plus largement des activités d’affaires,
et des activités souveraines, ainsi que la Cour l’a pourtant souligné
dans le paragraphe 92 de l’arrêt sur les exceptions préliminaires. En revanche,
l’énoncé de la Cour en 2019 relatif à la prise en considération uniquement de
la nature de l’activité concernée se justifie pleinement par la difficulté à
détacher les activités d’une banque centrale des finalités souveraines qu’elle
206 certain iranian assets (decl. salam)
States made by the Special Rapporteur of the International Law Commission
(“ILC”) on Jurisdictional Immunities of States and Their Property are
fully valid and applicable to central banks in general and to Bank Markazi
in this case:
“The activity or course of conduct or particular act attributable to a
foreign State should not be determined by reference to its motivation or
purpose. An act performed for a State is inevitably designed to accomplish
a purpose which is in a domain closely associated with the State
itself or the public at large. In the ultimate analysis, reference to the purpose
or motive of an activity of a foreign Government is therefore not
helpful in distinguishing the types of activity which could be regarded
as commercial from those which are non-commercial . . . If it is commercial
in nature, the activity can be regarded as a trading or commercial
activity. Further reference to the purpose which motivated the activity
could serve to obscure its true character. The purpose could best be
overlooked in determining whether an activity is commercial or not,
especially for the purpose of deciding upon the availability or applicability
of State immunity.” (Second Report on Jurisdictional Immunities
of States and Their Property, by Mr Sompong Sucharitkul, Special Rapporteur,
Yearbook of the International Law Commission, 1980, Vol. II,
Part One, p. 211, para. 46.)
13. It should of course be noted that the Special Rapporteur was considering
the issue in the context of State immunities and that the Court stated
that its jurisdiction in the present case did not extend to immunities falling
outside the scope of the Treaty of Amity. However, it is difficult to understand
why different criteria should be defined and applied here for the
characterization of a commercial activity. It would be manifestly illogical, if
not absurd, to consider that an activity of Bank Markazi could be considered
as sovereign and thus excluded from the scope of protection of the Treaty of
Amity while having been characterized by the concerned local jurisdictions
as commercial and, therefore, not be covered by immunities under international
law.
14. While I share the Court’s conclusion in the present Judgment that
“[t]he rules on sovereign immunities and those laid down by the Treaty of
Amity concerning the treatment of ‘companies’ are two distinct sets of
rules” (Judgment, para. 48), it remains that the fact that immunities are not
the subject of the dispute before the Court does not prevent the latter from
drawing inspiration from State practice and the solutions adopted in this
field. The very nature of the question posed called for this approach by
analogy.
15. It should also be noted that under Article 2, paragraph 2, of the United
Nations Convention on Jurisdictional Immunities of States and Their Property
(hereinafter the “2004 Convention”), itself based on the work of the
ILC,
certains actifs iraniens (décl. salam) 206
sert. Sur ce point, ce que soulignait le rapporteur spécial de la Commission
du droit international (CDI) sur les immunités juridictionnelles des États et
leurs biens, au sujet des États, est entièrement valable et applicable aux
banques centrales en général, et à la banque Markazi en l’espèce :
«Aux fins de déterminer le caractère d’une activité ou comportement
ou d’un acte particulier imputable à un État étranger, il n’y a pas lieu de
se référer à son motif ou à son but. Un acte effectué au nom d’un État est
inévitablement destiné à répondre à un but relevant d’un domaine étroitement
lié à l’État lui-même ou à l’intérêt public d’une manière générale.
En dernière analyse, il n’est donc pas utile de se référer au motif ou au
but d’une activité donnée d’un gouvernement étranger pour savoir si l’on
peut considérer cette activité comme ayant ou non un caractère commercial
… Si elle est de nature commerciale, l’activité peut être considérée
comme une activité commerciale. Se référer au but auquel répond
cette activité ne pourrait qu’obscurcir son véritable caractère. Il vaut
mieux négliger le but d’une activité lorsqu’il s’agit de déterminer si elle
a ou non un caractère commercial, en vue notamment de décider si l’immunité
de l’État lui est applicable. » (Deuxième rapport sur les immunités
juridictionnelles des États et de leurs biens, par M. Sompong Sucharitkul,
rapporteur spécial, Annuaire de la Commission du droit international,
1980, vol. II, première partie, p. 207, par. 46.)
