Déclaration de Mme la juge Charlesworth

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DÉCLARATION DE MME LA JUGE CHARLESWORTH
[Traduction]
Accord avec les conclusions de la Cour concernant deux demandes — Désaccord avec la conclusion de la Cour considérant que les demandes et demandes reconventionnelles restantes sont devenues sans objet — Complexité et incertitude introduite par l’arrêt s’agissant des conséquences juridiques de la disparition d’un différend — Distinction entre la disparition de l’objet d’une demande et la convergence des positions des parties.
Affaires des Essais nucléaires — Objet de la demande atteint par l’engagement unilatéral d’une partie — Différence avec la présente espèce — Absence de conclusion sur l’effet juridiquement contraignant des déclarations des Parties — Possibilité de rendre un arrêt juridiquement contraignant en l’absence d’engagement juridique des parties.
Absence de convergence des positions des Parties — Devoir de rendre un jugement déclaratoire.
Possibilité de rendre des arrêts donnant acte d’un accord intervenu après la saisine de la Cour — Jugements déclaratoires ayant pour rôle de garantir la fidélité des parties à leurs positions — Jugements déclaratoires ayant pour conséquence pratique de supprimer toute incertitude dans les relations juridiques des parties.
I. Introduction
1. Ainsi que l’indique le titre de l’affaire, l’arrêt rendu ce jour visait à régler un «différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala», cours d’eau international partagé entre les Parties. La Cour a examiné cinq demandes présentées par le Chili et trois demandes reconventionnelles présentées par la Bolivie ; dans le dispositif de l’arrêt, elle rejette une des demandes du Chili et une des demandes reconventionnelles de la Bolivie (points 5) et 8) du paragraphe 163). Je souscris à ces deux décisions de rejet.
2. Les demandes et demandes reconventionnelles restantes concernaient plusieurs autres aspects importants des relations entre les Parties en tant qu’Etats riverains. J’approuve pleinement le raisonnement de la Cour s’agissant des droits et obligations des Etats qui partagent un cours d’eau international. Pourtant, malgré son analyse approfondie, la Cour ne confirme ni ne rejette aucune desdites demandes. Au lieu de cela, pour chacune, elle s’attache à examiner les plaidoiries et conclusions finales des Parties, en vue de déterminer si ces dernières étaient «parvenues à un accord sur la substance» (paragraphe 46). Après avoir constaté la convergence des positions des Parties, la Cour conclut que chacune de ces demandes et demandes reconventionnelles est «devenue sans objet», et qu’il n’y a dès lors «pas lieu pour [elle] d’y statuer» (paragraphe 163). Plutôt que de régler le différend porté devant elle, la Cour s’est donc davantage concentrée sur la question  en litige entre les Parties  de savoir si celui-ci persistait.
3. A mon grand regret, je ne peux adhérer à la déviation opérée par la Cour vers ce «méta-différend», ni souscrire à la méthode qu’elle a suivie pour aborder cette question, ni approuver la réponse donnée. Selon moi, l’analyse de la Cour introduit de nouvelles incertitudes dans la notion de différend (II). Le concept de convergence des positions ne trouve aucun fondement dans la jurisprudence de la Cour (III) et ne concorde pas véritablement avec les faits de la présente espèce (IV). Enfin, il me semble que le raisonnement de la Cour sous-estime la contribution que pouvait constituer un jugement déclaratoire en l’affaire (V).
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II. Disparition d’un différend
4. Une règle centrale de la jurisprudence de la Cour est que l’exercice de sa compétence repose sur l’existence d’un différend1. Par principe, les éléments dont dépend cette compétence doivent être réunis au moment où l’instance est introduite2. La condition de l’existence d’un différend n’échappe pas à cette règle3, comme on l’a vu dans l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal) et dans celle du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), dans lesquelles la Cour a dû déterminer si un désaccord entre les parties  si tant est qu’il y en ait eu un  avait disparu avant qu’elle ne soit saisie4. Contrairement à la présente espèce, la question qui se posait alors était de savoir si les positions des parties sur un point de droit avaient convergé non pas après la saisine mais avant celle-ci. Il s’agissait donc de cas classiques où l’existence d’un différend était déterminée par référence à la date d’introduction de l’instance.
5. En revanche, la Cour a rarement traité la question de savoir si un différend avait disparu en cours d’instance, ou examiné les conséquences d’un tel cas de figure. En certaines occasions, elle a envisagé qu’un différend ait disparu pendant la procédure5, mais elle n’a jamais recensé les motifs ni les conséquences d’une telle disparition. Même dans les affaires des Essais nucléaires, l’élément déterminant ayant exclu le prononcé d’un arrêt au fond n’était pas le fait que le différend en tant que tel avait disparu, mais que l’objet de la demande avait été atteint, comme je l’explique ci-après.
6. Le présent arrêt élargit le concept de disparition d’un différend et, ce faisant, dissocie la condition de l’existence d’un différend de tous les autres éléments attributifs de compétence. La réunion de tous ces autres éléments préalablement requis au moment de l’introduction de l’instance est, en principe, une condition nécessaire, mais aussi suffisante pour que la Cour puisse établir sa compétence. Par exemple, la caducité du titre de compétence après la saisine de la Cour ne retire pas à celle-ci sa compétence à l’égard d’une affaire pendante6. Pour ce qui est de l’existence d’un différend, toutefois, d’après l’arrêt, le fait que cette condition soit remplie au moment où l’affaire est
1 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 441, par. 45 ; Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 269, par. 33.
2 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 437-438, par. 79-80 ; Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 115, par. 31.
3 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30 ; Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 271, par. 39 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 64.
4 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442-443, par. 48 ; Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 71, par. 52 ; voir également Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 874, par. 138.
5 Par exemple, Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 146, par. 112 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 294-295, par. 34-36 ; Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 272, par. 40.
6 Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 122-123 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 18, par. 33.
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introduite est nécessaire mais pas suffisant, car le différend doit persister au moment où la Cour statue (paragraphe 147 ; voir également paragraphe 41).
7. Rien dans l’arrêt n’explique pourquoi la condition de l’existence d’un différend devrait être dissociée de tous les autres éléments attributifs de compétence. Il n’y est pas non plus dit quels sont les effets juridiques précis de la disparition d’un différend, en particulier la question de savoir si cette situation prive la Cour de sa compétence, peut-être même de manière rétroactive, ou rend la requête irrecevable. Même si cette question n’a pas d’effet pratique en la présente espèce, une décision de la Cour pourrait être mise à l’épreuve si sa compétence était établie à l’issue d’un jugement contraignant (par exemple sur des exceptions préliminaires) et ensuite remise en cause parce que le différend aurait entre-temps disparu7.
8. Il ne fait aucun doute que la fonction de la Cour dans les affaires contentieuses est de «régler … les différends»8. Le rappeler n’aide cependant pas à définir le rôle que la Cour joue dans la détermination de l’existence continue d’un différend. Qui plus est, dans la mesure où un différend, même réduit, persiste, statuer à son sujet ne va pas à l’encontre de la fonction de la Cour. Tout risque d’excès de justice est suffisamment pris en compte par l’application d’autres principes, notamment la règle non ultra petita, selon laquelle la Cour est uniquement fondée à se prononcer sur les questions qui lui sont soumises9.
9. Selon moi, l’analyse de la Cour ajoute un degré inutile de complexité et d’incertitude à la jurisprudence sur la notion de différend. En outre, une certaine inconstance ressort de l’appréciation faite par la Cour des événements survenus pendant la procédure, s’agissant de déterminer l’existence d’un différend. Alors que la Cour s’est récemment montrée peu encline à accepter qu’un différend puisse se cristalliser par des échanges entre les parties en cours d’instance10, elle est prête à accepter que de tels échanges puissent servir à réduire ou à faire disparaître un différend.
10. L’analyse faite par la Cour dans le présent arrêt repose entièrement sur la prémisse qu’il est possible pour «des demandes données [de devenir] sans objet à la suite d’une convergence des positions des Parties ou d’un accord entre celles-ci, ou pour quelque autre raison» (paragraphe 42). Ce raisonnement conduit, selon moi, à l’amalgame de deux questions relativement distinctes : la première est celle des circonstances dans lesquelles une demande est privée de son objet, tandis que la seconde est celle des effets juridiques que peut avoir une convergence des positions des parties à un différend. Je vais à présent examiner ces deux questions tour à tour.
III. Disparition de l’objet d’une demande
11. Il est rappelé dans l’arrêt que la Cour peut s’abstenir de statuer si une requête est devenue sans objet (paragraphe 41). La jurisprudence citée ne nous éclaire toutefois pas sur les raisons pour
7 Cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 94, par. 123.
8 Statut, art. 38, par. 1 ; voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 88.
9 Voir, par exemple, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 19, par. 43.
10 Voir Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 272, par. 40 ; voir également ibid., déclaration du président Abraham, p. 279-280, par. 4-8 ; cf. ibid., opinion dissidente de M. le juge Crawford, p. 515-521, par. 7-18.
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lesquelles une requête peut devenir sans objet ; en particulier, elle ne confirme nullement que la convergence des positions des parties, ou la réduction du différend, puisse priver une requête de son objet, et encore moins qu’une telle convergence des positions des parties sur une demande donnée rende celle-ci sans objet.
