Contre-mémoire de la Bolivie

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162-20180903-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
16932
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
DIFFÉREND CONCERNANT LE STATUT ET L’UTILISATION DES EAUX DU SILALA
(CHILI C. BOLIVIE)
CONTRE-MÉMOIRE DE L’ÉTAT PLURINATIONAL DE BOLIVIE
VOLUME 1
3 septembre 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE 1. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1
A. Rappel de la procédure ............................................................................................................. 1
B. Contexte général ....................................................................................................................... 1
C. Rejet des demandes du Chili devant la Cour ............................................................................ 3
D. Demandes reconventionnelles de la Bolivie ............................................................................ 5
E. Structure du présent contre-mémoire ........................................................................................ 5
CHAPITRE 2. CONTEXTE FACTUEL DES EAUX DU SILALA .................................................................. 6
A. Travaux conjoints visant à établir la nature des eaux du Silala et à parvenir à un accord
sur leur utilisation .................................................................................................................... 6
B. Etat des connaissances sur le Silala ........................................................................................ 10
C. Amélioration artificielle du Silala .......................................................................................... 16
D. Effets et conséquences de l’amélioration artificielle du Silala ............................................... 27
E. Observations finales ............................................................................................................... 33
CHAPITRE 3. LA NATURE DU SILALA EN DROIT INTERNATIONAL .................................................... 35
A. Cours d’eau internationaux en droit international coutumier ................................................. 35
B. Portée du droit international coutumier sur les cours d’eau s’écoulant naturellement ........... 38
C. Réglementation des eaux du Silala artificiellement améliorées ............................................. 41
D. Observations finales ............................................................................................................... 43
CHAPITRE 4. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE LA NATURE DU SILALA EN TANT QUE COURS
D’EAU ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉ ......................................................................................... 45
A. Droit à une utilisation équitable et raisonnable des eaux du Silala qui s’écoulent
naturellement ......................................................................................................................... 46
B. Utilisation actuelle des eaux du Silala par le Chili ................................................................. 48
C. Obligation des Parties de prendre les mesures appropriées pour éviter de causer un
dommage transfrontière important à l’environnement ........................................................... 50
CHAPITRE 5. LA BOLIVIE N’A PAS MANQUÉ À L’OBLIGATION DE NOTIFICATION ET DE
CONSULTATION ........................................................................................................................... 54
A. La Bolivie a répondu aux demandes du Chili concernant les questions liées aux eaux du
Silala ...................................................................................................................................... 54
- ii -
B. La Bolivie n’a pas manqué à l’obligation de notifier au Chili en temps utile toutes
mesures projetées sur le site du Silala .................................................................................... 57
C. Les travaux sur le site du Silala ne présentent aucun risque d’effets négatifs importants ...... 60
D. Observations finales ............................................................................................................... 61
CHAPITRE 6. DEMANDES RECONVENTIONNELLES ........................................................................... 62
A. Les demandes reconventionnelles de la Bolivie relèvent de la compétence de la Cour ........ 62
B. Recevabilité des demandes reconventionnelles de la Bolivie ................................................ 62
C. Demandes reconventionnelles de la Bolivie ........................................................................... 64
CONCLUSIONS .................................................................................................................................. 66
CERTIFICATION ................................................................................................................................. 67
- iii -
LISTE DES FIGURES
Figure 1 Bassin versant topographique du Silala en Bolivie (source : annexe A, dans DHI,
rapport final)
Figure 2 Profil en «U» de la gorge principale du Silala en Bolivie (source : DIREMAR,
2018)
Figure 3 Partie excavée et coupe verticale de tourbière au bord d’une parcelle de zone
humide intacte dans le bofedal nord (source : annexe C, dans DHI, rapport final)
Figure 4 Bofedal sud en Bolivie (source : DIREMAR, 2017)
Figure 5 Bofedal nord en Bolivie (source : DIREMAR, 2017)
Figure 6 Bassin hydrographique du Silala en Bolivie (source : annexe A, dans DHI, rapport
final)
Figure 7 Chenal principal et dessableur situé juste en contrebas de la confluence des chenaux
secondaires venant de la gorge nord (Cajones) à gauche et de la gorge sud
(Orientales) à droite (source : DIREMAR, 2018)
Figure 8 Ouvrage de pierres du chenal principal, à l’endroit où il reçoit l’eau acheminée par
les deux chenaux principaux subsidiaires venant de la gorge nord (Cajones) et de la
gorge sud (Orientales) (source : DIREMAR, 2018)
Figure 9 Chenal principal avant la frontière (source : DIREMAR, 2018)
Figure 10 Types de chenaux construits sur le site du Silala (source : DIREMAR, 2018)
Figure 11 Image satellite des types de chenaux construits sur le site du Silala (source :
DIREMAR, 2018)
Figure 12 Distribution et dimensions des chenaux dans la gorge sud (Orientales) du Silala en
Bolivie (source : annexe G, dans DHI, rapport final)
Figure 13 Distribution et dimensions des chenaux dans la gorge nord (Cajones) du Silala en
Bolivie (source : annexe G, dans DHI, rapport final)
Figure 14 Distribution et dimensions des chenaux dans le chenal principal en contrebas de la
confluence des deux gorges du Silala en Bolivie (source : annexe G, dans DHI,
rapport final)
Figure 15 Vaste réseau de systèmes de drainage artificiels traversant les bofedales dans la
gorge nord (Cajones) du Silala en Bolivie (source : DIREMAR, 2017)
Figure 16 Chenaux rectilignes avec des angles bien définis dans la gorge nord (Cajones) du
Silala et végétation type d’un bofedal, habituellement florissante mais peu
abondante ici (source : DIREMAR, 2017)
Figure 17 Source de Silala qui jaillit de la formation rocheuse directement dans un chenal
artificiel (source : DIREMAR, 2016)
Figure 18 Conduite de drainage adjacente à une source de Silala qui jaillit de la formation
rocheuse (source : annexe C, dans DHI, rapport final)
Figure 19 Pierres au bord des chenaux et systèmes de drainage, qui montrent que des explosifs
ont été utilisés pour abaisser les sources et augmenter leur écoulement (source :
annexe F, dans DHI, rapport final)
Figure 20 Effets de la dessiccation sur le bofedal sud (Orientales) du Silala (source :
DIREMAR, 2018)
CHAPITRE 1
INTRODUCTION
A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. Le 6 juin 2016, la République du Chili (ci-après le «Chili») a introduit une instance devant
la Cour internationale de Justice contre l’Etat plurinational de Bolivie (ci-après la «Bolivie») au sujet
du statut et de l’utilisation des eaux du Silala. Le Chili invoque comme base de compétence le traité
américain de règlement pacifique des différends signé à Bogotá le 30 avril 1948 (ci-après le «pacte
de Bogotá»)1.
2. Par une ordonnance en date du 1er juillet 2016, la Cour avait fixé au 3 juillet 2017 la date du
dépôt du mémoire du Chili. En réponse à ce mémoire, la Bolivie soumet le présent contre-mémoire
conformément à l’ordonnance du 23 mai 2018 par laquelle la Cour avait fixé au 3 septembre 2018 la
date d’expiration du délai pour le dépôt de cette pièce de procédure écrite.
B. CONTEXTE GÉNÉRAL
3. La Bolivie est située au centre de l’Amérique du Sud et fait partie de l’un des grands bassins/
sous-bassins hydrographiques du continent. De ce fait, elle doit entretenir des relations d’amitié, de
coopération et d’intégration avec les cinq pays limitrophes avec lesquels elle partage des ressources
hydriques, en qualité, selon le cas, d’Etat d’amont ou d’Etat d’aval. En raison de cette situation
géographique, la Bolivie a conclu divers types de traités de coopération avec ses voisins afin
d’assurer une utilisation durable des ressources en eau. Avec le Chili, la conclusion de tels traités n’a
pas encore été possible.
4. En juin 2017, à l’occasion d’une réunion importante du Conseil de sécurité de l’Organisation
des Nations Unies (ONU) sur le thème de la diplomatie préventive et des eaux transfrontières, le
Secrétaire général, António Guterres, a fait observer ce qui suit :
«Avec une augmentation de la demande d’eau douce estimée à plus de 40 % d’ici
le milieu du siècle, et compte tenu des effets grandissants des changements climatiques,
le problème du manque d’eau va se poser avec de plus en plus d’acuité … D’ici à 2050,
au moins une personne sur quatre vivra dans un pays où la pénurie d’eau douce est
chronique ou récurrente. Les problèmes liés à l’accès à l’eau sont déjà en hausse dans
toutes les régions. Sans une gestion efficace de nos ressources hydriques, nous risquons
de voir les différends entre les communautés et les secteurs augmenter, de même
potentiellement que les tensions entre les pays.»2
5. Le Secrétaire général de l’ONU a souligné qu’«il [étai]t essentiel que les Membres des
Nations Unies coopèrent pour faire en sorte que l’eau soit partagée de façon équitable et utilisée de
manière durable», en gardant à l’esprit que «l’eau s’est avérée un moteur de la coopération entre les
pays, même [entre] ceux qui ne sont pas en bons termes». Il a ajouté que, en «Amérique du Sud, par
1 Requête introductive d’instance du Chili (ci-après la «requête»), 6 juin 2016, par. 5.
2 Organisation des Nations Unies (ONU), Conseil de sécurité, 7959e séance, 6 juin 2017, S/PV.7959, p. 2.
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- 2 -
exemple, le lac Titicaca, le plus grand lac d’eau douce du continent, [étai]t depuis longtemps une
source de coopération entre la Bolivie et le Pérou»3.
6. A cette même réunion, le président de la Bolivie, Evo Morales, a rappelé que «le Programme
de développement durable à l’horizon 2030 insist[ait] sur la nécessité de garantir à toute l’humanité
l’accès à l’eau et à l’assainissement de manière universelle et équitable»4. Il a fait observer que de
nombreux peuples autochtones vivaient dans des régions rurales et que «l’eau a[vait] toujours été
considérée comme source de vie, comme un bien commun qui appart[enai]t à tout le monde et … à
personne en particulier, et comme l’élément nutritif de la Terre nourricière [devant] être respecté et
préservé»5. Il a également souligné que l’eau était «essentielle à la vie de toutes les personnes et de
tous les êtres vivants, ainsi que pour l’équilibre et la survie de la Terre nourricière» et devait être
«adéquatement protégée, dans toutes les sources et toutes les réserves, de la pollution, des
catastrophes provoquées par les changements climatiques et de la surexploitation à des fins non
essentielles»6. Le président de la Bolivie a ajouté que les Etats devaient
«envisager de conclure des accords de gouvernance qui mettent l’accent sur la pérennité
et la viabilité des ressources hydriques transfrontières, en prévoyant la constitution de
mécanismes institutionnels qui veillent à un usage et une exploitation raisonnables
desdites ressources»7.
7. La Constitution bolivienne de 2009 énonce que les ressources naturelles du pays revêtent
un caractère stratégique et sont d’intérêt public, et reconnaît l’eau comme un droit fondamental à la
vie dont l’exercice s’inscrit dans le cadre de la souveraineté du peuple, en harmonie avec la Terre
nourricière8. L’Etat assure la conservation, la préservation et la protection de ces ressources afin de
garantir que l’eau est utilisée, en priorité, comme source de vie9. Les ressources hydriques, aussi bien
les eaux de surface que les eaux souterraines, constituent des ressources vulnérables et stratégiques
qui ne sont pas inépuisables. S’agissant des eaux fossiles, glaciaires, souterraines et des zones
humides, l’Etat doit garantir leur conservation, leur protection, leur préservation, leur restauration,
leur utilisation durable et leur gestion globale10.
8. La Constitution bolivienne établit également qu’en tant qu’Etat souverain «la Bolivie est un
Etat pacifiste qui promeut une culture de paix … ainsi que la coopération entre les peuples à l’échelle
régionale et mondiale afin de contribuer à la compréhension mutuelle [et] au développement
équitable, … en respectant pleinement la souveraineté des Etats»11. En ce qui concerne la conduite
3 Organisation des Nations Unies (ONU), Conseil de sécurité, 7959e séance, 6 juin 2017, S/PV.7959, p. 2.
4 Ibid., p. 4.
5 Ibid., p. 4.
6 Ibid., p. 5.
7 Ibid., p. 5.
8 Articles 348.II, 16.I, 373.I de la Constitution de l’Etat Plurinational de Bolivie, publiée au journal officiel le
7 février 2009. Accessible à l’adresse : https://www.constituteproject.org/constitution/Bolivia_2009.pdf.
9 Article 374.I de la Constitution de l’Etat Plurinational de Bolivie, publiée au journal officiel le 7 février 2009.
Accessible à l’adresse : https://www.constituteproject.org/constitution/Bolivia_2009.pdf.
10 Article 374.III de la Constitution de l’Etat Plurinational de Bolivie, publiée au journal officiel le 7 février 2009.
Accessible à l’adresse : https://www.constituteproject.org/constitution/Bolivia_2009.pdf.
11 Article 10.I de la Constitution de l’Etat Plurinational de Bolivie, publiée au journal officiel le 7 février 2009.
Accessible à l’adresse : https://www.constituteproject.org/constitution/Bolivia_2009.pdf.
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des relations internationales, l’un des principes directeurs établi expressément par la Constitution est
celui de la «[c]oopération et [de la] solidarité entre les Etats et les peuples»12.
C. REJET DES DEMANDES DU CHILI DEVANT LA COUR
9. Dans sa requête, le Chili indique que le différend porte sur «la nature du système
hydrographique du Silala en tant que cours d’eau international et [sur] ses [propres] droits en qualité
d’Etat riverain»13 et demande à la Cour «de se prononcer sur la nature du système hydrographique
du Silala en tant que cours d’eau international ainsi que sur les droits et obligations qui en découlent
pour les Parties en vertu du droit international»14. Dans son mémoire, le Chili
«pri[e] la Cour de juger qu’il est en droit d’utiliser de manière équitable et raisonnable
les eaux du Silala et que, selon le critère d’utilisation équitable et raisonnable, il est en
droit de maintenir l’usage qu’il en fait actuellement. Le différend porte aussi sur les
obligations incombant à la Bolivie du fait du statut de cours d’eau international du
système hydrographique du Silala.»15
10. Dans le présent contre-mémoire, la Bolivie démontrera que la cause du Chili est fondée
sur une déformation et une simplification excessive de la véritable nature des sources de Silala et de
leurs eaux. Le Chili soutient que ces sources et eaux constituent, dans leur ensemble, un cours d’eau
international. Ce faisant, le Chili ne tient pas compte du fait que ces eaux, qui proviennent
principalement de sources situées en territoire bolivien, ont été drainées et canalisées par l’homme
afin de générer le débit et le volume d’écoulement artificiels actuels. Il fait également abstraction de
la complexité et de la nature spécifique des eaux du Silala ainsi que du fait que cette nature détermine
quelles règles sont applicables à ces eaux en droit international coutumier.
11. La Bolivie expliquera également que, pour déterminer la nature des eaux du Silala, il faudra
se fonder sur des évaluations techniques et scientifiques qui tiennent dûment compte des manières
dont le droit international coutumier définit et comprend la notion de cours d’eau international16.
12. Les études scientifiques qui présentent un intérêt pour l’affaire, en particulier les rapports
d’experts soumis par la Bolivie et le Chili, apportent la preuve que des améliorations artificielles ont
été réalisées, ce qui permet de conclure que les eaux du Silala font partie d’un cours d’eau
artificiellement amélioré.
13. Une étude récente menée par l’institut danois d’hydraulique (DHI, selon son sigle anglais)
à la demande de la Bolivie indique, en particulier, qu’au point de franchissement de la frontière avec
le Chili le débit actuel des eaux de surface est évalué à environ 160 à 210 litres par seconde (l/s),
12 Article 255.II.5 de la Constitution de l’Etat Plurinational de Bolivie, publiée au journal officiel le 7 février 2009.
Accessible à l’adresse : https://www.constituteproject.org/constitution/Bolivia_2009.pdf.
13 Requête, par. 41.
14 Requête, p. 5.
15 Mémoire du Chili (ci-après «MC»), par. 1.5.
16 Contre-mémoire de la Bolivie (ci-après «CMB»), par. 24.
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dont 30 à 40 %  soit de 64 à 84 l/s  peuvent être directement attribués aux améliorations générées
par les chenaux et systèmes de drainage artificiels mis en place sur le site du Silala en Bolivie17.
14. Etant donné qu’en droit international coutumier un cours d’eau international s’entend de
l’écoulement naturel transfrontière des eaux, les règles coutumières relatives à l’utilisation des cours
d’eau internationaux ne s’appliquent pas aux eaux du Silala qui s’écoulent artificiellement18.
15. Dans son mémoire, le Chili dit aussi qu’il «est en droit d’utiliser de manière équitable et
raisonnable les eaux du système hydrographique du Silala, conformément au droit international
coutumier» et que, «selon le critère d’utilisation équitable et raisonnable, [il] est en droit d’utiliser
comme il le fait actuellement les eaux du Silala»19.
16. S’agissant de l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Silala, la Bolivie soutient
que les demandes du Chili devraient être rejetées. Outre qu’elles voudraient viser sans distinction
toutes les eaux du Silala et non uniquement celles qui s’écoulent naturellement, ces demandes ne
tiennent pas compte des droits de la Bolivie relativement à ces eaux. L’utilisation actuelle que fait le
Chili des eaux du Silala qui s’écoulent naturellement est sans préjudice du droit concurrent qu’a la
Bolivie d’utiliser ces eaux de manière équitable et raisonnable20.
17. En outre, le Chili soutient que, au regard du droit international coutumier relatif aux cours
d’eau internationaux, «la Bolivie est tenue de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir
et limiter la pollution et autres formes de préjudice que causent au Chili les activités qu’elle mène à
proximité du Silala»21 et qu’elle
«est tenue de coopérer et de [lui] notifier … en temps utile les mesures projetées qui
sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des ressources en eau partagées, de
procéder à l’échange de données et d’informations, et de réaliser au besoin une
évaluation de l’impact sur l’environnement»22.
18. Ces demandes devraient également être rejetées. En lieu et place, la Bolivie prie la Cour
de déclarer que le Chili et elle-même sont tous deux tenus de prendre toutes les mesures appropriées
pour ne pas causer de dommages transfrontières importants à l’environnement, et que tous deux sont
tenus de coopérer et de notifier à l’autre, en temps utile, les mesures projetées qui sont susceptibles
d’avoir un effet préjudiciable important sur les eaux du Silala qui s’écoulent naturellement, et de
procéder à l’échange de données et d’informations, et de réaliser au besoin des évaluations de
l’impact sur l’environnement.
17 Danish Hydraulic Institute (DHI), Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du
Silala, 2018, p. 41, CMB, vol. 2, annexe 17.
18 CMB, par. 80-108.
19 MC, p. 107, conclusions, al. b) et c).
20 Dans son mémoire, le Chili reconnaît qu’il a des «obligations à l’égard de la Bolivie» (MC, par. 5.3) et que ses
demandes sont sans préjudice d’une «quelconque utilisation future que la Bolivie pourrait faire du Silala» (MC, par. 1.3 d)
et par. 6.5). Toutefois, dans ses conclusions, il ne fait aucunement mention des droits de la Bolivie.
21 MC, p. 107, conclusions, al. d).
22 Ibid., al. e).
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19. Pour contester l’allégation qu’avance le Chili, à savoir que la Bolivie n’a pas respecté son
«[obligation] de [le] consulter … et celle de lui donner notification pour ce qui concerne les activités
susceptibles d’avoir une incidence sur les eaux du Silala ou l’utilisation [qu’il en fait]»23, la Bolivie
démontrera que cette allégation n’a pas été prouvée de manière crédible.
D. DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA BOLIVIE
20. Dans le présent contre-mémoire, la Bolivie soumet trois demandes reconventionnelles qui,
conformément à l’article 80 du Règlement de la Cour, sont en connexité directe avec l’objet des
demandes du Chili et relèvent de la compétence de la Cour. Ces demandes reconventionnelles sont
les suivantes : i) la Bolivie détient la souveraineté sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels
du Silala qui sont situés sur son territoire et a le droit de décider si ceux-ci doivent être entretenus et
de quelle manière ; ii) la Bolivie détient la souveraineté sur les eaux du Silala dont l’écoulement a
été artificiellement aménagé, amélioré ou créé sur son territoire, et le Chili n’a pas droit à une
quelconque portion de cet écoulement artificiel ; et iii) toute fourniture, par la Bolivie au Chili,
d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala, ainsi que les conditions et modalités d’une telle
fourniture, notamment la redevance à verser, sont soumises à la conclusion d’un accord avec la
Bolivie.
21. La Bolivie fait également observer que ses demandes sont sans préjudice de tout autre grief
qu’elle pourrait formuler concernant l’utilisation passée des eaux du Silala par le Chili.
E. STRUCTURE DU PRÉSENT CONTRE-MÉMOIRE
22. Le présent contre-mémoire comprend le volume 1, divisé en six chapitres, et quatre
volumes d’annexes.
23. A la suite de ce chapitre d’introduction, le chapitre 2 présentera les faits pertinents en ce
qui concerne la nature des eaux du Silala. Le chapitre 3 s’intéressera à la qualification de ces eaux
selon les règles applicables du droit international. Le chapitre 4 traitera des conséquences juridiques
du statut du Silala en tant que cours d’eau artificiellement amélioré en droit international coutumier.
Au chapitre 5, il sera démontré que la Bolivie n’a pas manqué à ses obligations de consulter le Chili
et de lui notifier les activités susceptibles d’avoir des effets importants sur les eaux du Silala qui
s’écoulent naturellement. Le chapitre 6 sera consacré aux demandes reconventionnelles de la Bolivie.
Pour terminer, la Bolivie présentera ses conclusions à la Cour.
23 MC, p. 107, conclusions, al. e).
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CHAPITRE 2
CONTEXTE FACTUEL DES EAUX DU SILALA
24. La réponse à la question de savoir si certaines eaux constituent un cours d’eau international
au sens du droit international dépend de leurs «caractéristiques géographiques» et d’autres «facteurs
physiques»24. Il est donc nécessaire d’établir la nature physique des eaux du Silala pour déterminer
quelles règles leur sont applicables.
A. TRAVAUX CONJOINTS VISANT À ÉTABLIR LA NATURE DES EAUX DU SILALA
ET À PARVENIR À UN ACCORD SUR LEUR UTILISATION
25. Dans son mémoire, le Chili fait fond sur des interprétations erronées de la cartographie
bolivienne et de procès-verbaux et déclarations concernant les eaux du Silala. La Bolivie ne peut
accepter ces prétentions. A l’époque où les documents en question ont été élaborés, les deux Etats ne
disposaient pas de preuves scientifiques suffisantes pour établir avec précision la nature des eaux du
Silala. Par conséquent, la Bolivie mettra l’accent sur les travaux que les Parties ont réalisés plus
récemment à cette fin.
