OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE YUSUF
[Traduction]
Désaccord avec la décision concernant la banque Markazi ⎯ Abandon des critères énoncés dans l’arrêt de 2019 ⎯ Nouveaux critères contredisant les critères antérieurs ⎯ Changement des règles du jeu au milieu de l’affaire ⎯ Caractère non décisif de la fonction de l’entité ⎯ Nature de l’activité étant le facteur déterminant pour la qualification de « société » ⎯ Caractère éminemment pertinent des activités exercées par la banque Markazi aux États-Unis ⎯ Nature commerciale de ces activités ⎯ Qualité de société refusée à tort à la banque Markazi ⎯ Cour ayant compétence en vertu du traité ⎯ Conclusions de la Cour concernant la violation du paragraphe 1 de l’article III et des paragraphes 1 et 2 de l’article IV auraient dû être étendues à la banque Markazi.
A. Introduction
1. Je souscris aux conclusions de la Cour concernant la violation par les États-Unis des obligations que leur imposent le paragraphe 1 de l’article III, les paragraphes 1 et 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (ci-après le « traité »). Ces conclusions ne s’étendent toutefois pas aux mesures adoptées par les États-Unis concernant les actifs de la banque Markazi. La Cour a en effet conclu qu’elle n’était pas compétente pour connaître des demandes de l’Iran portant sur le traitement réservé par les autorités américaines aux actifs de cette banque.
2. Je suis en désaccord avec le raisonnement et la conclusion de la Cour sur ce point. J’ai par conséquent voté contre le point 1 du dispositif de l’arrêt. Les motifs de mon désaccord sont les suivants. Premièrement, l’analyse qui a conduit la Cour à cette conclusion contredit les critères qu’elle avait définis dans son arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires en vue de déterminer si une entité pouvait être qualifiée de « société » au sens du traité. Deuxièmement, la définition du terme « société » figurant au paragraphe 1 de l’article III du traité n’exclut pas une entité appartenant à l’État ou sous son contrôle telle que la banque Markazi eu égard à ses fonctions, en particulier lorsqu’elle mène des activités commerciales sur le territoire de l’État d’accueil. Troisièmement, l’application des critères définis dans l’arrêt de 2019 montre qu’à l’époque pertinente, la banque Markazi exerçait sur le territoire des États-Unis des activités de la nature de celles qui permettraient de la qualifier de « société » au sens du traité.
B. Le contexte en bref
3. Pour replacer les arguments ci-dessus dans leur contexte, il importe de rappeler, ne serait-ce que brièvement, le contexte des questions qui concernaient la banque Markazi dans la présente instance. Entre 2002 et 2007, la banque Markazi, qui est la banque centrale de l’Iran, a acheté aux États-Unis, par le truchement d’un intermédiaire financier ⎯ Clearstream Bank ⎯ des actifs sous la forme de titres de créance consistant en des droits sur des obligations d’une valeur d’environ 1,8 milliard de dollars des États-Unis, qui devaient être détenus sur un compte ouvert à la Citibank à New York (voir le paragraphe 18 ci-après). À la suite d’une série de mesures prises par les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, les actifs de la banque Markazi ont été bloqués, saisis et confisqués pour être distribués à 15 groupes de demandeurs en l’affaire Peterson et al. contre l’Iran. Ces actifs représentaient la grande majorité de ceux qui étaient en cause en l’espèce.
4. En 1984, les États-Unis avaient désigné l’Iran en tant qu’« État soutenant le terrorisme ». Par la suite, le Congrès des États-Unis a modifié la loi sur l’immunité des États étrangers (Foreign
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Sovereign Immunities Act ou «FSIA») pour permettre aux particuliers d’engager devant les juridictions américaines, contre les « États soutenant le terrorisme », des actions en dommages-intérêts pour décès et préjudices corporels causés par des actes de terrorisme. Puis il a, en 2002, adopté la loi sur l’assurance contre les risques associés au terrorisme (Terrorism Risk Insurance Act ou «TRIA»), qui a autorisé l’exécution des décisions de justice rendues sous le régime de la FSIA sur les « actifs bloqués » d’un État désigné comme « partie terroriste », y compris ses organismes ou agences. Les biens de la banque Markazi ont ensuite été bloqués par application du décret présidentiel no 13599 promulgué par le président des États-Unis en février 2012. Finalement, en 2012 également, le Congrès des États-Unis a adopté la loi sur la réduction de la menace iranienne et les droits de l’homme en Syrie (Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act ou ITRSHRA), dont l’article 502 visait expressément et mettait sous main de justice « les actifs financiers en cause dans l’affaire Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al., portée devant le tribunal fédéral du district sud de l’État de New York ». Il s’agissait des actifs de la banque Markazi susmentionnée. Tous ces textes ont été adoptés alors que le traité entre les États-Unis et l’Iran était encore en vigueur. Ce n’est que le 3 octobre 2018 que les États-Unis ont annoncé qu’ils dénonçaient cet instrument, soit plus de deux ans après que l’Iran eut introduit son instance devant la Cour le 14 juin 2016.
5. Le 1er mai 2017, les États-Unis ont déposé des exceptions préliminaires d’irrecevabilité et d’incompétence. La troisième de ces exceptions portait sur le point de savoir si la banque Markazi était une « société » au sens du traité, fondée à ce titre à revendiquer les droits et protections que confèrent aux « sociétés » les articles III, IV et V de cet instrument1.
6. Dans son arrêt du 13 février 2019 sur la compétence, la Cour a estimé que la question de savoir si la banque Markazi était une « société » devait être déterminée par référence à la nature des activités de cette banque, mais qu’elle ne disposait pas de tous les éléments nécessaires pour procéder à cette détermination. Elle a par conséquent joint cette question au fond.
C. Changement de critères à mi-parcours
7. La nécessité pour la Cour de disposer d’informations supplémentaires s’expliquait par sa volonté de mieux connaître la nature des activités que la banque Markazi avait exercées sur le territoire des États-Unis pendant la période pertinente et qui avaient été affectées par les mesures américaines. Cette volonté découlait de la conclusion à laquelle la Cour était parvenue à ce moment-là, et suivant laquelle,
« puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne morale dont il s’agit devrait être regardée comme une “société” au sens du traité dans la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre principal »2.
8. La Cour a donc décidé qu’elle devait
« se pencher … sur la question de la nature des activités qu’exerce la banque Markazi. Plus précisément, elle doit examiner les activités que cette dernière exerçait sur le territoire des États-Unis lorsqu’ont été prises les mesures dont l’Iran allègue qu’elles
1 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 36, par. 84.
2 Ibid., p. 38-39, par. 92.
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ont violé les droits dont, selon lui, la banque Markazi bénéficierait en vertu des articles III, IV et V du traité. »3
Ainsi, les critères établis par la Cour dans son arrêt de 2019 pour déterminer si la banque Markazi était une « société » au sens du traité étaient centrés sur la nature des activités qu’exerçait celle-ci aux États-Unis à l’époque pertinente.
9. Dans le présent arrêt rendu au fond en la même affaire, la majorité a cependant fait volte-face et inventé un nouveau critère accordant la prééminence à la fonction exercée par l’entité en cause. On peut lire en effet, au paragraphe 51 de l’arrêt, que la série de transactions effectuées par la banque Markazi à l’époque pertinente doit être « replac[ée] … dans son contexte, en tenant compte notamment de ses liens éventuels avec l’exercice d’une fonction souveraine », comme si l’on pouvait imaginer que les activités commerciales d’une banque centrale pussent ne pas avoir de lien avec ses fonctions souveraines. Il s’agit là d’un nouveau critère qui ne fait pas partie de ceux qui avaient été définis par la Cour dans son arrêt de 2019. Au lieu que ce soit la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce, comme il était dit au paragraphe 92 de l’arrêt de 2019, ce sont maintenant la fonction de ladite entité et le lien entre cette fonction et ses activités qui sont réputés déterminants. Ce nouveau critère contredit directement les motifs qui ont permis à la Cour d’invoquer le paragraphe 4 de l’article 79ter de son Règlement pour joindre au fond la troisième exception des États-Unis. Si le critère déterminant était effectivement le lien entre les activités de la banque Markazi et sa fonction souveraine, alors la Cour n’avait aucune raison d’estimer qu’elle ne disposait pas de tous les éléments nécessaires pour déterminer si les activités exercées aux États-Unis à l’époque pertinente permettaient de qualifier cette banque de « société ».
10. Il n’est pas contesté que la fonction première de la banque Markazi soit une fonction souveraine, puisqu’elle est la banque centrale de l’Iran. Le lien que les activités en cause pouvaient avoir avec les fonctions d’une banque centrale était connu de la Cour. Il n’a pas été révélé à la faveur des écritures et plaidoiries des Parties pendant la phase de l’examen de l’affaire au fond. Qui plus est, le lien qu’une activité commerciale peut avoir avec une fonction souveraine ne la transforme pas en activité souveraine, pas plus qu’il ne la prive de sa nature d’activité commerciale. Ainsi donc, le nouveau critère utilisé par la Cour ne résiste pas à un examen attentif, et il ne pouvait pas l’aider à déterminer si une entité peut être qualifiée de « société ». En tout état de cause, il est juridiquement erroné de la part de la Cour d’appliquer de nouveaux critères et de changer les règles du jeu au milieu d’une affaire, alors qu’elle avait si clairement annoncé, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires, les critères qu’elle utiliserait pour déterminer si les activités exercées aux États-Unis par la banque Markazi à l’époque pertinente permettaient de qualifier celle-ci de « société » au sens du traité. Il n’est pas loisible à une juridiction de souffler le chaud et le froid lorsqu’il s’agit d’établir des critères en vue de régler une question juridique ou d’appliquer ces critères à l’objet de son examen lorsqu’elle statue en la même affaire.