12. Les passages des affaires relatives à des Actions armées frontalières et transfrontalières11 et au Mandat d’arrêt12 cités dans l’arrêt confirment que des événements postérieurs au dépôt de la requête peuvent rendre celle-ci sans objet. Les événements considérés (explicitement ou implicitement) dans ces affaires ne concernaient toutefois pas une convergence des positions des parties sur des questions qui initialement les opposaient. L’arrêt s’appuie également sur l’affaire du Cameroun septentrional, dans laquelle la Cour a refusé de statuer sur la requête du Cameroun, qui lui demandait de déclarer que le Royaume-Uni n’avait pas respecté diverses dispositions de l’accord de tutelle pour le territoire du Cameroun sous administration britannique13. Or, si la Cour avait fait ce choix, ce n’est pas parce que la demande était devenue sans objet, mais parce que tout arrêt qu’elle aurait pu rendre aurait été sans objet compte tenu de la cessation, dans l’intervalle, de l’accord de tutelle14. En tout état de cause, il n’était pas question dans cette affaire d’une convergence des positions des parties.
13. Cela m’amène aux arrêts rendus dans les affaires des Essais nucléaires, auxquels les deux Parties15 et la Cour (paragraphes 41 et 43) ont fait référence à l’appui de l’idée que la disparition d’un différend empêche la Cour de statuer. Selon mon interprétation, ces affaires sont relativement distinctes de la situation qui nous intéresse ici. Dans les Essais nucléaires, le différend porté devant la Cour par chaque demandeur (l’Australie et la Nouvelle-Zélande) se résumait essentiellement à une seule demande, à savoir qu’il soit déclaré que les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère effectués par le défendeur (la France) étaient illicites16. La Cour a suivi un raisonnement en trois étapes. Premièrement, elle s’est «assur[ée] du but et de l’objet véritable de la demande», concluant que cet objet était d’obtenir «la cessation de ces essais» par le défendeur17. Deuxièmement, elle a constaté que ce dernier avait pris, en dehors de l’instance, l’engagement juridiquement contraignant de mettre un terme à ses essais nucléaires18. De fait, une très large partie des arrêts sur les Essais nucléaires est consacrée aux indices d’un acte unilatéral de caractère obligatoire en droit et à l’analyse des déclarations de la France dans ce contexte19. Ce n’est qu’après cette constatation que la Cour a, troisièmement, conclu que le différend entre les parties avait disparu «parce que l’objet de
11 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 95, par. 66.
12 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 14-15, par. 32.
13 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 15.
14 Ibid., p. 38.
15 CR 2022/7, p. 48, par. 35 (Forteau) ; CR 2022/13, p. 43, par. 10 (Pellet) ; CR 2022/9, p. 14, par. 17 (Boisson de Chazournes).
16 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 460, par. 11 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 256, par. 11 ; relevons, en particulier, que la prétention de l’Australie a été interprétée comme étant une seule demande : ibid., p. 260, par. 25.
17 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 263, par. 30 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 467, par. 31.
18 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 270, par. 52 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 475, par. 55.
19 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267-270, par. 42-51 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472-475, par. 45-55.
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la demande a[vait] été atteint d’une autre manière»
20. La Cour a donc dit, pour l’essentiel, que tout arrêt juridiquement contraignant qu’elle pourrait rendre en faveur des demandeurs serait inutile, car le défendeur avait déjà pris au même effet un engagement erga omnes de caractère obligatoire en droit. En d’autres termes, cet engagement juridiquement contraignant du défendeur remplaçait l’arrêt juridiquement contraignant que les demandeurs entendaient obtenir21. La même idée sous-jacente ressort de l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, dans laquelle la Cour a indiqué qu’un accord de caractère obligatoire en droit conclu en dehors de l’instance rendrait sans objet tout arrêt prononcé par elle22.
14. La présente affaire est assez différente. Premièrement, nul ne conteste que le différend concerne le statut et l’utilisation des eaux du Silala. Contrairement aux affaires des Essais nucléaires, la Cour  pas plus d’ailleurs que les Parties elles-mêmes  n’a pas ici laissé entendre que les demandes ou les demandes reconventionnelles poursuivaient un «véritable» objet autre que celui-là. Deuxièmement, et c’est plus important encore, rien n’indique dans l’arrêt que l’objet d’une quelconque demande ou demande reconventionnelle ait été atteint d’une autre manière, ou plus précisément qu’un acte intervenu postérieurement ait eu le même effet que l’engagement unilatéral de la France dans les affaires des Essais nucléaires. Par conséquent, il est déroutant que la Cour soit directement passée à la troisième étape du raisonnement qu’elle avait suivi dans ces affaires-là, à savoir conclure qu’une demande (ou une demande reconventionnelle) est devenue sans objet.
15. Il est vrai que le présent arrêt accorde un grand poids aux déclarations faites par les Parties au cours de la procédure. La Cour fait justement observer qu’elle présume que les parties sont de «bonne foi» lorsqu’elles font des déclarations devant elle (paragraphe 46). A divers endroits, elle prend «note» de ce qu’une Partie a admis le bien-fondé de l’argument de l’autre (paragraphes 58 et 75), et déclare qu’une Partie «peut se prévaloir» de la position adoptée par l’autre en cours d’instance (paragraphe 146). Or, qu’une déclaration soit faite de bonne foi n’implique pas nécessairement que l’Etat qui en est l’auteur entende être lié juridiquement par cette déclaration23. Du reste, la Cour manque à expliquer quel effet juridique peut avoir le fait qu’une Partie se prévale des déclarations de l’autre, ou même que les Parties changent ultérieurement de position. Ce faisant, l’arrêt soulève des questions telles que celle de savoir s’il serait interdit pour une Partie de revenir à la position qu’elle a aujourd’hui abandonnée24, et si cette interdiction ne vaudrait que dans un contexte judiciaire ou si elle s’étendrait à toute négociation bilatérale entre les Parties.
16. Les arrêts rendus dans les affaires des Essais nucléaires montrent surtout que la Cour devrait faire preuve d’une grande prudence lorsqu’elle cherche à déterminer si une demande est devenue sans objet avant qu’elle ne statue. Si les parties ont pris des engagements juridiquement contraignants (que ce soit de manière unilatérale ou de concert) en dehors de l’instance, il se peut qu’il soit inutile pour la Cour de s’acquitter de sa fonction en rendant un arrêt ayant force obligatoire, car l’engagement des parties fournit la sécurité juridique requise ; tel fut le cas dans les Essais nucléaires. En l’absence d’engagements juridiquement contraignants, cependant, il est difficile de voir comment l’exercice par la Cour de sa compétence irait à l’encontre de sa fonction judiciaire.
20 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 271, par. 55 ; de même dans Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476, par. 58.
21 Voir, dans le même sens, Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 577, par. 46.
22 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 468, par. 88 ; la Cour n’a en définitive pas statué sur ce point.
23 Cf. Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43-44 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472-473, par. 46-47.
24 Cf. Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 558, par. 158.
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Bien au contraire, dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, la Cour a dit «qu’il n’[était] nullement incompatible avec sa fonction judiciaire de statuer sur les droits et les devoirs des Parties au regard du droit international existant», alors même que les parties avaient conclu un accord provisoire en cours d’instance
25. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a souligné le caractère temporaire et la durée limitée de l’accord provisoire, lequel ne comportait aucune renonciation de la part de l’une ou l’autre des parties à ses prétentions portant sur les points en litige26.
IV. Recherche de la convergence des positions des Parties
17. Si, dans les affaires des Essais nucléaires, il a été question du différend ayant «disparu», la raison de cette «disparition» n’était cependant pas la convergence des positions des parties sur des points qui les opposaient au moment de l’introduction de l’instance. C’est l’engagement de la France à cesser ses essais nucléaires dans l’atmosphère qui a supprimé la nécessité de statuer sur de possibles divergences entre les positions des parties. En fait, dans aucune affaire la convergence des positions des parties n’a conduit à la conclusion qu’un différend avait disparu, et la disparition d’un différend n’a pas davantage donné lieu à des conclusions d’une si large portée.
18. La Cour adopte ici une approche plutôt impressionniste pour rechercher si les Parties s’accordent ou non27. Invoquant le pouvoir qui est le sien d’interpréter les conclusions des Parties, elle se risque à établir pourquoi ces dernières, malgré leur désaccord patent, sont parvenues en substance à s’accorder sur plusieurs questions qui initialement les opposaient. Or c’est une chose d’interpréter les conclusions finales des Parties, mais c’en est une autre de les passer complètement sous silence, comme si elles avaient été abandonnées pendant la procédure. La Cour a signalé que «[l]’abandon ne saurait être présumé ni déduit ; il doit être déclaré expressément»28. De fait, les audiences ont révélé qu’il subsistait quelque ambiguïté quant à l’étendue de l’accord entre les Parties sur des questions précises : les concessions faites par chacune des Parties à l’égard des conclusions de l’autre se voulaient soigneusement nuancées. Même si des explications ont été données oralement, aucune des conclusions des Parties n’a été formellement retirée ou considérablement modifiée.
19. Etant donné qu’elle a «le devoir de répondre aux demandes des parties telles qu’elles s’expriment dans leurs conclusions finales»29, la Cour aurait dû ici, selon moi, s’acquitter de cette tâche en rendant un jugement déclaratoire, comme elle l’a fait à de multiples occasions par le passé30. Des déclarations ayant pour effet d’éclaircir la situation juridique entre les parties peuvent contribuer à la stabilisation des relations juridiques entre celles-ci. Contrairement à l’affaire du Cameroun septentrional, en la présente espèce un jugement déclaratoire aurait eu «des conséquences pratiques
25 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 19, par. 40.
26 Ibid., p. 18-19, par. 38.
27 Cf. Affaire du thon à nageoire bleue entre l’Australie et le Japon et entre la Nouvelle-Zélande et le Japon, sentence sur la compétence et la recevabilité, décision du 4 août 2000, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXIII, p. 37-38, par. 45-46.
28 Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 26.
29 Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402.
30 Voir, par exemple, Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 53, par. 101, et Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 338, par. 126, point 1) du dispositif ; voir également Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 18-19.
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en ce sens qu’il [pouvait] affecter les droits ou obligations juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs relations juridiques»
31.