13. On relèvera sans doute que le rapporteur spécial menait sa réflexion
dans le cadre des immunités des États et que la Cour a indiqué que sa compétence
dans la présente affaire ne portait pas sur les immunités qui ne
rentrent pas dans le cadre du traité d’amitié. Toutefois, il est difficile de comprendre
pourquoi il faudrait définir et appliquer ici des critères différents
pour la qualification d’une activité commerciale. Il serait manifestement
illogique, voire absurde, de considérer qu’une activité de la banque Markazi
pourrait être considérée comme souveraine et donc exclue du champ de protection
du traité d’amitié tout en ayant été qualifiée par les juridictions
nationales concernées de commerciale et ne pouvant, par conséquent, pas
être couverte par les immunités en vertu du droit international.
14. Alors que je partage la conclusion de la Cour dans le présent arrêt suivant
laquelle « [l]es règles relatives aux immunités souveraines et celles que
définit le traité d’amitié en ce qui concerne le traitement applicable aux
“sociétés” constituent deux corps de règles distincts » (arrêt, par. 48), il
demeure que le fait que les immunités ne soient pas l’objet du différend dont
elle est saisie ne prévient pas la Cour de s’inspirer de la pratique des États et
des solutions adoptées dans ce domaine. Cette approche par analogie s’imposait
par la nature même de la question posée.
15. Notons également que, aux termes du paragraphe 2 de l’article 2 de la
convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États
et de leurs biens (ci-après la « convention de 2004 »), elle-même inspirée des
travaux de la CDI,
207 certain iranian assets (decl. salam)
“[i]n determining whether a contract or transaction is a ‘commercial
transaction’ under paragraph 1 (c), reference should be made primarily
to the nature of the contract or transaction, but its purpose should also
be taken into account if the parties to the contract or transaction have so
agreed, or if, in the practice of the State of the forum, that purpose is
relevant to determining the non-commercial character of the contract or
transaction”.
16. The Convention thus prescribes that recourse first be had to the nature
criterion in order to determine the “commerciality” of the activity or transaction
carried out by a public entity such as Bank Markazi. This is also the
approach adopted in Article 7 of the European Convention on State Immunity.
However, Article 2, paragraph 2, of the 2004 Convention provides for
recourse, in the alternative, to the purpose criterion, if the parties to the contract
or transaction have so agreed or if that criterion is used in the practice
of the forum State.
17. In the present case, neither Iran nor the United States has invoked any
agreement between Bank Markazi and its partners or co-contractors aimed
at defining the characterization of the bank’s activities. The purpose criterion
could therefore only have been applied if it were the criterion used in
the legal system of the United States, the forum State in this instance, to
determine the commercial or non-commercial nature of a public entity’s
transactions. However, this is not the case: as the United States pointed
out during the discussions on the ILC’s Draft Articles on Jurisdictional
Immunities of States and Their Property, it is the nature of the act criterion
that is applied in the United States legal system:
“Section 1603 (d) of the FSI Act provides that the commercial character
of an activity shall be determined by reference to the nature of the
course of conduct or particular transaction or act, rather than by reference
to its purpose.” (ILC, Jurisdictional Immunities of States and Their
Property — Information and Materials Submitted by Governments,
UN doc. A/CN.4/343, p. 65.)
18. Favouring the nature of the act in characterizing the activities of a
public entity is thus founded on a legal provision, Section 1603 (d) of the
Foreign Sovereign Immunities Act (hereinafter “FSIA”). This characterization
based solely on the nature of the activity or transaction, regardless of
the purpose pursued, has been confirmed by the United States courts and by
the Supreme Court in particular. In fact, in 1992, the latter set out what is
known as the “Weltover commercial activity test”, which is applied by the
country’s courts for this purpose:
“[W]e conclude that when a foreign government acts, not as regulator
of a market, but in the manner of a private player within it, the foreign
sovereign’s actions are ‘commercial’ within the meaning of the FSIA.
certains actifs iraniens (décl. salam) 207
« [p]our déterminer si un contrat ou une transaction est une “transaction
commerciale” au sens de l’alinéa c) du paragraphe 1, il convient de tenir
compte en premier lieu de la nature du contrat ou de la transaction, mais
il faudrait aussi prendre en considération son but si les parties au contrat
ou à la transaction en sont ainsi convenues, ou si, dans la pratique de
l’État du for, ce but est pertinent pour déterminer la nature non commerciale
du contrat ou de la transaction ».