11. Par ailleurs, il existe une différence manifeste entre les activités souveraines « liées aux fonctions régaliennes de l’État » qu’évoque la Cour dans son arrêt de 2019 et les activités commerciales liées à une fonction souveraine. En effet, ce dernier lien ne transforme pas les activités commerciales en actes souverains ou en actes relevant de la souveraineté de l’État. Le tribunal arbitral du CIRDI en l’affaire Československá Obchodní Banka, A.S. v. The Slovak Republic était saisi d’une question similaire. Il s’agissait de savoir si la banque Československá Obchodní Banka (CSOB) pouvait être qualifiée de « ressortissante » de l’État contractant au sens de l’article 25 de la convention de Washington ou si elle devait être considérée comme l’État en tant que tel du fait qu’elle exerçait des activités liées à des fonctions souveraines. Le tribunal a déclaré ce qui suit :
3 Ibid., p. 39, par. 93.
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« Il est incontestable que, pendant une grande partie de son existence, la CSOB a agi pour le compte de l’État en facilitant ou en exécutant les transactions bancaires internationales et les opérations commerciales avec l’étranger auxquelles l’État souhaitait apporter son appui, et que le fait que la CSOB était contrôlée par l’État l’obligeait à exécuter les instructions de celui-ci à cet égard. Cependant, pour déterminer si la CSOB, lorsqu’elle s’acquittait de ces fonctions, exerçait des fonctions gouvernementales, il convient de se concentrer sur la nature de ces activités et non sur leur fin. Or si, dans l’exercice des activités susmentionnées, la CSOB facilitait effectivement les politiques ou les buts de l’État, les activités elles-mêmes étaient essentiellement de nature commerciale et non gouvernementales. »4
12. En outre, comme cela sera exposé dans la section suivante, le nouveau critère conçu par la Cour dans le présent arrêt pour déterminer si les activités exercées aux États-Unis par la banque Markazi à l’époque pertinente permettent de la qualifier de « société » au sens du traité entre en contradiction avec la définition du terme « société » énoncée au paragraphe 1 de l’article III du traité, ainsi qu’avec le traitement que le paragraphe 4 de l’article XI prévoit pour les organismes et agences de l’État.
D. Définition du terme « société » à l’article III du traité d’amitié
13. Le paragraphe 1 de l’article III du traité indique que le terme « sociétés » doit s’entendre « des sociétés de capitaux ou de personnes, des compagnies et de toutes associations, qu'elles soient ou non à responsabilité limitée et à but lucratif ». Comme l’a fait observer la Cour dans son arrêt de 2019, « la personnalité juridique propre que confère à la banque Markazi l’alinéa c) de l’article 10 de la loi monétaire et bancaire iranienne de 1960, telle qu’elle a été amendée », n’est pas contestée5. La même loi précise que la banque Markazi est « soumise aux lois et règlements régissant les sociétés par actions pour les aspects dont ne traite pas la [présente] loi » et qu’« elle n’est pas soumise aux lois et règlements généraux applicables aux ministères, aux organismes publics et aux administrations affiliés à l’État ». Qui plus est, dans le même arrêt, la Cour a déclaré que « le fait que la banque Markazi soit intégralement la propriété de l’État iranien, et que l’État exerce un pouvoir de direction et un contrôle étroit sur les activités de la banque … ne permet[ait] pas, à lui seul, d’exclure cette entité de la catégorie des “sociétés” au sens du traité »6.
14. Néanmoins, à la lumière de l’objet et du but du traité d’amitié, qui vise à garantir des droits et à accorder des protections aux personnes physiques et morales qui exercent des activités commerciales, la Cour était aussi d’avis que la possession d’une personnalité juridique propre selon le droit interne d’une partie contractante n’était pas une condition suffisante « pour qualifier une entité donnée de “société” au sens du traité d’amitié »7. Par conséquent, pour jouir de la protection offerte aux sociétés iraniennes sur le territoire américain, la banque Markazi devait démontrer que les activités qu’elle exerçait aux États-Unis étaient de nature commerciale. Je souscris sans réserve à cette idée de la Cour telle qu’elle est présentée dans son arrêt de 2019. C’est également la raison qui a conduit la Cour à se pencher sur la nature des activités qu’exerçait la banque Markazi sur le
4 Československá Obchodní Banka, A.S. v. The Slovak Republic, affaire CIRDI no ARB/97/4, décision du tribunal arbitral sur les exceptions à la compétence, 24 mai 1999, par. 20.
5 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38, par. 88.
6 Ibid.
7 Ibid., p. 38, par. 90-91.
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territoire des États-Unis au moment où ses actifs ont été touchés par les mesures américaines dont l’Iran a saisi la Cour.
15. En l’espèce, la question en litige n’était pas de savoir si la banque Markazi exerçait habituellement et généralement des activités commerciales en différents endroits du monde. Ce qui importait ici, s’agissant du traité d’amitié et du différend entre les Parties, était de savoir si les activités exercées par la banque Markazi sur le territoire des États-Unis qui avaient été soumises aux mesures américaines dont l’Iran tirait grief étaient des activités commerciales. C’était là le noeud du différend. Il n’était donc pas question de qualifier généralement la banque Markazi de « société » en toutes circonstances ou dans toutes ses opérations, mais seulement par rapport aux activités qu’elle exerçait sur le territoire des États-Unis à l’époque pertinente.
16. Il importe d’éclaircir ce point pour mieux appréhender le différend, puisque ce qui comptait, ce n’était pas que la banque Markazi doive toujours être traitée comme une « société » aux États-Unis en application du traité d’amitié quelles que soient les activités qu’elle exerce, mais qu’elle doive y être traitée comme telle si ses activités sur les marchés américains lui valent la qualification de « société ». Autrement dit, c’est seulement lorsque la banque Markazi intervenait sur les marchés américains selon les règles de la concurrence et nouait des relations commerciales avec d’autres entités qu’elle acquérait le droit d’être considérée comme une « société » au sens du traité aux fins de ces activités. Il convient aussi de rappeler que le paragraphe 4 de l’article XI autorise expressément les sociétés, administrations et agences publiques à exercer des activités commerciales et industrielles de quelque nature que ce soit sur le territoire de l’autre Haute Partie contractante, mais leur interdit de prétendre y bénéficier d’une exemption en matière d’impôts ou d’autres obligations applicables aux entreprises privées. Cette disposition s’appliquait à la banque Markazi en tant qu’organisme ou agence de l’Iran et protégeait ses activités commerciales et ses investissements aux États-Unis.
17. Le fait que la banque Markazi soit propriété de l’État ou sous contrôle de l’État, qu’elle exerce des activités souveraines en Iran ou qu’elle ait une fonction souveraine en droit iranien ne l’empêchait ni d’exercer sur le territoire des États-Unis des activités commerciales en tant que « société » au sens du traité ni de bénéficier du traitement que les États-Unis étaient tenus, en vertu de cet instrument, de réserver aux sociétés iraniennes auxquelles leurs activités commerciales sur le territoire des États-Unis valent d’être qualifiées de « sociétés ». Dans la mesure où les activités de la banque Markazi aux États-Unis étaient de nature commerciale ou d’affaires, ces activités lui permettaient d’être qualifiée de « société » au sens du traité et, partant, de relever de la compétence de la Cour aux fins du présent différend. Que ces activités aient été exercées dans un but lucratif ou non, comme il est stipulé au paragraphe 1 de l’article III, ou qu’elles l’aient été en vue de produire des revenus destinés à l’État ou à ses réserves monétaires, cela n’empêchait pas que la banque Markazi puisse être considérée comme une « société » au sens du traité. Rien dans cet instrument n’indique que le traitement à accorder aux « sociétés » exerçant des activités commerciales ou d’affaires sur le territoire de l’autre partie dépende de la finalité des transactions que les entités concernées effectuent habituellement dans leur propre pays ou de la fonction qu’elles y remplissent habituellement. Ce traitement leur est accordé en raison de la nature commerciale ou d’affaires des activités qu’elles exercent et dont le traité garantit la protection. C’est du moins ce que la Cour avait affirmé au paragraphe 92 de son arrêt de 2019 :
« puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne morale dont il s’agit devrait être
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regardée comme une “société” au sens du traité dans la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre principal »8.
Il s’ensuit que le raisonnement par lequel la Cour a lié la qualification d’une entité comme « société » au sens du traité à la finalité de l’activité ou de la fonction qu’exerce cette entité, au lieu de la lier à la nature de l’activité, comme elle l’avait déclaré en 2019, ne trouve aucun fondement dans le traité d’amitié.