V. Conséquences d’une convergence des positions
20. Même s’il est établi que les positions des Parties ont convergé en cours de procédure, je suis d’avis qu’il était nécessaire et approprié pour la Cour de rendre un jugement déclaratoire constatant l’accord des Parties, ainsi que l’a fait sa devancière dans des situations similaires. Il est relativement rare, évidemment, que les parties parviennent à un accord en cours d’instance sans demander un désistement de l’affaire au titre de l’article 88 du Règlement de la Cour32. Dans cette catégorie d’affaires atypiques, il semble cependant que la ligne de conduite non seulement habituelle mais aussi la plus raisonnable consiste à rendre un arrêt donnant acte de l’accord des parties. Rappelons, à cet égard, l’affaire de la Société commerciale de Belgique, dans laquelle la Cour permanente de Justice internationale avait pris note, dans le dispositif de l’arrêt, de l’accord qui avait été conclu en cours d’instance33. La devancière de la Cour considérait que de tels arrêts étaient conformes à l’esprit de son Statut34. Cela signifiait qu’elle avait ainsi non seulement le pouvoir mais aussi le devoir de rendre ce type d’arrêts, dans la mesure où ceux-ci facilitaient le règlement direct et amiable des différends entre les parties35.
21. Les mêmes principes s’appliquent à la Cour de céans36. Il est évident que, si les parties parviennent à un accord avant la saisine, il n’existe pas de différend au moment de l’introduction de l’instance (voir le paragraphe 4 ci-dessus). Dans pareil cas, il est raisonnable pour la Cour de s’abstenir de donner acte, dans un arrêt, de l’accord préalable des parties, comme on l’a vu dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger) (paragraphe 46). Néanmoins, comme la Cour l’a fait observer en ladite affaire, une situation dans laquelle les parties demandent un arrêt donnant acte d’un accord intervenu avant sa saisine est différente de celle où les parties parviennent à un accord en cours d’instance37. Pour reprendre ses termes, on ne peut que «comprend[re]» que la Cour mentionne, «dans le dispositif de son arrêt, [un] accord intervenu entre les Parties en cours d’instance, accord dont l’existence ne p[eut] qu’influer sur le règlement au fond du différend initialement soumis à la juridiction»38.
31 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 34.
32 Parmi les exemples de désistement conjoint dû à un accord entre les parties, on trouve : Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), ordonnance du 10 septembre 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 149, et Demande en revision de l’arrêt du 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) (Malaisie c. Singapour), ordonnance du 29 mai 2018, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 284. Je note que la Cour ne présume pas à la légère que, par certaines conclusions ou certains arguments, une partie s’est désistée de l’instance : Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 294, par. 32 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 54, par. 24.
33 Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 78, p. 178.
34 Voir Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 6 décembre 1930, C.P.J.I. série A no 24, p. 14.
35 Voir ibid., ordonnance du 19 août 1929, C.P.J.I. série A no 22, p. 13.
36 Voir Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000, p. 33, par. 52 ; également Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 20, par. 35.
37 Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 72, par. 55.
38 Ibid., par. 57.
- 8 -
22. Un arrêt donnant acte des points d’accord est dans l’intérêt de la sécurité juridique entre les parties, car il garantit que celles-ci restent fidèles à leurs positions. En revanche, si un arrêt consigne les positions actuelles des parties, mais s’abstient d’en tirer des conséquences pour les obligations et droits respectifs de celles-ci, le risque demeure que les parties changent ces positions à l’avenir. Ce risque avait été prévu dans les affaires des Essais nucléaires, la Cour ayant relevé que, «si le fondement [de l’]arrêt était remis en cause», les demandeurs pourraient solliciter «un examen de la situation» à l’origine de l’affaire39. Indépendamment de la question de savoir si le pacte de Bogotá ou tout autre titre de compétence entre les Parties restera en vigueur à l’avenir, la possibilité d’une nouvelle instance visant à trancher des questions déjà soumises à la Cour compromet la bonne administration de la justice.
23. Les Etats revendiquent couramment des droits pour eux-mêmes ou invoquent des obligations incombant à d’autres Etats, que ceux-ci contestent tout aussi fréquemment. Le plus souvent, les positions des deux parties dans de telles situations reposent sur une appréciation raisonnable du droit, faite de bonne foi, même si ces positions ne peuvent être juridiquement correctes en même temps. Si les conditions applicables en matière de compétence sont remplies, un Etat se trouvant dans ce cas de figure peut exercer un recours judiciaire devant la Cour et voir son différend réglé au moyen d’un jugement juridiquement contraignant. En particulier, lorsqu’un Etat prétend jouir d’un droit, ou soutient qu’un autre Etat est tenu par une obligation, les parties ont un intérêt à ce que l’obligation ou le droit invoqués soient définitivement confirmés ou rejetés dans un arrêt juridiquement contraignant de la Cour ayant compétence. Malgré son examen minutieux du droit coutumier relatif aux cours d’eau internationaux, la Cour n’a pas tenu compte de cet intérêt en l’espèce. A mon sens, elle aurait dû ancrer son analyse approfondie à l’endroit où celle-ci a sa place, à savoir le dispositif de l’arrêt.
(Signé) Hilary CHARLESWORTH.
___________
39 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 60 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 477, par. 63 ; voir également Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) (Nouvelle-Zélande c. France), ordonnance du 22 septembre 1995, C.I.J. Recueil 1995, p. 305-306, par. 62.

Bilingual Content

667
57
DECLARATION OF JUDGE CHARLESWORTH
Concurrence with the Court’s findings in relation to two submissions —
Disagreement with the Court’s conclusion that the remaining claims and counterclaims
no longer have any object — Complexity and uncertainty introduced by the
Judgment in relation to the legal consequences of the disappearance of a dispute
— Distinction between the disappearance of a claim’s object and the convergence
of the parties’ positions.
Nuclear Tests cases — Object of the claim achieved through a party’s unilateral
undertaking — Difference from the present case — No finding concerning the
legally binding effect of the Parties’ statements — Permissibility of a legally
binding judgment in the absence of legal commitments by the parties.
Lack of convergence of positions between the Parties — Duty to issue a declaratory
judgment.
Permissibility of judgments recording an agreement arrived at after the Court’s
seisin — The role of a declaratory judgment in ensuring that the parties commit to
their positions — Practical consequence of declaratory judgments in removing
uncertainty from the parties’ legal relations.
I. Introduction
1. As indicated by the title of the case, today’s Judgment is meant to
resolve a “dispute over the status and use of the waters of the Silala”, the
international watercourse shared between the Parties. The Court addresses
five claims made by the Applicant and three counter-claims made by the
Respondent and, in the Judgment’s operative paragraph, it rejects one of
the Applicant’s claims and one of the Respondent’s counter-claims (Judgment,
para. 163 (5) and (8)). I concur with both these rejections.
2. The remaining claims and counter-claims concern several other
important aspects of the Parties’ relations as riparian States. I am in full
agreement with the Court’s reasoning in respect of the rights and obligations
of States sharing an international watercourse. And yet, despite its
thorough analysis, the Court neither upholds nor rejects any of the
remaining claims and counter-claims. Instead, regarding each of them,
the Court examines the Parties’ pleadings and final submissions with a
view to ascertaining whether the Parties “have come to agree in substance”
(ibid., para. 46). After affirming the Parties’ convergence of positions,
the Court concludes that each of these claims and counter-claims
“no longer has any object”, which in turn entails that the Court “is not
called upon to give a decision thereon” (ibid., para. 163). Rather than
resolving the dispute brought before it, the Court has thus shifted its
667
57
DÉCLARATION DE Mme LA JUGE CHARLESWORTH
[Traduction]
Accord avec les conclusions de la Cour concernant deux demandes — Désaccord
avec la conclusion de la Cour considérant que les demandes et demandes
reconventionnelles restantes sont devenues sans objet — Complexité et incertitude
introduite par l’arrêt s’agissant des conséquences juridiques de la disparition d’un
différend — Distinction entre la disparition de l’objet d’une demande et la
convergence des positions des parties.
Affaires des Essais nucléaires — Objet de la demande atteint par l’engagement
unilatéral d’une partie — Différence avec la présente espèce — Absence de
conclusion sur l’effet juridiquement contraignant des déclarations des Parties —
Possibilité de rendre un arrêt juridiquement contraignant en l’absence d’engagement
juridique des parties.
Absence de convergence des positions des Parties — Devoir de rendre un jugement
déclaratoire.
Possibilité de rendre des arrêts donnant acte d’un accord intervenu après la
saisine de la Cour — Jugements déclaratoires ayant pour rôle de garantir la fidélité
des parties à leurs positions — Jugements déclaratoires ayant pour conséquence
pratique de supprimer toute incertitude dans les relations juridiques des parties.
I. Introduction
1. Ainsi que l’indique le titre de l’affaire, l’arrêt rendu ce jour visait à
régler un « différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du
Silala », cours d’eau international partagé entre les Parties. La Cour a
examiné cinq demandes présentées par le Chili et trois demandes reconventionnelles
présentées par la Bolivie ; dans le dispositif de l’arrêt, elle
rejette une des demandes du Chili et une des demandes reconventionnelles
de la Bolivie (arrêt, par. 163, points 5 et 8). Je souscris à ces deux décisions
de rejet.