26. Les travaux menés par la Bolivie et le Chili en vue d’établir la nature exacte des eaux du
Silala s’inscrivent dans un processus continu, qui a débuté avant la présente procédure. Comme le
Chili lui-même le reconnaît dans son mémoire, cette question divise les deux pays depuis 199925.
27. En septembre 1999, en réponse à la note verbale dans laquelle le Chili affirmait que le
Silala est «un cours d’eau international successif, dont l’utilisation … [est régie] par le droit
international»26, la Bolivie a fait valoir que les eaux des sources de Silala, d’où provient l’écoulement
de surface, créaient des «zones humides d’où elles sont captées et canalisées au moyen d’ouvrages
artificiels, formant un système qui ne présente aucune des caractéristiques d’une rivière, ni, à plus
forte raison, d’un cours d’eau international successif»27. Le Chili a ensuite déclaré que les eaux du
Silala constituaient «une rivière binationale ou dont les eaux sont partagées … au sens ordinaire de
ce terme en droit international»28.
28. Cette divergence de vues a conduit la Bolivie et le Chili à nouer, pour reprendre les termes
employés par celui-ci, des «liens de collaboration» qui ont abouti à la création d’une «commission
technique conjointe» en 2000. Les discussions se sont poursuivies en 2004 «dans le cadre du groupe
de travail sur la question du Silala»29 où, «[e]ncore une fois, les deux Etats sont convenus d’effectuer
24 Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 95, par. 2) et 3) du
commentaire du projet d’article 2. Sur la définition des cours internationaux en droit international coutumier, voir CMB,
par. 93-102.
25 MC, p. 40, par. 3.8 et suiv. Pour les échanges diplomatiques entre les Parties qui ont commencé en 1999, voir
MC, vol. II, annexes 27 et suiv.
26 Note no 474/71 en date du 20 mai 1999 adressée au ministère des affaires étrangères et des cultes de la République
de Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz. MC, vol. 2, annexe 26.
27 Note no GMI-656/99 en date du 3 septembre 1999 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le ministère
des affaires étrangères et des cultes de la République de Bolivie. MC, vol. 2, annexe 27.
28 Note no 017550 en date du 15 septembre 1999 adressée au ministère des affaires étrangères et des cultes de la
République de Bolivie par le ministère des affaires étrangères de la République du Chili. MC, vol. 2, annexe 28.
29 MC, p. 43, par. 3.16 et suiv.
17
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des études techniques et scientifiques communes afin de déterminer la nature, l’origine et le débit
des eaux du Silala»30.
29. En mars 2004, les ministres des affaires étrangères des deux pays sont convenus de mettre
en place une commission technique conjointe pour échanger leurs points de vue sur le Silala. La
première réunion de cette commission a eu lieu en mai 200431. A cette occasion, les Parties :
«ont reconnu la nécessité de mener des études techniques et scientifiques permettant de
déterminer la nature, l’origine et le débit des eaux du Silala, afin d’établir ainsi une base
scientifique qui serait mise à la disposition de leurs gouvernements respectifs. En outre,
les délégations se sont mutuellement informées des conclusions auxquelles étaient
parvenues les études préliminaires que chacune avait menées à ce jour.
De plus, les deux délégations sont convenues que les organismes techniques des
deux pays devaient dès à présent mener dans la région du Silala des études conjointes
portant sur les aspects suivants :
1) Topographie, géodésie et cartographie, à charge des organismes pertinents de
chacun des pays
2) Analyse géologique
3) Analyse géomorphologique
4) Analyse hydrologique
5) Evaluation hydraulique des ouvrages existants
6) Explorations géophysiques et hydrogéologiques.»32
30. Les deux délégations ont également arrêté que :
«les études techniques et scientifiques viseraient à déterminer la nature des eaux du
Silala et leur écoulement. Elles devraient permettre de dégager des conclusions sur les
aspects suivants :
1) Origine des ressources en eau du Silala
2) Incidence des ouvrages hydrauliques qui ont été réalisés
3) Détermination de l’écoulement et du volume des eaux de surface et des eaux
souterraines du Silala
4) Potentiel des ressources en eau du Silala
30 CM, p. 45-46, par. 3.22. Voir aussi p. 43-44, par. 3.17-3.18, en ce qui concerne les travaux effectués en 2000 et
2001.
31 Procès-verbal de la première réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala, 6 mai 2004.
MC, vol. 2, annexe 21.
32 Procès-verbal de la première réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala, 6 mai 2004
(les italiques sont de nous). MC, vol. 2, annexe 21. Voir aussi communiqué de presse du ministère des affaires étrangères
de la Bolivie en date du 1er octobre 2010. MC, vol. 3, annexe 52.
19
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5) Impact sur l’environnement
6) Bilan hydrique
7) Volumes de recharge et de décharge
8) Direction et vitesse de l’écoulement
9) Relation entre les eaux de surface et les eaux souterraines
10) Zones de recharge et de décharge de l’aquifère du Silala.»33
31. A la même réunion,
«[l]a délégation chilienne … a déclaré que la nature des eaux serait déterminée par les
études pertinentes, l’étude que pourrait entreprendre l’AIEA étant un autre bon moyen
d’étayer celles qui étaient prévues, sans préjudice de la possibilité de recourir à d’autres
organisations dignes de confiance telles que l’UNESCO ou à d’autres entités de bonne
réputation pour atteindre les objectifs fixés.
Les deux délégations sont convenues que l’étude technique et scientifique devrait
s’intituler «La nature et les caractéristiques des ressources en eau du Silala» et qu’elle
serait coordonnée par les ministères des affaires étrangères des deux pays.»34
32. En août 2004, le Chili a proposé un plan d’étude conjointe pour explorer la nature et les
caractéristiques des ressources en eau du Silala, y compris l’incidence de l’infrastructure hydraulique
sur le débit de l’eau sur le site du Silala35. Sur la base de cet accord, les Parties ont renouvelé en
janvier 2005 leur engagement d’aller de l’avant
«dans le cadre d’un programme de travail commun qui comprendrait la réalisation, des
deux côtés de la frontière, des études technico-scientifiques nécessaires pour déterminer
la nature, l’origine et l’écoulement des eaux de surface comme des eaux souterraines du
Silala»36.
La même approche a été suivie en juillet 2006, l’objectif étant de parvenir à une solution définitive,
pratique et satisfaisante pour les deux Parties sous la forme d’un accord préliminaire sur la question
de l’utilisation des eaux du Silala37.
33 Procès-verbal de la première réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala, 6 mai 2004.
MC, vol. 2, annexe 21.
34 Ibid.
35 Joint Study Profile submitted by Chile in August 2004, p. 20 et suiv. CMB, vol. 2, annexe 4.
36 Procès-verbal de la deuxième réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala, 20 janvier
2005. CMB, vol. 2, annexe 5.
37 Procès-verbal de la deuxième réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur les affaires bilatérales, 17 juillet
2006. MC, vol. 2, annexe 22.
21
- 9 -
33. A cette fin, le 10 juin 2008, les Parties ont décidé de s’employer à «approfondir l’étude
conjointe et coordonnée des aspects techniques, d’une part, et à rechercher un accord sommaire
immédiat sur les sujets faisant l’objet d’un consensus, d’autre part»38. Elles ont également
«convenu d’élaborer et de mettre en oeuvre un programme de travail commun dans la
région du Silala, afin de déterminer le bilan hydrique, le comportement hydrométrique,
la datation de l’eau, l’écoulement de surface et l’influence des ouvrages hydrauliques
sur le débit, notamment, en utilisant une méthodologie scientifiquement valable et
reconnue»39.
34. Une semaine plus tard, le 17 juin 2008, les Parties ont décidé
«qu’au cours des 60 jours à venir les conclusions de chacune [seraient] communiquées
à l’autre en vue de l’établissement d’un accord sommaire immédiat prenant en
considération la ressource hydrique dans ses utilisations existantes, les droits de chaque
pays et les formes et mécanismes de son utilisation requis pour générer des bénéfices
économiques pour la Bolivie, en tenant compte de la durabilité de la ressource»40.
35. Plus tard dans l’année, le 14 novembre 2008, les représentants des deux pays se sont de
nouveau réunis pour envisager l’élaboration d’un accord provisoire concernant l’utilisation des eaux
qui servirait de fondement à un accord définitif par lequel les Parties détermineraient les
pourcentages d’eaux librement disponibles pour chacune d’elles, étant entendu que
«[l]es eaux librement disponibles en Bolivie et non utilisées dans ce pays [pourraient]
être mises à disposition pour être utilisées au Chili, ce pourquoi il [était] indispensable
de convenir d’un mécanisme permettant de constituer des droits d’exploitation à la
frontière, ainsi que de déterminer la valeur correspondant à leur utilisation exclusive»41.
36. Le 28 juillet 2009, la Bolivie et le Chili sont parvenus à un consensus sur le texte d’un
«accord initial» concernant le Silala42 dans lequel ils sont provisoirement convenus, notamment, des
points suivants : a) l’utilisation des eaux du Silala dont la Bolivie dispose librement et qui sont
prélevées sur son territoire et acheminées au Chili donnera lieu à une redevance au profit de la Bolivie
de la part des personnes morales chiliennes concernées43 ; b) un pourcentage (50 %) des eaux de
surface du Silala revient à la Bolivie et est librement disponible dans ce pays, ce pourcentage pouvant
être accru sur la base de futures études conjointes44 ; c) les Parties déterminent l’influence des
ouvrages hydrauliques sur le débit avant de parvenir à un accord final45 ; d) la Bolivie autorise
l’utilisation sur le territoire chilien des eaux du Silala dont elle dispose librement, et tout différend
38 Procès-verbal de la troisième réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala, 10 juin 2008.
MC, vol. 2, annexe 23.
39 Ibid.
40 Minutes of the XVIII Meeting of the Bolivia-Chile Political Consultation Mechanism, 17 June 2008. CMB,
vol. 2, annexe 6.
41 Procès-verbal de la quatrième réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala, 14 novembre
2008. CMB, vol. 2, annexe 7.
42 Accord initial [Silala ou Siloli], projet du 28 juillet 2009. CMB, vol. 2, annexe 8.
43 Ibid., art. 3.
44 Ibid., art. 6.
45 Ibid., art. 9.
22
- 10 -
pouvant survenir entre elle-même et la personne morale chilienne concernée est réglé devant ses
autorités et conformément à sa législation46.
37. Dans cet accord initial, les Parties ont aussi précisé que des études supplémentaires sur la
nature du «système hydrographique du Silala» étaient attendues et nécessaires, et seraient entreprises
conjointement «afin de parvenir à une meilleure compréhension [du] fonctionnement et de [la]
nature» de ce système47. Enfin, au quatrième paragraphe du préambule, les Parties ont décidé que
toute autre question relative au Silala serait traitée dans le futur accord48.
38. En novembre 2009, le groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala a modifié
l’accord initial et élaboré un second projet, dans lequel les deux Parties ont laissé ouvertes «d’autres
questions que chacune [d’elles] pourrait avoir intérêt à discuter au cours de la négociation du nouvel
accord à long terme»49 concernant le Silala, et ont décidé, notamment, de mener des études conjointes
pour définir la nature du système hydrographique du Silala.
39. Le projet d’accord n’a pas pu être achevé et conclu. Conformément au quatrième
paragraphe du préambule de l’accord initial, en juillet 2010, la Bolivie a soulevé la question de la
redevance que le Chili lui verserait pour l’utilisation passée des eaux du Silala50. Les Parties ont
décidé que le groupe de travail sur le Silala devait être informé de toutes les propositions faites à la
suite de la diffusion de l’accord initial, les analyser et y répondre, et soumettre un rapport au
mécanisme de consultations politiques51. La réunion de ce groupe de travail a eu lieu en octobre
2010. La Bolivie a proposé que l’accord intègre un article transitoire permettant les négociations sur
la redevance due pour l’utilisation passée des eaux du Silala par le Chili. Celui-ci a refusé de signer
le procès-verbal de la réunion52 et n’a pas convoqué la troisième réunion du mécanisme de
consultations politiques, alors qu’il était convenu auparavant de la tenir en novembre 2010.
40. La Bolivie a ensuite convié le Chili à tenir une réunion du groupe de travail le 12 septembre
2011 à La Paz53. Le Chili n’a pas répondu. Il a ignoré de même une autre invitation, envoyée en mai
201254, proposant qu’il soit procédé à une visite technique conjointe sur le site du Silala.
B. ETAT DES CONNAISSANCES SUR LE SILALA
41. Le Silala est un système complexe de ressources en eaux de surface et souterraines
chenalisées qui franchit la frontière entre la Bolivie et le Chili. Ainsi qu’il a été exposé
précédemment, il est évident que les Parties, estimant que cela est nécessaire pour régler le différend
46 Accord initial [Silala ou Siloli], projet du 28 juillet 2009, art. 15. CMB, vol. 2, annexe 8.
47 Ibid., art. 5.
48 Ibid., préambule, par. 4.
49 Accord initial [Silala ou Siloli], projet du 13 novembre 2009. CMB, vol. 2, annexe 9.
50 «Everything will be done after signing the Initial Agreement», La Razón, La Paz, 30 août 2009. CMB, vol. 2,
annexe 16.
51 Minutes of the Twenty-Second Meeting of the Bolivia-Chile Political Consultation Mechanism, 14 July 2010.
MC, vol. 2, annexe 24.
52 Accord initial [Silala ou Siloli], projet du 28 juillet 2009. CMB, vol. 2, annexe 8.
53 Note no VRE-DGRB-UAM-018880/2011 en date du 29 août 2011 adressée au consulat général du Chili à La Paz
par le ministère des affaires étrangères de Bolivie. CMB, vol. 2, annexe 11.
54 Note no VRE-DGRB-UAM-009901/2012 en date du 24 mai 2012 adressée au consulat général du Chili à La Paz
par le ministère des affaires étrangères de Bolivie. CMB, vol. 2, annexe 12.
23
24
- 11 -
concernant le statut et l’utilisation du Silala et pour définir leurs droits et obligations respectifs,
s’efforcent depuis des années de mieux connaître la nature des eaux du Silala et de déterminer
l’incidence des installations artificielles dont celui-ci a fait l’objet.
42. Les rapports d’experts soumis par les deux Parties dans la présente instance aident
assurément à mieux comprendre encore comment fonctionne le Silala, ce qui permettra de déterminer
quelles règles du droit international sont applicables. Ce que l’on sait à présent grâce à ces rapports
au sujet des eaux du Silala et de l’incidence des installations artificielles sur leur débit vient confirmer
dans une large mesure, comme il sera démontré dans ce chapitre, la position de la Bolivie, à savoir
que le Silala est un cours d’eau artificiellement amélioré55.
43. Le Silala se situe en haute altitude sur l’Altiplano, zone montagneuse sèche de la puna, à
proximité du désert extrêmement aride d’Atacama. Cette région se caractérise par de faibles
précipitations, de basses températures et un fort potentiel d’évaporation56. Le bassin versant
topographique du Silala couvre une superficie d’environ 59,1 km2 en Bolivie, où dominent des
écoulements souterrains qui génèrent un écoulement de surface négligeable57 (figure 1).
Figure 1. Bassin versant topographique du Silala en Bolivie
(source : annexe A, dans DHI, rapport final)
55 La Bolivie considère qu’il n’est pas nécessaire de commenter toutes les caractérisations hydrologiques,
hydrogéologiques, topographiques, écologiques et autres du Silala que le Chili a présentées dans son mémoire. Elle ne
traitera que celles qui sont utiles pour comprendre et déterminer la nature du Silala au regard du droit international.
56 Selon des études menées récemment en Bolivie, les précipitations annuelles sur le site du Silala sont très faibles
et atteignent en moyenne 125 mm/an. La température annuelle moyenne est de 2,2 °C et l’évapotranspiration potentielle
annuelle est d’environ 1472 mm/an. Voir DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du
Silala, 2018, p. 14. CMB, vol. 2, annexe 17. Voir également Annex B: Climate Analysis, dans DHI, Etude des écoulements
dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 17-18, 21. CMB, vol. 2, annexe 17.
57 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 25. CMB, vol. 2,
annexe 17. Voir également annexe A : Bassin versant du Silala, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones humides
et le système de sources du Silala, 2018, p. 10. CMB, vol. 2, annexe 17.
25
26
- 12 -
44. En territoire bolivien, la gorge du Silala, qui présente un profil en «U», a été créée par
l’érosion fluvioglaciaire58 (figure 2). Elle traverse la frontière entre le Chili et la Bolivie à environ
4 km en aval du bofedal sud à 150 m de dénivelé par rapport aux sources supérieures59 selon une
pente d’environ 3,7 %. La topographie et la géologie de l’Altiplano se caractérisent par des volcans
et d’épais dépôts de matériaux pyroclastiques appelés ignimbrites. En raison du climat et de
l’altitude, la végétation dominante est un couvert d’herbes épars et clairsemé sur les plaines et les
pentes des volcans60.
Figure 2. Profil en «U» de la gorge principale du Silala en Bolivie
(source : DIREMAR, 2018)
45. Les zones humides du bassin versant du Silala en Bolivie sont situées à plus de 4320 mètres
au-dessus du niveau de la mer. On les décrit comme des marécages avec plantes en coussinet, appelés
bofedales dans la région andine, formés de couches de tourbe de plantes en décomposition du genre
Distichia (figure 3). Au fil du temps, des couches de tourbe de dépôts organiques se forment dans
ces zones humides, pouvant atteindre plusieurs mètres de profondeur61. Les chercheurs décrivent les
bofedales comme des «tourbières … qui n’ont pas leur pareil sur la planète», avec des «éléments
hydrographiques uniques, extrêmement fragiles et sensibles aux changements climatiques et aux
58 Ramsar Convention Secretariat, Report Ramsar Advisory: Mission No 84, Ramsar Site Los Lípez, Bolivia, 2018,
p. 16. CMB, vol. 5, annexe 18.
59 Annexe A : Bassin versant du Silala, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de
sources du Silala, 2018, p. 6. CMB, vol. 2, annexe 17.
60 Appendix A2: Final Report, annexe D : Analyses pédologiques, p. 3, p. 19, dans DHI, Etude des écoulements
dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018. CMB, vol. 3, annexe 17.
61 G. Skrzypek, Z. Engel, T. Chuman, L. Šefrna, «Distichia Peat — A New Stable Isotope Paleoclimate Proxy for
the Andes», Earth and Planetary Science Letters, 2011, vol. 307, p. 298-308.
27
- 13 -
perturbations anthropiques»62. Dans leur état naturel, les bofedales «révèlent l’existence de nappes
phréatiques élevées et d’un fond de vallée inondé en permanence»63.
Figure 3. Partie excavée et coupe verticale de tourbière au bord d’une parcelle de zone humide
intacte dans le bofedal nord (source : annexe C, dans DHI, rapport final)
46. Ces zones humides sont vulnérables aux variations, notamment climatiques, et ont besoin
d’un approvisionnement en eau fiable, constant et durable pour maintenir des conditions
hydrologiques adéquates. Dans le bassin versant du Silala en territoire bolivien, on trouve des
bofedales aussi bien dans la gorge sud (Orientales) (figure 4) que dans la gorge nord (Cajones)
(figure 5), qui sont fonction de la topographie et de l’écoulement d’eaux souterraines provenant
principalement de sources64.
62 A. F. Squeo, G. B. Warner, R. Aravena, D. Espinoza, «Bofedales: High Altitude Peatlands of the Central
Andes», Revista Chilena de Historia Natural, 2006, vol. 79, p. 245.
63 C. Latorre et M. Frugone, Holocene Sedimentary History of the Río Silala (Antofagasta Region, Chile), 2017,
MC, vol. 5, annexe IV.
64 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 12. CMB, vol. 2,
annexe 17.
28
- 14 -
Figure 4. Bofedal sud en Bolivie (source : DIREMAR, 2017)
29
- 15 -
Figure 5. Bofedal nord en Bolivie (source : DIREMAR, 2017)
47. Le Silala est une ressource hydrique alimentée par des eaux souterraines, qui reçoit du
ruissellement de surface du bassin versant un apport peu important par rapport à celui qui provient
des eaux souterraines stagnantes ou dont l’écoulement varie lentement. La zone où sont
30
31
- 16 -
potentiellement accumulées les eaux souterraines qui s’acheminent vers le Silala fait partie d’un
bassin hydrographique d’une superficie d’environ 234,2 km2 situé dans la région du Silala65
(figure 6). L’âge de ces eaux est estimé entre 1000 et 11 000 ans66, et il n’est pas exclu qu’il s’agisse
d’eaux souterraines fossiles non renouvelables67. Les eaux de surface et souterraines s’écoulent
généralement vers l’ouest68. Actuellement, l’eau circule par un chenal artificiellement amélioré et
traverse la frontière entre la Bolivie et le Chili à un débit variable d’environ 160 à 210 l/s69. Le débit
des eaux souterraines du bassin versant du Silala est estimé à 100 l/s70.
C. AMÉLIORATION ARTIFICIELLE DU SILALA
48. En 1908, l’Antofagasta (Chili) and Bolivia Railway Company Limited (ci-après la
«compagnie de chemin de fer»), société privée de capital chilien constituée au Royaume-Uni, a
obtenu une concession de la préfecture du département de Potosí en Bolivie71. Afin d’exploiter sa
concession, elle a construit un dessableur (figure 7) et installé une canalisation de 56 km72 en 1910
pour acheminer l’eau à un débit approximatif de 76 l/s73 depuis la confluence des gorges nord et sud
en Bolivie jusqu’à la gare de San Pedro au Chili74.
65 Annexe A : Bassin versant du Silala, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de
sources du Silala, 2018, p. 9. CMB, vol. 2, annexe 17.
66 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 2. CMB, vol. 2,
annexe 17.
67 Appendix A2: Final Report, annexe D : Analyses pédologiques, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones
humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 85. CMB, vol. 3, annexe 17.
68 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 28. CMB, vol. 2,
annexe 17.
69 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 26 et 41. CMB,
vol. 2, annexe 17.
70 «Selon les résultats de modélisation en champ proche, les eaux souterraines qui franchissent la frontière sur une
largeur de 450 m de part et d’autre de la gorge s’écouleraient actuellement à un débit de l’ordre de 100 l/s», dans DHI,
Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 41. CMB, vol. 2, annexe 17.
71 Acte de concession (no 48), par la Bolivie, des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia
Railway Company Limited, en date du 28 octobre 1908. MC, vol. 3, annexe 41.
72 Robert H. Fox, «The Waterworks Department of the Antofagasta (Chili) & Bolivia Railway Company», South
African Journal of Science, 1922, p. 124. MC, vol. 3, annexe 75.
73 Un volume de 6600 m3 par jour, équivalant environ à 76 l/s, a été enregistré. Voir Robert H. Fox, «The
Waterworks Department of the Antofagasta (Chili) & Bolivia Railway Company», South African Journal of Science, 1922,
p. 124. MC, vol. 3, annexe 75.
74 Voir également Robert H. Fox, «The Waterworks Department of the Antofagasta (Chili) & Bolivia Railway
Company», South African Journal of Science, 1922, p. 124. MC, vol. 3, annexe 75.