16. La convention prescrit ainsi de recourir d’abord au critère de la nature
afin de déterminer la « commercialité » de l’activité ou de la transaction
menée par une entité publique telle que la banque Markazi. C’est également
la voie choisie par l’article 7 de la convention européenne sur l’immunité des
États. Toutefois, le paragraphe 2 de l’article 2 de la convention de 2004
prévoit
le recours, à titre subsidiaire, au critère du but si les parties au contrat
ou à la transaction en sont ainsi convenues ou si tel est le critère utilisé dans
la pratique de l’État du for.
17. En l’espèce, ni l’Iran ni les États-Unis n’invoquent un quelconque
accord entre la banque Markazi et ses partenaires ou cocontractants visant à
définir la qualification des activités de la banque. Le critère du but n’aurait
pu, dès lors, s’appliquer que s’il avait été celui retenu dans l’ordre juridique
des États-Unis, État du for en l’espèce, pour déterminer le caractère
commercial ou non commercial des transactions d’une entité publique. Mais
tel n’est pas le cas et, comme l’ont indiqué les États-Unis lors des débats sur
les projets d’articles de la CDI sur les immunités juridictionnelles des États
et de leurs biens, c’est le critère de la nature de l’acte qui est appliqué dans
l’ordre juridique américain :
« L’alinéa d) de l’article 1603 de la Loi sur l’immunité souveraine
des États étrangers prévoit que le caractère commercial d’une activité
est déterminé en fonction de la nature du comportement ou de la transaction
ou de l’acte en cause plutôt qu’en fonction de sa finalité. » (CDI,
Immunités
juridictionnelles des États et de leurs biens  Informations
et documents présentés par les gouvernements, Nations Unies, doc. A/
CN.4/343, p. 43.)
18. Cette préconisation de la nature de l’acte pour la qualification des activités
des entités publiques est ainsi assise sur une disposition légale, le
paragraphe d) de l’article 1603 de la Foreign Sovereign Immunities Act
(ci-après la « FSIA »). Cette qualification sur la seule base de la nature de
l’activité ou de la transaction, indifféremment du but poursuivi, a été confirmée
par les juridictions des États-Unis et notamment la Cour suprême. En
effet, cette dernière a énoncé en 1992 ce qui est dénommé « Weltover commercial
activity test », qui est suivi par les juridictions du pays à cet effet :
« [N]ous en concluons que, lorsqu’un gouvernement étranger agit
non pas en tant que régulateur d’un marché, mais à la manière d’un
acteur privé sur ce dernier, les actes du souverain étranger revêtent un
208 certain iranian assets (decl. salam)
Moreover, because the Act provides that the commercial character of an
act is to be determined by reference to its ‘nature’ rather than its ‘purpose,’
. . . the question is not whether the foreign government is acting
with a profit motive or instead with the aim of fulfilling uniquely sovereign
objectives. Rather, the issue is whether the particular actions that
the foreign state performs (whatever the motive behind them) are the
type of actions by which a private party engages in ‘trade and traffic or
commerce’” (United States Supreme Court, Republic of Argentina v.
Weltover Inc., 12 June 1992, 504 U.S. 607 (2d. Cir. 1992), p. 614).
19. In Saudi Arabia v. Nelson, the Supreme Court confirmed and clarified
this position, removing any ambiguity:
“We explained in Weltover, . . . that a state engages in commercial
activity under the restrictive theory where it exercises ‘only those powers
that can also be exercised by private citizens’, as distinct from those
‘powers peculiar to sovereigns’. Put differently, a foreign state engages
in commercial activity for purposes of the restrictive theory only where
it acts ‘in the manner of a private player within’ the market . . .
We emphasized in Weltover that whether a state acts ‘in the manner
of’ a private party is a question of behavior, not motivation” (United
States Supreme Court, Saudi Arabia v. Nelson, 23 March 1993, 507
U.S. 349 (1993), p. 360).