2. Les demandes et demandes reconventionnelles restantes concernaient
plusieurs autres aspects importants des relations entre les Parties
en tant qu’Etats riverains. J’approuve pleinement le raisonnement de la
Cour s’agissant des droits et obligations des Etats qui partagent un cours
d’eau international. Pourtant, malgré son analyse approfondie, la Cour
ne confirme ni ne rejette aucune desdites demandes. Au lieu de cela, pour
chacune, elle s’attache à examiner les plaidoiries et conclusions finales des
Parties, en vue de déterminer si ces dernières étaient « parvenues à un
accord sur la substance » (ibid., par. 46). Après avoir constaté la convergence
des positions des Parties, la Cour conclut que chacune de ces
demandes et demandes reconventionnelles est « devenue sans objet », et
qu’il n’y a dès lors « pas lieu pour [elle] d’y statuer » (ibid., par. 163). Plutôt
que de régler le différend porté devant elle, la Cour s’est donc davantage
668 status and use of the silala (decl. charlesworth)
58
attention to the question — at issue between the Parties — as to whether
that dispute persists.
3. To my regret, I cannot join the Court in its diversion to this “metadispute”,
nor in its method of approaching this question, nor in the
answer at which it arrives. In my view, the Court’s analysis introduces
new uncertainties into the concept of a dispute (II). The concept of the
convergence of positions finds no basis in the Court’s jurisprudence (III),
and it does not fit the facts of these proceedings well (IV). Finally, it
seems to me that the Court’s reasoning underestimates the contribution a
declaratory judgment may make in this case (V).
II. Disappearing Disputes
4. A central tenet of the Court’s jurisprudence is that the exercise of
the Court’s jurisdiction rests on the existence of a dispute 1. As a matter of
principle, the elements on which the Court’s jurisdiction depends must be
fulfilled at the time of the institution of proceedings 2. The existence of a
dispute is no different 3. This is illustrated in Obligation to Prosecute or
Extradite (Belgium v. Senegal) and Frontier Dispute (Burkina Faso/Niger),
in which the Court had to ascertain whether a disagreement between
the parties — if one had ever existed — had disappeared by the time
that the Court was seised 4. Unlike the present case, the question in those
cases was not whether the parties’ positions on a legal issue converged
after the institution of proceedings, but rather whether they had converged
beforehand. They were then standard cases where the existence of
1 Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal),
Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 441, para. 45; Obligations concerning Negotiations
relating to Cessation of the Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament (Marshall
Islands v. India), Jurisdiction and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 269,
para. 33.
2 Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
(Croatia v. Serbia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2008, pp. 437-438,
paras. 79-80; Question of the Delimitation of the Continental Shelf between Nicaragua and
Colombia beyond 200 Nautical Miles from the Nicaraguan Coast (Nicaragua v. Colombia),
Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 115, para. 31.
3 Application of the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination (Georgia v. Russian Federation), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2011 (I), p. 85, para. 30; Obligations concerning Negotiations relating to Cessation of
the Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v. India), Jurisdiction
and Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), pp. 271-272, para. 39; Application of
the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (The Gambia v.
Myanmar), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2022 (II), p. 502, para. 64.
4 Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment,
I.C.J. Reports 2012 (II), pp. 442-443, para. 48; Frontier Dispute (Burkina Faso/Niger),
Judgment, I.C.J. Reports 2013, p. 71, para. 52; see also Territorial and Maritime Dispute
(Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2007 (II), p. 874,
para. 138.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 668
58
concentrée sur la question — en litige entre les Parties — de savoir si
celui-ci persistait.
3. A mon grand regret, je ne peux adhérer à la déviation opérée par la
Cour vers ce « méta-différend », ni souscrire à la méthode qu’elle a suivie
pour aborder cette question, ni approuver la réponse donnée. Selon moi,
l’analyse de la Cour introduit de nouvelles incertitudes dans la notion de
différend (II). Le concept de convergence des positions ne trouve aucun
fondement dans la jurisprudence de la Cour (III) et ne concorde pas véritablement
avec les faits de la présente espèce (IV). Enfin, il me semble que
le raisonnement de la Cour sous-estime la contribution que pouvait
constituer un jugement déclaratoire en l’affaire (V).
II. Disparition d’un différend
4. Une règle centrale de la jurisprudence de la Cour est que l’exercice
de sa compétence repose sur l’existence d’un différend 1. Par principe, les
éléments dont dépend cette compétence doivent être réunis au moment où
l’instance est introduite 2. La condition de l’existence d’un différend
n’échappe pas à cette règle 3, comme on l’a vu dans l’affaire relative à des
Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique
c. Sénégal) et dans celle du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), dans
lesquelles la Cour a dû déterminer si un désaccord entre les parties — si
tant est qu’il y en ait eu un — avait disparu avant qu’elle ne soit saisie 4.
Contrairement à la présente espèce, la question qui se posait alors était de
savoir si les positions des parties sur un point de droit avaient convergé
non pas après la saisine mais avant celle-ci. Il s’agissait donc de cas clas-
1 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 441, par. 45 ; Obligations relatives à des négociations concernant
la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall
c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 269, par. 33.
2 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 437-438, par. 79-80 ;
Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà
de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 115, par. 31.
3 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30 ; Obligations relatives à des négociations concernant la
cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c.
Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 271-272, par. 39 ;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie
c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 502, par. 64.
4 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 442-443, par. 48 ; Différend frontalier (Burkina Faso/Niger),
arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 71, par. 52 ; voir également Différend territorial et maritime
(Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 874,
par. 138.
669 status and use of the silala (decl. charlesworth)
59
a dispute was ascertained with reference to the date of the institution of
proceedings.
5. By contrast, the Court has rarely dealt with a dispute’s disappearance
in the course of the proceedings, or with the consequences of such
disappearance. On a few occasions the Court has contemplated the possibility
that a dispute might disappear in the course of the proceedings 5,
but it has never identified the grounds for such disappearance nor its legal
consequences. Even in Nuclear Tests the decisive feature precluding a
judgment on the merits was not the disappearance of the dispute as such,
but rather the fact that the object of the claim had been achieved, as I
explain below.
6. This Judgment expands the concept of the disappearance of a dispute
and, in doing so, it separates the dispute requirement from all other
jurisdictional elements. The fulfilment of all other preliminary requirements
at the time of the institution of proceedings is, in principle, a
necessary but also a sufficient condition for the establishment of the
Court’s jurisdiction. For example, lapse of the jurisdictional title after the
institution of proceedings does not deprive the Court of jurisdiction over
pending cases 6. When it comes to the existence of a dispute, however,
according to the Judgment, fulfilment of the requirement at the time of
the institution of proceedings is a necessary but not a sufficient condition
because the dispute must continue to exist at the time of adjudication
(Judgment, para. 147; see also paragraph 41).
7. The Judgment does not explain why the existence of a dispute should
differ from all other jurisdictional requirements in this respect. Nor does
the Judgment indicate the precise legal effects of the disappearance of a
dispute, in particular whether such disappearance deprives the Court of
its jurisdiction, perhaps even retroactively, or whether it renders the
application inadmissible. While this issue is without practical effect in the
present case, the Court’s pronouncement may be put to the test where the
Court’s jurisdiction has been affirmed through a binding judgment (for
example, on preliminary objections), only to be later called into question
owing to the dispute’s disappearance in the meantime 7.
5 For example, Jurisdictional Immunities of the State (Germany v. Italy: Greece intervening),
Judgment, I.C.J. Reports 2012 (I), p. 146, para. 112; Legality of Use of Force (Serbia
and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2004 (I),
pp. 294-295, paras. 34-36; Obligations concerning Negotiations relating to Cessation of the
Nuclear Arms Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v. India), Jurisdiction and
Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 272, para. 40.
6 Nottebohm (Liechtenstein v. Guatemala), Preliminary Objection, Judgment, I.C.J. Reports
1953, pp. 122-123; Alleged Violations of Sovereign Rights and Maritime Spaces in the Caribbean
Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I),
p. 18, para. 33.
7 Compare Application of the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime
of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment, I.C.J. Reports
2007 (I), p. 94, para. 123.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 669
59
siques où l’existence d’un différend était déterminée par référence à la
date d’introduction de l’instance.
5. En revanche, la Cour a rarement traité la question de savoir si un
différend avait disparu en cours d’instance, ou examiné les conséquences
d’un tel cas de figure. En certaines occasions, elle a envisagé qu’un différend
ait disparu pendant la procédure 5, mais elle n’a jamais recensé les
motifs ni les conséquences d’une telle disparition. Même dans les affaires
des Essais nucléaires, l’élément déterminant ayant exclu le prononcé d’un
arrêt au fond n’était pas le fait que le différend en tant que tel avait
disparu, mais que l’objet de la demande avait été atteint, comme je
l’explique ci-après.
6. Le présent arrêt élargit le concept de disparition d’un différend et, ce
faisant, dissocie la condition de l’existence d’un différend de tous les
autres éléments attributifs de compétence. La réunion de tous ces autres
éléments préalablement requis au moment de l’introduction de l’instance
est, en principe, une condition nécessaire, mais aussi suffisante pour que
la Cour puisse établir sa compétence. Par exemple, la caducité du titre de
compétence après la saisine de la Cour ne retire pas à celle-ci sa compétence
à l’égard d’une affaire pendante 6. Pour ce qui est de l’existence d’un
différend, toutefois, d’après l’arrêt, le fait que cette condition soit remplie
au moment où l’affaire est introduite est nécessaire mais pas suffisant, car
le différend doit persister au moment où la Cour statue (arrêt, par. 147 ;
voir également le paragraphe 41).
7. Rien dans l’arrêt n’explique pourquoi la condition de l’existence
d’un différend devrait être dissociée de tous les autres éléments attributifs
de compétence. Il n’y est pas non plus dit quels sont les effets juridiques
précis de la disparition d’un différend, en particulier la question de savoir
si cette situation prive la Cour de sa compétence, peut-être même de
manière rétroactive, ou rend la requête irrecevable. Même si cette question
n’a pas d’effet pratique en la présente espèce, une décision de la Cour
pourrait être mise à l’épreuve si sa compétence était établie à l’issue d’un
jugement contraignant (par exemple sur des exceptions préliminaires) et
ensuite remise en cause parce que le différend aurait entre-temps disparu
7.