32
- 17 -
Figure 6. Bassin hydrographique du Silala en Bolivie
(source : annexe A, dans DHI, rapport final)
Figure 7. Chenal principal et dessableur situé juste en contrebas de la confluence
des chenaux secondaires venant de la gorge nord (Cajones) à gauche et
de la gorge sud (Orientales) à droite (source : DIREMAR, 2018)
49. Dans les années 1920, la compagnie de chemin de fer a commencé à chenaliser les eaux
du Silala en installant des infrastructures en amont des bofedales boliviens et en creusant des chenaux
en terre, allant des sources supérieures des deux gorges jusqu’à la frontière avec le Chili, afin de
33
- 18 -
capter artificiellement l’eau des sources et des bofedales environnants et de l’acheminer de manière
plus efficace jusqu’en territoire chilien75.
50. Cette infrastructure artificielle comprend un chenal principal qui part de la confluence des
deux gorges du Silala (gorges nord et sud) en Bolivie (figures 8 et 9) et traverse la frontière jusqu’au
Chili. Le chenal principal est relié à deux chenaux principaux subsidiaires construits dans chacune
des gorges et à un dessableur situé à 700 m de la frontière, en territoire bolivien. Dans les deux
gorges, les deux chenaux principaux subsidiaires sont reliés à plusieurs petits chenaux latéraux et
systèmes de drainage artificiels qui sillonnent les bofedales. Ces chenaux latéraux et systèmes de
drainage sont directement reliés à chacune des multiples sources de Silala (plus d’une centaine) et
guident l’écoulement de ces sources vers les chenaux principaux subsidiaires des deux gorges,
contournant ainsi la majeure partie de l’habitat des bofedales (figures 10 et 11).
Figure 8. Ouvrage de pierres du chenal principal, à l’endroit où il reçoit l’eau acheminée
par les deux chenaux principaux subsidiaires venant de la gorge nord (Cajones)
et de la gorge sud (Orientales) (source : DIREMAR, 2018)
75 Muñoz, J. F., Suárez, F., Fernández, B., Maass, T., 2017. Hydrology of the Silala River Basin, p. 16-23. MC,
vol. 5, annexe VII.
34
- 19 -
Figure 9. Le chenal principal avant la frontière (source : DIREMAR, 2018)
51. Les principaux chenaux artificiels du Silala sont de différentes largeurs et profondeurs76.
Des chenaux secondaires et tertiaires ont également été creusés à la main afin de créer un vaste réseau
de drainage qui s’étende à l’ensemble des bofedales. La compagnie de chemin de fer a installé au
total, dans le bassin du Silala en Bolivie, environ 6600 mètres de chenaux, de canalisations et de
fossés revêtus77 qui ont artificiellement amélioré l’écoulement de l’eau vers le Chili (figures 12, 13
et 14).
76 Annexe G : Modélisation intégrée des eaux de surface et des eaux souterraine, dans DHI, Etude des écoulements
dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 24-27. CMB, vol. 5, annexe 17.
77 Ibid., p. 24. CMB, vol. 5, annexe 17.
35
- 20 -
Figure 10. Types de chenaux construits sur le site du Silala (source : DIREMAR, 2018)
36
- 21 -
Figure 11. Image satellite des types de chenaux construits sur le site du Silala
(source : DIREMAR, 2018)
37
- 22 -
Figure 12. Distribution et dimensions des chenaux dans la gorge sud (Orientales)
du Silala en Bolivie (source : annexe G, dans DHI, rapport final)
38
- 23 -
Figure 13. Distribution et dimensions des chenaux dans la gorge nord (Cajones)
du Silala en Bolivie (source : annexe G, dans DHI, rapport final)
39
- 24 -
Figure 14. Distribution et dimensions des chenaux dans le chenal principal
en contrebas de la confluence des deux gorges du Silala en Bolivie
(source : annexe G, dans DHI, rapport final)
52. Le schéma rectiligne et angulaire que dessinent ces ouvrages dans la zone témoigne du
caractère artificiel de l’infrastructure hydraulique installée en territoire bolivien (figures 15 et 16).
De plus, en 1942, la compagnie de chemin de fer avait achevé l’installation d’une autre canalisation
secondaire du Silala allant, sur 13 km, du dessableur construit en territoire chilien à 40 m de la
frontière78 jusqu’à la gare de San Pedro, pour acheminer au Chili les eaux générées par la
chenalisation.
78 Letter from the General Manager of FCAB in Chile to the Chairman of the Board of Directors of FCAB in
London, 3 September 1942. MC, vol. 3, annexe 68.
40
41
- 25 -
Figure 15. Vaste réseau de systèmes de drainage artificiels traversant les bofedales
dans la gorge nord (Cajones) du Silala en Bolivie (source : DIREMAR, 2017)
Figure 16. Chenaux rectilignes avec des angles bien définis dans la gorge nord (Cajones)
du Silala et végétation type d’un bofedal, habituellement florissante
mais peu abondante ici (source : DIREMAR, 2017)
53. Le réseau de chenalisation a été installé afin d’améliorer l’acheminement de l’eau du Silala
en territoire chilien, initialement dans le seul but d’alimenter en eau les locomotives à vapeur de la
compagnie de chemin de fer79. Au début des années 1960, ces locomotives avaient été remplacées
par des locomotives diesel. A cette date, toutefois, le Chili avait déjà décidé unilatéralement de
changer l’usage qu’il faisait de l’eau, l’utilisant plutôt pour des activités minières très hydrophages,
79 Acte de concession (no 48), par la Bolivie, des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia
Railway Company Limited, en date du 28 octobre 1908. MC, vol. 3, annexe 41.
42
- 26 -
en particulier l’extraction du cuivre, et pour l’approvisionnement de villages des environs80. Le
réseau de distribution d’eau était exploité par des opérateurs privés. L’infrastructure était nécessaire
pour créer un débit d’eau plus constant et volumineux à partir des sources de Silala en Bolivie, à
travers les bofedales denses, puis à travers la frontière jusqu’au Chili.
54. Afin d’accroître et de maximiser les débits d’eau dans les chenaux et les systèmes de
drainage, certaines parties de l’infrastructure, à savoir le fond et les parois de chaque chenal et
conduite, ont été revêtues de grandes pierres plates (figure 17). Dans certains cas, les chenaux et les
systèmes de drainage ont également été couverts de pierres plates ou remplacés par des tuyaux d’acier
afin de limiter davantage les pertes liées aux fuites et à l’évaporation81 (figure 18).
Figure 17. Source de Silala qui jaillit de la formation rocheuse
directement dans un chenal artificiel
(source : DIREMAR, 2016)
80 C. R. Rossi, «The Transboundary Dispute over the Waters of the Silala/Siloli: Legal Vandalism and Goffmanian
Metaphor», Stanford Journal of International Law, vol. 53, 2017, p. 62-63.
81 Hauser, A., 2004. Morphological, Geological, Tectonic, Hydrogeological and Hydrochemical Context:
Morphogenesis, Evolution and Modalities of Use of the Shared Chilean-Bolivian Hydropgrahic System. Service national
chilien de géologie et des mines (SERNAGEOMIN). MC, vol. IV, annexe II, appendice A, p. 21-22.
43
- 27 -
Figure 18. Conduite de drainage adjacente à une source de Silala qui jaillit
de la formation rocheuse (source : annexe C, dans DHI, rapport final)
55. La compagnie de chemin de fer a effectué la maintenance de l’infrastructure artificielle en
Bolivie jusqu’en 1997, et ce faisant elle a enlevé entièrement la végétation environnante82.
D. EFFETS ET CONSÉQUENCES DE L’AMÉLIORATION ARTIFICIELLE DU SILALA
56. Ainsi qu’il a été dit plus haut83, depuis 1999, la Bolivie et le Chili considèrent que, pour
régler la controverse, il est nécessaire de déterminer l’incidence, sur l’écoulement des eaux du Silala,
des installations artificielles situées sur le site. Dans son mémoire, le Chili précise que, selon les
experts qu’il a mandatés, «en raison de leur faible profondeur, les chenaux construits en territoire
bolivien ont eu un effet limité sur les zones humides Orientales et Cajones en Bolivie»84. S’il est vrai
que l’ampleur des effets de la chenalisation sur les sources de Silala, l’écoulement des eaux et les
zones humides de la Bolivie n’a pas encore été évaluée dans sa totalité, l’installation, l’exploitation
et la maintenance de ces chenaux ont cependant modifié, clairement et sensiblement, l’ensemble de
l’hydrologie, de l’hydrogéologie et de l’écologie du Silala en territoire bolivien.
82 Rapport d’experts 1, figure 7, p. 20, MC, vol. 1.
83 CMB, par. 26-39.
84 MC, par. 2.27.
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- 28 -
57. Dans son mémoire, le Chili soutient que «[l]es eaux du Silala s’écoulaient et continueront
de s’écouler naturellement du territoire bolivien en direction du Chili, constat qui vaut avant et après
la construction des chenaux et indépendamment de celle-ci»85. Il soutient en outre que le réseau de
chenaux et de systèmes de drainage a été construit «pour des raisons sanitaires»86 et que l’«effet que
peuvent avoir les chenaux sur le débit transfrontière en réduisant l’évaporation dans les zones
humides est par conséquent très limité : selon les calculs, l’équivalent de moins de 3,4 l/s, soit 2 %
de l’écoulement annuel moyen»87.
58. Ces affirmations simplistes mais catégoriques reposent sur des conjectures ainsi qu’un
contexte factuel et technique erroné. En particulier, le Chili ne tient pas compte du but ou des raisons
mêmes de la construction des chenaux, ni du fait que la chenalisation en Bolivie a grandement
modifié le bassin du Silala, en ayant une incidence importante sur le débit et le volume de ses eaux
en territoire bolivien.
59. La chenalisation en Bolivie a entraîné une augmentation de l’écoulement de l’eau
provenant des sources de Silala et d’autres sources diffuses, en raison de l’abaissement de la charge
hydraulique88. En amont, presque toutes les extrémités du réseau de drainage artificiel construit dans
les gorges nord et sud en Bolivie partent d’une source repérable. Aux points d’émergence de ces
sources, la terre et toutes les couches sous-jacentes de pierres et de matériaux plus grossiers ont été
entièrement retirées, parfois à l’aide d’explosifs89, afin d’accroître le drainage dans les chenaux. Par
conséquent, la résistance naturelle à l’émergence des eaux souterraines a été considérablement
réduite et le débit d’eau des sources a été augmenté.
60. Dans les conditions naturelles, avant la chenalisation, le volume d’eau jaillissant des
sources en surface était bien moindre qu’il ne l’est aujourd’hui, et la rétention des eaux souterraines
dans la formation de subsurface était plus importante que celle observée actuellement90. Les chenaux
et systèmes de drainage artificiels ont, de fait, créé des moyens plus directs et efficaces de capter
l’eau des sources et des bofedales pour l’acheminer au chenal principal du Silala puis à travers la
frontière entre la Bolivie et le Chili91.
61. Des traces de l’utilisation d’explosifs sont toujours clairement visibles à de nombreux
points d’émergence des sources en Bolivie92. Ces explosions semblent avoir servi à stimuler
l’écoulement de ces sources en réduisant ou en éliminant la résistance qu’opposaient les minces
fissures, la végétation et les couches de tourbe qui bloquaient naturellement la circulation de l’eau.
Ainsi, un grand nombre de points d’émergence de sources ont été considérablement modifiés par le
85 MC, par. 2.26.
86 Ibid., par. 2.25.
87 Ibid., par. 2.27.
88 Appendix A2: Final Report, annexe D : Analyses pédologiques, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones
humides et le système de sources du Silala, 2018, 2018, p. 18, CMB, vol. 3, annexe 17.
89 CMB, par. 61.
90 Les experts du Chili ont eux-mêmes affirmé que les «chenaux … construits … font office de canaux de drainage
et sont à même de recevoir les eaux des sols dans les zones humides». Rapport d’experts 1, section 2, p. 6, MC, vol. 1. La
conclusion logique qui peut être tirée de cette affirmation est que la chenalisation du Silala a entraîné une augmentation du
débit et du volume des eaux qui s’écoulent des sources et les bofedales de Bolivie en direction du Chili.
91 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 81. CMB, vol. 2,
annexe 17.
92 Annexe F : Hydrogéologie, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources
du Silala, 2018, p. 97-98. CMB, vol. 4, annexe 17.
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recours à l’abaissement, qui a permis d’augmenter le débit et le volume de l’eau s’écoulant de ces
sources. Ces modifications ont à leur tour entraîné un abaissement de la nappe à proximité immédiate
de chacune des sources et agrandi la zone de captage d’eau alimentant ces dernières93. Bien que les
changements subis par les sources de Silala ne puissent, à l’heure actuelle, être évalués avec précision
faute de données de référence, il ressort d’une étude de cas, dans laquelle des explosifs ont été utilisés
pour améliorer l’écoulement d’eau émergeant de roches ignées et métamorphiques fracturées de
manière similaire, que de telles techniques peuvent augmenter le débit d’exploitation des puits d’un
facteur de 6 à 2094 (figure 19).
Figure 19. Pierres au bord des chenaux et systèmes de drainage, qui montrent
que des explosifs ont été utilisés pour abaisser les sources et augmenter
leur écoulement (source : annexe F, dans DHI, rapport final)
62. De plus, et contrairement à ce qu’affirme le Chili, à savoir que «l’eau qui jaillit des sources
en Bolivie ne peut emprunter d’autre trajet que la pente descendante qui la mène jusqu’au Chili»95,
avant l’installation des chenaux artificiels, les eaux du Silala dans la région des bofedales boliviens
étaient relativement stagnantes, et l’écoulement de surface à travers la frontière était nettement
moindre qu’à l’heure actuelle. En témoignent les diverses mesures qu’a prises la compagnie de
chemin de fer lorsqu’elle a obtenu la concession de la Bolivie pour capter l’eau de la région
bolivienne du Silala vers le Chili.
63. Plus particulièrement, en mettant en place un système de prises d’eau et un réseau
complexe de chenaux et systèmes de drainage artificiels en territoire bolivien à proximité des
bofedales, la compagnie de chemin de fer voulait manifestement aller chercher les eaux du Silala qui
s’écoulaient lentement, et étaient autrement inatteignables, et améliorer leur circulation vers le Chili.
93 Annexe F : Hydrogéologie, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources
du Silala, 2018, p. 97-98. CMB, vol. 4, annexe 17.
94 F. G. Driscoll, «Blasting — It Turns Dry Holes into Wet Ones», Johnson Drillers’ Journal, novembre-décembre
1978, Johnson Division, UOP, Inc. St. Paul, MN, p. 3.
95 MC, par. 2.8, in fine.
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Comme il est indiqué dans l’acte de concession de 1908, le représentant officiel de la compagnie de
chemin de fer, Benjamín Calderón, a déclaré ce qui suit :
«La compagnie que je représente a besoin de ces eaux qui conviennent
relativement bien à l’alimentation de ses locomotives … Moyennant un système de
captage et de canalisations, qu’elle est disposée à mettre en place, la compagnie pourrait
utiliser les eaux des sources susmentionnées pour l’exploitation de sa ligne ferroviaire,
même si cela entraînerait un surcroît de dépenses.»96
64. Si, avant la chenalisation, le Silala avait traversé la frontière entre la Bolivie et le Chili
avec un débit et un volume suffisants pour répondre aux besoins et objectifs de la compagnie de
chemin de fer, on ne saurait expliquer pourquoi celle-ci aurait eu besoin de construire et d’installer
toute cette infrastructure en territoire bolivien, dans une région située en bordure du désert d’Atacama
qui, même de nos jours, est exceptionnellement isolée et extrêmement aride. Autrement dit, dans son
état naturel, avant la chenalisation, le Silala en Bolivie n’avait pas une forme d’écoulement ni un
débit ou un volume permettant de répondre aux besoins de la compagnie de chemin de fer ; d’où la
nécessité qu’avait celle-ci de le modifier et de l’améliorer artificiellement.
65. Cette conclusion est en outre étayée par l’acte de concession de 1908, qui précise
explicitement que c’est seulement «[m]oyennant un système de captage et de canalisations [que] la
compagnie pourrait utiliser les eaux des sources susmentionnées … même si cela entraînerait un
surcroît de dépenses»97. Si l’acte de concession prévoyait des travaux de chenalisation en Bolivie
afin de faciliter l’utilisation de l’eau du Silala au Chili, c’est parce que deux facteurs justifiaient cette
mesure: a) sans la prise d’eau et la chenalisation en territoire bolivien, le débit et le volume naturels
des eaux du Silala en Bolivie n’étaient pas suffisants pour l’utilisation que la compagnie de chemin
de fer voulait faire de ces eaux boliviennes au Chili ; et b) avant la chenalisation, les eaux du Silala
ne s’écoulaient pas naturellement à travers la frontière à un débit et à un volume suffisants pour servir
les buts recherchés. La chenalisation visait, à l’évidence, à accroître le volume d’eau disponible au
Chili.
66. En outre, si l’écoulement franchissant la frontière entre la Bolivie et le Chili avait été
suffisant avant la chenalisation, il n’aurait pas été nécessaire de revêtir à l’aide de pierres plates le
fond et les parois de certaines parties des chenaux et systèmes de drainage latéraux artificiels (ou
d’installer une canalisation en acier, comme dans le cas de certains chenaux). Une fois de plus, la
seule explication plausible est que, avant la chenalisation, les eaux du Silala en Bolivie stagnaient
dans les gorges abritant les zones humides du Silala en territoire bolivien, où elles subissaient dans
une large mesure un effet d’évaporation et d’infiltration partielle avant d’atteindre la frontière
chilienne. Contrairement à ce que laisse entendre le Chili, grâce à l’infrastructure, la compagnie de
chemin de fer a obtenu une forte augmentation du débit et du volume des eaux du Silala, rentabilisant
ainsi l’investissement coûteux de cette installation.
67. Cette conclusion est confirmée par l’acte de concession de 1908, qui dit également que
«les travaux envisagés permettront d’utiliser des eaux qui sont actuellement perdues et ne profitent
donc à personne»98. Il aurait été illogique que la compagnie de chemin de fer affirme que les eaux
étaient «perdues et ne profit[ai]ent donc à personne» sauf si 1) une partie des eaux du Silala en
territoire bolivien ne franchissait pas naturellement la frontière jusqu’au Chili, et 2) le débit et le
96 Acte de concession (no 48), par la Bolivie, des eaux du Siloli en faveur de l’Antofagasta (Chili) and Bolivia
Railway Company Limited, en date du 28 octobre 1908 (les italiques sont de nous). MC, vol. 3, annexe 41.
97 Ibid.
98 Ibid.
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volume des eaux qui traversaient cette frontière avant la chenalisation étaient largement plus faibles
que ceux obtenus après l’installation des chenaux et systèmes de drainage artificiels99.
68. Dans son mémoire, le Chili laisse maintenant entendre que la construction des chenaux et
systèmes de drainage artificiels en Bolivie a été effectuée principalement «pour des raisons
sanitaires … afin d’empêcher que les insectes se reproduisent dans les eaux d’amont du Silala et
d’éviter la contamination de l’eau potable alimentant Antofagasta»100. C’est là faire fi non seulement
du but initial de la chenalisation tel que consigné dans l’acte de concession de 1908101, mais aussi du
fait que l’infrastructure supplémentaire a été mise en place en 1928 pour «rénover et améliorer les
ouvrages de prise d’eau existants» qui étaient «utilisés depuis 17 ans … [et qui] s’étaient détériorés
et avaient grandement besoin d’être rénovés»102.
69. De plus, l’objectif «sanitaire» n’enlève rien au fait que l’installation de l’infrastructure a
donné lieu à une augmentation du débit et du volume de l’eau s’écoulant des zones humides du Silala
en Bolivie vers le Chili. Pour détruire les conditions favorisant la reproduction des insectes, la
compagnie de chemin de fer devait éliminer ou réduire de manière substantielle les eaux stagnantes
et la végétation dans les bofedales103. La chenalisation a permis d’atteindre exactement cet objectif.
Même les propres experts du Chili ont reconnu cet effet. Dans la description de l’infrastructure des
chenaux présentée dans le rapport d’experts 1 joint au mémoire du Chili, il est précisé que
«[l]’objectif, semble-t-il, était de fixer le chenal naturel afin de limiter au maximum l’érosion et de
drainer les eaux stagnantes»104 et que les «chenaux … construits … font office de canaux de drainage
et sont à même de recevoir les eaux des sols dans les zones humides»105. Comme il sera expliqué
ci-après, les chenaux et systèmes de drainage artificiels qui ont été installés dans les bofedales avaient
pour objectif délibéré de réduire dans une large mesure ces zones humides fragiles106, et ont eu par
conséquent une incidence sur l’habitat.
70. Lorsqu’ils ont créé leur modèle conceptuel pour le Silala, les experts de la Bolivie ont
cherché à évaluer l’incidence de la chenalisation sur l’écoulement des eaux de surface et souterraines.
Toutefois, compte tenu de l’absence de données de référence sur les conditions qui existaient avant
la chenalisation du Silala et du fait que celle-ci a considérablement modifié le bassin, ce modèle a
été basé sur les conditions actuelles du Silala sans l’infrastructure artificielle existante107. Il est estimé
99 Ce fait a été reconnu en 1996 par le vice-chancelier chilien, Mariano Fernandez, qui a affirmé que le Silala était
«une gorge de laquelle jaillissaient des eaux qui seraient inutiles si elles n’étaient pas canalisées … ce qui a été fait, à savoir
la construction de chenaux en pierre pour que les eaux s’écoulent de manière plus structurée, a permis d’empêcher que ces
eaux ne se perdent dans les zones humides». Voir «The Silala is not a matter of discussion for Chile», El Diario, La Paz,
28 mai 1996, CMB, vol. 2, annexe 14.
100 MC, par. 2.25.
101 CMB, par. 63.
102 Letter from the General Manager of FCAB in Chile to the Secretary of the Board of Directors of FCAB in
London, 27 January 1928. MC, vol. 3, annexe 67.1.
103 E. Oyague Passuni et M. S. Maldonado Fonkén, «Relationships between Aquatic Invertebrates, Water Quality
and Vegetation in an Andean Peatland System», Mires and Peat, vol. 15 (2014-2015), article 14, p. 1-21.
104 Rapport d’experts 1, p. 18-19. MC, vol. 1, p. 146-147.
105 Rapport d’experts 1, section 2, p. 6. MC, vol. 1, p. 134.
106 CMB, par. 72-73.
107 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 6. CMB, vol. 2,
annexe 17.