E. Nature des activités exercées par la banque Markazi aux États-Unis à l’époque pertinente
18. Selon les informations dont disposait la Cour, les activités en cause consistaient en 22 titres de créance libellés en dollars des États-Unis, acquis par la banque Markazi entre 2002 et 2007. Ils avaient été acquis par l’intermédiaire de Clearstream, société basée au Luxembourg, qui fournit des services bancaires à d’autres banques et s’est spécialisée dans les opérations de garde et de règlement de titres. Clearstream, qui n’a pas de succursale bancaire aux États-Unis, a ouvert des comptes courants à New York auprès de J.P. Morgan et Citibank pour pouvoir effectuer ses paiements, tels que le paiement du capital et des intérêts sur ses titres de créance à l’étranger9. Lorsque les titres de créance venaient à échéance ou étaient vendus, leur capital ou le produit de leur vente était déposé sur un compte-titres ouvert par Clearstream auprès de Citibank pour la banque Markazi et pouvait produire des intérêts supplémentaires10. C’est le produit de ces titres de créance détenus par Citibank pour la banque Markazi qui a été bloqué et ultérieurement remis à différents demandeurs aux États-Unis en exécution des décisions des juridictions américaines dans les affaires Peterson.
19. Au paragraphe 4 de son article 13, la loi monétaire et bancaire iranienne précitée autorise la banque Markazi, entre autres opérations, à « acquérir et vendre … des obligations d’État, ainsi que des obligations émises par des États étrangers ou des institutions financières internationales accréditées »11. Les obligations acquises par la banque Markazi, d’une valeur d’environ 1,8 milliard de dollars des États-Unis, ont été mises sur le marché financier par des États, des entreprises publiques ou la Banque mondiale et leur traitement a été assuré par une banque aux États-Unis. La banque Markazi les avait acquises dans un but lucratif et, comme pour tout placement financier, elle pouvait revendre certaines de ces obligations ou parties d’obligations lorsqu’une telle opération lui permettait de réaliser un bénéfice, plutôt que de les conserver jusqu’à l’échéance. Pour cela, elle devait observer les inévitables fluctuations du marché obligataire. Elle avait donc des activités de placement sur les marchés financiers et touchait le produit de ses placements par l’intermédiaire de Clearstream Bank, qui les déposait sur un compte ouvert auprès d’une banque américaine. En 2012, « la dernière obligation étant arrivée à échéance, les liquidités associées à ces obligations ont été placées auprès de Citibank à New York sur un compte rémunéré »12.
20. Dans leurs plaidoiries en l’affaire Peterson devant le tribunal fédéral du district sud de l’État de New York, les avocats des demandeurs avaient qualifié les transactions financières susmentionnées de la banque Markazi d’activités commerciales sur le territoire des États-Unis. Selon eux,
8 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38-39, par. 92.
9 Exceptions préliminaires des États-Unis d’Amérique, annexe 235, p. 6-7.
10 Ibid.
11 Mémoire de la République islamique d’Iran, pièces jointes et annexes, vol. IV, annexe 73, p. 11.
12 Réplique de la République islamique d’Iran, p. 91, par. 3.26.
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« pour que Markazi puisse acheter les obligations bloquées et toucher les intérêts et le capital correspondant à ces obligations, les banques mandataires défenderesses devaient avoir aux États-Unis une substantielle activité commerciale en tant que mandataires de Markazi agissant sous sa direction »13.
Ils ont aussi fait valoir que,
« chaque fois que les banques mandataires défenderesses exécutaient les ordres d’achat d’obligations donnés par Markazi, différentes entités agissant en qualité d’agents de Markazi devaient exercer une activité commerciale substantielle aux États-Unis pour que Markazi puisse toucher les intérêts et le capital correspondant à ses placements »14.
Le tribunal de district n’a pas rejeté ces arguments. Au contraire, dans son jugement (« Order ») du 28 février 2013, il a rejeté les arguments de la banque Markazi faisant valoir que ses actifs bénéficiaient de l’immunité de saisie au motif qu’ils obéissaient à des buts de banque centrale et, partant, relevaient de l’alinéa 1 du paragraphe b) de l’article 1611 de la FSIA. Le tribunal a rejeté cet argument en citant la « clause nonobstant » de la TRIA et le décret présidentiel no 13599 qui, selon lui, « donn[ai]ent à penser que la banque Markazi n’exer[çait] pas d’activités protégées par l’alinéa 1 du paragraphe b) de l’article 1611 » de la FSIA. Il a par conséquent conclu que l’immunité de banque centrale ne s’appliquait pas aux activités de la banque Markazi aux États-Unis, dont il considérait qu’elles étaient de nature commerciale.
21. Il est à tout le moins surprenant que, dans le présent arrêt, la Cour ait considéré que les déclarations faites par les conseils de la banque Markazi devant les juridictions américaines et sur lesquelles s’appuyaient les États-Unis en l’espèce « refl[étai]ent correctement la réalité des activités de la banque », alors qu’elle n’a tenu aucun compte des arguments formulés par les avocats des demandeurs devant les mêmes juridictions américaines, qui qualifiaient les activités de la banque Markazi aux États-Unis d’activités commerciales. Les arguments avancés par les Parties pour caractériser les activités de la banque Markazi aux États-Unis étaient pratiquement l’inverse de ceux qui avaient été formulés par la banque Markazi et les avocats des demandeurs devant les juridictions américaines. Dans la présente instance devant la Cour, les deux États ont semblé répondre chacun de son côté aux conclusions de l’arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires, l’Iran soutenant que les activités en cause étaient de nature commerciale et les États-Unis affirmant, à l’inverse, qu’il s’agissait d’activités de banque centrale ⎯ l’un et l’autre s’efforçant de convaincre la Cour du bien-fondé de sa position sur une éventuelle qualification de la banque Markazi comme « société » au sens du traité. Dans ces conditions, la Cour aurait dû s’appuyer sur les critères qu’elle avait définis dans son arrêt de 2019 pour trancher la question de savoir si la banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités de la nature de celles qui permettent de caractériser une « société » au sens du traité.
22. Les critères définis par la Cour dans son arrêt de 2019 mettaient l’accent sur la nature des activités puisque, aux termes de cette décision, « c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce »15. Toujours selon cet arrêt, « la personne morale dont il s’agit devrait être regardée comme une “société” au sens du traité dans la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre principal »16. Je suis
13 Documents pertinents de la procédure judiciaire dans l’affaire Peterson rendus publics, fournis par les États-Unis d’Amérique, vol. 1, doc. A12, p. 19, par. 86.
14 Ibid., p. 21, par. 96.
15 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38, par. 92.
16 Ibid., p. 38-39, par. 92.
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d’avis que, si les critères de 2019 avaient été dûment appliqués aux activités exercées aux États-Unis à l’époque pertinente par la banque Markazi et consistant en l’achat de 22 titres de créance en obligations dématérialisées, leur gestion et leur vente subséquente, ces activités auraient été considérées comme des activités commerciales. Il s’ensuit que la banque Markazi aurait dû être qualifiée de « société » au sens du traité dans le présent arrêt. Cela lui aurait donné droit au traitement accordé aux sociétés de ce type par les dispositions du paragraphe 1 de l’article III et des paragraphes 1 et 2 de l’article IV du traité, dont la Cour a aujourd’hui conclu qu’elles avaient été violées par les États-Unis en ce qui concerne d’autres sociétés iraniennes. La Cour aurait donc dû se déclarer compétente à l’égard de la troisième exception soulevée par les États-Unis et, partant, étendre à la banque Markazi ses conclusions concernant la violation par les États-Unis des obligations que leur imposent le paragraphe 1 de l’article III et les paragraphes 1 et 2 de l’article IV.
(Signé) Abdulqawi Ahmed YUSUF.
___________
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SEPARATE OPINION OF JUDGE YUSUF
Disagreement with decision regarding Bank Markazi — Abandonment of
criteria laid down in 2019 Judgment — New test in contradiction with earlier
criteria — Goal posts moved in the middle of the case — Function of
entity not decisive — Nature of activity determines characterization as
“company” — Activities carried out by Bank Markazi in the United States
most relevant — Nature of such activities commercial — Bank Markazi
should have been characterized as company — Court has jurisdiction under
Treaty — Court’s findings of a breach of Articles III (1) and IV (1) and (2)
should have been extended to Bank Markazi.
A. Introduction
1. I agree with the findings of the Court regarding the violation by the
United States of its obligations under Articles III (1), IV (1) and (2), and X (1)
of the 1955 Treaty of Amity, Economic Relations, and Consular Rights
(hereinafter the “Treaty”). These findings do not, however, extend to the
measures adopted by the United States with regard to the assets of Bank
Markazi. The Court has come to the conclusion that it has no jurisdiction to
consider Iran’s claims relating to the treatment of Bank Markazi’s assets by
the United States authorities.
2. I disagree with the reasoning and the conclusion of the Court on this
point. I have therefore voted against operative paragraph 236 (1) of the Judgment.
The reasons of my disagreement are as follows. First, the analysis of
the Court that led it to this conclusion is in contradiction with the criteria the
Court established in its 2019 Judgment on preliminary objections for determining
the characterization of an entity as a “company” under the Treaty.
Secondly, the definition of the term “company” in Article III (1) of the Treaty
does not exclude a State-owned or State-controlled entity such as
Bank Markazi in view of its functions, particularly when it engages in commercial
activities in the territory of the host State. Thirdly, an application of
the criteria established in the 2019 Judgment shows that the activities Bank
Markazi was carrying out at the relevant time in the territory of the
United States were of the nature of those which allow it to be characterized
as a “company” within the meaning of the Treaty.