20. It should of course be recalled here that the United States courts that
have considered the matter have held, based on these criteria, that part of
Bank Markazi activities were no different from those of a private actor
and should therefore be characterized as commercial (see, inter alia, Peterson
et al. v. Islamic Republic of Iran et al., United States District Court,
Southern District of New York, 28 February 2013, 2013 U.S. Dist. LEXIS
40470 (S.D.N.Y. 2013), p. 53; Peterson et al. v. Iran, Bank Markazi, Banca
UBAE, Clearstream, JP Morgan Chase Bank, United States District Court
for the Southern District of New York, Amended Complaint, 25 April 2014,
No. 13-cv-9195-KBF, p. 3, para. 6; ibid., p. 6, para. 20).
21. Although these decisions and the FSIA evolved specifically in the context
of foreign State immunities, I see no reason why they should not be
applied in this case, particularly in establishing the practice of the forum
State in accordance with the guidelines of the 2004 Convention. It strikes
me as inconsistent for a party to adopt the nature of the act criterion to
deny immunities to foreign States and their organs, but to refuse to apply it
when it comes to affording them the protection of an agreement such as the
Treaty of Amity.
certains actifs iraniens (décl. salam) 208
caractère “commercial” au sens de la FSIA. En outre, cette loi disposant
que le caractère commercial d’un acte doit être déterminé en fonction de
sa “nature”, et non de son “but”, … la question ne consiste pas à savoir
si le gouvernement étranger agit dans un but lucratif ou, au contraire,
pour remplir des objectifs exclusivement souverains ; il s’agit de déterminer
si les actes spécifiques de l’État étranger (quelle que soit leur
motivation) relèvent du type d’actes auxquels se livre une partie privée
dans le cadre d’activités de “négoce, d’échange ou de commerce” »
(United States Supreme Court, Republic of Argentina v. Weltover Inc.,
12 June 1992, 504 U.S. 607 (2d. Cir. 1992), p. 614).
19. Dans l’affaire Saudi Arabia v. Nelson, la Cour suprême a confirmé et
clarifié cette position, levant toute ambiguïté :
« Nous avons précisé en l’affaire Weltover … qu’un État se livrait à une
activité commerciale au sens de la théorie restrictive lorsqu’il n’exerçait
“que des pouvoirs qui [étaie]nt également susceptibles d’être exercés
par des personnes privées”, par opposition à des “pouvoirs propres aux
souverains”. Autrement dit, un État étranger ne se livre à une activité
commerciale au sens de la théorie restrictive que lorsqu’il agit “à la
manière d’un acteur privé sur” le marché…
Nous avons souligné en l’affaire Weltover que la question de savoir si
un État agissait “à la manière” d’une partie privée était une question de
comportement, et non de motivation » (United States Supreme Court,
Saudi Arabia v. Nelson, 23 March 1993, 507 U.S. 349 (1993), p. 360).
20. Il faut sans doute rappeler ici que les tribunaux des États-Unis qui se
sont penchés sur la question ont considéré, sur la base de ces critères, que
certaines des activités de la banque Markazi n’étaient pas différentes de
celles d’un acteur privé et que, par conséquent, elles devaient être qualifiées
de commerciales (voir notamment Peterson et al. v. Islamic Republic of
Iran et al., United States District Court for the Southern District of New
York, 28 February 2013, 2013 U.S. Dist. LEXIS 40470 (S.D.N.Y. 2013),
p. 53 ; Peterson et al. v. Iran, Bank Markazi, Banca UBAE, Clearstream,
JP Morgan
Chase Bank, United States District Court for the Southern
District
of New York, Amended Complaint, 25 April 2014, No. 13-cv-
9195-KBF, p. 3, par. 6 ; ibid., p. 6, par. 20).
21. Bien que ces décisions et la FSIA soient développées spécifiquement
dans le cadre des immunités des États étrangers, je ne vois aucune raison
qu’elles ne soient pas appliquées en l’espèce, notamment pour établir la pratique
de l’État du for suivant les directives de la convention de 2004. Il
m’appert en effet incohérent qu’une partie adopte le critère de la nature de
l’acte pour refuser les immunités aux États étrangers et à leurs organes, puis
refuse de l’appliquer lorsqu’il s’agit de faire bénéficier à ces derniers de la
protection d’un accord comme le traité d’amitié.
209 certain iranian assets (decl. salam)
22. I would like to conclude with another point I find problematic in the
Court’s reasoning in determining the status of Bank Markazi within the
meaning of the Treaty of Amity. This is found at the end of paragraph 52 of
the Judgment. Here the Court states, inter alia, that “the assertions made by
Bank Markazi in the judicial proceedings in the Peterson case, which are
cited above, accurately reflect the reality of the bank’s activities”.