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que, dans les conditions actuelles, si les chenaux et systèmes de drainage étaient retirés108,
l’écoulement de surface du Silala diminuerait de 30 à 40 % par rapport à celui qui est observé
actuellement. En d’autres termes, de l’écoulement de surface actuel, pas moins de 64 à 84 l/s peuvent
être directement attribués aux améliorations artificielles situées sur le site du Silala en Bolivie. Cette
estimation tient compte de l’augmentation de 20 à 30 % de l’évapotranspiration qui se produirait au
niveau des grands plans d’eaux stagnantes dans les bofedales, ainsi que d’une augmentation des
pertes liées à l’infiltration, de 8 à 12 % (taux potentiel maximal de 25 %)109. A l’inverse, sans
l’infrastructure artificielle, le débit des eaux souterraines qui traversent en sous-sol, sur une largeur
de 450 m, le bassin versant du Silala à la frontière entre la Bolivie et le Chili devrait augmenter de 7
à 11 %110.
71. La chenalisation effectuée en Bolivie pour accroître le volume et le débit de l’écoulement
a eu de lourdes conséquences durables sur l’écosystème des bofedales du Silala.
72. Le réseau de drainage artificiel construit dans les gorges nord et sud du Silala en Bolivie a
eu pour effet concret de détourner l’eau vers les chenaux subsidiaires principaux des deux gorges,
puis vers le chenal principal, empêchant ainsi sa lente filtration naturelle dans les zones humides. Il
s’ensuit que les bofedales ont été grandement asséchés, ce qui a eu des conséquences sur l’habitat
naturel.
73. Selon le rapport établi par le secrétariat de la convention de Ramsar en 2018 au sujet du
site Los Lípez en Bolivie,
« [l]a construction de canaux de captage des eaux entreprise en 1908 a eu une incidence
considérable sur les zones humides qui se trouvent dans la région du Silala.
Actuellement, il ne reste que les vestiges des zones humides d’origine qui s’étendaient
sur 141 200 m2 (14,1 hectares). Ces zones humides ne couvrent maintenant qu’une
superficie d’environ 6000 m2 (0,6 hectare) et sont entourées d’ouvrages de captage et
de canaux artificiels.»111
Aujourd’hui, la présence d’une étroite bande de végétation riveraine semble indiquer que l’eau n’est
accessible qu’à proximité immédiate du canal112 (figure 20).
108 Compte tenu des modifications importantes apportées au bassin du Silala par suite des travaux de chenalisation,
les conditions qui existeraient aujourd’hui sans les chenaux et systèmes de drainage ne correspondent pas à celles qui
existaient avant la chenalisation. Une telle comparaison peut néanmoins donner une idée des conditions qui existaient avant
la chenalisation et permettre de réaliser des estimations.
109 DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources du Silala, 2018, p. 41-42. CMB,
vol. 2, annexe 17.
110 Ibid., p. 41.
111 Ramsar Convention Secretariat, Report Ramsar Advisory: Mission No 84, Ramsar Site Los Lípez, Bolivia,
2018, p. 38. CMB, vol. 5, annexe 18.
112 Annex C: Surface Waters, dans DHI, Etude des écoulements dans les zones humides et le système de sources
du Silala, 2018, p. 8-9. CMB, vol. 2, annexe 17.
53
- 33 -
Figure 20. Effets de la dessiccation sur le bofedal sud (Orientales) du Silala
(source : DIREMAR, 2018)
74. Par suite de l’importante modification qu’a subie le Silala, le débit et le volume actuels des
eaux de surface et des eaux souterraines du bassin sont d’origine à la fois naturelle et artificielle. Une
partie de l’eau qui circule dans le Silala, y compris celle qui traverse la frontière entre la Bolivie et
le Chili, peut être qualifiée de naturelle. Toutefois, contrairement à ce qu’affirme le Chili, le reste
coule uniquement grâce au réseau de drainage mis en place dans les deux gorges du Silala en Bolivie,
lequel améliore l’écoulement en drainant l’eau des sources et des zones humides boliviennes qui est
ensuite acheminée par des chenaux jusqu’au Chili. Les proportions entre les débits et volumes
naturels et les débits et volumes artificiels ont été estimées par les experts de la Bolivie. Comme il a
été indiqué plus haut113, dans les conditions qui prévalent aujourd’hui, si les chenaux et systèmes de
drainage étaient retirés, l’écoulement de surface du Silala diminuerait de 30 à 40 % par rapport à
celui qui est observé actuellement.
E. OBSERVATIONS FINALES
75. Le bassin du Silala se compose d’un système extrêmement complexe de sources, d’eaux
de surface et d’eaux souterraines ainsi que d’écosystèmes tributaires des eaux souterraines qui
prennent ici la forme de bofedales. Depuis des décennies, la Bolivie et le Chili s’efforcent, à la fois
ensemble et individuellement, de mieux comprendre les complexités du bassin, notamment son
origine, son étendue géographique, sa capacité et son régime de débit, ainsi que l’incidence des
chenaux et systèmes de drainage artificiels sur l’écoulement. Des informations et des données
supplémentaires obtenues récemment ont permis d’accroître les connaissances sur l’hydrologie et
l’hydrogéologie de la région.
76. Il est actuellement établi que le drainage et la chenalisation du Silala en Bolivie ont eu un
effet notable sur l’écoulement de l’eau provenant des sources de Silala ainsi que sur son débit et son
volume au passage de la frontière entre la Bolivie et le Chili. Selon la plus récente étude spécialisée
du DHI, menée en 2018, le retrait de l’infrastructure artificielle du Silala réduirait de 30 à 40 %
113 CMB, par. 70.
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l’écoulement de surface actuel, tout en faisant augmenter de 7 à 11 % l’écoulement des eaux
souterraines.
77. De plus, cette même étude indique que l’eau sur le site du Silala traverse actuellement la
frontière entre la Bolivie et le Chili, en surface et en sous-sol par des formations souterraines, à un
débit variable de 160 à 210 l/s environ. Qui plus est, il est clairement établi qu’il s’agit à la fois d’un
écoulement naturel et d’un écoulement artificiel, ce dernier étant directement produit par la
chenalisation et le drainage artificiels des eaux du Silala.
78. Enfin, les éléments produits démontrent que les bofedales qui couvrent en partie les deux
gorges du Silala en Bolivie dépendent très largement des eaux du Silala, principalement de ses eaux
souterraines, et qu’ils sont vulnérables aux changements, notamment climatiques. De surcroît, ces
zones humides fragiles ont subi une dégradation considérable et une importante perte de surface
résultant directement des systèmes de drainage et de chenalisation installés tout au long des gorges.
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CHAPITRE 3
LA NATURE DU SILALA EN DROIT INTERNATIONAL
79. Dans le présent chapitre, la Bolivie démontrera que le Silala et ses eaux, dont la nature et
les caractéristiques factuelles ont été exposées dans le précédent chapitre, ne peuvent, dans leur
ensemble, prétendre au statut de cours d’eau international au sens du droit international coutumier,
et ce, pour deux raisons : le droit international coutumier relatif aux utilisations des cours d’eau
internationaux à des fins autres que la navigation ne s’applique qu’à l’écoulement naturel des cours
d’eau ; or, comme il a été démontré au précédent chapitre, les eaux du Silala font partie d’un cours
d’eau artificiellement amélioré dont l’écoulement est à la fois naturel et artificiel.
A. COURS D’EAU INTERNATIONAUX EN DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER
80. En droit international coutumier, les obligations mutuelles des Etats s’agissant des
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation ne portent que sur
l’écoulement naturel des eaux. Ainsi que l’a dit une source de doctrine faisant autorité, «l’écoulement
de rivières limitrophes, ou internationales, ne relève pas du pouvoir arbitraire de l’un des Etats
riverains, car le droit international interdit à tout Etat de modifier les conditions naturelles de son
propre territoire au détriment des conditions naturelles du territoire d’un Etat voisin»114. Dans le
même ordre d’idées, il a été considéré que «[c]haque Etat doit permettre aux rivières de s’écouler
naturellement»115. Pour ce qui est du Silala, il a par conséquent été fait observer qu’«[u]ne rivière
fabriquée, prenant la forme de canaux ou d’autres systèmes faits par l’homme, ne relèverait pas du
droit international de l’eau dès lors que, par définition, il s’agit d’une masse d’eau qui a un détenteur
et qui est soumise aux accords grâce auxquels elle a été créée»116.
81. L’intérêt juridique d’établir une distinction entre écoulements naturels et artificiels est
également reconnu dans des décisions judiciaires nationales et internationales. Ainsi, dans la
procédure d’arbitrage relative au Lac Lanoux, il a été précisé que ce qui importait, s’agissant des
obligations en matière d’utilisation des eaux transfrontières, c’était «le volume … correspond[ant]
aux apports naturels du Lanoux au Carol»117. Des juridictions nationales ont en outre conclu
qu’«aucun Etat ne peut entraver de façon significative l’utilisation naturelle de l’écoulement d’une
rivière par son voisin» et que «chaque Etat doit respecter l’écoulement naturel de l’eau malgré les
conséquences que cela peut avoir»118. Dans l’affaire Gabčíkovo-Nagymaros, la prétention de la
Hongrie se limitait au droit, qu’elle estimait tenir de la convention de 1976 sur la réglementation en
matière d’eaux frontières, de disposer de «cinquante pour cent du débit naturel du Danube»119.
114 R. Jennings and A. Watts (eds.), Oppenheim’s International Law, Longman, 9th ed., 1996, p. 585 (les
italiques sont de nous).
115 M. Huber, «Ein Beitrag zur Lehre von der Gebietshoheit an Grenzflüssen», Zeitschrift für Volkerrecht und
Bundesstaatsrecht, 1907, p. 29 et suiv., et 159 et suiv., in S. McCaffrey, The Law of International Watercourses, Oxford
University Press, 2007, p. 132 (les italiques sont de nous).
116 B. Mulligan and G. Eckstein, “The Silala/Siloli Watershed: Dispute Over the Most Vulnerable Basin in South
America”, International Journal of Water Resources Development, vol. 27(3), 2011, p. 595-606.
117 Affaire du Lac Lanoux (Espagne/France), sentence arbitrale du 16 novembre 1957, Nations Unies, Recueil des
sentences arbitrales, vol. XII, p. 303 (les italiques sont de nous).
118 S. McCaffrey, The Law of International Watercourses, Oxford University Press, 2007, p. 242-244 (les italiques
sont de nous), citant Württemberg and Prussia v. Baden (Donauversinkung case), German Staatsgerichtshof, 18 juin 1927,
p. 131-132.
119 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 73, par. 125 (les italiques sont
de nous).
57
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- 36 -
82. La pratique confirme qu’en droit international les Etats considèrent différemment leurs
obligations et leurs droits à l’égard des cours d’eau s’écoulant à la fois naturellement et
artificiellement. De nombreux accords restreignent expressément leur champ d’application à
l’écoulement naturel d’un cours d’eau partagé. Par exemple, l’article 7 du traité du Mahakali de 1996
prévoit que, «[a]fin de maintenir l’écoulement et le niveau des eaux du Mahakali, chaque partie
s’engage à ne pas utiliser, obstruer ou détourner ces eaux d’une manière qui nuirait à leur[s]
écoulement et niveau naturels, sauf accord entre les parties»120. L’article 6 de l’accord sur le Mékong
de 1995 fait obligation aux parties de maintenir, dans le lit principal du Mékong, un «débit naturel
mensuel minimal … au cours du mois de saison sèche considéré» et un «reflux naturel … du
Tonlé Sap pendant la saison des pluies»121. L’article XIII du traité relatif au fleuve Columbia interdit
le détournement des «eaux de leur cours naturel … d’une façon qui modifie le débit des eaux là où
elles traversent la frontière du Canada et des Etats-Unis d’Amérique, à l’intérieur du bassin du
Columbia»122. De même, le traité entre le Canada et les Etats-Unis relatif aux eaux limitrophes
restreint son applicabilité aux «cours naturels» des eaux tributaires et aux «débit ou … niveau
naturels des eaux limitrophes»123.
83. Le droit international coutumier imposant uniquement des obligations à l’égard de
l’écoulement naturel des cours d’eau internationaux, il ne prévoit aucune obligation concernant
l’installation ou l’entretien d’infrastructures visant à accroître le débit des eaux transfrontières et à
en améliorer l’utilisation. Un Etat n’est pas en droit de demander à un autre Etat d’installer ou
d’entretenir pareilles infrastructures à son profit. Cela transparaît, a contrario, dans l’article 26 de la
convention des Nations Unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des
fins autres que la navigation (ci-après la «convention de 1997»), qui s’intéresse aux «installations»
uniquement en ce qu’elles peuvent causer d’importants effets préjudiciables124.
84. La nécessité d’établir une distinction entre la condition naturelle et la condition artificielle
de formations géographiques ou géologiques afin d’en déterminer les effets juridiques ne se limite
pas uniquement aux cours d’eau internationaux. Il s’agit d’une approche générale en droit
international, notamment pour ce qui est des ressources naturelles et de l’attribution de droits sur des
zones terrestres ou maritimes.
85. Ainsi, en droit de la mer, les structures artificielles ne sont pas soumises au même régime
que les formations naturelles. L’article 11 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer
(ci-après la «CNUDM») dispose que «les îles artificielles ne sont pas considérées comme des
120 Treaty between His Majesty’s Government of Nepal and the Government of India concerning the Integrated
Development of the Mahakali Barrage Including Sarada Barrage, Tanakpur Barrage and Pancheshwar Project, 12 février
1996 (les italiques sont de nous). Selon M. M. Rahaman, «[c]ela signifie que chaque partie est tenue de maintenir
l’écoulement naturel du fleuve». Voir M. M. Rahaman, “Principles of Transboundary Water Resources Management and
Ganges Treaties: An Analysis”, Water Resources Development, vol. 25, No. 1, March 2009, p. 165.
121 Article 6 de l’accord de coopération pour la mise en valeur durable du bassin du Mékong, 5 avril 1995,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 2069, no 35844, p. 7.
122 Article XIII, traité relatif à la mise en valeur des ressources hydrauliques du bassin du fleuve Columbia,
17 janvier 1961, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 542, p. 265 à 267 (les italiques sont de nous).
123 Articles II et III, traité entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique relatif aux eaux limitrophes et aux
questions originant le long de la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, 11 janvier 1909, T.S. No. 548, 36 Stat. 2448.
124 Sur la pratique pertinente des Etats en matière de sécurité et de sûreté des installations hydrauliques, voir
M. Stephen C. McCaffrey, rapporteur spécial, sixième rapport sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau
internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/CN.4/427 et Add.1, Annuaire de la Commission
du droit international, 1990, vol. II, première partie, p. 54 à 57, par. 20 à 36. Cette pratique ne démontre pas l’existence
d’une quelconque obligation en droit international coutumier d’installer ou d’entretenir des infrastructures artificielles
visant à accroître le débit et à améliorer l’utilisation d’eaux transfrontières. Pour la convention, voir Nations Unies,
doc. A/RES/51/266, 21 mai 1997.
59
60
- 37 -
installations portuaires permanentes», et l’article 60, paragraphe 8), que «[l]es îles artificielles,
installations et ouvrages n’ont pas le statut d’îles. Ils n’ont pas de mer territoriale qui leur soit propre
et leur présence n’a pas d’incidence sur la délimitation de la mer territoriale, de la zone économique
exclusive ou du plateau continental.»125
86. En conformité avec ces dispositions, un tribunal d’arbitrage a récemment conclu que la
CNUDM exigeait que «le statut d’une formation soit déterminé sur la base de son état naturel
antérieur, soit avant le début d’une modification significative de la part de l’homme»126. Ainsi, le
tribunal d’arbitrage a décidé qu’il «statuerait donc en s’appuyant sur les meilleures preuves
disponibles de l’état antérieur des récifs coralliens aujourd’hui fortement modifiés»127. Il a en outre
affirmé que «[t]out comme un haut-fond découvrant ou une zone de fonds marins ne saurait devenir
juridiquement une île par l’action humaine, … un rocher ne saurait devenir une île de plein droit
grâce à la mise en valeur des terres. Le statut d’une formation doit être évalué sur la base de son état
naturel»128.
87. Dans une autre affaire où elle était appelée à interpréter la CNUDM et le droit international,
celle relative à la Délimitation maritime en mer Noire, la Cour a conclu que c’était non pas la pointe
de la digue de Sulina mais son point de jonction «avec la masse continentale roumaine [qui] devrait
être utilisé comme point de base pour l’établissement de la ligne d’équidistance provisoire»129.
Soulignant la nature artificielle de cet élément, la Cour a affirmé que, «[c]omme point de base
pertinent aux fins de la première étape de la délimitation, il a[vait] l’avantage, au contraire de la
pointe de la digue, de ne pas privilégier une installation au détriment de la géographie physique de
la masse terrestre»130.
88. Dans l’affaire Qatar c. Bahreïn, la Cour a de même fait observer que, dans la mesure où
«Bahreïn a[vait] entrepris des travaux de terrassement pour la construction d’une usine
pétrochimique, travaux au cours desquels un chenal artificiel a[vait] été dragué, faisant communiquer
les eaux des deux côtés de Fasht al Azm», le différend portait sur la question de savoir si «Fasht
al Azm d[evait] être réputé faire partie de l’île de Sitrah ou s’il s’agi[ssait] d’un haut-fond découvrant
qui n’[était] pas naturellement relié à l’île de Sitrah»131.
89. Dans le même ordre d’idées, la Cour a constaté en 1951, dans l’affaire des Pêcheries, que
«l’Indreleia n’[était] aucunement un détroit, mais une voie de navigation aménagée grâce aux travaux
125 Article 60, convention des Nations Unies sur le droit de la mer, 3 décembre 1982, Nations Unies, Recueil des
traités, vol. 1834, p. 3.
126 The South China Sea Arbitration (The Republic of the Philippines v. The People’s Republic of China), PCA
Case No. 2013-19, Award of 12 July 2016, p. 132, par. 306.
127 Ibid., p. 131-132, par. 306.
128 Ibid., p. 214, par. 508.
129 Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c. Ukraine), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 108, par. 140.
130 Ibid., par. 139.
131 Délimitation maritime et questions territoriales entre le Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 97, par. 188. La Cour a statué comme suit : «Après avoir analysé attentivement les divers rapports,
documents et cartes soumis par les Parties, la Cour a été dans l’incapacité d’établir s’il existait ou non un passage séparant
de façon permanente l’île de Sitrah de Fasht al Azm avant les travaux d’aménagement de 1982. Pour les raisons qui seront
exposées ultérieurement, la Cour n’en sera pas moins à même d’opérer la délimitation sollicitée dans ce secteur, sans avoir
à se prononcer sur la question de savoir si Fasht al Azm doit être regardé comme faisant partie de l’île de Sitrah ou comme
un haut-fond découvrant» (p. 98, par. 190).
61
62
- 38 -
techniques accomplis par la Norvège»132 qui, de ce fait, ne pouvait à elle seule créer des conséquences
particulières en droit international.
90. S’agissant des rivières limitrophes, dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre
le Cameroun et le Nigéria, la Cour «a tout d’abord examiné» la question de savoir si «le cours de la
rivière Keraua aurait été dévié par le Nigéria, du fait de la construction par celui-ci d’un chenal
artificiel aux environs du village de Gange» avant de dire s’il y avait lieu de considérer ce chenal,
sauf à être artificiel, comme étant la rivière qualifiée de frontière dans la déclaration de
Thomson-Marchand133.
91. Compte tenu de ce qui précède, en droit international général, un cours d’eau international
s’entend de l’écoulement naturel des eaux.
B. PORTÉE DU DROIT INTERNATIONAL COUTUMIER SUR LES COURS D’EAU
S’ÉCOULANT NATURELLEMENT
92. Pour étayer son affirmation selon laquelle le droit international coutumier s’applique au
Silala dans son ensemble, y compris aux chenaux et systèmes de drainage artificiels, le Chili renvoie
dans son mémoire à la définition générale de «cours d’eau» figurant dans le projet d’articles sur le
droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation adopté
par la Commission du droit international (CDI)134, à savoir : un «système d’eaux de surface et d’eaux
souterraines constituant du fait de leurs relations physiques un ensemble unitaire et aboutissant
normalement à un point d’arrivée commun»135. Aux termes du projet d’articles de 1994, un cours
d’eau international s’entend de tout «cours d’eau dont des parties se trouvent dans des Etats
différents»136.
93. La Bolivie conteste l’application générale au Silala que fait le Chili des termes et
définitions de la convention de 1997. D’une part, en raison de ses particularités, le Silala ne peut se
voir appliquer largement les définitions que donne la convention des termes «cours d’eau» et «cours
d’eau international», puisque ces définitions ne sont pas le reflet du droit international coutumier
relatif à l’utilisation de cours d’eau artificiellement améliorés. D’autre part, la pratique des Etats et
la jurisprudence confirment qu’un «cours d’eau international» ne s’entend, en droit international
coutumier, que de l’écoulement naturel de la masse d’eau en question.
94. Afin de défendre l’applicabilité de la convention à la situation particulière du Silala, le
Chili s’appuie sur des définitions de l’expression «cours d’eau international» qui ne correspondent
132 Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 132. Voir également la thèse selon laquelle
un détroit en droit de la mer s’entend uniquement d’un passage naturel et que tout passage issu de travaux artificiels faits
par l’homme ne constitue pas un détroit mais un canal, qui est régi non par le droit général de la mer mais par des
conventions spéciales ou par la législation nationale : S. Karagiannis, «Les détroits», in M. Forteau, J.-M. Thouvenin
(dir. publ.), Traité du droit international de la mer, Pedone, Paris, 2017, p. 446.
133 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 365, par. 95.
134 MC, p. 52-53, par. 4.3 et 4.4, et p. 54-55, par 4.7 à 4.10. Voir aussi, de manière implicite, p. 1-2, par. 1.3 a), et
p. 29, par. 2.17.
135 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 95, projet d’article 2 b).
136 Ibid., projet d’article 2 a).
63
- 39 -
pas au texte tel qu’il a été finalement approuvé137. Un exemple est le fait qu’il tente d’inclure les
canaux dans la définition en recourant à une simple «hypothèse de travail» de 1980138, que la CDI
n’a en définitive pas retenue.
95. Dans ses commentaires du projet d’articles de 1994, la CDI mentionne les «canaux» parce
qu’elle considère que les éléments du «système d’eaux de surface et d’eaux souterraines» peuvent
comprendre «les rivières, les lacs, les aquifères, les glaciers, les réservoirs et les canaux»139. Cette
affirmation est toutefois immédiatement nuancée au paragraphe suivant du commentaire, où la
Commission explique que, pour certains de ses membres, «il est douteux que les canaux doivent faire
partie des éléments du cours d’eau», le projet d’articles reposant, selon eux, sur le postulat du ««cours
d’eau» en tant que phénomène naturel»140.
96. Par exemple, au cours de la session tenue par la CDI en 1987, le rapporteur spécial sur le
droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation,
Stephen McCaffrey, a déclaré que «[l]’expression «cours d’eau international» désigne normalement
un cours d’eau créé par la nature, et non pas une déviation artificielle»141.
97. Dans le contexte des utilisations à des fins autres que la navigation, la définition de
l’expression «cours d’eau» donnée à l’article 2 du projet d’articles de 1994 a été considérée comme
la «disposition la plus importante, mais aussi la plus controversée de cette première partie [du projet
d’articles]»142.