148
OPINION INDIVIDUELLE DE M. LE JUGE YUSUF
[Traduction]
Désaccord avec la décision concernant la banque Markazi — Abandon des
critères énoncés dans l’arrêt de 2019 — Nouveaux critères contredisant les
critères antérieurs — Changement des règles du jeu au milieu de l’affaire —
Caractère non décisif de la fonction de l’entité — Nature de l’activité étant le
facteur déterminant pour la qualification de « société » — Caractère éminemment
pertinent des activités exercées par la banque Markazi aux
États-Unis — Nature commerciale de ces activités — Qualité de société refusée
à tort à la banque Markazi — Cour ayant compétence en vertu du
traité — Conclusions de la Cour concernant la violation du paragraphe 1 de
l’article III et des paragraphes 1 et 2 de l’article IV auraient dû être étendues
à la banque Markazi.
A. Introduction
1. Je souscris aux conclusions de la Cour concernant la violation par les
États-Unis des obligations que leur imposent le paragraphe 1 de l’article III,
les paragraphes 1 et 2 de l’article IV et le paragraphe 1 de l’article X du traité
d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (ci-après le « traité »).
Ces conclusions ne s’étendent toutefois pas aux mesures adoptées par les
États-Unis concernant les actifs de la banque Markazi. La Cour a en effet
conclu qu’elle n’était pas compétente pour connaître des demandes de l’Iran
portant sur le traitement réservé par les autorités américaines aux actifs de
cette banque.
2. Je suis en désaccord avec le raisonnement et la conclusion de la Cour
sur ce point. J’ai par conséquent voté contre le point 1 du dispositif de
l’arrêt. Les motifs de mon désaccord sont les suivants. Premièrement, l’analyse
qui a conduit la Cour à cette conclusion contredit les critères qu’elle
avait définis dans son arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires en vue
de déterminer si une entité pouvait être qualifiée de « société » au sens du
traité. Deuxièmement, la définition du terme « société » figurant au paragraphe
1 de l’article III du traité n’exclut pas une entité appartenant à l’État
ou sous son contrôle telle que la banque Markazi eu égard à ses fonctions,
en particulier lorsqu’elle mène des activités commerciales sur le territoire
de l’État d’accueil. Troisièmement, l’application des critères définis dans
l’arrêt de 2019 montre que, à l’époque pertinente, la banque Markazi exerçait
sur le territoire des États-Unis des activités de la nature de celles qui permettraient
de la qualifier de « société » au sens du traité.
149
B. A Brief Background
3. To contextualize the above arguments, it is important to recall, albeit
briefly, the background to the issues regarding Bank Markazi in the present
proceedings. Between 2002 and 2007, Bank Markazi, the Central Bank of
Iran, acquired assets in the United States, namely ownership interest in
security entitlements worth around US$1.8 billion through a financial intermediary,
Clearstream Bank, to be held in an account with Citibank in
New York (see paragraph 18 below). As a result of the successive acts of the
United States legislative, executive and judiciary branches of government,
the assets of Bank Markazi were blocked, seized and taken from it to be
distributed to 15 groups of plaintiffs in the case of Peterson et al. against
Iran. These assets represent the vast majority of those at issue in the present
case.
4. In 1984, the United States designated Iran a “State sponsor of terrorism”.
Thereafter, the United States Congress amended the Foreign Sovereign
Immunities Act (FSIA) to allow private individuals to claim compensatory
damages against “State sponsors of terrorism” for injury or death caused by
acts of terrorism as an exception to sovereign State immunity in domestic
courts. Moreover, through the Terrorism Risk Insurance Act of 2002 (TRIA),
the United States Congress authorized the execution of judgments obtained
under the FSIA’s terrorism exception against “the blocked assets” of a State
designated as a “terrorist party” and of any agency or instrumentality of that
party. The property of Bank Markazi was then blocked by Executive
Order 13599, issued by the President of the United States in February 2012.
Finally, also in 2012, the United States legislature enacted the Iran Threat
Reduction and Syria Human Rights Act (ITRSHRA), Section 502 of which
specifically targeted “the financial assets that are identified in and the subject
of proceedings in the United States District Court for the Southern
District of New York in Peterson et al. v. Islamic Republic of Iran et al.”,
making them subject to execution. These were the assets of Bank Markazi
mentioned above. All these acts were put in place while the Treaty was still
in force between the United States and Iran. The United States announced its
denunciation of the Treaty on 3 October 2018, more than two years after Iran
filed its Application before the Court on 14 June 2016.
5. On 1 May 2017, the United States presented preliminary objections to
the admissibility of the Application and the jurisdiction of the Court. The
third objection by the United States concerned whether Bank Markazi was a
“company” within the meaning of the Treaty and was therefore justified in
claiming the rights and protections afforded to “companies” by Articles III,
IV and V of the Treaty 1.
1 Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I), p. 36, para. 84.
certain iranian assets (sep. op. yusuf)
149
B. Le contexte en bref
3. Pour replacer les arguments ci-dessus dans leur contexte, il importe de
rappeler, ne serait-ce que brièvement, le contexte des questions qui concernaient
la banque Markazi dans la présente instance. Entre 2002 et 2007, la
banque Markazi, qui est la banque centrale de l’Iran, a acheté aux États-
Unis, par le truchement d’un intermédiaire financier Clearstream Bank
des actifs sous la forme de titres de créance consistant en des droits sur
des obligations d’une valeur d’environ 1,8 milliard de dollars des États-Unis,
qui devaient être détenus sur un compte ouvert à la Citibank à New York
(voir le paragraphe 18 ci-après). À la suite d’une série de mesures prises par
les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, les actifs de la banque Markazi
ont été bloqués, saisis et confisqués pour être distribués à 15 groupes de
demandeurs en l’affaire Peterson et al. contre l’Iran. Ces actifs représentaient
la grande majorité de ceux qui étaient en cause en l’espèce.
4. En 1984, les États-Unis avaient désigné l’Iran en tant qu’« État soutenant
le terrorisme ». Par la suite, le Congrès des États-Unis a modifié la loi sur l’immunité
des États étrangers (Foreign Sovereign Immunities Act ou « FSIA »)
pour permettre aux particuliers d’engager devant les juridictions américaines,
contre les « États soutenant le terrorisme », des actions en dommages-intérêts
pour décès et préjudices corporels causés par des actes de terrorisme. Puis il
a, en 2002, adopté la loi sur l’assurance contre les risques associés au terrorisme
(Terrorism Risk Insurance Act ou « TRIA »), qui a autorisé l’exécution
des décisions de justice rendues sous le régime de la FSIA sur les « actifs bloqués
» d’un État désigné comme « partie terroriste », y compris ses organismes
ou agences. Les biens de la banque Markazi ont ensuite été bloqués par application
du décret présidentiel no 13599 promulgué par le président des
États-Unis en février 2012. Finalement, en 2012 également, le Congrès des
États-Unis a adopté la loi sur la réduction de la menace iranienne et les droits
de l’homme en Syrie (Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act ou
« ITRSHRA »), dont l’article 502 visait expressément et mettait sous main de
justice « les actifs financiers en cause dans l’affaire Peterson et al. v. Islamic
Republic of Iran et al., portée devant le tribunal fédéral du district sud
de l’État de New York ». Il s’agissait des actifs de la banque Markazi susmentionnée.
Tous ces textes ont été adoptés alors que le traité entre les États-Unis
et l’Iran était encore en vigueur. Ce n’est que le 3 octobre 2018 que les
États-
Unis ont annoncé qu’ils dénonçaient cet instrument, soit plus de deux
ans après que l’Iran eut introduit son instance devant la Cour le 14 juin 2016.
5. Le 1er mai 2017, les États-Unis ont déposé des exceptions préliminaires
d’irrecevabilité et d’incompétence. La troisième de ces exceptions portait sur
le point de savoir si la banque Markazi était une « société » au sens du traité,
fondée à ce titre à revendiquer les droits et protections que confèrent aux
« sociétés » les articles III, IV et V de cet instrument1.
1 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 36, par. 84.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf)
150
certain iranian assets (sep. op. yusuf)
6. In its Judgment on jurisdiction of 13 February 2019, the Court decided
that the question whether Bank Markazi was a “company” was to be determined
by reference to the nature of its activities, but that the Court did not
have before it all the facts necessary to make such determination. It therefore
joined this issue to the merits.
C. Changing Criteria in Mid-course
7. The Court’s need for further information was premised on the quest for
a better understanding of the nature of the activities carried out by Bank
Markazi in the territory of the United States that were affected by the
United States’ measures at the relevant time. This focus flowed from the
Court’s conclusion, at the time, that,
“since it is the nature of the activity actually carried out which determines
the characterization of the entity engaged in it, the legal person in
question should be regarded as a ‘company’ within the meaning of the
Treaty to the extent that it is engaged in activities of a commercial
nature, even if they do not constitute its principal activities”2.
8. The Court therefore stated that it must address
“the question of the nature of the activities engaged in by Bank Markazi.
More precisely, it must examine Bank Markazi’s activities within the
territory of the United States at the time of the measures which Iran
claims violated Bank Markazi’s alleged rights under Articles III, IV
and V of the Treaty.”3
Thus, the criteria developed by the Court in its 2019 Judgment for assessing
whether Bank Markazi was a “company” under the Treaty were centred on
the nature of the activities it was carrying out at the relevant time in the
United States.