5 Par exemple, Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)),
arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 146, par. 112 ; Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I),
p. 294-295, par. 34-36 ; Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la
course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 272, par. 40.
6 Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953,
p. 122-123 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des
Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I),
p. 18, par. 33.
7 Cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 94,
par. 123.
670 status and use of the silala (decl. charlesworth)
60
8. There is no doubt that the Court’s function in contentious cases is
“to decide . . . disputes” 8. Appeal to this proposition, however, does not
provide any helpful conclusions as to the Court’s role in ascertaining the
continued existence of a dispute. More importantly, to the extent that a
dispute persists, albeit in a reduced form, adjudication does not run
counter to the Court’s function. Any risk of judicial overreach is sufficiently
addressed through the application of other principles, notably the
non ultra petita principle, according to which the Court is only entitled to
decide on questions submitted to it 9.
9. In my view, the Court’s analysis adds an unnecessary level of complexity
and uncertainty to the jurisprudence on the concept of a dispute.
There is also a certain inconsistency in the Court’s appreciation of events
taking place in the course of the proceedings, in so far as the existence of
a dispute is concerned. Whereas the Court has lately been reluctant to
accept that a dispute may crystallize through the exchanges between the
parties in the course of the proceedings 10, it is prepared to accept that
such exchanges may serve to shrink or extinguish a dispute.
10. The Court’s entire analysis today is based on the premise that it is
possible for “specific claims [to] have become without object as a consequence
of a convergence of positions or agreement between the Parties, or
for some other reason” (Judgment, para. 42). The Court’s reasoning, in
my view, leads to the merger of two quite distinct issues: the first concerns
the circumstances under which a claim is deprived of its object, while the
second concerns the legal effects of a convergence of positions between
the parties to a dispute. I will examine these two issues separately in turn.
III. The Disappearance of the Object of a Claim
11. The Judgment points out that the Court may refrain from rendering
a judgment where an application has become without object (ibid.,
para. 41). The jurisprudence cited by the Court, however, does not
illuminate the grounds on which an application might lose its object; in
particular, it provides no support for the proposition that the convergence
of the parties’ positions, or the shrinkage of a dispute, constitutes a
8 Statute, Art. 38, para. 1; see Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (The Gambia v. Myanmar), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 2022 (II), p. 510, para. 88.
9 See for example Arrest Warrant of 11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v.
Belgium), Judgment, I.C.J. Reports 2002, p. 19, para. 43.
10 See Obligations concerning Negotiations relating to Cessation of the Nuclear Arms
Race and to Nuclear Disarmament (Marshall Islands v. India), Jurisdiction and Admissibility,
Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 272, para. 40; see also ibid., declaration of President
Abraham, pp. 279-280, paras. 4-8; compare ibid., dissenting opinion of Judge Crawford,
pp. 515-521, paras. 7-18.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 670
60
8. Il ne fait aucun doute que la fonction de la Cour dans les affaires
contentieuses est « de régler … les différends » 8. Le rappeler n’aide cependant
pas à définir le rôle que la Cour joue dans la détermination de l’existence
continue d’un différend. Qui plus est, dans la mesure où un différend,
même réduit, persiste, statuer à son sujet ne va pas à l’encontre de la
fonction de la Cour. Tout risque d’excès de justice est suffisamment pris
en compte par l’application d’autres principes, notamment la règle non
ultra petita, selon laquelle la Cour est uniquement fondée à se prononcer
sur les questions qui lui sont soumises 9.
9. Selon moi, l’analyse de la Cour ajoute un degré inutile de complexité
et d’incertitude à la jurisprudence sur la notion de différend. En outre,
une certaine inconstance ressort de l’appréciation faite par la Cour des
événements survenus pendant la procédure, s’agissant de déterminer
l’existence d’un différend. Alors que la Cour s’est récemment montrée peu
encline à accepter qu’un différend puisse se cristalliser par des échanges
entre les parties en cours d’instance 10, elle est prête à accepter que de tels
échanges puissent servir à réduire ou à faire disparaître un différend.
10. L’analyse faite par la Cour dans le présent arrêt repose entièrement
sur la prémisse qu’il est possible pour « des demandes données [de devenir]
sans objet à la suite d’une convergence des positions des Parties ou
d’un accord entre celles-ci, ou pour quelque autre raison » (arrêt, par. 42).
Ce raisonnement conduit, selon moi, à l’amalgame de deux questions
relativement distinctes : la première est celle des circonstances dans lesquelles
une demande est privée de son objet, tandis que la seconde est
celle des effets juridiques que peut avoir une convergence des positions
des parties à un différend. Je vais à présent examiner ces deux questions
tour à tour.
III. Disparition de l’objet d’une demande
11. Il est rappelé dans l’arrêt que la Cour peut s’abstenir de statuer si
une requête est devenue sans objet (ibid., par. 41). La jurisprudence citée
ne nous éclaire toutefois pas sur les raisons pour lesquelles une requête
peut devenir sans objet ; en particulier, elle ne confirme nullement que la
convergence des positions des parties, ou la réduction du différend, puisse
priver une requête de son objet, et encore moins qu’une telle conver-
8 Statut, art. 38, par. 1 ; voir Application de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2022 (II), p. 510, par. 88.
9 Voir, par exemple, Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo
c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 19, par. 43.
10 Voir Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux
armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 272, par. 40 ; voir également ibid., déclaration de M. le
juge Abraham, président, p. 279-280, par. 4-8 ; cf. ibid., opinion dissidente de M. le juge
Crawford, p. 515-521, par. 7-18.
671 status and use of the silala (decl. charlesworth)
61
ground that deprives an application of its object. Even less so does this
jurisprudence indicate that the convergence of the parties’ positions on a
specific claim deprives that claim of its object.
12. The passages from Border and Transborder Armed Actions 11 and
Arrest Warrant 12 cited in the Judgment affirm that events subsequent to
the filing of the application may render that application without object.
The events envisaged (explicitly or implicitly) in those cases did not however
concern a convergence of the parties’ positions with respect to the
questions previously dividing them. The Judgment also relies on Northern
Cameroons, in which the Court declined to adjudicate the application
brought before it by Cameroon seeking a declaration that the United
Kingdom had failed to respect various terms of the Trusteeship Agreement
for the Territory of the Cameroons under British Administration 13.
The Court took this course, however, not because the applicant’s claim
had become without object, but rather because any judgment that the
Court might pronounce would be without object on account of the intervening
termination of the Trusteeship Agreement 14. In any event, that
case did not involve a situation where the positions between the parties
had converged.
13. This brings me to the Nuclear Tests Judgments, to which both
Parties 15 and the Court (Judgment, paras. 41 and 43) turn in support of
the proposition that the disappearance of a dispute precludes adjudication
by the Court. On my reading, those cases are quite distinct from
the situation here. In Nuclear Tests, the dispute brought before the Court
by each applicant (Australia and New Zealand) essentially consisted of a
single claim: a request for a declaration on the unlawfulness of atmospheric
testing of nuclear weapons by the respondent (France) 16. The
Court’s reasoning unfolded in three steps. First, the Court “ascertain[ed]
the true object and purpose of the claim”; in the Court’s view, the object
of the claim was “to obtain a termination of those tests” by the respondent
17. Second, the Court affirmed that the respondent had made a
legally binding undertaking outside the Court to terminate its nuclear
11 Border and Transborder Armed Actions (Nicaragua v. Honduras), Jurisdiction and
Admissibility, Judgment, I.C.J. Reports 1988, p. 95, para. 66.
12 Arrest Warrant of 11 April 2000 (Democratic Republic of the Congo v. Belgium), Judgment,
I.C.J. Reports 2002, pp. 14-15, para. 32.
13 Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1963, p. 15.
14 Ibid., p. 38.
15 CR 2022/7, p. 48, para. 35 (Forteau); CR 2022/13, p. 43, para. 10 (Pellet); CR 2022/9,
p. 14, para. 17 (Boisson de Chazournes).
16 Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 460, para. 11;
Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 256, para. 11; note,
in particular, that Australia’s claim was interpreted as a single submission: ibid., p. 260,
para. 25.
17 Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 263, para. 30;
Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 467, para. 31.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 671
61
gence des positions des parties sur une demande donnée rende celle-ci sans
objet.
12. Les passages des affaires relatives à des Actions armées frontalières
et transfrontalières 11 et au Mandat d’arrêt 12 cités dans l’arrêt confirment
que des événements postérieurs au dépôt de la requête peuvent rendre
celle-ci sans objet. Les événements considérés (explicitement ou implicitement)
dans ces affaires ne concernaient toutefois pas une convergence
des positions des parties sur des questions qui initialement les opposaient.
L’arrêt s’appuie également sur l’affaire du Cameroun septentrional, dans
laquelle la Cour a refusé de statuer sur la requête du Cameroun, qui lui
demandait de déclarer que le Royaume-Uni n’avait pas respecté diverses
dispositions de l’accord de tutelle pour le territoire du Cameroun sous
administration britannique 13. Or, si la Cour avait fait ce choix, ce n’est
pas parce que la demande était devenue sans objet, mais parce que tout
arrêt qu’elle aurait pu rendre aurait été sans objet compte tenu de la
cessation, dans l’intervalle, de l’accord de tutelle 14. En tout état de cause,
il n’était pas question dans cette affaire d’une convergence des positions
des parties.
13. Cela m’amène aux arrêts rendus dans les affaires des Essais
nucléaires, auxquels les deux Parties 15 et la Cour (arrêt, par. 41 et 43) ont
fait référence à l’appui de l’idée que la disparition d’un différend empêche
la Cour de statuer. Selon mon interprétation, ces affaires sont relativement
distinctes de la situation qui nous intéresse ici. Dans les Essais
nucléaires, le différend porté devant la Cour par chaque demandeur
(l’Australie et la Nouvelle-Zélande) se résumait essentiellement à une
seule demande, à savoir qu’il soit déclaré que les essais d’armes nucléaires
dans l’atmosphère effectués par le défendeur (la France) étaient illicites 16.