98. Quant à la pratique des Etats, on peut tout au plus en déduire qu’elle limite la définition
d’un cours d’eau international à l’écoulement naturel contenu dans le chenal principal d’une rivière
qui traverse une frontière internationale143.
137 MC, p. 52, par. 4.3.
138 Ibid., p. 52-53, par. 4.3, note de bas de page 106. Le rapporteur spécial, S. Schwebel, a constaté ce qui suit :
«[La Commission] n’a pas cherché à en donner une définition définitive. Par contre, elle est arrivée à une hypothèse de
travail, pouvant être affinée et modifiée». Annuaire de la Commission du droit international, 1982, vol. II, première partie,
p. 83, par. 7.
139 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Assemblée générale, Nations Unies,
doc. A/49/10, Annuaire de la Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 95, par. 4) du
commentaire de l’article 2 (les italiques sont de nous).
140 Ibid., par. 5) du commentaire de l’article 2 (les italiques sont de nous).
141 Droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, projets d’articles
présentés par le comité de rédaction, Nations Unies, doc. A/CN.4/L.411, Annuaire de la Commission du droit international,
1987, vol. I, p. 231, par. 75 (les italiques sont de nous).
142 Droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, commentaires et
observations reçus des gouvernements, Nations Unies, doc. A/CN.4/447 et Add. 1 à 3, Annuaire de la Commission du droit
international, 1993, vol. II, première partie, p. 179, par. 2 (Pologne). Le «projet d’articles» auquel la Pologne renvoie est
le projet d’articles de 1994 qui a préexisté et a mené à la convention de 1997.
143 A. Tanzi, “The UN Convention on International Watercourses as a Framework for the Avoidance and Settlement
of Waterlaw Disputes”, Leiden Journal of International Law, Vol. 11, Issue 3, 1998, p. 447.
64
65
- 40 -
99. La doctrine juridique bat également en brèche l’interprétation que fait le Chili de la
définition de cours d’eau international. Ainsi, d’après l’ouvrage Max Planck Encyclopedia of Public
International Law144 :
«Les canaux sont des voies d’eau artificielles qui, aux fins de la réglementation
internationale … , sont à différencier des voies d’eau naturelles, telles que les cours
d’eau internationaux ou les détroits internationaux»
«En raison des différences en matière d’utilisation et de situation géographique,
il est impossible d’identifier des règles générales du droit international coutumier
applicables à tous les canaux d’intérêt international. … En outre, dans la plupart des cas,
l’utilisation et l’administration de canaux desservant plusieurs Etats ou touchant les
intérêts de plusieurs Etats sont réglementées par un régime conventionnel. Par
conséquent, pour déterminer les règles pertinentes, il convient de tenir compte à la fois
de l’utilisation précise à laquelle un canal est voué et des dispositions conventionnelles
existantes qui lui sont applicables».
Et cette source de poursuivre :
«Les canaux intérieurs qui sont entièrement restreints au territoire d’un Etat sont
soumis à la souveraineté exclusive dudit Etat. En l’absence d’engagement unilatéral ou
conventionnel à cet effet, il n’existe aucune obligation internationale pour un Etat de
construire un canal sur son territoire, ni d’entretenir ou d’exploiter un canal intérieur
dans l’intérêt d’autres Etats.»
«Contrairement aux cours d’eau internationaux qui séparent ou traversent les
territoires de divers Etats, un canal s’étendant de part et d’autre de frontières nationales
comprend deux sections nationales, chacune d’elles restant une voie d’eau intérieure de
l’Etat dans lequel elle se trouve. Les Etats concernés peuvent toutefois, au moyen de
conventions, définir leurs obligations et droits respectifs afférents aux canaux
transfrontières.»
100. L’insistance avec laquelle le Chili lui-même affirme dans son mémoire que le Silala est
un écoulement d’eaux naturel cadre avec le fait que, en droit international général, le concept de
cours d’eau international renvoie généralement à l’écoulement naturel des eaux. A maintes reprises
dans le mémoire, le Chili met en avant cet élément naturel. Ainsi, il soutient que les «eaux du Silala
s’écoulaient et continueront de s’écouler naturellement»145 de la Bolivie au Chili et que les
installations artificielles n’ont guère d’effet sur l’écoulement naturel146. Dans le «résumé» de sa thèse,
le Chili affirme en outre que le Silala est un cours d’eau car il s’agit d’une «masse d’eau qui s’écoule
naturellement»147. Il cite en particulier la note verbale du 15 septembre 1999, dans laquelle il dit que
le Silala est un cours d’eau international puisqu’il «s’écoule, de manière naturelle et permanente»,
de la Bolivie au Chili148. Dans un communiqué de presse daté du 4 mars 2002, le Chili dit encore
qu’il «ne peut que réserver une nouvelle fois, de manière formelle, les droits dont [il] est titulaire sur
le Silala, celui-ci constituant une ressource hydrique partagée qui prend naissance en Bolivie et
144 M. Arcari, “Canals”, Max Planck Encyclopedia of Public International Law, version électronique, dernière mise
à jour : octobre 2007, par. 1 et par. 4-6 (les italiques sont de nous).
145 MC, p. 32, par. 2.26 (les italiques sont de nous).
146 Ibid., par. 2.27.
147 MC, p. 7, par. 1.16 a) (les italiques sont de nous).
148 Ibid., p. 40-41, par. 3.10 (les italiques sont de nous).
66
- 41 -
poursuit naturellement son cours en territoire chilien»149. Ailleurs dans le mémoire, le Chili affirme
que le Silala est un cours d’eau en ce qu’il a un «écoulement naturel»150.
101. En conclusion, l’absence de preuve et l’incertitude entourant la question de savoir si les
canaux artificiels sont compris dans le concept de cours d’eau montrent que l’emploi du terme
«canaux» par la Commission du droit international dans ses commentaires du projet d’articles de
1994 ne repose pas sur le droit international coutumier applicable aux cours d’eau internationaux.
Les preuves indiquent au contraire que la norme admise consiste à exclure les mécanismes artificiels
d’acheminement, tels que les canaux et systèmes de drainage, du champ d’application du droit
international coutumier relatif aux cours d’eau transfrontières.
102. L’examen qui précède démontre que les définitions de «cours d’eau» et de «cours d’eau
international» avancées par le Chili ne sont nullement étayées par les règles applicables du droit
international coutumier relatif à l’utilisation des cours d’eau transfrontières dès lors qu’il est question
d’écoulements d’eau artificiellement améliorés. La terminologie et les définitions retenues par le
Chili non seulement ne s’appliquent pas à la situation du Silala, mais vont également à l’encontre de
la position officielle que cet Etat a affichée au moment des débats de la CDI sur le sujet151.
C. RÉGLEMENTATION DES EAUX DU SILALA ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉES
103. Comme il a été vu au chapitre 2, l’évaluation scientifique et les caractéristiques factuelles
du Silala montrent clairement que celui-ci, y compris l’eau qui émane de sources situées en territoire
bolivien, constitue un cours d’eau artificiellement amélioré — c’est-à-dire structurellement modifié
par l’homme de sorte à augmenter sensiblement le débit et le volume de l’eau qui traverse la frontière.
Actuellement, le Silala comprend de l’eau qui s’écoule à la fois naturellement et artificiellement.
104. Le droit international coutumier relatif à l’utilisation des cours d’eau transfrontières ne
s’applique pas aux éléments artificiels d’un cours d’eau qui est, en tout ou en partie, artificiel. Comme
il a déjà été démontré, pour que ce régime juridique s’applique à un cours d’eau créé ou amélioré
artificiellement, il faudrait accord entre les Parties, notamment un compromis sur les adaptations
requises pour tenir compte de la nature artificielle de la masse d’eau. Malheureusement, pour l’heure,
la Bolivie et le Chili ne sont parvenus à aucun accord en la matière.
105. La pratique des Etats montre qu’un cours d’eau qui traverse une frontière internationale
par des moyens artificiels, que ce soit en tout ou en partie, peut uniquement générer des droits et des
149 Communiqué de presse du ministère des affaires étrangères du Chili en date du 4 mars 2002. MC, vol. 3,
annexe 60 (les italiques sont de nous).
150 MC, p. 75, par. 4.37 et suiv. (les italiques sont de nous). Voir aussi, par exemple, MC, p. 90, par. 4.66 («le Silala
est un cours d’eau qui suit naturellement une pente descendante»), ou MC, p. 100, par. 5.23.
151 Le Chili était contre l’expression «cours d’eau international» pendant la négociation de la convention de 1997.
Au cours des débats sur l’article 2, la délégation chilienne a dit ce qui suit : «le terme «cours d’eau» est source de confusion,
comme le montre le fait que certaines délégations souhaitent le remplacer par «fleuve», un terme quant à lui beaucoup trop
restrictif. » Elle a proposé «de remplacer «cours d’eau» par «système hydrographique», «cours d’eau international» par
«système hydrographique comportant des ressources en eau partagées» et «Etat du cours d’eau» par «Etat appartenant à un
système hydrographique comportant des ressources en eau partagées»». Nations Unies, Sixième Commission, compte
rendu analytique de la 23e séance tenue le 17 octobre 1996, A/C.6/51/SR.23, par. 78, CMB, vol. 2, annexe 1.
67
68
- 42 -
obligations en droit international par accord conclu entre deux Etats riverains ou plus152. Il en est de
même pour un écoulement d’eau fabriqué qui est dévié vers une voie d’eau naturelle ou artificielle
traversant une frontière internationale. En l’absence d’accord autorisant le transfert de l’écoulement
artificiel à travers la frontière, l’Etat sur le territoire duquel l’eau trouve sa source n’a aucune
obligation, au regard du droit international, de mettre en place ou d’entretenir pareil acheminement.
106. De plus, lorsqu’un accord visant un tel transfert d’écoulement d’eau fabriqué prend fin
ou devient autrement caduc, les Etats ne sont nullement tenus en vertu du droit international
d’entretenir le système de drainage artificiel ou autre infrastructure sur leur territoire au profit
d’autres Etats153. Comme il a été démontré plus haut154, les Parties en l’espèce ont tenté de s’accorder
sur la nature et l’utilisation des eaux du Silala. Toutefois, en l’absence d’accord, la Bolivie seule a
autorité pour prendre des décisions concernant les chenaux et systèmes de drainage artificiels qui se
trouvent sur son territoire souverain.
107. Ces conceptions des écoulements artificiels, des infrastructures et de la souveraineté
nationale sont admises depuis longtemps en droit international coutumier. Dans l’arrêt qu’elle a
rendu en l’affaire des Prises d’eau à la Meuse, la Cour permanente de Justice internationale a conclu
ce qui suit :
«La Cour n’a relevé ni dans l’argumentation néerlandaise ni dans le texte du
Traité de 1863, rien qui tende à interdire soit aux Pays-Bas soit à la Belgique de faire
tel usage qui leur convient des canaux soumis au traité, lorsqu’il s’agit de canaux qui,
situés sur le territoire des Pays-Bas ou de la Belgique respectivement, n’en sortent pas.
A leur égard, chacun des deux Etats a la liberté, agissant sur son propre territoire, de les
modifier, de les agrandir, de les transformer, de les combler et même d’en augmenter le
volume d’eau par des apports nouveaux.»155
108. Par ailleurs, la pratique des Etats montre largement que les barrages et les installations
hydroélectriques construits le long de cours d’eau internationaux nécessitent la conclusion d’accords
officiels autorisant la création de ces structures ou amenant les parties à négocier sur les avantages
152 M. Arcari, “Canals”, Max Planck Encyclopedia of Public International Law, version électronique, dernière mise
à jour : octobre 2007, par. 6 (où il est admis qu’un canal traversant des frontières nationales comprend deux sections
nationales, chacune d’elles conservant son caractère de voie d’eau nationale de l’Etat où elle se trouve). En outre, l’article 5
du document publié en 1980 sous le titre «Regulation of the Flow of Water of International Watercourses» par
l’International Law Association dispose comme suit : «[l]a construction de canaux, de réservoirs ou d’autres ouvrages et
installations et l’exploitation de ces ouvrages et installations nécessaires à la régulation des eaux par un Etat du bassin sur
le territoire d’un autre Etat ne peuvent se faire que par accord entre les Etats du bassin concernés» (International Law
Association, Report of the fifty-ninth conference, Belgrade, 1980 (Resolution of approval, p. 4 ; Report of the Committee
on the International Water Resources Law, Part II-Regulation of the flow of water of international watercourses,
p. 362-373 ; rapporteur : Judge E. J. Manner)). De même, l’article 3 de la convention de 1923 relative à l’aménagement
des forces hydrauliques intéressant plusieurs Etats prévoit ce qui suit :
«Lorsqu’un Etat contractant désire exécuter des travaux d’aménagement de forces hydrauliques en
partie sur son propre territoire, en partie sur le territoire de tout autre Etat contractant, ou comportant une
modification de l’état des lieux sur le territoire de tout autre Etat contractant, les Etats intéressés négocieront
en vue de la conclusion d’accords destinés à permettre l’exécution de ces travaux.»
153 Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique), arrêt, 28 juin 1937, C.P.J.I. Série A/B no 70, p. 26. Voir aussi
International Law Association, Regulation of the Flow of Water of International Watercourses, 1980, art. 5.
154 CMB, par. 36-40.
155 Prises d’eau à la Meuse (Pays-Bas c. Belgique), arrêt, 28 juin 1937, C.P.J.I. Série A/B no 70, p. 26.
69
70
- 43 -
et les inconvénients attendus156. Ces accords régissent les éléments artificiels qui ont été mis en place,
en ce compris l’emplacement de l’infrastructure artificielle, la gestion des ouvrages et les débits et
volumes des écoulements artificiels. Si les normes du droit international coutumier s’appliquent aux
parties du cours d’eau qui demeurent naturelles, les accords, eux, s’appliquent aux éléments fabriqués
par l’homme.
D. OBSERVATIONS FINALES
109. Comme les différents rapports d’experts l’ont démontré, les sources de Silala et leurs
eaux font aujourd’hui partie d’un cours d’eau amélioré de manière artificielle qui inclut un
écoulement à la fois naturel et artificiel157. L’infrastructure artificielle et les systèmes de drainage
installés sur le territoire bolivien ont modifié les sources de Silala et leurs bofedales en Bolivie, et
amélioré le débit et le volume de l’eau du Silala qui s’écoule de la Bolivie au Chili158.
110. Partant, le Silala et ses eaux ne sont pas exclusivement régis par les règles du droit
international coutumier relatif à l’utilisation des cours d’eau transfrontières. Au contraire, ces règles
se rapportent uniquement au débit et au volume de l’eau du Silala qui s’écoule naturellement à travers
la frontière séparant la Bolivie et le Chili. En revanche, compte tenu de l’absence d’accord entre les
deux pays concernant la gestion du Silala et de ses eaux, et la distribution de celles-ci, la Bolivie
détient les pleins droits et pouvoirs sur les écoulements et les volumes de l’eau du Silala créés
artificiellement qui traversent la frontière.
111. De surcroît, en l’absence d’obligation ou d’accord spécifique à cet effet, les Etats ne sont
pas tenus d’entretenir des infrastructures artificielles sur leur territoire au profit d’autres Etats. Par
156 Par exemple, les barrages d’Amistad et de Falcon sur le Río Grande, qui constitue la frontière entre le Mexique
et les Etats-Unis d’Amérique, sont gérés conjointement par les deux pays au titre du traité entre les Etats-Unis d’Amérique
et le Mexique relatif à l’utilisation des eaux du Colorado, de la Tijuana et du Río Grande (3 février 1944), accompagné des
procès-verbaux complémentaires nos 182, 187, 190, 192, 199, 202, 205, 207, 210, 213, 215, 232, 235, 292 et 308. Le barrage
de Kariba sur le Zambèze est détenu et exploité de manière égale par le Zimbabwe et la Zambie par l’intermédiaire de
l’autorité du Zambèze au titre de l’accord intitulé Agreement between the Republic of Zimbabwe and the Republic of
Zambia concerning the utilization of the Zambezi River (28 July 1987), with Annexure I (Article 22). Working
arrangements for the operation and maintenance of the interconnected systems, and Annexure I (Article 23). Working
arrangements for the sharing of energy from Kariba Dam. Le traité relatif au fleuve Columbia signé entre le Canada et les
Etats-Unis a permis la mise en place de trois barrages en Colombie-Britannique, au Canada (les barrages de Duncan, de
Mica et Keenleyside), et d’un dans le Montana aux Etats-Unis (le barrage de Libby), et prévoit un ensemble complexe
d’avantages en matière de production d’énergie, de maîtrise des crues et de stockage de l’eau. Traité relatif à la mise en
valeur des ressources hydrauliques du bassin du fleuve Columbia (17 janvier 1961) ; échange de notes [constituant un
accord] entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique autorisant la cession de la part
canadienne sur place, aux Etats-Unis d’Amérique, dans le cadre du traité relatif à la mise en valeur des ressources
hydrauliques du bassin du fleuve Columbia (31 mars 1999) ; échanges de notes constituant un accord entre le Canada et
les Etats-Unis d’Amérique touchant la vente des droits du Canada aux avantages d’aval prévus par le traité relatif à la mise
en valeur des ressources hydrauliques du bassin du fleuve Columbia (17 novembre 1961) ; échange de notes constituant un
accord autorisant l’Accord de vente de la part canadienne prévu par le traité relatif à la mise en valeur des ressources
hydrauliques du bassin du fleuve Columbia (17 janvier 1961 et 16 septembre 1964). Si le traité signé entre le Brésil et le
Paraguay relativement au Paraná, qui a donné jour au barrage d’Itaipú et à sa grande capacité de production d’énergie, a
entraîné plusieurs différends avec l’Argentine, le traité tripartite de Corpus et d’Itaipú entre l’Argentine, le Brésil et le
Paraguay a finalement permis de résoudre ceux-ci. Traité d’Itaipú entre le Brésil et le Paraguay (26 avril 1973) ; accord
entre l’Argentine, le Brésil et le Paraguay concernant les centrales hydroélectriques de Corpus et Itaipú. Fait à Ciudad
Presidente Stroessner, Paraguay (19 octobre 1979). Le traité sur les eaux de l’Indus est un accord en matière de distribution
d’eau conclu entre l’Inde et le Pakistan qui, à son entrée en vigueur en 1960, prenait en considération les déviations,
améliorations et modifications artificielles faites au fleuve et à ses affluents et celles qui pourront l’être. Traité de 1960 sur
les eaux de l’Indus, signé entre l’Inde, le Pakistan et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement,
à Karachi (19 septembre 1960).
157 CMB, chap. 2.
158 Ibid.
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conséquent, c’est la Bolivie qui décide s’il y a lieu d’entretenir, et de quelle manière, les chenaux et
systèmes de drainage artificiels qui se trouvent sur son territoire souverain.
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CHAPITRE 4
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DE LA NATURE DU SILALA EN TANT QUE
COURS D’EAU ARTIFICIELLEMENT AMÉLIORÉ
112. Les chapitres précédents ayant démontré que les sources de Silala et leurs eaux font partie
d’un cours d’eau artificiellement amélioré, et que par conséquent les règles invoquées par le Chili ne
s’appliquent pas aux eaux du Silala qui s’écoulent artificiellement, le présent chapitre traitera des
conséquences juridiques découlant de la nature du Silala en tant que cours d’eau artificiellement
amélioré.
113. Dans son mémoire, le Chili convient que, une fois le statut du Silala établi, il ne sera
guère compliqué pour les Parties de s’entendre sur des règles acceptables de gestion. Il affirme ce
qui suit : «Le Chili soutient la position selon laquelle, une fois confirmé le statut du Silala, les
questions relatives à son utilisation et aux restrictions le concernant peuvent être tranchées sans
grande difficulté»159.
114. Sur ce point, la Bolivie se range à l’avis du Chili, qui fait écho aux discussions et aux
travaux conjoints que les Parties ont entrepris après 1999 afin de déterminer la nature des eaux du
Silala, ainsi qu’aux efforts qu’elles ont déployés pour parvenir à un premier accord sur l’utilisation
de ces eaux, malheureusement encore non conclu à ce jour160.
115. En réponse à la position du Chili qui consiste à n’opérer aucune distinction entre les eaux
du Silala, le présent chapitre clarifiera les régimes juridiques distincts à prendre en considération, et
dont le Chili fait systématiquement abstraction. Tout d’abord, la Bolivie détient la pleine
souveraineté sur l’utilisation des eaux s’écoulant artificiellement, lesquelles, en l’absence d’accord
avec le Chili, doivent être régies par le droit interne bolivien. Ensuite, puisqu’il n’y a pas d’accord
entre les deux pays au sujet des eaux du Silala qui s’écoulent naturellement, celles-ci sont régies par
le droit international coutumier. A moins que les deux Etats ne parviennent à conclure un accord
établissant un ensemble de règles distinct pour la gestion propre à chaque composante du Silala et de
ses eaux, ou à leur ensemble, qui comprend les eaux s’écoulant naturellement et celles s’écoulant par
suite des ouvrages artificiels, les deux régimes juridiques distincts s’appliquent l’un et l’autre à la
gestion globale de ce cours d’eau artificiellement amélioré, unique et fragile.
159 MC, par. 1.6.
160 CMB, par. 27-40.
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116. Contrairement à la position qu’il adopte en l’espèce, le Chili avait reconnu en 1997 que
deux régimes distincts s’appliquaient effectivement. Comme il a été rapporté le 17 mai 1997, le Chili
considérait, à cette époque, que la résiliation de la concession relative aux eaux du Silala161 était une
question relevant du droit interne et non international :
«Le Gouvernement chilien a déclaré hier soir qu’il n’y avait aucun désaccord
avec le Gouvernement bolivien s’agissant de l’utilisation des eaux de la rivière Silala
qui assurent l’approvisionnement des populations du nord de notre pays, ajoutant que
cette question devait faire l’objet d’un contrat de droit privé international, envisagé dans
l’optique de ce même droit … Selon le ministre des affaires étrangères par intérim,
Mariano Fernández, il s’agit d’un contrat de droit privé international, qui est donc
soumis aux règles régissant tous les contrats … «Pour l’instant, je dois dire qu’il n’y a
aucun différend sur cette question entre le Gouvernement bolivien et le Gouvernement
chilien».»162
A. DROIT À UNE UTILISATION ÉQUITABLE ET RAISONNABLE DES EAUX
DU SILALA QUI S’ÉCOULENT NATURELLEMENT
117. Dans sa requête et son mémoire, le Chili prie la Cour de dire et juger qu’il «est en droit
d’utiliser de manière équitable et raisonnable les eaux du système hydrographique du Silala,
conformément au droit international coutumier»163. Il prie également la Cour de dire que, «selon le
critère d’utilisation équitable et raisonnable, [il] est en droit d’utiliser comme il le fait actuellement
les eaux du Silala»164. Cette dernière demande, si elle est acceptée, pourrait empêcher la Bolivie
d’exercer le droit que lui reconnaît le droit international d’utiliser les eaux du Silala dans l’avenir.