9. However, in the present Judgment dealing with the merits phase of the
same case, the majority engages in a volte-face and comes up with a new criterion
which gives prominence to the function of the entity concerned. Thus,
it is stated in paragraph 51 of the Judgment that the series of transactions
carried out by Bank Markazi at the relevant time “must be placed in its context,
taking particular account of any links that it may have with the exercise
of a sovereign function”, as though it was possible to imagine that the commercial
activities of a central bank could have no link to its sovereign
functions. This is a new test which was not part of the criteria developed by
the Court in its 2019 Judgment. Instead of the nature of the activity carried
out being the determining factor for the characterization of the entity
2 Ibid., pp. 38-39, para. 92.
3 Ibid., p. 39, para. 93.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 150
6. Dans son arrêt du 13 février 2019 sur la compétence, la Cour a estimé
que la question de savoir si la banque Markazi était une « société » devait être
déterminée par référence à la nature des activités de cette banque, mais
qu’elle ne disposait pas de tous les éléments nécessaires pour procéder à
cette détermination. Elle a par conséquent joint cette question au fond.
C. Changement de critères à mi-parcours
7. La nécessité pour la Cour de disposer d’informations supplémentaires
s’expliquait par sa volonté de mieux connaître la nature des activités que la
banque Markazi avait exercées sur le territoire des États-Unis pendant la
période pertinente et qui avaient été affectées par les mesures américaines.
Cette volonté découlait de la conclusion à laquelle la Cour était parvenue à
ce moment-là, et suivant laquelle,
« puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine
la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne morale dont il
s’agit devrait être regardée comme une “société” au sens du traité dans
la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce
n’est pas à titre principal »2.
8. La Cour a donc décidé qu’elle devait se pencher
« sur la question de la nature des activités qu’exerce la banque Markazi.
Plus précisément, elle doit examiner les activités que cette dernière
exerçait sur le territoire des États-Unis lorsqu’ont été prises les mesures
dont l’Iran allègue qu’elles ont violé les droits dont, selon lui, la banque
Markazi bénéficierait en vertu des articles III, IV et V du traité. »3
Ainsi, les critères établis par la Cour dans son arrêt de 2019 pour déterminer
si la banque Markazi était une « société » au sens du traité étaient centrés
sur la nature des activités qu’exerçait celle-ci aux États-Unis à l’époque
pertinente.
9. Dans le présent arrêt rendu au fond en la même affaire, la majorité a
cependant fait volte-face et inventé un nouveau critère accordant la prééminence
à la fonction exercée par l’entité en cause. On peut lire en effet, au
paragraphe 51 de l’arrêt, que la série de transactions effectuées par la banque
Markazi à l’époque pertinente doit être « replac[ée] … dans son contexte, en
tenant compte notamment de ses liens éventuels avec l’exercice d’une
fonction souveraine », comme si l’on pouvait imaginer que les activités
commerciales d’une banque centrale pussent ne pas avoir de lien avec ses
fonctions souveraines. Il s’agit là d’un nouveau critère qui ne fait pas partie
de ceux qui avaient été définis par la Cour dans son arrêt de 2019. Au lieu
que ce soit la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la
2 Ibid., p. 38-39, par. 92.
3 Ibid., p. 39, par. 93.
151 certain iranian assets (sep. op. yusuf)
engaged in it, as was stated in paragraph 92 of the 2019 Judgment, it is now
the function of the entity and the link between that function and its activities
that are considered decisive. This new test flies in the face of the reasons for
which the Court invoked Article 79ter (4) of its Rules to join to the merits
the third objection of the United States. If the decisive criterion was the link
of the activities to the sovereign function of Bank Markazi, then there was
no reason for the Court to insist that it did not have before it all the facts
necessary to determine whether the activities carried out by Bank Markazi
in the United States at the relevant time would permit its characterization as
a “company”.
10. It is not contested that Bank Markazi’s primary function is a sovereign
one, since it is the Central Bank of Iran. The link that such activities
could have with the functions of a central bank was known to the Court. It
has not been discovered as a result of the pleadings of the Parties during the
merits phase of the case. Moreover, the link of a commercial activity with a
sovereign function does not render it a sovereign activity nor does it deprive
it of its nature as a commercial activity. Thus, the new criterion used by the
Court neither withstands close scrutiny nor does it assist the Court in
assessing whether an entity may be characterized as a “company”. At any
rate, it is legally erroneous for the Court to apply new criteria, and to move
the goal posts in the middle of the case, when it had so clearly announced,
in its Judgment on the preliminary objections, the criteria which it would
use for the determination of whether the activities engaged in by Bank
Markazi at the relevant time in the United States would qualify it as a “company”
under the Treaty. A court of law cannot blow hot and cold in
establishing criteria for resolving a legal issue or in applying them to the
object of its determination while adjudicating the same case.
11. Furthermore, there is a clear difference between sovereign activities
“linked to the sovereign functions of the State”, which were referred to in
the Court’s 2019 Judgment, and commercial activities linked to a sovereign
function. The latter link does not transform the commercial activities into
sovereign acts or acts of sovereignty of the State. The ICSID Tribunal in the
Československá Obchodní Banka, A.S. (ČSOB) v. The Slovak Republic case
had to deal with a similar issue. The question was whether the State-owned
ČSOB Bank could be characterized as a “national” of the contracting State
within the meaning of Article 25 of the Washington Convention, or whether
it was to be regarded as the State as such, since it carried out activities
linked to sovereign functions. The Tribunal stated as follows:
“It cannot be denied that for much of its existence, ČSOB acted on
behalf of the State in facilitating or executing the international banking
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 151
qualification de l’entité qui l’exerce, comme il était dit au paragraphe 92 de
l’arrêt de 2019, ce sont maintenant la fonction de ladite entité et le lien entre
cette fonction et ses activités qui sont réputés déterminants. Ce nouveau
critère contredit directement les motifs qui ont permis à la Cour d’invoquer
le paragraphe 4 de l’article 79ter de son Règlement pour joindre au fond la
troisième exception des États-Unis. Si le critère déterminant était effectivement
le lien entre les activités de la banque Markazi et sa fonction souveraine,
alors la Cour n’avait aucune raison d’estimer qu’elle ne disposait pas de
tous les éléments nécessaires pour déterminer si les activités exercées aux
États-Unis à l’époque pertinente permettaient de qualifier cette banque de
« société ».
10. Il n’est pas contesté que la fonction première de la banque Markazi soit
une fonction souveraine, puisqu’elle est la banque centrale de l’Iran. Le lien
que les activités en cause pouvaient avoir avec les fonctions d’une banque
centrale était connu de la Cour. Il n’a pas été révélé à la faveur des écritures
et plaidoiries des Parties pendant la phase de l’examen de l’affaire au fond.
Qui plus est, le lien qu’une activité commerciale peut avoir avec une fonction
souveraine ne la transforme pas en activité souveraine, pas plus qu’il ne la
prive de sa nature d’activité commerciale. Ainsi donc, le nouveau critère utilisé
par la Cour ne résiste pas à un examen attentif, et il ne pouvait pas l’aider
à déterminer si une entité peut être qualifiée de « société ». En tout état de
cause, il est juridiquement erroné de la part de la Cour d’appliquer de nouveaux
critères et de changer les règles du jeu au milieu d’une affaire, alors
qu’elle avait si clairement annoncé, dans son arrêt sur les exceptions préliminaires,
les critères qu’elle utiliserait pour déterminer si les activités exercées
aux États-Unis par la banque Markazi à l’époque pertinente permettaient de
qualifier celle-ci de « société » au sens du traité. Il n’est pas loisible à une
juridiction de souffler le chaud et le froid lorsqu’il s’agit d’établir des critères
en vue de régler une question juridique ou d’appliquer ces critères à l’objet
de son examen lorsqu’elle statue en la même affaire.
11. Par ailleurs, il existe une différence manifeste entre les activités souveraines
« liées aux fonctions régaliennes de l’État » qu’évoque la Cour dans
son arrêt de 2019 et les activités commerciales liées à une fonction
souveraine. En effet, ce dernier lien ne transforme pas les activités
commerciales en actes souverains ou en actes relevant de la souveraineté de
l’État. Le tribunal arbitral du CIRDI en l’affaire Československá Obchodní
Banka, A.S. (ČSOB) v. The Slovak Republic était saisi d’une question similaire.
Il s’agissait de savoir si la banque Československá Obchodní Banka
(ČSOB) pouvait être qualifiée de « ressortissante » de l’État contractant au
sens de l’article 25 de la convention de Washington ou si elle devait être
considérée comme l’État en tant que tel du fait qu’elle exerçait des activités
liées à des fonctions souveraines. Le tribunal a déclaré ce qui suit :
« Il est incontestable que, pendant une grande partie de son existence,
la ČSOB a agi pour le compte de l’État en facilitant ou en exécutant les
152 certain iranian assets (sep. op. yusuf)
transactions and foreign commercial operations the State wished to support
and that the State’s control of ČSOB required it to do the State’s
bidding in that regard. But in determining whether ČSOB, in discharging
these functions, exercised governmental functions, the focus must
be on the nature of these activities and not their purpose. While it cannot
be doubted that in performing the above-mentioned activities, ČSOB
was promoting the governmental policies or purposes of the State, the
activities themselves were essentially commercial rather than governmental
in nature.” 4
12. Moreover, as explained in the following section, the new test devised
by the Court in the present Judgment for determining whether Bank
Markazi’s
activities in the United States at the relevant time qualify it as a
“company” under the Treaty runs counter to the definition of the term
“
company” in Article III (1) of the Treaty, and to the treatment to be accorded
to government agencies and instrumentalities under Article XI (4) thereof.