La Cour a suivi un raisonnement en trois étapes. Premièrement, elle s’est
« assur[ée] du but et de l’objet véritable de la demande », concluant que
cet objet était d’obtenir « la cessation de ces essais » par le défendeur 17.
Deuxièmement, elle a constaté que ce dernier avait pris, en dehors de
11 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 95, par. 66.
12 Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2002, p. 14-15, par. 32.
13 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1963, p. 15.
14 Ibid., p. 38.
15 CR 2022/7, p. 48, par. 35 (Forteau) ; CR 2022/13, p. 43, par. 10 (Pellet) ; CR 2022/9,
p. 14, par. 17 (Boisson de Chazournes).
16 Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 460,
par. 11 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 256, par. 11 ;
relevons, en particulier, que la prétention de l’Australie a été interprétée comme étant une
seule demande : ibid., p. 260, par. 25.
17 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 263, par. 30 ; Essais
nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 467, par. 31.
672 status and use of the silala (decl. charlesworth)
62
testing 18. Indeed, a considerable part of the Nuclear Tests Judgments is
devoted to an exposition of the indicators of a unilateral act’s legally
binding character and to an analysis of France’s statements against that
background 19. It was only after that finding that the Court, at a third
stage, concluded that the dispute between the parties had disappeared
“because the object of the claim ha[d] been achieved by other means” 20.
The Court thus essentially held that any legally binding judgment that it
might deliver in favour of the applicants would be redundant, because the
respondent had already undertaken a legally binding obligation erga
omnes to the same effect. In other words, the respondent’s legally binding
undertaking was a substitute for the legally binding judgment that the
applicants sought to obtain 21. The same underlying idea emerges from
Fisheries Jurisdiction, where the Court indicated that a legally binding
agreement outside of Court might render a judgment by the Court without
object 22.
14. This case is quite different. First of all, it is common ground that
the dispute concerns the status and use of the waters of the Silala. Unlike
Nuclear Tests, there is no suggestion by the Court, or indeed by the Parties,
that either Party pursues a different “true” object when advancing its
claims or counter-claims. Second, and more importantly, there is no indication
in the Judgment that the object of any claim or counter-claim has
been achieved by other means, or specifically that an intervening act had
a similar effect to that of France’s unilateral undertakings in Nuclear
Tests. Consequently, the Court’s leap directly to the third step of the
Nuclear Tests reasoning — namely to a finding that a claim (or counterclaim)
has become without object — is puzzling.
15. It is true that the Judgment attaches great weight to the statements
made by the Parties in the course of the proceedings. The Court correctly
observes that it presumes the “good faith” of the parties in making statements
before it (Judgment, para. 46). At various other places, the Court
18 Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 270, para. 52;
Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 475, para. 55.
19 Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, pp. 267-270,
paras. 42-51; Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974,
pp. 472-475, paras. 45-55.
20 Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 271, para. 55;
similarly in Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 476,
para. 58.
21 See, to the same effect, Frontier Dispute (Burkina Faso/Republic of Mali), Judgment,
I.C.J. Reports 1986, p. 577, para. 46.
22 Fisheries Jurisdiction (Spain v. Canada), Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J.
Reports 1998, p. 468, para. 88; the Court ultimately did not pronounce on this point.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 672
62
l’instance, l’engagement juridiquement contraignant de mettre un terme à
ses essais nucléaires 18. De fait, une très large partie des arrêts sur les
Essais nucléaires est consacrée aux indices d’un acte unilatéral de caractère
obligatoire en droit et à l’analyse des déclarations de la France dans
ce contexte 19. Ce n’est qu’après cette constatation que la Cour a, troisièmement,
conclu que le différend entre les parties avait disparu « parce que
l’objet de la demande a[vait] été atteint d’une autre manière » 20. La Cour
a donc dit, pour l’essentiel, que tout arrêt juridiquement contraignant
qu’elle pourrait rendre en faveur des demandeurs serait inutile, car le
défendeur avait déjà pris au même effet un engagement erga omnes de
caractère obligatoire en droit. En d’autres termes, cet engagement juridiquement
contraignant du défendeur remplaçait l’arrêt juridiquement
contraignant que les demandeurs entendaient obtenir 21. La même idée
sous-jacente ressort de l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries,
dans laquelle la Cour a indiqué qu’un accord de caractère obligatoire en
droit conclu en dehors de l’instance rendrait sans objet tout arrêt prononcé
par elle 22.
14. La présente affaire est assez différente. Premièrement, nul ne
conteste que le différend concerne le statut et l’utilisation des eaux du
Silala. Contrairement aux affaires des Essais nucléaires, la Cour — pas
plus d’ailleurs que les Parties elles-mêmes — n’a pas ici laissé entendre
que les demandes ou les demandes reconventionnelles poursuivaient un
« véritable » objet autre que celui-là. Deuxièmement, et c’est plus important
encore, rien n’indique dans l’arrêt que l’objet d’une quelconque
demande ou demande reconventionnelle ait été atteint d’une autre
manière, ou plus précisément qu’un acte intervenu postérieurement ait eu
le même effet que l’engagement unilatéral de la France dans les affaires
des Essais nucléaires. Par conséquent, il est déroutant que la Cour soit
directement passée à la troisième étape du raisonnement qu’elle avait
suivi dans ces affaires-là, à savoir conclure qu’une demande (ou une
demande reconventionnelle) est devenue sans objet.
15. Il est vrai que le présent arrêt accorde un grand poids aux déclarations
faites par les Parties au cours de la procédure. La Cour fait justement
observer qu’elle présume que les parties sont de « bonne foi »
lorsqu’elles font des déclarations devant elle (arrêt, par. 46). A divers
18 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 270, par. 52 ; Essais
nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 475, par. 55.
19 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267-270, par. 42-51 ;
Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472-475,
par. 45-55.
20 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 71, par. 55 ; de
même dans Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476,
par. 58.
21 Voir, dans le même sens, Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 577, par. 46.
22 Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 468, par. 88 ; la Cour n’a en définitive pas statué sur ce point.
673 status and use of the silala (decl. charlesworth)
63
“takes note” of the fact that a Party has accepted the soundness of the
other Party’s argument (Judgment, paras. 58 and 75), and it states that
one Party “may rely” on the position adopted by the other Party in the
course of the proceedings (ibid, para. 146). That a statement is made in
good faith, however, does not necessarily imply that the State making it
intends to be legally bound by it 23. Besides, the Court stops short of
explaining the legal effect of a Party’s reliance in its counterpart’s representations,
or indeed of a subsequent shift in the Parties’ positions. In
doing so, the Judgment raises questions such as whether a Party would be
precluded from reverting to the position that it has now abandoned 24,
and whether this bar would operate in the context of judicial proceedings
only, or whether it would extend to any bilateral negotiations between the
Parties.
16. If anything, the Nuclear Tests Judgments illustrate that the Court
should exercise great caution when ascertaining whether a claim has
become without object by the time of the Court’s judgment. Where the
parties have committed to legally binding obligations (whether unilaterally
or in concert) outside the Court, it may be unnecessary for the Court
to discharge its function through a legally binding judgment, because the
parties’ undertakings offer the requisite legal security; this is effectively
the situation in Nuclear Tests. In the absence of legally binding commitments,
however, it is difficult to see why the exercise of the Court’s jurisdiction
runs counter to the Court’s judicial function. Quite to the contrary,
the Court held “that there [was] no incompatibility with its judicial function
in making a pronouncement on the rights and duties of the Parties
under existing international law” in Fisheries Jurisdiction, even though
the parties had concluded an interim agreement while the case was pending
25. In reaching this conclusion, the Court emphasized the provisional
and temporally limited character of the interim agreement, which did not
provide a waiver of claims by either party in respect of matters in dispute
26.
IV. Ascertaining the Convergence of Positions
between the Parties
17. While Nuclear Tests refer to the dispute having “disappeared”, the
reason for such “disappearance” was not the convergence of the parties’
23 Compare Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 267,
paras. 43-44; Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974,
pp. 472-473, paras. 46-47.
24 Compare Obligation to Negotiate Access to the Pacific Ocean (Bolivia v. Chile), Judgment,
I.C.J. Reports 2018 (II), p. 558, para. 158.
25 Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Merits, Judgment, I.C.J. Reports
1974, p. 19, para. 40.
26 Ibid., pp. 18-19, para. 38.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 673
63
endroits, elle prend « note » de ce qu’une Partie a admis le bien-fondé de
l’argument de l’autre (arrêt, par. 58 et 75), et déclare qu’une Partie « peut
se prévaloir » de la position adoptée par l’autre en cours d’instance (ibid.,
par. 146). Or, qu’une déclaration soit faite de bonne foi n’implique pas
nécessairement que l’Etat qui en est l’auteur entende être lié juridiquement
par cette déclaration 23. Du reste, la Cour manque à expliquer quel
effet juridique peut avoir le fait qu’une Partie se prévale des déclarations
de l’autre, ou même que les Parties changent ultérieurement de position.
Ce faisant, l’arrêt soulève des questions telles que celle de savoir s’il serait
interdit pour une Partie de revenir à la position qu’elle a aujourd’hui
abandonnée 24, et si cette interdiction ne vaudrait que dans un contexte
judiciaire ou si elle s’étendrait à toute négociation bilatérale entre les
Parties.