118. S’agissant de l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Silala, la Bolivie estime
que les demandes du Chili devraient être rejetées, car elles visent toutes les eaux du Silala, y compris
celles qui s’écoulent artificiellement. De plus, ces demandes devraient être rejetées en ce qu’elles ne
tiennent compte que des droits du Chili, en faisant abstraction de ceux de la Bolivie. L’utilisation
que fait actuellement le Chili des eaux du Silala qui s’écoulent naturellement ne peut être admise que
dans les cas et dans la mesure où elle ne porte pas atteinte au droit qu’a la Bolivie d’utiliser ces eaux
de manière équitable et raisonnable.
119. Tout d’abord, en ce qui concerne la première demande du Chili, qui dit être «en droit
d’utiliser de manière équitable et raisonnable les eaux du système hydrographique du Silala,
conformément au droit international coutumier», la Bolivie convient, comme le Chili, que le principe
161 Arrêté no 71/97 de la préfecture du département de Potosí (Bolivie), 14 mai 1997, MC, par. 2.24. MC, vol. 3,
annexe 46. La concession a été révoquée et résiliée en 1997 au motif, d’une part, que son objet, sa raison d’être et son but
n’existaient plus en raison
«de nouveaux facteurs déterminants tels que la conversion technologique des locomotives de la compagnie
concessionnaire, rendant inutile l’eau auparavant utilisée pour produire la vapeur nécessaire à leur
propulsion, ainsi que par l’inexistence du concessionnaire en tant que personne morale en activité sur le
territoire bolivien»
et, d’autre part, qu’il était «prouvé que lesdites eaux [avaient] été indûment utilisées par des tiers n’ayant pas reçu
concession à cette fin, ce qui port[ait] atteinte aux intérêts de l’Etat et constitu[ait] une violation évidente des articles 136
et 137 de la constitution politique de l’Etat». Pour le décret suprême bolivien no 24660, 20 juin 1997, voir CMB, vol. 2,
annexe 13.
162 «Clarification from the Chilean Chancellery: There is no conflict with Bolivia over the Silala River»,
El Mercurio, Santiago, 17 mai 1997. CMB, vol. 6, annexe 15.
163 Requête, par. 50 b) ; MC, p. 107, conclusions, al. b).
164 Requête, par. 50 c) ; MC, p. 107, conclusions, al. c).
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d’utilisation équitable et raisonnable, tel qu’il est énoncé aux articles 5 et 6 de la convention de
1997165, constitue «la pierre angulaire» du droit relatif aux cours d’eau internationaux166.
Concrètement, c’est «en comparant le poids de tous les facteurs et circonstances pertinents que l’on
pourra dire, dans chaque cas d’espèce, ce qu’est une utilisation équitable et raisonnable»167. Comme
l’a souligné le Chili dans son mémoire, l’utilisation équitable et raisonnable est un «critère souple
qui doit être adapté en fonction des faits et des circonstances de chaque cas»168. La règle exprimée à
l’article 6 de la convention de 1997 présente à titre indicatif une liste non exhaustive des facteurs
dont il faut tenir compte pour déterminer l’utilisation équitable et raisonnable d’un cours d’eau
international169. Qui plus est, tous les facteurs doivent être pris en considération ensemble et aucune
165 L’article 5 de la convention de 1997 dispose ce qui suit :
«1. Les Etats du cours d’eau utilisent sur leurs territoires respectifs le cours d’eau international de manière
équitable et raisonnable. En particulier, un cours d’eau international sera utilisé et mis en valeur par les
Etats du cours d’eau en vue de parvenir à l’utilisation et aux avantages optimaux et durables  compte
tenu des intérêts des Etats du cours d’eau concernés  compatibles avec les exigences d’une protection
adéquate du cours d’eau.
2. Les Etats du cours d’eau participent à l’utilisation, à la mise en valeur et à la protection d’un cours d’eau
international de manière équitable et raisonnable. Cette participation comporte à la fois le droit d’utiliser
le cours d’eau et le devoir de coopérer à sa protection et à sa mise en valeur, comme prévu dans les
présents articles.»
166 MC, par. 5.6.
167 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 107, par. 1) du commentaire de l’article 6.
168 MC, par. 5.9.
169 Une liste non exhaustive des facteurs applicables est dressée à l’article 6 de la convention de 1997 sous le titre
«Facteurs pertinents pour une utilisation équitable et raisonnable» :
«1. L’utilisation de manière équitable et raisonnable d’un cours d’eau international au sens de l’article 5
implique la prise en considération de tous les facteurs et circonstances pertinents, notamment :
a) Les facteurs géographiques, hydrographiques, hydrologiques, climatiques, écologiques et autres
facteurs de caractère naturel ;
b) Les besoins économiques et sociaux des Etats du cours d’eau intéressés ;
c) La population tributaire du cours d’eau dans chaque Etat du cours d’eau ;
d) Les effets de l’utilisation ou des utilisations du cours d’eau dans un Etat du cours d’eau sur d’autres
Etats du cours d’eau ;
e) Les utilisations actuelles et potentielles du cours d’eau ;
f) La conservation, la protection, la mise en valeur et l’économie dans l’utilisation des ressources en
eau du cours d’eau ainsi que les coûts des mesures prises à cet effet ;
g) L’existence d’autres options, de valeur comparable, susceptibles de remplacer une utilisation
particulière, actuelle ou envisagée.»
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priorité ne leur est assignée170, bien qu’une «attention spéciale» doive être «accordée à la satisfaction
des besoins humains essentiels»171.
120. En revanche, la Bolivie est en désaccord avec le Chili en ce qui concerne le champ
d’application de ce principe en l’espèce. Elle considère que le Chili et elle-même ont tous deux droit
à une utilisation équitable et raisonnable des eaux du Silala, mais seulement pour ce qui est de celles
qui s’écoulent naturellement. Par contre, comme elle l’a précédemment expliqué172, la Bolivie a la
pleine souveraineté sur l’écoulement artificiel des eaux du Silala du fait que, en l’absence de systèmes
de drainage et de chenalisation, les eaux qui sont générées ou stimulées par des moyens mécaniques
ne s’écouleraient pas naturellement vers le territoire chilien. Le principe de l’utilisation équitable et
raisonnable reconnu en droit international coutumier ne s’applique pas à l’écoulement artificiel des
eaux du Silala.
121. Une autre conséquence de la souveraineté que détient la Bolivie sur l’écoulement artificiel
des eaux du Silala est que toute utilisation de ces eaux par le Chili est subordonnée au consentement
de la Bolivie173.
B. UTILISATION ACTUELLE DES EAUX DU SILALA PAR LE CHILI
122. Dans sa deuxième demande concernant l’utilisation équitable et raisonnable, le Chili prie
la Cour de dire et juger que, selon le critère d’une telle utilisation, il «est en droit d’utiliser comme il
le fait actuellement les eaux du Silala»174.
170 Si le poids relatif à accorder aux différents facteurs n’est pas défini dans le principe énoncé, la CDI a cependant
affirmé ce qui suit :
«Il se peut que certains des facteurs figurant sur cette liste soient pertinents dans un cas, alors que
d’autres ne le seront pas ; il se peut aussi qu’il y ait d’autres facteurs pertinents qui n’apparaissent pas sur
cette liste. Aucune priorité, aucun poids particulier ne sont assignés aux facteurs et circonstances
énumérés ; certains d’entre eux peuvent se trouver plus importants dans certains cas, d’autres auront plus
de poids dans d’autres cas.»
Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux utilisations
des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la Commission
du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 107, par. 3) du commentaire de l’article 6 (les italiques sont de
nous).
171 L’article 10 de la convention de 1997 se lit comme suit :
«1. En l’absence d’accord ou de coutume en sens contraire, aucune utilisation d’un cours d’eau
international n’a en soi priorité sur d’autres utilisations. 2. En cas de conflit entre des utilisations d’un cours
d’eau international, le conflit est résolu eu égard aux articles 5 à 7, une attention spéciale étant accordée à
la satisfaction des besoins humains essentiels» (les italiques sont de nous).
172 CMB, chap. 3.
173 CMB, chap. 6. Il convient de souligner que lors des négociations de la convention de 1997 le Chili s’était montré
favorable à l’exercice de la souveraineté des Etats sur la partie du cours d’eau située sur leur territoire. Ainsi, lorsqu’elle a
expliqué son vote pour l’approbation du projet de convention, la délégation du Chili a précisé qu’elle
«a[vait] voté pour le projet de convention, malgré les réserves qu’elle avait à faire sur certaines de ses
dispositions. Par exemple, la disparition de la mention de la souveraineté des Etats du cours d’eau sur la
partie du cours d’eau qui se trouve sur leur territoire [était] une lacune grave, car le point de départ de tout
le processus juridique [était] le principe de la souveraineté des Etats».
Voir Nations Unies, Sixième Commission, compte rendu analytique de la deuxième partie de la 62e séance tenue le 4 avril
1997, doc. A/C.6/51/SR.62/Add.1, par. 24. CMB, vol. 2, annexe 3.
174 Requête, par. 50 c) ; MC, p. 107, conclusions, al. c).
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123. Lue de manière littérale, cette demande semble indiquer que le Chili attend de la Cour
qu’elle déclare que l’utilisation qu’il fait actuellement du Silala doit lui être garantie à perpétuité.
Autrement dit, cette demande laisse entendre que le débit et le volume actuels des eaux qui s’écoulent
de la Bolivie vers le Chili ne devraient pas être modifiés à l’avenir et que toute modification ultérieure
en faveur de la Bolivie violerait le droit du Chili à son actuelle utilisation équitable et raisonnable,
telle que la Cour l’aurait reconnue. Pareille demande est totalement contraire au droit international
et viole le droit équivalent de la Bolivie à une part équitable et raisonnable des eaux du Silala qui
s’écoulent naturellement, ainsi que ses droits exclusifs sur celles qui s’écoulent artificiellement. Il
s’ensuivrait qu’un Etat (le Chili en l’espèce) serait en mesure de «pren[dre] unilatéralement le
contrôle d’une ressource partagée, et en privant ainsi [un autre Etat] de son droit à une part équitable
et raisonnable des ressources naturelles [de ladite ressource partagée]»175. Cette position n’est pas
défendable.
124. Dans son mémoire, le Chili reconnaît que la Bolivie a des droits équivalents à une
utilisation équitable et raisonnable :
«[D]ès lors qu’il est jugé que le Silala est un cours d’eau international, partagé
par la Bolivie et le Chili, chacun de ces Etats dispose de ce «droit fondamental» et est
tenu par l’obligation correspondante en matière d’utilisation équitable et raisonnable
des eaux en question.»176
125. L’utilisation équitable et raisonnable est un principe souple non seulement parce qu’il
s’adapte au contexte177, mais également parce qu’il peut évoluer au fil du temps en fonction de
nouvelles circonstances, nécessités et utilisations que peuvent invoquer les Etats riverains à l’égard
du cours d’eau international.
126. En effet, selon l’interprétation donnée par le Chili lui-même, la nature équitable et
raisonnable de l’utilisation qu’il fait actuellement des eaux du Silala est tributaire de l’absence
d’utilisations qui viendraient faire contrepoids en territoire bolivien. Le Chili affirme dans son
mémoire que,
«[c]omme la Bolivie n’exerce nullement son droit équivalent d’utiliser les eaux du
Silala, il apparaît inéluctablement que toute l’utilisation qu[’il] fait … , en sa qualité
d’Etat riverain d’aval, du débit d’eau de 170 litres par seconde qui franchit la frontière
internationale entre les deux pays ne peut être qu’équitable et raisonnable à l’égard de
la Bolivie»178.
175 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, par. 85. Le Chili s’appuie sur
cette citation au paragraphe 5.3 de son mémoire. Le plus souvent, ce sont les actions des Etats d’amont qui sont contestées
comme d’éventuelles violations du droit international en raison d’un préjudice qui serait causé à un Etat d’aval. Toutefois,
si un Etat d’aval souscrivait à l’interprétation susmentionnée, il empêcherait effectivement toute utilisation future du cours
d’eau transfrontière par l’Etat d’amont. Cette privation d’utilisation pourrait, par la suite, être considérée comme causant
un préjudice à l’Etat d’amont, du fait que cet Etat riverain d’amont ne pourrait jouir de son droit d’utiliser les eaux de
manière équitable et raisonnable. Voir S. Salman, «Downstream Riparians Can Also Harm Upstream Riparians: The
Concept of Foreclosure of Future Uses», Water International, 2010, p. 350-364.
176 MC, par. 5.5 (les italiques sont de nous). Voir également MC, par. 5.3 : «Conformément au principe de
l’utilisation équitable et raisonnable, le Chili a le droit d’utiliser les eaux du Silala et d’être à l’abri de tout dommage
important causé par la Bolivie. Le Chili a, en corollaire, des obligations à l’égard de la Bolivie. La Bolivie de son côté a
les mêmes droits, et les mêmes obligations correspondantes envers le Chili» (les italiques sont de nous).
177 CMB, par. 119.
178 MC, par. 5.13.
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127. Qui plus est, si la Bolivie devait, dans l’avenir, exercer son droit à une utilisation équitable
et raisonnable des eaux du Silala qui s’écoulent naturellement, le Chili ne serait alors pas en droit
d’utiliser dans leur intégralité ces eaux comme il le fait à l’heure actuelle. S’il le faisait, il empêcherait
de fait la Bolivie d’utiliser les eaux du Silala qui s’écoulent naturellement.
128. Il serait contraire au droit international d’inférer de la demande du Chili à la Cour que
toute action future engagée par la Bolivie serait illicite si elle entravait l’écoulement naturel de l’eau
vers le Chili. Comme il a été dit plus haut179, cette prétention ne saurait prospérer.
129. A la lumière de ce qui précède, la Bolivie conclut ce qui suit s’agissant des demandes
faites par le Chili dans sa requête et son mémoire en lien avec l’utilisation équitable et raisonnable
des eaux du Silala :
a) les règles du droit international coutumier relatives à l’utilisation des cours d’eau internationaux
ne s’appliquent pas aux eaux du Silala qui s’écoulent artificiellement ;
b) la Bolivie et le Chili sont tous deux en droit d’utiliser de manière équitable et raisonnable les eaux
du Silala qui s’écoulent naturellement, conformément au droit international coutumier ;
c) l’utilisation que fait actuellement le Chili des eaux qui s’écoulent naturellement est sans préjudice
du droit continu de la Bolivie à une utilisation équitable et raisonnable de ces eaux.
C. OBLIGATION DES PARTIES DE PRENDRE LES MESURES APPROPRIÉES
POUR ÉVITER DE CAUSER UN DOMMAGE TRANSFRONTIÈRE
IMPORTANT À L’ENVIRONNEMENT
130. Dans ses demandes, le Chili prie la Cour de dire et juger que «la Bolivie est tenue de
prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir et limiter la pollution et autres formes de
préjudice que causent au Chili les activités qu’elle mène à proximité du Silala»180.
131. Le Chili n’est toutefois pas cohérent dans ses demandes. Dans le chapitre 5 de son
mémoire, il en présente une différente, plus restreinte, à l’effet de dire que la «Bolivie a l’obligation
de prendre toutes les mesures appropriées pour éviter de causer un dommage important au Chili»181.
D’après le Chili, cette obligation (d’«éviter de causer un dommage important») est fondée sur la
«règle … codifiée à l’article 7 de la convention de 1997» et s’applique aux «Etats qui partagent un
cours d’eau international»182.
132. Le Chili invoque également «les mesures que la Bolivie doit prendre pour donner plein
effet à l’article 7 de la convention de 1997»183. Or, dans un autre paragraphe de la même section du
mémoire, il affirme que la Bolivie est tenue d’éviter «de [lui] causer … d’autres types de
dommages»184 et prie la Cour de «réaffirmer que la Bolivie est tenue de prendre toutes les mesures
appropriées pour prévenir et limiter la pollution et autres formes de préjudice que causent au Chili
179 CMB, par. 118.
180 Requête, par. 50 d) ; MC, p. 107, conclusions, al. d).
181 MC, p. 96, section C (les italiques sont de nous).
182 MC, par. 5.14.
183 Ibid., par. 5.17.
184 Ibid., par. 5.16.
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les activités qu’elle mène à proximité du Silala»185. De plus, le Chili invoque l’article 7 de la
convention de 1997 pour faire valoir l’existence d’une obligation de ne pas mener d’activités «à
proximité du Silala» susceptibles d’avoir une incidence sur la qualité des eaux186, alors que ledit
article ne vise que des dommages importants résultant de l’utilisation du cours d’eau international.
133. La demande du Chili, telle qu’elle est formulée dans les conclusions du mémoire, devrait
être rejetée. La Bolivie n’est pas liée par la convention de 1997 en tant que telle, mais seulement par
les dispositions qui, dans cet instrument, reflètent le droit international coutumier. De plus, le droit
relatif aux cours d’eau internationaux ne s’applique qu’aux eaux du Silala qui s’écoulent
naturellement. Etant donné que les sources de Silala et leurs eaux font partie d’un cours d’eau
artificiellement amélioré, celles de ces eaux qui s’écoulent artificiellement ne sont pas assujetties aux
règles du droit international coutumier relatives à l’utilisation des cours d’eau internationaux.
134. De surcroît, le principe de ne causer «aucun dommage important» («no significant harm»)
vise seulement, en droit international coutumier, les dommages environnementaux importants et ne
consiste pas, comme l’avance le Chili dans ses conclusions, à «prévenir et limiter la pollution et
autres formes de préjudice» sans autre précision. Ce principe est profondément ancré en droit
international de l’environnement. Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi
d’armes nucléaires, la Cour a appliqué au domaine de l’environnement la maxime latine sic utere
tuo ut alienum non laedas187 et a affirmé ce qui suit :
«L’obligation générale qu’ont les Etats de veiller à ce que les activités exercées
dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l’environnement dans
d’autres Etats ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale fait
maintenant partie du corps de règles du droit international de l’environnement.»188
135. Selon la Cour, le champ d’application et le contenu de cette règle sont clairs :
«Ainsi que la Cour l’a réaffirmé en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier,
au regard du droit international coutumier, «l’Etat est tenu de mettre en oeuvre tous les
moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire,
ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible [significant
harm] à l’environnement d’un autre Etat» (arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 56,
par. 101 ; voir également Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242, par. 29).»189
185 MC, par. 5.17 (les italiques sont de nous).
186 Ibid., par. 5.16-5.17.
187 Cette maxime signifie «use de ton propre bien de manière à ne pas porter préjudice au bien d’autrui», selon
J. Law et E. A. Martin, A Dictionary of Law, 7e éd., Oxford University Press, 2014. Dans une décision antérieure, la Cour
a fait référence à cette maxime, bien que dans un contexte autre que l’environnement : «l’obligation, pour tout Etat, de ne
pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres Etats» (Détroit de Corfou (Royaume-Uni
c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 22).
188 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), par. 29.
189 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et
Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (II), par. 118.
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136. Dans toutes les affaires concernant des questions environnementales qui ont été portées
devant la Cour au cours des vingt dernières années, il a été précisé que la règle de ne causer «aucun
dommage important» reflétait le droit international coutumier190.
137. L’obligation de prévenir un tel dommage important n’est pas absolue ; il s’agit d’une
obligation de diligence requise exprimée par la formule «[prendre] toutes les mesures appropriées».
Selon la Commission du droit international :
«L’obligation de faire preuve de toute la diligence voulue, énoncée à l’article 7,
fixe le seuil des activités licites de l’Etat … Il s’agit d’une obligation de comportement,
et non d’une obligation de résultat. Ce qu’elle implique, c’est que l’Etat du cours d’eau
dont l’utilisation cause un dommage significatif [significant harm] ne peut être réputé
avoir manqué à son obligation d’exercer la diligence requise pour ne pas causer de
dommages significatifs que si, intentionnellement ou par négligence, il a causé le fait
qui aurait dû être prévenu, ou si, intentionnellement ou par négligence, il n’a pas
empêché autrui sur son territoire de causer ce fait ou s’est abstenu de l’atténuer.»191
138. La diligence requise qui caractérise l’obligation de ne causer «aucun dommage
important» a été confirmée dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, dans laquelle la Cour
a réaffirmé que cette obligation «impose d’exercer la diligence requise («due diligence») vis-à-vis
de toutes les activités qui se déroulent sous la juridiction et le contrôle de chacune des parties»192. Il
y a manquement à cette obligation si un Etat n’a pas «agi avec la diligence requise, faute d’avoir pris
toutes les mesures appropriées pour assurer l’application de la réglementation pertinente à un
opérateur public ou privé relevant de sa juridiction»193. Le projet d’articles sur la prévention des
dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses de la Commission du droit international
vient également appuyer le constat que la règle de ne causer «aucun dommage important» relève de
la diligence requise, et confirme les conséquences qui en découlent194.
190 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, par. 112 ; Usines de pâte à
papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), par. 193 ; Certaines activités menées
par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long
du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), par. 118.
191 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 109, par. 4.
192 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, par. 197. La
Cour a en outre précisé que
«[c]ette obligation implique la nécessité non seulement d’adopter les normes et mesures appropriées, mais
encore d’exercer un certain degré de vigilance dans leur mise en oeuvre ainsi que dans le contrôle
administratif des opérateurs publics et privés, par exemple en assurant la surveillance des activités
entreprises par ces opérateurs, et ce, afin de préserver les droits de l’autre partie».
193 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, par. 197.
194 «L’obligation faite à l’Etat d’origine de prendre des mesures pour prévenir les dommages ou pour
en réduire le risque au minimum est un devoir de diligence. C’est le comportement de l’Etat d’origine qui
déterminera si celui-ci s’est acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu des présents articles. Le devoir
de diligence n’est cependant pas censé prévenir absolument tout dommage significatif si cela n’est pas
possible. Dans ce cas-là, l’Etat d’origine est tenu, comme indiqué plus haut, de faire de son mieux pour
réduire le risque au minimum. Dans ce sens, il ne garantit pas que des dommages ne surviendront pas.»
Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, Nations Unies,
doc. A/56/10, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, p. 165, par. 7) du
commentaire du projet d’article 3.
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- 53 -
139. Pour terminer, seule l’utilisation des eaux du Silala qui s’écoulent naturellement est régie
par le droit international coutumier relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux. Le principe
de ne causer «aucun dommage important» en droit international coutumier ne vise que les dommages
importants. Il s’applique aux deux Etats. En conséquence, la Bolivie demande à la Cour de rejeter la
prétention du Chili et de dire que le Chili et elle-même sont tous deux tenus, en vertu du droit
international coutumier, de prendre toutes les mesures appropriées pour éviter de causer des
dommages transfrontières importants à l’environnement.