D. The Definition of the Term “Company” in Article III
of the Treaty of Amity
13. Article III (1) of the Treaty defines a company as “corporations, partnerships,
companies and other associations, whether or not with limited
liability and whether or not for pecuniary profit”. As the Court observed in
its 2019 Judgment, it is not contested that “Bank Markazi was endowed with
its own legal personality by Article 10, paragraph (c), of Iran’s 1960 Monetary
and Banking Act, as amended”5. It was also stipulated in the same Act
that Bank Markazi “shall be governed by the laws and regulations pertaining
to joint-stock companies in matters not provided for by this Act”, and “shall
not be subject to the general laws . . . relating to ministries, government companies
and agencies”. Moreover, the Court also stated, in the same Judgment,
that “the fact that Bank Markazi is wholly owned by the Iranian State, and
that the State exercises a power of direction and close control over the bank’s
activities . . . does not, in itself, exclude that entity from the category of
‘companies’ within the meaning of the Treaty” 6.
14. Nevertheless, in light of the object and purpose of the Treaty of Amity,
which was aimed at guaranteeing rights and affording protection to natural
4 Československá Obchodní Banka, A.S. (ČSOB) v. The Slovak Republic, ICSID Case
No. ARB/97/4, Decision of the Tribunal on Objections to Jurisdiction, 24 May 1999, para. 20.
5 Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I), p. 38, para. 88.
6 Ibid.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 152
transactions bancaires internationales et les opérations commerciales
avec l’étranger auxquelles l’État souhaitait apporter son appui, et que
le fait que la ČSOB était contrôlée par l’État l’obligeait à exécuter les instructions
de celui-ci à cet égard. Cependant, pour déterminer si la ČSOB,
lorsqu’elle s’acquittait de ces fonctions, exerçait des fonctions gouvernementales,
il convient de se concentrer sur la nature de ces activités et
non sur leur fin. Or si, dans l’exercice des activités susmentionnées, la
ČSOB facilitait effectivement les politiques ou les buts de l’État, les activités
elles-mêmes étaient essentiellement de nature commerciale et non
gouvernementales. »4
12. En outre, comme cela sera exposé dans la section suivante, le nouveau
critère conçu par la Cour dans le présent arrêt pour déterminer si les activités
exercées aux États-Unis par la banque Markazi à l’époque pertinente permettent
de la qualifier de « société » au sens du traité entre en contradiction
avec la définition du terme « société » énoncée au paragraphe 1 de l’article III
du traité, ainsi qu’avec le traitement que le paragraphe 4 de l’article XI
prévoit
pour les organismes et agences de l’État.
D. Définition du terme « société » à l’article III
du traité d’amitié
13. Le paragraphe 1 de l’article III du traité indique que le terme « société »
doit s’entendre « des sociétés de capitaux ou de personnes, des compagnies et
de toutes associations, qu’elles soient ou non à responsabilité limitée et à but
lucratif ». Comme l’a fait observer la Cour dans son arrêt de 2019, « la personnalité
juridique propre que confère à la banque Markazi l’alinéa c) de
l’article 10 de la loi monétaire et bancaire iranienne de 1960, telle qu’elle a été
amendée », n’est pas contestée5. La même loi précise que la banque Markazi
est « soumise aux lois et règlements régissant les sociétés par actions pour les
aspects dont ne traite pas la [présente] loi » et qu’« elle n’est pas soumise aux
lois et règlements généraux applicables aux ministères, aux organismes
publics et aux administrations affiliés à l’État ». Qui plus est, dans le même
arrêt, la Cour a déclaré que « le fait que la banque Markazi soit intégralement
la propriété de l’État iranien, et que l’État exerce un pouvoir de direction et
un contrôle étroit sur les activités de la banque … ne permet[ait] pas, à lui
seul, d’exclure cette entité de la catégorie des “sociétés” au sens du traité »6.
14. Néanmoins, à la lumière de l’objet et du but du traité d’amitié, qui vise
à garantir des droits et à accorder des protections aux personnes physiques et
4 Československá Obchodní Banka, A.S. (ČSOB) v. The Slovak Republic, affaire CIRDI
no ARB/97/4, décision du tribunal arbitral sur les exceptions à la compétence, 24 mai 1999,
par. 20.
5 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38, par. 88.
6 Ibid.
153 certain iranian assets (sep. op. yusuf)
and legal persons engaging in commercial activities, the Court was also of
the view that having a separate legal personality under the domestic law of
one of the Contracting Parties would not be a sufficient condition “for a
given entity to be characterized as a ‘company’ within the meaning of the
Treaty of Amity”7. Thus, in order to benefit from the protection offered to
Iranian companies in the territory of the United States, Bank Markazi would
have to show that its activities in the United States were of a commercial
nature. I share fully this view of the Court as expressed in its 2019 Judgment.
This is also the reason that led the Court to enquire into the nature of the
activities that Bank Markazi was carrying out in the territory of the
United States at the time its assets were affected by the United States measures
complained of by Iran before the Court.
15. The issue in dispute in the present case is not whether Bank Markazi
usually and generally engages in commercial activities in various parts of
the world. What is of interest here, as far as the Treaty of Amity and the dispute
between the Parties is concerned, is whether the activities undertaken
by Bank Markazi in the territory of the United States which were the subject
of the United States measures complained of by Iran were commercial activities.
This is the crux of the dispute. Thus, the issue is not about broadly
characterizing Bank Markazi as a “company” in all circumstances or in all
its operations, but only with respect to the activities in which it was engaged
in the territory of the United States at the relevant time.
16. It is important to clarify this for the purposes of the dispute at hand,
because what matters is not that Bank Markazi should always be treated as a
“company” in the United States under the Treaty of Amity, irrespective of
the activities in which it is engaged, but that it should be treated as such if its
activities in the United States markets permit its characterization as such. In
other words, it is only when Bank Markazi intervenes in the United States
markets in a competitive manner and enters into business relationships with
other entities that it becomes entitled to be treated as a “company” for the
purpose of those activities under the Treaty. It should also be recalled that
Article XI (4) explicitly allows State corporations, government agencies and
instrumentalities to engage in commercial and other business activities
within the territory of the other High Contracting Party but prevents them
from claiming immunity from taxation or other liability to which privately
owned enterprises are subjected. This provision also applies to Bank Markazi
as a government agency or instrumentality of Iran, and protects its commercial
activities or investments in the United States.
17. The fact that Bank Markazi is State-owned or State-controlled, or
engages in sovereign activities in Iran, or has a sovereign function under
Iranian law, does not exclude it from carrying out commercial activities
7 Ibid., p. 38, paras. 90-91.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 153
morales qui exercent des activités commerciales, la Cour était aussi d’avis
que la possession d’une personnalité juridique propre selon le droit interne
d’une partie contractante n’était pas une condition suffisante « pour qualifier
une entité donnée de “société” au sens du traité d’amitié »7. Par conséquent,
pour jouir de la protection offerte aux sociétés iraniennes sur le territoire
américain, la banque Markazi devait démontrer que les activités qu’elle
exerçait aux États-Unis étaient de nature commerciale. Je souscris sans
réserve à cette idée de la Cour telle qu’elle est présentée dans son arrêt de
2019. C’est également la raison qui a conduit la Cour à se pencher sur la
nature des activités qu’exerçait la banque Markazi sur le territoire des États-
Unis au moment où ses actifs ont été touchés par les mesures américaines
dont l’Iran a saisi la Cour.
15. En l’espèce, la question en litige n’était pas de savoir si la banque
Markazi exerçait habituellement et généralement des activités commerciales
en différents endroits du monde. Ce qui importait ici, s’agissant du traité
d’amitié et du différend entre les Parties, était de savoir si les activités exercées
par la banque Markazi sur le territoire des États-Unis qui avaient été
soumises aux mesures américaines dont l’Iran tirait grief étaient des activités
commerciales. C’était là le noeud du différend. Il n’était donc pas question
de qualifier généralement la banque Markazi de « société » en toutes circonstances
ou dans toutes ses opérations, mais seulement par rapport aux activités
qu’elle exerçait sur le territoire des États-Unis à l’époque pertinente.
16. Il importe d’éclaircir ce point pour mieux appréhender le différend,
puisque ce qui comptait, ce n’était pas que la banque Markazi doive toujours
être traitée comme une « société » aux États-Unis en application du traité
d’amitié quelles que soient les activités qu’elle exerce, mais qu’elle doive y
être traitée comme telle si ses activités sur les marchés américains lui valent
la qualification de « société ». Autrement dit, c’est seulement lorsque la
banque Markazi intervenait sur les marchés américains selon les règles de la
concurrence et nouait des relations commerciales avec d’autres entités
qu’elle acquérait le droit d’être considérée comme une « société » au sens du
traité aux fins de ces activités. Il convient aussi de rappeler que le paragraphe
4 de l’article XI autorise expressément les sociétés, administrations
et agences publiques à exercer des activités commerciales et industrielles de
quelque nature que ce soit sur le territoire de l’autre haute partie contractante,
mais leur interdit de prétendre y bénéficier d’une exemption en matière
d’impôts ou d’autres obligations applicables aux entreprises privées. Cette
disposition s’appliquait à la banque Markazi en tant qu’organisme ou agence
de l’Iran, et protégeait ses activités commerciales et ses investissements aux
États-Unis.