16. Les arrêts rendus dans les affaires des Essais nucléaires montrent
surtout que la Cour devrait faire preuve d’une grande prudence lorsqu’elle
cherche à déterminer si une demande est devenue sans objet avant
qu’elle ne statue. Si les parties ont pris des engagements juridiquement
contraignants (que ce soit de manière unilatérale ou de concert) en dehors
de l’instance, il se peut qu’il soit inutile pour la Cour de s’acquitter de sa
fonction en rendant un arrêt ayant force obligatoire, car l’engagement des
parties fournit la sécurité juridique requise ; tel fut le cas dans les Essais
nucléaires. En l’absence d’engagements juridiquement contraignants,
cependant, il est difficile de voir comment l’exercice par la Cour de sa
compétence irait à l’encontre de sa fonction judiciaire. Bien au contraire,
dans l’affaire de la Compétence en matière de pêcheries, la Cour a dit « qu’il
n’[étai]t nullement incompatible avec sa fonction judiciaire de statuer sur
les droits et les devoirs des Parties au regard du droit international existant
», alors même que les parties avaient conclu un accord provisoire en
cours d’instance 25. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a souligné le
caractère temporaire et la durée limitée de l’accord provisoire, lequel ne
comportait aucune renonciation de la part de l’une ou l’autre des parties
à ses prétentions portant sur les points en litige 26.
IV. Recherche de la convergence des positions
des Parties
17. Si, dans les affaires des Essais nucléaires, il a été question du différend
ayant « disparu », la raison de cette « disparition » n’était cependant
23 Cf. Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 267, par. 43-44 ;
Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 472-473,
par. 46-47.
24 Cf. Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt, C.I.J.
Recueil 2018 (II), p. 558, par. 158.
25 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J.
Recueil 1974, p. 19, par. 40.
26 Ibid., p. 18-19, par. 38.
674 status and use of the silala (decl. charlesworth)
64
positions on issues that divided them at the time of the institution of proceedings.
Rather, France’s undertaking to cease atmospheric nuclear testing
bypassed the need to rule on any potential divergence of those
positions. In fact, in no case has the convergence of the parties’ positions
led to a conclusion that a dispute has disappeared, nor have such farreaching
conclusions been drawn from a disappearance.
18. The Court here adopts a rather impressionistic approach to ascertain
whether the Parties are in agreement or not 27. Invoking its power to
interpret the submissions of the Parties, the Court ventures to establish
why, despite their ostensible disagreement, the Parties in substance have
come to agree on several questions previously dividing them. Yet it is one
thing to interpret the Parties’ final submissions, but it is quite another to
overlook them entirely, as if they were abandoned in the course of the
proceedings. The Court has cautioned that “[a]bandonment cannot be
presumed or inferred; it must be declared expressly” 28. Indeed, the oral
proceedings revealed that there remains some ambiguity about the extent
of the agreement between the Parties on particular issues: the concessions
by each Party with respect to its counterpart’s submissions tended to be
carefully qualified. Despite the explanations given orally, none of the
Parties’ submissions was formally withdrawn or amended significantly.
19. Given that the Court has a “duty . . . to reply to the questions as
stated in the final submissions of the parties” 29, in my view it should have
done so here through a declaratory judgment, as it has done on multiple
occasions in the past 30. Declarations clarifying the legal situation between
the parties can assist in stabilizing the legal relations between them.
Unlike the situation in Northern Cameroons, such a judgment in the present
case would have “practical consequence[s] in the sense that it c[ould]
affect existing legal rights or obligations of the parties, thus removing
uncertainty from their legal relations” 31.
27 Compare Southern Bluefin Tuna Case between Australia and Japan and between
New Zealand and Japan, Award on Jurisdiction and Admissibility, Decision of 4 August
2000, United Nations, Reports of International Arbitral Awards, Vol. XXIII, pp. 37-38,
paras. 45-46.
28 Certain Norwegian Loans (France v. Norway), Judgment, I.C.J. Reports 1957, p. 26.
29 Request for Interpretation of the Judgment of 20 November 1950 in the Asylum Case
(Colombia v. Peru), Judgment, I.C.J. Reports 1950, p. 402.
30 See for example North Sea Continental Shelf (Federal Republic of Germany/Denmark;
Federal Republic of Germany/Netherlands), Judgment, I.C.J. Reports 1969, p. 53, para. 101,
and Immunities and Criminal Proceedings (Equatorial Guinea v. France), Judgment, I.C.J.
Reports 2020, p. 338, para. 126 (1); see also Certain German Interests in Polish Upper Silesia,
Merits, Judgment No. 7, 1926, P.C.I.J., Series A, No. 7, pp. 18-19.
31 Northern Cameroons (Cameroon v. United Kingdom), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1963, p. 34.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 674
64
pas la convergence des positions des parties sur des points qui les opposaient
au moment de l’introduction de l’instance. C’est l’engagement de la
France à cesser ses essais nucléaires dans l’atmosphère qui a supprimé la
nécessité de statuer sur de possibles divergences entre les positions des
parties. En fait, dans aucune affaire, la convergence des positions des parties
n’a conduit à la conclusion qu’un différend avait disparu, et la disparition
d’un différend n’a pas davantage donné lieu à des conclusions d’une
si large portée.
18. La Cour adopte ici une approche plutôt impressionniste pour
rechercher si les Parties s’accordent ou non 27. Invoquant le pouvoir qui
est le sien d’interpréter les conclusions des Parties, elle se risque à établir
pourquoi ces dernières, malgré leur désaccord patent, sont parvenues en
substance à s’accorder sur plusieurs questions qui initialement les opposaient.
Or c’est une chose d’interpréter les conclusions finales des Parties,
mais c’en est une autre de les passer complètement sous silence, comme si
elles avaient été abandonnées pendant la procédure. La Cour a signalé
que « [l]’abandon ne saurait être présumé ni déduit ; il doit être déclaré
expressément » 28. De fait, les audiences ont révélé qu’il subsistait quelque
ambiguïté quant à l’étendue de l’accord entre les Parties sur des questions
précises : les concessions faites par chacune des Parties à l’égard des
conclusions de l’autre se voulaient soigneusement nuancées. Même si des
explications ont été données oralement, aucune des conclusions des Parties
n’a été formellement retirée ou considérablement modifiée.
19. Etant donné qu’elle a « le devoir de répondre aux demandes des
parties telles qu’elles s’expriment dans leurs conclusions finales » 29, la
Cour aurait dû ici, selon moi, s’acquitter de cette tâche en rendant un
jugement déclaratoire, comme elle l’a fait à de multiples occasions par le
passé 30. Des déclarations ayant pour effet d’éclaircir la situation juridique
entre les parties peuvent contribuer à la stabilisation des relations juridiques
entre celles-ci. Contrairement à l’affaire du Cameroun septentrional,
en la présente espèce, un jugement déclaratoire aurait eu « des conséquences
pratiques en ce sens qu’il [pouvait] affecter les droits ou obligations
juridiques existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans
leurs relations juridiques » 31.
27 Cf. Affaire du thon à nageoire bleue entre l’Australie et le Japon et entre la Nouvelle-
Zélande et le Japon, sentence sur la compétence et la recevabilité, décision du 4 août 2000,
Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XXIII, p. 37-38, par. 45-46.
28 Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1957, p. 26.
29 Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile
(Colombie c. Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402.
30 Voir, par exemple, Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale
d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J.
Recueil 1969, p. 53, par. 101, et Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c.
France), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 338, par. 126, point 1 ; voir également Certains intérêts
allemands en Haute-Silésie polonaise, fond, arrêt no 7, 1926, C.P.J.I. série A no 7, p. 18-19.
31 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1963, p. 34.
675 status and use of the silala (decl. charlesworth)
65
V. The Consequences of a Convergence of Positions
20. Even if it is established that the Parties’ positions have converged
in the course of the proceedings, in my view it was necessary and appropriate
for the Court to issue a declaratory judgment recording the Parties’
agreement, as the Permanent Court did in similar situations. It is relatively
rare, of course, that the parties should come to an agreement in the
course of the proceedings but not seek to discontinue the case under Article
88 of the Rules of Court 32. Within this atypical set of cases, however,
judgments recording the parties’ agreement seem not only unexceptional
but also the most reasonable course of action. A case in point is Société
Commerciale de Belgique, in which the Permanent Court noted, in the
operative clause of its Judgment, the agreement that had been reached in
the course of the proceedings 33. The Court’s predecessor has affirmed
that such judgments were in line with the spirit of its Statute 34. This suggests
that it was not only within the Court’s power but also its duty to
issue such judgments, to the extent that they facilitated the direct and
friendly settlement of disputes between the parties 35.
21. The same principles apply to this Court 36. Of course, if the parties
arrive at an agreement prior to the Court’s seisin, then there exists no
dispute at the time of the institution of proceedings (see paragraph 4
above). In such a case, it is reasonable for the Court to refrain from
recording in a judgment the parties’ antecedent agreement, as is illustrated
in Frontier Dispute (Burkina Faso/Niger) (see Judgment, para. 46).
Nonetheless, as the Court observed in that case, a situation in which
the parties seek a judgment recording an agreement that had been
reached prior to the Court’s seisin is readily distinguishable from a
32 Examples of joint discontinuance owing to an agreement between the parties
include Questions of Interpretation and Application of the 1971 Montreal Convention arising
from the Aerial Incident at Lockerbie (Libyan Arab Jamahiriya v. United Kingdom), Order of
10 September 2003, I.C.J. Reports 2003, p. 149, and Application for Revision of the Judgment
of 23 May 2008 in the Case concerning Sovereignty over Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,
Middle Rocks and South Ledge (Malaysia/Singapore) (Malaysia v. Singapore), Order of
29 May 2018, I.C.J. Reports 2018 (I), p. 284. I note that the Court does not lightly presume
that a party, through some submission or argument, has discontinued the case: Legality of
Use of Force (Serbia and Montenegro v. Belgium), Preliminary Objections, Judgment, I.C.J.