23. As has already been noted, the present case has, in an earlier phase,
been brought before the national courts of the United States. During that
phase, and in particular in the context of the Peterson case brought before
the Federal Court for the Southern District of New York, whose judgment
was confirmed by the United States Supreme Court, the nature of the activities
carried out by Bank Markazi and at issue in the present proceedings
were debated by the Parties, in particular to ascertain whether they were
covered by immunities. Notably, each of the Parties adopted the opposite
position to that taken before the Court in the present proceedings. This is no
doubt a question of legal strategy and tactics. Thus, Bank Markazi presented
the activities at issue as part of the exercise of its sovereign function as central
bank, and not commercial in nature (see Judgment, para. 39), while the
United States authorities considered that the activities of Bank Markazi were
of a commercial nature, which is why they deemed that the bank was not
entitled to invoke its immunity from the measures to freeze and seize the
assets at issue (ibid., para. 38).
24. The Court began by noting, quite rightly in my view, that it should not
“consider the statements made in United States court proceedings by counsel
for Bank Markazi and relied on by the United States . . . to be decisive”
(Judgment, para. 52). It states, in this regard, that these statements by the
bank “are not opposable to Iran” and may be explained by the specific context
of the proceedings before the United States courts in which the
Bank Markazi sought immunity. Despite this, the Court, somewhat surprisingly,
ends up relying on these statements in the final sentence of that
paragraph. It thus does the very thing it ruled out just a few lines earlier.
Beyond the obvious contradiction, this appeared neither justified nor defensible
to me in the context of the present case.
(Signed) Nawaf Salam.
certains actifs iraniens (décl. salam) 209
22. Je voudrais conclure par un autre point qui me semble problématique
dans le raisonnement de la Cour pour ce qui concerne la détermination du
statut de la banque Markazi au sens du traité d’amitié. Il s’agit de la fin du
paragraphe 52 de l’arrêt. La Cour y affirme notamment que « les déclarations
faites par la banque Markazi dans le cadre de la procédure judiciaire dans
l’affaire Peterson, citées plus haut, reflètent correctement la réalité des activités
de la banque ».
23. Ainsi que cela a déjà été relevé, la présente affaire a connu une phase
devant les juridictions nationales des États-Unis. Au cours de ladite phase, et
notamment dans le cadre de l’affaire Peterson, portée devant le tribunal
fédéral du district sud de l’État de New York et dont le jugement a été
confirmé par la Cour suprême des États-Unis, la nature des activités de la
banque Markazi qui sont en cause dans la présente procédure a été débattue
par les Parties, aux fins notamment de savoir si ces activités étaient couvertes
par des immunités. Fait notable, chacune des Parties défendait la
position contraire à celle défendue devant la Cour dans la présente procédure.
Cela s’explique sans doute par des considérations de stratégie et de
tactique judiciaires. Ainsi, la banque Markazi a présenté les activités en
cause comme une composante de l’exercice de sa fonction souveraine de
banque centrale, et non comme étant de nature commerciale (voir arrêt,
par. 39), tandis que les autorités américaines ont estimé que les activités de
la banque Markazi visées avaient une nature commerciale, raison pour
laquelle les États-Unis ont considéré que la banque n’était pas fondée à invoquer
son immunité à l’encontre des mesures tendant au gel et à la saisie des
avoirs en cause (ibid., par. 38).
24. La Cour a commencé par noter, fort judicieusement à mon avis, ne pas
devoir attacher « une importance décisive aux déclarations faites dans les
procédures judiciaires américaines par les conseils de la banque Markazi et
dont les États-Unis se sont prévalus » (arrêt, par. 52). Elle indique justement,
à cet égard, que ces déclarations de la banque « ne sont pas opposables à
l’Iran » et peuvent s’expliquer par le contexte spécifique de la procédure
devant les juridictions des États-Unis où la banque Markazi recherchait
l’immunité. La Cour, de façon surprenante, finit cependant par s’appuyer sur
ces déclarations dans la dernière phrase du paragraphe. Ainsi, elle fait
exactement ce qu’elle excluait quelques lignes plus tôt. Au-delà de la contradiction
manifeste, cela ne me semble ni justifié ni défendable dans le cadre
de la présente affaire.
(Signé) Nawaf Salam.

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Déclaration de M. le juge Salam

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