17. Le fait que la banque Markazi soit propriété de l’État ou sous contrôle
de l’État, qu’elle exerce des activités souveraines en Iran ou qu’elle ait
une fonction souveraine en droit iranien ne l’empêchait ni d’exercer sur le
7 Ibid., p. 38, par. 90-91.
154 certain iranian assets (sep. op. yusuf)
as a “company” in the territory of the United States under the Treaty or from
receiving the treatment owed by the United States, under the Treaty, to
Iranian entities which qualify as a “company” in view of their business
activities in the territory of the United States. To the extent that the activities
undertaken by Bank Markazi in the United States are of a commercial or
business nature, such activities would enable Bank Markazi to be characterized
as a “company” under the Treaty and, consequently, to fall under the
jurisdiction of the Court for the purposes of the present dispute. Whether the
purpose for which the activities are pursued is for pecuniary profit or not, as
indicated in Article III (1), or is to make money for the State or for the monetary
reserves of the State does not deprive it from being considered a
“company” under the terms of the Treaty. Nothing in the Treaty of Amity
indicates that the treatment to be accorded to “companies” which are engaged
in commercial or business activities in the territory of the other party
depends on the purpose of the transactions or the function which the entities
involved usually perform in their own country. The treatment is accorded
because of the commercial or business nature of the activities in which they
are engaged and which are entitled to protection under the Treaty. The Court
affirmed as much in its 2019 Judgment. In paragraph 92 of that Judgment,
the Court stated that,
“since it is the nature of the activity actually carried out which determines
the characterization of the entity engaged in it, the legal person in
question should be regarded as a ‘company’ within the meaning of the
Treaty to the extent that it is engaged in activities of a commercial
nature, even if they do not constitute its principal activities”8.
Thus, the reasoning of the Court linking the characterization of the entity as
a “company” under the Treaty to the purpose of the activity or to the function
of the entity, instead of the nature of the activity as previously held by
the Court in 2019, finds no basis in the Treaty of Amity.
E. The Nature of the Activities Undertaken by Bank Markazi
in the United States at the Relevant Time
18. The activities in question, based on the information available to the
Court, consist of 22 security entitlements in United States dollars purchased
by Bank Markazi during the years 2002 to 2007. They were purchased
through Clearstream, a company based in Luxembourg, which acts as a
bank for other banks and specializes in custody and settlement operations.
As Clearstream does not have a bank branch in the United States, it uses
cash operating accounts at J. P. Morgan and Citibank, both in New York, for
8 Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I), pp. 38-39, para. 92.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 154
territoire des États-Unis des activités commerciales en tant que « société » au
sens du traité ni de bénéficier du traitement que les États-Unis étaient tenus,
en vertu de cet instrument, de réserver aux sociétés iraniennes auxquelles
leurs activités commerciales sur le territoire des États-Unis valent d’être
qualifiées de « sociétés ». Dans la mesure où les activités de la banque
Markazi aux États-Unis étaient de nature commerciale ou d’affaires, ces
activités lui permettaient d’être qualifiée de « société » au sens du traité et,
partant, de relever de la compétence de la Cour aux fins du présent différend.
Que ces activités aient été exercées dans un but lucratif ou non, comme il est
stipulé au paragraphe 1 de l’article III, ou qu’elles l’aient été en vue de produire
des revenus destinés à l’État ou à ses réserves monétaires, cela
n’empêchait pas que la banque Markazi puisse être considérée comme une
« société » au sens du traité. Rien dans cet instrument n’indique que le traitement
à accorder aux « sociétés » exerçant des activités commerciales ou
d’affaires sur le territoire de l’autre partie dépende de la finalité des transactions
que les entités concernées effectuent habituellement dans leur propre
pays ou de la fonction qu’elles y remplissent habituellement. Ce traitement
leur est accordé en raison de la nature commerciale ou d’affaires des activités
qu’elles exercent et dont le traité garantit la protection. C’est du moins ce que
la Cour avait affirmé au paragraphe 92 de son arrêt de 2019 :
« puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine
la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne morale dont il
s’agit devrait être regardée comme une “société” au sens du traité dans
la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce
n’est pas à titre principal »8.
Il s’ensuit que le raisonnement par lequel la Cour a lié la qualification d’une
entité comme « société » au sens du traité à la finalité de l’activité ou de la
fonction qu’exerce cette entité, au lieu de la lier à la nature de l’activité,
comme elle l’avait déclaré en 2019, ne trouve aucun fondement dans le traité
d’amitié.
E. Nature des activités exercées par la banque Markazi
aux États-Unis à l’époque pertinente
18. Selon les informations dont disposait la Cour, les activités en cause
consistaient en 22 titres de créance libellés en dollars des États-Unis, acquis
par la banque Markazi entre 2002 et 2007. Ils avaient été acquis par l’intermédiaire
de Clearstream, société basée au Luxembourg, qui fournit des
services bancaires à d’autres banques et s’est spécialisée dans les opérations
de garde et de règlement de titres. Clearstream, qui n’a pas de succursale
bancaire aux États-Unis, a ouvert des comptes courants à New York auprès
8 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38-39, par. 92.
155 certain iranian assets (sep. op. yusuf)
payments, such as the payment of principal and interest on Clearstream’s offshore
security entitlements9. Once the security entitlements matured or
were sold, the principal amount would be repaid with the proceeds deposited
in a securities account maintained for Bank Markazi by Clearstream with
Citibank and could generate additional interest10. It is the proceeds of these
security entitlements held by Citibank for Bank Markazi that were blocked
and later turned over to various claimants in the United States following the
adjudication, by United States courts, of the Peterson cases.
19. The Monetary and Banking Act of Iran mentioned above, in its Article
13, paragraph 4, permits Bank Markazi, inter alia, “[p]urchasing and
selling . . . [g]overnment bonds, and the bonds issued by foreign governments
or accredited international financial institutions”11. The bonds
purchased by Bank Markazi, worth around US$1.8 billion, were issued in
the financial market by States, public enterprises or the World Bank and
were processed through a bank in the United States. Bank Markazi bought
them for profit and, as with any financial investment, it was able to resell
some of the bonds or parts of bonds whenever such transactions enabled it to
realize profits instead of keeping them until maturity. To this end, it had to
monitor the inevitable fluctuations in the bond market. It was therefore
involved in investment activities in the financial markets and it received the
proceeds of its investments through Clearstream Bank, which had them
deposited in an account with a United States bank. In 2012, “after the last
bond matured, the cash associated with the bonds was placed on an interestbearing
account maintained at Citibank in New York”12.
20. In the Peterson pleadings before the United States District Court,
Southern District of New York, the attorneys for the plaintiffs characterized
the above financial transactions by Bank Markazi as commercial activities
in the territory of the United States. According to them,
“[i]n order for Markazi to purchase the Restrained Bonds and receive
interest and principal payments related to those bonds, the Defendant
Agent Banks had to undertake substantial commercial activity in the
United States as the agents for, and under the direction of, Markazi”13.
They also argued that,
9 Preliminary Objections of the United States of America, Ann. 235, pp. 6-7.
10 Ibid.
11 Memorial of the Islamic Republic of Iran, Attachments and Annexes, Vol. IV, Ann. 73,
p. 11.
12 Reply of the Islamic Republic of Iran, p. 91, para. 3.26.
13 Relevant documents unsealed in the Peterson proceedings provided by the United States
of America, Vol. 1, doc. A12, p. 19, para. 86.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 155
de J. P. Morgan et Citibank pour pouvoir effectuer ses paiements, tels que le
paiement du capital et des intérêts sur ses titres de créance à l’étranger9.
Lorsque les titres de créance venaient à échéance ou étaient vendus, leur
capital ou le produit de leur vente était déposé sur un compte-titres ouvert
par Clearstream auprès de Citibank pour la banque Markazi et pouvait produire
des intérêts supplémentaires10. C’est le produit de ces titres de créance
détenus par Citibank pour la banque Markazi qui a été bloqué et ultérieurement
remis à différents demandeurs aux États-Unis en exécution des
décisions des juridictions américaines dans les affaires Peterson.
19. Au paragraphe 4 de son article 13, la loi monétaire et bancaire iranienne
précitée autorise la banque Markazi, entre autres opérations, à
« acquérir et vendre … des obligations d’État, ainsi que des obligations
émises par des États étrangers ou des institutions financières internationales
accréditées »11. Les obligations acquises par la banque Markazi, d’une valeur
d’environ 1,8 milliard de dollars des États-Unis, ont été mises sur le marché
financier par des États, des entreprises publiques ou la Banque mondiale et
leur traitement a été assuré par une banque aux États-Unis. La banque
Markazi les avait acquises dans un but lucratif et, comme pour tout placement
financier, elle pouvait revendre certaines de ces obligations ou parties
d’obligations lorsqu’une telle opération lui permettait de réaliser un bénéfice,
plutôt que de les conserver jusqu’à l’échéance. Pour cela, elle devait observer
les inévitables fluctuations du marché obligataire. Elle avait donc des activités
de placement sur les marchés financiers et touchait le produit de ses
placements par l’intermédiaire de Clearstream Bank, qui les déposait sur un
compte ouvert auprès d’une banque américaine. En 2012, « la dernière obligation
étant arrivée à échéance, les liquidités associées à ces obligations ont
été placées auprès de Citibank à New York sur un compte rémunéré »12.