Reports 2004 (I), p. 294, para. 32; Application of the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Bosnia and Herzegovina v. Serbia and Montenegro), Judgment,
I.C.J. Reports 2007 (I), p. 54, para. 24.
33 Société Commerciale de Belgique, Judgment, 1939, P.C.I.J., Series A/B, No. 78, p. 178.
34 See Free Zones of Upper Savoy and the District of Gex, Order of 6 December 1930,
P.C.I.J., Series A, No. 24, p. 14.
35 See Free Zones of Upper Savoy and the District of Gex, Order of 19 August 1929, P.C.I.J.,
Series A, No. 22, p. 13.
36 See Aerial Incident of 10 August 1999 (Pakistan v. India), Jurisdiction of the Court,
Judgment, I.C.J. Reports 2000, p. 33, para. 52; also Passage through the Great Belt (Finland
v. Denmark), Provisional Measures, Order of 29 July 1991, I.C.J. Reports 1991, p. 20,
para. 35.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 675
65
V. Conséquences d’une convergence des positions
20. Même s’il est établi que les positions des Parties ont convergé en
cours de procédure, je suis d’avis qu’il était nécessaire et approprié pour
la Cour de rendre un jugement déclaratoire constatant l’accord des Parties,
ainsi que l’a fait sa devancière dans des situations similaires. Il est
relativement rare, évidemment, que les parties parviennent à un accord en
cours d’instance sans demander un désistement de l’affaire au titre de l’article
88 du Règlement de la Cour 32. Dans cette catégorie d’affaires atypiques,
il semble cependant que la ligne de conduite non seulement
habituelle mais aussi la plus raisonnable consiste à rendre un arrêt donnant
acte de l’accord des parties. Rappelons, à cet égard, l’affaire de la
Société commerciale de Belgique, dans laquelle la Cour permanente de Justice
internationale avait pris note, dans le dispositif de l’arrêt, de l’accord
qui avait été conclu en cours d’instance 33. La devancière de la Cour considérait
que de tels arrêts étaient conformes à l’esprit de son Statut 34. Cela
signifiait qu’elle avait ainsi non seulement le pouvoir mais aussi le devoir
de rendre ce type d’arrêts, dans la mesure où ceux-ci facilitaient le règlement
direct et amiable des différends entre les parties 35.
21. Les mêmes principes s’appliquent à la Cour de céans 36. Il est
évident que, si les parties parviennent à un accord avant la saisine, il
n’existe pas de différend au moment de l’introduction de l’instance (voir
le paragraphe 4 ci-dessus). Dans pareil cas, il est raisonnable pour la Cour
de s’abstenir de donner acte, dans un arrêt, de l’accord préalable des parties,
comme on l’a vu dans l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/
Niger) (arrêt, par. 46). Néanmoins, comme la Cour l’a fait observer en
ladite affaire, une situation dans laquelle les parties demandent un arrêt
donnant acte d’un accord intervenu avant sa saisine est différente de celle
32 Parmi les exemples de désistement conjoint dû à un accord entre les parties, on
trouve : Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant
de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), ordonnance
du 10 septembre 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 149, et Demande en revision de l’arrêt
du 23 mai 2008 en l’affaire relative à la Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh,
Middle Rocks et South Ledge (Malaisie/Singapour) (Malaisie c. Singapour), ordonnance du
29 mai 2018, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 284. Je note que la Cour ne présume pas à la légère
que, par certaines conclusions ou certains arguments, une partie s’est désistée de l’instance :
Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 294, par. 32 ; Application de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 54, par. 24.
33 Société commerciale de Belgique, arrêt, 1939, C.P.J.I. série A/B no 78, p. 178.
34 Voir Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 6 décembre
1930, C.P.J.I. série A no 24, p. 14.
35 Voir Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 19 août 1929,
C.P.J.I. série A no 22, p. 13.
36 Voir Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 2000, p. 33, par. 52 ; également Passage par le Grand-Belt (Finlande c. Danemark),
mesures conservatoires, ordonnance du 29 juillet 1991, C.I.J. Recueil 1991, p. 20,
par. 35.
676 status and use of the silala (decl. charlesworth)
66
situation where the parties come to an agreement during the proceedings
37. In the Court’s terms, it is at the very least “understandable” for
the Court to note, “in the operative part of its Judgment, [an] agreement
arrived at between the Parties during the proceedings, an agreement
whose existence [is] bound to influence the settlement on the merits of the
dispute originally brought before the Court” 38.
22. A judgment recording the points of agreement is in the interest of
legal certainty between the parties because it ensures that the parties commit
to their positions. By contrast, if a judgment identifies the parties’
positions as they stand at present but refrains from drawing consequences
therefrom with respect to the parties’ respective rights and obligations,
there remains a risk that the parties might change their positions in the
future. This risk was anticipated in Nuclear Tests, where the Court
observed that “if the basis of this Judgment were to be affected”, the
applicants could request “an examination of the situation” underlying the
case 39. Leaving aside the question of whether the Pact of Bogotá or any
other jurisdictional title between the Parties will remain in force in the
future, the prospect of new proceedings for the resolution of questions
that have already been put forward to the Court is in tension with the
sound administration of justice.
23. States commonly assert rights for themselves or obligations for
other States, which are equally commonly contested by those other States.
In most cases both parties’ positions in such situations are based on a
reasonable appreciation of the law in good faith, even if both positions
cannot be legally correct simultaneously. Where applicable jurisdictional
requirements are fulfilled, a State finding itself in such a situation is able
to seek judicial recourse before the Court and to have its dispute resolved
by means of a legally binding judgment. In particular, a State claiming
that it enjoys a right, or that its adversary bears an obligation, has an
interest in having the claimed right or obligation definitively affirmed or
rejected in a legally binding judgment by the Court possessing jurisdiction.
Despite its careful elaboration of the customary law of international
watercourses, the Court has not responded to this interest in the present
case. In my view, the Court should have moored its sound analysis at its
natural berth, the operative paragraph of the Judgment.
(Signed) Hilary Charlesworth.
___________
37 Frontier Dispute (Burkina Faso/Niger), Judgment, I.C.J. Reports 2013, p. 72, para. 55.
38 Ibid., para. 57.
39 Nuclear Tests (Australia v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 272, para. 60;
Nuclear Tests (New Zealand v. France), Judgment, I.C.J. Reports 1974, p. 477, para. 63; see
also Request for an Examination of the Situation in Accordance with Paragraph 63 of the
Court’s Judgment of 20 December 1974 in the Nuclear Tests (New Zealand v. France) Case
(New Zealand v. France), Order of 22 September 1995, I.C.J. Reports 1995, pp. 305-306,
para. 62.
statut et utilisation du silala (décl. charlesworth) 676
66
où les parties parviennent à un accord en cours d’instance 37. Pour
reprendre ses termes, on ne peut que « comprend[re] » que la Cour mentionne,
« dans le dispositif de son arrêt, [un] accord intervenu entre les
Parties en cours d’instance, accord dont l’existence ne p[eu]t qu’influer sur
le règlement au fond du différend initialement soumis à la juridiction » 38.
22. Un arrêt donnant acte des points d’accord est dans l’intérêt de la
sécurité juridique entre les parties, car il garantit que celles-ci restent
fidèles à leurs positions. En revanche, si un arrêt consigne les positions
actuelles des parties, mais s’abstient d’en tirer des conséquences pour les
obligations et droits respectifs de celles-ci, le risque demeure que les parties
changent ces positions à l’avenir. Ce risque avait été prévu dans les
affaires des Essais nucléaires, la Cour ayant relevé que, « si le fondement
[de l’]arrêt était remis en cause », les demandeurs pourraient solliciter « un
examen de la situation » à l’origine de l’affaire 39. Indépendamment de la
question de savoir si le pacte de Bogotá ou tout autre titre de compétence
entre les Parties restera en vigueur à l’avenir, la possibilité d’une nouvelle
instance visant à trancher des questions déjà soumises à la Cour compromet
la bonne administration de la justice.
23. Les Etats revendiquent couramment des droits pour eux-mêmes ou
invoquent des obligations incombant à d’autres Etats, que ceux-ci contestent
tout aussi fréquemment. Le plus souvent, les positions des deux parties dans
de telles situations reposent sur une appréciation raisonnable du droit, faite
de bonne foi, même si ces positions ne peuvent être juridiquement correctes
en même temps. Si les conditions applicables en matière de compétence sont
remplies, un Etat se trouvant dans ce cas de figure peut exercer un recours
judiciaire devant la Cour et voir son différend réglé au moyen d’un arrêt
juridiquement contraignant. En particulier, lorsqu’un Etat prétend jouir
d’un droit, ou soutient qu’un autre Etat est tenu par une obligation, les parties
ont un intérêt à ce que l’obligation ou le droit invoqués soient définitivement
confirmés ou rejetés dans un arrêt juridiquement contraignant de la
Cour ayant compétence. Malgré son examen minutieux du droit coutumier
relatif aux cours d’eau internationaux, la Cour n’a pas tenu compte de cet
intérêt en l’espèce. A mon sens, elle aurait dû ancrer son analyse approfondie
à l’endroit où celle-ci a sa place, à savoir le dispositif de l’arrêt.
(Signé) Hilary Charlesworth.
___________
37 Différend frontalier (Burkina Faso/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2013, p. 72, par. 55.
38 Ibid., par. 57.
39 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 60 ;
Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 477, par. 63 ;
voir également Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt
rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-
Zélande c. France) (Nouvelle-Zélande c. France), ordonnance du 22 septembre 1995, C.I.J.
Recueil 1995, p. 305-306, par. 62.

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Déclaration de Mme la juge Charlesworth

Order
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