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- 54 -
CHAPITRE 5
LA BOLIVIE N’A PAS MANQUÉ À L’OBLIGATION DE
NOTIFICATION ET DE CONSULTATION
140. Dans son mémoire, le Chili soutient que la Bolivie a manqué aux obligations de nature
procédurale qui lui incombent, à savoir celles qui lui imposent de notifier en temps utile toutes
mesures projetées qui seraient susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des ressources en eau
partagées et de procéder à l’échange de données et d’informations concernant ces mesures195. Dans
l’une de ses conclusions, le Chili prie la Cour de dire que «la Bolivie a manqué … [à ses]
obligations … de consulter … et de lui donner notification», mais ne demande aucune autre
réparation196. Dans le présent chapitre, la Bolivie démontrera que le Chili n’a pas prouvé l’existence
d’un tel manquement.
A. LA BOLIVIE A RÉPONDU AUX DEMANDES DU CHILI CONCERNANT
LES QUESTIONS LIÉES AUX EAUX DU SILALA
141. Selon le Chili, la «Bolivie a fait savoir qu’elle avait pris certaines mesures, annonçant
notamment en mai 2012 la construction d’une ferme piscicole, d’un barrage et d’une usine
d’embouteillage d’eau minérale, ce à quoi s’est ajoutée plus récemment la construction de dix
habitations à proximité du Silala»197. Le Chili poursuit ainsi :
«[Le Silala] ayant un débit assez faible et étant situé dans une région extrêmement
aride, ces mesures pourraient aisément avoir un effet préjudiciable sur les ressources en
eau partagées. Toutefois, alors que le Chili s’est enquis à de nombreuses reprises auprès
de la Bolivie de la nature et de l’étendue des mesures annoncées, demandant en
particulier des informations sur l’utilisation des eaux du Silala aux fins des installations
sanitaires requises pour les nouvelles constructions, la Bolivie ne lui a fourni aucune
réponse substantielle.»198
142. Dans le même paragraphe, le Chili précise que,
195 Lorsqu’il résume ses arguments dans son mémoire, le Chili expose les «conséquences juridiques découlant du
statut de cours d’eau international du Silala». Il décrit l’une de ces conséquences en ces termes :
«La troisième conséquence est que la Bolivie est soumise à un ensemble d’obligations de nature
procédurale. Elle est tenue de coopérer, de notifier au Chili en temps utile toutes mesures projetées qui
seraient susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des ressources en eau partagées, de procéder à
l’échange de données et d’informations et de réaliser au besoin une évaluation d’impact sur
l’environnement, afin de permettre au Chili d’apprécier les effets éventuels de tels projets» (MC,
par. 1.17, c)) (les italiques sont de nous).
Dans ses conclusions, le Chili affirme à l’alinéa e) que
«la Bolivie est tenue de coopérer et de [lui] notifier … en temps utile les mesures projetées qui sont
susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des ressources en eau partagées, de procéder à l’échange de
données et d’informations, et de réaliser au besoin une évaluation de l’impact sur l’environnement, afin de
[lui] permettre … d’apprécier les effets éventuels de telles mesures, toutes obligations auxquelles la Bolivie
a manqué. Les obligations non respectées à ce jour sont celle de consulter le Chili et celle de lui donner
notification pour ce qui concerne les activités susceptibles d’avoir une incidence sur les eaux du Silala ou
l’utilisation qui en est faite par le Chili» (MC, p. 107, conclusions, al. e)) (les italiques sont de nous).
196 MC, p. 107, conclusions, al. e). Aux paragraphes 1.13 et 6.1-6.2 de son mémoire, le Chili fait mention de
réparation et de restitution. Cependant, il dit ensuite (par. 6.2) que ses droits «seraient convenablement protégés si la Cour
prononçait un certain nombre de déclarations».
197 MC, par. 1.17 c).
198 Ibid.
86
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- 55 -
«[t]ant que la Bolivie ne communique aucune information attestant l’absence de risque
d’effet préjudiciable ou ne confirme pas qu’elle renonce aux mesures annoncées, [il]
considère que la Bolivie manque à ses obligations de nature procédurale et demande
qu’un jugement déclaratoire soit rendu en ce sens»199.
143. Le Chili affirme dans son mémoire que, le 7 mai 2012, il a demandé des informations à
la Bolivie, mais que celle-ci ne lui a jamais répondu200. Cette affirmation est fausse. Le Chili omet
de mentionner que, dans une note verbale en date du 24 mai 2012, la Bolivie a répondu qu’elle
« invit[ait] de nouveau le Chili à effectuer une visite conjointe dans la région»201. Elle concluait sa
note en disant qu’«[e]n accord avec la culture du dialogue … [elle] se déclar[ait] disposé[e] à
poursuivre l’exploration des voies permettant de parvenir à une compréhension commune afin de
continuer d’aller de l’avant dans le traitement de la question»202.
144. Le Chili a lui-même pris acte de cette réponse lorsqu’il a accepté l’invitation de la Bolivie
le 9 octobre 2012 et exprimé son désir de «qu’une telle visite ait lieu le plus rapidement possible»,
ajoutant qu’il leur fallait convenir des dates, choisir les membres de leur délégation et en définir le
mandat203. Contrairement à ce qu’avance le Chili, la Bolivie a de nouveau répondu par une note
verbale en date du 25 octobre 2012 :
«En ce qui concerne la proposition, formulée par le Gouvernement de l’Etat
plurinational de Bolivie dans sa lettre du 13 septembre 20[11], consistant à organiser
une «visite conjointe» dans la région, le ministère des affaires étrangères estime que les
modalités d’une telle visite doivent être établies de manière coordonnée par le jeu du
«Mécanisme de consultation[s] politique[s] entre la Bolivie et le Chili», ce qui permettra
aux deux pays de traiter conjointement la question.»204
145. Il convient de noter qu’à cette époque les Parties étaient déjà en désaccord sur la nature
des eaux du Silala205 et qu’elles étaient déjà convenues, en particulier en 2004, d’effectuer des études
communes et de débattre de la question afin de «déterminer le caractère, l’origine et le débit des eaux
du Silala»206. Comme le Chili le fait remarquer dans son mémoire, la position de la Bolivie, comme
199 MC, par. 1.17 c).
200 Ibid., par. 5.19.
201 Note no VRE-DGRB-UAM-009901/2012 en date du 24 mai 2012 adressée au consulat général du Chili à La Paz
par le ministère des affaires étrangères de Bolivie, CMB, vol. 2, annexe 12.
202 Ibid.
203 Note no 389/149 en date du 9 octobre 2012 adressée au ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational
de Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz, MC, vol. 2, annexe 35.
204 Note no VRE-DGRB-UAM-020663/2012 en date du 25 octobre 2012 adressée au consulat général du Chili par
le ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie, MC, vol. 2, annexe 36.
205 CMB, par. 26-37.
206 MC, par. 3.22. Dans les deux lettres de mai et d’octobre 2012 par lesquelles il demandait à recevoir des
informations, le Chili a réaffirmé la nécessité de «poursuivre les études, observations sur le terrain et travaux conjoints
liés» aux eaux du Silala (annexe 34) et a demandé à « organiser une visite sur le terrain afin que des observations puissent
y être effectuées et des travaux conjoints, planifiés» (annexe 35). Voir note no 199/39 en date du 7 mai 2012 adressée au
ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz, MC, vol. 2,
annexe 34 ; note no 389/149 en date du 9 octobre 2012 adressée au ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational
de Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz, MC, vol. 2, annexe 35.
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celle-ci l’a exposée dans ses lettres en réponse aux demandes d’information du Chili, était alors que
les eaux du Silala ne pouvaient être qualifiées, dans leur ensemble, de cours d’eau international207.
146. Il importe de souligner que, même si les deux Parties étaient en désaccord sur le statut et
la nature des eaux, la Bolivie a répété, dans de multiples notes verbales adressées au Chili entre
janvier 2013 et avril 2014 en réponse à ses demandes d’information, que,
«en accord avec la culture du dialogue qui caractérise l’Etat plurinational de Bolivie, le
ministère des affaires étrangères se déclare disposé à commencer des conversations sur
cette question et sur d’autres questions bilatérales dans le cadre du mécanisme de
consultations politiques convenu entre les deux gouvernements»208.
147. Il est donc faux d’affirmer, comme le fait le Chili, que la Bolivie s’est, de manière répétée,
«absten[ue] de répondre aux demandes d’information du Chili»209. Cette affirmation est tout
simplement erronée. De plus, la proposition de la Bolivie était conforme à l’idée qu’il est nécessaire
de «créer les conditions d’une coopération fructueuse entre les parties»210. Le Chili n’a jamais
répondu sur ce point211.
148. En outre, comme il a été indiqué plus haut212, les études scientifiques pertinentes soumises
par les deux Parties dans la présente instance démontrent que les eaux du Silala forment un cours
d’eau artificiellement amélioré. Les obligations de nature procédurale que sont la notification et la
consultation s’appliquent uniquement aux eaux du Silala qui s’écoulent naturellement,
conformément au droit international coutumier. Elles ne s’appliquent pas aux eaux qui s’écoulent
artificiellement, à moins qu’un accord entre les Parties n’ait été conclu à cet effet. En l’espèce, la
Bolivie et le Chili n’ont pas conclu un tel accord. Même si l’on considérait que ces obligations de
nature procédurale s’appliquaient aux eaux du Silala dans leur ensemble, il serait manifeste que la
Bolivie n’a manqué à aucune de ces obligations supposées, comme il sera démontré ci-après.
207 MC, par. 3.27-3.29 et 5.20.
208 Note no VRE-DGLF-UMA-000715/2013 en date du 17 janvier 2013 adressée au consulat général du Chili à
La Paz par le ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, annexe 37.2 (les italiques sont de nous). Voir également
note no VRE-DGLF-UMA-008107/2013 en date du 9 mai 2013 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le
ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, vol. 2, annexe 37.4 ; note no VRE-DGLF-UMA-017599/2013 en date
du 2 octobre 2013 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC,
vol. 2, annexe 37.6 ; note no VRE-DGLF-UMA-020899/2013 en date du 19 novembre 2013 adressée au consulat général
du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, vol. 2, annexe 37.8 ; note
no VRE-DGLF-UMA-022856/2013 en date du 16 décembre 2013 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le
ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, vol. 2, annexe 37.10 ; note no VRE-DGLFAIT-UAIT-Nv-7/2014 en
date du 19 février 2014 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de la Bolivie,
MC, vol. 2, annexe 37.12 ; et note no VRE-DGLFAIT-UAIT-Cs-136/2014 en date du 10 avril 2014 adressée au consulat
général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie, MC, vol. 2, annexe 38.2.
209 MC, par. 5.31-5.32.
210 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), par. 113 ;
voir également par. 115.
211 Note no 003933 en date du 9 avril 2013 adressée au consulat général de Bolivie à Santiago par le ministère des
affaires étrangères du Chili, MC, vol. 2, annexe 37.3 ; note no 269/134 en date du 25 septembre 2013 adressée au ministère
des affaires étrangères de la Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz, MC, vol. 2, annexe 37.5 ; note no 323/157
en date du 29 octobre 2013 adressée au ministère des affaires étrangères de la Bolivie par le consulat général du Chili à
La Paz, MC, vol. 2, annexe 37.7 ; note no 362/180 en date du 28 novembre 2013 adressée au ministère des affaires
étrangères de la Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz, MC, vol. 2, annexe 37.9 ; et note no 63/51 en date du
12 février 2014 adressée au ministère des affaires étrangères de la Bolivie par le consulat général du Chili à La Paz, MC,
vol. 2, annexe 37.11.
212 CMB, par. 42.
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149. La Bolivie s’est toujours montrée disposée à coopérer, même en ce qui concerne
l’utilisation des eaux d’un cours d’eau artificiellement amélioré. Dans son mémoire, le Chili affirme
que «la Bolivie a récemment adopté la position selon laquelle le Silala n’est pas un cours d’eau
international, si bien qu’elle ne s’estime pas tenue de coopérer avec le Chili pour la gestion et
l’utilisation de ses eaux»213. La correspondance officielle témoigne toutefois du contraire214.
B. LA BOLIVIE N’A PAS MANQUÉ À L’OBLIGATION DE NOTIFIER AU CHILI
EN TEMPS UTILE TOUTES MESURES PROJETÉES SUR LE SITE DU SILALA
150. Bien que le Chili, au chapitre 5 du mémoire, invoque les obligations de nature procédurale
qui consistent à lui notifier en temps utile les mesures projetées, à procéder à l’échange de données
et d’informations, et à réaliser une évaluation de l’impact sur l’environnement, le seul prétendu
manquement à une obligation de procédure qu’il étaye est le défaut de notification en temps utile des
mesures projetées. Qui plus est, au chapitre 6, dans lequel il expose ses demandes, le Chili prie
simplement la Cour «de se prononcer sur le manquement par la Bolivie à ses obligations de
notification et de consultation»215.
151. S’agissant de l’obligation de notification en temps utile et de consultation qui vaut pour
toute mesure projetée, le Chili soutient qu’elle s’applique à «la construction d’une ferme piscicole,
d’un barrage et d’une usine d’embouteillage d’eau minérale»216 et à «la construction récente de dix
habitations à proximité du poste militaire bolivien»217. Selon la conclusion e) qu’il a soumise, «la
Bolivie a manqué … [à ses] obligations … de [le] consulter … et de lui donner notification pour ce
qui concerne les activités susceptibles d’avoir une incidence sur les eaux du Silala ou l’utilisation
[qu’il en fait]»218.
213 MC, par. 5.26.
214 Il est notamment indiqué dans les notes verbales transmises au Chili entre janvier 2013 et avril 2014 ce qui suit :
«en accord avec la culture du dialogue qui caractérise l’Etat plurinational de Bolivie, le ministère des affaires
étrangères se déclare disposé à commencer des conversations sur cette question et sur d’autres questions bilatérales dans
le cadre du mécanisme de consultations politiques convenu entre les deux gouvernements»,
note no VRE-DGLF-UMA-000715/2013 en date du 17 janvier 2013 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le
ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, vol. 2, annexe 37.2 (les italiques sont de nous). Voir également
note no VRE-DGLF-UMA-008107/2013 en date du 9 mai 2013 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le
ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, vol. 2, annexe 37.4 ; note no VRE-DGLF-UMA-017599/2013 en date
du 2 octobre 2013 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC,
vol. 2, annexe 37.6 ; note no VRE-DGLF-UMA-020899/2013 en date du 19 novembre 2013 adressée au consulat général
du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, vol. 2, annexe 37.8 ; note
no VRE-DGLF-UMA-022856/2013 en date du 16 décembre 2013 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le
ministère des affaires étrangères de la Bolivie, MC, vol. 2, annexe 37.10 ; note no VRE-DGLFAIT-UAIT-Nv-7/2014 en
date du 19 février 2014 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de la Bolivie,
MC, vol. 2, annexe 37.12 ; et note no VRE-DGLFAIT-UAIT-Cs-136/2014 en date du 10 avril 2014 adressée au consulat
général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de l’Etat plurinational de Bolivie, MC, vol. 2, annexe 38.2.
215 MC, par. 6.6 (les italiques sont de nous).
216 Ibid., par. 5.19.
217 Ibid., par. 5.21.
218 Ibid., p. 107, conclusions, al. e).
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- 58 -
152. Lorsqu’il invoque l’obligation «de notification et de consultation», le Chili semble faire
référence, en les amalgamant, aux obligations énoncées aux articles 11219 et 12220 de la convention
de 1997 relativement aux informations sur les mesures projetées. Dans son mémoire, il fait fond sur
le contenu des deux articles et le développe, faisant valoir que l’obligation «de notification et de
consultation … est exposée en détail dans les articles 11 à 18 de la convention de 1997»221.
153. Etant donné que ni la Bolivie ni le Chili ne sont parties à cette convention, les articles 11
et 12 ne s’appliquent que dans la mesure où leurs dispositions reflètent le droit international
coutumier. Ainsi qu’il sera expliqué ci-après, l’article 12 reflète effectivement le droit international
coutumier, mais il n’en va pas de même de l’article 11.
154. L’obligation faite à l’article 11 de la convention de 1997 est plus large que la nécessité
de notifier qui est prévue à l’article 12. L’article 11 vise tous les «effets éventuels des mesures
projetées sur l’état d’un cours d’eau international». Lorsqu’elle a interprété le texte qui allait devenir
l’article 11, la CDI a expliqué que «[l]’expression «effets éventuels» désign[ait] tous les effets, qu’ils
soient positifs ou négatifs, que peuvent avoir les mesures projetées»222. De plus, selon le libellé de
cette disposition, les «effets» en question doivent être produits «sur l’état d’un cours d’eau
international» et pas nécessairement sur un Etat riverain en particulier. Par conséquent, cette
disposition impose une notification, une consultation et un échange d’information pour ce qui
concerne tous les effets positifs et négatifs des mesures envisagées par un Etat, et non seulement pour
ce qui concerne les «effets négatifs significatifs» ou importants («significant»), tel qu’il est prévu à
l’article 12223.
219 L’article 11 de la convention de 1997 dispose ce qui suit : «Les Etats du cours d’eau échangent des
renseignements, se consultent et, si nécessaire, négocient au sujet des effets éventuels des mesures projetées sur l’état d’un
cours d’eau international.»
220 L’article 12 de la convention de 1997 se lit comme suit :
«Avant qu’un Etat du cours d’eau mette en oeuvre ou permette que soient mises en oeuvre des
mesures projetées susceptibles d’avoir des effets négatifs significatifs pour les autres Etats du cours d’eau,
il en donne notification à ces derniers en temps utile. La notification est accompagnée des données
techniques et informations disponibles, y compris, le cas échéant, les résultats de l’étude d’impact sur
l’environnement, afin de mettre les Etats auxquels elle est adressée à même d’évaluer les effets éventuels
des mesures projetées.»
221 MC, par. 5.27-5.28. L’article 18 de la convention de 1997 porte sur la procédure à suivre s’agissant des
notifications prévues à l’article 12.
222 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 117, par. 3) du commentaire de l’article 11.
223 Lors des négociations relatives à la convention de 1997, le Chili a insisté sur le fait que l’article 12 ne devait
s’appliquer qu’aux «effets négatifs significatifs» ou importants («significant»). Voir Nations Unies, Sixième Commission,
compte rendu analytique de la 53e séance tenue le 31 mars 1997, A/C.6/51/SR.53, p. 9, par. 47 : «M. SALINAS (Chili) n’a
aucune objection à formuler à l’égard de l’article 12 mais constate que le titre de celui-ci ne correspond pas à son contenu ;
il propose donc d’ajouter le qualificatif «significatifs» après «effets négatifs»». A la page 9, paragraphe 53 :
«M. SALINAS (Chili) dit que la proposition des Pays-Bas ne correspond pas tout à fait au contenu
des articles. L’article 11 parle des mesures projetées sans qualifier les effets négatifs qu’elles peuvent avoir,
alors que l’article 12 fixe l’obligation de notifier les mesures projetées pouvant avoir des effets négatifs
significatifs. C’est pourquoi il maintient la proposition tendant à ajouter le qualificatif «significatifs» au
titre [de l’article 12].» CMB, vol. 2, annexe 2.
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155. A l’opposé de son commentaire de l’article 12224, la CDI n’a rien dit de la place, dans le
droit international coutumier, de l’obligation visée à l’article 11. Après une analyse approfondie de
la pratique des Etats et de la jurisprudence relativement à l’obligation de notification et de
consultation, le quatrième rapporteur spécial sur le sujet a conclu ce qui suit : «[L]a notification et la
consultation d’autres Etats au sujet des utilisations proposées qui pourraient avoir des effets sensibles
sur l’utilisation par eux d’un cours d’eau international ou sur leurs intérêts concernant ce cours d’eau
est une pratique répandue»225. Certes, des accords peuvent exiger moins, mais compte tenu de la
pratique des Etats et de la jurisprudence qui ont retenu le critère des effets négatifs importants
(«significant»), la conclusion du rapporteur spécial correspond à ce qui ressort du droit international
coutumier226. L’article 11 de la convention de 1997 n’est donc pas applicable en l’espèce.
156. L’article 12 de la convention de 1997 porte sur les mesures projetées susceptibles d’avoir
un effet négatif important sur d’autres Etats riverains d’un cours d’eau. Comme il vient d’être dit,
l’obligation à cet égard est largement admise en tant que principe du droit international coutumier.
La CDI a recensé de nombreux exemples de cas dans lesquels ce principe a été incorporé à des traités,
reconnu par des conférences et organismes internationaux, adopté dans des travaux de codification
ou examiné dans des décisions judiciaires227. Qui plus est, comme le Chili le fait remarquer dans son
mémoire, dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, la Cour a relevé que l’obligation de
notifier était «essentielle dans le processus qui doit mener les parties à se concerter pour évaluer les
risques du projet et négocier les modifications éventuelles susceptibles de les éliminer ou d’en limiter
au minimum les effets»228.
157. Lorsqu’elle explique cette disposition, et plus particulièrement la notion d’«effet négatif»
important («significant adverse effect»), qui en limite le champ d’application, la CDI précise que
«[l]e seuil qu’établit ce critère est censé être inférieur aux «dommages [importants]» («significant
harm») visés à l’article 7»229. Ces deux obligations n’entrent en jeu que dans le cas où l’effet éventuel
serait négatif. Les procédures y relatives étant «déclenchées» si l’activité «risque d’avoir» un effet
négatif, ce risque doit être évalué avant que l’activité ne soit autorisée ou mise en oeuvre.
224 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 118-120, par. 6) à 13) du commentaire de l’article 12.
225 Troisième rapport sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la
navigation, par M. Stephen C. McCaffrey, rapporteur spécial, Nations Unies, doc. A/CN.4/406 and Corr.1 and Add.1 & 2,
Annuaire de la Commission du droit international, 1987, vol. II, première partie, p. 31, par. 72 (les italiques sont de nous).
226 Ibid., p. 29-36, par. 60-87. Voir également la pratique évaluée dans le troisième rapport sur le droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, par M. Stephen M. Schwebel, rapporteur
spécial, Nations Unies, doc. A/CN.4/348, Annuaire de la Commission du droit international, 1982, vol. II, première partie,
p. 128-133, par. 170-186.
227 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 118-119, par. 6) à 12) du commentaire de l’article 12.
228 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J Recueil 2010 (I), par. 115 ;
voir également MC, par. 5.29.
229 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, droit relatif aux
utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation, Nations Unies, doc. A/49/10, Annuaire de la
Commission du droit international, 1994, vol. II, deuxième partie, p. 117-118, par. 2) du commentaire de l’article 12.
94
- 60 -
C. LES TRAVAUX SUR LE SITE DU SILALA NE PRÉSENTENT
AUCUN RISQUE D’EFFETS NÉGATIFS IMPORTANTS
158. Ce n’est qu’à la lumière d’une analyse rigoureuse de leur fondement dans le contexte des
particularités des eaux du Silala que le caractère artificiel des prétentions du Chili ressort clairement.