20. Dans leurs plaidoiries en l’affaire Peterson devant le tribunal fédéral
du district sud de l’État de New York, les avocats des demandeurs avaient
qualifié les transactions financières susmentionnées de la banque Markazi
d’activités commerciales sur le territoire des États-Unis. Selon eux,
« pour que Markazi puisse acheter les obligations bloquées et toucher les
intérêts et le capital correspondant à ces obligations, les banques
mandataires défenderesses devaient avoir aux États-Unis une substantielle
activité commerciale en tant que mandataires de Markazi agissant
sous sa direction »13.
Ils ont aussi fait valoir que,
9 Exceptions préliminaires des États-Unis d’Amérique, annexe 235, p. 6-7.
10 Ibid.
11 Mémoire de la République islamique d’Iran, pièces jointes et annexes, vol. IV, annexe 73,
p. 11.
12 Réplique de la République islamique d’Iran, p. 91, par. 3.26.
13 Documents pertinents de la procédure judiciaire dans l’affaire Peterson rendus publics,
fournis par les États-Unis d’Amérique, vol. 1, doc. A12, p. 19, par. 86.
156 certain iranian assets (sep. op. yusuf)
“once the Banking Agent Defendants implemented Markazi’s bond purchases,
various entities acting as Markazi’s agents had to engage in
substantial commercial activity in the United States to enable Markazi
to receive interest and principal payments related to its investments”14.
These arguments were not rejected by the district court. Instead, in its Order
of 28 February 2013, the district court rejected Bank Markazi’s arguments
asserting immunity from attachment for its assets since they were used for
central banking purposes on the basis of the FSIA, paragraph 1611 (b) (1).
The court rejected this plea, citing the “notwithstanding clause” of the TRIA
and Executive Order 13599, which according to the court “suggest that
Bank Markazi is not engaged in activities protected by 1611 (b) (1)” of the
FSIA. The district court therefore found that no central bank immunity
applied to the activities of Bank Markazi in the United States, which it
considered to be of a commercial nature.
21. It is surprising, to say the least, that the Judgment finds the assertions
made by counsel for Bank Markazi in United States court proceedings, and
relied on by the United States before the Court, to “accurately reflect the
reality of the bank’s activities”, while totally ignoring the arguments made
by attorneys for the plaintiffs in the same court proceedings, which characterize
the activities of Bank Markazi in the United States as commercial
activities. The arguments put forward by Iran and the United States to
describe the activities of Bank Markazi in the United States are practically
the opposite of those made in United States court proceedings by Bank
Markazi and the attorneys of plaintiffs. In the present proceedings before the
Court, the two States appear to have taken their cue from the conclusions of
the Court’s 2019 Judgment on jurisdiction, with Iran arguing that those
activities were of a commercial nature, and the United States asserting, on
the contrary, that they were central banking activities each one trying to
convince the Court of their respective points of view with respect to the
possible
characterization of Bank Markazi as a “company” under the Treaty.
Under these circumstances, the Court should have been guided by the
criteria
it laid down in its 2019 Judgment for assessing whether Bank
Markazi was carrying out, at the relevant time, activities of the nature of
those which permit characterization of an entity as a “company” within the
meaning of the Treaty.
22. The criteria laid down by the Court in its 2019 Judgment emphasized
the nature of the activities, since, as it stated, “it is the nature of the activity
actually carried out which determines the characterization of the entity
engaged in it”15. According to the Court’s 2019 Judgment, “the legal person
14 Ibid., p. 21, para. 96.
15 Certain Iranian Assets (Islamic Republic of Iran v. United States of America), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2019 (I), p. 38, para. 92.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 156
« chaque fois que les banques mandataires défenderesses exécutaient les
ordres d’achat d’obligations donnés par Markazi, différentes entités
agissant en qualité d’agents de Markazi devaient exercer une activité
commerciale substantielle aux États-Unis pour que Markazi puisse toucher
les intérêts et le capital correspondant à ses placements »14.
Le tribunal de district n’a pas rejeté ces arguments. Au contraire, dans son
jugement (« Order ») du 28 février 2013, il a rejeté les arguments de la banque
Markazi faisant valoir que ses actifs bénéficiaient de l’immunité de saisie au
motif qu’ils obéissaient à des buts de banque centrale et, partant, relevaient
de l’alinéa 1 du paragraphe b) de l’article 1611 de la FSIA. Le tribunal a rejeté
cet argument en citant la « clause nonobstant » de la TRIA et le décret présidentiel
no 13599, qui, selon lui, « donn[ai]ent à penser que la banque
Markazi n’exer[çait] pas d’activités protégées par l’alinéa 1 du paragraphe b)
de l’article
1611 » de la FSIA. Il a par conséquent conclu que l’immunité de
banque centrale ne s’appliquait pas aux activités de la banque Markazi aux
États-Unis, dont il considérait qu’elles étaient de nature commerciale.
21. Il est à tout le moins surprenant que, dans le présent arrêt, la Cour ait
considéré que les déclarations faites par les conseils de la banque Markazi
devant les juridictions américaines et sur lesquelles s’appuyaient les États-
Unis en l’espèce « refl[étai]ent correctement la réalité des activités de la
banque », alors qu’elle n’a tenu aucun compte des arguments formulés par les
avocats des demandeurs devant les mêmes juridictions américaines, qui
qualifiaient les activités de la banque Markazi aux États-Unis d’activités
commerciales. Les arguments avancés par les Parties pour caractériser les
activités de la banque Markazi aux États-Unis étaient pratiquement l’inverse
de ceux qui avaient été formulés par la banque Markazi et les avocats des
demandeurs devant les juridictions américaines. Dans la présente instance
devant la Cour, les deux États ont semblé répondre chacun de son côté aux
conclusions de l’arrêt de 2019 sur les exceptions préliminaires, l’Iran soutenant
que les activités en cause étaient de nature commerciale et les États-Unis
affirmant, à l’inverse, qu’il s’agissait d’activités de banque centrale l’un et
l’autre s’efforçant de convaincre la Cour du bien-fondé de sa position sur une
éventuelle qualification de la banque Markazi comme « société » au sens du
traité. Dans ces conditions, la Cour aurait dû s’appuyer sur les critères qu’elle
avait définis dans son arrêt de 2019 pour trancher la question de savoir si la
banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités de la nature de
celles qui permettent de caractériser une « société » au sens du traité.
22. Les critères définis par la Cour dans son arrêt de 2019 mettaient l’accent
sur la nature des activités puisque, aux termes de cette décision, « c’est
la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de
l’entité qui l’exerce »15. Toujours selon cet arrêt, « la personne morale dont il
14 Ibid., p. 21, par. 96.
15 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 38, par. 92.
157 certain iranian assets (sep. op. yusuf)
in question should be regarded as a ‘company’ within the meaning of the
Treaty to the extent that it is engaged in activities of a commercial nature,
even if they do not constitute its principal activities”16. If the Court’s 2019
criteria were properly applied to the activities carried out by Bank Markazi
at the relevant time in United States markets consisting of the purchase of
22 security entitlements in dematerialized bonds and in their management
and subsequent sale, I am of the view that such activities would be considered
as commercial activities. It follows that Bank Markazi should have
been characterized as a “company” within the meaning of the Treaty in the
present Judgment. This would have entitled it to the treatment provided for
such companies under Articles III (1) and IV (1) and (2) of the Treaty, which
the Court has now found to have been violated by the United States with
regard to other Iranian companies. The Court should have, therefore, upheld
its jurisdiction with respect to the third objection raised by the United States
and, consequently, extended its findings regarding the breach by the United
States of its obligations under Articles III (1) and IV (1) and (2) to Bank
Markazi.
(Signed) Abdulqawi Ahmed Yusuf.
16 Ibid., pp. 38-39, para. 92.
certains actifs iraniens (op. ind. yusuf) 157
s’agit devrait être regardée comme une “société” au sens du traité dans la
mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est
pas à titre principal »16. Je suis d’avis que, si les critères de 2019 avaient été
dûment appliqués aux activités exercées aux États-Unis à l’époque pertinente
par la banque Markazi et consistant en l’achat de 22 titres de créance en obligations
dématérialisées, leur gestion et leur vente subséquente, ces activités
auraient été considérées comme des activités commerciales. Il s’ensuit que la
banque Markazi aurait dû être qualifiée de « société » au sens du traité dans
le présent arrêt. Cela lui aurait donné droit au traitement accordé aux sociétés
de ce type par les dispositions du paragraphe 1 de l’article III et des
paragraphes 1 et 2 de l’article IV du traité, dont la Cour a aujourd’hui conclu
qu’elles avaient été violées par les États-Unis en ce qui concerne d’autres
sociétés iraniennes. La Cour aurait donc dû se déclarer compétente à l’égard
de la troisième exception soulevée par les États-Unis et, partant, étendre à la
banque Markazi ses conclusions concernant la violation par les États-Unis
des obligations que leur imposent le paragraphe 1 de l’article III et les paragraphes
1 et 2 de l’article IV.
(Signé) Abdulqawi Ahmed Yusuf.
16 Ibid., p. 38-39, par. 92.
Opinion individuelle de M. le juge Yusuf