Par exemple, la construction d’une pisciculture n’a jamais dépassé le stade expérimental, qui s’est
conclu par un échec. S’agissant de la construction possible d’un barrage et d’une usine
d’embouteillage d’eau minérale, l’obligation de notifier n’a pas été déclenchée, à l’évidence, car ces
activités envisagées n’ont jamais été entreprises. Dans son mémoire, le Chili lui-même qualifie ces
activités de simples «projets visant la région du Silala qui avaient été annoncés par le gouverneur du
département de Potosí», sans dire si ces projets avaient dépassé le stade de l’intention230. En ce qui
concerne la construction de dix habitations à proximité du poste militaire bolivien, lorsqu’elle a été
planifiée, il était manifeste qu’elle n’aurait aucun effet négatif important sur le Chili, et celui-ci n’a
présenté aucun élément démontrant un dommage réel découlant de ce projet, se bornant à en dresser
un tableau manifestement exagéré afin d’édifier les prétentions qu’il fonde sur un prétendu
manquement.
159. En tout état de cause, la Bolivie a communiqué au Chili les informations pertinentes et
les raisons pour lesquelles la construction de dix habitations à proximité du poste militaire bolivien
ne présentait aucun risque d’effet négatif important pour le Chili ou les eaux du Silala. Dans une note
diplomatique en date du 7 février 2017, le Chili a demandé à la Bolivie de lui fournir : «des
informations sur l’utilisation des eaux du système hydrographique du Silala suite à la construction et
à la mise en service d’une base militaire dénommée «poste militaire du Silala» et à la construction
de dix habitations à proximité de ce cours d’eau»231.
160. Plus précisément, le consulat général a sollicité des informations sur l’alimentation en
eau et l’évacuation des eaux usées issues des constructions en question, car les utilisations
potentielles des eaux du système hydrographique et le rejet d’eaux usées dans celui-ci pouvaient
avoir des conséquences importantes pour les droits et les intérêts légitimes du Chili relatifs au
Silala232.
161. La Bolivie a répondu par une note diplomatique en date du 24 mars 2017 : «Sur cette
question et en application des principes de bonne foi et de bon voisinage, le ministère fait savoir que
dès que les informations demandées seront disponibles, il en informera le consulat général.»233
162. A peine deux mois plus tard, soit le 25 mai 2017, la Bolivie a envoyé une autre note
diplomatique au Chili, dans laquelle elle disait ce qui suit :
«[L]e ministère des affaires étrangères déclare qu’il n’y aucun danger que les
modestes infrastructures qui existent sur le site provoquent une pollution ou affectent la
230 MC, par. 5.19.
231 Note no 29/17 en date du 7 février 2017 adressée au ministère bolivien des affaires étrangères par le consulat
général du Chili à La Paz. MC, vol. 2, annexe 39.1. Il convient de souligner que, dans cette note du 7 février 2017, le Chili
mentionne la «construction» du poste militaire du Silala alors que celui-ci avait été construit plus de 10 ans auparavant, en
2006, et n’avait jamais fait l’objet d’une demande d’information en lien avec les eaux du Silala.
232 Ibid.
233 Note VRE-Cs-47/2017 en date du 24 mars 2017 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le ministère
bolivien des affaires étrangères. MC, vol. 2, annexe 39.2.
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96
- 61 -
qualité de l’eau des sources de Silala, car les habitations qui y sont construites ne sont
pas habitées.
En ce qui concerne le poste militaire, des équipements appropriés garantissant
la préservation et la conservation des eaux susmentionnées ont été mis en place, car ces
eaux sont un objet de préoccupation permanent pour la Bolivie. L’utilisation qui est faite
de ces eaux est par conséquent minimale et leur évacuation est contrôlée par un système
élémentaire d’assainissement qui empêche toute pollution de la zone.»234
163. Il ressort de cette correspondance qu’il n’existait aucun risque d’«effets négatifs
[importants] pour les autres Etats du cours d’eau» au sens de la règle reflétée à l’article 12 de la
convention de 1997. C’est pourquoi l’obligation prévue à cet article n’est jamais entrée en jeu. En
tout état de cause, la Bolivie a transmis au Chili les informations pertinentes sur les caractéristiques
des dix habitations et du poste militaire dans la note diplomatique susmentionnée en date du 25 mai
2017235.
D. OBSERVATIONS FINALES
164. A la lumière de ce qui précède, l’allégation selon laquelle la Bolivie a manqué à ses
obligations «de notification et de consultation» devrait être rejetée. Le Chili non seulement s’est
montré incapable de démontrer une absence d’échanges, mais n’a pas su étayer non plus la prétendue
réticence de la Bolivie à dialoguer et coopérer avec lui.
234 Note VRE-Cs-117/2017 en date du 25 mai 2017 adressée au consulat général du Chili à La Paz par le ministère
bolivien des affaires étrangères. MC, vol. 2, annexe 39.3 (les italiques sont de nous).
235 Ibid.
97
- 62 -
CHAPITRE 6
DEMANDES RECONVENTIONNELLES
165. En vertu de l’article 80 du Règlement de la Cour, la Bolivie présente trois demandes
reconventionnelles. Comme elle le montrera, ces demandes reconventionnelles relèvent de la
compétence de la Cour et sont en connexité directe avec l’objet des demandes du Chili. Pour les
raisons exposées ci-après, la Bolivie prie la Cour de dire et juger que :
a) la Bolivie détient la souveraineté sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala qui
sont situés sur son territoire et a le droit de décider si ceux-ci doivent être entretenus et de quelle
manière ;
b) la Bolivie détient la souveraineté sur les eaux du Silala dont l’écoulement a été artificiellement
aménagé, amélioré ou créé sur son territoire, et le Chili n’a pas droit à cet écoulement artificiel ;
c) toute fourniture, par la Bolivie au Chili, d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala, ainsi que les
conditions et modalités d’une telle fourniture, notamment la redevance à verser, sont soumises à
la conclusion d’un accord avec la Bolivie.
A. LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA BOLIVIE
RELÈVENT DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR
166. Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 80 de son Règlement, la
Cour «ne peut connaître d’une demande reconventionnelle que si celle-ci relève de sa compétence».
En l’espèce, elle tire sa compétence de l’article XXXI du pacte de Bogotá236, auquel les deux Etats
sont parties. Il ne fait aucun doute que les demandes reconventionnelles de la Bolivie relèvent de la
compétence de la Cour au titre de cette disposition. Ces demandes sont des «questions de droit
international» par lesquelles la Bolivie prie la Cour de déterminer les droits et les obligations des
Parties en droit international coutumier s’agissant des chenaux et systèmes de drainage artificiels et
de l’écoulement artificiel des eaux du Silala.
B. RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA BOLIVIE
167. La Cour ne peut connaître de demandes reconventionnelles que si celles-ci sont
recevables en vertu de l’article 80 de son Règlement. Elle considère que deux conditions doivent être
remplies à cette fin. Premièrement, les demandes reconventionnelles doivent poursuivre «des
avantages autres que le simple rejet de la prétention du demandeur à l’action»237 ; elles doivent donc
constituer «une «demande» distincte, c’est-à-dire un acte juridique autonome ayant pour objet de
soumettre une prétention nouvelle au juge»238. Deuxièmement, conformément au paragraphe 1 de
l’article 80, elles doivent être «en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse».
Ces deux conditions sont remplies en l’espèce.
168. Tout d’abord, les demandes reconventionnelles de la Bolivie se «distingue[nt] d’un
moyen de défense au fond»239. La Bolivie sollicite davantage que le simple rejet des prétentions du
236 CMB, par. 1, et MC, p. 5-6, par. 1.10-1.13.
237 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 256, par. 27.
238 Ibid.
239 Ibid.
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99
- 63 -
Chili. Si le Chili, dans ses conclusions, invoque les droits qui sont les siens au regard des règles du
droit international coutumier applicables aux cours d’eau internationaux, la Bolivie, quant à elle, se
prévaut dans ses demandes reconventionnelles des droits dont elle jouit au regard des règles du droit
international coutumier applicables aux eaux et à leur écoulement, ainsi que ses droits s’agissant
d’infrastructures artificielles, en ce compris les chenaux et systèmes de drainage artificiels se
trouvant sur son propre territoire, qui ne sont pas régies par le droit relatif aux cours d’eau
internationaux.
169. Ensuite, les demandes reconventionnelles de la Bolivie sont en connexité directe, «aussi
bien en fait qu’en droit»240, avec la requête du Chili.
170. Conformément à sa jurisprudence, c’est à la Cour qu’il appartient,
«d’apprécier, «compte tenu des particularités de chaque espèce, si le lien qui doit
rattacher la demande reconventionnelle à la demande principale est suffisant» (voir
Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica
c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan
(Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril
2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 211-212, par. 32)»241.
171. Dans la présente affaire, les demandes du Chili et les demandes reconventionnelles de la
Bolivie «se rapport[e]nt à un même ensemble factuel, y compris à la même zone géographique ou à
la même période»242. Elles visent, les unes comme les autres, le prononcé d’un jugement déclaratoire
concernant les droits et les obligations liés aux eaux du Silala et aux installations artificielles
afférentes. Elles portent en outre sur des «comportements similaires»243, à savoir le statut et
l’utilisation des eaux du Silala et des chenaux et systèmes de drainage artificiels. Par ailleurs, les
deux Parties poursuivent «le même but juridique»244, qui est de déterminer les règles juridiques du
droit international coutumier applicables aux eaux du Silala et à leur écoulement, ainsi qu’aux
installations artificielles situées dans les sources de Silala et alentour.
172. Compte tenu de ce qui précède, il ne fait aucun doute qu’une décision de la Cour sur les
demandes reconventionnelles de la Bolivie en l’espèce permettra d’«assurer une meilleure
administration de la justice» dans la mesure où la Cour pourra ainsi «avoir une vue d’ensemble des
prétentions respectives des parties et … statuer de façon plus cohérente»245.
240 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 33.
241 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 15 novembre 2017, C.I.J. Recueil 1997, p. 296, par. 22.
242 Ibid., p. 297, par. 24.
243 Ibid.
244 Ibid., par. 25.
245 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 30.
100
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- 64 -
C. DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA BOLIVIE
173. Les demandes reconventionnelles de la Bolivie se fondent sur les conclusions de fait et
de droit exposées dans les précédents chapitres du présent contre-mémoire.
174. Au chapitre 2, la Bolivie a démontré que les chenaux et systèmes de drainage artificiels
avaient été construits sur son territoire par une entreprise étrangère246. Le Chili confirme dans son
mémoire que ces installations artificielles sont construites et situées «en» territoire bolivien247.
Sachant qu’il n’existe aucun accord entre les deux pays au sujet de la construction, de l’entretien ou
de l’exploitation des installations artificielles situées en Bolivie, et dès lors que le droit international
coutumier ne fait pas obligation aux Etats d’entretenir des chenaux et systèmes de drainage artificiels
se trouvant sur leur territoire au profit d’autres Etats248, la Bolivie a le droit de décider si pareils
chenaux et systèmes de drainage artificiels situés sur son sol doivent être entretenus et de quelle
manière249.
175. Dans l’exercice de cette prérogative, par suite d’un récent rapport du secrétariat de la
convention de Ramsar, la Bolivie est en mesure d’évaluer l’opportunité d’adopter des mesures
appropriées s’agissant des chenaux et systèmes de drainage artificiels en vue de préserver ou de
restaurer les bofedales du Silala, compte tenu en particulier de leur état avéré de vulnérabilité.
176. Les zones humides du Silala en Bolivie ont été incluses dans un site Ramsar et désignées
aux fins de protection conformément à la convention de Ramsar250. Comme il a été vu au chapitre 2,
les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala ont considérablement perturbé et dégradé les
bofedales et entraîné le recul et la détérioration des zones humides251. Selon le rapport établi par le
secrétariat de la convention de Ramsar en 2018 au sujet du site Ramsar Los Lípez en Bolivie :
«[l]a construction de canaux de captage des eaux entreprise en 1908 a eu une incidence
considérable sur les zones humides qui se trouvent dans la région du Silala.
Actuellement, il ne reste que les vestiges des zones humides d’origine qui s’étendaient
sur 141 200 m2 (14,1 hectares). Ces zones humides ne couvrent maintenant qu’une
superficie d’environ 6000 m2 (0,6 hectare) et sont entourées d’ouvrages de captage et
de canaux artificiels.»252
246 CMB, par. 48-49.
247 MC, p. 87-88, par. 4.59-4.61.
248 CMB, par. 83.
249 Ibid., par. 106.
250 Ramsar Convention Secretariat, Report Ramsar Advisory: Mission No 84, Ramsar Site Los Lípez, Bolivia,
2018. CMB, vol. 5, annexe 18. La convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement
comme habitats des oiseaux d’eau (convention de Ramsar), en date du 2 février 1971 (Nations Unies, Recueil des traités,
1976 no 14583, p. 251), est un traité intergouvernemental qui établit le cadre de l’action nationale et de la coopération
internationale pour la conservation et l’utilisation rationnelle des zones humides et de leurs ressources. Un site Ramsar est
une zone humide reconnue d’importance internationale. Les parties à la convention s’engagent à prévoir dans leur
législation nationale des protections spéciales pour les sites Ramsar.
251 CMB, par. 71-74.
252 Ramsar Convention Secretariat, Report Ramsar Advisory: Mission No 84, Ramsar Site Los Lípez, Bolivia,
2018, p. 38. CMB, vol. 5, annexe 18.
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103
- 65 -
177. Au vu de ce contexte, le secrétariat a conclu que la détérioration des bofedales de la vallée
du Silala était due à la construction des chenaux de dérivation d’eau entamée en 1908253.
178. Les bofedales boliviens sont fortement tributaires des eaux du Silala et sont sensibles aux
changements, notamment climatiques254. Dans les lignes directrices relatives à l’attribution et à la
gestion de l’eau en vue de maintenir les fonctions écologiques des zones humides, adoptées en 2002,
la conférence des parties contractantes à la convention de Ramsar a fait observer en particulier que :
«[p]arce qu’elle est exploitée, stockée et détournée pour approvisionner la population,
l’agriculture, l’industrie et la production hydroélectrique, l’eau n’arrive plus en quantité
suffisante dans les zones humides : c’est là une des causes principales de la disparition
et de la dégradation de ces milieux. Une des clés de la conservation et de l’utilisation
rationnelle des zones humides consiste à faire en sorte que celles-ci reçoivent, au
moment voulu, de l’eau de la qualité voulue, en quantité voulue.»255
179. En conséquence, la conférence a considéré que, «[p]our maintenir les caractéristiques
écologiques naturelles d’une zone humide, il fa[llait] que l’attribution de l’eau soit aussi proche que
possible du régime naturel»256 et que «[l]’écoulement de l’eau devrait, normalement, respecter le
régime naturel aussi étroitement que possible pour maintenir l’écologie naturelle»257. Dans le cas du
Silala, la Bolivie pourrait avoir à modifier les chenaux et systèmes de drainage artificiels qui se
trouvent sur son territoire en vue d’atteindre cet objectif.
180. Compte tenu de la souveraineté bolivienne sur l’écoulement artificiel des eaux du Silala,
toute fourniture, par la Bolivie au Chili, d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala, ainsi que les
conditions et modalités d’une telle fourniture, notamment la redevance à verser, sont soumises à la
conclusion d’un accord avec la Bolivie.
181. La Bolivie prie donc la Cour de dire et juger que :
a) la Bolivie détient la souveraineté sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala qui
sont situés sur son territoire et a le droit de décider si ceux-ci doivent être entretenus et de quelle
manière ;
b) la Bolivie détient la souveraineté sur les eaux du Silala dont l’écoulement a été artificiellement
aménagé, amélioré ou créé sur son territoire, et le Chili n’a pas droit à cet écoulement artificiel ;
c) toute fourniture, par la Bolivie au Chili, d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala, ainsi que les
conditions et modalités d’une telle fourniture, notamment la redevance à verser, sont soumises à
la conclusion d’un accord avec la Bolivie.
253 Ramsar Convention Secretariat, Report Ramsar Advisory: Mission No 84, Ramsar Site Los Lípez, Bolivia,
2018, p. 39. CMB, vol. 5, annexe 18.
254 CMB, par. 52.
255 Résolution VIII.1, lignes directrices relatives à l’attribution et à la gestion de l’eau en vue de maintenir les
fonctions écologiques des zones humides, annexe, par. 2, Ramsar COP8, Valence, Espagne, 18-26 novembre 2002 (les
italiques sont de nous).
256 Résolution VIII.1, lignes directrices relatives à l’attribution et à la gestion de l’eau en vue de maintenir les
fonctions écologiques des zones humides, annexe, par. 5, Ramsar COP8, Valence, Espagne, 18-26 novembre 2002.
257 Résolution VIII.1, lignes directrices relatives à l’attribution et à la gestion de l’eau en vue de maintenir les
fonctions écologiques des zones humides, annexe, par. 28, Ramsar COP8, Valence, Espagne, 18-26 novembre 2002.
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CONCLUSIONS
1. La Bolivie prie la Cour de rejeter les demandes et conclusions du Chili et de dire et juger
que :
a) les eaux des sources de Silala font partie d’un cours d’eau artificiellement amélioré ;
b) les règles du droit international coutumier relatif à l’utilisation des cours d’eau internationaux ne
s’appliquent pas aux eaux s’écoulant artificiellement du Silala ;
c) la Bolivie et le Chili sont tous deux en droit d’utiliser de manière équitable et raisonnable les eaux
s’écoulant naturellement du Silala, conformément au droit international coutumier ;
d) l’utilisation que fait actuellement le Chili des eaux s’écoulant naturellement du Silala ne préjuge
pas du droit de la Bolivie à une utilisation équitable et raisonnable de ces eaux ;
e) la Bolivie et le Chili sont tous deux tenus de prendre toutes les mesures appropriées pour ne pas
causer de dommages transfrontières importants à l’environnement sur le site du Silala ;
f) la Bolivie et le Chili sont tous deux tenus de coopérer et de notifier à l’autre, en temps utile, les
mesures projetées qui sont susceptibles d’avoir un effet préjudiciable important sur les eaux
s’écoulant naturellement du Silala, et de procéder à l’échange de données et d’informations et de
réaliser au besoin des évaluations de l’impact sur l’environnement ;
g) la Bolivie n’a pas manqué à son obligation de consulter le Chili et de lui donner notification pour
ce qui concerne les activités susceptibles d’avoir une incidence sur les eaux s’écoulant
naturellement du Silala ou sur l’utilisation légitime qui en est faite par le Chili.
2. S’agissant de ses demandes reconventionnelles, la Bolivie prie la Cour de dire et juger que :
a) la Bolivie détient la souveraineté sur les chenaux et systèmes de drainage artificiels du Silala qui
sont situés sur son territoire et a le droit de décider si ceux-ci doivent être entretenus et de quelle
manière ;
b) la Bolivie détient la souveraineté sur les eaux du Silala dont l’écoulement a été artificiellement
aménagé, amélioré ou créé sur son territoire, et le Chili n’a pas droit à cet écoulement artificiel ;
c) toute fourniture, par la Bolivie au Chili, d’eaux s’écoulant artificiellement du Silala, ainsi que les
conditions et modalités d’une telle fourniture, notamment la redevance à verser, sont soumises à
la conclusion d’un accord avec la Bolivie.
3. Les présentes conclusions sont sans préjudice de toute autre demande que la Bolivie pourrait
formuler concernant les eaux du Silala.
La Haye, le 3 septembre 2018.
L’agent de l’Etat plurinational de Bolivie,
Eduardo RODRÍGUEZ VELTZÉ.
___________
105
106
- 67 -
CERTIFICATION
Je certifie que les annexes et les rapports joints au présent contre-mémoire sont des copies
conformes des documents auxquels il est fait référence et que les traductions fournies sont exactes.
L’agent de l’Etat plurinational de Bolivie,
(Signé) Eduardo RODRÍGUEZ VELTZÉ.
___________
- 68 -
LISTE DES ANNEXES
Annexe
Volume 2
Documents des Nations Unies
1 Nations Unies, Sixième Commission, compte rendu analytique de la 23e séance tenue
le 17 octobre 1996
2 Nations Unies, Sixième Commission, compte rendu analytique de la 53e séance tenue
le 31 mars 1997
3 Nations Unies, Sixième Commission, compte rendu analytique de la deuxième partie de
la 62e séance tenue le 4 avril 1997
Documents du groupe de travail chilo-bolivien sur la question du Silala
et du mécanisme de consultations politiques
4 Joint Study Profile submitted by Chile in August 2004
5 Procès-verbal de la deuxième réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question
du Silala, 20 janvier 2005
6 Minutes of the XVIII Meeting of the Bolivia-Chile Political Consultation Mechanism,
17 June 2008
7 Procès-verbal de la quatrième réunion du groupe de travail chilo-bolivien sur la question
du Silala, 14 novembre 2008
8 Accord initial [Silala ou Siloli], projet du 28 juillet 2009
9 Accord initial [Silala ou Siloli], projet du 13 novembre 2009
10 Minutes of the First Part of the VIII Meeting of the Bolivia-Chile Working Group on the
Silala Issue, October 2010 (unsigned)
Correspondance diplomatique entre la Bolivie et le Chili
11 Note no VRE-DGRB-UAM-018880/2011 en date du 29 août 2011 adressée au consulat
général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de Bolivie
12 Note no VRE-DGRB-UAM-009901/2012 en date du 24 mai 2012 adressée au consulat
général du Chili à La Paz par le ministère des affaires étrangères de Bolivie
Documents officiels de la Bolivie
13 Décret suprême bolivien no 24660, 20 juin 1997
Articles de presse
14 «The Silala is not a matter of discussion for Chile», El Diario, La Paz, 28 mai 1996
15 «Clarification from the Chilean Chancellery: There is no conflict with Bolivia over the
Silala River», El Mercurio, Santiago, 17 mai 1997
16 «Everything will be done after signing the initial agreement», La Razon, La Paz, 30 août
2009
Documents techniques
17 Danish Hydraulic Institute (DHI), Etude des écoulements dans les zones humides et le
système de sources du Silala, 2018
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Annexe A : Bassin versant du Silala
Annex B: Climate Analysis
Annex C: Surface Waters
Volume 3
Documents techniques (suite de l’annexe 17)
17 Danish Hydraulic Institute (DHI), Etude des écoulements dans les zones humides et le
système de sources du Silala, 2018
Annexe D : Analyses pédologiques
Annex E: Water Balances
Volume 4
Documents techniques (suite de l’annexe 17)
17 Danish Hydraulic Institute (DHI), Etude des écoulements dans les zones humides et le
système de sources du Silala, 2018
Annexe F : Hydrogéologie
Volume 5
Documents techniques (suite de l’annexe 17)
17 Danish Hydraulic Institute (DHI), Etude des écoulements dans les zones humides et le
système de sources du Silala, 2018
Annexe G : Modélisation intégrée des eaux de surface et des eaux souterraines
Annexe H : Scénarios de simulation des écoulements naturels
Annexe I : Questionnaire soumis au DHI par l’Etat plurinational de Bolivie
18 Ramsar Convention Secretariat, Report Ramsar Advisory: Mission No 84, Ramsar Site
Los Lipez, Bolivia, 2018
___________

Document file FR
Document Long Title

Contre-mémoire de la Bolivie

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